S U Z. -, , èÙ03),
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ai 'gnabart.
From the Library of
Sir Andrew Clark, Bar t.
Présentai by Lady Clark.
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in 2015
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https://archive.org/details/b2475772x_0028
NOUVEAU DICTIONNAIRE
DE MÉDECINE ET DE CHIRURGIE
PRATIQUES
XXVIII
21236. — PARIS, TYPOGRAPHIE A. LA H U RE
9, Rue de Fleurus. 9
NOUVEAU DICTIONNAIRE
DE MÉDECINE ET DE CHIRURGIE
PRATIQUES
ILLUSTRÉ DE FIGURES INTERCALÉES DANS LE TEXTE
RÉDIGÉ PAR
Benj. ANGER, A. M. BARRALIER, BERNUTZ, P. BERT, J. CUAT1N, CUSCO, DELORME, DÉNUCÉ,
SBNOS, DESORJIEAUX, A. DESPRÈS, D'UEILLY, G. D1EULAFOY, Matuias DUVAL, FERNET, Alf. FOURMER, A. FOVILLE
T. GALLAUD, GAUCHET, GOSSELLN, Alph. GUÉRIN, UALLOPEAU, A. HARDY, IIÉRACD,
DERRGOTT, UEURTAUX, JACCOUD, JACQUEMET, K02BERLÉ, LABADIE-LAGRAVE, LANNELONGUE
LEDENTU, R. LÉPINE, J. LUCAS-CIIAMPION.NIÈIIE, LUNIER, LUTO.N, P. MARDUEL,
L. MARTINEAU, Ca. MAURIAC, MERLIN, Huiideut MOLLIÈRE, ORÉ, PANAS, PROUST, h. PRUNIER, M. RAYNAUD
R1CUET, R1GAL, Jules ROCIIARD, SAINT-GERMAIN,
Germain SÉE, SIREDEY, STOLTZ, Is. STRAUS, A. TARDIEU, S. TARNIER, VILLEJEAN, Auo. VOISIN.
Directeur de lu réduction z le docteur JACCOUD
PARIS
LIBRAIRIE J.-B. BAILLIÈRE et FILS
Rue Hautefeuille, 19, près le boulevard Saint-Germain
Londres Madrid
BAILLIËnE, P. TIMDALL AND COI CinLOS DAILLÏ-BAILUÈHE
1880
NOUVEAU DICTIONNAIRE
D E
MÉDECINE ET DE CHIRURGIE
PRATIQUES
PILEUX (Système). — Sous le nom de système Pileux, on com-
prend les diverses modifications d'un tissu produit, constitué par les poils.
Très- développé chez la plupart des mammifères, ce système l'estbeaucoup
moins chez l'homme ; néanmoins, chez lui, il présente encore d'impor-
tantes particularités, dont la connaissance peut avoir pour le médecin
un réel intérêt. C'est à la tête que le système pileux est prédominant.
Les cheveux, qui recouvrent et abritent le crâne ; les sourcils et les cils
annexés à l'appareil de la vision ; les vibrisses protecteurs placés à l'en-
trée des narines et du conduit auditif externe, puis enfin la barbe,
attribut de la virilité ; tous ces poils se rencontrent sur la tête. Sur le
tronc, au contraire, à part les creux axillaires, la région pubienne et le
pourtour des organes génitaux, chez l'adulte, ce système ne présente
qu'un développement très-atténué. On observe cependant encore, surtout
dans le sexe masculin, des poils longs et forts en assez grand nombre
sur la poitrine et au niveau de la ligne blanche ; mais c'est principa-
lement à l'état de léger duvet que l'on rencontre les poils, dissémi-
nés sur la surface du corps de l'homme, car si ces poils font entièrement
défaut à la face palmaire des mains, à la face plantaire des pieds, on peut
■reconnaître, au moyen de la loupe, qu'aux endroits où la peau est la
plus mince et douce au toucher, il existe néanmoins un grand nombre de
poils rudimentaircs ou duvet. Le sein le plus blanc, dit Sappey, en
est ombragé et hérissé sur toute sa surface; de même la peau si transpa-
rente des paupières. Le nombre total des poils, qui végètent à la surface
du corps, dit le même auteur, esta peu près le même, aux divers âges,
dans les deux sexes, chez tous les individus, et probablement aussi dans
toutes les races humaines ; mais le nombre de ceux qui passent de la
période rudimentairo, à la seconde période de leur développement, ou
poils proprement dit, est très-variable. Par suite de cet état rudimen-
NOUV. DICT. 11ÉD. ET CUln. XXVIII 1
2 PILEUX (Système).
taire de la plus grande partie des poils, la sensibilité des téguments
est conservée plus exquise que chez les mammifères, avec leur manteau
protecteur ; c'est par son industrie que l'homme doit lutter coulre les
variations de température auxquelles son corps est exposé, suivant les
climats et suivant les saisons.
Les poils présentent de grandes variétés dans leur coloration ; ces
variétés sont généralement en harmonie avec celles de la peau , ainsi
qu'il nous était encore récemment permis de le constater pour un cas
de vitiligo.
Le professeur Broca, dans un curieux tableau chromatique, en forme
de cercle, a rassemblé des poils de toutes les nuances ; il montre ainsi
que l'âge, le lieu d'implantation, la race à laquelle appartiennent les
sujets observés, entraînent de nombreuses variations de couleur, sans
parler des colorations artificiellement produites , professionnelles ou
autres.
La couleur des poils varie singulièrement suivant les pays, les lati-
tudes, les climats, les températures, le milieu. On a même prétendu que
cette couleur des poils, comme celle de la peau, serait un attribut carac-
téristique des races humaines; mais, d'après Pruney-Bey, il ne faudrait
pas attacher trop d'importance à ce caractère. Et, d'ailleurs, ainsi que le
remarque M. Bonté, ne sait-on pas que les cheveux se colorent de plus
en plus chez les enfants, à mesure qu'ils grandissent, parce qu'alors les
sécrétions se complètent et se régularisent. Dans nos climats , outre les
cheveux blancs (presque toujours chez nous l'indice d'un commence-
ment de décrépitude ou de maladies locales ou générales), on retrouve
les colorations les plus diverses ; le noir d'où dérivent le brun et le châ-
tain, et le rouge qui va du blond hardi au châtain clair.
On a constaté que si les couples bruns ou blonds, s'unissant entre eux,
ont produit presque constamment des bruns ou des blonds; les unions
des bruns avec des blondes ou réciproquement, paraissent avoir donné
lieu à des rejetons semblables à l'un ou l'autre des père et mère, bien
plutôt qu'à la formation d'un type intermédiaire (Soc. d'Anth., 1860).
A propos des rapports entre la coloration des cheveux et la fécondité, il
semble prouvé que, toutes choses égales d'ailleurs, les races blondes sont
douées de plus de iécondilé que les brunes. Ajoutons que, d'après les
cartes statistiques, là où les Français sont grands, ils sont blonds, que là
où ils sont petits, ils sont bruns ; et que la carie dentaire est plus fré-
quente chez les individus blonds que chez ceux de race brune (Magitot).
Les poils rouges se retrouvant éventuellement dans la plupart des races,
ne sont pas un caractère de race. On sait qu'Eusèhe de Salles considérait
l'homme aux cheveux rouges comme l'homme primitif. Sans reconnaître,
avec Nichât une certaine connexion, entre la coloration des cheveux cl le
caractère, on peut expliquer la défaveur qui s'attache assez communé-
ment aux cheveux rouges, par ce fait que les individus qui les portent,
exhalent le plus souvent une odeur forte et fétide parfois très-incom-
mode. Toutefois, cette défaveur n'a pas toujours existé, car du temps des
PILEUX (Système). 5
Romains, il était de modo de teindre les cheveux en rouge, et cet usage
persiste encore, paraît-il, de nos jours, en Grèce. Les femmes de ce pays
se teignent les cheveux en rouge, avec des décodions végétales.
Nous n'admettrons qu'avec de grandes réserves la couleur des poils et
spécialement des cheveux parmi les attributs des tempéraments. Cepen-
dant la fréquence de la coloration blonde chez les scrofuleux et les indi-
vidus lymphatiques est un fait notoire.
Les variétés dans la coloration des poils fournissent au médecin légiste
et au savant, un des plus précieux caractère d'identité, car ces tissus résis-
tent longtemps à la putréfaction, ainsi qu'à un grand nombre de causes
de destructions naturelles.
Un autre caractère, non moins précieux, se tire de la forme : tantôt
rigides et durs, tantôt souples, tantôt ondulés et frisés, l'aspect des poils
est donc également très-variable. Bien que subissant incontestablement
l'influence de la race, il ne faut pas méconnaître que ces différentes
formes se rencontrent parfois réunies sur un même sujet, suivant le lieu
d'implantation.
Voici la classification des races, d'après l'aspect des cheveux, suivant
Is. Geoffroy Saint-Hilaire :
1" Cheveux lisse
!R. Caucàsîque:
Alléganicnne.
Hyporboréenne.
Malaise.
I Américaine.
Mongoliquc.
Paraborécnne.
Australienne.
'2° Cheveux crépus in-
sérés angulairement.
5" Cheveux crépus in-
sérés circulairement.
R. EUiiapique.
Cafre.
Mélanienne.
R. Holtenlole.
On peut classer les poils en trois groupes : les poils longs, les poils
courts, les poils rudimenlaires ou duvet. Parmi les poils longs, les che-
veux par leur rôle, leur nombre, etc., présentent un intérêt de premier
ordre; nous les étudierons tout d'abord. Les cheveux sont implantés sur le
cuir chevelu ; les limites de cette implantation sont variables avec les
races. Cazenave en effet a signalé cinq prolongements (sur la partie
médiane du front, au-dessus de la partie externe de l'orbite, et sur les
tempes). Ils limitent en avant l'implantation des cheveux dans la race
caucasique. Geoffroy Saint-IIilaire a constaté de son côté que dans la race
holtentote ces cinq pointes font absolument défaut, le contour antérieur
de la chevelure est circulaire ; en arrière les cheveux descendent plus ou
moins bas sur le cou au-dessous de la nuque. Dans la race holtentote
(Prichard) les cheveux au lieu d'être régulièrement disséminés sur le cuir
chevelu, sont groupés en faisceaux de telle sorte que s'ils sont coupés
ras, la tète prend l'aspect d'une brosse dure de souliers [of a hard shoe
brush). Les cheveux peuvent dépasser un mètre de longueur ; c'est chez la
temme qu'ils atteignent les plusgrandes dimensions; dans certains cas ils
peuvent, comme nous en avons été témoin, descendre jusqu'au dessous des
genoux, atteindre le milieu du mollet. Bichat et d'autres auteurs pré:'
4 l'ILEliX (Système).
sentent la longueur de nos cheveux comme une preuve à invoquer en
faveur de la destination de l'homme à l'attitude bipède ; ces longs
poils gêneraient prodigieusement en effet pour la progression dans
l'altitude quadrupède. Aussi l'usage de couper les cheveux se rencontre
même chez les peuples les moins civilisés, dans les races alléganiènnes
(Peaux rouges, hyperboréennes Esquimaux, australiennes Taïtiens). L'ex-
trémité de ces poils avant toute section est conique et plus ou moins fine.
Mais l'usage de couper les cheveux donne à cette extrémité une surface
nette, transversale ou oblique, puis plus tard les inégalités de la surface de
section disparaissent l'extrémité, s'amincit peu à peu par l'action du frot-
tement de la brosse et du peigne. Les cheveux sont tantôt cylindriques
et leur juxtaposition produit l'aspect des cheveux plats; d'autrefois aplatis
dans un sens, élargis dans le sens contraire ils se contournent, ils frisent
alors, ainsi que cela se voit pour les cheveux crépus de la race nègre
(Pruncr-Bey). De grandes variations existent dans le diamètre des che-
veux. Aux diamètres les plus petits correspondent les cheveux les plus
ondulés. D'ailleurs, flexibles et élastiques, ils supportent sans se rompre
des tractions considérables, et l'arrachement du cuir chevelu chez les
ouvriers, saisis par leur chevelure dans le mouvement d'une machine,
fait malheureusement bien connu, en est la conséquence et la démonstra-
tion. Ocsterlen, cité par Joannet, insiste sur l'importance qu'il y a pour le
médecin légiste à connaître cette solidité du cheveu : « Que l'on trouve
des cheveux brisés sur un marteau, sur une pierre, cet état fragmenté des
cheveux devra faire supposer l'emploi d'une telle force qu'un plan
résistant d'appui, comme un os, aurait été du même coup infailliblement
brisé. En outre cette solidité démontre que les cheveux ou poils sont
plutôt déracinés que. brisés dans leur tige, d'où cette conséquence, quand
la racine fait défaut, il est difficile à priori de croire à un arrachement. »
Le pouvoir hygrométrique des cheveux est de notoriété vulgaire depuis
l'usage de l'hygromètre à cheveux de Saussure. Quant au pouvoir électrique
il existe des différences individuelles notables. Il n'est pas rare de rencon-
trer des individus ayant des cheveux secs et non frisés chez lesquels on peut
électriscr la chevelure par le frottement du peigne. Nous avons pu, dans
ces conditions, entendre alors de nombreuses crépitations, faibles mais
très distinctes chez un jeune homme bien portant d'ailleurs. Eble,
Sappcy ont observé des faits analogues. Ce dernier auteur ajoute que ce
dégagement dans un cas dont il a été témoin bien que nes'accompagnant
d'aucune modification dans l'exercice des fonctions cérébrales, était sur-
tout remarquable après un travail intellectuel un peu prolonge.
Les poils de la barbe, presque toujours plus ou moins frisés, d'une
teinte généralement plus claire que les cheveux, présentent comme eux
de grandes différences individuelles, quant à la flexibilité, la longueur, etc.
On cite des cas remarquables d'individus ayant des barbes d'une
longueur véritablement extraordinaire. Bartholin, entre autres, rapporte
qu un moine avait une barbe descendant jusqu'au sol. La barbe dans
notre race se développe au moment de la puberté dans le sexe masculin.
PILEUX (Système). 5
mais il n'est pas très-rare de constater chez la femme un développement
anormal surtout à la suite de l'époque de la ménopause. Une dame de
New-York présenta à chacune de ses trois grossesses, d'après Slocum un
développement de barbe sur les joues et le menton. L'apparition coïnci-
dait avec la cessation des règles, la croissance atteignait 1 pouce 1/2 jus-
qu'à l'accouchement, puis la disparition s'effectuait au moment de la
reprise des fonctions menstruelles.
Les mutilations des organes génitaux avant la puberté ont un reten-
tissement sur le développement des poils, qu'elles entravent. Mais s'il est
vrai que les eunuques n'ont que peu ou pas de barbe, ce serait à tort qu'en
généralisant on rattacherait à l'absence de barbe, chez l'homme, l'idée de
faiblesse génitale. Il existe des variétés de l'espèce humaine qui sont
privées de barbe en grande partie comme dans certains rameaux mongo-
liqûes, ou même entièrement comme dans la race alléganienne (Vail-
lant). Dans certains cas de vices de conformation des organes sexuels, con-
fondus à tort sous la dénomination d'hermaphrodisme; c'est parfois le
développement des poils du visage qui éveille l'attention, et contribue à
faire reconnaître l'identité. Toutefois ces individus mal conformés ont gé-
néralement beaucoup moins de barbe et de moustache que n'en pré-
sentent normalement les hommes bien constitués à l'âge de puberté.
Les poils du pubis, des aisselles, de l'anus présentent entre eux une
grande analogie de forme, de structure, de longueur ; ils apparaissent dans
les deux sexes à l'époque de la puberté. Chez l'homme les poils du
pubis entourent la base de la verge, contournent les bourses sur lesquelles
on en rencontre bien encore, mais très-espacés ; puis recouvrant le
périnée ils se confondent avec ceux de l'anus. De môme, chez la femme les
poils du mont de vénus se continuent avec ceux qui revêtent la face
externe des grandes lèvres, mais rarement ils se prolongent sur le
périnée. Ces poils ont généralement des teintes plus sombres que les
cheveux; cependant les poils roux sont loin d'être rares en cette région.
Ils sont frisés et restent assez courts; toutefois, Siebold, Voigtcl cités par
L. Vaillant, ont rencontré des faits très-exceptionnels, d'une croissance
exagérée des poils du pubis, ceux-ci atteignaient le genou. Les poils des
aisselles comme les précédents sont généralement frisés, aplatis, peu
longs. Presque toujours en contact avec la sueur qui est acide ils sont par
suite moins colorés, puis cetle espèce de macération prolongée, le frotte-
ment des vêtements contribuent à les altérer; aussi, souvent la pointe est
divisée en pinceau de fibres. Les poils courts qui recouvrent l'abdomen,
la poitrine, les membres, sont d'autant moins colorés qu'ils sont plus
courts; leur développement est surtout marqué à l'âge adulte, dans le
sexe masculin, par l'exagération en ces points du duvet ou lanugo que
nous avons dit recouvrir le corps humain, poils fins décolorés qui très-
souvent ne sont visibles qu'à l'aide de la loupe. Si ce développement se
généralise, le corps prend un aspect plus ou moins velu d'où la dénomi-
nation d hommes-chiens que reçoivent ces individus. Dans certain cas, le
développement est limité à une région du corps.
c PILEUX (Système).
Nous insisterons peu sur les poils annexés aux appareils des sens,
dont ils sont, par leur rigidité et leur situation, les organes protecteurs.
Les sourcils, dont les deux arcades mobiles plus ou moins fournies
jouent un rôle considérable dans l'expression de la physionomie, sont
encore utiles en détournant des paupières la sueur venant du front, de
plus ils arrêtent les rayons lumineux supérieurs qui pourraient gêner la
vision.
Les cils implantés sur la lèvre antérieure du bord des paupières, ont
souvent une coloration plus foncée que celle des cheveux. Ces poils sont
semés sans ordre, sur une surface de un millimètre de hauteur sur trois
centimètres de largeur (Sappey). On en compte cent à cent vingt sur cha-
que paupière. Ceux de la paupière supérieure décrivent une courbe à con-
cavité supérieure, ceux de la paupière inférieure ont une courbure à con-
cavité inférieure, d'où la possibilité du rapprochement des paupières, sans
qu'il y ait entrecroisement des cils. Les altérations dans la direction de
ces poils déterminent des accidents, qui constituent la maladie désignée
sous le nom de thriciasis. L'inflammation réitérée des paupières peut
entraîner la chute des cils, ce qui porte un trouble profond à l'expression
du regard.
On trouve aussi quelques poils très-fins, rudimentaires sur la caron-
cule lacrymale, leur fonction est encore inconnue.
Quant aux vibrisses rigides et courtes placées à la face interne des nari-
nes, leur direction de haut en bas, et leur entrecroisement en forme d'en-
tonnoir, permet de se rendre facilement compte de leur rôle protecteur de
la muqueuse nasale; elles retiennent les corps étrangers, qui sans cela
viendraient irriter l'intérieure des narines. De même les poils insérés sur
le tragus de l'oreille externe, protègent le conduit auditif. Nous n'avons
rien de spécial à noter au sujet des poils courts qui se rencontrent surtout
chez l'homme plus ou moins nombreux et développés, sur la poitrine et
le -ventre, au niveau de la ligne blanche, ce qui fait que l'homme, à ren-
contre des animaux, est plus velu sur le ventre que sur le dos. Nous rap-
pelerons seulement à ce propos cette remarque d'Aristofe que le singe,
intermédiaire à l'homme et aux quadrupèdes est également velu sur le dos
et sur le ventre. Du reste il est également à noter au sujet de la direc-
tion des poils situés sur les membres, que sur les avanl-bras, ceux-ci
remontent du poignet vers le coude, disposition qu'on ne retrouve que
chez les singes les plus élevés de la série animale : gorille, chimpanzé,
orang-outang, dits singes anthropomorphes (Vaillant).
Le développement exagéré des poils peut se rencontrer soit généralisé
a tout le corps, soit limité à une région plus ou moins étendue. Dans ce
1 i or
uernicr cas, ils constituent une variété de ce qu'on désigne sous le nom de
signes, s'ils sont très-con(luenls dans un point circonscrit. D'autres fois, il
s agit d une hypertrophie localisée du système pileux, sur un membre
par exemple : A la suite de trouble d'innervation ayant entraîné un ra-
lentissement de la circulation, ou bien consécutivement à des lésions du
système circulatoire amenant la stagnation du sang dans les capillaires,
PILEUX (Système). — anatomie. 7
dans laphlébartéric (Broca) ; et les inflammations chroniques locales, vieux
ulcères, abcès scrofuleux, ou même certains cas de lésions du squelette,
ostéite, carie, tumeur blanche et fracture.
On rencontre également la présence de poils en des points de l'économie
qui en sont normalement privés. Ces cas d'hétérotopie sont loin d'être
rares. Sédillot, Martin, ont publié des cas de développement de poils
dans la vessie; on en a signalé également dans le rectum, dans la bou-
che, etc. Enfin on constate fréquemment la présence de poils dans les
kystes dermoïdes (t. XII, p. 7i<S, fig. 95), dans les inclusions fœtales.
Anatomie. — Nous allons étudier actuellement l'anatomie des organes
constituant l'appareil pileux : le poil proprement dit, et l'appareil produc-
teur du poil, le follicule pileux.
Le poil se compose d'une partie libre ou tige, et d 'une racine ; celle-ci,
contenue dans le follicule, renflée à sa partie inférieure, est molle et
constitue la bulbe pileux, on y rencontre une dépression qui a été com-
parée a un fond de bouteille, dans laquelle pénètre la papille du poil. La
tige qui se termine par une extrémité fine, offre des différences de lon-
gueur quenous avons précédemmentsignalées. D'après l'opinion de Browne
et Pruney-Bey les variétés d'aspect qu'elles présentent, tiges lisses, bou-
clées, frisées, crépues, tiennent à des différences de forme. C'est ainsi que
les poils lisses sont cylindriques, les bouclés et frisés sont légère-
ment comprimés dans le sens de l'ondulation, les poils crépus du nègre
ont une tige aplatie. Mais les recherches de Pruney-Bey ont été contestées
par divers micrographes, entre autres par Nathusius. La difficulté de pra-
tiquer des coupes parfaitement transversales serait une cause d'erreur dans
les recherches de celte nature. Nathusius ne retrouve aucune connexion
entre l'ondulation et la forme des poils; c'est une question controversée.
Latteux pour pratiquer les sections de poils rigoureusement transversales
a proposé la méthode suivante : sur une planchette en bois de un centimè-
tre carré bien polie, on tend les cheveux, en fixant une de leur extrémité
sur la face postérieure au moyen de la cire à cacheter. On pratique une
petite encoche exactement au centre de la planchette et l'on y fait pénétrer
un à un les poils en les tendant bien parallèlement. On les fera ensuite
pénétrer clans une seconde encoche pratiquée à l'autre extrémité et rabat-
tant la mèche sur la face postérieure, on la fixera avec de la cire, comme
pour le bout supérieur. On agglutine ce faisceau avec des couches de col-
lodion, ce qui forme un cylindre solide, appliqué sur la planchette. Pour
faire la section, on fixe cette planchette bien verticalement et bien solide-
ment dans le microtome, et l'on sectionne. Ce procédé aurait permis de
relever dans l'important mémoire de Pruney-Bey de graves erreurs.
On décrit trois parties constituantes dans la tige du poil : l'épiderme
du poil, la substance corticale, puis au centre une substance médullaire :
1° L'épiderme, formé par une couche très-mince, unique de lamelles
cpithélialcs sans noyau, constitue une membrane parcourue par des
lignes transversales, irrégulières, foncées ; les lignes sont ducs aux con-
tours de ces lamelles, imbriquées de telle sorte, que les inférieures
S PILEUX (Système). — anatomie.
recouvrent les supérieures. Ces lamelles manquent au niveau du bulbe ;
elles sont remplacées en ce point par des cellules à noyau. 2° La substance
corticale, plus ou moins colorée dans les poils de couleur, est au contraire
transparente dans les poils blancs. Cette substance fondamentale du poil
est striée dans toute sa longueur ; elle forme dans son ensemble un
cylindre creux, adbércnt par sa face externe à la couebe lamclleuse pré-
cédemment décrite; dans sa cavité, se trouve la substance médullaire. Les
fibres qui constituent la substance corticale se composent de. lamelles allon-
gées, pourvues d'un noyau et contiennent du pigment disséminé par
taches et de l'air. Ces lamelles, par transition insensible, prennent, au
niveau de la racine, la forme de cellules molles polygonales à noyau avec
granulations incolores ou pigmentaires. 5° La substance médullaire, for-
mée de cellules irrégulièrement cubiques, à noyau pâle, se termine
au-dessus du bulbe, elle fait défaut dans les poils follets ou rudimentaires.
Vue à la lumière réfléchie, la substance médullaire est blanche ; elle est
noire à la lumière transmise, coloration qui est due à la présence de
bulles d'air.
Le follicule pileux est une cavité cylindroïde qui reçoit la racine du
poil, c'est une dépression de la peau; le follicule proprement dit corres-
pond au derme, la gaîne de la racine correspond à l'épiderme. Dans le
follicule proprement dit on décrit trois couches : l'interne hyaline, homo-
gène, transparente; la couche moyenne, dont la direction des fibres est
transversale; enfin une couche externe vasculairc à fibres longitudinales.
Les parois du follicule se continuent avec les faisceaux fibreux du derme;
elles avoisinent : les glandes sébacées, situées superficiellement, qui s'ou-
vrent dans leur cavité et dont le volume est généralement en raison
inverse du volume du follicule pileux correspondant ; les muscles lisses
de l'horripilation qui s'y attachent et peuvent redresser les poils ; les
glandes sudorifères et les vaisseaux placés auprès. Au fond du follicule,
la papille du poil, analogue aux papilles du derme, forme un renflement
conique constitué par des cellules à noyau, contenant un réseau capillaire
et probablement aussi les derniers filets nerveux provenant du plexus à
grandes mailles irrégulières disposé autour de la moitié inférieure ou
profonde des follicules pileux. — La gaîne de la racine, simple dépression
de l'épiderme, est comme lui réductible en deux lames secondaires-
L'externe ou muqueuse a la même structure que la couche de Malpighi.
elle est beaucoup plus épaisse que l'interne ou cornée. Celte dernière
lame se compose de cellules allongées sans noyau. — D'après les recherches
de Kôllikcr, le germe constituant le premier indice de l'appareil pileux
chez l'homme apparaît vers la fin du troisième mois de la gestation.
La composition chimique des poils est intéressante à connaître : chacun
sait qu'exposés à la flamme ils se consument et brûlent avec une. odeur de
corne. Leur tissu est solublc dans les acides et les alcalis concentrés. On
y retrouve la graisse sécrétée par les glandes sébacées, puis du phosphate,
du carbonate de chaux, de la silice, puis enfin du soufre et du fer à l'état
d'oxyde de fer. D'après Mialhe, l'ingestion des ferrugineux aurait pour
PILEUX (Système). — anatomie. 9
effet de foncer la coloration des cheveux. Cazin a publié le fait curieux
d'une jeune lille chez laquelle la chlorose apparaissait quand on laissait
pousser les cheveux, et disparaissait quand on les coupait. Les poils sem-
bleraient donc une des voies d'élimination du fer introduit dans l'écono-
mie. Vaillant, d'après Ileusinger, cite le cas très-rare d'une sécrétion
pigmenlaire fort abondante, au point de noircir des vêtements.
Maladies du système pileux. — Les modifications pathologiques du
poil humain peuvent être divisées de la manière suivante : augmentation
ou diminution de nombre, hypertrophie ou atrophie, altération de cou-
leur, de direction, altération de structure et maladies parasitaires. Nous
nous bornerons à rappeler ici les noms sous lesquels sont connues ces
différentes lésions de l'appareil pileux, en renvoyant le lecleur aux articles
spéciaux : la Canilie et les colorations accidentelles par diverses matières
colorantes dont les poils sont susceptibles de s'imprégner ; Y Alopécie, avec
ses nombreuses variétés d'origine : absence congénitale, chute sénile, l'alo-
pécie partielle souvent due à des altérations des follicules pileux : alopécie
des convalescents, celle d'origine syphilitique {Voy. t. 1); le Porrigo dé-
calvans, les Teignes (Favus [t. XIV] et Tricophylie), puis les diverses
lésions de la peau d'origine diatliêsique localisées au follicule pileux :
acné {Voy. t. I), eczéma (Voy. t. Xll), lichen pilaris, etc.
Épilatoires. — Nous donnerons sur les épilatoires quelques détails
que nous emprunterons au livre de Piesse sur les cosmétiques :
Sous, ce nom, on comprend les préparations usitées pour dépiler, c'est-
à-dire détruire les poils de quelques parties du corps. Un grand nombre
de ces substances ont une composition dangereuse. Les Turcs et les Persans
se servent du Rusma, qui est un mélange de chaux vive 8, pour orpi-
ment 1, que l'on délaye avec un peu de blanc d'oeuf et de lessive de
savonnier. La crème [parisienne a une composition analogue : chaux vive
60 grammes, sulfure d'arsénic 15 grammes, orcanclte 8 grammes. De
même la poudre Lalorcst, dont il a été donné la formule tome IX, p. 541 .
Les poudres Delcroix, celle de Colley contiennent également de l'arsenic.
On s'explique aisément les accidents d'intoxication qui ont été signalés à
la suite de l'emploi fait sans précaution et longtemps prolongé de prépa-
rations aussi dangereuses, dont l'effet épilatoire est d'ailleurs assez
infidèle. Les plus usitées sont : 1° le mélange épilatoire de Marlins et
Boettger : sulfure sulfuré de calcum, hydrosulphatc ou sulfydratc de chaux ;
2° la poudre de Boudet qui, elle aussi, ne contient pas de substance
toxique mais peut devenir en des mains inhabiles la cause de lésions
assez sérieuses au point d'application. On a vu en effet survenir, après
une application mal faite ou trop prolongée, une irritation de la peau
pouvant entraîner la formation de pustules et même de cicatrices. En
voici d'ailleurs la composition :
Sulfure de sodium cristallisé 3 grammes.
Clinux vive en poudrn . . 10 —
C-'\ Amido > 10
J0 PILOCÀHI'INE.
On délaye celte poudre dans un peu d'eau, et on laisse la pâte appliquée
sur la peau pendant 1 ou 2 minutes. ■
Réveil, dans une addition au livre de Picsse (p. 224), a indique un
dépilatoire ainsi formulé :
Sul llivdra le de chaux en pâle bien égoutlé.. ..... 20 grammes
Essence de citron « BouUcs-
Glycérolé d'amidon , J grammes.
Amidon r •
Suivant Burnett, le suc des feuilles de Vhernandia sonora est un épi-
latoire précieux et puissant qui détruit le poil sans nuire à la peau.
fîous rappelerons enfin que pendant longtemps on a fait usage, spéciale-
ment pour arracher les cheveux dans le traitement de la teigne, d'une
calotte en poix. Par ce moyen Irès-douloureux on obtenait, l'arrachement
des cheveux, mais ce procédé barbare est aujourd'hui abandonné; l'épila-
tion par la pince plate, journellement employée à l'hôpital Saint-Louis
donne, lorsqu'elle est faite avec patience et par des mains exercées, d'ex-
cellents résultats (Vog. art. Favus, t. XIV, p. 551); cette méthode est,
il est vrai, un peu longue, mais elle est facilement tolérée même par
des enfants, sans qu'il soit besoin d'employer préalablement à l'épila-
tion l'anestliésie locale.
Beadnis et Boociuhd. Anatomie descriptive. 5e édit,, Paris, 1879.
Bicbat. Anatomie générale. Paris, 1850, t. IV.
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E. Ory.
PILOl'ARPINE (Jaborandi). — La pilocarpine est l'alcaloïde
extrait du Pilocarpus phwalus, de la famille des Rutacécs. C'est sous le
nom de jaborandi , que le docteur Coutinho de Pernambuco présenta,
en 1875, et remit à Gublcr des échantillons d'une plante douée, disait-
on, de propriétés sialagogues et diaphorétiques remarquables. Les expé-
riences entreprises ne donnèrent pas des résultats identiques, ce qu'on
s'explique, maintenant que l'on sait qu'un grand nombre de plantes de
natures très-diverses, portent au Brésil le nom de jaborandi. En effet,
l'échantillon importé par le docteur Coutinho, expérimenté par Gubler,
appartient, suivant Bâillon, à la famille des Rutacées. C'est le Pilocarpus
pinnalus; tandis que d'autres plantes vendues au Brésil, également sous
le nom de jaborandi, et expédiées ultérieurement en France, sont des
produits de la famille des Pipers.
Au dix-seplième siècle, Pison cl Marggraff (Malcria medica) ont décrit
trois jaborandi ligneux, frutescents, qui appartiennent au genre piper ; l'un
d'eux est le Serronia jaborandi, très-répandu au Brésil. D'autres jabo-
PILOCARPINE. — histoire naturelle. H
randi appartiennent à la famille des Scrol'ulariécs, ce sont les llespestes;
enfin le Monniela trifoliata est de la famille des Rutacécs. C'est cette
dernière plante que Lemaire, en 1852, avait nommée le Pilocarpus pen-
natifolius. Ce genre pilocarpus de famille des Rutacées, est très-voisin
du genre Citrus. Parmi les plantes vendues au Brésil, communément sous
le nom de jaborandi , il faut citer VOttoma anisum, le Serroconia jabo-
randi, le Piper nodosum, le Piper reticulatum et le Piper cilrifolium ;
quelques espèces du genre Esenbeckia et certaines Rutacées. Il existe au
Jardin des Plantes de Paris, un Pilocarpus simplex.
Les premières recherches sur la valeur thérapeutique du jaborandi,
ayant été entreprises par Gubler en France (1874), avec le Pilocarpus
pinnalifolius, nous donnerons ici, d'après Planchon, les caractères
botaniques de cette Rutacée, tels qu'il les a indiqués dans le Journal de
pharmacie et de chimie, en mars 1875.
Histoire naturelle. — Les racines, cylindroïdes, d'une couleur jaune-
orange pâle, présentent une écorce de deux à trois millimètres, une cas-
sure grenue qui laisse voir à la loupe de nombreuses larmes d'une matière
résinoïde ; il y a, au centre, un cylindre ligneux d'un blanc satiné. Sa sa-
veur, d'abord un peu nauséeuse, devient promptement piquante et fraîche.
Les liges sont recouvertes d'une écorce d'un gris noirâtre tacheté de
blanc. Au-dessous de la couche subéreuse, on trouve, par la cassure, un
tissu blanc jaunâtre parsemé de larmes résinoïdes. Au microscope ,
l'écorce présente, au-dessous de plusieurs rangées de couches subéreuses,
de nombreuses cellules parenchymateuses, dont quelques-unes renfer-
ment des cristaux en rosette. De grosses glandes apparaissent à la loupe,
dans les couches externes; elles sont oblongues, à grand diamètre dirigé
dans le sens tangentiel , sans paroi propre ; des cellules résinifères se
trouvent dans le tissu du liber. Les feuilles sont composées imparipennées
à neuf folioles le plus souvent, rarement sept ou neuf; elles ont un
pétiole épaissi à la base, creusé en gouttière supérieurement. Ces fo-
lioles sont fermes, coriaces, elliptiques, obtuses au sommet; elles ont
une nervure médiane saillante. Sur leur face inférieure, on ren-
contre de nombreuses glandes translucides, sous forme de taches
brunes punctiformes, présentant à la loupe l'aspect de petites dépressions
remplies d'un exsudât résinoïde. Les feuilles adultes sont glabres, leur
saveur est nauséeuse, aromatique, leur odeur rappelle l'odeur des feuilles
d'oranger.
La structure de ces feuilles est la suivante : un cuticule, amorphe à la
surface, recouvre les cellules longues et étroites, où l'on rencontre la
chlorophylle; un parenchyme lâche de cellules, renfermant de la ma-
tière granuleuse verte contient, dans son épaisseur, des glandes oléifères.
C'est à la partie inférieure que sont placées les stomates.
Les fleurs, portées par un pédoncule de cinq à six millimètres, ont un
calice à cinq dents, les pétales épais, d'un gris fauve, et possèdent des
glandes oléifères. 11 y a cinq étamincs au-dessous d'un disque annulaire
très-développé. Les fleurs ont une odeur de citron.
12 PILOCAIIPINE. — propriétés organoleptiques.
Les fruits, de quinze millimèlres de long, sur dix de large, sont ainsi
constitues : des carpelles rénilbrmes à laces, latérales, bombées, brunes,
marquées de tacbes lenticulaires noires ; une enveloppe extérieure repré-
sente le mésocarpe et l'épicarpe; l'endocarpe est ligneux, il renferme une
graine unique.
Tels sont, d'après Plancbon, les principaux caractères du pilocarpus
pennatifolius.
Dans une note publiée par Gublcr, dans h Journal de thérapeuti-
que (1875), on trouve, par contre, décrit hpiper reliculaluin, qui pos-
sède , dit-il : « le double caractère d'avoir des feuilles dont la forme rap-
pelle assez exactement celles du citronnier , et dont les nervures
nombreuses et saillantes, fréquemment anastomosées , lui ont valu son
nom. Cet arbrisseau, d'un mètre environ, a des tiges fasciculées à la
base, simples et dénudées dans la moitié de leur longueur, cylindriques,
très-étroites et articulées à la manière de celles des bamboux ; elles sont
chargées en haut de feuilles alternes, brièvement pétiolées, lancéolés,
obtuses, d'un vert foncé, entremêlées parfois de châlons mâles. » Cette
variété de jaborandi a été expérimentée comparativement avec le pilocar-
pus pennatifolius. C'est pour cela que nous avons rapporté ici quelques-
uns des caractères de cette plante.
Le pilocarpus pennatifolius apporté en Europe par Libon, en 1847,
avait été recueilli dans la province de Saint-Paul du Brésil; il est cultivé
au Jardin des Plantes de Paris, sous le nom de pilocarpus simplex, mais
Bonpland, antérieurement, l'avait récolté dans la province de Corrientes
et étiqueté : Picada di Trinidad. « La connaissance de celte localité,
dit le professeur Bâillon, est précieuse, parce que, si contrairement à
tant de médicaments dont la réputation n'a guère survécu, ce jaborandi
continuait d'être recherché en thérapeutique , la plante pourrait , sans
doute, être cultivée avec succès dans le midi de l'Europe et dans noire
colonie algérienne. »
Propriétés orcanoleptiques et chimiques. — Les feuilles et la plante
entière exalcnt une odeur légèrement aromatique, qui se prononce
davantage, si on les froisse entre les doigts. Elles sont d'une saveur acidulé
au début, puis ebaude et piquante ; cette saveur se retrouve dans la tige,
mais surtout dans la racine et principalement dans les divisions un peu
volumineuses de la grandeur d'une plume de corbeau. La saveur
piquante devient cuisante et détermine des scintillations douloureuses,
des frémissements vibratoires de la langue et des lèvres, avec une sécré-
lion tres-active de la salive. Lorsqu'on a rejeté la pulpe sapide, les effets
persistent encore un certain temps, puis disparaissent progressivement,
laissant une grande fraîcbeur dans la bouebe, avec une ancstbcsie gusta-
tive incomplète.
Quand on distille de l'eau sur des feuilles de jaborandi, le produit de
la distillation a une odeur aromatique cl une saveur poivrée.
On émit tout d'abord l'bypotlièsc, que le pilocarpus pinnatus devait
son action sur l'économie à son huile essentielle, le Pilocarpène C10 H'%
PILOCARPINE. — doses, puiîparations. 15
liquide incolore mobile (densité à 18° 0,852) qui dévie à droite la
lumière polarisée; on a reconnu, depuis, que ces effets sont dus à un
alcaloïde, la pilocarpine. En effet, c'est en mars 1875 que E. Hardy
obtint la pilocarpine.
Le procédé d'extraction de cet alcaloïde fut le suivant. On fait
successivement un extrait aqueux et alcoolique de jaborandi, puis
on traite par l'acétate de plomb ammoniacal, on élimine le plomb
en excès par l'hydrogène sulfuré, on ajoute à la liqueur du bicblo-
rure de mercure. Le précipité formé est séparé des eaux mères, puis traité
par l'bydrogène sulfuré; on obtient ainsi du chlorhydrate de pilocarpine.
Ce sel, solubledans l'eau, insoluble dans l'alcool absolu et l'éther, forme,
avec le chlorure d'or, un sel double parfaitement cristallisé. Pour en
retirer la pilocarpine, il suffit de la décomposer par l'ammoniaque, en
présence du chloroforme. Cet alcaloïde] bien distinct de l'huile essen-
tielle, du carbure d'hydrogène que contient la plante, possède les pro-
priétés physiologiques du jaborandi.
.M. Gcrrard, qui a poursuivi de son côté des recherches sur ce sujet,
obtint, peu après, cet alcaloïde. Voici le résumé de son procédé : il pré-
pare l'extrait mou en épuisant les feuilles ou l'écorce par l'alcool à 50e ;
reprend par l'eau cet extrait, filtre, évapore, ajoute de l'ammoniaque, puis
agite fortement avec du chloroforme. Le chloroforme en s'évaporant
laisse déposer la pilocarpine, et cet alcaloïde peut se combiner avec
l'acide nitrique et l'acide chlorliydrique pour former des sels cristalli-
sables. Cet auteur indique, comme entrant aussi dans la composition du
jaborandi, une résine acre, une huile volatile, du tannin, de la chloro-
phylle (J. de pharm. et chimie, février 1870). Duquesncl, Petit, ont légè-
rement modifié et simplifié ces procédés d'extraction. Enfin Kingzelt,
pour obtenir la pilocarpine, opère ainsi. Il épuise les feuilles de jabo-
randi, avec de l'eau à 70°, acidulé le liquide obtenu, chauffe pour
coaguler les subslanccs albumineuscs, filtre, précipite l'alcaloïde par
l'acide pliosphomolybdique, traite le précipité par une solution chaude de
baryte et enlève l'excès de baryte par un courant d'acide carbonique.
D'après lui, la formule de la pilocarpine amorphe serait C". H**. Az*. Os.
La pilocarpine a été combinée avec divers acides : avec l'acide nitrique
et chlorliydrique. Il se forme des sels bien cristallisés ; on a éga-
lement obtenu du phosphate et de l'acétate de pilocarpine.
Doses, rnÉPAïuiiOiNs, mode d'adsiimstkation. — Les premières expé-
riences, faites à l'hôpital Beaujon dans le service de Gublcr, ont été pra-
tiquées en employant le jaborandi sous forme d'infusion de feuilles, de.
petits rameaux concassés, ou d'écorces ; ou bien en extrait aqueux, puis
■en élixir et en sirop. Après la découverte de la pilocarpine, le mode d'ad-
ministration fut simplifié, et l'on put prescrire l'alcaloïde, ou bien
les sels : azotate, chlorhydrate, acétate de pilocarpine, en solution, et
par suite, soit en injection hypodermique, soit en collyre.
L'infusion de jaborandi se peut prescrire à la dose de 4 grammes de
feuilles infusées pendant 15 minutes dans 125 grammes d'eau bouillante
14 PILOCAlU'INti. PROPRIÉTÉS ET effets physiologiques.
On peut atteindre G grammes clicz l'homme adulte. Souvent 2 grammes
suffisent chez la femme; il serait imprudent de dépasser cette dose pour
un enfant.
La dose d'extrait aqueux employée par A. Rohin varie entre 0,90 cen-
tigrammes et 1 gr. 50 centigrammes, suivant l'âge et le sexe. D'après
Constantin Paul, l gramme d'extrait correspond à 5 grammes de feuilles.
Pour l'elixir de jaborandi préparé par Colliguon, 0,20 centigrammes cor-
respondent à 4 grammes de feuilles.
On emploie maintenant l'alcaloïde du jaborandi en solution. Les injec-
tions hypodermiques ont été très-souvent pratiquées chez l'homme, soit
avec une solution titrée de pilocarpine, soit avec une solution de nitrate
ou de chlorhydrate de pilocarpine, sans qu'on ait noté d'accidents par
irritation locale.
Pour le nitrate de pilocarpine, la dose est de 1 à 4 centigrammes; pour
le chlorhydrate, les doses doivent être plus faibles encore. On peut dis-
soudre ces sels dans l'eau distillée, ou bien, comme l'a fait Courseran
dans l'eau de laurier cerise. Quand on se sert de cette substance sous
forme de collyre, on constate des effets locaux (myosis et légère contrac-
ture) avec une seule goutte d'une solution à 2,5 pour 100 déposée sur la
cornée.
Propriétés et effets physiologiques. — Dans un important mémoire
qui a pour titre : Études physiologiques et thérapeutiques sur le Jabo-
randi (pilocarpus pinnatus), l'auteur, A. Robin, a publié les premières
expériences dont il a été témoin à l'hôpital Beaujon dans le service de
Gubler. Les faits nombreux qui s'y trouvent consignés ont été, depuis,
presque tous entièrement vérifiés, il convient de ne pas l'oublier; car
les résultats obtenus par le jaborandi (infusion et extrait aqueux) sont les
mêmes, à peu de chose près, que ceux constatés par l'emploi de la pilo-
carpine et ses sels.
Les effets physiologiques produits par l'ingestion d'une dose suffisante
sont les suivants : sudation, salivation, larmoiement, augmentation des
sécrétions bronchiques, hypercrinie nasale. Mais ces phénomènes qui
sont assez constants, sinon dans leur intensité, du moins dans leur appa-
rition, sont susceptibles d'un grand nombre de variations.
L'infusion de jaborandi est un excellent sudoriflque ; la sudation est
annoncée par quelques symptômes précurseurs ; rougeur de la face,
battements des artères temporales, sentiment de plénitude des régions
les plus vasculaires, parfois, mais rarement, un peu de vertige. La durée
moyenne de la sueur, depuis son début jusqu'à sa terminaison complète
varie de 2 à 5 beures. D"après Strumpf, la sudation qui s'établit sous
l'influence du jaborandi, a varié dans 48 cas de diaphorèse, entre 98 et
895 grammes, soit en moyenne 474 grammes; environ cinq fois plus
qu'à l'état normal. La sécrétion Midoralc finit presque toujours par les
parties qu'elle a envahies les premières, c'cst-à-dirc la face, le sommet de
la poitrine, les mains (Albert Robin).
Les qualités de la sueur se modifient, d'acide qu'elle était au début,
PILOCARPINE.
PROPRIÉTÉS ET EFFETS PHYSIOLOGIQUES.
!.')
celle-ci tend à avoir une réaction plus ou moins franchement alcaline ;
ses caractères chimiques sont également modifiés, l'urée, les chlorures,
sont éliminées en plus grande ahondance. Gillet de Grandmont, dans ses
expériences faites avec des injections de pilocarpinc, a retrouvé dans la
sueur une certaine proportion de l'alcaloïde.
La sécrétion salivaire est sensiblement influencée : on perçoit, tout
d'abord, un sentiment de chaleur dans la bouche, parfois un peu de sensi-
bilité dans la région sous-maxillaire. La salivation, qui débute d'ordinaire
plustôtquc la sudation dure moins longtemps qu'elle. Limousin 1878, avec
le réactif de Winkler, a reconnu dans la salive la pilocarpine, après une
injection sous-cutanée de cette substance. L'effet sialagogue du jaborandi
ou de la pilocarpine se manifeste également chez les animaux (Hardy,
Bochefontaine) : le chien, le cheval, la souris. Pour Dumas, qui entreprît
des expériences dans le service de Siredey, avec delà pilocarpine préparée
par Duquesnel, la principale action de cette substance est, avant tout,
d'augmenter la sécrétion salivaire; il pense même que ses propriétés
sudorifiques sont secondaires. Chez les individus qui ne salivent point, on
constate souvent des vomissements, du malaise, des nausées, une ten-
dance à la syncope, ou seulement de la défaillance. Gillet de Grandmont
en tire cette conclusion, que les glandes salivai res sont l'une des princi-
pales voies d'élimination du jaborandi, car ces accidents sont probable-
ment dus à l'action de la pilocarpine sur la muqueuse de l'estomac.
Sehwahr confirmant les expériences de Carville, a constaté que le flux
salivaire ne s'arrête pas chez un chien soumis à l'action du jaborandi,
ni parla section de la corde du tympan, ni par l'arrachement du ganglion
cervical supérieur. Il vit que, sous l'influence de ce produit, le sang qui
s'écoule par une ouverture pratiquée sur la glande sous-maxillaire, est
d'un rouge plus clair et d'une abondance plus grande ; que cet effet per-
siste encore après la section de la corde du tympan.
Il faut admettre l'hypersécrétion du mucus dans toute l'étendue du
tube digestif. Les vomiturilions, les rejets glaireux filants semblent le
démontrer; parfois des selles diarrhéiques ont été constatées et cela prin-
cipalement lorsque la diaphorèse est entravée ou supprimée. Quand il y
a déviation de l'action du pilocarpus, dit A. Robin, au vomissement vient
toujours se joindre une diarrhée d'abondance variable, précédée souvent
de coliques. Cette diarrhée cesse comme les vomissements, quand la plus
grande partie du principe actif du jaborandi a été rejetée. — Chez les
animaux, on a pu vérifier que toutes les glandes du tube digestif sont ex-
citées, et que le foie et le pancréas participent à l'hypercrinie générale.
Les effets sur les sécrétions lacrymales, nasales et Irachéobrûnchiques
sont moins constants. L'hypercrinie nasale manque souvent, de même
aussi l'augmentation do sécrétion de la muqueuse trachéobronchique.
Toutefois, généralement, sous l'influence du jaborandi les crachats sont
rendus plus fluides, ils sont plus faciles à détacher, .et sont expulsés
bientôt après sans effort. Mais, quand l'action du jaborandi cesse, à
l'hypercrinie passagère, succède un sentiment de sécheresse de la gorge,
jg PILOCARPINE. PROPRIÉTÉS ET EFFETS PHYSIOLOGIQUES.
et clans certains cas de bronchorrhée (Gnblcr, A. Robin), la quantité des
crachats rendus ultérieurement l'ut diminuée; cet état persiste parfois
environ 24 heures après l'administration du jaborandi.
L'action sur les urines est variable, semble-t-il, suivant les doses absor-
bées. La quantité d'urines rendues paraît être tout d'abord en raison
inverse de l'abondance de la transpiration. Mais si le jaborandi est admi-
nistré à doses fractionnées, l'augmentation possible des urines a été notée.
Le fait a été vérifié par Rendu, et par Langlet (de Reims). Ce dernier
auteur a constaté une véritable hématurie, dans un cas où l'on avait dû
prolonger longtemps l'usage du médicament. Cette hématurie se déclara
alors, sans doute, par suite de l'excès du travail imposé aux reins.
« La diminution de la quantité d'urine sécrétée, dit À. Robin, n'est pas
assez considérable pour compenser les pertes liquides effectuées par la
peau et les glandes salivaires, de telle sorte que l'élimination y gagne
quoique les reins soient déchargés d'une partie de leur travail fonction-
nel. » La diminution de l'urée, de l'acide urique, prouve l'abaissement
des combustions désassimilatrices; il y a aussi diminution des chlorures.
L'hypercrinie lacrymale n'est pas le plus important des effets du jabo-
randi et de son alcaloïde sur V appareil oculaire. On a noté aussi une
contraction pupillaire qui débute vers le moment où la sueur se géné-
ralise. — Galezowski, dans ses recherches, n'avait trouvé que l'action
myotique de la solution de pilocarpine déposée sur l'œil; Alexaudroff, de
la clinique du docteur Metaxas (de Marseille), observa également le fait
delà contraction pupillaire ; mais, depuis, Pietro Albertoni ayant instillé
cette solution dans l'œil de l'homme et des animaux, a noté du myosis
et en même temps un spasme accommodalif de la vision ; puis, dans une
seconde période, plus durable, de la mydriase sans altération de l'accom-
modation. Si l'on fait une injection hypodermique à distance, l'action sur
l'iris est nécessairement beaucoup moins marquée, puisque les sécrétions
rejettent immédiatement la plus grande quantité du médicament (Gillet
de Grandmont). Après l'ablation du ganglion cervical supérieur du grand
sympathique chez le chien, l'instillation de la pilocarpine ne peul plus
produire la dilatation de la pupille; d'où cette conclusion formulée par
P. Albertoni : que la pilocarpine agit en excitant autant le nerf moto-
oculaire commun (myosis passager), que le grand sympathique (mydriase
intense et de longue durée) : celte dernière action, selon lui, étant plus
durable et plus intense, mais plus lenLc à se produire.
Faut-il expliquer la dilatation pupillaire, simplement par l'état nauséeux
déterminé par le jaborandi?
Pour compléter l'étude des effets de la pilocarpine sur les organes
sécréteurs, ajoutons (pie sous son influence , la sécrétion lactée en partie
tarie chez une nourrice atteinte d'érysipèle, a été heureusement excitée,
et (pie le lait reparut et les mamelles reprirent leur fonction avec plus
d'abondance (A. Robin, Soc. de Biologie, 1875).
L'influence du jaborandi sur les modifications de la température a fait
l'objet de nombreuses recherches. « La température axillairc s'élève gra-
PILOCARPINE. —
PP.OrniKTÉS ET EFFETS PHYSIOLOGIQUES.
17
duellcment jusqu'au moment où la salivation est bien établie et où la
sudation commence à devenir générale. Cette élévation de température
est d'environ 4/10 de degré chez les individus bien portants. Quand la
sudation est arrivée à son maximum, la température baisse un peu, mais
sans cependant revenir encore à son degré primitif qu'elle atteint seule-
ment vers la (in du maximum, quand les hypercrinies tendent à s'apaiser.
A leur déclin, la température tombe de quelques dixièmes de degrés,
au-dessous de son point initial (A. Robin). Suivant Gillet de Grandmont
les injections hypodermiques de pilocarpine ont pour résultat d'abaisser
la température de près de 1 degré, cela dans un espace de temps très
limité, et persisterait plusieurs heures. Bardenhewer prit la température
rectale, il a constamment noté un abaissement de la température du corps
de 5 à 6 degrés pendant la durée de la sueur.
L'abaissement de la tension artérielle a été constaté dès les premiè-
res expériences. On vit le pouls plus accéléré, les battements du coeur
un peu irréguliers, et l'influence des mouvements respiratoires sur la
circulation, se faire sentir plus manifestement qu'à l'état normal. Curs-
chmann, Bardenhewer, dans un cas de colique de plomb, ont confirmé ce
fait, déjà signalé par Gubler et A. Robin, que le pouls perd sa tension et sa
dureté. 0. Kaylcr et J. Soyka, comme Bocbefontaine et Galippe ont re-
connu qu'une petite dose d'infusion de Jaborandi, injectée dans les
veines, provoque une chute immédiate et passagère de la tension artérielle
avec accélération momentanée du pouls ; que des doses plus forles ont
une action semblable mais plus persistante, qu'enfin, par des doses plus
fortes encore, la chute de la tension artérielle est plus considérable
mais qu'en même temps, il se produit un ralentissement marqué du pouls.
Vulpian, dans une intéressante communication faite à la Société de
Biologie, rapporte, qu'ayant fait dans la veine cave d'un chien, une injec-
tion d'extrait de Jaborandi, il constata des troubles intenses du côté du
cœur, le ralentissement des battements du pouls, avec menace de mort;
dans quelques expériences il y eut un arrêt brusque du cœur. Ces effets
furent surtout sensibles chez la grenouille ; l'arrêt du cœur se fait en
diastole. Langley a, sur des crapauds, des grenouilles, des chiens, des
lapins, vérifié ce fait que le Jaborandi ralentit les battements du cœur;
le même auteur établit que c'est toujours le ventricule qui s'arrête le
premier, quoique les oreillettes puissent être troublées dans leur rhythme
avant le ventricule, et que l'abaissement de la tension artérielle soit le
premier symptôme de l'action du Jaborandi sur la circulation. Fracnkel
a noLé (1873) que le nitrate de pilocarpine à la dose de 0,02 c. à 0.04 c.
n'a guère d'action sur la circulation, mais que les doses fortes produisent
un ralentissement notable du pouls. Cet effet a été obtenu par lui, alors
même que. les nerfs vagues étaient coupés.
En résumé : le Jaborandi ou la pilocarpine possède des propriétés su-
dorifiques et sialagogues incomparablement plus rmirquées que celles des
agents thérapeutiques employés jusqu'ici ; c'est un hypercrinique puis-
sant. Si son action sur la température est encore discutée, tous les expéri-
riOCV. D1CT. M ÉD. ET CHIR. XaVIL -
18 PILOCARPINE. — propriétés et effets physiologiques.
mentatcurs admettent que cette substance peut abaisser notablement la
tension artérielle. Enfin, son pouvoir myosique lui donne rang dans la
thérapeutique oculaire, au même titre que l'éserine.
11 nous reste à signaler encore un point fort intéressant de l'histoire de
ce médicament, à savoir l'antagonisme qui paraît exister entre son action
et l'action de l'atropine sur notre organisme, fait signalé par le profes-
seur Yulpian. Depuis, Auber, en injectant 0,025 d'atropine sous la peau
d'un chien, vit apparaître des phénomènes d'intoxication qu'il fit dispa-
raître avec une infusion de 2 grammes de Jaborandi ; toutefois, la dilata-
tion de la pupille persista. L'antagonisme de l'atropine et du Jaborandi
n'est pas admis par Langley, car cet auteur dit avoir constaté que l'atro-
pine ne peut ramener la tension artérielle à son niveau primitif lorsque
cette tension est abaissée par le Jaborandi.
Enfin, nous devons une mention toute spéciale aux récentes recherches
expérimentales de Straus ; elles ont mis en lumière un point nouveau
relatif à l'action locale des injections hypodermiques de pilocarpine. Les
résultats sont intéressants, non-seulement au point de vue physiologique
de la pilocarpine, mais au point de vue plus général de la pbysiologie des
sueurs locales, et des sécrétions en général.
Les expériences de Straus nous ont appris que, si l'on pratique, chez
l'homme, une injection hypodermique de 0gr,01 à 0Kr,02 de nitrate de pi-
locarpine (dose physiologique) en solution dans 1 gramme d'eau, on voit au
bout de deux à cinq minutes, la peau recouvrant l'ampoule formée par le
liquide injecté rougir, puis se couvrir de gouttelettes très-fines de sueur.
Ces gouttelettes apparaissent d'abord à la circonférence de l'ampoule, sous
forme d'une collerette; peu à peu, la sueur s'étend concentriquement
vers le centre de l'ampoule qu'elle finit par envahir totalement. Cette
sueur locale se produit deux à trois minutes avant la salivation, cinq à
huit minutes avant la sueur générale. Cet effet local est d'autant plus
rapide et plus accusé que la peau où a lieu l'injection est plus riche
en glandes sudoripares ; les meilleurs endroits sont le devant du sternum,
le front et le pli du coude.
Straus a trouvé en outre le fait curieux suivant : c'est que, en rédui-
sant la dose de pilocarpine, tout peut se borner à une action sudoriûque
locale : en injectant une ou deux gouttes d'eau tenant en dissolution de
0gr,001 à 0Br,004 de nitrate de pilocarpine, on provoque une sueur pure-
ment locale, sans le moindre phénomène général. On peut ainsi, à vo-
lonté, faire suer telle ou telle région du corps et dessiner des lignes
humides sur le reste de la peau demeurée sèche.
L'action antagoniste de l'atropine a permis à Straus de réaliser, d'une
façon élégante, l'expérience inverse. Si, chez un sujet en pleine sueur
sous l'influence de la pilocarpine, on injecte sous la peau de très-faibles
doses de sulfate d'atropine, on voit, à ce niveau, la sueur diminuer
presque immédiatement; au bout de quelques minutes, elle est totale-
ment supprimée. On peut ainsi, dit Straus, réserver à volonté des lignes
sècbes sur la peau humide.
PILOCARPINE. PROPRIÉTÉS ET effets physiologiques. 19
Pour assurer que l'arrêt de la sueur est bien l'effet de l'atropine et non
celui du seul fait de l'injection d'un liquide, Straus a eu soin d'injecter,
à diverses reprises, simultanément un volume équivalent d'eau pure;
l'effet d'arrêt a toujours fait défaut. Cet action d'arrêt local de la sueur
s'obtient à l'aide de doses infiniment petites d'atropine; il n'a jamais
manqué, même avec un millième de milligramme de substance active,
chez l'homme. Chez le chat, une injection de moins d'un centième de
' milligramme dans la pulpe d'une des pattes a produit le même effet d'arrêt.
La peau en sueur d'un chat ou d'un homme peut donc, d'après l'expé-
rience de Straus, être considérée comme un réactif extrêmement délicat
de l'atropine, puisqu'il suffit de l'injection d'un millionigramme de cette
substance pour produire l'arrêt local de la sueur.
Les expériences de Luclisinger, confirmées par celles de Vulpian, ont
montré que, chez le chat, une injection de 0gr,001 à 0gr,003 de sulfate
d'atropine arrête la sueur provoquée par l'injection de 0er,01 de pilocar-
pinc, mais que, si l'on injecté ensuite sous la peau de la pulpe d'une des
pattes IF, 01 de pilocarpine, la sueur reparaît sur cette patte, mais nulle
part ailleurs.
Chez l'homme, Straus a constaté le même fait. En injectant 0gr,002 de
sulfate d'atropine, puis, une demi-heure après en une autre région de la
peau, 0gr,02 de pilocarpine, il n'y a ni salivation, ni sueur générale,
mais simplement une sueur locale, très-persistante parfois, au voisinage
du point où a eu lieu l'injection de pilocarpine.
Straus s'est appliqué à déterminer approximativement la quantité de
sulfate d'atropine dont l'injection rend même ces doses massives locale-
ment inefficaces. Chez un homme vigoureux, à la jambe, il a pu injecter
graduellement et avec prudence 0gr,006 de sulfate d'atropine (0gr,001
toutes les dix minutes). Puis il a injecté ensuite en une seule fois jusqu'à
0gr,(H de nitrate de pilocarpine sur le devant du stermum ; malgré cette
forte dose, il n'y eut non-seulement aucune sueur générale, mais même
aucune sueur locale. Il en conclut que chez l'homme, l'injection de
0gr,006 d'atropine rend impossible tout effet sudorifique, tant local que
général de la pilocarpine,
Sur le chat, il a obtenu le même résultat à la suite de l'injection sous
la peau du ventre de 0gr,003 de sulfate d'atropine (0gr,001 toutes les dix
minutes). Après cela, l'injection dans la pulpe d'une patte postérieure de
0gr, 015 de pilocarpine et l'électrisalion du bout périphérique du scia-
tique (expérience de Luchsinger) ne déterminent plus l'apparition d'au-
cune sueur sur cette patte. (Comptes rendus de l'Institut, 7 juillet 1879.)
Ces faits, nous le répétons, sont singulièrement instructifs au point de
vue de la physiologie des actions sécréto-glandulaires et de l'antagonisme
physiologique des poisons et des substances médicamenteuses. Quoique
les applications thérapeutiques fassent encore défaut, il faut savoir gré à
Straus d'avoir montré que l'on peut, à volonté, faire suer une région
quelconque de la peau et inversement, suspendre à volonté la sueur dans
n'importe quelle région.
20 PILOCARPINE. — applications thérapeutiques.
Applications tiiéiupeutiques. — D'après l'exposé des propriétés phy-
siologiques de Jaborandi que nous venons de tracer, on s'explique les
nombreuses tentatives qui ont été laites, dans ces dernières années, pour
l'emploi de ce médicament dans le traitement des maladies, ou pour com-
battre certains symptômes alarmants.
En qualité de sialalogue, le Jaborandi, suivant Gubler, sera indiqué
dans les états de sécheresse de la bouche avec soif vive : « Atropisme,
intoxications diverses, paralysie faciale, embarras gastrique et fièvres,'
diarrhée, lésions gastro-intestinales, phlegmasies de la bouche et de la
partie supérieure des voies digestives, le diabète sucré et la polyurie. »Le
Dr Leyden, dans un rapport à la Société médicale de Berlin, déclare qu'il
a ulilement fait usage du Jaborandi, dans les maladies fébriles: la fièvre
typhoïde, l'angine calarrhale, le rhumatisme articulaire fébrile, la dou-
leur scia tique, et confirme, par conséquent, les indications formulées par
Gubler. Le Dr Testa l'a conseillé contre les oreillons. C'est surtout dans le
traitement des hydropisies que le D1' Leyden trouve une indication des
plus importantes comme sudorifique. Cet auteur ne pense même pas que
la pilocarpine soit contre-indiquée dans le cas d'hydropisie liée à une
affection organique du cœur!
La sudation abondante supplée à l'insuffisance de la sécrétion urinaire
dans la phlegmasie rénale; elle diminue l'épanchement séreux et l'œ-
dème des membres inférieurs dans les affections chroniques des reins.
Sous l'influence de ce médicament, l'hydropisie et les troubles graves de
la respiration diminuèrent chez des malades traités par Leyden, pour des
néphrites épithélialcs. Dans une récenle communication à l'Académie des
sciences, Yulpian signale l'augmentation des matières albuminoïdes dans
la salive des albuminuriques, à la suite d'une injection de chlorhydrate de
pilocarpine; ce fait a été confirmé par Straus, agrégé delà Faculté. Langlel
de Reims a traité avec succès un cas d'albuminerie de la grossesse, par
le Jaborandi ; mais, dans ce cas, la sudation fut faible, et le Jaborandi,
ayant agi comme diurétique, détermina de l'hématurie. Le Dr Alessandro
Cantieri a obtenu de bons effets de ce médicament dans la néphrite pa-
renchymateuse et la néphrite interstitielle.
Les propriétés alexitères du Jaborandi l'ont fait expérimenter contre
les intoxications par les virus et les venins, dans la rage, par exemple
(Gubler, A. Robin, Brouardel). Au Brésil, il est employé contre la
morsure des serpents les plus venimeux et les empoisonnements végétaux.
C'est en qualité de sudorifique que le Jaborandi ou son alcaloïde, pa-
rait utile dans l'épanchemcnl pleurélique; Grasset, Yulpian, Crcquy, ont
vu disparaître le liquide.
La pneumonie, diverses formes de bronchites, la bronchorrhée, ïia-
loxicalion saturnine, ont éLé traitées avec succès par ce médicament.
Rolutansky a cité des observations favorables et montre son heureuse
influence pour la fièvre intermittente. Nous ne citerons que pour mé-
moire les tentatives faites par Ilycrnaux en Belgique, Massmann de
St-Pélcrsbourg, Spaeth et Welpower de Vienne, Kleinnachler, qui vou-
PILULES.
21
lurent provoquer l'accouchement prématuré, par le chlorhydrate de pilo-
carpine. Mais les contractions utérines pour l'expulsion dn produit, n'ap-
parurent guère qu'après l'administration de doses toxiques pour l'écono-
mie; il n'y a donc, là, aucun avantage sur les substances analogues.
C'est surtout en thérapeutique des affections oculaires, qu'ont été
entreprises les plus nombreuses recherches sur la pilocarpine et ses sels.
D'après Gillet de Grammont, le Jaborandi serait utile, contre les maladies
du corps vitré, l'atrophie papillaire, les iritis, que celles-ci soient spéci-
fiques ou rhumatismales, l'amblyopie nicotinique et l'ophtlialmie sympa-
thique. Alexandroff et Mctaxas, de Marseille, ont noté que, sous l'influence
de la diaphorèse, les milieux de l'œil troublés se sont éclaircis, la ten-
dance glaucomateuse a disparu ; enfin les exsudats ont présenté une
rapide tendance à la résorption. D'après Kônigshofer, assistant de clini-
que à Erlangen, la paralysie de l'accommodation peut guérir rapidement
par un traitement de quelques jours au Jaborandi. Suivant Dor de Lyon,
l'irido-choroïdite séreuse avec troubles diffus du corps vitré, l'iiïdo-cyclite
sympathique, sont les principales maladies à traiter par cet agent. 11
nous a paru intéressant de signaler ces nombreuses tentatives de l'emploi
de la pilocarpine pour le traitement des maladies oculaires. Mais si quel-
ques-uns de ces résultats sont contestés, il n'en reste pas moins ce fait,
que la pilocarpine est mieux supportée que l'ésérine, qui parait avoir
les mêmes indications, et qu'elle présente de plus cet avantage, dit
Galezowski, d'être moins irritante pour l'œil.
En présence de ces faits publiés récemment, tout en reconnaissant que
les propriétés chimiques et physiologiques sont encore incomplètement
connues, nous sommes portés à regarder le Jaborandi et les sels de pilo-
carpine comme étant d'une utilité incontestable ; mais si, en thérapeuti-
que, l'emploi de ce médicament présente d'assez fréquentes indications,
nous rappellerons une importante contre-indication : l'asthénie cardia-
que. On s'abstiendra de prescrire la pilucarpine dans tous les cas où la
tension artérielle est déjà abaissée, et lorsque les contractions cardiaques
sont insuffisantes.
Robin (A.), Études physiologiques et thérapeutiques sur le Jaborandi (Journ. de Ihérap. 1874,
et tirage à part.). Indicat. bibl.
Bociif.fontaine, Hcvue bibliographique générale sur le Jaliorandi (Revue des sciences médicales
d'Haycm, 1x75, I. VI).
Haiidï (E.), Revue bibliographique, Revue des sciences médicales, Paris, 1878. t. XI.
Gillkt i>e GiiAuiMosT, Action pli ysioloy ique du nitrate de pilocarpxe et effets thérapeutiques,
Paris, 1879.
Journal de thérapeutique de Gubler; Journal de médecine et chirurgie pratiques ; Bulletin
de thérapeutique. Progrès médical, Journal de pharmacie et de chimie depuis 1875,
Bulletin de LAcad. royale de méd. de Belgique, 1878. llyernaux.
Association française pour l'avanc. des sciences. Montpellier, 1879. — Congrès d'Ams-
terdam, 1&79.
E. Ory.
PILULES. — Toutes les matières médicamenteuses molles, pulvéru-
lentes ou liquides peuvent être administrées sous forme de pilules; mot
qu'il est inutile de définir, car il dérive du latin pilida, c'est-à-dire petite
22 PILULES.
boule. Les substances molles peuvent toujours être amenées en consistance
telle qu'on puisse leur conserver la forme sphérique ; les poudres peuvent
être agglomérées au moyen d'un excipient liquide ou mou ; les liquides,
au contraire, à l'aide d'une matière solide qui les absorbe.
Cette l'orme pharmaceutique est donc d'un emploi général, et elle per-
met au médecin de faire facilement ingérer des médicaments de saveur
désagréable ou dont le séjour dans la bouche pourrait offrir quelque in-
convénient. La confection des pilules comprend presque toujours deux
opérations distinctes : 1° la préparation de la masse pilulaire; 2° la divi-
sion de cette masse en un certain nombre de parties égales auxquelles on
donne la forme sphérique. Dans quelques cas déterminés, ces deux opéra-
tions sont suivies de l'enrobage, qui consiste à recouvrir chaque pilule
d'une légère couche d'argent, d'or, de sucre, de gélatine ou d'un enduit
résineux, afin de les soustraire à l'influence hygrométrique de l'air, ou sim-
plement dans le but de leur enlever toute saveur repoussante.
La principale difficulté de la préparalion des pilules consiste dans la
confection de la masse pilulaire, c'esl-à-direde la pâte un peu ferme qui
sera plus tard divisée en pilules. On comprend qu'il nous est impossible
de passer en revue tous les cas particuliers qui peuvent se présenter dans
cette opération, qui paraît fort simple au premier abord, puisqu'elle ne
consiste qu'à épister fortement dans un mortier la substance prescrite,
soit avec du sirop, du miel, de la gomme, du savon, une poudre absor-
bante, etc. Mais si l'on songe à la diversité même des substances qu'on
peut associer pour les transformer en pilules, aux réactions qui peuvent
résulter de ces mélanges et qu'il est indispensable de prévoir, on voit
immédiatement qu'il est impossible de réunir, sous forme de principes,
toutes les précautions que comportent le choix, la consistance, la quan-
tité de l'excipient.
Toutes les substances solides qui entrent dans une masse pilulaire doi-
vent être préalablement réduites en poudre impalpable et parfaitement
mélangées avant l'addition de l'excipient. Celui-ci peut être un extrait,
un électuaire, un sirop, du miel ajouté en quantité strictement suffisante
pour donner au mélange la consistance pilulaire. Le sirop de sucre
réunit très-bien les poudres mucilagineuscs ; celles qui ne le sont pas doi-
vent être additionnées d'une faible quantité de gomme adragante ou
de gomme arabique ; mais il faut éviter un excès de ces gommes : car la
masse en se desséchant peut acquérir un tel état de dureté qu'elle tra-
verse les voies digestives sans se dissoudre. En règle générale on préférera
donc un excipient qui se délaye facilement.
Les substances trop molles pour être immédiatement roulées en pi-
lules, seront additionnées de poudre de réglisse, de guimauve ou d'ami-
don. Parfois on aura avantage à employer delà magnésie, comme il arrive
pour les térébenthines, ou du phosphate de chaux qui solidifie très-bien,
par exemple, l'onguent mercuriel. Les matières grasses sont facilement
incorporées dans le savon médicinal. Les extraits employés ne doivent ja-
mais être liquides, et il vaut mieux les concentrer que d'ajouter à la masse
PIMENT.
25
une grande quantité de poudre inerte. Enfin, les masses pilulaires doi-
vent toujours être plutôt molles que dures, à moins qu'elles ne soient
rygrométriques et on doit les épistcr de telle façon qu'elles soient parfai-
tement homogènes. Pour les transformer en pilules, on les divise au
moyen de la balance en plusieurs parties du même poids, que l'on roule
en long cylindre, et celui-ci est à son tour séparé en un certain nombre
de parties égales au moyen d'un instrument spécial. On leur fait acqué-
rir exactement la forme sphérique en les disquant entre deux planchettes
parfaitement planes ; on les empêche ensuite d'adhérer entre elles en les
roulant dans de la poudre d'amidon, d'iris ou mieux de lycopode. On les
argenté ou on les dore en les agitant fortement dans une boîte avec des
feuilles minces d'or ou d'argent. Il va sans dire qu'on ne doit pas appli-
quer cette opération aux pilules qui renferment une matière susceptible
de se combiner au métal.
Mentionnons seulement, sans nous y arrêter, les méthodes d'enrobage :
à la gélatine proposée par Garot ; au baume de tolu employée par Blan-
card pour préserver Piodure ferreux du contact de l'air; à la caséine,
au gluten, etc., en faisant observer que ces enveloppes doivent être fort
minces, si l'on veut que les pilules se dissolvent dans le tube digestif. A.
ce point de vue, l'enrobage au collodion, proposé par Durden, doit être
absolument rejeté.
Le dosage des pilules est très-simple, et il ne présente véritablement
aucune difficulté, lorsqu'on se contente d'énumérerlc poids des substances
actives qui doivent entrer dans la confection d'une pilule, puis d'indiquer
au bas de la formule le nombre de pilules que l'on désire prescrire. Nous
pensons que cette manière de formuler, qui laisse au pharmacien la lati-
tude de choisir l'excipient le plus convenable, d'en employer seulement la
quantité nécessaire et de choisir lui-même le modus faciendi, est de
beaucoup la plus avantageuse; elle permet d'éviter facilement l'obtention
de pilules d'une grosseur démesurée.
Les bols ne diffèrent des pilules que par leur poids, qui est plus considé-
rable, celui de ces dernières ne dépassant jamais 55 centigrammes. Leur
préparation ne présente rien de particulier : on leur donne seulement
une forme ovoïde, afin que les malades puissent plus aisément les avaler ;
cette forme médicamenteuse est tellement incommode qu'on n'emploie
plus guère aujourd'hui que les bois d'opiat balsamique.
E. VlLLEJEAK.
PIMENT. — On connaît en matière médicale plusieurs espèces de
piments, dont les uns sont fournis par des arbres de la famille des Myr-
tacées et les autres par des plantes de la famille des Solanacées.
Le piment de la Jamaïque, le piment couronné et le piment Tabago
appartiennent au premier de ces groupes ;
Le piment des jardins, celui de Cayenne et celui de l'île Maurice, au
second.
Piment de la Jamaïque : Il est constitué par le fruit du Myrtus Pimenta
24 PIMENT.
(Linné), appelé par 0. Berg Pimenta officinalis. C'est une baie de la
grosseur d'un pois, d'une couleur gris rougeàtre, rugueuse, surmontée
d'un bourrelet blanchâtre, qui représente lis restes des lobes calicinaux.
Ce fruit renferme toujours deux semences noires à peu près hémisphé-
riques.
Le piment de la Jamaïque possède une odeur qui tient le milieu entre
celle de la cannelle et celle du girofle. 11 la doit à une huile essentielle
contenue surtout dans le péricarpe.
Le piment Tobago ou de Tabasco, qui lui ressemble beaucoup, est
attribué au Myrlus acris.
Le piment couronné, qu'on nomme encore Poivre deThevet, n'existe pas
dans le commerce de la droguerie; il vient des Antilles, où il est produit
par le Myrlus pimenloïdes (Nées). Il est plus allongé que le piment de
la Jamaïque, et surmonté par une large couronne évasée en entonnoir.
Tous ces piments aromatiques ne sont employés aujourd'hui que comme
condiments.
Piment des Jardins : On doit le considérer comme le véritable pi-
ment officinal, il est aussi connu sous les noms de Corail des jardins,
poivre d'Inde et poivre de Cayenne. La plante qui le fournit est originaire
de l'Inde, mais elle est maintenant répandue en Afrique, en Amérique et
dans presque tout le midi de l'Europe. C'est le Capsicum annuum, de la
famille des Solanacées, plante annuelle donnant des baies coniques, sè-
ches, rouges et luisantes de la longueur du pouce, d'une saveur très-
âcre et même caustique. L'intérieur de ce fruit renferme un très-grand
nombre de semences plates et blanchâtres, qui ont une saveur encore plus
prononcée que celle du péricarpe.
Celte âcreté est duc à une base organique entrevue par Braconnot, mais
qui n'a été bien obtenue que par Willing, qui l'a nommée Capsicine. Cette
substance forme avec les acides azotique, sulfuiïque et acétique des sels
parfaitement cristallisables. Elle existe en plus grande abondance dans le
piment de Cayenne fourni par le Capsicum frutescens, et dans le pi-
ment de l'île Maurice, qui est le plus acre de tous ; ces deux dernières
sortes sont désignées dans le commerce sous le nom de piment enragé.
On n'emploie en pharmacie que le piment des jardins, avec lequel
on fait : 1° un extrait aqueux qu'on prescrit à la dose de 50 à 80
centigrammes sous forme de pilules; 2° une poudre dont la dose va-
rie entre 50 centigrammes et 1 gramme; 5" une teinture au cinquième,
qu'on administre en potion à la dose de 1 à 4 grammes.
Les Arabes emploient le piment comme antidysentérique et comme
aphrodisiaque. Le docteur Alègre parait avoir obtenu de bons résultats de
son emploi dans le traitement des tumeurs hémorrhordales.
Signalons en dernier lieu, pour terminer, le Piment royal, dont les
fruits analogues au poivre sont recouverts d'une couche de cire végétale,
appelée cire de Gale. 11 est produit parle Myrica gale de la famille des
Myricécs (groupe des Amenlacées).
E. VlLLEJEAN.
PINCES.
25
PINCES. — Ln Pince (du hollandais Pitsen, pincer ; forceps ou vol-
sclla, lat. ; Xa5(ç, grec), est un instrument destiné à remplacer l'ac-
tion du pouce et de l'index dans tous les cas où les parties à saisir sont
d'un trop petit volume, ou sont situées dans des points inaccessibles aux
doigts. La chirurgie a commencé avec une pince et un couteau, et aujour-
d'hui encore la pince est un des instruments les plus précieux à l'art
chirurgical.
Les pines que l'on emploie aujourd'hui sont de trois espèces : 4° les
pinces simples, applicables à la généralité des opérations; 2° les pinces ap-
propriées à quelques opérations en particulier ; 5° la pince à pression
continue, dont le mécanisme dilfère des autres pinces ; enfin le clamp
anglais et ses dérivés, qui ne sont autre chose eux-mêmes que des dérivés
de l'enlérotome de Dupuytren, sont des pinces à pression continue.
1° Les pinces de la première espèce sont :
La pince à dissection (fig. 1), formée de deux lames d'acier trempé,
soudées à une de leurs extrémités, au talon, et dont les extrémités, pre-
nantes ou mors, sont effilées, pourvue de traits de lime sur la face interne
du mors. Une bonne pince à dissection ne doit serrer que par la pointe
terminale de ses mors ; ses branches doivent être suffisamment larges
pour que les doigts puissent la bien tenir, et être suffisamment flexibles
pour que l'on puisse serrer facilement les deux mors l'un contre l'autre.
La pince à artères est une pince dont les mors doivent s'adapter par une
large surface, elle est munie d'un verrou (fig. 2) de diverses formes.
Cette pince n'a pas besoin de l'élasticité de la pince à dissection. La
pince de nos trousses a une rainure verticale à la face interne de ses mors,
pour loger au besoin la partie supérieure d'une épingle. La pince à artères
est en même temps une pince à suture. Si l'on voulait avoir une excellente
pince à ligature d'artères, il faudrait avoir une pince dépourvue de cette
rainure, et une autre pince qui la porterait : cette dernière serait une
pince exclusivement réservée pour placer les épingles des sutures.
Tillaux a fait construire des pinces à torsion des artères : ce sont des
pinces à artères à mors garnis d'une barre transversale qui donne au
mors la forme d'un T; c'est une modification de l'ancienne pince à tor-
sion de Thierry.
11 y a une pince en forme de ciseaux ; les lames sont remplacées par des
mors olivaires : c'est la pince à pansement. Dans nos trousses modernes,
cette pince est pourvue d'un point d'arrêt près des anneaux, de sorte que
celte pince à pansement peut servir à lier des artères, à les comprimer
et à faire une hémostase préventive ou temporaire.
2° Les pinces appropriées à des opérations spéciales sont :
Les pinces à griffes droites et courbes, dont les mors sont pourvus de
griffes engainantes (fig. 5).
Les pinces à mors larges pour faire la ligature des artères au fond
d'une cavité.
La pince à suture de Bonncfin (fig. 6).
Les pinces porle-aiguilies, constituées par deux liges pourvues de mors
Fio. G.
2. — A, verrou démonté ; B, ouverture où s'ad.ipic le verrou ; D, verrou engagé dans la brandit
femelle E; G, rainure.
». 7.— AB.GB, branches latérales de la pince; F. branebe centrale; 1, pelilo tige terminée par
un boulon quadrillé servant de poiul d'appui.
m
Fig. 11. — A, ressorts; B, mors.
Fio. 16. - AD, tiges de la pince-caustique, écartées, laissant voir les cannelures destinées à recevoir la
caustique.
Fio. 17. - A, au premier cran pour la compression en masse, pour la compression préalable ou pré.
«ntive des vaisseaux avant de diviser les tissus, etc.; B, au deuxième cran ; C, au trois.orae cran pour
la compression excessive soit pour l'hémostase temporaire, soit pour l'hémostase définitive.
28 PINCES.
engainés dans une canule el qu'on serre en faisant glisser la canule sur
les mors, sont une variété de pince qui a été remplacée par la pince-
tcnette des Américains (fig. 8), pince dite américaine pour fistule vésico-
vaginales.
Les pinces à griffés, à fixation de l'œil, sont décrites à l'article Cata-
racte, t. VI, p. i 98, luis, t. XIX, p. 418, etc. Ce sont des pinces à grille
modifiées. La pince de Verduin, pour l'enlropion; la pince à mors plats
de Desmarres, sont des pinces appropi ices à une seule opération et qui dé-
rivent des pinces ordinaires. La pince à chalazion de Desmarres (fig. 9)
est dans le même cas ; c'est un instrument spécial.
5° Les pinces à pression continue sont :
Les serres- fines de Vidal (de Cassis), les serres- forles de Charrière
(fig. 10 et 11) ; les petites pinces à anneaux à point d'arrêt, les pinces à
disséquer à mors croisés el à pression continue (fig. 12, 13, 14): toutes
ces pinces ont été arrangées et appropriées à des opérations spéciales. Tel
est la grosse serre-fine dont se servait Guersant pour rapprocher les ailes
du nez après l'opération du bec-de-lièvre; la pince à pression continue ap-
pliquée par Ricord et Verneuil pour arrêter les hémorrhagics de l'amydale.
Les clamps ou pinces articulées à charnière serrée à l'aide d'une vis ou à
l'aide de longs manches sont en certain nombre : telles sont une pince ima-
ginée par Thierry (fig. 15) et Legouest, pour étrangler la base d'un polype
naso-pharyngien ; la cuvette articulée imaginée par Jobert pour serrer les
hémorrlioïdes avant d'y appliquer le caustique (Voy. IIémo[îrhoïdes, t. XVII,
p. 429), enfin, les nombreuses pinces porte-caustique ou galvano-caus-
lique; imaginées par Follin, Desgranges, Valette (fig. 16) et Amussat fils.
Je signalerais enfin le clamp appliqué par Allingham aux hémorrlioïdes,
qui semble être une concurrence regrettable à l'écraseur linéaire de Chas-
saignac.
Enfin, cet article ne serait pas complet, si nous ne mentionnons les
pinces des accoucheurs : le forceps (Voy. Forceps, t. XV, p. 551), et
le céphalolribe. [Voy. Ejibuyotomie, t. XII, p. 657.)
De l'application des pinces comme moyen d'hémostase. Forcipres-
sure. — Il y a eu de tout temps des chirurgiens qui, dans le cours d'une
opération, se trouvant gênés par l'écoulement du sang artériel ou veineux,
ont eu l'idée de pincer avec diverses pinces les vaisseaux divisés; ils
tei minaient ensuite l'opération, ils levaient les pinces, liaient les vaisseaux
qui donnaient encore, les tordaient ou les cautérisaient. Personne
n'avait songé à tirer gloire de cette manière d'agir, jusqu'à nos jours.
Cependant les ligatures médiates, la compression médiate pour arrêter
les hémorrhagics comprenaient l'application de pinces à demeure laissées
plus ou inoins longtemps. Les livres classiques du commencement de ce
siècle renferment ça et là des mentions de ce fait; témoin la Nosograpliic
chirurgicale de Richerand (1815 et 1821), t. III.
Le mémoire publié par Verneuil dans le Bulletin de la Société de chi-
rurgie contient à cet égard un historique qui ne laisse rien à désirer.
Tout le monde s'est servi des serres-lines de Vidal de Cassis, pour ai--
PINCES.
29
rêtër des hémorrhagies, et cela est mentionné dans notre article (Hémos-
tase, t. XVII p. 454). L'ovariotomic et l'application des pinces à point d'ar-
rêt, à anneaux de Charrière, à l'hémostase dans l'ovariotomic, ont donné
naissance à un nouvel emploi des pinces contre l'écoulement du sang. C'est
Kœherlé qui le premier a fait cet usage des pinces, et qui en a décrit l'em-
ploi à l'article Ovamotomie de ce Dictionnaire, t. XXV, p. 570 et suiv. Péan
a fait un livre sur la forcipressure, où il parle de sa pratique et revendique
l'invention de la forcipressure, qui en réalité appartient à tout le monde,
mais on doit reconnaître que le chirurgien en a généralisé l'emploi
comme moyen d'hémostase délinitive.
Des instruments compresseurs ont été d'ahord utilisés, avant que les
fabricants eussent confectionné de bonnes pinces à verrou ou des
pinces à point d'arrêt : ce sont les compresseurs de Gra;fc pour les
hémorrhagies des artères méningées, le compresseur de Marcellin Du-
val. La serre-fine de Vidal de Cassis, qui a vu le jour en 1849, est le
modèle le plus parfait de ces compresseurs à ressort; elle a été immé-
diatement utilisée contre les hémorrhagies. Delioux même transforma les
mors de ces instruments pour les employer comme hémostatiques en 1854.
Mais depuis longtemps déjà, et dans la trachéotomie en particulier, on avait
utilisé comme moyen d'hémostase temporaire les pinces à verrou, et
même des pinces à pression continue imaginées par Charrière pour presser
les vaisseaux lymphatiques injectés au mercure, après l'injection. Je liens
du professeur Richet qui l'a vu faire à D. Desprès, mon père, que pour
arrêter le sang qui gênait pendant la trachéotomie, l'emploi de ces pinces
avait donné tout le succès désirable. C'était en 1846, et l'on voit qu'à ce
moment la forcipressure était un peu l'œuvre de tout le monde. Cette
pratique a été justement appelée parVerneuil la forcipressure de nécéssité.
Les ligatures des artères resteront toujours le moyen le plus sûr de
prévenir les hémorrhagies. On a essayé de substituer aux ligatures la
torsion, l'acupressure {Voij. ce mot, t. 1. p. 588), l'uncipressure, c'est-à-
dire la compression dans la plaie avec des crochets (Vanzctti). La forci-
pressure est un nouvel essai d'un ordre voisin; c'est encore et toujours
l'ancienne compression médiate, et elle ne doit être employée que faute
de mieux. Pour les petites artères ce peut être une hémostase suffisante,
mais la généralisation de ces moyens ne prévaudra pas contre la ligature.
Chacun de nous a sa pratique, et si nous voulions formuler les cas
d'application de forcipressure, voici ce que nous dirions : toutes les fois
que la ligature d'une artère qui donne du sang n'est pas possible, quand
la torsion est impraticable, on est autorisé à appliquer une pince à de-
meure qu'on laisse jusqu'à ce qu'elle tombe, quitte à la replacer si l'hé-
morrhagie se renouvelle; et l'on continuera jusqu'à l'hémostase définitive.
Lorsque des artérioles situées dans des tissus résistants, tels que le cuir
chevelu, la peau de la face, donnent, il faut d'emblée appliquer des pinces
compressives, et les serre-fines de Vidal (de Cassis) du plus petit modèle
sont ce qu'il y a de mieux à employer. Lorsqu'on enlève un cancroïde du
nez ou une loupe du cuir chevelu avec le bistouri, il n'y a pas de meil-
30 PITYRIASIS.
leur moyen d'arrêter l'hémorrhagic. Je ne lie jamais les artères à la suite
de ces opérations : je place une serre-fine sur le point d'où sortie sang,
et je la laisse 24 ou 48 heures ; quand elle a coupé les tissus et qu'elle
tombe tout est pour le mieux : elle a fait ce que ferait l'écrasement linéaire,
elle assure suffisamment l'hémostase.
La serre-line droite ou courbe est la meilleure pince hémostatique, la
pince à verrou et les pinces à point d'arrêt, même les plus petites, telles
que celles de Collin et de Mathieu, sont beaucoup plus encombrantes et
susceptibles de se déranger au moindre effort des malades.
AiiAMKiEwicz. Mechanisclien Blulstillumgsmiltel bei verlelzteu Artcrien von Paré bis auf
die neueslc Zeit (Arch. f. Klih. Chirurgie de Langenbeck. 1872, Ltand XIV, p. 95.)
Vehneujl. De la fpreipressure (Bull, et Mém. de la Société de chirurgie, t. I, 1875, p. 17
et suiv.)
Péah et Exciiaquet. De la forcipressurc. Paris, 1874.
Vidal (de Cassis) Bulletin de la Société de chirurgie; 8 août, 24 octobre et 25 décembre 1849,
et Bull, de thérapeutique, mai 1849, 1854, t. XLVI, p. 501. — Traité de palbologie externe.
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Gadjot et Sr-iLLMASN. Arsenal de la chirurgie contemporaine, description, mode d'emploi des
appareils et instruments. Paris, 1867.
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Valette. Clinique chirurgicale. Paris, 1875, XIIe Leçon.
Catalogue de Charriùrc. Paris 1802. Armand DeSPRÈS.
PITYRIASIS. — Le sens étymologique du mot pityriasis équivaut
à une définition; il vient en effet du mot grec ^ÎTupov qui veut dire son.
et il s'applique à une maladie cutanée caractérisée principalement par
de petites squames se détachant de la peau sous forme de lamelles ou de
poussières assez semblables à celles du son ou de la farine.
Le pityriasis entendu dans le sens d'une affection cutanée squameuse
superficielle, a été décrit par les auteurs anciens et modernes; il a été
accepté par Willan, et il figure comme troisième genre de l'ordre des
squames dans la classification de Bateman; il a été désigné par Aliberl
sous le nom d'herpès furfureux volatile, c'est pour cet auteur une espèce
du genre herpès, dans la classe des dermatoses dartreuses. Tous les
dcrmatologistes contemporains ont conservé ce mot de pityriasis avec sa
désignation traditionnelle; seulement quelques-uns d'entre eux parmi
lesquels je citerai Erasmus Wilson, Anderson, Hcbra et moi-même, frap-
pés de la ressemblance parfaite de certaines formes de pityriasis avec
l'eczéma, de la transformation fréquente de ces deux maladies entre elles,
et de la difficulté pratique de distinguer nettement le pityriasis de
l'eczéma sec, ont pensé que, le plus souvent, le pityriasis pouvait être
rattaché à l'eczéma dont il constitue l'expression la plus affaiblie* Aussi,
répétant ici ce que nous avons déjà dit à propos de l'impétigo et du
lichen, et affirmant que, dans la plupart des cas, il est impossible de
dire où finit le pityriasis et où commence l'eczéma , je vais néanmoins
décrire ici le pityriasis, envisage comme forme morbide nosologiquc et
en dehors de toute question de doctrine.
Comme je le disais tout à l'heure, le pityriasis est une affection cuta-
[PITYRIASIS. — variétés. 31
née caractérisée par des plaques plus ou moins étendues, bien ou mal
circonscrites, recouvertes de squames minces et non imbriquées, susceptibles
de se détacher sous forme de lamelles et de se reproduire incessamment.
Cette définition générale s'applique à toutes les variétés de pityriasis; mais
avant d'aller plus loin, je dois prévenir que, sous le nom commun de pity-
riasis, on a confondu et on comprend aujourd'hui encore deuxa ffectionsbien
différentes, l'une se rapportant aux maladies dites herpétiques, et pre-
nant place à côté de l'eczéma, l'autre de nature toute spéciale, caracté-
risée par la présence d'un végétal parasite et rentrant dans la classe des
maladies parasitaires; cette dernière espèce est connue sous le nom de
pityriasis versicolor ; je m'en occuperai après la description du pityriasis
ordinaire.
Pityriasis herpétique. — Considéré d'une manière générale, le pity-
riasis herpétique débute habituellement par une sécheresse particulière
de la peau ; cette membrane perd sa souplesse et son onctuosité nor-
males, puis sur la partie ainsi desséchée apparaissent des squames
fines, blanches ou grises, se détachant spontanément ou sous l'influence
d'un frottement et se reproduisant d'une manière incessante. Sur ces
parties malades, la peau est sèche; il n'y a pas de suintement. Les écailles
épidermiques sont ordinairement fines et farineuses ; quelquefois elles
ont une dimension un peu plus grande, elles sont lamelleuses, mais
jamais leur étendue ne dépasse quatre à dix millimètres. Le plus sou-
vent, la peau ne présente aucun changement de coloration ; quelquefois
cependant la partie malade est rose ou rouge à côté et au-dessous des
squames blanches ou grises. Il n'y a d'ailleurs aucune tuméfaction, ou
elle est si peu prononcée, qu'il faut une grande attention pour la constater.
Quant aux symptômes éprouvés par le malade, ils consistent surtout
dans des démangeaisons souvent assez vives pour provoquer du grattage,
et c'est surtout sous l'intluence du frottement consécutif au prurit que
se détachent les squames épidermiques ; la partie malade est également
le siège d'un sentiment de chaleur plus ou moins vive. Bien rarement,
on constate l'existence de phénomènes généraux; il n'y pas de fièvre ou
s'il survient un mouvement fébrile, il n'est pas de longue durée et habi-
tuellement la santé générale n'est pas altérée ; on peut cependant
rencontrer quelquefois avec le pityriasis quelques troubles digestifs, soit
de l'embarras gastrique, soit de la gastralgie ou quelques-unes des
formes de la dyspepsie.
Yaiuétés. — Les dermatologistes ont admis plusieurs variétés, les-
quelles diffèrent de nombre, de dénomination et de même de descrip-
tion suivant chaque auteur ; je crois inutile de les rappeler et de discuter
leur légitimité. Je pense être dans l'exacte observation des faits en ran-
geant les variétés de pityriasis sous quatre espèces différentes qui sont :
1° le pityriasis blanc ou simple, 2° le pityriasis rouge, 5° le pityriasis
disséminé, 4° le pityriasis pilaire. Je vais indiquer rapidement les parti-
cularités propres à chacune de ces formes.
1° Pityriasis blanc ou simple. — Cette forme est la plus commune
32 PITYRIASIS. — variétés.
et constitue le vrai type du genre; Willan, Bateman et même Cazcnave
l'ont décrite sous le nom de pityriasis capitis et à tort, car si cette
maladie est commune au cuir chevelu, elle peut se développer sur
d'autres régions. Dans son degré le plus léger, celte éruption apparaît
sous forme de taches peu étendues, irrégulièrement arrondies, de cou-
leur blanche ou grise, très-légèrement saillantes et recouvertes de ces
petites écailles épidermiques qui se détachent sous forme de lamelles,
soit spontanément, soit par l'effet du grattage. Chez les enfants, le
pityriasis blanc se manifeste souvent au visage sous cette forme de
petites plaques farineuses qu'on désigne vulgairement sous le nom de
dartres farineuses; il coïncide souvent avec le travail de la dentition.
La chaleur et la démangeaison n'existent qu'à un degré très-modéré; sou-
vent môme on ne constate aucim phénomène subjectif.
Le pityriasis blanc peut avoir une étendue et une intensité plus consi-
dérables, il peut se développer sur toutes les régions, mais il est plus
commun au visage et surtout au cuir chevelu, d'où le nom de pityriasis
de la tête que j'indiquais tout à l'heure; chez les hommes on le rencontre
assez souvent sur les parties du visage recouvertes par la barbe. Sur les
endroits où il existe, on voit des lamelles épidermiques de petite dimen-
sion, blanches ou grises, à moitié détachées et qui tombent facilement
sous forme d'une poussière mélangée aux cheveux et recouvrant les
habits comme le ferait la farine, ou la poudre dont on se sert pour les
coiffures. La présence de ces squames est souvent accompagnée de déman-
geaisons et c'est en se grattant que les malades détachent surtout les
squames et les font tomber sur les vêtements et sur les meubles. J'ajoute
que sous l'influence de cette affection squameuse, il n'est pas rare de
voir tomber les cheveux; si la maladie n'est pas de longue durée, les
cheveux repoussent; mais lorsqu'elle s'établit d'une manière chronique
l'alopécie peut être définitive, et on doit considérer le pityriasis de la tète
comme une des causes de la calvitie précoce.
Quelquefois les squames du pityriasis de la tète ont des dimensions plus
considérables que celles que je viens d'indiquer : elles sont lamellcuses
et ont l'étendue d'une pièce de cinquante centimes. Cette forme, qu'on a
voulu désigner sous le nom de pityriasis lamelleux, débute souvent par
une rougeur de la peau, puis l'épidémie se fendille et se divise en lamel-
les à moitié détachées et enroulées sur leurs bords. Ordinairement il y a
de la douleur, de la chaleur; les cheveux deviennent secs, minces, cas-
sants, et tombent facilement. C'est là une transition entre le pityriasis
blancct le pityriasis rouge ; et comme cette desquamation est souvent pré-
cédée par une éruption vésiculo-purulentc et par une sécrétion humide,
il est impossible dans ces cas de séparer nettement le pityriasis de l'eczéma.
2" Pityriasis rouge. — Cette variété est constituée par l'existence sur
la peau de taches rouges, roses ou brunes, bien délimitées, de forme
arrondie ou irrégulière, séparées les unes des autres par des intervalles de
peau saine ou réunies en groupes par la fusion d'un des points de leur
circonférence et figurant assez bien des dessins semblables à ceux qu'on
PITYRIASIS. — variétés. 33
trouve sur les cartes de géographie. Ces taches, légèrement saillantes,
sans aucune humidité, sont recouvertes de squames épidermiques grisâ-
tres, ordinairement'adhérenles, et qu'on n'enlève sous forme de lamelles
qu'au moyen d'un froltement assez fort. Ces squames sont minces, sont
foliacées et ne présentent jamais la disposition imbriquée et superposée
qu'on rencontre dans le psoriasis.
Le pityriasis rouge se développe particulièrement à la face, au cou, à
la région préstcrnale, dans le dos, aux mains et aux pieds ; il s'accompagne
de chaleur et de prurit ; chez les sujets impressionnables, il peut exister
au début un léger mouvement fébrile qui disparaît facilement. Comme
coïncidence assez fréquente, on constate des douleurs d'estomac, de la
flatulence, de la dyspepsie.
Le pityriasis rouge revêt souvent la forme aiguë et se termine dans l'es-
pace de quatre à huit semaines ; mais, d'autres fois, la maladie persiste
ou se renouvelle par éruptions successives, et la disparition complète n'a
lieu qu'au bout de plusieurs mois,
Celte éruption, que je viens de décrire sous le nom de pityriasis rouge,
se confond complètement avec l'eczéma sec; il m'est impossible de saisir
aucune différence entre les deux étals morbides désignés sous ces deux
dénominations : pour moi c'est une seule et même affection, à laquelle
on peut appliquer indifféremment l'un ou l'autre nom. Mais ce que je dis
ici ne s'applique pas à la maladie décrite par Dcvergie sous le titre de
pityriasis rubra, et caractérisée par des plaques rouges, d'une étendue
assez considérable, sur lesquelles suinte un liquide peu abondant, qui
empèse légèrement le linge, et qui se recouvrent plus lard de squasmes
s'enroulant sur leurs bords et tombant en se renouvelant incessamment;
.dans ces cas on voit la peau s'épaissir, l'épidémie se rider et le tissu cel-
lulaire sous-cutané se tuméfier légèrement. Dans d'autres circonstances
la rougeur s'étend avec une telle rapidité, qu'en peu de jours clic peut
envahir la totalité de l'enveloppe cutanée ; alors les squames sont larges,
foliacées; et, dans les deux observations qu'il rapporte, Devergie a cons-
taté l'apparition de bulles pemphigoïdes. Il est évident que dans cette
description, il ne s'agit pas d'un véritable pityriasis, mais bien, soit d'un
eczéma, lorsqu'on rencontre des plaques rouges, résistantes, avec épaissis-
semenl de la peau et infiltration du tissu cellulaire sous-cutané, soit
même d'un pemphigus, lorsqu'à la rougeur et aux squasmes foliacés
■viennent se joindre des bulles.
llobra, qui confond complètement le pityriasis avec l'eczéma, décrit
cependant, sous le nom de pityriasis rubra universalis, une affection
cutanée caractérisée par une rougeur vive de la peau et par une desqua-
mation lamelleuse incessante. Il est facile de reconnaître dans celte ma-
ladie grave, qui se termine habituellement par la mort, la dermile exf'o-
liatrice de Bazin, laquelle n'est pour moi qu'un pcmpbique foliacé,
l 5° Pityriasis disséminé. Cette affection, désignée par certains auteurs
sous le nom de pityriasis rubra généralisé, a été décrite par Bazin sous
le nom de pityriasis pseudo-cxanthémalique, avec l'indication de deux
KOUV. DICT. MÉD. F.T Cllin. XXVIII 3
34 PITYRIASIS. — variétés.
variétés: l'Une, pityriasis maculeux, l'autre, pityriasis circiné ; moi-
même je l'ai mentionnée, dans mes leçons sur les maladies de la peau,
sous la dénomination de pityriasis circiné, à cause de la l'orme habi-
tuellement arrondie des taches; je crois préférable de lui donner le nom
de pityriasis disséminé, en considérant l'étendue de l'affection distribuée
dans plusieurs régions, alors que dans les autres formes du pityriasis
l'éruption est circonscrite et bien délimitée. Le pityriasis disséminé est
caractérisé par le développement d'une quantité considérable de petits
disques irrégulièrement arrondis ou ovalaires, d'une couleur rose ou
grise, et recouverts par de petites squames épidermiques. Ces disques
sont ordinairement assez rapprochés, quelques-uns même se touchent par
leurs bords très-légèrement saillants. L'éruption est sèche et éminem-
ment squameuse; j'ai rencontré cependant quelquefois quelques vésicules
mêlées aux écailles épidermiques, et j'ai constaté sur quelques plaques
une légère sécrétion séreuse se convertissant en croûtes très superfi-
cielles. Au début de la maladie, la couleur rosée est assez accentuée,
mais elle s'affaiblit graduellement de manière à passer au gris, et, après
quelques semaines, la maladie n'est plus caractérisée que par des taches
formées par les squames épidermiques grisâtres, toujours groupées de
manière à figurer des dessins arrondis ou irréguliers, mais bien délimi-
tés. Ces squames, minces, foliacées, d'une petite étendue, sont assez
adhérentes ; au début, elles sont assez nombreuses ; plus tard, les lamel-
les épidermiques deviennent plus rares, et à la fin la maladie n'est plus
caractérisée que par des taches grises à peine squameuses. Dans le com-
mencement de la maladie, il y a quelquefois quelques douleurs erratiques
dans les membres, un sentiment de courbature générale, une diminution
de l'appétit et un léger mouvement de fièvre. Les malades ressentent éga-
lement des démangeaisons, des cuissons, de la chaleur et même quelque-
fois des élancements dans les parties du corps recouvertes par l'éruption.
Le pityriasis circiné se développe principalement au tronc et à la
partie supérieure des membres ; il est bien rare qu'on en rencontre au
visage, aux pieds et aux mains. La maladie se comporte ordinaire-
ment comme une affection aiguë ; sa durée est de trois à huit semaines ;
il n'est pas très rare cependant de voir des pityriasis disséminés se pro-
longer pendant trois mois, six mois et même davantage.
4° Pityriasis pilaire. — On désigne sous ce nom une affection de la
peau caractérisée par l'existence d'une multitude de petites aspérités
donnant à la région atteinte l'aspect exagéré de ce qu'on appelle vul-
gairement chair de poule. Dans cette maladie qui siège principalement
au dos des mains, à la face dorsale des pieds, quelquefois même sur les
membres, rarement sur le tronc, la peau est dure, rugueuse, hérissée
de petites saillies ducs à l'existence de squames qui coiffent l'oiilice
des follicules pileux cl qui entourent le collet du poil; dans les endroits
où existent ces squames, la peau est souvent rouge ou brune.
Le pityriasis pilaire est rare, Devergie en cite trois observations; pour
ma part j'en ai rencontré cinq ou six exemples. C'est du icste une
PITYRIASIS. MARCHE. DIAGNOSTIC. 35
maladie de longue durée et souvent incurable. Cette résistance aux
moyens thérapeutiques , l'association de cette forme de pityriasis avec
une sécheresse particulière de la peau à la paume des mains et à la
plante des pieds, m'ont engagé à la séparer du genre pityriasis et à la
rattacher à l'icthyosc et principalement à l'icthyose cornée, en la consi-
dérant comme une véritable difformité de la peau.
Marche. — Il faut bien savoir que le pityriasis tel que nous l'avons
décrit, principalement dans les variétés de pityriasis blanc ou rouge débute
souvent par une éruption eczémateuse, les caractères de l'affection squa-
meuse n'apparaissent que plus tard; de même qu'il n'est pas rare de voir
un suintement eczémateux susceptible de se convertir en croûtes venir
remplacer la sécrétion sèche du pityriasis. Quelquefois cependant la sé-
cheresse de la peau est permanente et le pityriasis existe seul sans mélange ;
c'est ce qu'on voit surtout dans les cas de pityriasis disséminé qui semble
bien former un type morbide distinct. De même pour le pityriasis pilaire
dont l'aspect ne varie pas et persiste indéfiniment.
Une fois développé le pityriasis a une durée variable, mais souvent
assez longue; le pityriasis de la barbe et du cuir chevelu se prolonge
souvent pendant des mois et des années, et s'il cède à un traitement appro-
prié, les récidives sont faciles et habituelles. Le pityriasis rouge est sou-
vent également tenace, il récidive également sous l'influence de la moin-
dre cause et principalement à la suite d'écarts de régime.
Diagnostic. — La sécheresse de la peau avec ou sans coloration rouge,
la présence des squames épidermiques, minces, foliacées ou pulvérulentes,
l'existence habituelle de chaleur et de prurit, l'absence ou le peu d'inten-
sité des phénomènes généraux caractérisent suffisamment le pityriasis
pour que cette maladie puisse être reconnue facilement et être distin-
guée des autres affections de la peau dans lesquelles on rencontre des
squames. C'est ainsi qu'on établira facilement la différence entre la ma-
ladie qui nous occupe et le psoriasis, cette dernière affection présentant
des plaques squameuses, argentines, saillantes, imbriquées et reposant
sur des taches d'une coloration brune foncée ; dans les cas douteux,
l'adhérence des squames, la saillie plus marquée des plaques, leur déli-
mitation bien plus précise, leur siège d'élection aux membres et parti-
culièrement aux coudes et au-dessous de la saillie rotulienne, la récidive
de l'éruption squameuse, l'existence d'autres taches éruptives mieux carac-
térisées sont des caractères qui serviront à faire reconnaître le psoriasis.
L'ichtyose se reconnaît ordinairement très-facilement à la sécheresse de la
peau cl à l'existence d'écaillés épidermiques adhérentes, à l'étendue et à
la permanence de l'altération cutanée, aussi bien qu'à l'absence de tcul
symptôme local ou général. Toutefois, dans l'icthyose locale, la diffor-
mité de la peau ressemble tellement au pityriasis par la couleur, par la
sécheresse et la desquamation de la peau que le plus ordinairement on
croit à l'existence du pityriasis el que l'erreur dans le diagnostic entraîne
une erreur dans le pronostic et dans le traitement , l'icthyose même
localisée étant incurable et, ne devant indiquer qu'un traitement local
56 PITYMASIS. — diagnostic.
pallialif. Cette confusion est d'autant plus commune et plus facile que
l'ichthyose localisée se rencontre fréquemment aux régions où se déve-
loppe souvent le pityriasis, savoir, au cuir chevelu, aux sourcils, au
visage et principalement aux joues. Dans ces circonstances on reconnaî-
tra l'ichtyosc à l'ancienneté et à la ténacité des taches squameuses, à la
rougeur plus prononcée, à la délimitation bien marquée de la lésion et
surtout à la disposition symétrique absolue qui existe des deux côtés du
corps, relativement au siège et à l'étendue des taches. J'ai déjà dit que
la maladie décrite sous le nom de pityriasis pilaire n'était qu'une variété
d'ichtyose cornée, je n'y reviendrai pas.
11 est plus difficile d'établir la distinction, entre le pityriasis et l'ec-
zéma ; pour ma part, je l'ai répété plusieurs fois, je ne connais pas les
limites précises qui existent entre ces deux maladies; quoique dénom-
mées différemment, elles ne sont que des degrés d'une seule et même
affection et je ne vois a-ucune différence entre l'eczéma sec et le
pityriasis; aussi sans entreprendre un diagnostic différentiel impossible
à établir d'une manière absolue, je dirai que l'eczéma est carac-
térisé par une sécrétion séro-purulente et par des croûtes, tandis qu'on
réserve le nom de pityriasis à la même affection dans laquelle la peau est
toujours sèche et couverte de squames fines et non superposées.
Le pityriasis a été souvent confondu avec le pemphigus foliacé; j'ai eu
occasion de signaler l'opinion de Devergie et d'IIébra, qui ont décrit sous
le nom de pityriasis rubra, une affection grave et étendue qui appar-
tient véritablement au pemphigus foliacé; l'étendue, souvent même
l'universalité de l'affection, sa gravité, la largeur des squames, la rougeur
vive de la peau sont des signes à l'aide desquels on devra distinguer le
pemphigus foliacé du pityriasis; l'apparition de quelques bulles, qui a
lieu quelquefois, vient beaucoup aider au diagnostic.
Dans les cas de pityriasis disséminé alors que la maladie est caractérisée
par des plaques en cercles dont les bords sont bien délimites, il est impor-
tant de distinguer l'affection pityriasique de la tricophylie circinée
(herpès circiné), maladie parasitaire causée par la présence du tricophy-
ton dans les lames de l'épiderme. Ce diagnostic est ordinairement facile
en raison du siège, du nombre et du peu d'étendue des plaques de pity-
riasis qu'on rencontre surtout sur le tronc et sur la partie supérieure des
membres, et .qui sont groupées sous forme de petites taches nombreuses,
d'une forme arrondie un peu irrégulière et d'une médiocre étendue, tandis
que les plaques de tricophytie se rencontrent principalement sur les parties
découvertes, au visage, au cou, aux avant-bras ou au dos des mains ; ces
plaques, peu nombreuses, isolées, sont constituées par des cercles régu-
liers, qui s'agrandissent rapidement, le centre se guérissant et la circonfé-
rence squameuse envahissant les surfaces voisines, dételle sorte qu'en
quelques jours les plaques ont acquis des dimensions doubles et triples
de leur étendue première. J'ajouterai encore que, sur le liséré saillant et
squameux qui torme la circonférence des plaques parasitaires, on peut
quelquefois reconnaître l'existence de quelques vésicules ou de quelques
PITYRIASIS. — > pronostic. — étiologie. — akatomie pathologique. 57
pustules, qu'on retrouve bien plus rarement dans le pityriasis. Enfin, au
milieu des squames, ou mieux, sur quelques poils Follets, un examen mi-
croscopique pourrait faire reconnaître la présence des pores de tricophyton.
Il est encore une affection qu'on peut confondre avec le pityriasis cir-
conscrit, c'est la scrofulide érythémato-squameuse, caractérisée par des
taches rouges, squameuses d'une bénignité apparente. La saillie de la
plaque, sa couleur violacée, l'adhérence des squames, la longue durée de
la maladie qui se prolonge sans changement pendant des années, la gue-
rison avec une cicatrice indélébile , la concomitance de quelque autre mani-
festation actuelle ou ancienne de scrofule sont les caractères principaux
qui appartiennent à la scrofulide et qui la distinguent du pityriasis.
Pronostic — Les diverses variétés du pityriasis sont des affections dé-
nuées de gravité, et qui constituent seulement des lésions incommodes
pour les malades, à cause des démangeaisons qu'elles entraînent souvent
à un degré assez prononcé, ou parce qu'elles se développent quelquefois
sur des parties découvertes, et que les taches sont apparentes. J'ajouterai
que le pityriasis du cuir chevelu est souvent très tenace, et que, lorsqu'il
se prolonge longtemps ou qu'il se reproduit fréquemment, il peut être
une cause de calvitie précoce, principalement chez les sujets goutteux.
Etiologie. — Le pitysiaris se développe à tous les âges; les plaques
du pityriasis blanc simple sont communes cbez les enfants, principale-
ment au moment de la première et de la seconde dentition ; le pityriasis
disséminé est observé principalement chez les jeunes gens et dans l'âge
adulte; il parait plus commun au printemps et pendant l'été que pendant
les saisons froides. Le pityriasis rouge circonscrit se rencontre plus fré-
quemment chez les adultes et chez les gens d'un certain âge; il est quel-
quefois associé à des névralgies, à des troubles gastriques ou à des mani-
festations goutteuses ; ce qui a fait dire à Bazin que cette affection était
ordinairement de nature arthritique.
Comme l'eczéma, le pityriasis peut se développer sous l'influence de
l'hérédité ; il est quelquefois le résultat d'une alimentation trop stimulante,
de fatigues, et particulièrement de veilles, quelquefois d'émotions vives.
Plus rarement il survient à la suite d'une inflammation accidentelle delà
peau par des frictions rudes ou par l'application de quelques substances
irritantes.
Anatomie pathologique. — Il n'y a pas à faire d'anatomie. pathologique
ni d histologie à propos du pityriasis, c'est une lésion très-superficielle de
la peau caractérisée par une produclion surabondante d'épidei mc et par
une évolution trop rapide des cellules du corps muqueux, lesquelles
s'atrophient, meurent avant que l'épiderme ait acquis toute sa solidité cl
entraînent sa chute sous forme de squames. Dans le pityriasis pilaire, des
couches d'épiderme corné sont sécrétées dans la gaîne du poil et s'accu-
mulent autour de sa tige. Plus tard le poil est rompu par celte production
cornée, et il ne resteplus que la saillie rugueuse, formée par l'épidémie.
En 1874, Malasscz a trouvé, dans les squames épidermiques provenant
du pityriasis de la tète, un parasite siégeant dans la couche cornée de
58 PITYRIASIS. — nature. — traitement.
l'épidémie et constitué uniquement par des spores, allongées et bourgeon-
nantes, d'un très petit diamètre (de 5 à 2 ; l'auteur de celte décou-
verte fait jouer à ce parasite un rôle important dans la production de
l'alopécie qui accompagne et suit certains pityriasis rebelles. Sans vouloir
contester les résultats des recherches de Malassez, je n'attribue au para-
site du pityriasis qu'une importance secondaire; il me paraît plutôt une
conséquence accidentelle que la cause de la maladie, et sa fréquence ne
me suffit pas pour faire ranger le pityriasis de la tète, maladie non con-
tagieuse, parmi les affections primitivement parasitaires.
Nature. — L'étiologie du pityriasis qui est la même que celle de l'ec-
zéma, la ressemblance avec cette dernière maladie, le siège superficiel de
l'éruption, la facilité des récidives, la guérison obtenue à l'aide des moyens
de traitement qui réussissent habituellement dans l'eczéma, portent à
penser quelle pityriasis est une maladie de même nature que l'eczéma et
qu'il est la manifestation d'une même disposition constitutionnelle. Aussi
je ne fais pas difficulté de ranger le pityriasis parmi les éruptions dites
dartreuses ou herpéliques (Voy. art. Dahtre, t. X, p. 695 et Eczé.ua,
t. XII, p. 575) dont il me paraît être l'expression la plus affaiblie.
Traitement. — La thérapeutique du pityriasis comprend l'emploi des
modificateurs généraux et celui des moyens locaux appliqués lopiquement
pour combattre le pityriasis; ces derniers suffisent quelquefois pour rendre
à la peau son aspect normal ; leur utilité est incontestable, mais je crois à
l'efficacité et même à la nécessité habituelle d'un traitement général pour
accélérer la guérison et surtout pour prévenir les récidives trop promptes.
Au premier rang des médicaments internes indiqués dans le traitement
du pityriasis, je placerai les préparations alcalines et principalement le bi-
carbonate de soude. Dans le pityriasis rouge qui est observé souvent chez
les sujets goutteux, dans le pityriasis disséminé, les alcalins sont très
utiles ; ils donnent également de bons résultats, mais à un moindre degré,
dans le pityriasis simple et particulièrement dans le pityriasis de la barbe
et du cuir chevelu. On a conseillé également avec raison l'emploi des sels
arsénicaux : l'arséniate de soude est administré avec avantage, mais je le
prescris souvent après les alcalins, lorsque la maladie a résisté ; et dans
ces cas j'associe le bi-carbonate de soude à l'arséniate de soude, en don-
nantehaquejour, avant le déjeuner et le dîner, une cuillerée à bouche de la
solution suivante :
Eau distillée 500
Bi-carbonate de soude 20 'r
Arséniatc de soude 0 '', 10e
Chez les sujets lymphatiques, dans les cas de pityriasis rouges tenaces,
fixés aux aisselles, aux aines, au cou, je me suis trouve assez bien de
l'emploi de l'arséniate de fer, en pilules, à la dose de 2 à 5 centigrammes
par jour. Le soufre et les préparations sulfureuses sont indiqués dans le
traitement du pityriasis, principalement lorsqu'il s'agit du pityriasis de
la barbe ou du cuir chevelu ; j'ai obtenu des succès, dans ces cas, de
l'administration des fleurs de soufre à la dose quotidienne de 1 à
PITYRIASIS. — TRAITEMENT.
59
2 grammes ou du sirop sulfureux de Crosnier. C'est un bon moyen à
employer contre les pityriasis succédant à l'eczéma. On a encore conseillé
les amers et les reconstituants; leur emploi peut être utile chez les indi-
vidus lymphatiques ou scrofuleux. Lorsque le pityriasis survient chez les
enfants, sous la forme désignée par le nom de dartre farineuse, on peut
employer avec avantage le sirop antiscorbutique, le phosphate de chau*
ou l'huile de fo:e de morue.
Je dois à peine mentionner l'usage des purgatifs qui n'ont qu'une
action bien faible sur la guérison du pityriasis. Ils peuvent être indiqués
au début du la maladie lorsqu'existent quelques phénomènes généraux,
quelques signes d'embarras gastriques, ou pour remplir quelqu'indica-
tion spéciale.
Au traitement général que je viens d'indiquer, on doit, d'ailleurs,
ajouter des moyens topiques dont l'utilité est évidente; au début,
principalement dans le pityriaris rouge, lorsqu'on constate quelques
phénomènes d'inflammation cutanée, on doit avoir recours aux lotions
émollientes, avec des décoctions de laitue ou de guimauve , avec des
infusions légèrement astringentes de tiges de mélilot ou de fleurs de
sureau, aux grands bains tièdes rendus émollients par l'addition de son
ou d'amidon ; mais plus tard ou même dès le commencement de la mala-
die, lorsqu'il n'y a pas de signes d'inflammation, on aura recours à l'ap-
plication de topiques résolutifs ou astringents et aux bains alcalins et
sulfureux. Les lotions qui réussissent le mieux, sont celles faites avec de
l'eau blanche très peu chargée d'acétate de plomb, avec une solution très
légère de sulfure de potassium, avec de l'eau phagédénique coupée avec
beaucoup d'eau tiède, avec une solution très-faible de sublimé, au mil-
lième au plus. Les pommades qui restent plus longtemps en contact avec
la peau, sont plus utiles encore que les liquides et sont très souvent em-
ployées dans le traitement du pityriasis simple et du pityriasis rouge, et
même à la fin du pityriasis disséminé, alors que les taches tardent trop à
disparaître sous l'influence de la médication alcaline et arsenicale. Les
pommades qu'on devra employer sont, au début, celles à base d'oxyde de
zinc, au trentième ou au quinzième; plus tard, les pommades au goudron,
à l'huile de cade au vingtième ou au dixième, au calomel au centième
ou au cinquantième, à l'onguent citrin mélangé avec dix parties d'axonge
ou de cold-cream. Dans le pityriasis du cuir chevelu et de la barbe, je me
suis souvent bien trouvé de l'emploi d'une pommade sulfureuse préparée
en ajoutant à un corps gras inerte, un trentième ou même un soixantième
de fleurs de soufre. Dans le pityriasis pilaire, que je considère comme
une icthyose locale, le traitement général n'a aucune action ; il ne faut
employer que des bains savonneux, alcalins ou sulfureux et que des pom-
mades contenant une dose assez forle de substances actives et particuliè-
rement l'huile de cade mêlée à trois ou quatre parties d'huile ou d'axonge.
Comme on l'a déjà dit, le traitement est alors seulement palliatif. Aux lo-
tions et aux pommades, on doit ajouter l'emploi des bains qui seront émol-
lients, alcalins ou sulfureux, suivant le degré d'inflammation cutanée.
40 PITYRIASIS.^ P. PARASITAIRE OU VERSICOLOR.
Je ne dois pas négliger de dire que dans le traitement du pityriasis,
comme dans celui de l'eczéma, les moyens hygiéniques sont indispensa-
bles pour aider l'action des remèdes internes et externes. Les malades
devront s'abstenir de tous les aliments stimulants, tels que les poissons,
les coquillages, les préparations de porc, le gibier, les salaisons, les mets
épicés, le vin pur, le café, les liqueurs alcooliques. Ils devront éviter
toute cause de fatigue, tout excès et particulièrement les veilles.
Enfin, dans les cas de pityriasis rebelles ou récidivants, on pourra
avoir recours, avec avantage, aux eaux minérales prises en boisson, en
bains et même en douches d'eau pulvérisée projetées sur les régions
malades. Les eaux les mieux indiquées sont les eaux alcalines et les eaux
sulfureuses : les eaux de Plombières, de Royat sont souvent très efficaces
contre les pityriasis développés chez des individus soupçonnés de goutte;
les eaux sulfureuses de Schinznach, de Bagnères-de-Luchon, d'Aix-la-Cha-
pelle, d'Ax, de Saint-IIonoré , sont mieux indiquées chez les individus
lymphatiques et scrofuleux; celles de Saint-Gervais réussissent très bien
dans le pityriasis simple, dans le pityriasis rouge et dans les cas où
l'affection squameuse a été précédée d'eczéma, ou bien encore chez les
malades dont la peau est irritée facilement par l'action des topiques, même
peu énergiques. Comme pour les eczémateux, l'air de la mer est mauvais
aux personnes atteintes de pityriasis ; il détermine souvent chez elles des
phénomènes d'inflammation cutanée, et je l'ai vu plusieurs fois transfor-
mer le pityriasis en eczéma.
Pityriasis parasitaire ou versicolor. — Cette maladie est due
à la présence dans les lamelles épidermiques d'un parasite végétal auquel
on a donné le nom de microsporon fur fur ; ce parasite a été découvert
en 1846 par Eichstedt ; et en 1864 Kobner réussit à l'inoculer sur la
peau de l'homme.
Les squames du pityriasis versicolor sont jaunâtres, assez épaisses, ha-
bituellement imbibées d'une matière grasse sébacée ; à l'aide du micros-
cope on reconnaît facilement entre les lames de l'épithélium corné le para-
site caractérisé par des spores arrondis rassemblés en groupes de forme
également ronde et par des tubes de mycélium dont les articles sont très
allongés.
Le pityriasis parasitaire se présente sous la forme de taches colorées en
brun ou en jaune, légèrement saillantes au-dessus de la surface de la
peau. Les squames qui forment ces taches sont assez adhérentes; elles se
détachent quelquefois spontanément, mais c'est ordinairement par le
grattage qu'on les fait tomber en lamelles fines et minces. Ces plaques
sont jaunes ou brunes ordinairement légèrement nuancées et j'avais pro-
posé de donner à la maladie le nom plus exact de pityriasis lulea; dans
quelques cas rares, elles ont une coloration plus foncée, presque noire, et
cette variété, que je n'ai rencontrée qu'une seule fois, constitue le pityria-
sis nirjra de Willan et Baleman. Ces plaques squameuses, de forme ar-
rondie ou irrégulière, ont une étendue variable depuis celle d'une pièce
de un à deux francs jusqu'à quinze ou vingt centimètres carrés. Elles sont
PITYRIASIS. P. PARASITAIRE OU VERSICOLOR. 41
ordinairement en assez grand nombre et disposées dans la môme région;
comme elles sont entremêlées de portions de peau saine, elles donnent à
la surface cutanée où elles se rencontrent un aspect bigarré d'où le nom
de pityriasis versicolor. Quelquefois, les tacbes séparées les unes des
autres primitivement, se réunissent en augmentant d'étendue et ne for-
ment plus qu'une seule plaque café au lait qui recouvre une partie du
tronc ou même le tronc tout entier. Le siège d'élection du pityriasis
est le tronc, le cou et la partie supérieure des membres, mais ce siège n'a
rien d'exclusif: on peut rencontrer des plaques du pityriasis sur la figure,
sur les membres et particulièrement sur les membres supérieurs. C'est
à peine si le pityriasis parasitaire donne lieu à quelques démangeaisons ;
le plus ordinairement, cette maladie se présente avec une absence com-
plète de symptômes locaux et généraux; la présence seule des taches révèle
son existence.
Une fois développé le pityriasis versicolor a une grande tendance à
envahir les parties voisines, et, s'il vient à disparaître, il récidive avec
une grande facilité; c'est ainsi que, chez certaines personnes, cette affec-
tion apparaît tous les ans au printemps ou au commencement de l'été ; elle
disparaît au bout de quelque temps soit à la suite d'un traitement con-
venable, soit spontanément ; mais l'année suivante, à la même époque,
sous l'influence des conditions favorables à son développement, le cham-
pignon, qui n'était pas détruit, repullule, et la maladie se reproduit avec
les mômes caractères.
Le diagnostic du pityriasis parasitaire est facile; la maladie est suffi-
samment caractérisée par les plaques squameuses, colorées qui donnent
à la peau cet aspect versicolore particulier que je viens de signaler; dans
les cas douteux, le microscope, en relevant la présence des spores et des
tubes appliqués sur des parcelles d'épidémie coloré, enlève toute incerti-
tude. Ces caractères de squames colorées et de nature parasitaire démon-
trés au microscope, permettent facilement de distinguer le pityriasis
versicolor des autres pityriasis non parasitaires, pour que je n'aie pas besoin
d'insister sur ce diagnostic différentiel. Il est quelquefois plus difficile de
distinguer le pityriasis versicolor des éphélides, surtout lorsque les taches
du pityriasis sont brunes et que leur nature squameuse est peu accusée ;
on devra savoir dans ces cas que les éphélides, constituées par une seule
modification du pigment, ne présentent jamais de squames, et que ces
dernières, même lorsqu'elles ne sont pas apparentes au premier aspect,
se manifestent toujours dans le pityriasis versicolor sous l'influence du
grattage. On pourrait encore confondre le pityriasis dont il s'agit avec le
vitiligo, en prenant la partie saine pour la partie malade ; un examen un
peu plus attentif, l'absence de toute squame, la comparaison de la région
atteinte avec les autres parties du corps permettront bien vite de recon-
naître l'erreur du premier moment,
La pronostic du pityriasis versicolor est peu grave en ce sens que
cette maladie n'entraîne aucun inconvénient dans la santé, qu'elle se
développe sur des parties couvertes par les vêtements et qu'elle cède or-
42
PITYRIASIS. —
P. PARASITAI IIB OU VERSICOLOR.
dinairemcul assez facilement aux moyens de traitement ; il faut savoir
cependant qu'elle est sujette à récidiver, que, chez quelques personnes,
elle présente une résistance opiniâtre, et qu'elle peut persister pendant
plusieurs années, quelquefois même indéfiniment.
L'étiologie du pityriasis parasitaire est assez peu connue; cette mala-
die se développe souvent au printemps et pendant l'été ; sa fréquence pa-
raît plus grande dans les pays chauds ; il est assez commun de la rencon-
trer chez les individus débilités et cachectiques : c'est ainsi qu'on en
rencontre de fréquents exemples chez les phthisiques, dans la dernière
période de l'affection tuberculeuse. Le. pityriasis versicolor est-il conta-
gieux comme les autres maladies parasitaires? C'est une question qui n'est
pas encore résolue ; en tous cas la faculté contagieuse doit être faible et
demander des conditions spéciales pour se manisfester, car il n'est pas
rare de voir des individus atteints de ce pityriasis, vivre dans une cohabi-
tation habituelle avec d'autres personnes qui demeurent complètement
indemnes de toute lésion cutanée.
Traitement. — La thérapeutique du pityriasis parasitaire réclame
surtout des moyens locaux et cette maladie cède bien souvent au seul em-
ploi de bains sulfureux répétés journellement pendant trois ou quatre
semaines; on peut y ajouter des onctions faites matin et soir avec une
pommade sulfureuse contenant un quinzième de soufre sublimé pour une
partie d'axonge ; j'ai employé souvent avec avantage les frictions avec la
pommade oxygénée du Codex ou mieux avec une pommade contenant
vingt gouttes d'acide nitrique pour cinquante grammes d'axonge. On a
conseillé encore les lotions avec une solution de sublimé au millième et
même les bains de sublimé préparés par l'addition de dix grammes de
sublimé dissous dans de l'alcool et ajoutés à un bain ordinaire. Chez les
individus débilités, on assurera la guérison et non la réapparition de. la
maladie parasitaire à l'aide d'une médication tonique et d'une bonne
hygiène. J'ai vu dans plusieurs cas rebelles, la guérison s'effectuer ou
se consolider par l'usage des eaux minérales sulfureuses et particulière-
ment par celles de Bagnères-de-Luchon, d'Àx ou d'Aix-la-Chapelle.
Ambert. Description des mal. de la peau, Paris, 1814, pl. XXVI.
Cazenave. Dicl. de méd. en 50 vol. Paris, 1841, t. XXIV. — Traité des maladies du cuir che-
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Hebiia et Kaposi. Maladies de la peau, trad. par Doyon, Paris, 1878, t. II, p. 800.
Alfred Hardy.
PLACENTA. — axatomie.
45
PLACENTA. — On donne le nom de placenta (ITXoéÇ. Placenta;
Muttcrkuchcn) à la partie des annexes fœtales dans laquelle les ramifica-
tions des vaisseaux ombilicaux viennent se distribuer pour se mettre en
rapport avec la circulation maternelle.
Anatomie normale. — Le placenta est constitué par une sorte de disque
d'apparence charnue, ayant un diamètre de 16 à 21 centimètres lors-
qu'il a acquis son entier développement, et dont la plus grande épaisseur
correspond au point d'insertion du cordon, pour diminuer insensiblement
vers la circonférence qui n'offre souvent qn'une épaisseur de 5 à 6 mil.
Il présente deux faces, l'une appelée externe ou utérine, l'autre interne
ou fœtale ; c'est cette dernière qui est le plus ordinairement externe
Fie. 18. — Placenta (l'ace externe).
quand le placenta est expulsé ou extrait des parties génitales, après
l'accouchement. Lorsque l'on veut se rendre compte de sa véritable dis-
position dans l'utérus gravide, il est nécessaire de le placer de manière
que la face utérine, au lieu de regarder l'intérieur du sac formé par les
membranes, soit au contraire dirigée en dehors (fig. 18). On constate
alors que cette face, dont la coloration varie du rouge brun au blanc
grisâtre, est convexe, à surface lisse, divisée en lobes (appelés impropre-
ment cotylédons), irrégulièrement polygonaux, séparés par des scissures
plus ou moins profondes. On trouve le plus souvent sur elle des lambeaux
de la caduque utérine qui sont restés adhérents au tissu placentaire. La face
interne ou fœtale est concave; elle est recouverte par l'amnios dont elle n'est
44 PLACENTA. — anatomik.
séparée que par les premières divisions des vaisseaux ombilicaux. C'est
vers le milieu de cette face que le cordon se termine le plus fréquem-
ment (lig. 19) ; mais son insertion, au lieu d'être centrale, peut se Caire
aussi sur les membranes ou vers le bord du placenta. On a désigné cette
dernière disposition sous le nom de placenta en raquette.
Quel que soit le point d'inserlion du cordon ombilical, les vaisseaux
qu'il contient s'écartent généralement les uns des autres avant d'arriver
au niveau du gâteau placentaire et se divisent en branches d'inégal
volume qui s'appliquent sur la surface interne du eborion; les altères
se dil igent vers la circonférence en devenant de moins en moins volumi-
neuses à mesure qu'elles abandonnent des ramifications qui pénètrent
dans les villosités choriales. Les veines situées sur un plan plus profond
augmentent de volume en se rapprochant du centre ou, à parler plus net-
tement, du point d'insertion du cordon, où elles se réunissent pour for-
mer la veine ombilicale.
Le bord du placenta est, comme il a été dit plus haut, beaucoup
moins épais que la partie centrale; il se continue avec le chorion lœve,
recouvert lui-même par la caduque réfléchie et la caduque utérine. On
rencontre le plus souvent au niveau du bord placentaire une veine consi-
dérable, qu'on a désignée sous le nom de sinus circulaire, et qui, pour
quelques auteurs, joue un grand rôle dans la circulation placentaire.
Le placenta présente des variétés assez grandes sous le rapport de la
configuration. Habituellement ovale ou presque rond, il alfecle rarement
d'autres formes, surtout quand l'insertion du cordon ou la division de ses
vaisseaux se fait d'une façon normale. Les variétés les plus ordinaires sont
les suivantes : le placenta peut être séparé en deux parties (placenta
duplex, dimidiata, bipartita), qui n'ont entre elles d'union que par l'in-
termédiaire du cordon et des membranes. Dans un cas rapporté par Ebcrt,
les deux moitiés du placenta étaient, égales, arrondies, entièrement
distinctes; la veine ombilicale se bifurquait à 10 centimètres du gâteau
placentaire et une artère accompagnait chacune de ses divisions. Hyrtl,
au contraire, a vu un placenta bipartita dans lequel le cordon ombili-
cal s'insérait sur une des moitiés. La plupart du temps les deux moitiés
sont inégales ; l'une peut être très petite et ne représenter qu'un lobe
(placenta succenturiala) ou bien il peut exister à la circonférence d'un
placenta normalement développé une série de lobes complètement isolés
du gâteau principal, auquel ils ne sont alors unis que par les vaisseaux
qui se continuent avec ceux du cordon ombilical. Le placenta formé de
trois parties à peu près égales ; placenta triparlila est extrêmement rare.
On rencontre plus souvent une forme décrite par Nyrtl sous le nom de
placenta multiloba dans laquelle un grand nombre de lobes sont tout à
fait séparés mais assez rapprochés les uns des autres pour qu'il n'existe
aucune analogie avec le placenta des ruminants.
Les dimensions du placenta sont différentes aux diverses époques de la
grossesse ; il est généralement arrivé à son entier développement dans
le courant du septième mois. On a cru remarquer qu'il recouvre à la
PLACENTA. — anatomie. 45
périphérie de l'œuf une surface d'autant plus grande qu'il a moins d'é-
paisseur. Dans les conditions normales il occupe environ le quart du
cliorion.
Le placenta augmente également de poids à mesure que la grossesse
avance jusqu'au septième mois environ. Lorsque aucune altération patho-
logique n'est venue entraver son développement, il pèse au terme de la
grossesse de 450 à 500 grammes, déduction faite du poids du cordon et
des membranes lequel est d'environ 60 à 80 grammes.
Développement et structure. — Si l'on veut se. faire une idée exacte
du mode de développement et de la structure du placenta, il est néces-
saire de se rappeler comment se comportent les enveloppes de l'œuf vers
le vingtième jour après la conception, c'est-à-dire au moment où l'allan-
Fig. 19.— Placenta (face interne).
loïde part de la partie postérieure de l'embryon pour se placer entre l'am-
nios et le '.horion, dont elle va tapisser la face interne. Le cliorion, formé
parle kuillet externe du blastoderme et la membrane vilcMine, présente
une surface externe hérissée de villosités qui sont elles-mêmes en rapport
avec la muqueuse utérine (caduque ntéro-placcntaire et caduque réflé-
chie). C'est dans ces villosités que pénètrent les nombreux vaisseaux ap-
portés par l'allantoïde à la périphérie de l'œuf. Chaque villosité reçoit
une artère et une veine recouvertes d'une couche mince de tissu allan-
toidien (magma réticulé de Joulin.) Au bout de très peu de temps deux
phénomènes tout à l'ait différents se passent dans les villosités choriales,
selon qu'elles se trouvent directement on contact avec la muqueuse uté-
rine (caduque utéro-placentaire) ou qu'elles ne sont en rapport qu'avec
46 PLACENTA. — anatomie.
la caduque réfléchie. Dans ce dernier cas, les villosités cessent de
croître, leur cavité s'oblitère et leurs vaisseaux disparaissent. D'après
Charles Robin, le mécanisme de cette oblitération serait le suivant :
le tissu allantoïdien (magma réticulé), qui sert de gaine aux vaisseaux
lorsqu'ils pénètrent dans les villosités, envahirait jusqu'à leurs dernières
ramifications, tandis que les vaisseaux disparaîtraient sans laisser de
trace. 11 paraît plus simple et plus logique de penser que ces villosités,
devenues inutiles après le développement du placenta, subissent vers le
quatrième ou le cinquième mois un véritable travail de régression ou
plutôt d'atrophie, comme tous les organes qui n'ont plus de raison
d'être. Par contre, les villosités qui plongent directement dans la mu-
queuse utérine, croissent, augmentent de volume, se ramifient et consti-
tuent le chorion frondosum, qui sera le placenta.
Ces premières données étant admises, il devient plus facile d'étudier le pla-
centa en décomposant les différents éléments qui le constituent. Lorsqu'on
enlève l'amnios, on rencontre les premières divisions des vaisseaux ombi-
licaux appliqués contre la face interne du chorion par un tissu conjonctif
lâche, sur la nature duquel il existe des opinions très diverses (fig. 20).
Considéré par les uns comme faisant partie du chorion dont il serait la
couche la plus interne, il a été très minutieusement décrit par Joulin sous
le nom de tissu lamineux, et regardé par lui comme étant constitué par
le tissu allantoïdien dont la gélatine de Wharton serait elle-même une
variété. Ce tissu est divisé en deux lames, l'une superficielle située au-
dessus des vaisseaux qu'elle sépare de l'amnios, l'autre profonde pla-
cée immédiatement au-dessous du chorion, accompagnant dans les vil-
losités choriales les ramifications vasculaires. Il se rapproche beaucoup
par sa structure du tissu sous-cutané (Renault), et n'est en somme que
du tissu conjonctif embryonnaire.
Le chorion, situé immédiatement au-dessus, est une membrane trans-
parente, lisse ; sa surface externe est couverte par les troncs villeux, qui se
subdivisent eux-mêmes en un très grand nombre de rameaux formant
une masse compacte d'un rouge vif, qui constitue le véritable organe
placentaire. Il est extrêmement difficile d'apprécier le nombre et la forme
de ces divisions, qui varient dans les différents placentas. Elles commen-
cent généralement dans le voisinage du chorion, et se dirigent dans tous
les sens. Chaque tige principale donne naissance soit à deux rameaux
parlant d'un même point, soit à un seul rameau se détachant à angle droit
du tronc lui-même ou d'une de ses premières divisions. Il en est de même
pour les subdivisions successives de chacun des rameaux, qui deviennent
de plus en plus fines. Cependant, dans quelques cas, d ne se détache, sur
toute la hauteur du tronc principal, que des rejetons simples, ne se sub-
divisant pas eux-mêmes. Quel que soit le mode de division des villosités.
leurs extrémités se comportent de deux façons diiïér entes ; les unes plon-
gent dans la caduque utérine qui constitue le placenta maternel; les autres
restent libres et s'enlre-croisent entre elles de façon à former la trame
du tissu placentaire; leur diamètre est de 57 à i 1 i in. Langhans a
PLACENTA. — anatomie. 47
décrit une autre variété de rameaux villeux consistant en divisions pri-
maires et secondaires du tronc principal. Ils sont de volume variable,
pouvant atteindre jusqu'à un millimètre de diamètre et se rendent au pla-
centa utérin, auquel ils adhèrent si intimement qu'on ne peut les en déta-
cher, même par une forte traction. On rencontre ces rameaux villeux en
<n-and nombre dans le tissu maternel qui s'enfonce profondément entre les
lobes. On les trouve cependant aussi à l'intérieur même des cotylédons;
leurs divisions se terminent, comme les villosités ordinaires, pur des extré-
mités libres, ou s'entre-croisant entre elles. Ces différents moyens d'union
font de la masse placentaire un tout dense et compacte, qui adhère
fortement à la muqueuse utérine, surtout à partir du troisième mois
de la grossesse. Les villosités placentaires et le chorion qui leur donne
naissance sont constitués exactement comme le chorion lui-même. On y
rencontre une couche interne ou fœtale composée de tissu conjonctif,
et une couche externe constituée par un épithélium pavimenleux ayant de
7 à 10 m. d'épaisseur. Cet épithélium, très-apparent sur les premières
divisions des villosités anciennes, l'est beaucoup moins sur leurs extré-
mités ou sur les rameaux qui sont en voie de développement.
Les villosités (fig. 20) n'ayant d'autre destination que de mettre les vais-
seaux du fœtus en communication avec la circulation
maternelle, chacune d'elles est pourvue d'une artériole
venant de l'une ou l'autre artère ombilicale et d'un
rameau veineux allant se rendre dans la veine ombi-
cale. On a vu plus haut que les premières divisions
des vaisseaux ombilicaux étaient comprises entre
deux lames de tissu conjonctif séparant le chorion de
l'anmios. Avant de se diviser en ramuscules qui se
distribuent dans les villosités choriales, ces vaisseaux
forment de véritables bouquets, dont les branches
divergent dans tous les sens, les unes passant immé-
diatement à l'état capillaire pour pénétrer dans les
villosités, les autres formant des bouquets secondaires
qui donnent eux-mêmes naissance à des ramifications
capillaires. Ces ramifications pénètrent jusque dans les Extrémité d'une viiiosiié du
d. . . , , , . -, ... .. , ., placent.-!, à uu grossisse-
îvisions les plus secondaires des villosités ; elles se ,ne„i (ie (ieux ceuu dia-
dirigent vers le cul-de-sac villeux, soit directement, mèlres
., P . , , . , . aa, vaisseaux pleins de
soit en lormant des spirales, et s y terminent par sang; <»<<«.', vaisseau vide;
des anses anoslomotiques qui font communiquer j^^y^. J" villosité"
entre eux les deux ordres de vaisseaux , de telle
sorte que le système vasculaire de l'embryon est un système entière-
ment fermé, dont la circulation placentaire n'est elle-même qu'une
partie. Il n'existe aucune anastamosc d'une villosité à une autre, pas
plus que d'un cotilédon à l'autre. Les vaisseaux des villosités sont dé-
pourvus de valvules. Ceux des premières divisions villeuses ont la même
structure que les vaisseaux du cordon, et sont richement pourvus de
fibres musculaires. Dans les dernières divisions, au contraire, ils nepossè-
4g PLACENTA. AKAT0M1K.
dent que leur enveloppe celluleuse propre, et sont placés trcs-supcrficiel-
lemciit. presque immédiatement au-dessous de l'épilhélium. Leur dia-
mètre est généralement de 11 à 15 m.
Le développement des villosités placentaires et de leur système vascu-
laire débute au moment où l'allantoïde vient loucher la paroi de l'œuf , il
n'est terminé qu'à une époque avancée de la grossesse, comme le prouve
l'augmentation progressive (en surface et en poids) du placenta, qui,
mesurant au cinquième mois de 11 à 15 centimètres de diamètre, en
acquiert de 16 à 20 au terme de la gestation. Cet accroissement est dû
au développement sur les troncs primitifs, de ramifications inconnaissables
à la nature de leur enveloppe dont l'épithélium est peu apparent, tandis
qu'il s'enlève par larges plaques sur les villosités anciennes. Ainsi le
placenta fœtal est composé des ramifications des artères ombilicales qui se
continuent dans les villosités par l'intermédiaire des capillaires, avec les
divisions de la veine ombilicale. Ces villosités rappellent presque exacte-
ment par leur structure les villosités intestinales, à cette différence près
que dans ces dernières on rencontre un vaisseau chylifère qui en occupe
le centre. Elles s'enchevêtrent les unes dans les autres et affectent avec la
muqueuse utérine des rapports très difficiles à définir et au sujet desquels
la lumière n'est pas 'entièrement faite.
Si la plupart des ailleurs sont d'accord sur la structure du placenta
fœtal, il n'en est pas de même quand il s'agit de ce qu'on est convenu
d'appeler le placenta maternel. Il n'existe peut-être pas de sujet
sur lequel l'imagination des anatomistes se soit plus exercée. La rareté
des investigations faites dans des conditions tout à fait favorables, c'est-
à-dire lorsque le placenta adhère encore à l'utérus, a rendu possibles les
hypothèses les plus opposées. Pendant longtemps, la plupart des auteurs
croyaient à une communication directe entre les vaisseaux maternels
el les vaisseaux fœtaux. Yieussens, Cooper, Haller, Chaussier admet-
taient ces communications utero -fœtales. Radford partageait la même
opinion, tout en pensant que les vaisseaux trop fins ne laissaient passer que
la partie blanche du sang. De son côté, Flourens prétendait démontrer
par une série d'expériences : 1° qu'une liqueur injectée passe du fœtus à
la mère; 2° qu'elle passe de la mère à l'enfant, el que par conséquent il
existe une communication vasculaire évidente, constante entre la mère
et le fœtus, comme entre le fœtus el la mère. 11 arrivait ainsi à cette singu-
lière conclusion que, dans la classe des mammifères, il existe deux
modes de communication entre le fœtus el la mère : 1° communication
vasculaire directe par placenta unique; 2° communication de simple
contact, de simple adhésion, en cas de placentas multiples (ruminants).
Les expéiiences de Flourens furent reprises par Bonamy, qui se convain-
quit que les communications directes constatées par le célèbre physiolo-
giste résultaient d'un procédé d'injection défectueux. 11 serait du reste fa-
cile de démontrer qu'en dehors même des données analomiqucs, il exisle
des raisons physiologiques très péremptoircs pour écarter la communica-
tion directe entre les deux circulations.
PLACENTA. — ANATOMiBi
D'autres auteurs pensaient et pensent encore aujourd'hui qu'il se déve-
loppe dans le placenta maternel des vaisseaux nouveaux qui ont reçu le
nom de vaisseaux utéro-placentaires (A. Duliois), et qui, tout en étant indé
pendants des vaisseaux fœtaux, s'enchevêtrent avec eux. C'est à Jacquemicr
que l'on doit les recherches les plus exactes à l'appui de cette opinion.
Pour lui, il existe des artères et des veines utéro-placentaires de nouvelle
formation. Les artères se terminent en cul-de-sac, et n'ont aucune anasto-
mose visible avec les veines. Les veines, ayant jusqu'à 54 millimètres de
longueur, se distribuent vers les scissures interlobaires, et se divisent à
la surface des cotylédons. Elles sont fréquemment anastomosées et for-
ment ainsi le sinus coronaire. Les villosités placentaires sont intriquées
avec les veines et font saillie dans leur intérieur. Cette manière de voir
fut acceptée par Bonamy, qui admet les vaisseaux utéro-placentaires intri-
qués avec les villosités fœtales, et crut les voir pénétrer jusqu'au chorion.
Joulin, tout en ne niant pas d'une façon absolue l'existence de vaisseaux
interplacentaires à titre d'anomalie, se rallie à la doctrine du développe-
ment des sinus utérins dans lesquels les villosités viendraient plonger,
et se mettraient plus ou moins directement en rapport avec le sang ma-
ternel. Cette théorie, défendue par limiter, Weber, Robert Lee, Coste,
Kiwisch, Kôlliker, Virchow, mérite d'être examinée avec la plus grande
attention, tant à cause de sa grande simplicité que parce qu'elle est
conforme aux lois de l'anatomie générale.
La muqueuse utérine qui est en contact avec le placenta fœtal, et qui
a reçu le nom de placenta maternel (caduque utéro-placentaire, decidua
placentalis) , subit des modifications très-importantes, consistant dans un
développement de plus en plus considérable de ses éléments cellulaires
et de ses vaisseaux, ainsi que dans la disparition plus ou moins rapide de
ses glandes. Elle se divise elle-même en deux couches, dont l'une reste
fixée à la surface externe du placenta, et pénètre dans sa prolondeur,
tandis que l'autre, plus épaisse et riche en vaisseaux, reste adhérente à la
paroi utérine; son relief est encore facile à constater quelques jours
après l'accouchement. A mesure que ses différents éléments se dévelop-
pent, la caduque pénètre entrj les villosités placentaires, puis entre les
lobes, qu'elle sépare à l'aide de cloisonnements nommés par Kôlliker
septa placentœ. Ces prolongements s'enfoncent plus ou moins profon-
dément jusqu'au voisinage du chorion. Ils sont formés de deux parois
adossées l'une à l'autre, comprenant entre elles des vaisseaux. Ils ne con*
stituent du reste pas les seuls prolongements envoyés par la muqueuse
utérine à l'intérieur du placenta. Winckler a constaté qu'en dehors du
sinus circulaire il partait du point de réunion des deux caduques (utéro-
placentaire, utérine réfléchie) une expansion de tissu maternel s'insir
nuant à la base des villosités, immédiatement au-dessus du chorion, et
s'avançant vers le centre du placenta jusqu'à deux ou trois centimètres du
bord. Il résulte de cette disposition que, vers la circonférence du disque
placentaire, les cotylédons sont presque complètement environnés de tissu
maternel, tandis que, vers le centre, leur base en est dépourvue. Kolli-
NOUY. DICT. MÉD HT CBIB. XXVIII, — 4
50 PLACENTA. — anatomie.
ker a appelé l'attention sur une variété de placenta dans laquelle
l'Expansion de la caduque utérine et réfléchie, signalée par Winckler, se
prolonge à 5 ou 0 centimètres du hord placentaire, de telle sorte que les
troncs des villosités chorialcs et des vaisseaux n'occupent que le centre
du disque, dont la plus grande partie se trouve ainsi constituée par les
ramifications villeuses et vasculaires. Il a appelé cette anomalie placenta
marginata.
Eu examinant tour à tour les deux parties de la caduque utéro-placen-
taire, on rencontre dans la portion restée adhérente à l'utérus de nom-
breuses artères contournées en spirale dont on retrouve le prolongement
dans la caduque qui tapisse la surface externe du placenta. Elles pénètrent
avec les sepla dans les scissures intercotylédonaires et forment un lacis
très-serré qui se trouve placé entre les dernières ramifications des villo-
sités choriales dans toute la partie superficielle du placenta fœtal, mais
qu'on ne retrouve plus dans la profondeur du gâteau placentaire immé-
diatement au-dessus du chorion. Ces artères ne sont que les capillaires
hypertrophiés du plan superliciel de la caduque; elles subissent une
modification profonde dans leur structure et ont pour unique paroi un
endothelium séparé du tissu de la caduque placentaire par un tissu con-
jonctif lâche et finement strié. L'absence de fibres musculaires lisses et
d'éléments élastiques rapproche beaucoup leur structure de celle des
veines. Elles sont, du reste, la partie la moins importante du système
vasculaire du placenta maternel, plus spécialement composé de veines
dans la partie qui se trouve en contact avec les villosités.
Les vaisseaux veineux du placenta maternel, soit qu'on les suive dans
l'épaisseur du gâteau placentaire, soit qu'on les recherche dans la paroi
utérine, sont constitués par les veines elles-mêmes, et les capillaires delà
muqueuse utérine ayant subi un développement tel, qu'ils forment de véri-
tables sinus.
Dans les conditions où on les étudie habituellement, c'est-à-dire lorsque
le placenta a été détaché, on peut les diviser en deux couches : l'une
fœtale, située à la surface et dans la profondeur du tissu placentaire,
l'autre utérine, pouvant être poursuivie jusqu'à la couche musculaire de
l'utérus sur laquelle elle s'applique. Dans les deux cas, les veines naissent
des artères utérines par l'intermédiaire des capillaires et vont se jeter dans
des veines volumineuses qui ramènent le sang dans la circulation mater-
nelle. Les sinus qui restent fixés dans la paroi utérine sont faciles à re-
connaître; une incision faite sur la portion de la caduque qui répond à
l'insertion placentaire permet d'apercevoir de larges vaisseaux béants
composés d'artères et de veines formant un véritable tissu caverneux. 11
n'est pas rare de rencontrer sur cette surface qui, comme on l'a dit plus
haut, forme un léger relief dans toute la partie correspondant au pla-
centa, des ouvertures à travers lesquelles on peut introduire un stylet
jusque dans l'intérieur des vaisseaux. Ces orifices sont probablement dus
à un arrachement plus profond de la caduque et de la paroi vasculaire, et
ils doivent leur direction légèrement oblique à la rétraction de l'utérus
»
PLACENTA. — anatomie.' 51
qui a changé les rapports de la couche musculaire avec la couche mu-
queuse.
Les veines et les sinus qui sont directement en rapport avec les villo-
sités choriales ont été décrits bien différemment par les observateurs.
D'après Weber, les artères et les veines pénètrent dans la substance
sponyieuse du placenta et communiquent entre elles par l'intermédiaire
d'un réseau de canaux très-volumineux (fig. 21). Ce réseau capillaire
colossal, a parois très-minces, s'insinue entre les cotylédons et entre les
ramifications les plus ténues des villosités choriales. Robin pense égalc-
Fig. 21. — Coupe Je la matrice et du placenta, sur le cadavre d'une femme morte par accidcul,
à la trentième semaine de sa grossesse.
a, Cordon ombilical; b, amnios; c, cliorion; dd, partie foetale du placenta; ee, paroi utérine;
ff, ramifications arborescentes qui constituent la trame du placenta; gg, membrane caduque (portion
maternelle du placenta); h h, prolongement de la membrane caduque pénétrant dans le placenta
fœtale; ti, artères utérines contournées eu spirales ou tire-bouebon ; ip, rameau artériel pénétrant
dans le placenta; kk, sinus veineux de la matrice (A. Eckcr).
ment que ce sont les capillaires qui s'unissent pour former autour des
villosités un vrai lac sanguin. Pour Bustamante, la muqueuse, qui a
pénétre entre les villosités, devient très-vasculaire; les capillaires, en
augmentant de volume, s'adossent, et leurs parois s'atrophient ; il se forme
ainsi de gros vaisseaux, ou, pour mieux dire, des sinus qui pénètrent
avec la caduque hypertrophiée jusqu'au chorion et embrassent les troncs
des villosités placentaires. À une période plus avancée, la caduque et
les parois des vaisseaux finissant par disparaître, les villosités baigneraient,
directement dans le sang maternel.
52 PLACENTA . — a.natomie.
Delore a cherché à démontrer que le système vasculairc du placenta
est constitué par l'expansion des sinus utérins les plus superficiels, à
l'exclusion d'artères et de capillaires. La circulation maternelle s'y ferait
par un sinus circulaire et des sinus lacunaires, présentant des orifices eu
grillage, à travers lesquels on aperçoit les villosités plongeant directe-
ment dans le sang contenu dans ces vaisseaux. Le contact ne serait point
aussi immédiat d'après Joulin,qui pense, lui, que la circulation du fœtus est
séparée de celle de la rnère par la paroi des sinus, par l'épithelium de la
caduque, par l'épithelium de la villosité et la couche réticulée snus-
jacente, et enfin par la paroi des capillaires villeux. Quoi qu'il en soit de
ces différentes manières de voir, les veines en pénétrant dans les espaces
intercotylédonaires se comportent de la manière suivante : les unes
entrent en contact avec les villosités choriales et se réunissent dans les
septa pour former des veines plus volumineuses qui vont se jeter dans le
sinus circulaire; les autres, plus profondément placées, forment à la base
des troncs villeux, immédiatement au-dessus du chorion, un réseau com-
muniquant largement avec les premières. Les différents troncs qui en ré-
sultent se dirigent vers le bord du placenta et constituent par leurs anasto-
moses un sinus circulaire, rarement complet, situé au point de réunion de
la caduque placentaire avec la caduque utérine et surplombé par les
cotylédons marginaux qui le recouvrent. Ce vaisseau prend des racines
nombreuses dans le placenta et communique par des embranchements non
moins nombreux avec les veines utérines profondes. La quantité considé-
rable de vaisseaux qui va s'ouvrir dans le sinus donne à la paroi un aspect
criblé qui a fait supposer que, dans le placenta, le sang entoure directe-
ment les villosités embryonnaires et n'est séparé des vaisseaux du fœtus
que par l'épithelium villeux. On a vu précédemment quelle était à cet
égard l'opinion de Joulin, elle paraît être la plus vraisemblable.
En résumé, considéré au point de vue de sa structure, le placenta est
constitué par les villosités choriales pourvues d'une artère et d'une
veine dans leurs ramifications les plus fines, réunies en une seule masse,
en premier lieu par leur propre entrecroisement, en second lieu par les
prolongements de la caduque qui, sur certains points, les groupe en lobes
complètement indépendants les uns des autres au point de vue de la cir-
culation fœtale. Ces villosités sont entourées de toute part par des sinus
résultant du développement des veines superficielles de la caduque utéro-
phicentaire dont elles restent séparées jusqu'à la fin de la grossesse par
une mince couche d'épithelium. Celte disposition ou tout au moins les
rapports plus ou moins immédiats des vaisseaux maternels avec les vais-
seaux fœtaux sont aujourd'hui admis par presque tous les auteurs.
Cependant un savant d'un grand mérite, Ercolani, de Bologne, a conçu
une tout autre idée de la structure du placenta. D'après lui, les villo-
sités choriales seraient séparées des lacs sanguins par un organe glan-
dulaire de nouvelle formation, se développant dans la caduque et enve-
loppant le placenta fœtal d'une sorte de gaine. Ce tissu glandulaire,
constitué par une membrane amorphe et une couche épithéliale, sécréterait
PLACENTA. — anatomie. t»3
un liquide (lait utérin) dans lequel baignent les villosités choriales et qui
servirait à la nutrition du fœtus. Cette théorie nouvelle ne paraît reposer
sur aucune base sérieuse.
Situation. — Le placenta est habituellement situé au fond de l'utérus,
tantôt sur la paroi antérieure, tantôt sur la paroi postérieure, rarement
sur les parties latérales. D'après les recherches de Gusserow et de Schrœdcr,
l'insertion sur la paroi antérieure serait la plus commune; l'insertion
latérale, très-rare, aurait lieu un peu plus souvent à droite qu'à gauche.
Ces différences dans l'implantation du placenta n'ont aucune importance
au point de vue de son développement; elles influent tout au plus sur sa
forme. Parfois le placenta est (ixé sur le segment inférieur de l'utérus
dans un point rapproché de l'orifice interne (implantation marginale), ou
sur cet orifice lui-même (implantation centrale). Ce vice d'implantation
placentaire est la cause d'accidents formidables au moment de l'accou-
chement, et. a été attribué par la plupart des auteurs à la multiparité.
Le ramollissement et le relâchement des parois de la matrice, ainsi que
l'élargissement de la cavité utérine, paraissent être, en effet, les causes
prédisposantes les plus communes de cette anomalie. On peut aussi sup-
poser avec Hiliais qu'un développement inégal de la caduque favorise la
chute de l'œuf sur la partie inlérieure de la cavité utérine. 11 est plus
difficile d'admettre que l'œuf passe par une éraillure de la caduque réflé-
chie, comme le pensait Hohl, ou que des contractions spasmodiques de
l'utérus poussent l'œuf vers le col avant qu'il ait été fixé à la partie supé-
rieure de l'organe par le développement de la caduque réfléchie. Per-
sonne ne s'imagine plus aujourd'hui, comme le faisait encore Levret, que
le placenta, primitivement fixé au fond de l'utérus, retombe sur le segment
inférieur à la fin de la grossesse. L'insertion vicieuse du placenta est
assez rare. Il résulte d'un ensemble de statistiques qu'on l'a obser-
vée 56 fois sur 41,169 accouchements, c'est-à-dire dans la proportion de
1 sur 763.
Dans des circonstances heureusement peu communes, l'œuf fécondé ne
peut parvenir jusque dans la cavité utérine, et tombe alors dans la cavité
abdominale (grossesse abdominale, péritoncale) ou est arrêté dans la
trompe (grossesse tubaire). Comment se constitue dans ce cas la partie des
annexes qui correspond au placenta maternel? La muqueuse de la trompe
se comporte comme l'aurait fait la muqueuse utérine; cependant, d'après
KôUikcr, il ne çe formerait pas de decidua reflexa. On sait, du reste,
que dans cette variété de grossesse extra-utérine la gestation est d'ordi-
naire interrompue vers le quatrième mois par la rupture de la trompe, et
que, par conséquent, le placenta n'arrive pas à son entier développement.
Dans la grossesse abdominale, l'œuf est en contact avec le péritoine, qui
forme les ligaments larges; il s'établit aussitôt après sa chute une con-
gestion très-intense des parties qui l'avoisinent; puis de proche en proche
il se fait une telle hypertrophie du péritoine qu'il devient apte à jouer le
rôle de muqueuse utérine; il se forme une sorte de placenta qui ne
diffère pas essentiellement de celui que l'on rencontre dans les gros-
PLACENTA. — anatomj i
scsses utérines; cependant il est plus mince, plus large, suppléant par
son étendue à la vascularité moindre de la membrane sur laquelle il
D'autres variétés de placenta non moins importantes sont celles que
l'on rencontre en cas de grossesses multiples. Dans les grossesses gémel-
laires, les œufs peuvent être entièrement séparés et avoir non-seulement
deux placentas, mais deux caduques réfléchies; ou bien avoir deux pla-
centas, mais une seule caduque (fig. 22). Dans ce cas, qui est le plus
ordinaire, les placentas sont soudés; les vaisseaux ombilicaux sont sépa-
rés, puisque chaque œuf a un eborion qui lui est propre. Dans une
troisième variété, avec un seul placenta et un seul chorion, il existe deu\
amnios • les vaisseaux des deux cordons s'anastomosent alors constamment
'sur le placenta. C'est dans ces circonstances qu'une hémorrhagie par le
cordon du premier enfant pourrait se faire aux dépens du second. Enfin,
dans des cas très-rares, il n'existe qu'un placenta, et toutes les mem-
branes, y compris l'amnios, sont communes. Dans les grossesses trigé-
mellaires, il peut exister soit trois placentas séparés avec trois caduques
réfléchies, soit trois placentas soudés ayant une seule caduque et trois
( horions, soit un seul placenta et un seul chorion. Enfin, un œuf peut être
isolé, tandis que les deux autres ont un placenta et un chorion communs.
11 est inutile de pousser cette énuméralion plus loin, chacune de ces
variétés pouvant se reproduire dans les grossesses où la multiplicité des
fœtus est plus grande encore.
Physiologie. — C'est dans ces derniers temps seulement, lorsqu'on
s'était l'ait une juste idée du rapport anatomique des vaisseaux maternels
avec les vaisseaux fœtaux, que l'on a commencé à se Tendre un compte
x a et des fonctions du placenta. Aussi longtemps qu'on a supposé que
PLACENTA. — physiologie.
55
des communications directes existaient entre les vaisseaux des deux
placentas (fœtal et utérin), on n'avait aucune raison de pousser plus loin
les recherches et on considérait la circulation de l'embryon comme dépen-
dant entièrement de celle de la mère. Il eût été facile cependant de trou-
ver, en dehors des constatations anatomiques, des considérations de
nature à prouver que cette communication à plein canal est impossible.
Les plus importantes de ces raisons sont les suivantes : 1" La circulation
embryonnaire existe avant que les vaisseaux du fœtus aient atteint la
périphérie de l'œuf; 2° la fréquence de la circulation maternelle (70 à 80)
diffère de celle du fœtus (150 à 140); 5° l'enfant qui nait après une
hémorrhagie survenue pendant le travail meurt asphyxié, et non exsangue;
4° le sang qui s'écoule par le cordon d'un placenta encore adhérent appar-
tient au placenta fœtal et non à la mère ; 5° en cas de grossesse gémellaire
avec placenta unique, l'hémorrhagie se produit aux dépens du second
enfant et la mère n'y prend aucune part. A ces raisons on pourrait en
ajouter quelques autres tirées de la forme des globules et de la composi-
tion de l'un et de l'autre sang, mais elles sont moins évidentes que les
précédentes et rentrent du reste plus particulièrement dans le domaine
de l'anatomie.
Il est impossible d'attribuer une importance plus grande à la théorie
d'ErcoIani, fondée sur l'existence d'un organe glandulaire interposé entre
les villosilés et les sinus utérins; théorie d'après laquelle les sucs nutri-
tifs ou le lait u érin sécrété par l'épilhclium de cet appareil serait absorbé
par les villosilés chorialcs, comme le chyle est absorbé par les villosités
intestinales. Il n'est pas nécessaire de discuter une hypothèse qui repose
sur des faits anatomiques erronés, ou au moins supposés.
Tout le monde reconnaît aujourd'hui que les échanges entre le sang de
la mère et celui du fœtus ne sont que médiats et sont le résultat de phéno-
: mènes osmotiques, qui ont donné lieu dans ces derniers temps à de
remarquables travaux. On doit se rappeler d'abord que les échanges sont
: singulièrement facilités par la stase prolongée du sang maternel dans les
sinus. On pourrait même redouter qu'en raison de la largeur des vais-
seaux et de leurs communications nombreuses la circulation subisse des
perturbations consistant particulièrement en stagnations, si elle n'était,
régularisée : 1° par la turgescence habituelle des villosilés chorialcs;
' 2° par la contraclilité de l'utérus et des vaisseaux.
Ces phénomènes d'osmose étant admis, quelle est la nature de ces
i échanges qui se font entre les deux organismes? Deux questions impor-
I tantes se posent tout d'abord : 1° le fœtus respirc-t-il ? 2° quels maté-
riaux emprunle-t-il au sang maternel pour sa nutrition?
1° Le fœtus respirc-t-il, c'csl-à-dire y a-t-il dans le placenta oxygéna-
tion du sang apporté par les artères et ramené au fœtus par la veine
ombilicale? Presque tous les physiologistes semblent l'admettre aujour-
d'hui. Longet et Bisclioff ont en quelque sorte éludé la question en com-
parant « l'embryon à une sorte d'organe maternel qui ne respire pas
lui-même, mais a besoin du sang aitériel de sa mère, de sang qui a
56 PLACENTA. — physiologie.
respiré. » Pourquoi en aurait-il besoin, si ce n'est pour lui prendre une
partie de son oxygène?
Les raisons qui démontrent que- le placenta est un organe d'hématose
sont les unes subjectives, les autres objectives, et résultant toutes d'expé-
riences des plus concluantes. Les premières sont les suivantes : \° le fœtus
succombe rapidement dès qu'une compression interrompt la circulation
dans le cordon ombilical, et l'on trouve toujours dans ce cas à l'autopsie
des signes d'asphyxie; 2° il existe entre le placenta et les poumons un
antagonisme très-évident: l'enfant nouveau-né peut, en effet, se passer
de respiration pulmonaire tant que la communication entre lui et le pla-
centa n'est pas interrompue, et cette communication peut être interrom-
pue sans danger dès qu'il respire par le poumon ; de plus, toute inter-
ruption delà respiration dans les premières heures qui suivent la naissance
donne lieu à un retour de la circulation dans les artères ombilicales, qui
se traduit par une hémorrhagie, si le cordon est mal lié, et de même toute
interruption de la circulation du cordon avant la naissance provoque
chez le fœtus des mouvements respiratoires; 5° si l'on admet que le sang
maternel contient de l'oxygène en dissolution, que les globules ont une
grande affinité pour l'oxygène, on a foute raison de penser que le sang
noir des artères villeuses séparé du sang des sinus par une paroi très-
mince, s'empare d'une partie de l'oxygène qui s'y trouve dissous. 11 existe
du l'esté, à cet égard, une telle ressemblance avec ce qui se passe chez
les animaux à branchies, qu'on a appelé le placenta « une sorte de bran-
chie pédiculée qui est en même temps un organe d'absorption nutritive et
de respiration » (Nivet).
Les preuves expérimentales sont encore plus concluantes. Zwfeel a
constaté à l'aide du spectroscope l'oxyhémoglobine dans le sang des vais-
seaux ombilicaux d'un fœtus n'ayant pas encore respiré. En outre, dans
des expériences faites sur des lapines vivantes, il a observé que le sang se
rendant du fœlus au placenta par les artères ombilicales est noir, tandis
que le sang revenant du placenta au fœtus par la veine ombilicale est
rouge. Il semble donc incontestable que chez le fœtus le placenta remplace
le poumon, qu'il s'y débarrasse de son acide carbonique et qu'il puise
l'oxygène dans les globules rouge< du sang maternel.
*2' Le fœlus puise-t-il dans le placcn'a les matériaux nécessaires à son
développement et quels sont ces matériaux? A partir du moment où le
placenta est formé, il paraît être, sinon la seule voie par laquelle les
sucs nutritifs passent de la mère à l'enfant, du moins l'agent le plus actif
de cette absorption. Il n'est plus nécessaire de démontrer que certaines
substances injectées dans les vaisseaux de la mère se retrouvent dans
ceux de l'enfant. Magendie avait déjà retrouvé dans le sang de fœlus de
chien l'odeur du camphre un quart d'heure après avoir injecté une solu-
tion de celte substance dans le système veineux dos mères. Meyer ayant
injecté du cyanure de potassium dans la trachée-artère d'une lapine, avait
découvert ce composé dans le placenta et dans les différents organes de
l'embryon. Plus récemment des recherches ont été faites par Denickc, qui
PLACENTA; — pathologie. 57
reconnut que l'acide salicylique passait dans le sang fœtal 40 minutes
après son absorption. Gusserow, Fehling, y retrouvèrent l'iodure de
potassium et le chloroforme. On peut donc dire avec certitude que les
substances tenues en dissolution dans le sang maternel passent dans la
circulation fœtale. En est-il de même des substances qui ne peuvent être
dissoutes, et en particulier des éléments figurés, tels que les globules
sanguins? Il est parfaitement établi aujourd'hui qu'aucun élément figuré
ne traverse la membrane mince intermédiare qui sépare le placenta mater-
nel du placenta fœlal (Claude Bernard). Les expériences de Davaine ont
également démontré que les poisons organiques, tels que ceux du charbon,
de la pustule maligne, ne peuvent pénétrer dans la circulation du fœtus. Le
ferment virulent de la variole, qui est un micrococcu?, fait seul exception
à cette règle; l'embryon peut être infecté par l'intermédiaire de la mère
lorsqu'elle est atteint; de variole, ou quand même, sans être malade,
elle vit simplement dans un miliej contaminé. Les villosités choriales
n'absorbent que des substances nutritives ou médicamenteuses dissoutes;
des albuminoses et des dissolutions salines en constituent la majeure
partie ; les granulations graisseuses elles-mêmes ne traversent pas les
parois des villosités, ainsi que le prouvent les expériences d'Ahlfeld ; il en
est de même des corps solides, quelque fractionnés qu'ils soient, qui sont
en suspension dans le sang mat rnel. L'absorption des sucs nutritifs desti-
nés au développement du fœtus se fait par osmose, et on peut se deman-
der si ces phénomènes endosmotiques ne sont pas favorisés par la pres-
sion sanguine qui est relativement plus considérable dans les vaisseaux
maternels que dans ceux de l'embryon ? Les phénomènes d'exosmose se
produisent-ils également, et les principes contenus dans le sang fœtal
peuvent-ils être repris par la circulation maternelle ? Magendie a souvent
poussé dans les vaisseaux du cordon des poisons très-actifs, et il n'a
jamais vu les mères en éprouver les effets. D'autre part, on voit assez
souvent des enfants naître syphilitiques sans que la mère soit infectée. 11
est vraisemblable, par conséquent, que, si le fœtus puise dans le sang
maternel tous les principes solubles qu'il contient, la mère n'absorbe
rien des principes contenus dans le sang fœtal. Enfin il est une dernière,
et importante propriété du placenta qui a été découverte par Claude Ber-
nard. Dans une communication faite à l'Académie des Sciences, le savant
physiologiste a établi, qu'il existe dans le placenta des mammifères une
fonction jusqu'à présent méconnue qui est destinée à remplacer la fonction
glycogénique du foie pendant les premiers temps delà vie embryonnaire.
Cette fonction serait localisée dans un élément anatomique épithélial du
placenta mélangé avec la partie vasculaire de cet organe, et commence-
rait dès le début de la vie fœtale, avant que l'organe dans lequel cette
fonction est localisée chez l'adulte soit développé.
Pathol.oc.ie, — L'obscurité qui a longtemps régné sur la constitution
anatomique du placenta n'avait pas permis aux anciens observateurs
d'étudier ses altérations d'une façon tout à fait scientifique. Chacun
d'eux, se faisant une opinion différente de la structure et du fonctionne-
58 PLACENTA. — patiioi-ocik.
ment de cet organe caduque, en concevait la pathologie d'après des don-
nées très-variables et le plus souvent erronées. En dehors de cette
cause fondamentale d'erreur, l'analogie tout au moins apparente qui
existe entre certaines lésions placentaires et certaines lésions organiques
que l'on rencontre dans d'autres tissus était de nature à donner lieu à des
assimilations dont l'examen microscopique devait faire justice.
Ce n'est qu'à partir du moment où l'anatomie du placenta a été mieux
connue que la plupart des points de sa pathologie ont été étudiés avec
fruit; cependant, malgré les travaux des modernes, de Ch. Robin, de Yir-
ehow en particulier, il est encore un nombre considérable de questions
dont la solution est restée indécise. Il résulte d'un semblable état de
choses qu'une classification tout à fait rationnelle des affections du pla-
centa est encore aujourd'hui très-difficile à établir; tous ceux qui ont
tenté de le faire se sont bornés à une simple énumération des différentes
lésions connues et étudiées au moment où se publiaient leurs travaux.
Pour ne point entrer dans de longs et inutiles détails qui n'auraient
qu'un intérêt historique, il suffira de mentionner les classifications les
plus récentes.
Dans une thèse inaugurale (1845) très-remarquable, un élève du pro-
fesseur Stoltz, Jajger, a fait le bilan de l'état de la science à cette épo-
que ; il a décrit, tout en discutant quelques-unes d'entre elles, chacune
des affections suivantes :
1° Hypertrophie du placenta. 2° Atrophie (a) simple ou dépendant
d'une diminution de nutrition; (h) résultant de la cessation des rap-
ports physiologiques; (c) par suite de maladie du placenta. o° Malacic.
4° Congestion. 5° Apoplexie. 6° Inflammation ou placcntite. 7° Dépôts cal-
caires. 8° Dégénérescences diverses.
Cette dissertation, qu'on pourrait croire écrite d'aujourd'hui, si elle
comprenait les recherches de Ch. Robin sur la dégénérescence hydatoïde.
résoud d'une façon qu'on ne peut cependant croire définitive la plupart
des questions qui se rapportent aux affections du placenta.
Ecrite plus récemment et par conséquent plus complète au point de vue
des recherches modernes, la thèse de Charpentier (1869) multiplie les
divisions en décrivant séparément des lésions qui ne sont que des variétés
d'un même état morbide. Sa classification comprend dix espèces d'alté-
rations, qui sont :
1° Les épanchements sanguins ; hémorrhagie utéro-placcntairc. 2° Les
dégénérescences fibro-graisseuses. 3" Les transformations successives du
sang épanché. 4° La placcntite et les dépôts pathologiques divers (pus,
concrétions ossiformes, lésions syphilitiques). 5° Les adhérences anor-
males soit à l'utérus, soit au fœtus. 6° L'hypertrophie. 7° L'atrophie.
8° L'œdème. 9° Les tumeurs (kystes et autres). 10" La sclérose du placenta.
La môle vésiculeuse hydatoïde est rangée par Charpentier parmi les
maladies des membranes.
Ercolani a basé sa classification sur les idées qui lui sont propres sur
la structure du placenta ; il divise ses affections en douze catégories :
PLACENTA.
ANOMALIES DE DÉVELOPPEMENT.
5&
1° Hypertrophie des villosités choriales, ou myxome; 2° Placenta hyda-
Itigène : myxome des villosités choriales; myxome des villosités placen-
l taires; 5° Myxome de la sérotine ou de l'organe glandulaire qui enveloppe
les villosités placentaires; 4° Hyperplasic ou hypertrophie cellulaire du
parenchyme des villosités du placenta (dégénérescence graisseuse) ; 5° Fi-
bromes des villosités et de la sérotine; 6° Mélanose du placenta; 7° Lésions
syphilitiques; 8° Thromboses, apoplexies et hémorrhagies ; 9° Transfor-
mation des caillots sanguins et néoplasies du placenta; 10° Concrétions
calcaires; M" Kystes; 12° Développement anormal.
Parmi ces différentes classifications, en est-il une qui soit tout à fait
rationnelle et qui satisfasse entièrement l'esprit? Ne serait-il pas possible
de mettre un peu d'ordre dans cette énumération de maladies qui, bien
qu'ayant pour siège un organe transitoire, n'en sont pas moins soumises
aux lois de la pathologie générale? Si l'on veut bien s'en rendre compte,
le placenta, organe en réalité peu compliqué, en ce sens que les élé-
ments anatomiques qui le composent sont simples , ne présente pas
une diversité d'affections très-considérable, et il semble que l'on peut
ranger toutes ses lésions sous un tirs-petit nombre de chefs. Voici la
classification qui nous paraît la plus simple et qui sera suivie pour la»
description de toutes les altérations du placenta connues jusqu'ici :
D" Anomalie de dév eloppomcnt . . . . | ''i I101 opine -
lr I atropine.
2° Inflammation placenlile, abcès, adhérence.
»k.T ii i • i .• ( congestion et apoplexie.
( ù° Trouble de circulation { . br .. , ... ,
j transformation des caillots.
t (ibro -graisseuse
•4° Dégénérescence ] calcaire.
' hydatoïde.
5° Altérations syphilitiques.
P. Anomalies de développement. — V Hypertrophie du placenta.
On sait qu'au terme de la grossesse le placenta pèse généralement un
peu plus ou un peu moins de 500 grammes. Il peut cependant, sans qu'il
y ait hypertrophie véritable , dépasser ce poids , lorsque son augmenta-
tion de volume est en rapport avec le développement du foetus. Sa sur-
face peut également, sans devenir anormale, être supérieure aux dimen-
sions habituelles, lorsque cette augmentation d'étendue vient en quelque
sorte suppléer à un défaut d'épaisseur, comme cela arrive presque tou-
jours dans les grossesses abdominales. On ne doit considérer comme
hypertrophique que le placenta dans lequel l'augmentation de volume
n'est pas déterminée par une des deux causes qui viennent d'être in-
diquées.
Sans parler des cas cités parRuysch [Thèses anatomiques) . pour lesquels
les renseignements sont insuffisants, Wrisberg et Lassus assurent avoir
recueilli «les placentas de 1500 grammes. Sclimidt en a rencontré dont le
poids s'élevait jusqu'à 2 kilogrammes; Stoltz en a vu également dont le
volume dépassait de beaucoup les dimensions normales, sans que leur
constitution anatomique fût altérée; mais ces cas sont probablement les
00 PLACENTA. — anomalies de développement.
moins connus, et l'on peut s'assurer, en lisant les observations des au-
teurs, de l'erreur qu'ils ont commise en prenant pour des placentas hyper-
trophiés des placentas malades. L'altération qui en impose le plus
souvent est l'épanchement sanguin, parfois très-considérable. Le sang
peut avoir été récemment épanché et conserver tous ses caractères, ou
bien avoir subi en partie certaines transformations qui seront décrites
plus loin. C'est à des cas de ce genre que semblent se rapporter certains
cas d'hypertrophie signalés par Meyer (SieboUVs Journal, t. 111, p. 232),
et par Stein [Wahrnehmungen. Marbourg, 1808).
Une autre cause d'augmentation de volume du placenta, qui peut faire
croire à une hypertrophie, a été décrite par Cruveilhier (Anatomie patho-
logique, Maladies du placenta, 16e livraison) : c'est l'infiltration séreuse,
due très-vraisemblablement à une stase sanguine. Simpson en a, en effet,
observé un cas dans lequel il y avait obstacle à la circulation dans le
cordon. Joulin fait remarquer que le placenta est dans ces cas volumi-
neux, de consistance molle, et plus pâle qu'à l'état normal. La plupart
du temps le fœtus est mort, tandis que le contraire a habituellement lieu
en cas d'hypertrophie simple (Stoltz).
Charpentier décrit aussi, sous le nom d'hypertrophie, le dévelop-
pement anormal de certains placentas rencontrés sur des œufs abortifs
dont l'embryon est dissous ou le fœtus macéré. La partie fœtale du pla-
centa serait, dans ce cas, flétrie, tandis que la partie maternelle (cadu-
que utéro-placentaire) aurait conservé sa vitalité et même augmenté de
volume. Cette partie de l'œuf aurait ainsi continué à végéter après la
mort et même après l'expulsion du fœtus, et constituerait ce qu'on a dési-
gné sous le nom de môle charnue. Il nous semble qu'à aucun titre cette
altération ne peut être rangée parmi les hypertrophies placentaires.
2° Atrophie. — La distinction qui a été faite entre l'hypertrophie sim-
ple et celle qui est due à des causes morbides est à plus forte raison
applicable à l'atrophie du placenta. Cette anomalie de développement
peut être générale ou partielle ; elle présente trois variétés (Jœger) :
a. Atrophie pure et simple dépendant d'une diminution de nutrition ;
b. Atrophie résultant de la diminution ou même de la cessation des
rapports physiologiques ;
c. Atrophie par suite de maladies du placenta.
a. Atrophie simple. — Le placenta atrophié a un volume sensible-
ment moindre qu'à l'état normal ; il est moins dense, tantôt plus pâle,
tantôt [dus foncé ; c'est une véritable diminution de nutrition, qui parait
dépendre le plus souvent de l'él U de santé de la mère (chagrins, ca-
chexie, etc.). Dans certains cas, l'atrophie peut porter uniquement sur
l'épaisseur de l'organe (placenta membraneux), sans que sa structure
soit modifiée. Quand cet arrêt de développement est porté à un très-haut
degré, le fœtus peut en souffrir, moins cependant que dans les variétés
suivantes :
b. Atrophie due à une modification dans les rapports physiologiques.
— Le placenta a deux sortes de rapports physiologiques, les uns humé
PLACENTA. —
INFLAMMATION.
01
diats, avec la circulation fœtale dont sa propre circulation fait partie; les
autres médiats, avec la circulation maternelle. Toute modification dans
ces rapports est de nature à déterminer une atrophie placentaire. II a été
dit plus haut qu'un obstacle à la circulation funiculaire pouvait provo-
quer un œdème intervilleux simulant l'hypertrophie ; il n'en est plus de
même quand, par suite de la morl du fœtus, le sang cesse de circuler dans
les vaisseaux ombilicaux et dans leurs ramifications. Le placenta, n'ayant
plus de fonctions à remplir, se flétrit le plus habituellement ; son tissu
devient gris, ratatiné, résistant au doigt : il subit, selon toute apparence,
une véritable régression graisseuse, non point primitive, mais secondaire.
Le même résultat se produit lorsque les rapports entre le placenta et la
circulation maternelle viennent à cesser sur une étendue tant soit peu
considérable, par suite d'un décollement le plus souvent déterminé par
des hémorrhagies inter-utéro-placentaires;
c. Atrophie due à des maladies du placenta. — Cette variété sera
décrite plus spécialement à propos des différentes affections qui la déter-
minent.-Par anticipation, on peut dire qu'elle est le plus souvent la con-
séquence d'épanchements sanguins ou de dégénérescence graisseuse
primitive.
II. Inflammation du placenta. Placentite, abcès, adhérences. — Une
des questions les plus controversées de la pathologie placentaire est celle
de savoir si le placenta est susceptible de s'enflammer. Un nombre impo-
sant d'auteurs, parmi lesquels, entre autres, Brachet, Dance, Simpson, ad-
mettent la possibilité de l'inflammation, tandis qu'elle est contestée par
des observateurs non moins autorisés, tels que Bustamente, Jccquemier,
Millet et Charles Robin.
D'après les écrivains qui croient à la possibilité de la placentite, celte
affection présente trois périodes : 1° congestion inflammatoire ; 2° hépati-
sation et induration; 5° suppuration.
La congestion inflammatoire se traduirait par une augmentation de
volume du placenta résultant de l'accumulation du sang dans ses vais-
seaux. Le parenchyme placentaire est alors plus dense, plus foncé. A un
degré plus avancé, il se fait un épanchement de lymphe coagulable qui
permet de distinguer la congestion inflammatoire de la congestion passive.
En outre, dans la placentite, la congestion est limitée à une partie de l'or-
gane, tandis qu'elle est générale, quand elle est due à une cause méca-
nique.
Dans la seconde période la placentite se présente sous forme aiguë ou
chronique; dans le premier cas, qui est rarement observé, il y a véritable
hépatisation de l'organe; son tissu, gorgé de sérosité rougeàtre qui s'écoule
quand on le comprime entre les doigts, est facile à déchirer; il est d'un
rouge plus ou moins vif, et a tout à fait l'apparence de celui du poumon
hépalisé. Dans la forme chronique, qui peut être primitive ou secondaire,
on remarque une induration du placenta, qui est gris, rouge ou jaunâtre,
criant parfois sous le scalpel et présentant à l'incision un aspect lardacé:
Cette induration est tantôt générale, tantôt bornée à quelques lobes. C'est
I
PLACENTA. — ixfkammatios
dans cette période que s'établissent entre la matrice et le placenta des
adhérences; laililcs quand l'inflammation est récente; très-resisiantes
quand elle est ancienne.
Ces adhérences résulteraient d'un véritahle travail inllarnmatoire.
se produisant à la fois sur la surlace interne de la muqueuse utérine et
sur la surface utérine du placenta, dont la réunion avec la première se
ferait en quelque sorte par voie de cicatrisation. D'après Rrachet, il y
aurait d'abord épanchement de lymphe plastique, puis organisation de
fausses membranes. 11 est plus vraisemhlablc que ces adhérences, lors-
qu'elles existent, résultent de la coagulation d'un épanchement sanguin
peu épais (Stoltz), ou d'une modification dans la structure de la caduque
utéro-placentaire, ou bien encore de la persistance de la structure primi-
tive de la caduque (Ch. Robin). Dans la même période d'induration,
Désormeaux et Dubois ont signalé l'épaississement des membranes chorion
et amnios, par suite de dépôt de lymphe plastique. Cette modilication de
la surface fœtale du placenta pourrait même être assez considérable pour
déterminer des adhérences entre les membranes de l'œuf et le corps
du fœtus (Ilouel).
La troisième période de la placentite serait caractérisée par la forma-
tion de pus, qui peut se trouver infiltré ou réuni en foyers, tan lot
centraux, tantôt voisins de l'une ou de l'autre surface. De volume variable,
ils présenteraient cette particularité importante, de n'avoir jamais de
membrane granuleuse sur leur paroi (Geoffroy de Montreuil).
Quelque précise que paraisse cette description de l'anatomie patholo-
gique de la placentite, on est obligé de reconnaître qu'elle est un peu
imaginaire. Aussi les adversaires de l'inflammation du placenta ont-ils
recherché si, dans les observations connues, les caractères d'une véritable
inflammation avec son cortège habituel de modifications dans les élé-
ments anatomiques se rencontraient. Ils ont fait remarquer que les lésions
appartenant à la première période se voient également à la suite de
toute congestion des vaisseaux ombilicaux, ou de toute stase sanguine
dans le parenchyme placentaire, et que les lésions de la seconde période
(induration, etc.) étaient produites par les diverses transformations de
sang épanché. Quant à la présence du pus dans le tissu placentaire, elle
n'est rien moins que démontrée dans les dix observations connues et
publiées dans les recueils. Et, même en admettant que l'on a trouvé
réellement du pus dans le placenta, il se serait formé, d'après Jac-
quemicr, dans l'utérus enflammé. De son côté, Ch. Robin a cherché à
établir que le liquide contenu dans les prétendus abcès n'était qu'un
pseudo-pus fibrineux tout à fait différent du pus véritable (Ch. Robin et
Ycrdeil). En résumé, poui Ch. Rodin et la plupart des modernes, ce que
l'on a pris pour les signes d'une placentite, n'est qu'une série d'états
dépendant de la congestion placentaire et de transformations successives
du sang épanché. Ce qui a été regardé comme du pus n'est que de la
fibrine en voie de désorganisation. Dans les cas où l'on a trouvé du pus
véritable, ce pus avait été déposé accidentellement dans le tissu pla-
PLACENTA. — TROUBLES DE CIRCULATION. 63
ccntaire. En présence d'opinions si diverses, on ne peut que répéter avec
Jœ^er que la question de l'inflammation du placenta est environnée
d'obscurités, et qu'il faut de nouvelles observations bien faites, soumises
à tous les moyens de vérification qui sont en noire pouvoir, pour être
autorisé à tirer des conclusions définitives.
111. Troubles de circclation. — i° Congestion, apoplexie. Les troubles
de la circulation placentaire ont été étudiés principalement au poiul
de vue des épanchements sanguins qui se produisent fréquemment
dans le placenta et sont une des causes les plus ordinaires d'avortement.
Après les avoir considérées comme l'origine des altérations diverses des
villosités choriales, on s'est demandé si ces altérations, et en particulier
la dégénérescence graisseuse, n'en étaient pas plutôt la cause déterminante
que le résultat. Ce sont là des questions assez difficiles à résoudre avant
que des recherches plus précises ne les aient plus complètement élucidées.
Tout ce qu'on peut affirmer aujourd'hui, c'est que ces deux états, apo-
plexie placentaire et dégénérescence graisseuse des villosités, sa trouvent
fréquemment réunis sans que l'on puisse décider quel est celui qui s'est
produit le premier.
La plupart des auteurs admettent que l'épanchcment sanguin est pré-
cédé et accompagné d'une état congestif qui se traduit par une augmen-
tation de volume, par une densité plus grande et par une coloration plus
foncée du tissu placentaire. La congestion aurait pour siège, d'après
Simpson, les vaisseaux ombilicaux et les vaisseaux uléro -placentaires.
Jacquemier pense que l'afflux du sang se fait uniquement par les vais-
seaux uléro-placentaires et sous l'influence d'une congestion utérine. Cette
manière de voir n'est plus admissible depuis qu'il a été démontré qu'il
n'existe pas de communication vasculaire directe entre les vaisseaux
fœtaux et utérins. 11 est on ne peut plus vraisemblable que ce sont les
vaisseaux utérins qui se congestionnent presque toujours. Ce ne serait
que dans des cas assez rares que des perturbations dans la circulation
fœtale (compression, anomalie du cordon) amèneraient une stase sanguine
dans les vaisseaux ombilicaux. Les causes de congestion venant du côté
de la mère sont beaucoup plus nombreuses; Jœger signale en particu-
lier la pléthore générale, une menstruation habituellement abondante
dont le molimen persiste pendant la gestation, les accidents hyslérnluiques,
les excitations portées sur l'utérus ou ses annexes, les phlegmasies des
organes voisins, etc.
Quelle que soit la cause qui l'ait déterminée, la congestion peut dis-
paraître sous l'influence du repos et d'un régime convenable, ou donner
lieu à des épanchements sanguins. Cruveilhier avait déjà appelé l'attention
des accoucheurs sur cette lésion qui «consiste, dit-il, dans des foyers de
sang en plus ou moins grand nombre et à divers degrés dans l'épaisseur
du placenta déchiré, lésion bornée quelquefois à un petit nombre de coty-
lédons, mais s'étendant souvent à un plus grand nombre ». Jacqucniior,
deson côté, publiait en 1839 un travail très-remarquable et très-com-
plet sur les épanchements sanguins. D'après cet auteur les hémorrhagies
64 PLACENTA. — tiioudles vv. chiculatio.x.'
ont pour origine constante des déchirures veineuses, soit dans le tissu
placentaire, soit en dehors du placenta, dans la caduque.
Le siège de l'épanghement varie selon l'âge de la grossesse. Dans les
trois premiers mois une des veines utéro-placenlaires se rompt; le sang
épanché s'accumule dans un espace libre qui persiste encore à celte
époque entre le chorion et la caduque et il enveloppe L'œuf tout entier.
Dans une seconde période le sang épanché, rencontrant moins de résistance
dans la partie profonde du placenta que du côté de la partie superficielle,
dont la densité est plus grande, s'accumule vers la surface externe du
chorion sans dépasser les limites du placenta. A une époque encore plus
avancée de la gestation, la densité de plus en plus grande du placenta
ne permet plus au sang de s'épancher sur une grande surface, et il se
forme des foyers isolés.
L'épanchement peut donc avoir lieu entre la caduque et le chorion,
ou dans le placenta lui-même. Dans ce cas il se présente sous trois formes
différentes, selon l'époque à laquelle il s'est produit : (a) Les foyers irré-
guliers, volumineux, sont le plus souvent placés, soit dans les environs
de la veine coronaire, laquelle communique avec eux, soit au centre du gâ-
teau placentaire; ils s'étendent alors jusqu'à la face externe du chorion
ou jusqu'à la surface utérine du placenta déchiré et décollé dans la
partie correspondante, (b) On ne trouve pas de foyer proprement dit,
mais une infiltration sanguine dans un ou plusieurs lobes dont le tissu
paraît raréfié, (c) Enfin les foyers peuvent être nombreux, très bien
circonscrits et disséminés dans l'épaisseur du tissu placentaire. Désor-
meaux et Paul Dubois avaient également insisté sur ce que, « lors-
que vers la fin du troisième mois le chorion est immédiatement appliqué
contre la caduque réfléchie et que le sang ne peut plus trouver, eutre ces
deux membranes, d'espace pour se répandre, c'est dans l'épaisseur même
du placenta qu'il s'épanche, forme alors des foyers qui varient, non-
seulement par le nombre, la forme et le volume, mais encore par le siège,
foyers qu'on trouve en général d'autant plus rapprochés de la face fœtale
que la grossesse est moins avancée, et au contraire d'autant plus voisins
de la face utérine qu'on s'éloigne davantage du moment de la concep-
tion ».
Les foyers apoplectiques ne diffèrent pas moins par leur nombre et par
leur volume que par leur siège. Tantôt du volume d'un pois, tantôt
aussi de celui d'une noix ou d'un œuf de pigeon, ils sont parfois uniques,
parfois très-nombreux. Simpson a trouvé un placenta sur lequel on
n'apercevait en le coupant qu'une infinité de petit caillots arrondis, dis-
tincts, mais serrés les uns contre les autres. On conçoit que dans des cas
analogues l'aspect du tissu placentaire puisse être altéré au point de
simuler une véritable dégénérescence mëlanique ; mais les choses ne se
passent pas habituellement ainsi et l'on rencontre le plus souvent des foyers
à contours très-bien limités. Dans quelques cas cependant, le sang s'in-
filtre dans le tissu placentaire sans s'y créer de cavité proprement dite,
et, si l'épanchement a lieu dans le voisinage du chorion, il peut cheminer
PLACENTA. — TROUBLES DE la circulation.
65
jusqu'à l'insertion du cordon qui en est "quelquefois lui-même infiltré.
On peut également rencontrer sur un même placenta des foyers bien cir-
conscrits et une infiltration du tissu placentaire voisin; cet état peut tenir
à deux causes, soit à l'existence de petits foyers apoplectiques autour d'un
foyer plus volumineus, soit à une infiltration des parties colorantes du
sang.
Quelle est l'origine du sang épanché. On a vu plus haut que Jacqucmier
en place la source la plus commune dans les vaisseaux utéro-placentaires.
Simpson pense que si l'hémorrhagie se déclare pendant les premiers
mois, elle prend naissance dans les vaisseaux de la caduque et dans les
vaisseaux rudimentaires du placenta. D'après Cruveilhier, le sang est
fourni le plus souvent par les vaisseaux ombilicaux. Cette dernière opinion
est partagée par Millet, qui soutient que les foyers apoplectiques du centre
des lobes sont le résultat d'une rupture des vaisseaux du cordon, et par
Charpentier qui dit avoir vu souvent, une dilatation anévrysinale de ces
vaisseaux au niveau de leur insertion placentaire. La possibilité de la rup-
ture des vaisseaux ombilicaux a, du reste, été démontrée par une obser-
vation de Dcneux et on ne saurait contester que leurs tuniques très minces
ne soient dans des conditions bien propres à se rompre sous l'influence de
causes variables. Joulin place l'origine des épanchements sanguins soit
dans la muqueuse utéro-placentaire, soit dans la substance même du pla-
centa et les attribue à la destruction des parois des vaisseaux et à leur fusion.
Toutes ces causes peuvent amener des hémorrhagies dans des circonstances
spéciales, mais il est vraisemblable que dans le plus grand nombre de cas
c'est par les sinus veineux que le sang fait irruption. Voici, d'après Jœger,
comment les choses se passeraient : par suite de la congestion il y a
décollement du placenta au niveau de la caduque et l'écoulement san-
guin se fait par les sinus. Le sang s'épanche dans les lobes placen-
taires ou entre eux, les infiltre ou se réunit en foyer.
Cette irruption du sang par les vaisseaux utérins a-t-elle toujours lieu
sous l'influence d'une congestion utérine ou bien n'est-elle pas plutôt
due à l'altération, qui sera décrite plus loin, sous le nom de dégéné-
rescence graisseuse ; ou bien encore ces deux causes ne contribuent-elles
point ensemble à déterminer des apoplexies placentaires? L'époque peu
avancée de la grossesse où l'on observe le plus souvent des hémorrhagies
placentaires considérables donnerait à penser que c'est plutôt sous l'in-
fluence de la congestion utérine qu'elles se produisent; on verra, en
effet, que la dégénérescence graisseuse des villosités est un fait à peu
près constant dans la dernière période de la grossesse, c'est-à-dire à une
époque où les hémorrhagies deviennent de plus en plus rares.
Les théories qui viennent d'être exposées reposent toutes sur le fait de
la persistance des tuniques des sinus utérins, or, on sait qu'un certain
nombre d'auteurs ont cru avoir constaté que les villosités choriales plon-
gent directement dans le sang maternel, dans de véritables lacs san-
guins; aussi tous ceux qui se sont ralliés à cette manière de voir, consi-
dèrent-ils les hémorrhagies placentaires comme impossibles dans les
NODV. DICT. M ÉD. ET CUIR. XXVIII 5
Qg PLACENTA. — thouhles df. lk ciiicui.atio.n.
vaisseaux et prétendent que le sang n'est jamais extravasé, mais simple-
ment coagulé de façon à former de véritables thromboses. D'après Busta-
mente, ces thromboses seraient ducs tout à la fois à l'augmentation du
calibre des vaisseaux, au changement de direction qu'ils affectent et aux
modifications que la puerpéralité apporte dans la composition du sang.
Bailly conteste la possibilité des foyers apoplectiques aussi longtemps que
la constitution anatomique du placenta n'a point été altérée par la dégé-
nérescence fibro-graisseuse. Ces théories paraissent un peu subtiles, elles
ont le tort de reposer sur deux hypothèses également erronées : en pre-
mier lieu, l'existence de vrais lacs sanguins dans lesquels les villosités
seraient en rapport direct avec le sang maternel, et en second lieu, la
dégénérescence graisseuse constante des villosités choriales en cas d'apo-
plexie placentaire; or, les recherches de Depaul ont démontré, qu'il
peut y avoir épanchement sanguin sans altération préalable des villosités.
La même objection s'applique à la. théorie d'Ercolani d'après laquelle la
dégénérescence graisseuse des cellules de la sérotine serait toujours pré-
existante ; ces cellules une fois transformées supporteraient mal la pression
du sang des lacunes, ce qui donnerait lieu à de véritables hémorrbagics.
2° Transformation des caillots sanguins. Lorsqu'un épanchement
sanguin survient dans les premiers mois de la grossesse, il se fait entre le
chorion et la caduque ce qui détruit les moyens d'union encore très faibles
qui existent entre ces deux membranes. L'avortement en est le plus sou-
vent la conséquence. Cependant dans quelques cas, le liquide épanché
s'organise et détermine des adhérences plus ou moins intimes de
l'œuf avec la muqueuse utérine. Lorsque la grossesse est plus avancée,
l'hémorrhagie est limitée au tissu placentaire et peut également déter-
miner l'expulsion prématurée du produit de la conception ; mais il n'en
est pas toujours ainsi, et l'on rencontre un grand nombre de placentas
dans lesquels une hémorrhagie plus ou moins considérable s'est produite,
sans que souvent rien ne soit venu en révéler l'existence pendant le
cours de la gestation. Les transformations subies par les foyers apoplec-
tiques ont été étudiées avec soin. Le premier ebangement qui survient
dans le caillot est sa décoloration, qui marche de l'extérieur à l'intérieur.
La couche externe prend une couleur d'abord rougeàtre, puis jaune,
puis grise ou blanchâtre. Les couches les plus internes présentent, à me-
sure qu'elles deviennent plus profondes, une coloration plus foncée. En
général la partie centrale est plus molle ou même tout à fait liquide ; ce
n'est qu'au bout d'un temps assez long que toute la masse prend une
consistance homogène et une coloration uniforme. Lorsque les foyers
sont un peu considérables, il existe presque toujours à leur centre une
cavité vide ou contenant du sérum, qui a été prise parfois pour un k\ste
séreux; à une époque plus avancée le caillot peut devenir tout à fait dur
et prendre une consistance lardacéc ou bien se transformer, ainsi que l'a
observé Jacqucmicr, en une substance jaune, grisâtre, sléatomalcusc, res-
semblant à de la matière tuberculeuse.
Pendant qu'il subit ces transformations successives, le foyer revient sur
PLACENTA. — DÉGÉ.NISRKSCENCES. 67
lui-même et diminue notablement de volume ; en même temps le tissu
ambiant dans lequel il s'est produit, s'infiltre de sérosité sanguine plus ou
moins considérable et subit aussi quelques modifications. Pour peu que
L'infiltration ait été abondante, la résorption ne se fait pas, les villosités
cboriales et leurs vaisseaux s'oblitèrent et subissent une véritable régres-
sion, le plus souvent bornée à un lobe, mais pouvant s'étendre à une
notable portion du placenta et nuire à la nutrition du fœtus.
Les épancliements sanguins ne subissent pas toujours les transforma-
tions qui viennent d'être décrites ; ils peuvent disparaître entièrement.
Verdier a indiqué de la façon suivante le processus de leur disparition.
La fibrine s'infiltre dans les tissus, son apparence librillaire devient
grenue, la masse se ramollit et on a sous les yeux une masse semi-liquide,
jaunâtre, ayant absolument l'aspect de pus et qui a été considéré comme
tel par les anciens observateurs. On trouve dans ces masses pyoïdes :
1° des granulations fibreuses et graisseuses; k2° du liquide; 5° des glo-
bules blancs restés englobés et mis à nu par le travail de ramollissement;
ils sont toujours altérés, ordinairement ebargés de granulations grais-
seuses (Vulpian).
Quelques auteurs pensent aussi que les caillots sanguins peuvent s'or-
ganiser plus ou moins complètement (Uunter, Billroth). On a même
prétendu que lorsque du sang s'est épanebé entre la muqueuse utérine et
le placenta, la partie décollée peut s'unir à l'utérus par l'intermédiaire
des caillots organisés, et cette union devenir assez solide, pour rendre la
délivrance difficile. Mais les recherches de Ch. Robin ne semblent pas con-
firmer cette opinion; elles tendent au contraire à démontrer que les
épancliements sanguins ne s'organisent pas, mais se décolorent seule-
ment et se condensent. Leur apparence d'organisation serait due à l'état
librillaire de la fibrine.
On rencontre quelquefois sur la face ^fœtale du placenta des tumeurs
volumineuses dont l'enveloppe est formée par un tissu analogue au tissu
squirrheux, et dont la partie centrale est constituée par des caillots.
Danyau, qui en a cité deux observations, considère avec raison ces tumeurs
comme d'anciens foyers apoplectiques. On doit également donner une
. origine hématique à des kystes occupant le même siège et contenant un
liquide lactescent dans lequel nagent des globules sanguins. Ces kystes
ne doivent pas être confondus avec une autre variété décrite par Millet et
que la nature du liquide qu'elle contient (gélatine de Wharlon) suffit à
faire classer parmi les dégénérescences-hydatoïdes des villosités.
IV. Uégénéuescences. — 1° Dégénérescence dite graisseuse du pla-
centa. Induration du placenta. Encéphaloïdes. Dégénérescence squir-
rheuse, cancéreuse, tuberculeuse. On doit aux travaux de Ch. Robin, de
Barnes et de Druilt la connaissance de deux faits qui éclairent d'un jour
nouveau l'histoire de la dégénérescence graisseuse du placenta et toute la
pathologie de cet organe, il résulte en effet des recherches de Robin que
les villosités cboriales qui ne concourent pas à la formation du placenta
s'oblitèrent dès les premiers mois de la grossesse et que l'on rencontre
08 PLACENTA. — dégénérescences.
non seulement dans leurs parois, mais encore dans leur épaisseur un
grand nombre de granulations graisseuses. Cette oblitération fibreuse et
fa dégénérescence graisseuse qui l'accompagne n'est ordinairement pas
bornée aux villosités choriales, mais envahit également un nombre plus
ou moins considérable de villosités placentaires. De son côté, Bames
pvait constaté que la surface utérine d'un grand nombre de placentas à
terme présentait une coloration d'un jaune pâle et que les villosités de
cette surface avaient subi la dégénérescence graisseuse. L'altération était
moins avancée dans la profondeur du gâteau placentaire, mais aucune
villosité n'était saine et tous les vaisseaux étaient rompus, si ce n'est
au fond des sillons interlobaijres où la communication vasculaire avec l'uté-
rus était persistante. Druitt arrivait également aux conclusions suivantes:
1° La dégénérescence commençante est une condition normale du placenta
à la fin de la grossesse. 2° Elle a pour cause la cessation partielle des
fonctions actives de cet organe, quand le développement actif du fœtus
est presque complet. 5° Lorsqu'elle se présente dans les premiers mois,
elle a probablement pour cause un défaut de forces nutritives du fœtus
ou sa mort. La conséquence de ces recherches dont les résultats sont
identiques est, que l'oblitération fibreuse et l'altération graisseuse sont
des phénomènes normaux dans l'évolution des villosités choriales et pla-
centaires; qu'elles envahissent les premières dès le début de la grossesse,
tandis que les secondes ne sont atteintes que tardivement et seulement
dans leur partie superficielle. Mais si les choses se passent ainsi dans le
plus grand nombre des cas, il n'est pas rare de voir la lésion s'étendre
à un ou plusieurs lobes et même à la plus grande partie du placenta. Le
plus souvent c'est à la circonférence du gâteau placentaire qu'elle se ren-
contre. Un nombre plus ou moins grand de lobes présentent l'aspect sui-
vant : ils sont déprimés, plus fermes qu'à l'état normal et forment une
masse compacte se déchirant en fragments dont la surface est filamenteuse
et irrégulière. Les villosités offrent un degré très avancé d'oblitération
fibreuse et forment des cordons pleins et résistants. La substance cho-
riale propre est devenue très granuleuse sans qu'il existe cependant des
granulations graisseuses dans toutes les ramifications villeuses. Les villosi-
tés adhèrent entre elles. Dans une autre variété, les granulations graisseuses
sont plus abondantes, les lobes sont séparés par des sillons profonds,
leur tissu est plus dur qu'à l'état normal; friable, d'un gris jaunâtre;
il reprend dans la profondeur son aspect normal tant comme consistance
que comme coloration.
Peut-être est-ce à une altération de même nature qu'il faut attribuer
l'affection décrite sous le nom de sclérose du placenta. Le placenta se
présente sous la forme d'une masse rougcàtre, homogène, compacte, se
séparant en petits lobes ; le tissu morbide est constitué par des éléments
fibro-plastiques, régulièrement disposés et formant des couches concen-
triques.
Les placentas dont un ou plusieurs lobes sont atteints de dégénéres-
cence fibro-graisseuse ont une physionomie particulière. On distingue au
PLACENTA. — dégénérescences'. 69
milieu de lobes frais et rosés des masses grisâtres ou blanchâtres d'un
aspect squirrlieux qu'on a longtemps regardées comme dues à des épan-
chements sanguins. Selon Robin, l'induration jaunâtre n'est point l'effet
de la suffusion du sang, dont on ne rencontre jamais les éléments carac-
téristiques (globules et cristaux d'hématoïdine) ; ce qui a pu induire en
erreur à cet égard, c'est la concomitance des hémorrbagies placentaires
et de la dégénérescence iibro-graisscuse, ainsi que la présence simultanée
des lésions consécutives à chacune de ces deux affections. Il est probable
que des recherches poursuivies dans le même sens que celles de Robin
achèveront de faire connaître les causes et le mécanisme de l'altération
fibro-graisseuse. On doit se borner aujourd'hui à la considérer comme
résultant d'une oblitération fibreuse des villosités compliquée d'infiltra-
tion granulo-graisseuse.
2° Dépôts calcaires. Lithiase. Concrétions ossiformes. — Les dépôts
calcaires du placenta ont été observés et décrits par les plus anciens au-
teurs. Lobstein les considérait comme des ossifications vasculaires; on sait
aujourd'hui qu'ils sont formés de carbonate de chaux et de phosphate de
chaux et de magnésie. Ils ont la forme de grains de gravier, d'aiguilles, de
stalactites, ou mieux encore de coraux. Leur volume varie de quelques
centièmes de millimètres à quelques millimètres. Les concrétions les plus
petites se trouvent généralement sur la surface utérine ; elles donnent
sous le doigt la sensation de grains de sable et se sont déposées dans la
caduque. Celles qui ont la forme d'aiguilles ou de coraux se rencontrent
plus habituellement dans l'épaisseur du gâteau placentaire et ont, d'après
Cruveilhier, leur siège dans les tuniques artérielles. Enfin elles peuvent
également être rassemblées en une seule masse irrégulière occupant un
point quelconque du parenchyme spongieux et particulièrement les espaces
interlobaires. Leur nombre est extrêmement variable. Millet dit avoir
trouvé dans un seul placenta plus de deux cents calculs dont le plus
volumineux était gros comme une noix? Ces concrétions se développent
dans les tissus affectés de dégénérescence graisseuse et spécialement dans
la caduque, ou bien dans la paroi externe des villosités atteintes de trans-
formation fibreuse.
5° Dégénérescence hydatoïde. — Celte affection est sans contredit la
maladie de l'œuf humain qui a été le plus anciennement décrite et celle
dont la nature a été le plus complètement méconnue, llippocrate, qui attri-
buait sa production à l'épaisseur du sperme retenu, lui assignait pour
symptômes le développement exagéré du ventre, ainsi que l'absence de tout
mouvement dans le ventre et de lait dans les mamelles. De Graaf la con-
sidérait comme formée de véritables œufs, tandis que Smellie croyait y
voir des glandes. Ce fut Levret qui entrevit un des premiers sa véritable
nature en lui donnant pour siège l'œuf, et pour condition essentielle la
fécondation. Cette opinion avait généralement prévalu quand en 1782,
Gorze prélendit avoir rencontré dans ce qu'on était alors convenu d'ap-
peler une môle (|j.uXv]),des entozoaires, desversvésiculaires.etlui donna le
nom de môle hydatique. Percy, Hippolyte Cloquet et Gluge acceptèrent
70 PLACENTA. — dégénérescimces.
cette manière de voir tout invraisemblable qu'elle était, mais elle ne ré-
sista pas longtemps aux investigations exactes de l'anatomie microscopique.
Tout le monde reconnaît aujourd'hui que les villosités choriales, et en par-
ticulier les villosités placentaires, sont le siège de la transformation hyda-
toïde. Le seul point qui soit encore controversé est relatif à la nature de
l'altération qu'elles ont subie. On a cliercbé à donner à cette altération
deux explications différentes connues sous le nom d'opinion française et
d'opinion allemande. Avant de les exposer, il est utile de rappelerune théo-
rie déjà ancienne qui a été récemment reproduite par Ancelot et d'après la-
quelle « les môles hydatoïdes seraient une altération particulière de la
caduque utérine ou de la caduque réfléchie, produite sous l'influence de
l'imprégnation et consistant en la production par poussées successives par
un travail exogène, de vésicules indépendantes, adhérentes les unes aux
autres, revêtues d'une membrane commune, mais tendant à s'isoler les
unes des autres. »
Opinion allemande. — On a vu dans la description anatomique des
villosités choriales que leur couche interne est constituée par un tissu
désigné par Joulin sous le nom de magma réticulé, sorle de tissu muqueux
analogue à la gélatine de Wharton. C'est à l'hyperplasie de ce tissu muqueux,
et non à celle de l'épithélium comme le supposait Ileinricb Muller, que
Virchow attribue la dégénérescence des vil losilés choriales. D'après lui, la
môle liydatoïde doit être rangée dans la classe des tumeurs proliférantes
avec persistance de tissu originaire et être appelée myxôme des villosités
choriales. La lésion peut être étendue à toutes les villosités et envelopper
l'œuf entier (myxôme généralisé) ou être limitée à une partie du placenta
(myxôme partiel) . Elle débute par la multiplication des noyaux et des cellules
qui plus tard peuvent se réduire en mucus et subir la dégénérescence grais-
seuse, ou bien s'accumuler sous la couche épithéliale des villosités et les
distendre de façon à augmenter considérablement leur volume en formant
de véritables vésicules. A mesure que les villosités se développent, elles
deviennent de plus en plus gélatiniformes ; si l'on y pratique une piqûre,
il s'en écoule un liquide transparent donnant la réaction de la mucine.
En général, les vésicules ne contiennent pas de vaisseaux, surtout quand la
lésion s'est produite au début de la grossesse. Dans des cas assez rares,
elles sont entourées d'un réseau vasculairc très riche. En résumé, pour
Yirchow,la dégénérescence hydatoïde ne serait que le développement exa-
géré du tissu normal de la villosité. Cette manière de voir est partagée
par Cornil et Ranvier. Ercolani pense également qne le placenta hydati-
gène est dû à une hyperplasic; mais d'après lui cette hyperplasie aurait,
pour siège tantôt la couche épithéliale des villosités, tantôt leur enveloppe
extérieure, c'est-à-dire la portion du placenta qu'il a décrite sous le nom
d'organe glandulaire.
Opinion française. — Cette théorie consiste à considérer la dégéné-
rescence hydatoïde comme une hydropisie des extrémités des villosités
choriales. Soutenue par Stoltz dans un mémoire présenté à la Société du
muséum d hisloire naturelle de Strasbourg en 1856 elle a été confirmée
PLACENTA. — DÉGÉNÉRESCENCES. 71
par les travaux de Ch. Robin et adoptée par Depaul. La structure de l'en-
veloppe des vésicules, la nature du liquide qu'elles contiennent, l'oblité-
ration de leur pédicule, rendent cette opinion on ne peut plus vraisem-
blable. On peut admettre avec Desormeaux et Dubois que la môle hydatoïde
se présente sous trois formes diverses : 1° mole liydalique embryonnée;
2° môle bydatique creuse; 5° môle bydatique en masse. C'est la troisième
de ces variétés qui va être plus spécialement décrite. Les deux premières
n'en diffèrent que par la persistance, au milieu de la masse vésiculeuse,
de la cavité amniotique dans laquelle l'embryon a été plus ou moins
complètement dissous ou a continué à se développer. Les détails relatifs
à chacune de ces variétés trouveront leur place après la description de la
môle la plus commune, c'est-à-dire de la môle en masse.
L'œuf qui a été frappé de dégénérescence hydatoïde se présente sous l'as-
pect d'une masse plus ou moins volumineuse constituée par des vésicules
cristallines de forme et de grandeur variables. Ces vésicules sont re-
liés ontre elles par des filaments très fins formant un réseau inextricable
de grappes. Tantôt cette masse vésiculeuse est entièrement entourée d'une
membrane d'un tissu rouge et spongieux qui n'est autre chose que la ca-
duque; d'autres fois on ne rencontre à sa surface que des fragments plus
ou moins larges de cette membrane, dont une partie est restée adhé-
rente aux parois utérines. L'intégrité de la caduque est d'autant plus
grande que l'expulsion a eu lieu à une époque moins avancée de la gros-
sesse, et il est extrêmement rare qu'après le quatrième mois l'enveloppe
qu'elle forme autour de la môle soit encore complète.
Lorsqu'on a incisé cette membrane on remarque que la masse vésicu-
leuse est formée de deux parties bien distinctes : l'une, centrale, moins
considérable, d'un rouge tendre, d'un tissu filamenteux très friable, rap-
pelant le tissu placentaire ; elle est constituée selon toute vraisem-
blance par le chorion et les premiers troncs villeux non dégénérés. La
seconde partie beaucoup plus volumineuse se compose des vésicules et de
leurs pédicules. Ces vésicules sont réunies en forme de grappes qui sont
parfois isolées les unes des autres, mais qui, dans d'autres cas, sont utri-
quées comme les villosités placentaires et forment un véritable gâteau
de kystes enchevêtrés les uns dans les autres. Les vésicules se développent
habituellement au point où le pédicule des villosités commence à se ra-
mifier et offrent une disjonction identique à celle que présentaient les di-
visions et les subdivisions des villosités elles-mêmes. Parfois le pédicule
fait défaut cl l'on voit un kyste volumineux sur lequel de petits kystes se
sont développés, Ces kystes ont une enveloppe externe commune, mais
chacun d'eux possède une tunique interne qui lui est propre et s'adosse
plus ou moins intimement aux parois voisines. Les vésicules, souvent aussi
petites qu'un grain de mil, peuvent atteindre le volume d'une noisette, et
dans quelques cas exceptionnels on en rencontre d'aussi grosses qu'un
œuf de pigeon. Celles qui sont situées le plus profondément sont très
petites, nombreuses, adhérentes, mais à mesure qu'elles deviennent
plus superficielles, elles sont de plus en plus volumineuses. Dans quel-
72 PLACENTA. — dégénérescences.
ques cas elles prennent un développement tellement considérable (pie le
pédicule se rompt; le kyste devenu libre est expulsé avant la sortie de la
masse. Les vésicules sont généralement presque transparentes mais elles
prennent parfois une couleur rougeâtre due à l'imbibition de l'hématine
des caillots sanguins. Leur forme varie; celles qui sont placées sur le
trajet des pédicules sont fusiformes; celles qui sont terminales, au con-
traire, sont pyriformes ; leur grosse extrémité est libre, tandis que la
petite se continue avec le pédicule. Le liquide qu'elles contiennent ne
peut communiquer d'un kyste à l'autre à cause de l'oblitération constante
des pédicules.
On n'est pas d'accord sur le nombre et la structure des enveloppes
des vésicules ; d'après Cruveilhier, il n'existerait qu'un feuillet unique à
disposition réticulée parfaitement nette. Madame Boivin et Ancclol décri-
vent deux membranes tout à fait distinctes. Pour Ch. Robin la structure
des parois des vésicules est identique à celle des villosités à l'état normal,
c'est-à-dire qu'il existe deux tuniques , l'une externe, mince, grisâtre,
formée de noyaux ovoïdes et de granulations graisseuses ; l'autre interne,
hyaline n'ayant que 0ram,01 d'épaisseur, composée de libres de tissu cellu-
laire entre-croisées à noyaux fibro-plastiques assez abondants. Le contenu
des vésicules est un liquide incolore, quelquefois rosé bien qu'on n'y
rencontre jamais de globules sanguins. Il donne un précipité albumineux
par l'acide nitrique et tient en suspension deux sortes de cellules; les
unes appartiennent à l'épithélium pavimenteux; les autres n'ont aucune
analogie avec celles des autres tissus, sont sphériques, transparentes, à
bords réguliers et contiennent des granulations moléculaires grisâtres
d'égal volume.
Le poids des môles hydatoïdes est très variable, habituellement de
500 à 1000 grammes, il peut s'élever jusqu'à cinq ou six kilogrammes.
Quel que soit leur volume elles peuvent affecter les trois formes dont il a
été question plus haut ; mais la môle hydatique en masse, est celle qui
présente habituellement les dimensions les plus considérables. Dans la
môle embryonnée on rencontre une poche plus ou moins vaste contenant un
fœlus et dont la surface externe donne naissance dans une plus ou moins
grande étendue à des villosités dégénérées. Dans le cas où presque toutes
les villosités placentaires ont été atteintes par la dégénérescence, on trouve
à peine quelques traces de l'embryon ; mais si en dehors des villosités
altérées une partie notable de l'œuf est restée intacte, on trouvera au
milieu de la cavité amniotique un fœtus plus ou moins volumineux. Dans
un cas où la moitié du placenta avait subi la transformation hydati-
forme, Depaul vit la grossesse aller à terme et l'enfant naître vivant bien
que malingre. Dans une autre circonstance citée par Brachet, le placenta
ne présentait que trois grappes hydatoïdes et le fœtus était vivant et bien
développé. La môle vésiculaire creuse ne diffère de la précédente que
parce qu'on ne retrouve plus dans la cavité amniotique l'embryon qui a
été complètement dissous, alors la maladie datait du début de la gros-
sesse et avait envahi toutes les villosités placentaires.
PLACENTA. — lésions syphilitiques. 75
Les rapports de la môle hydatoïde avec les parois utérines sont très
intéressantes à étudier; nous avons dit que lorsque son expulsion a lieu
dans les deux premiers mois de la grossesse, la môle est enveloppée
d'une membrane constituée par la caduque, disposition qui fit supposer
à quelques auteurs que c'était la muqueuse utérine qui donnait naissance
aux vésicules hydatoïdes. Mais quand l'œuf dégénéré a séjourné long-
temps dans l'utérus, la muqueuse, au lieu d'être hypertrophiée, est consi-
dérablement amincie, et le muscle utérin est mis à nu. Les vésicules pénè-
trent profondément dans les parois de la matrice et leurs extrémités se
logent dans autant de petites cavités. Après qu'elles ont été détachées,
la surface interne de l'utérus présente des lacunes plus ou moins
larges selon qu'elles ont servi à loger un ou plusieurs kystes. Dans cer-
tains cas, ces lacunes sont assez profondes pour que les fibres musculaires
soient dissociées et que le péritoine mis à découvert constitue à lui seul
la paroi. Les villosités peuvent même pénétrer dans les ouvertures des
sinus utérus et on conçoit que leur expulsion soit alors longue et difficile
et qu'elle détermine des hémorrhagies très abondantes.
La môle hydatoïde se développe habituellement dans la cavité utérine,
cependanton lui a assigné quelquefois un siège tout à fait anormal. Yolk-
mann et Krieger prétendent avoir vu une môle vésiculaire dans le muscle
utérin. Otto Heinrich (thèse de Greiffswalder sur les grossesses extra-
utérines) cite un cas de grossesse tubaire clans lequel un grand nombre
de villosités choriales avaient subi la dégénérescence hydatiforme.
V. Lésions syphilitiques. — L'attention n'a été dirigée que fort tard
sur les altérations que la syphilis peut provoquer dans le placenta, lors-
que l'on eut reconnu depuis longtemps l'influence de cette dialhèsc sur la
marche de la grossesse ainsi que sur la santé et sur la vie du fœtus. L'avor-
tement habituel, la mort habituelle du fœtus dans les derniers mois de son
développement, avaient déjà été signalés par Aslruc; mais cet auteur, tout
en attribuant à la syphilis ces différents accidents, n'en avait point
cherché la cause déterminante dans des lésions placentaires. Murât avait
bien, il est vrai, fait observer que les femmes affectées de syphilis sont
prédisposées à des maladies du placenta, et ajouté que cette affection
semble favoriser les décollements. Simpson considérait la décoloration et
l'anémie du tissu placentaire alors que le fœtus était mort de péritonite
d'origine syphilitique, comme une conséquence et non comme la cause
de la mort du fœtus. Lebcrt, tout en signalant des granulations jaunes
d'apparence tuberculeuse et une tumeur plus volumineuse fibrineuse
qu'il avait rencontrées sur des placentas de femmes atteintes de syphilis
constitutionnelle, ajoutait qu'il ne voyait dans cette altération rien de
spécifique. Une lésion analogue consistant dans une couche fibrineuse
d'apparence graisseuse avait déjà été observée par Mackensic entre les
membranes. Ce fut Virchow qui présenta le premier ces différentes lésions
comme étant de nature syphilitique. Il fit remarquer qu'il faut distinguer
dans les enveloppes de l'œuf la partie maternelle et la partie fœtale,
ce qui au point de vue de la syphilis n'est point indifférent dans la déter-
74 PLACENTA. — lésions symulitiques.
i i i i nation de la pari qui revient à la mère et au fœtus dans les affections
de ce genre. Celle division conduisit Yirchow à admettre deux formes
d'endométrite vénérienne : la forme placentaire et la forme déciduale.
L'endométrite peut être simple et diffuse ; elle produit alors des épais-
sissemenls et des indurations fibreuses qui déterminent l'atrophie des
villosilés; lorsque au contraire elle est circonscrite, elle donne lieu à
des proliférations présentant parfois les caractères des papules et des
contlylômes. Ces tumeurs circonscrites noueuses partent du placenta
maternel et pénètrent profondément dans le placenta fœtal ; elles sont for-
mées de deux couches, une périphérique, dense, grisâtre, l'autre centrale,
jaunâtre, caséiforme. D'après Verdicr (Paris, 18G8), le caractère dislinctif
de la syphilis placentaire est l'inflammation des branches des artères om-
bilicales avec épaississement et oblitération consécutive. Ilennig considère
comme des gommes, ces nodosités formées par les artères oblitérées. Enfin
Charpentier a vu chez une femme syphilitique un placenta pâle et mou
au point qu'en le lavant à l'éther les capillaires devenaient apparents.
On voit qu'il n'est presque pas d'altération placentaire qui n'ait été
observée dans des cas de syphilis congénitale et qui n'ait été considérée
par les uns ou par les autres comme étant de nature syphilitique. Malgré
les doutes qui peuvent encore subsister sur la signification de ces diffé-
rentes lésions, Frânkel (Archiv fur Gynœcologie) a formulé quelques
conclusions qui, bien que trop absolues, méritent d'être citées textuelle-
ment. 1° Le placenta peut devenir malade par syphilis, et ces sortes de
maladies sont reconnaissables à des signes caractéristiques; 2° la syphilis
placentaire accompagne exclusivement la syphilis héréditaire et congé-
nitale du fœtus; 5° le siège de la maladie varie selon que la mère resle
bien portante et que le virus syphilitique est communiqué directement
au fœtus par le sperme ou que la mère est devenue malade elle-même.
Dans le premier cas les villosités du placenta dégénèrent dans leur partie
fœtale et se transforment en granulations avec oblitération des vaisseaux,
souvent compliquée d'épaississement de la membrane épithéliale des vil-
losilés. Dans le second cas, quand la mère est syphilitique, ou elle a été
infectée en même temps que le fruit, ou elle était syphilitique antérieure-
ment, ou l'est devenue peu après la conception ; alors le placenta peut rester
intact ou devenir malade; dans ce dernier cas la forme de l'affection est
l'endométrite placentaire gommeuse. Si la mère n'est devenue malade que
dans les derniers temps de la grossesse et si le père est bien portant au mo-
ment de la fécondation, le fœtus et le placenta restent habituellement sains.
11 est inutile d'insister sur les difficultés que présente encore aujour-
d'hui l'histoire des altérations syphilitiques du placenta. La question est
à l'étude et les travaux qui viennent d'être signalés n'auront pas peu
contribué à en rendre la solution plus facile. On peut se demander quelle
sera l'utilité pratique de ces découvertes. Sous le rapport scientifique il
est sans doute intéressant de savoir quelles sont les modifications qui
peuvent survenir dans le placenta par l'effet supposé du virus syphili-
tique, mais l'art ne pourra jamais intervenir utilement. Les mêmes
PLACENTA. — BIBLIOGRAPHIE, 75
réflexions s'appliquent à toutes les altérations de structure du placenta,
attendu que leur diagnostic est à peu près impossible et que d'ailleurs
notre thérapeutique n'aurait aucune action sur elles.
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Eugènk Marchai.
PLAIE.
— P. PAR INSTRUMENTS TRANCHANTS.
77
PL, AIE. — On désigne sous le nom de plaie, toute solution de con-
tinuité des tissus vivants, produite par une cause mécanique et ouverte
à l'extérieur. Ces deux conditions sont indispensables. Pour qu'il y ait
plaie, il faut que la peau ou les muqueuses exposées à l'air aient été in-
téressées par la cause vulnérante. Les luxations, les fractures, les rup-
tures des ligaments des tendons ou des muscles qui ne s'accompagnent
pas de lésion de la peau, sont des blessures et non des plaies. D'un autre
côté, on ne doit pas donner ce nom aux solutions de continuité des tégu-
ments et des parties sous-jacentes, lorsqu'elles se produisent spontané-
ment ; on les désigne sous le nom d'ulcères.
Ainsi limité, le sujet que nous allons aborder est encore assez vaste
pour qu'il soit indispensable d'y établir des divisions. Il est impossible
d'étudier en bloc des lésions aussi complexes et aussi variées. Lorsqu'on
veut se renfermer quand même, dans un cadre de généralités, on se
résigne à tourner, sans aucun profit pour le lecteur, dans un cercle de
banalités et d'inexactitudes. C'est un écueil que nous tenons d'autant
plus à éviter, que les questions théoriques, les seules qui se prêtent
à une étude d'ensemble, ont déjà été traitées dans d'autres articles
de ce Dictionnaire, ou le seront dans ceux qui n'ont pas encore paru. Il
ne nous reste plus à aborder que le côté purement clinique.
Les différences que présentent les plaies se rapportent à trois chefs
principaux : l'étendue qu'elles présentent, le siège qu'elles affectent,
la cause qui les a produites. De ces trois caractères, le dernier est celui
que tous les auteurs ont pris pour base de leurs classifications, et nous
suivrons leur exemple, en étudiant successivement les plaies par instru-
ments tranchants, celles que produisent les instruments piquants,
celles qui reconnaissent pour cause l'action des corps contondants , les
plaies par armes à feu, qui ne sont qu'un cas particulier de ces der-
nières, les plaies par arrachement et les plaies empoisonnées.
Quant aux plaies par écrasement, par broiement, elles ne sont
qu'une variété des plaies contuses; les plaies par morsure rentrent
également dans l'une des catégories précédentes, selon l'espèce à
laquelle appartient l'animal qui les a faites et la forme de sa denture.
Dans l'un comme dans l'autre cas, elles ne présentent pas d'indications
particulières.
I. Plaies par instruments tranchants. — Ce sont les plaies par excel-
lence, celles qui ont servi de type pour toutes les descriptions générales.
Les instruments qui les produisent sont, : ou des armes de guerre, comme
les sabres, les haches, les yatagans, ou des objets usités dans la vie^domes-
tique, dans les arts ou dans l'industrie, comme les couteaux, les rasoirs,
les faucilles, comme les scies à mouvement circulaire ou les machines
qui servent à trancher le fer. Tous ces instruments agissent de la même
manière que les bistouris et les couteaux des chirurgiens, en pressant et
en sciant, et les plaies qu'ils produisent sont d'autant plus nettes que le
tranchant est plus affilé. Elles varient pour la forme , l'étendue et la pro-
fondeur, suivant l'instrument qui les a faites, la force avec laquelle il a
78 PLAIE. — p. l'An insthumknts tiukciia.nts.
été mu, la direction qui lui a été imprimée et la région sur laquelle il a
porté son action.
Les phénomènes primitifs des plaies qui nous occupent sont au nom-
bre de trois : la douleur, l'écoulement du sang et l'écarlement des Lords
de la solution de continuité. La douleur est due à la section des nom-
breux filets nerveux sensitifis qui se répandent dans la peau et dans h s
tissus sous-jacents. Elle est d'autant plus vive que la solution de conti-
nuité est plus étendue et la partie plus sensible. Les plaies de la face et
surtout des lèvres, celles des doigts, de la paume de la main, de la plante
du pied, du pourtour de l'anus sont, à dimensions égales, plus doulou-
reuses que celles qui siègent dans d'autres parties du corps, sur les tégu-
ments du dos, ou à la région externe des membres , par exemple. L'idio-
syncrasie du blessé, les conditions dans lesquelles il se trouve placé,
influent également sur la somme de douleur qu'il ressent. Il est des
sujets qui supportent sans sourciller les blessures les plus douloureuses;
il en est d'autres pour lesquels l'appréhension seule de la souffrance que
doit entraîner une opération, devient une véritable torture; enfin la dou-
leur est d'autant moins vive que l'instrument vulnérant a le tranebant
mieux affilé et qu'il est mu avec plus de vitesse. Tous les chirurgiens
savent combien l'ouverture d'un panaris, par exemple, est moins doulou-
reuse lorsqu'elle est faite par un bistouri qui coupe bien et par une main
bien exercée, que lorsqu'un instrument ébréché passe lentement et avec
hésitation à travers les tissus. En général, dans les plaies par coupure,
la douleur est vive, mais elle s'éteint promplement, parce que les filets
nerveux ont été nettement et complètement tranchés.
L'écoulement du sang est eonstanl à la suite des plaies qui nous occu-
pent. Ce sont celles qui saignent le plus abondamment et riiémorrhagie y
est en rapport avec la profondeur et l'étendue de la blessure. Toutefois,
lorsqu'elle provient de capillaires ou de vaisseaux artériels et veineux
d'un petit calibre, elle s'arrête d'elle-même, sous l'influence de l'air
froid ou du simple rapprochement des parties. Il n'en est plus ainsi, lors-
qu'une artère d'un certain volume a été intéressée, lorsqu'un gros tronc
veineux a été ouvert. Dans ce cas, la vie du blessé peut être rapidement
compromise et, dans les conditions les plus favorables,. celte hémorrhagie
constitue une complication sérieuse qui fait surgir des indications spéciales
[Voy. Artères, Plaies, t. 111, p. 168).
L'ecartement des bords est un phénomène particulier aux plaies par
instruments tranchants. Il est produit par l'élasticité des I issus divisés et
par la contraction des muscles, lorsque ceux-ci ont été intéressés. L'élas-
ticité de tissu, considérable dans la peau, assez prononcée dans les
artères, est moindre dans le tissu cellulaire, nulle dans les nerfs et à
peine appréciable dans les tissus fibreux. La contraction musculaire, au
contraire, est extrêmement énergique. Irrésistiblement provoquée par
l'excitation que produit la section des fibres charnues, elle est brusque,
soudaine et cesse avec le stimulant qui l'a produite; mais la contracti-
lité inliérenlo au tissu musculaire se manifeste alors, agit lentement,
PLAIE. P. PAR INSTRUMENTS TRANCHANTS. 79
mais d'une manière incessante et maintient l'écarlement des bords delà
plaie jusqu'à ce que la cicatrisation ait rétabli la continuité des libres
divisées et que la rélractilité du tissu inodulaire en ait rapproché les
extrémités. Lorsque des muscles voluminenx ont été divisés dans toute
leur épaisseur, l'écarlement des lèvres de la solution de continuité est
considérable. Nous nous souvenons d'avoir donné des soins à une jeune
paysanne qui avait eu tous les muscles du mollet coupés en travers par
une faucille; le tranchant de l'instrument n'avait été arrêté que par les
os et l'artère tibiale postérieure était ouverte au fond de cette vaste
plaie, dont les bords étaient écartés par une intervalle de plus de douze
centimètres. Il ne nous fut pas difficile de découvrir et de lier les deux
bouts du vaisseau; mais, pour rapprocher les deux surfaces traumatiques,
il fallut mettre le pied dans l'extension et fléchir la jambe sur la cuisse.
La réunion se fit alors sans trop de difficultés et la malade guérit rapide-
ment. Dans certaines régions , les mouvements viennent encore aug-
menter cet écartement. C'est ainsi que, dans les plaies transversales de la
partie antérieure du cou qu'on observe à la suite des tentatives de sui-
cide, la mobilité de la peau , la contraction des muscles longs et grêles
qu'elle recouvre, l'élasticité de la trachée produisent déjà un écartement
considérable, mais il devient effrayant, lorsqu'on porte la tète du blessé
en arrière.
Le pronostic des plaies par instruments tranchants dépend surtout de
leur profondeur. Lorsque la peau seule est intéressée, ce sont des lésions
insignifiantes ; la section des muscles n'ajoute pas sensibleuiont à leur
gravité, celle des tendons ou des nerfs peut compromettre plus tard les
fonctions de la région blessée, la lésion des artères expose à des dangers
que nous avons indiqués déjà, mais l'ouverture des articulations et celle
des cavités splanclmiques est bien autrement redoutable. Les plaies péné-
trantes de ces cavités sont plus rarement produites par les instruments
tranchants que par les armes piquantes et par les projectiles, cependant
il n'est pas rare de voir l'articulation du genou ouverte par un coup de
hache ou par un coup de faucille ; celle du coude-pied est souvent blessée
par l'outil de charpentier qui porte le nom d'herminelle, et le coude lui-
même l'est quelquefois par un coup de sabre. Les plaies nettes et large-
ment béantes qu'on observe en pareil cas, sont moins graves que les
blessures sinueuses faites par les instruments piquants, que les plaies
causées par les projectiles de guerre (Voy. Auticulations, Plaies, t. III,
p. 506). Les cavités splanclmiques sont rarement atteinlcs par les instru-
ments tranchants. Les coups de sabre assez vigoureusement assénés pour
fendre le crâne et atteindre le cerveau, ne s'observent guère aujourd'hui ;
la poitrine et l'abdomen sont encore moins exposés à ce genre de bles-
sures ; on ne les rencontre guère que dans les grands ateliers et par l'ef-
fet des machines dont nous avons parlé. C'est ainsi que nous avons eu
l'occasion de voir, à l'hôpital de Brest, un ouvrier de l'arsenal qui, en
passant le bras au-dessus d'une scie circulaire, avait été entraîné par son
vêtement et était tombé en travers sur la lame dentée, pendant qu'elle
â
80 PLAIE. P- TAII ÎN-STRUMEMS l'IQUANTS.
faisait cinq cents tours à la minute. Les parois abdominales avaient
été tranchées d'un hypochondre à l'autre, les cartilages costaux du côté
droit avaient été coupés et le foie profondément labouré par les dents
de l'appareil; le malheureux ne mourut qu'onze heures après son
accident.
Le traitement des plaies par instrument tranchant consiste à les net-
toyer avec soin, à mettre la partie dans le relâchement et à rapprocher les
Lords de la solution de continuité. Avant de les réunir, le chirurgien doit
s'assurer que tout écoulement de sang a cessé. S'il aperçoit, sur une des
surfaces traumatiques, un endroit qui saigne encore, s'il y voit se pro-
duire une petite pulsation, ou s'il s'en échappe un mince filet de sang
rouge, il doit saisir avec des pinces à artères le point qui donne, le sou-
lever légèrement et l'entourer d'une ligature. C'est encore le plus sûr et
le meilleur de tous les moyens hémostatiques.
Les plaies par instruments tranchants doivent toujours être réunies par
première intention. Ce sont même les seules qui comportent ce mode de
traitement et il leur est partout applicable, même au cuir chevelu pour
lequel on a voulu faire une exception. Il est bien entendu que nous ne
parlons pas des cas où l'on se trouve oblige d'agir dans l'atmosphère viciée
d'un hôpital insalubre. Ceux qui pratiquent dans de semblables milieux
font comme ils peuvent, mais il ne faut pas ériger ces pratiques de né-
cessité en règle générale. Nous avons réuni et vu réunir par la suture un
Lien grand nombre de plaies de tête, car ce sont les lésions les plus com-
munes à bord des navires et dans nos hôpitaux, jamais nous n'avons eu à
nous en repentir et les cas dans lesquels nous avons vu survenir des érysi-
pèles sont tellement rares qu'il n'y a pas lieu d'en tenir compte. La réu-
nion s'opère à la faveur des bandages unissants, des agglutinatifs et des su-
tures. C'est à ce dernier moyen que nous donnons la préférence toutes les
fois que la plaie a une certaine étendue. Dans le cas contraire, une ou
deux bandelettes de diachylum peuvent suffire pour en rapprocher les
bords ; parfois même dans les cas les plus simples, on se contente de re-
couvrir la petite solution de continuité avec une mouche de taffetas d'An-
gleterre. Nous ne nous étendrons pas sur ces moyens de réunion, ni sur
le pansement qui les complète, parce que ces sujets ont déjà été traités
dans d'autres arLicles. (Voy. Agglutinatifs, 1. 1, p. 427. Pansements, t. XXV,
p. 729. Sutures.) Nous garderons le même silence et pour le même motif,
au sujet des phénomènes consécutifs de l'évolution des plaies et de leur
mode de cicatrisation. (Voy. Cicatrices, Cicatrisation, t. VII, p. 587.)
II. Plaies par instruments piquants. — Les corps vulnérants qui dé-
terminent ce genre de plaies sont encore plus variés que ceux dont nous
nous sommes occupé précédemment. Elles peuvent, en effet, être pro-
duites par tout objet muni d'une pointe assez résistante pour pénétrer
dans nos tissus. Dans celte catégorie nombreuse, on trouve des armes
comme la baïonnette, la lance, l'épée, le fleuret, le stylet, le poignard,
des instruments usuels tels que les couteaux, les canifs, les ciseaux, les
poinçons, les compas de menuisier, des corps variés comme les clous,
PLAIE. —
P. TAR INSTRUMENTS PIQUANTS.
8 1
les fragments d'os, de verre, de bois, etc. Nous ne citons que pour mé-
moire les instruments de chirurgie, comme les aiguilles a acupuncture, les
trocarts, les aiguilles lubulées.
■ Les instruments piquants n'agissent pas tous de la même manière.
Les uns ne sont offensifs que par leur pointe; dans les autres, celle
pointe fait suite à une lame tranchante qui facilite sa pénétration. Les
premiers entrent dans nos tissus en écartant les fibres qui en constituent
la trame, et, lorsqu'ils sont extrêmement déliés, ils peuvent arriver à des
profondeurs considérables sans causer une vive douleur et presque sans
effusion de sang. Les aiguilles à acupuncture, les aiguilles tubulées dont
on se sert pour les ponctions capillaires, sont le type de ces corps acérés
qui peuvent traverser des couches épaisses de parties, pénétrer même dans
les grandes cavités de l'économie sans y causer de désordres sérieux, lors-
qu'ils sont conduits par une main prudente et exercée. Les corps plus
volumineux, tels que les poinçons, les épées triangulaires, les fleurets
aiguisés, agissent de la même façon ; mais ils ne sont pas aussi inoffensifs.
Ils écartent violemment les fibres ; le trajet qu'ils se creusent est accom-
pagné d'un certain état de déchirure et de contusion, d'une douleur parfois
très-vive et d'un léger écoulement de sang qui s'arrête, il est vrai, le plus
souvent de lui-même. Nous ne parlons pas du cas où un gros tronc ner-
veux, artériel ou veineux, a été intéressé, parce que nous reviendrons plus
tard sur les complications de cette nature.
Les corps vulnéranls qui agissent à la fois par la pointe et par la lame,
les sabres, les couteaux, les canifs, produisent des plaies analogues à
celles que font les instruments tranchants, mais qui en diffèrent en ce
qu'elles, s'étendent surtout en profondeur. Ces blessures sont souvent dou-
loureuses et saignent parfois assez abondamment. Leur forme est en rap-
port avec celle de l'instrument qui les a faites. Elle diffère suivant que
sa pointe est supportée par une lame à un ou deux tranchants ; mais ce
genre de considérations n'intéresse que la médecine légale, et ce sujet
sera traité plus loin. Enfin, il est des corps vulnéranls à pointe obtuse
<jui ne pénètrent qu'à la condition d'être poussés avec force. Tel est le
cas de la lance et de la baïonnette, auxquelles le poids de la hampe ou du
fusil permet d'imprimer une impulsion considérable. Ces blessures, ainsi
que celles qu'on observe à la suite de chutes faites sur des pieux, des
échalas, sur des grilles de fer, sont toujours fortement contuses et, en
général, d'un pronostic sérieux.
Les plaies par piqûre, étant surtout caractérisées par leur étroilessc et
leur profondeur, ne présentent pas cet écartement des bords qui forme
le trait particulier des blessures que nous avons précédemment étudiées.
Sauf dans quelques cas rares où un corps d'un volume considérable,
animé d'une grande force d'impulsion, a creusé, en quelque sorte, un
puits au milieu des tissus, les bords de la plaie se rapprochent d'eux-
mêmes aussitôt que l'instrument vulnérant en a été retiré.
Les plaies par instruments piquants sont, en général, plus graves que
celles que produisent les instruments tranchants; mais cela ne tient pas,
NOUV. DICT. MÉD. ET CUIR. XXVIII 0
82 PLAIE. P. PAU I.NSTHUMKNTS PIQUANTS.
comme on le croyait autrefois, à lcurïormcet à leur étroitesse. Les anciens
chirurgiens les redoutaient à cause de la difficulté que leur disposition op-
pose à l'écoulement des liquides. Ils pensaient que l'al'llux des humeurs
devait fréquemment amener la formation d'abcès profonds, d'infiltrations
et de fusées purulentes, que leur rétention provoquait l'étranglement et,
par suite, des douleurs violentes, parfois même le tétanos ou la gangrène-
Ces accidents se produisaient, en effet, assez souvent sous leurs yeux, mais
ils étaient dus aux moyens qu'ils employaient pour les prévenir. Au lieu
de respecter, comme on le fait aujourd'hui, le trajet de la blessure, ils y
introduisaient des sondes pour l'explorer, des mèches, des tentes pour le
dilater et pour empêcher l'accumulation des humeurs ; ils s'opposaient
ainsi à la réunion par première intention qu'on voit survenir le plus sou-
vent, quand la plaie est exempte de complications et qu'on l'abandonne à
elle-même. Depuis Bellostc, on a renoncé à ces pratiques et, peu à peu, le
préjugé qu'elles entretenaient a cessé de régner. Malgaigne avait déjà fait
ressortir l'innocuité des piqûres laites par le trocart et la promptitude
avec laquelle elles se cicatrisent; les opérations sous-cutanées ont porté le
dernier coup à l'opinion que nous combattons. On a vu des ténotomistes
diviser, dans la même séance, une foule de tendons et de faisceaux
musculaires, pratiquer sous la peau des incisions de plusieurs décimè-
tres, léser inévitablement, en passant, nombre de petits vaisseaux et de
filets nerveux, sans que le moindre accident en ait été la suite. Jules
Guérin a communiqué à l'Académie des sciences, le 51 août 1840, l'ob-
servation d'un malade chez lequel il avait pratiqué, le même jour, la
section sous-cutanée de quarante-deux muscles, tendons ou ligaments,
pour remédier à une difformité articulaire. Le malade n'avait pas pro-
féré une plainte pendant le cours de cette opération, qui n'avait pas duré
moins d'une heure, et le cinquième jour toutes les plaies étaient cicatri-
sées. De pareilles hardiesses prouvent au moins l'innocuité des plaies
faites par les instruments piquants, quelque anfractueuses, quelque éten-
dues qu'elles soient dans leur profondeur, à la condition que l'ouver-
ture faite à la peau soit petite et qu'on la ferme sur-le-champ. La péné-
tration de l'air est, en effet, le seul obstacle à lia réunion et à la cicatri-
sation immédiate des tissus divisés ; c'est sa présence qui enllamme les
plaies, et nous ne comprenons pas que ce fait si simple et pour nous si
évident ait pu donner naissance à tant de contestations.
Le contact de l'air atmosphérique est fatal aux tissus vivants ; partout
où ce conflit doit s'établir la nature a mis une barrière : l'épidcrmc pour
la peau, l'épithélium pour les muqueuses; quand cette enveloppe est
détruite, une douleur cuisante, une inflammation vive, se manifestent à
l'instant sur les parties dénudées. C'est ce qui se produit lorsqu'on
enlève l'épidcrmc à la surface d'un vésicatoire ou d'une brûlure au second
degré. La chimie nous enseigne que tous les liquides organiques restent
immuables dans leur composition tant qu'ils sont contenus dans des
cavités closes, qu'ils s'altèrent et se décomposent aussitôt qu'ils ont le
contact de l'air. Les fractures, les luxations, s'accompagnent de délabre-
PLAIE. —
P. PAR INSTRUMENTS PIQUANTS.
855
unents très-étendus, et cependant lorsque la peau est intacte, les phéno-
; mènes de réparation s'accomplissent sans accident sous cet abri protec-
teur, et les infiltrations sanguines se résorbent sans que l'inflammation
intervienne, sans qu'il se forme une goutte de pus. Les plaies faites par
les instruments piquants ne sont donc pas dangereuses par le fait seul de
leur étroitesse et de leurs sinuosités; lorsqu'elles sont simples, il suffit
de les respecter et d'en fermer l'ouverture, pour obtenir une prompte
guérison ; mais une foule de causes peuvent en changer les conditions et
aggraver le pronostic.
Nous n'avons parlé jusqu'ici que de plaies nettes, franches, exemptes
de corps étrangers; mais les instruments vulnérants sont souvent de
forme irrégulière; ils présentent des aspérités qui déchirent les tissus,
au lieu de les écarter, comme les aiguilles, ou de les diviser nettement,
comme les ténotomes : parfois ils sont recouverts de matières irritantes,
qu'ils introduisent avec eux et qu'ils déposent au fond des plaies ; ils peu-
vent même être imprégnés de substances toxiques ou virulentes, et nous
aurons l'occasion de revenir, plus tard, sur ces plaies empoisonnées:
pour le moment, nous n'envisageons que le cas où la piqûre a été faite
par un corps hérissé d'aspérités ou malpropre, et, dans ces conditions,
il n'est pas rare de voir la plaie s'enflammer. Si elle est superficielle, si
elle siège dans des parties peu sensibles, il n'en résulte qu'un retard
pour la guérison ; mais il n'en est plus ainsi lorsque la région intéressée
est très-vivante,' très-vasculaire, et qu'elle présente des plans fibreux,
résistants. On sait combien les panaris sont fréquents à la suite des piqûres
aux doigts, et chacun connaît les dangers que présentent les phlegmons
profonds de la paume de la main, lorsqu'ils surviennent dans les mêmes
circonstances (Voy. Main (Phlegmon delà), t. XXL p. 55G). La plante
du pied est souvent le siège des mêmes lésions, chez les gens qui mar-
chent sans ebaussures. C'est habituellement un fragment de verre, un
clou ou une éebarde qui cause la blessure ; cet accident est commun à
bord des navires, et il a parfois des conséquences sérieuses, sans présen-
ter cependant la même gravité qu'à la paume de la main. Nous n'insis-
terons pas sur la marche de ces complications, qui ont été décrites dans
d'autres articles.
Les régions dont nous venons de parler sont celles qui réalisent au
plus haut degré les conditions anatomiques propres à faire éclater l'in-
flammation et même l'étranglement, à la suite des piqûres ; mais il est
d'autres points de l'économie où le pronostic de ces lésions emprunte
également un certain caractère de gravité aux tissus qui s'y rencontrent:
ainsi la blessure des gaines tendineuses peut occasionner des inflamma-
tions diffuses d'un caractère sérieux; celle des. nerfs, indépendamment
de la douleur vive qui en est la suite, cause souvent une paralysie par-
tielle ; lorsqu'elle renferme un corps étranger, elle expose à des névral-
gies persistantes et détermine parfois des convulsions épilepti formes,
précédées d'une aura qui part de la cicatrice; dans des cas rares, enfin,
on voit survenir le tétanos traumatique lui-même. La lésion des vaisseaux
84 l'bAlK. — P. PAU IM8TBOMEMT8 PIQUANTS.
sanguins peut occasionner la mort immédiate, si le tronc est assez vo-
lumineux, la formation d'un anévrysme faux primitif, circonscrit ou
artérioso-vcincux, suivant le calibre, le siège et les rapports des vais-
seaux intéressés ; enfin l'ouverture des articulations, celle des cavités
splanchniques, sont suivies d'accidents très-graves dont la description
ne saurait trouver place dans un article de généralités.
Les corps étrangers qu'on rencontre dans les plaies qui nous occupent
sont nécessairement d'un petit volume. Ce sont des aiguilles, de petits
éclats de bois, des hameçons, des épines, etc. Pour qu'on y trouve des
pointes d'épée, de poignard ou de couteau, il faut que ces armes aient
rencontré une résistance osseuse contre laquelle elles sont venues se bri-
ser. Dans ce cas, le fragment détaché est solidement enfoncé dans le tissu
osseux.
Le traitement des plaies par instruments piquants comporte la même
indication que celui des plaies par instruments tranchants. Quels quesoient
la profondeur et le siège de la blessure, il faut en fermer l'orifice. Cette
règle est d'autant plus absolue que les parties intéressées sont plus im-
portantes et le pronostic plus sérieux. Elie ne comporte qu'une seule
exception, c'est le cas où le corps vulnérant est resté dans la plaie. 11 faut
alors en pratiquer immédiatement l'extraction. S'il y a des doutes, le
chirurgien doit s'enquérir des commémoralifs, s'informer près du blessé
ou des personnes présentes de la direction de l'instrument vulnérant et
de la profondeur à laquelle il a pénétré. Il doit se le faire représenter,
quand la chose est possible, afin de s'assurer si la pointe est intacte.
Lorsque cette source d'informations vient à manquer, il devient néces-
saire de sonder la plaie avec ménagement, mais avec persistance, jusqu'à
ce que ce point de diagnostic soit bien établi. Dans la grande majorité
des cas, les corps étrangers abandonnés dans les plaies déterminent
une inflammation suppurative; c'est la règle pour les petits éclats de
bois engagés sous les ongles, pour les épines profondément enfoncées
dans les tissus. Nous avons vu survenir un phlegmon sous-aponévrolique
des plus graves chez un jeune homme qui s'était enfoncé une épine de
prunier sauvage dans le mollet, en traversant un buisson. Le corps étran-
ger avait été méconnu au moment de l'accident, et ne fut expulsé que
quinze jours après, avec la suppuration abondante à laquelle de larges
incisions donnèrent issue. Les fragments de verre, les pointes de cou-
teau, de poignard ou d'épée, sont plus facilement tolérés que les petits
corps de nature végétale. Les exemples en sont assez communs à la
suite des plaies de tète. On en trouve un des plus remarquables dans
le Traité des blessures par armes de guerre de Dupuytren. Il y est ques-
tion d'un jeune homme qui entra dans son service, à ITlôtcl-Dicu, pour
des douleurs de tète localisées sous une ancienne cicatrice du cuir che-
velu, résultant d'un coup de couteau reçu quelques années auparavant
dans une rixe. En palpant la cicatrice, Dupuytren sentit qu'elle était
soulevée par un corps étranger; une incision mit à découvert la poinlc
du couteau enfoncée dans le crànc. L'extraction en fut pratiquée à l'aide
PLAIE. — I'. PAR INSTRUMENTS PIQUANTS. 85
i du trépan, mais les accidents persistèrent; il s'y joignit une hémiplégie
i du coté opposé. Dupuytren incisa d'abord la dure-mère et n'obtint aucun
i résultat; il enfonça doucement alors le bistouri dans la substance céré-
Ibrale; un flot de pus s'en échappa, tous les accidents, fièvre, délire, som-
nolence, cessèrent comme par enchantement, et le malade guérit. En
laissant de côté ce qu'il peut y avoir de suspect dans le résultat merveil-
leux de cette opération, il n'en reste pas moins le fait d'une pointe de
.couteau enfoncée dans le crâne et y séjournant pendant de longues
. années, sans produire d'accidents inflammatoires.
Une observation plus surprenante encore est celle qu'on trouve citée
d'une manière inexacte dans tous les traités classiques de pathologie
externe, et que Berchon a rétablie, pièces en main (1861). C'est le fait
d'un forçat du bagne de Rochefbrt, qui a porté pendant de longues
années, dans la poitrine, un fragment d'épée de 85 millimètres de lon-
gueur, enclavé entre la première et la quatrième côte gauche, traver-
sant de part en part la tète de celle-ci et l'apophyse transverse de la ver-
tèbre correspondante. Nous avons eu souvent l'occasion d'examiner la
pièce anatomique, dans le musée de l'École de médecine navale de Ro-
chefort. Ce sont là, il faut le dire, des cas exceptionnels.
Lorsque le corps étranger n'a pas été extrait, il détermine, le plus sou-
vent, une suppuration de longue durée. La plaie reste fistuleuse, elle se
ferme et se rouvre tour à tour, puis le trajet finit par s'indurer et la
guérison ne s'obtient que lorsque l'expulsion du corps étranger a été
opérée par les efforts de la nature ou par la main du chirurgien. Parfois ,
après être resté longtemps inoffensif, il provoque tout à coup une inflam-
mation suivie d'un abcès dans le foyer duquel on le trouve en liberté.
Pour éviter ces accidents, il faut donc procéder à l'extraction toutes les
fois qu'elle est possible. Ce n'est pas toujours sans difficultés qu'on y
parvient, et les corps de petite dimension ne sont pas ceux qui en pré-
sentent le moins. Les fragments d'aiguilles enfoncés sous les téguments
demandent parfois d'assez longues recberches et sont difficiles à saisir,
les échardes échappent aux pinces , se brisent ou se morcellent sous leur
pression, et il est souvent nécessaire de pratiquer une petite incision
pour les dégager de leur trajet. Les hameçons sont d'une extraction plus
laborieuse encore. Lorsqu'on cherche à les retirer par leur ouverture
d'entrée, le crochet dont ils sont munis , sur leur concavité , s'enfonce
dans les tissus et oppose un obstacle absolument invincible. Il faut
recourir au procédé qu'on employait autrefois pour extraire les flèches
barbelées ; il faut pousser l'hameçon dans la direction suivant laquelle il
est entré, lui faire continuer son trajet curviligne eL en faire sortir la
pointe, en traversant la peau de dedans en dehors. Lorsque l'extrémité
est dégagée, on la coupe avec des tenailles incisives et le reste de ia tige
se relire sans difficulté par l'ouverture d'entrée. Quand le corps étranger
est solidement implanté dans le tissu osseux, lorsque la pointe d'un cou-
teau, par exemple, s'est brisée dans l'épaisseur du crâne et ne donne pas
de prise à l'extérieur, il devient nécessaire d'appliquer une couronne de
PLAIE. I". l'A" INSIIIUSIEMS 1MQUA.NTS.
trépan pour l'extraire. C'est ce que lit Dupuylren, dans le cas que nous
avons rapporté plus haut. Velpeau, dans sa Médecine 0|)ératoire, cite un
l'ait où l'extraction d'un corps étranger fut entourée de dilïicultés insur-
montables. 11 s'agissait d'une baguette de fusil qu'un - officier de la garde
nationale de Taris avait reçue dans le dos, pendant un exercice à l'eu.
Cette tige de fer était si solidement fixée dans la vertèbre qu'elle avait
traversée, qu'il fut impossible de l'arracher. Velpeau lit construire, par
Charrière, un instrument spécial pour la retirer; mais le blessé succomba
dans l'intervalle et c'est sur le cadavre seulement qu'on put en faire
l'application. Les observations de corps étrangers retenus dans les tissus
étaient beaucoup plus fréquentes autrefois, alors qu'on combattait surtout
à l'arme blanche. Ambroise Paré entre dans de longs détails au sujet de
leur extraction et cite, à cette occasion , la blessure reçue devant Boulo-
gne par le duc de Guise. La pointe de la lance, entrée au-dessous de
l'œil droit, était sortie entre la nuque et l'oreille; elle s'était rompue;
le fer et une partie du bois étaient restés dans la plaie ; il fallut, pour
l'exlraire, employer une grande force et recourir à des tenailles de maré-
chal, ce qui n'empêcha pas la guérison d'avoir lieu.
Lorsque la plaie ne renferme pas de corps étranger , il suffit d'appli-
quer sur son ouverture une mouche de taffetas d'Angleterre ou de spara-
drap, et de condamner la partie au repos. Dans la majorité des cas, lors-
qu'aucun organe important n'a été intéressé , la cicatrisation s'opère
rapidement et sans accident; lorsque, par suite d'une des causes que
nous avons indiquées , le trajet de la blessure vient à s'enflammer, le
chirurgien en est averti par un sentiment de douleur et de tension dans
la partie ; il survient du gonflement et de la rougeur autour de la plaie,
les bords de celle-ci se décollent et la suppuration se fait jour au dehors.
Il faut, en ce cas, recourir au traitement des plaies qui suppurent. Par-
fois, lorsque l'instrument vulnéraut a glissé sous la peau, les phéno-
mènes inflammatoires se manifestent sur un point du trajet éloigné de
l'ouverture, il y survient un véritable phlegmon qui se termine presque
toujours par un abcès dont l'ouverture est suivie d'une prompte gué-
rison.
Les choses ne se passent pas d'une manière aussi simple, lorsque la
plaie siège dans une région abondamment pourvue de nerfs, de vaisseaux,
et bridée par des aponévroses. Nous avons cité, pour exemple de cette
disposition, les doigts, la paume de la main et la plante du pied. L'in-
flammation alors se complique d'un véritable étranglement, et la suppu-
ration qui en est la conséquence presque fatale, au lieu de tendre à se
faire jour au dehors, fuse dans les gaines des tendons et donne lieu à
des accidents redoutables. Dans ce cas, il ne faut pas attendre, pour
agir, que la suppuration se soit formée. Lorsque les douleurs sont conti-
nues, tensives , accompagnées de battements et assez intenses pour
empêcher le sommeil, il faut recourir au débridcmenl des aponévroses
qui s'opposent à la libre expansion des tissus enflammés. L'incision pré-
maturée du panaris est le seul moyen de sauver la phalange qui en est
PLAIE. —
l>. l'Ait INSTRUMENTS CONTONDANTS.
S7
atteinte. La môme pratique esL indiquée au début des phlegmons pro-
fonds de la main et du pied.
Nous ne parlons pas des complications plus graves qui peuvent surve-
nir à la suite des plaies par piqûre, de l'érysipèle, du phelgmon diffus,
de l'infection purulente, de la lésion des gros vaisseaux, des articulations
ou des cavités splanchniqucs, parce que la conduite à tenir , en pareil
•cas, a été tracée dans d'autres parties de ce Dictionnaire.
III. Plaies par instruments contondants. — Les plaies de cette espèce
s'observent plus fréquemment, dans la pratique, que toutes les autres
réunies. Cela se conçoit, lorsqu'on réfléchit à la variété presque infinie
des causes qui peuvent les produire. Tout corps, quelle que soit sa forme,
pourvu qu'il ait un certain volume, un certain poids, et qu'il ait reçu une
impulsion suffisante, peut déterminer des plaies contuses. Les chutes, les
chocs contre des obstacles imprévus, les produisent également. Toutes
les découvertes de l'industrie moderne ont eu pour effet d'augmenter le
nombre de ces blessures et d'en accroître la gravité. L'emploi des ma-
chines dans l'industrie, la navigation à vapeur, les chemins de fer, leur
fournissent un formidable contingent, auquel viennent se joindre encore
les blessures produites par la poudre à canon et les projectiles qu'elle
met en mouvement, ainsi que celles qui sont causées par les substances
explosives d'invention moderne , qu'utilisent l'industrie et l'art de la
guerre.
Toutes ces lésions ont un caractère commun. Elles s'accompagnent toutes
d'un certain degré d'attrition, de lacération des tissus, et ces désordres
peuvent aller jusqu'au broiement le plus complet. Elles ne se réunissent
que par seconde intention, et la guérison, plus longue à obtenir que dans
les plaies précédemment étudiées, laisse après elle une cicatrice plus visi-
ble. A part cet air de famille, elles diffèrent aussi essentiellement, sous
le rapport de l'étendue, de la gravité et des conséquences, que les causes
qui les ont produites. Pour en faciliter l'étude, les chirurgiens les ont
divisées en deux groupes : les plaies contuses ordinaires et les plaies par
armes à feu. Nous ne nous occuperons que de ces dernières, les plaies
contuses ordinaires ayant été l'objet de développements suffisants à l'ar-
ticle Contusion (t. IX, p. 522).
Plaies par armes à feu. — On doit réserver ce nom aux blessures
produites par les projectiles. Celles qui résultent de l'action de la
poudre' en liberté, de l'explosion d'une gargousse , d'une poudrière,
d'une fabrique de dynamite; celles qui sont causées par l'éclatement des
fusils ou des canons, parles mines, par les torpilles, peuvent être des
blessures de guerre, mais ne sont pas des plaies par armes à feu. Le
caractère essentiel de ces dernières est l'extrême contusion de leurs
bords et de leur trajet, ainsi que l'ébranlement qui les accompagne.
L'aspect de la plaie, l'état général du blessé, sont tellement particuliers,
que les premiers chirurgiens témoins de ces étranges symptômes les
attribuèrent à un empoisonnement , qu'ils mirent sur le compte de la
oudre. C'est à Ambroise Parc que revient, comme on le sait, le mérite
S£ PLAIE. P. PAS INSTRUMENTS CONTONDANTS.
d'avoir dissipé celte erreur et fait renoncer en même temps aux pratiques
barbares qui en étaient la conséquence.
Les plaies d'armes à l'eu diffèrent suivant la forme et les dimensions
des projectiles qui les ont produites. Ces derniers sont, dans l'ordre de
leurs dimensions, les boulets, les éclats de bombe, d'obus, de grenades,
les biscaïens, les grains de mitraille, les balles de différents calibres, le
plomb de ebasse. Parfois le corps vulnérant n'a pas été lancé lui-même
par une arme à feu, mais il a été emporté par un projectile qui lui a
communiqué son impulsion. C'est ainsi que, dans les batailles navales,
les morceaux de bois ou de fer arracbés à la muraille du bâtiment cau-
sent autant de ravages que les projectiles eux-mêmes, et dans les sièges,
les combats d'artillerie, les hommes qui se tiennent près des pièces sont
souvent atteints par des fragments de pierre, par des cailloux que les
boulets et les obus font voler dans toutes les directions.
Les blessures qui se produisent dans de pareilles conditions sont
extrêmement variées; mais les différences les plus essentielles sont celles
qu'on observe entre les lésions faites par les gros projectiles sortis des
bouches à feu, et les plaies déterminées par les balles et les grains de
plomb que lancent les armes portatives. Elles sont assez importantes
pour exiger une étude à part.
A. Blessures faites par les gros projectiles. — Lorsqu'un boulet
atteint en plein la tête ou le tronc, la blessure est toujours mortelle et le
chirurgien n'a pas à intervenir ; mais il arrive quelquefois que le projec-
tile ne fait, pour ainsi dire, que les frôler, et l'on a vu des blessés sur-
vivre, après avoir eu une partie du visage , la mâchoire inférieure ou le
nez, par exemple, emportés, après avoir eu la hanche, les parois de
l'abdomen ou du thorax profondément labourées. Ces cas sont rares,
et les blessures faites aux membres par les gros projectiles offrent beau-
coup plus d'intérêt. Quand un boulet qui n'a encore rien perdu de sa
force initiale rencontre un membre sur son passage, il l'emporte, s'il
l'atteint en plein; il se borne à y produire une échancrure, s'il le saisit
par un de ses côtés. Dans le premier cas, la plaie est irrégulière et
comme mâchée ; la peau et les muscles, inégalement déchirés, présen-
tent une surface anfractueuse, noirâtre, à la surface de laquelle font saillie
des esquilles à demi détachées et les extrémités fracturées des os eux-
mêmes, d'où pendent des lambeaux de tissu fibreux et des bouts de nerfs
arrachés. Ce cas est assez rare , au dire de Legouest. La plupart du
temps, les membres sont fracassés, broyés, dilacérés sur la plus grande
partie de leur circonférence, mais tiennent encore appendus au tronc par
quelques débris de peau ou de muscles qui n'ont pas été complètement
arrachés. Lorsque le projectile prend un membre par le côté, il y creuse
une gouttière plus ou moins profonde et dont la largeur est en rapport
avec son calibre. Les bords de ce sillon sont renversés en dehors, frangés,
ecchymosés dans toute leur étendue ; sa surface est d'un gris rougeâtre,
irrégulière, couverte de tractus fibreux, de débris de muscles et d'aponé-
vroses.
PLAIE. — P. PAR INSTRUMENTS CONTOîiDANTS.
89
Ces horribles blessures donnent rarement lieu à une hémorrhngie
abondante; souvent même elles ne saignent pas du tout. Elles sont, à cet
égard, dans le même cas que les plaies par arrachement, et quand nous
parlerons de celles-ci, nous en indiquerons la cause. Toutefois, cette sus-
pension n'est pas toujours définitive; il n'est pas rare de voir reparaître
Phémorrhagie, lorsque la contraction de l'orifice cesse et que l'affaiblisse-
ment de la circulation, causé par la stupeur, vient à disparaître à son
tour.
Lorsqu'un membre a été emporté par un boulet ou assez fortement
échancré pour qu'il ne puisse pas continuer à vivre, l'indication est for-
melle : il faut procéder à l'amputation immédiate. Faite dans ces condi-
tions, après un traumatisme aussi violent, elle a beaucoup de chances
pour ne pas réussir; mais enfin c'est le seul espoir qui reste. L'am-
putation substitue une plaie régulière à la blessure inégale et déchi-
rée qu'a produite le boulet, elle prévient les accidents immédiats les plus
sérieux; elle épargne au blessé les longues suppurations et les fusées puru-
lentes remontant au centre du moignon. Elle doit être pratiquée sur des
tissus parfaitement sains, à une hauteur suffisante pour qu'on n'ait pas
à craindre de laisser dans le moignon des parties contuses ou déchirées,
et, avant de scier les os, il faut s'assurer qu'ils ne sont pas dépouillés de
leur périoste au delà du point où va porter la section, et qu'ils ne pré-
sentent pas quelques-unes de ces fêlures étendues que produisent sou-
vent les gros projectiles.
Lorsque le membre n'a été intéressé que dans une petite partie de sa
circonférence, que les os et les vaisseaux principaux n'ont pas été atteints,
il est possible d'en tenter la conservation ; mais la guérison ne s'obtient
dans ces cas qu'au prix d'un long traitement, et le résultat n'est jamais
bien satisfaisant. Ces blessures s'accompagnent de pertes de substance si
étendues qu'elles ne se réparent qu'avec la plus grande difficulté. La
cicatrice qui les recouvre adhère aux os et aux tissus sous-jacents ; elle
est mince, inégale, se déchire au moindre froissement, ne se reproduit
que pour se rompre de nouveau, et la plaie finit par dégénérer en un
ulcère qui persiste indéfiniment. Ces alternatives s'observent surtout
dans les régions abondamment pourvues de parties molles, comme les
fesses et les mollets.
Nous ne nous sommes occupé jusqu'ici que des blessures causées par
des projectiles animes de toute leur vitesse initiale ; mais les boulets
arrivés à la fin de leur course causent parfois des blessures mortelles,
sans laisser de traces extérieures. La peau est saine, tandis que les os, les
muscles, les vaisseaux et les viscères sont broyés. En voyant ces cadavres
intacts eu apparence, les anciens chirurgiens attribuaient la mort au vent
du boulet, mais cette erreur est depuis trop longtemps dissipée pour qu'il
soit nécessaire de s'arrêter à la combattre. Lorsque cette attrition n'inté-
resse qu'un membre, l'amputation reste comme dernière ressource, si
les désordres ne remontent pas jusqu'à sa racine : car dans ce dernier
cas, elle est le plus souvent impraticable.
<J() PLAIE. — I'. l'Ul INSTRUMENTS CONTONDANTS.
Les boulets de très-petit calibre, ainsi que les biscaïens, traversent
parfois les parties d'outre en outre. Dans ce cas, l'ouverture d'entrée est
habituellement plus petite et plus régulière que celle de sortie. Ces blessu-
res, à la gravité et aux dimensions près, présentent les mèrnes caractères
que celles «pie produisent les balles, dont nous parlerons plus loin.
Les plaies causées par les projectiles pleins sont rarement compliquées
de la présence d'un corps étranger. Vidal (de Cassis) cite pourtant le lait
d'un boulet de quatre livres logé à la racine d'un des membres inférieurs
et dont la présence aurait été méconnue par les premiers chirurgiens qui
examinèrent le blessé. Un fait plus surprenant encore est celui que le
baron Larrey a cité, le 18 octobre 1871, à la Société de Chirurgie. 11 est
relatif au général Auger, qui reçutdans l'aisselle, à la bataille de Solferino,
un boulet de six dont on ne reconnut la présence que le lendemain matin,
lorsqu'on pratiqua la désarticulation de l'épaule. Quant aux biscaïens
restés dans la plaie, les exemples en sont nombreux. Leur diagnostic est,
en général, facile ; leur extraction est soumise aux mêmes règles que
celle des balles, et le traitement de la blessure présente les mêmes indi-
cations.
Les projectiles creux font aujourd'hui, sur les champs de bataille, beau-
coup plus de victimes que les boulets et que la mitraille. Lorsqu'ils
éclatent, ceux qui s'en trouvent très-rapprochés sont littéralement mis
en lambeaux. C'est ce qu'on a trop souvent l'occasion d'observer dans les
ateliers où on les charge, et ce qui arrive encore, de temps en temps,
lorsqu'on découvre quelque obus échappé à la dernière guerre et que des
imprudents veulent le vider sans précaution. Les lésions produites à dis-
tance, par des éclats isolés, varient suivant la dimension des fragments
et la force d'impulsion dont ils sont animés. Pour peu qu'ils aient un cer-
tain volume, on peut leur reconnaître deux surfaces unies, l'une con-
vexe, l'autre concave, et des bords extrêmement irréguliers. Lorsqu'ils
frappent par leur face convexe, ils se bornent parfois à produire de fortes
contusions sans plaie, mais accompagnées de tumeurs sanguines énor-
mes et qui mettent très-longtemps à se résorber ; lorsqu'ils atteignent les
tissus par un des angles de leurs bords irréguliers, il en résulte des
plaies contuses, profondes, anfractucuses, déchirées, des fractures sou-
vent compliquées d'issue des os et d'attrition des parties molles. Ces
plaies recèlent souvent des fragments de projectile ou des lambeaux de
vêtement entraînés par eux. Ces fragments se dévient comme les balles,
et cela avec d'autant plus de facilité qu'ils sont animés d'un mouvement
moins rapide. Les exemples d'éclats de bombe et d'obus ayant séjourné
longtemps au milieu des tissus sans qu'on en ait reconnu la présence
sont tellement nombreux, qu'il n'est guère de chirurgien de nos jours
qui n'ait eu l'occasion d'en observer. Les blessures faites par les éclats
d'obus sont plus souvent suivies d'hémorrhagies que celles qui sont pro-
duites par les projectiles pleins, parce que les vaisseaux sont plus nettement
coupés par leurs bords tranchants que par les contours arrondis des bou-
lets et des biscaïens ; enfin, Legouest a remarqué que les enveloppes des
PLAIE. —
P. PAU INSTRUMENTS CONTOND \ N i s.
boites à niilniille donnent lieu à des blessures en'tout semblables à celles
que font les instruments tranchants.
Les plaies qui nous occupent ont un caractère de gravité sur le compte
duquel tout le monde est d'accord. Lorsque le fragment d'obus est resté
dans la plaie, il faut se bâter de l'en retirer. Scrive dit qu'au bout de
quelques beurcs il se développe dans la cavité qui le loge de l'hydrogène
sulfuré, dont l'action est extrêmement nuisible. Après l'extraction, ajoule-
t-il, les tissus affaissés, fortement contus et privés de vie dans leurs points
de contact avec les corps étrangers, ne reviennent plus sur eux-mêmes,
de sorte que l'excavation produite par le projectile persiste. Panas attri-
bue, à plus juste titre, selon nous, la gravité de ces lésions à l'excessive
contusion dont elles s'accompagnent et dont il est impossible, à priori,
de mesurer la profondeur et l'étendue. Il cite des cas dans lesquels des
tentatives de conservation, à la suite de fractures de la jambe par des
celais d'obus, ont amené les plus déplorables résultats, et il a adopté pour
règle de toujours amputer sans retard en pareille occurrence. Nous avons
pu constater nous-mème, sur les blessés de l'armée de la Loire (18 70-
1871), le peu de tendance de ces plaies à la guérison et la prédilection
que la pourriture d'hôpital semble affecter pour elles.
Il est un genre de blessures qui se rapproche des précédentes, etqui ne
s'observe guère qu'à bord des navires : ce sont celles qui sont faites par les
boulets de gros calibre, lorsqu'ils viennent se briser sur la volée des pièces
ou sur le can des sabords des bâtiments cuirassés. A l'attaque de MogaJor
(15 août 1844), un aspirant eut la moitié de la face emportée par un
fragment de boulet marocain qui venait de voler en éclats en frappant le
canon dont il surveillait le tir. A Kinburn, plusieurs hommes furent
blessés de cette manière, et, après l'a flaire, la batterie de la Tonnante
était pleine de débris de toute forme et de toute dimension, provenant
des boulets de vingt-quatre du fort russe, qui s'étaient brisés sur l'arête
vive de ses sabords.
Les blessures produites par les gros projectiles ou par leurs éclats pré-
sentent une complication qui ne s'observe que beaucoup plus rarement et
à un degré bien plue faible, à la suite des plaies laites par les balles. C'est
un état de stupeur borné, le plus souvent, à la partie sur laquelle le pro-
jecLile a porté, mais qui se généralise quelquefois. La stupeur locale est
caractérisée par l'engourdissement du membre lésé, qui devient froid,
insensible, pesant et inhabile à se mouvoir. La circulation s'y ralentit, s'y
suspend même dans quelques cas. A son degré le plus faible, cet état se
dissipe assez rapidement ; mais, lorsque la commotion a été plus forte, la
réaction qui survient ensuite est signalée par une congestion active et des
accidents inflammatoires suivis de suppurations profondes et diffuses.
Dans les cas les plus graves, la réaction ne se produit pas, et le membre,
après être resté comme mort pendant plusieurs jours, finit par tomber en
gangrène.
Lorsque le choc a été très-violent, la stupeur s'étend à l'organisme
tout entier. Le blessé, plongé dans une sorte d'hébétude, parait indifférent
g'g PLAIE. P. PAU INSTRUMENTS CO.NTONDANTS.
à loul ce qui l'entoure. Il est insensible et comme somnolent. La face est
pâle, L'œil fixe, la respiration profondé, la peau froide, le pouls faible,
lent concentré, souvent irrégulier. 11 survient parfois des mouvements
convulsifs, des nausées et des vomissements, et le malade succombe sans
que la réaction se soit produite; lorsqu'elle intervient, elle est souvent
entravée par le retour de la stupeur ; sa marebe est irrégulière, accompa-
gnée de frissons, de chaleurs fugaces, de délire et parfois d'une teinte
ictérique générale. En même temps on voit se produire du côté du mem-
bre lésé les phénomènes menaçants que nous avons indiqués plus haut.
Le sentiment de froid qui accompagne les grands traumatisme» n'est
pas seulement une sensation perçue par le malade, il consiste dans un
abaissement très-réel de la température générale, et le thermomètre l'ac-
cuse de la façon la plus nette. Sur trente-huit sujets blessés par des éclats
d'obus, pendant le siège de Paris, et observés par Deraarquayi ce chirur-
gien a constaté un abaissement de un à trois degrés. Chez l'un d'entre
eux le thermomètre est descendu jusqu'à 54°. Dans ces observations, la
diminution de la température a été plus marquée à la suite des blessures
causées par les éclats d'obus que clans toute autre lésion, et plus forte
chez les hommes de quarante ans que sur ceux de vingt. Elle s'est mon-
trée à son plus haut degré chez les fédérés qui faisaient un usage immo-
déré de l'alcool : ce qui s'explique par l'action dépressive de ce liquide
sur la température animale. Tous les blessés chez lesquels le thermomètre
est descendu à 55° sont morts, qu'ils aient été opérés ou non, et dans le
premier cas la réaction a toujours été nulle. Tous les chirurgiens pru-
dents sont d'accord sur la nécessité de s'abstenir de toute opération
grave, tant que la stupeur n'est pas complètement dissipée. Il laut atten-
dre que l'organisme ait pu se relever de l'ébranlement causé par le trau-
matisme, pour lui en imprimer un second; mais il peut rester des doutes
sur le moment opportun, et le thermomètre permet de les lever en fournis-
sant des indications précises. Jusqu'à ce que la température soit revenue
à l'état normal, il faut se borner à combattre la commotion, à réchauffer,
à ranimer le malade, et c'est alors seulement qu'il a repris complètement
possession de lui-même qu'il est permis d'agir activement, de pratiquer
les amputations ou les résections que peut nécessiter la blessure.
Quand les plaies par les éclats d'obus ne sont pas de nature à exiger
des opérations aussi graves, le traitement qu'elles réclament est celui des
plaies contuses au plus haut degré ; cependant elles présentent quelques
indications spéciales. Il faut d'abord, ainsi que nous l'avons dit, les
débarrasser des corps étrangers. Leur recherche est en général facile ;
l'ouverture d'entrée est toujours assez large pour qu'on puisse l'explorer à
l'aide d'un ou de plusieurs doigts, et les fragments de métal se rencon-
trent d'eux-mêmes. Dans quelques cas cependant nous avons vu qu'ils
pouvaient échapper aux recherches, et cela arrive surtout pour les frag-
ments de très-petite dimension et pour les lambeaux d'étoile que le tact
ne distingue pas facilement des tissus vivants au milieu desquels ils sont
engagés. Il faut se livrer à leur recherche avec persévérance et ne pas
PLAIE.
P. T'Ait IKSTRPMKNTS. CONTONDANTS.
95
craindre de multiplier les incisions, soit pour les découvrir, soit pour les
extraire sans déchirement. Lorsqu'un éclat d'obus a parcouru, sous la
peau, un trajet d'une certaine étendue, celle-ci est amincie, contusc et
dans de très-mauvaises conditions pour se réunir aux parties sous-ja-
centes. Il y a alors avantage à inciser le décollement dans toute sa lon-
gueur et à retrancher les portions de tégument trop altérées pour pouvoir
continuer à vivre. Lorsque la plaie a été ainsi simplifiée, on la lave à
plusieurs reprises avec de l'eau pure ou additionnée d'alcool, ou bien
encore avec une solution très-étendue d'acide phénique ; puis on procède
au pansement, en remettant en place les parties qui peuvent encore ser-
vir à combler la perte de substance, mais sans faire d'efforts pour les
rapprocher, sans tenter une réunion qui, dans ce genre de blessures, ne
peut s'obtenir qu'à la suite d'une longue suppuration. En raison même
de leurs fâcheux caractères, les plaies dont nous nous occupons récla-
ment plus souvent que les autres l'emploi des pansements antiseptiques,
dont les indications ont été posées dans un autre article (Voy. Pansement,
t. XXV, p. 729).
B. Blessures faites par les pelils projectiles. — On donne le nom de
petits projectiles à ceux qui sont lancés par les armes portatives. Ce sont
des balles de fusil, de pistolet, de revolver, des chevrotines, des grains
de plomb de différent calibre. Autrefois, tous ces projectiles étaient sphé-
riques et lancés par des armes à parois intérieures lisses. C'est en 1842
qu'on a commencé à employer les fusils rayés et les balles oblongucs.
Depuis lors, la forme de ces dernières a subi bien des modifications ;
cependant, aujourd'hui que toutes les armées régulières sont pourvues
d'armes à tir rapide, toutes les balles se ressemblent et ne présentent
entre elles que de légères dilfércnces de forme et de poids. Toutes sont
oblongucs, se forcent par le fait de l'explosion contre les rayures du fusil
et acquièrent, en suivant la spire décrite par celles-ci, un mouvement de
rotation sur leur axe, une force d'impulsion considérable et une portée
six fois plus grande que celle des balles sphériques. Les fusils ancien
modèle ne portaient pas régulièrement au delà de deux cents mètres, les
armes nouvelles atteignent des portées de mille et même de douze cents
mètres, avec une justesse suffisante. 11 en résulte, dans leurs effets sur le
corps humain, des différences dont nous aurons à tenir compte.
L'aspect et la gravité des plaies d'armes à feu dépendent de la forme et
du volume du projectile, de la force d'impulsion dont il est animé, delà
direction dans laquelle il atteint la partie qu'il frappe et de la nature des
tissus qu'il rencontre sur son passage.
Les balles mortes, c'est-à-dire arrivées à la fin de leur course, n'ont
plus assez de force pour pénétrer, et déterminent des contusions nette-
ment circonscrites, peu étendues et de forme circulaire. Si la peau qui
recouvre la région atteinte est voisine d'un os et que celui-ci résiste, la
membrane légumcnlaire est frappée de mort dans le point qui a reçu le
choc et il s'y produit une eschare arrondie, sèche, semblable à celle d'un
moxa. Cette eschare est lente à se détacher; clic tombe tout d'un bloc;
94 . PI/AIE. ' — P- PAR INSTRUMENTS CONTONDANTS.
la plaie qui on résulte suppure un certain temps et fait place à une
cicatrice blanche, légèrement déprimée et tout à l'ait caractéristique.
Lorsque, au contraire, la couche des parties molles sous- jaccnles est
épaisse, la peau est à peine altérée et les désordres siègent dans le tissu
cellulaire qui là double. Ces effets s'observaient beaucoup plus souvent à
l'époque où on se servait déballes spbériques; les projectiles oblongs
qu'on emploie aujourd'hui pénètrent plus facilement, à cause de leur
forme et de leur force d'impulsion.
Quand une balle animée de toute sa vitesse frappe très-obliquement
sur une surface large et plane, ou sur le sommet d'une partie saillante,
clic se borne souvent à produire une érosion qui peut parfois présenter
une grande longueur, ainsi que cela s'observe, par exemple, à la partie
postérieure du tronc. Ce n'est parfois qu'une traînée noirâtre où L'épi-
derme seul a été détruit, mais le plus souvent la peau est entamée dans la
plus grande partie de son épaisseur. Ces écorchures, dit Legouest, sont
en général très-douloureuses. Si la balle a pénétré plus profondément, il
en résulte un véritable sillon, dont les bords s'écartent, en laissant à
découvert les aponévroses d'enveloppe et les muscles qui , parfois même,
sont intéressés. La douleur est moins vive que dans le cas précédent.
Lorsque la direction du projectile est moins oblique, il perce la peau,
glisse dans le tissu cellulaire sous-cutané et va sortir à quelque distance,
en formant ce qu'on nomme une plaie en séton. Le trajet de ces blessures
est fortement contus; la peau qui le recouvre est amincie, ecchymosée;
elle se mortifie le plus souvent et, lorsque Teschare est tombée , le séton
se trouve transformé en un large sillon , à bords frangés et inégaux.
Enfin, quand la direction du coup de feu se rapproche encore davantage
de la perpendiculaire, le projectile s'enfonce profondément dans les par-
ties; s'il n'a pas une force d'impulsion suffisante, il s'y arrête et forme
ainsi une plaie en cul-de-sac, qui n'a qu'une ouverture et au fond de
laquelle on le trouve le plus souvent. Dans le cas contraire, il traverse la
région de part en part et y creuse un véritable canal qui présente deux
ouvertures, l'une d'entrée, l'autre de sortie.
La forme et la dimension respective de ces deux ouvertures ont donné
lieu à de longues discussions, et, quoique cette question n'ait guère
d'intérêt qu'au point de vue de la médecine légale, nous devons en dire
quelques mots. Autrefois il était admis en principe que l'ouverture d'en-
trée était toujours plus petite que celle de sortie, que la première était
ronde, déprimée et comme taillée à l'emporte-pièce, tandis que la
seconde était irrégulière, déchirée, à bords renversés en dehors et
frangés. Dupuytren avait établi cette règle, d'après des expériences faites
sur des corps inertes; elle avait été acceptée sans contestation et repro-
duite dans tous les livres classiques, jusqu'en 1848, époque à laquelle
les combats livrés dans les rues de Paris permirent aux chirurgiens des
hôpitaux de la soumettre au contrôle des faits. La discussion qui eut lieu
à cette époque à l'Académie de médecine, et à laquelle prirent part
toutes ^cs illustrations chirurgicales du temps, laissa la question indé-
PLAIE.
P. PAU INSTRUMENTS CONTONDANTS.
9&
, cise : cela s'explique par ce fait, aujourd'hui généralement admis, que la
■ dimension respective des deux orifices dépend de la l'orme et de la vitesse
ide la balle, de l'angle sous lequel elle frappe les parties et des obstacles
.qu'elle rencontre en traversant les tissus. Legouest nous parait avoir tenu
iun compte bien exact de ces différentes circonstances. D'après lui, les
ideux ouvertures sont de dimensions égales, lorsque la balle frappe la
peau sous la même incidence en entrant et en sortant, quand sa vitesse
inc diminue pas sensiblement dans le trajet et qu'ellç n'est pas déformée,
i quand la peau présente sur les deux points opposés la même épaisseur cl
I la même élasticité. L'ouverture d'entrée est plus petite que l'autre, quand
Ile projectile traverse des tissus de plus en plus denses, lorsqu'il s'est
■ détonné dans son trajet, quand il entre par la pointe et qu'il sort en tra-
wers, enfin lorqu'il frappe les parties perpendiculairement à son entrée et
i qu'il les traverse obliquement à sa sortie. L'ouverture d'entrée est plus
[grande dans les circonstances opposées, quand le coup est tiré de très-
[près, quand la balle entraîne avec elle la bourre ou des lambeaux
i d'étoffe détachés des vêtements, quand elle traverse des tissus de moins
ten moins résistants, lorsqu'elle entre obliquement et sort dans une direc-
Ition perpendiculaire, enfin lorsqu'elle se présente par son plus grand
diamètre à l'entrée , et par son plus petit à la sortie. Les observa-
l lions qui précèdent s'appliquent surtout aux balles oblongues, les
<seules qui soient maintenant en usage dans les armées européennes.
ILeurs effets ne s'éloignent pas sensiblement, du reste, de ceux que pro-
duisent les balles sphériques. D'après les observations de Legouest et de
?ses confrères de l'armée, les dimensions respectives des ouvertures sont
ssoumises aux mêmes règles dans les deux cas. Si, dans des circonstances
Itrès-rarcs, on a vu les balles oblongues produire des plaies linéaires, ce
liait exceptionnel a été également observé par Gutbrie jet par Legouest à
I la suite des blessures faites par les balles spbériques. On avait également
I exagéré, dans le principe, la gravité des lésions causées par les nouveaux
| projectiles. Après la campagne de Crimée, Scrive les accusa de déchirer
| plus largement les parties molles, d'exciter une inflammation trauma-
I tique plus considérable, d'amener fréquemment l'étranglement, la gan-
grène et la nécessité de l'amputation. On est revenu de celte prévention;
imais il faut remarquer que les balles oblongues dont on se servait pen-
(dant la campagne de Crimée, étaient d'un plus gros calibre que celles
'qu'on emploie aujourd'hui. Ainsi, pour ne parler que de l'armée fran-
çaise, les balles des carabines à tige, les balles évidées, les balles de
l chasseurs, pesaient 47 ou 48 grammes, tandis que la balle du chassepot
m'en pèse que '25. On comprend, d'après cela, que les premières aient
i causé de plus grands désordres que les secondes, puisque la gravité
• des blessures est en raison directe du poids et du volume du projectile.
Nous verrons plus tard que les balles oblongues sont moins sujettes aux
déviations que les balles sphériques et occasionnent de plus grands
fracas dans les os.
En traversant les parties, les balles rencontrent sur leur passage des
90 PLAIE. — p. pau instiiuments contondants.
tissus qui résistent d'une façon différente suivant leur densité, leur élas-
ticité et leur texture. Le tissu cellulaire cède facilement et se creuse en
formant un canal dont le centre est détruit ou morlilié. Les aponévroses
sont déchirées et souvent leurs fibres s'écartent pour laisser passer le pro-
jectile à travers une véritable boutonnière, dont les bords se rapprochent
ensuite et peuvent dissimuler son trajet. Les tendons, plus mobiles, échap-
pent souvent à l'action des projectiles. Les muscles se laissent traverser
et déchirer sans résistance, qu'ils soient à l'état de contraction ou de re-
lâchement. Cependant cette circonstance peut modifier la forme et la di-
rection du trajet. Les plexus et les cordons nerveux sont facilement
divisés, dilacérés par les projectiles. Les vaisseaux se comportent, diffé-
remment suivant leur calibre. Les capillaires froissés et déchirés ne don-
nent pas de sang; il en est de même des artérioles et des veinules, dont
les tuniques inégalement divisées se contractent et s'opposent à l'hémor-
rhagie. Les gros vaisseaux peuvent échapper à l'action du projectile, par
suite de leur mobilité latérale, mais le plus souvent ils sont coupés et
parfois même assez nettement. Verneuil a l'ait connaître, en 1871, à la
Société de Chirurgie, un certain nombre de faits qui démontrent que les
artères ne se comportent pas sous l'action des petits projectiles comme
elles le font dans les plaies par arrachement et dans les ablations de
membre par les boulets. Sur lespièces qu'il a montrées à la Société, elles
étaient nettement divisées et leurs tuniques étaient sectionnées au même
niveau. L'hémorrhagie avait été arrêtée par un caillot obturateur dont
l'extrémité faisait une légère saillie en dehors et dépassait la bouche du
vaisseau; mais il n'en est pas toujours ainsi, et nous verrons plus loin
que les lésions artérielles causées par des coups de feu donnent lieu à des
pertes de sang considérables et parfois même mortelles. La section des
vaisseaux est d'autant plus nette que la vitesse du projectile est plus
grande ; lorsqu'il a notablement perdu de sa force d'impulsion, il dé-
chire plutôt les tuniques qu'il ne les coupe; lorsqu'il est arrivé à la fin
de sa course, il se borne à les frapper de mort sans les diviser, et ce n'est
qu'à la chute des eschares que l'hémorrhagie se produit. Les cartilages
échappent parfois par leur élasticité à l'action des projectiles, mais le
plus souvent ils sont comme fracturés ou détruits.
Les effets produits par les balles sur les différentes parties du squelette
sont ceux qui offrent le plus d'intérêt dans la pratique et qui méritent
d'être étudiés avec le plus de soin. Ils varient suivant la forme et la
structure de l'os atteint, la direction dans laquelle il est frappé et la force
d'impulsion du projectile. Lorsqu'une balle animée d'une grande vitesse
frappe un os plat perpendiculairement à sa surface, clic le traverse, en
y pratiquant un trou à bords nets et comme taillé à l'emporle-pièce. Dans
ce cas, il n'y a pas d'éclats, pas de fracture rayonnante. Lorsque l'impul-
sion est moins forte, au contraire, l'ouverture osseuse est plus irrégulière,
et il en part des fêlures qui se dirigent en divers sens; souvent alors la
table interne éclate et des fragments aigus pénètrent dans les parties
sous-jaccnlcs. C'est ce qui s'observe à la voûte du crâne. Enfin la table
PLAIE. P. PAR INSTRUMENTS CONTONDANTS. 97
externe peut résister et la table interne se fracturer par contre-coup. Lors-
que le projectile arrive plus obliquement, il creuse dans l'os un sillon qui
peut être aussi le point de départ de fractures rayonnantes ; parfois il ne
détermine qu'une simple contusion du tissu osseux. Les extrémités spon-
gieuses des os longs et les os courts se comportent à peu près de la même
manière; ils se laissent traverser de part en part et sans qu'il s'y pro-
duise d'éclats, lorsque le projectile est animé d'une impulsion suf-
fisante. Le tissu subit alors un véritable écrasement; on ne trouve clans
le canal qu'une sorte de poussière d'os. Quand sa vitesse est moin-
dre, le projectile reste enclavé à une certaine profondeur, et, lorsque sa
direction est oblique, il se borne à creuser un sillon dans le tissu spon-
gieux. Les extrémités des os longs se laissent cependant moins facilement
traverser: elles éclatent souvent et les fractures pénètrent jusque dans
l'articulation voisine. C'est la règle pour les énarthroses, tandis qu'on cite
quelques exemples de balles ayant traversé les deux condyles du fémur
ou l'extrémité supérieure du tibia sans y produire de fêlure. Lorsqu'une
balle frappe un os long dans un point de sa diapbyse, elle le brise ordi-
nairement en éclats; souvent même elle le réduit en petits fragments
extrêmement multipliés. Ces effets sont plus souvent produits par les
balles oblongues que par les balles spbériques, à cause de leur force
d'impulsion plus grande. Ces graves désordres contrastent avec la béni-
gnité apparente de la plaie extérieure. On observe rarement des fractures
nettes à la suite des coups de feu ; il faut pour les produire que le projectile
soit arrivé à la fin de sa course. Il est plus rare encore que la diaphyse se
laisse traverser sans que l'os éclate ; il existe presque toujours des fê-
lures dirigées suivant sa longueur. Dans quelques cas, la balle pénètre
dans la cavité médullaire et tombe par son poids jusqu'à la partie in-
férieure de ce canal. Dans d'autres circonstances, elle reste enclavée
dans le tissu osseux ou serrée entre deux os voisins.
Les petits projectiles s'écartent souvent de leur route au contact des
os; parfois même des aponévroses épaisses, des tendons ou des ligaments
résistants, suffisent pour les faire dévier. Tous les auteurs en citent des
exemples et la plupart des chirurgiens ont eu l'occasion d'en observer.
Tantôt c'est une balle entrée par la région frontale qui glisse entre les os
du crâne et l'aponévrose épicrànienne pour sortir par la région lemporale
ou occipitale; tantôt c'est un projectile dont l'ouverture d'entrée est au-
devant du sternum, celle de sortie au niveau des gouttières vertébrales, et-
qui a parcouru la moitié de la circonférence de la poitrine sans y pénétrer;
on en cite qui ont fait le tour de la cuisse, en parcourant la moitié de sa
circonférence entre l'aponévrose d'enveloppe et la peau, d'autres qui ont
contourne le cou de la même façon, et on s'est évertué à ebereber la rai-
son d'un pareil phénomène. Lcgouest nous paraît en avoir donné l'explica-
tion la plus plausible. 11 attribue ces trajets circulaires à la rotation sur
leur axe dont les projectiles sont animés. Il se produit là quelque cliose
d'analogue à ce qui se passe sur le tapis d'un billard, lorsqu'une bille
renconlre la bande avec beaucoup d'effet contrarié : au lieu de s'écarter
Noirv. dict. m£d. et ciiiK. XXVIII. 7
(Jg l'LAllv P« l'Ait INSTllUJIKNTS CONTONDANTS.
de celle-ci d'après les lois de la réflexion, elle tend à s'en rapprocher sans
cesse en verlu de sa rotation sur elle-même et la suit jusqu'à ce que ce
mouvement soit éteint. Les balles spliériques peuvent seules se comporter
ainsi, et encore à la condition qu'elles ne soient pas déformées. Les balles
oblongues, animées d'un mouvement hélicoïde, n'ont encore, dit Legouest,
offert aucun exemple de ces déviations circulaires. Ce n'est pas à dire,
pour cela, qu'elles ne s'écartent jamais de leur trajet, ainsi qu'on l'avait
cru d'abord. En général, elles marchent plus droit que les autres parce
qu'elles ont une portée plus longue et qu'elles atteignent plus souvent
le but, avant d'avoir sensiblement perdu de leur force d'impulsion, mais,
dans le cours des dernières campagnes, tous les chirurgiens militaires
ont pu constater qu'elles se déviaient parfois de leur route. Leur forme
allongée, la pointe qu'elles présentent à leur partie antérieure, les dispo-
sent même à s'écarter de la ligne droite, quand leur vitesse a diminué
et qu'elles frappent des parties résistantes.
Les balles de plomb ne se bornent pas toujours à se dévier au contact
des os, souvent elles se déforment à la suite de ce choc. Tantôt elles
s'aplatissent et deviennent semblables à des pièces de monnaie; tantôt
elles se creusent de sillons profonds, de rainures ou de stries parallèles,
au fond desquelles on trouve de petits fragments osseux qui s'y sont in-
crustés; dans d'autres cas, après avoir causé la fracture de l'os, elles se
brisent contre ses saillies anguleuses ou tranchantes et se divisent en
plusieurs fragments qui poursuivent isolément leur route et donnent lieu
à plusieurs ouvertures de sortie, tandis qu'il n'y a qu'une ouverture
d'entrée. 11 peut arriver aussi que l'un des fragments sorte seul tandis
que les autres restent dans les tissus et que le chirurgien, induit en er-
reur par l'existence de deux ouvertures opposées, méconnaisse la pré-
sence des fragments de balle restés dans la plaie.
Les balles oblongues se déforment et se brisent comme les autres. Il y
a môme lieu de penser qu'en raison de leur vitesse elles se partagent sou-
vent en un plus grand nombre de fragments que ne le feraient les balles
spliériques ; toujours est-il que pendant la dernière guerre, on a observé des
faits de ce genre qui n'avaient pas été signalés auparavant. On a trouvé
sur les champs de bataille des blessés dont les plaies étaient littérale-
ment remplies de petits morceaux de plomb disséminés au milieu des
tissus, et ce fait adonné lieu à différentes interprétations. On s'est d'abord
accusé réciproquement d'avoir fait usage de balles explosibles, mais
cette allégation n'a pas tenu devant l'examen consciencieux des faits. On
a supposé, ensuite, que ce morcellement provenait de la fusion des
halles brusquement arrêtées dans leur course et de la transformation en
chaleur du mouvement dont elles étaient animées. Cette explication a été
proposée par Mulhaiiser. S'appuyant sur les calculs de Tyndall et d'Ha-
genhach, d'après lesquels une vitesse de quatre cents mètres produit, au
moment du choc, une température de cinq cent quatre-vingt-deux de-
grés, et partant de ce lait que le plomb fond à trois cent trente-quatre
degrés, Mulhaiiser en conclut que toute balle qui pénètre dans le corps
PLAIE. T. PAU INSTRUMENTS CONTONDANTS. 99
humain doit s'y fondre instantanément en cautérisant les tissus. Coze
(de Strasbourg) a adopté cette manière de voir, qui est trop évidemment
en opposition avec les laits pour qu'il soit nécessaire de la discuter. Nous
sommes encore moins disposé à mettre, avec Baudon, la friabilité des
balles sur le compte des insectes, et nous pensons, comme Legouest, que
le choc très-violent des projectiles contre les corps durs suffit pour rendre
•compte de leur fragmentation.
Les balles explosibles produisent des effets bien autrement sérieux,
•quand elles éclatent au milieu des tissus vivants. Elles ont été, comme on
le sait, inventées par Devisme, pour la chasse des grands animaux, et les
Américains en ont fait l'application à la pêche de la baleine. Des essais
faits à Paris et en Angleterre ont prouvé qu'elles peuvent être adaptées
aux armes de guerre sans nécessiter aucun changement dans celles-ci,
mais les résultats de ces expériences ont été tels, qu'en 1868 l'empereur
de Russie provoqua la réunion d'un congrès diplomatique à la suite du-
quel les grandes puissances militaires de l'Europe s'engagèrent à ne pas
s'en servir. Cette convention a été respectée. Dans aucun pays, il n'a été
délivré de projectiles de cette espèce à des corps d'armée. Il paraît cer-
tain qu'il en a été tiré dans le cours de cette dernière guerre, mais ce
sont là des faits individuels dont on ne saurait, sans injustice, faire re-
monter la responsabilité jusqu'aux gouvernements. Ils n'auraient du reste
aucun avantage à recourir à de pareils moyens. La fabrication en grand, la
conservation, le transport et le maniement de ces engins exposeraient à
trop de périls. Ils s'altèrent facilement et manquent souvent leur effet.
S'ils sont extrêmement sensibles, comme ceux qui ont servi aux expé-
riences anglaises, et qui éclataient en traversant de simples membranes,
ils constituent un danger de tous les instants pour ceux qui s'en servent;
s'il n'éclatent qu'au contact des os, comme ceux dont nous nous sommes
servi dans les expériences que nous avons faites nous-même à Lorient,
•en 1870, et qui sortaient des magasins de Devisme, ils manquent com-
plètement leur but, car sur le champ de bataille il ne s'agit pas de tuer
des hommes, mais d'en mettre le plus possible hors de combat, et toute
blessure compliquée d'une lésion osseuse suffit, quel que soit le projectile
qui l'a faite, pour entraîner l'incapacité de servir pendant le reste de la
campagne.
Les balles des fusils de chasse, des pistolets, des revolvers, produisent
•des effets semblables à ceux des armes de guerre, à la gravité près ;
celle-ci est d'autant moindre que le projectile est plus petit et que sa
lorce d'impulsion est plus faible. Les plombs de chasse, quclqu'en soit
le numéro, s'écartent en sortant de l'arme et couvrent une surlace d'au-
tant plus grande que le but est plus éloigné. A bout portant, le coup fait
balle, et les désordres sont considérables. A une distance plus grande
chaque grain de plomb pénètre isolément, mais, s'ils sont de gros cali-
bre et très-rapprochés les uns des autres, il peut en résulter des acci-
dents sérieux. Nous avons vu survenir chez un blessé qui avait reçu, à
huit mètres environ, un coup de fusil chargé avec du plomb n° 5, une
Iflfl PLAIE- P. PAU INSTRUMENTS CONTONDANTS.
gangrène de tout l'avant-bras qui nous força à pratiquer l'amputation
au-dessus du coude. Quand le coup est tiré à grande dislance, les grains
de plomb se bornent le plus souvent à traverser la peau sous laquelle ils
restent souvent sans occasionner de désordres. Enfin la bourre des armes
chargées à blanc et la poudre elle-même peuvent déterminer des bles-
sures sérieuses quand le coup est tiré de très-près. Les grains de poudre
qui ont échappé à la combustion pénètrent dans le tissu de la peau et y
produisent un véritable*tatouagc. Si l'explosion a lieu à bout portant, le
eboe des gaz qui s'échappent de l'arme peut occasionner des plaies con-
tuses d'une extrême gravité.
Les plaies d'armes à l'eu s'accompagnent rarement de douleur très-
vive. Le blessé, au moment où il est atteint, perçoit la sensation d'un
choc qu'il compare à un coup de bâton et qui est suivi d'un engourdisse-
ment, d'un sentiment de pesanteur dans la partie. Souvent, dans l'ar-
deur du combat, les soldats ne ressentent pas le coup, et ne s'aper-
çoivent qu'ils sont frappés qu'en tombant à terre, ou en constatant
l'impossibilité de mouvoir un de leurs membres. Pour que la douleur soit
intense, il faut qu'un ou plusieurs cordons nerveux aient été dilacérésou
incomplètement divisés. Dans ce cas, le blessé ressent des élancements,
des frémissements extrêmement pénibles qui s'étendent à toute la lon-
gueur du membre. L'ébranlement nerveux est beaucoup moins consi-
dérable qu'à la suite des blessures faites par les gros projectiles. La stu-
peur générale fait presque toujours défaut, sauf, bien entendu, dans les cas
de lésion du crâne, et la stupeur loca'e ne se traduit habituellement que
par l'engourdissement et le sentiment de pesanteur dont nous avons
parlé; mais, sur le champ de bataille, les blessés surpris au milieu de
l'animation du combat arrivent souvent à l'ambulance en proie à une
excitation des plus vives, à une sorte de délire qui se traduit par de la
loquacité, des mouvements incohérents, des rires ou des larmes, et qui se
termine le plus souvent par le sommeil ou par le relour au calme, après
que la blessure a été pansée. Lorsque cel état se prolonge, on en triom-
phe facilement à l'aide des antispasmodiques ou des narcotiques.
Les plaies par armes à feu ne sont pas en général suivies d'hémor-
rhagics abondantes, et nous en avons déjà donné les raisons. Dans la majo-
rité des cas, elles laissent s'écouler quelques gouttes d'un sang noir qui
se coagule promptement et dont il n'y a pas lieu de s'occuper, mais il
n'en est plus ainsi lorsqu'un vaisseau artériel de quelque importance a
été ouvert. Dans ce cas, l'Iiémorrhagie est la règle et elle est souvent
suivie de mort. Morard a sans doute été trop loin en disant que les trois
quarts de ceux qui perdent la vie dans une bataille périssent par suite
de la perle de sang, mais il résulte des recherches faites pendant la cam-
pagne de Crimée que ce genre de mort entre pour 18/00 dans la totalité
des décès causés par le feu de l'ennemi ; encore ne fait-on pas figurer dans
cette évaluation les hémorrhagies consécutives, à la suite desquelles tant
de blessés succombent. Nous reviendrons sur celte complication à l'occa-
sion du traitement.
PLAIE. — p. r.\n instruments contondants. 101
La marche et le pronostic des plaies d'armes «à feu diffèrent suivant
qu'elles sont simples ou compliquées. On considère comme simples celles
qui n'intéressent que la peau et les masses musculaires; comme compli-
quées celles qui s'accompagnent de la présence de corps étrangers, de
la lésion de nerfs, de vaisseaux ou d'organes importants, de la fracture
d'un ou de plusieurs os, et celles qui pénètrent dans les articulations ou
dans les cavités splanchniqucs. On peut voir survenir enfin, pendant
le cours du traitement, les accidents qu'il y a lieu de redouter à la suite
de toutes les blessures et qui constituent des complications nouvelles.
Les plaies simples marchent régulièrement vers la guérison, lorsque
leurs cours n'est entravé par aucun des accidents consécutifs dont nous
venons de parler. Dans les vingt-quatre heures qui suivent la blessure,
il survient un peu de gonflement et de chaleur dans la région que le
projectile a traversée; le trajet de la plaie devient plus sensible, les mou-
vements du membre plus pénibles et plus douloureux. Les deux ouver-
tures laissent suinter un peu de liquide séreux et roussâtre. Ces phéno-
mènes augmentent d'intensité pendant trois ou quatre jours, puis il se
produit une détente, la suppuration apparaît, un sillon éliminateur s'éta-
blit autour des eschares, qui se détachent du huitième au douzième jour,
en laissant à leur place une surface vermeille, couverte de bourgeons
charnus et sécrétant un pus de bonne nature. Les phénomènes inflamma-
toires disparaissent, puis la suppuration diminue et la cicatrisation s'opère.
Elle est complète au bout d'un mois ou six semaines. Ce terme ne peut
être considéré que comme une moyenne; il est des plaies qui se ferment
beaucoup plus vite que d'autres ; on en a même vu se réunir par première
intention ou du moins après une suppuration insignifiante. Les plaies
linéaires, celles qui sont peu profondes ou qui siègent à la face se cica-
trisent plus vite que celles qui présentent de longs trajets sinueux peu
favorablement disposés pour l'écoulement des fluides. L'état de santé du
blessé influe également sur la durée de la guérison. Rapide chez les
hommes vigoureux et bien portants, la cicatrisation devient interminable
chez les sujets affaiblis, anémiés,. et surtout chez ceux qui sont en proie
au scorbut ou à toute autre affection débilitante. En général, l'ouverture
de sortie se ferme la première.
Pour être certain qu'une plaie d'arme à feu est exempte de complica-
tions, il faut de tout nécessité en explorer le trajet. Dans quelques cas
rares, la vue et les commémoratifs suffisent pour établir le diagnostic,
mais cette exception ne fait que confirmer la règle. Lorsque la blessure
siège sur une partie encore recouverte de vêtements, il faut les en-
lever avec les plus grandes précautions et les couper ou les fendre, si
cela est nécessaire. Pendant qu'on déshabille le blessé, il arrive souvent
que le projectile tombe sur le sol, soit qu'il ait été arrêté par les vête-
ments, qu'il n'ait pénétré qu'à une petile profondeur et qu'il ait été
chassé par les mouvements ou par les contractions musculaires, soit enfin
qu'il ait repoussé devant lui la chemise du malade et qu'il s'en soit coiffé
comme d'un doigt de gant. Parfois enfin la balle reste collée aux vête-
10'2 PLAIE. P. PAU INSTRUMENTS CONTONDANTS.
monts et ne se retrouve que plus tard. Il faut être prévenu de ces parti-
cularités, afin de se mettre en garde contre les erreurs de diagnostic.
Avant d'explorer le trajet de la plaie, le chirurgien doit se l'aire rendre
compte de l'attitude du blessé au moment où il a été atteint, de la direc-
tion dans laquelle il a reçu le coup, et le placer dans la même position.
Sans cette précaution, les rapports des parties sont changés et leprojectile
peut échapper aux recherches. Les explorations doivent se l'aire avec mé-
nagement, mais avec persévérance ; la crainte de pénétrer dans une cavité
naturelle encore intacte, de provoquer le retour d'une hémorrhagie
en déplaçant un caillot, ou de causer des douleurs excessives, peut seule
imposer des limites à cette insistance.
L'indicateur de la main droite, lorsque les ouvertures sont assez larges
pour le laisser pénétrer, ou l'un des autres doigts de la même main dans le
cas contraire, suffisent le plus souvent pour explorer le trajet du projec-
tile et doivent toujours être préférés aux instruments, à cause de la net-
teté des sensations qu'ils recueillent. Les sondes et les stylets ne doivent
être employés que lorsque l'élroitesse de la plaie s'oppose à l'introduction
du doigt ou que sa profondeur ne permet pas d'arriver, parce moyen, à
en parcourir toute l'étendue. Ces instruments ne fournissent jamais des
notions aussi certaines et sont exposés à faire fausse route, à léser des
organes intacts et à causer de nouveaux accidents.
Les plaies d'armes à feu doivent être explorées aussitôt que possible.
Cette opération est beaucoup moins douloureuse au moment de l'accident,
alors que la partie est encore engourdie, quelle ne le serait plus tard. Au
bout de vingt-quatre heures, le gonflement inflammatoire a déjà rendu
les plaies plus sensibles et l'examen plus difficile. Ces règles ont été
adoptées par tous les chirurgiens d'armée. Il faut toutefois en excepter
Stromeyer, qui conseille d'attendre qu'on ail pu soumettre le malade
au chloroforme et de s'abstenir de toute exploration, lorsqu'il existe
une fracture à la diaphyse d'un os long et qu'on veut tenter la con-
servation du membre. La présence du projectile ne suffit même pas,
à ses yeux, pour autoriser l'introduction du doigt, parce que cette ma-
nœuvre déplace souvent les fragments osseux. Aucune des fractures par
coup de feu, que nous avons vues guérir à Floing, près Sedan, ajoute-
t-il, n'avait été explorée. (Stromeyer, Remarques, in Mac Cormac.
p. 128.) Nous ne pensons pas que cette réserve trouve beaucoup d'imi-
tateurs en France.
Lorsque le chirurgien s'est assuré qu'il n'existe pas de complication,
il lui reste à résoudre, avant de procéder au pansement, une question
qui a été l'objet de bien des controverses. C'est celle du débridement
préventif. Cette opération consiste à inciser le trajet parcouru par le
projectile, dans le but de prévenir l'étranglement des parties qu'il a tra-
versées. Conseillée par Ambroise Paré, adoptée par l'Académie de chi-
rurgie, elle répondait, d'après les idées de l'époque, à tant d'indications
importantes, qu'on en était arrivé à pourfendre lesmembres dans tous les
sens. Ravaton fut un des premiers à s'élever contre de pareilles exagéra-
PLAIE. — P. PAR INSTRUMENTS CONTONDANTS. 105
Irions; les chirurgiens militaires du premier Empire l'imitèrent et, tout en
.conservant une pratique qui cadrait avec leur chirurgie essentiellement
active, ils en tracèrent les indications et les contre-indications d'une ma-
nière beaucoup plus rationnelle. Dupuytren adopta leurs principes, Bégin
s'en montra le zélé partisan; mais, depuis, le débridement a trouvé dans
Baudcns un adversaire résolu, et la plupart des chirurgiens de Paris se
sont ralliés à ses idées, après les événements de 1849, imitant en cela
les chirurgiens anglais et les allemands, qui sont toujours restés fidèles
aux doctrines de Hunter et qui traitent les plaies d'armes à feu comme
les autres. Aujourd'hui le débridement a repris une certaine faveur
parmi les chirurgiens de l'armée française : Scrivc et Lustreman s'en sont
constitués les défenseurs après la guerre d'Orient, et Legouest, dont l'au-
torité est si grande en pareille matière, ne dissimule pas la prédilection
qu'il lui inspire: « En résumé, dit-il, nous sommes plus partisan du débri-
« dément préventif que de l'abstention, parce qu'il rend l'exploration plus
« facile et plus sûre, parce qu'en chirurgie il vaut mieux prévenir un dan-
« ger que de le laisser naître pour le combattre, parce que l'étranglement,
« moins commun en effet qu'on ne l'a dit, ne laisse pas que d'être très-fré-
« quent, enfin, parce qu'il met à l'abri de préjudiciables erreurs. » En par-
tant de ces principes, il donne le conseil de débrider loutcs les fois que
la plaie est profonde, située dans des régions dont les différentes couches
sont séparées par de fortes aponévroses et exposées à l'inflammation,
lorsque des incisions sont nécessaires pour permettre d'explorer complè-
tement le trajet du projectile, enfin, et à fortiori lorsqu'il s'agit d'aller
à la recherche d'un projectile ou de lier une artère pour remédier à une
hémorrhagie. 11 est vrai que, dans ce cas, l'incision n'a plus pour but de
prévenir l'étranglement des parties et ne peut, par conséquent, plus porter
le nom de débridement. Cette petite opéiation se pratique avec un bis-
touri à pointe mousse conduit sur le doigt ou sur la sonde cannelée, si
le doigt ne peut pas être introduit, et, dans ce cas, ildoitétre substituéau
conducteur métallique, aussitôt que la dilatation de l'ouverture est suf-
fisante. Lorsque le bistouri est arrivé à la profondeur convenable, on in-
cise le trajet sur deux points opposés et parallèlement à l'axe du membre.
S'il se rencontre sur le trajet une aponévrose épaisse et résistante, il est
préférable d'y pratiquer un débridement multipJe. Dans tous les cas, il est
indispensable d'éviter la direction des nerfs et des vaisseaux d'un certain
volume, et c'est pour cela surtout que le doigt est le meilleur conducteur.
Cette manière de procéder ne ressemble en aucune façon à celle qui a
été proposée, en 1851, par un chirurgien allemand, G. Simon, et érigée
en méthode par Julian Chisholm, dans son manuel de chirurgie mili-
taire, à l'usage de l'armée des Etats-Unis. Cette méthode a pour but de
convertir les blessures par armes à feu en plaies sous-cutanées. Elle consiste
à cerner les deux ouvertures par des incisions elliptiques comprenant seu-
lement l'épaisseur de la peau qu'on dissèque ensuite dans une étendue
suffisante pour rapprocher les bords saignants de l'ellipse, et à les réunir
par la suture. Nous nous bornerons à indiquer, en passant, ce mode de
i 04 PLAIE. P. l'Ail JNSTIlUMENTS CONTONDANTS.
traitement contre lequel protestent à la l'ois le raisonnement et l'expé-
rience.
Les plaies simples ne sont pas les plus communes sur les champs de
bataille, et, parmi les complications qui peuvent se présenter, la plus fré-
quente, celle qui doit tout d'abord attirer l'attention, est la présence des
corps étrangers. Les projectiles sont ceux qu'on doit s'attendre à y ren-
contrer le plus souvent; après eux viennent dans l'ordre de fréquence les
lambeaux d'étoffe détachés des -vêtements, les fragments de cuir ou de
métal provenant de l'équipement, des objets contenus dans les poches du
blessé, des débris de bois ou de pierre que le projectile a poussés de-
vant lui. Le diagnostic de cette complication est souvent difficile. Lors-
que la plaie n'a qu'une ouverture, il y a des raisons pour penser que
le projectile y est contenu ; cependant il peut avoir été rejeté au dehors
par un des mécanismes que nous avons indiqués plus haut. Il arrive
parfois, au contraire, qu'une plaie qui présente deux ouvertures oppo-
sées n'en recèle pas moins un corps étranger, parce que le projectile
s'est brisé dans son trajet et y a laissé un de ses fragments. Pins sou-
vent encore il y a abandonné les lambeaux d'étoffe ou les autres corps
qu'il avait poussés devant lui. Le nombre des ouvertures ne peut
donc fournir que des notions incertaines, et c'est pour cela qu'il est indis-
pensable d'explorer toute plaie qui peut contenir un corps étranger.
Cette exploration se fait, comme nous l'avons dit, à l'aide du doigt. On le
fait pénétrer doucement, par de légers mouvements de vrille, et après avoir
fait prendre au malade la position qu'il avait au moment de la blessure.
Lorsque la plaie n'est pas très-profonde et que son trajet est rectiligne,
les projectiles se découvrent assez facilement. Ils se reconnaissent à
leur forme et à leur dureté. Parfois cependant la balle enveloppée dans
le tissu cellulaire, recouverte de débris de parties molles, ne donne pas
la sensation d'un corps métallique, mais plutôt celle d'une portion d'os
dans une situation anormale. Il est encore plus difficile de reconnaître
au toucher et même à la vue la présence des lambeaux d'étoffe. Ils ont la
consistance des tissus vivants, ils y adhèrent et le sang dont ils sont teints
leur en donne la couleur. Lorsqu'ils sont situés à des profondeurs qu'on
ne 'peut atteindre qu'avec la sonde, ils échappent souvent à l'examen,
tandis que les projectiles produisent sous le choc du métal une sensation
particulière sur laquelle on ne se méprend pas quand on l'a souvent
éprouvée. Il est vrai que l'interposition du sang, de lambeaux de tissus ou
d'eschares, empêche souvent le contact d'être immédiat et ne permet pas
de recueillir celte sensation.
Il ne faut pas se borner à explorer la plaie par son ouverture. Souvent
le projectile a traversé la région d'outre en outre et a été arrêté par les
dernières couches de parties molles ou même par la peau. Dans ce cas,
on le rencontre en palpant avec précaution le point diamétralement op-
posé à la plaie et en pressant doucement dans la direction de l'instru-
ment explorateur maintenu en place. Enfin, ce que nous avons dit de la
déviation des balles l'ait pressentir des difficultés d'un autre ordre. C'est au
PLAIE. P. PAR INSTRUMENTS CONTONDANTS. i 03
commémoratif et à ses connaissances en anatomie que le chirurgien doit
faire appel pour découvrir ou pour deviner le trajet flexueux que le pro-
jectile a dû suivre. La présence de ce dernier dans une région éloignée de
la blessure est parfois révélée par une ecchymose, une tuméfaction insolite
ou un peu de douleur à la palpation.
Lorsqu'un projectile se trouve enclavé dans un massif osseux, la sonde
rencontrant ce corps immobile ne parvient pas à le distinguer des saillies
voisines, résistantes comme lui. Il y a quelques années, ce point de dia-
gnostic a été l'objet de nombreuses recherches. C'était à l'occasion de la
blessure reçue par le général Garibaldi au combat d'Àspromontc. La balle,
après avoir fracturé la malléole interne du côté droit et ouvert l'articula-
tion, s'était logée dans la dépression placée au devant de la poulie de
l'astragale sur le col de cet os. Les chirurgiens italiens réunis près du
blessé, Riboli, de Negri, Prandina, Zanetti, Rizoli et Porta, avaient dé-
claré, d'un commun accord, que le projectile était sorti de la plaie. Néla-
ton, appelé au cinquante-neuvième jour de la blessure, reconnut la pré-
sence de la balle et en détermina la position. Arrivé à Paris, il fit confec-
tionner un stylet terminé par une petite olive en porcelaine blanche non
vernissée et l'envoya à Zanetti. Cet instrument, après avoir été introduit
jusqu'au corps suspect, ramena par le frottement une tache noirâtre
que l'analyse fit reconnaître pour du plomb. Les doutes qui restaient
encore dans l'esprit des chirurgiens italiens furent complètement dissipés
et la balle fut extraite quelque temps après. Le stylet de Nélaton est
resté dans la pratique; il est d un emploi facile, mais, une fois taché par
le métal., il est très-difficile à nettoyer. Pour obvier à cet inconvénient,
Lccomtc a proposé de remplacer l'olive du stylet explorateur par une
double curette à bords tranchants. Cette pince, en rapprochant ses mors,
détache quelques parcelles de métal qu'on peut ensuite examiner à loisir.
A la même époque, Fabre eut l'idée d'employer l'électricité pour la re-
cherche des projectiles.il inventa, dans ce but, un appareil que Trouvé a
simplifié et dont Gosselin s'est servi avec avantage pour découvrir une
balle enkystée qui séjournait depuis quatre mois dans les tissus. Cet
instrument a été adopté par la Société internationale de secours aux
blessés. En 1870, un médecin russe, Milliot, proposa de se servir d'une
sonde métallique vissée sur un électro-aimant portatif de Ruhmkorff.
Enfin la chimie a voulu payer aussi son tribut à ce genre de recherches.
'Deneux (de Saint-Calais) a soumis, en 1872, à l'Académie de médecine,
un moyen très-simple pour déceler à la fois la présence et la nature des
projectiles. Il consiste à toucher le corps suspect avec un pinceau trempé
dans un acide affaibli. S'il s'agit d'un métal, le pinceau fournit les réac-
tions qui lui sont propres, après quelques instants de contact ; si le
trajet est trop étroit pour laisser passer une tige exploratrice, on la rem-
place par une injection acide. Legoucst, chargé de faire à l'Académie de
médecine un rapport sur ce procédé, reconnut qu'il décelait facilement
la présence du plomb, que les résultats étaient moins probants quand il
s'agissait du fer et presque nuls pour le zinc, le cuivre et le bronze. En
100 PLAIE. P. l'Ail INsTIlUMENTS CONTONDANTS.
résumé, tous ces procédés sont ingénieux, mais ils nous paraissent trop
délicats et trop incertains pour pouvoir rendre de grands services dans
La chirurgie d'année.
La recherche des projectiles doit être faite avec persévérance; cependant
il est des cas où il faut savoir s'arrêter dans ces perquisitions. Le chirur-
gien est parfois retenu par la crainte d'ouvrir, avec les instruments d'ex-
ploration, une cavité splanchnicpie que la halle a respectée ou une articu-
lation sur laquelle elle a glissé. Il doit, dans d'autres cas, se résigner à
abandonner le corps étranger, lorsqu'il faudrait, pour le poursuivre, tour-
menter les parties, multiplier les perquisitions douloureuses et causer des
désordres plus graves que ceux que son séjour peut faire redouter. Nous
avons dû renoncer ainsi à la recherche de deux halles de pistolet, qu'un
de nos confrères avait reçues de la main d'un aliéné. La première l'avait
atteint au niveau du premier espace intercostal tout près du sternum ; la
plaie paraissait se diriger directement d'avant en arrière, mais il n'y
avait aucun signe de pénétration. Nous limes les débridements néces-
saires pour arriver jusqu'au projectile sans pouvoir le découvrir, et nous
nous arrêtâmes au moment où il était impossible d'aller plus loin sans
entrer dans la poitrine. La seconde balle était entrée dans le liane, et se
déroba, comme la précédente, à nos recherches. De ce côté aussi les signes
de pénétration faisaient absolument défaut. Nélaton, appelé deux jours
après, approuva notre réserve, et le blessé guérit sans accident, en con-
servant ses balles. Cette tolérance des tissus vivants pour les corps métal-
liques et notamment pour les projectiles en plomb est depuis longtemps
connue, ainsi que les migrations qu'ils opèrent à la longue sous l'in-
fluence de la pesanteur : il faut bien savoir, toutefois, qua ce sont là des
faits exceptionnels et qu'ils n'autorisent pas l'abstention systématique que
certains chirurgiens ont voulu ériger en règle générale. Sauf les cir-
constances particulières que nous venons d'indiquer, il faut rechercher
les projectiles et les extraire aussitôt qu'on les a reconnus.
Il est rare que l'extraction des corps étrangers puisse se faire à l'aide
des doigts, le plus souvent il faut recourir à des instruments spéciaux.
L'arsenal de l'ancienne chirurgie en renfermait un nombre considérable,
mais on les a complètement abandonnés, ils n'ont plus qu'un intérêt
historique et nous ne les décrirons pas. On ne se sert plus aujourd'hui
que des pinces dites dé balle. Elles ont la plus grande analogie avec
les pinces à polypes; leurs mors solides et résistants sont légèrement'
concaves, creusés de rainures profondes et percés de trous ; leurs bran-
ches très-longues sont entre-croisées de façon à s'écarter aussi peu que
possihle, afin de ne pas distendre le trajet de la blessure, tout en per-
mettant aux mors de s'ouvrir de la quantité nécessaire pour embrasser le
projectile. Lorsqu'il est saisi, la pince se maintient fermée à l'aide d'un
rivet dont l'une de ses branches est munie et de deux trous qui sont prati-
ques sur l'autre. Son articulation n'a pas d'entahlurc et chacune des tiges
isolées peut servir d'élévatoirc.
Pour introduire le tire-balle, on le fait glisser sur la face palmaire
PLAIE. — T. PAU INSTRUMENTS CONTONDANTS. 107
dde l'indicateur gauche préalablement porté jusqu'au fond de la plaie;
lorsque le bout de la pince a touché le projectile, on écarte les mors en
Mes poussant légèrement, et on saisit la balle en les rapprochant. Lors-
qu'elle est chargée, on retire le tout avec la plus grande précaution, de
façon à ne pas tirailler les libres musculaires ou aponévrotiques qu'on
aaurait pu saisir en même temps. On est averti de cet incident par la ré-
sistance qu'on rencontre et par la douleur qu'accuseje blessé. 11 faut alors
lâcher le projectile et tacher de le mieux saisir une seconde fois. H
(arrive souvent que la balle glisse et s'échappe des mors de la pince, soit
îau moment ou on ferme celle-ci, soit en traversant l'ouverture trop
étroite de quelque aponévrose profonde. Dans ce dernier cas, avant de
saisir de nouveau le projectile, il faut débrider sur le point où la résis-
tance s'est rencontrée. On éprouve parfois d'assez grandes difficultés à
eélargir suffisamment tout le trajet de la blessure. Nous nous sommes
litrouvé dans cet embarras, chez un soldat d'infanterie de marine qui
aavait été blessé au combat de Bazeilles. La balle avait pénétré par le trou
sous-pubien et était restée dans le petit bassin. Un long trajet fistuleux
ipermettait d'arriver jusqu'à elle; on la sentait mobile, il était facile de
lia charger, mais elle était arrêtée au niveau du trou ovale par l'étroilesse
<ldu trajet, limité d'un côté par la branche ascendante de l'ischion et de l'au-
iitre par des brides cicatricielles. Pour élargir cet étroit passage, il fallait
1 inciser ces brides, au risque de léser une artériole, ou bien attaquer la
Ibranchc osseuse. C'est à ce dernier parti que nous nous arrêtâmes. Avec la
jgouge et le maillet nous pratiquâmes un échancrure qui nous suffit pour
oextraire sans effort la pince et le projectile qui séjournait depuis six mois
■ dans la plaie.
L'extraction des balles oblongues n'est pas plus difficile que celle des
! balles sphériques. C'est à tort qu'on a recommandé de les saisir par leur
I plus grand diamètre. Cette façon d'agir nécessiterait un écartement des
i mors de la pince qui pourrait avoir de sérieux inconvénients. Le l'ail est
que dans la plupart des cas on saisit les projectiles et les corps étrangers
iconime on peut. L'essentiel, comme le dit Legouesl, c'est de les bien tenir,
jafin qu'ils ne s'échappent pas pendant les manœuvres de l'extraction.
Lorsque la balle a traversé le membre presque de part en part, ou
qu'elle a subi des déviations telles, qu'elle est fort éloignée de son ou-
verture d'entrée, il y a plus d'avantages à l'extraire par une contr'ouver-
tuic que par la voie qu'elle a parcourue. L'incision doit être pratiquée
sur le point où le projectile se fait le plus nettement sentir. Le chirurgien
divise les tissus couche par couche, en s'aidant de l'indicaieur gauche
pour guider le bistouri et l'ait soutenir par un aide les parties opposées à
la contr'ouverture, afin d'empêcher le projectile de fuir. 11 faut découvrir
largement celui-ci, inciser avec le plus grand soin le tissu cellulaire et
les brides fibreuses qui le recouvrent, pour pouvoir le charger et l'extraire
d un seul coup, sans tiraillements et sans violence. Lorsqu'il y a une
grande épaisseur de tissu à diviser, on a proposé, pour frayer la route au
bistouri, de se servir de la soude à dard, usitée dans la taille hypogas-
îos
PLAIE.
P. PAR INSTRUMENTS CONTONDANTS.
trique, ou d'un long trocart comme ceux dont Chassaignac se servait
pour le drainage; ces moyens, parfois dangereux, ne sont indiqués que
dans des cas tout à fait exceptionnels.
Lorsque les balles sont profondément engagées dans le tissu osseux,
les pinces ne suffisent pas pour les extraire. Il en est de même lors-
qu'elles sont enclavées entre deux os. Il faut alors recourir à des
instruments spéciaux. Ceux qui sont usités en pareil cas sont les
élévatoires, le lire-fond, le trépan, la gouge et le maillet. L'éléva-
toire, conduit par l'indicateur gauche, agit comme un levier, pour
ébranler, soulever et déplacer la balle, mais il n'a de prise sur elle que
lorsqu'elle est peu profondément incrustée, et qu'elle a conservé une
certaine mobilité. Le tire-fond, sorte de vrille terminée par un double
pas de vis tranchant, est d'un usage encore plus restreint. Legouest, qui
l'a souvent employé, n'en a jamais obtenu de résultats satisfaisants, et,
parmi les nombreux projectiles extraits des os qu'il a eu l'occasion d'exa-
miner, il n'en a pas rencontré un seul qui ait été enlevé avec le tire-fond.
Nous ne nous arrêterons donc pas à décrire le mode d'emploi d'un
instrument aussi défectueux. Le trépan s'applique, soit en embrassant
avec sa couronne la balle elle-même de manière à l'enlever avec l'anneau
osseux qui l'entoure, soit en pratiquant à côté d'elle une ouverture qu'on
agrandit ensuite avec la gouge et le maillet et par laquelle se fait l'ex-
traction.
11 nous reste à parler maintenant des complications qui résultent de la
lésion des nerfs, des vaisseaux et des os, de l'ouverture des articulations
ou des cavités splancbniques. La lésion des troncs nerveux s'accompagne
toujours de troubles immédiats de la sensibilité et du mouvement ; leur
section complète entraîne des paralysies presque toujours incurables,
parce que les extrémités contuses et déchirées se réunissent isolément et
sont comme perdues au milieu de la cicatrice. Nous n'insisterons pas sili-
ces phénomènes, parce qu'ils ont été longuement étudiés dans un autre
article (Voij. Neufs, lésions physiques, t. XXIII, p. 624). Nous passe-
rons rapidement, et pour le même motif, sur les conséquences des plaies
d'artères. Nous avons déjà signalé la fréquence des hémorrhagies à la
suite de leur blessure, et les dangers de celles qui se produisent, dans le
cours du traitement, alors que les eschares se détachent, ou sous l'in-
fluence de certains états dialhésiques, tels que le scorbut et la pourriture
d'hôpital. Dans ces circonstances, on voit même souvent survenir des
hémorrhagies en nappe qui ne tiennent pas à la lésion des gros vaisseaux,
et, pendant le siège de Paris, la plupart des chirurgiens ont remarqué que
ces hémorrhagies imprévues étaient les signes avant-coureurs de l'infec-
tion purulente. Quoi qu'il en soit, lorsqu'elles sont sous la dépendance
d'une lésion artérielle à laquelle il n'a pas élé porté remède au moment
même de la blessure, il faut se hâter d'aller à la recherche des deux
bouts du vaisseau qui donne et en pratiquer la ligature. Cette règle a élé
posée par Gulhrie et sa doctrine a fini par remporter sur celle de Du-
puylrcn, grâce à Nélaton, qui en a démontré la supériorité par ses expé-
PLAIE. P. PAR INSTRUMENTS CONTONDANTS. i 09
rienecssur les animaux et par les succès de sa pratique. Les chirurgiens
militaires français en ont reconnu les avantages pendant la campagne de
Crimée; les Anglais, après quelques hésitations, ont adopté la méthode
de leur compatriote; Stromeyer a fait de même, et aujourd'hui il n'est
pas de règle de chirurgie d'armée qui soit mieux établie. Malheureuse-
ment, elle est quelquefois inapplicable, par suite de l'état d'inflammation,
de gonflement, de délabrement des parties, ou en raison de la position
inaccessible de Tarière à l'endroit où elle a été lésée. Nous nous sommes
trouvé dans cette impossibilité en présence d'une lésion de l'artère
radiale chez un artilleur qui s'était fait partir un marron d'artifice dans
la paume de la main. Les parties molles du premier espace interosseux
avaient été détruites et l'artère ouverte au moment où elle passe entre les
tètes des deux premiers métacarpiens. On avait tamponné cette plaie
noire, anfractueuse, au fond de laquelle on ne pouvait songer à aller
chercher le vaisseau. Nous liâmes la radiale au lieu d'élection, et, quel-
ques jours après, l'hémorrhagic reparut. Il fallut lier successivement et
à d'a.sscz longs intervalles la cubitale et l'humérale; enfin, cinquante et
quelques jours après la blessure, nous yîmes survenir, par le même point,
une dernière hémorrhagic qui céda définitivement à une forte application
de fer rouge.
En parlant, des effets des projectiles sur les os, nous avons signalé la
gravité des désordres qu'ils occasionnent. Ces lésions participent tout à la
fois de la fracture et de la plaie d'os. Elles s'accompagnent d'une véritable
attriliou du tissu osseux sur le point que le projectile a frappé, de lon-
gues fêlures qui s'étendent en tout sens, d'esquilles dont les unes sont
entièrement détachées de l'os et dont les autres y tiennent encore. Les
premières sont libres et complètement privées de vie. Elles sont enfoncées
au milieu des parties molles ou retenues dans le foyer de la fracture.
Elles ont des bords tranchants, à cassure nette, à vive arête, et ressemblent
à des morceaux de porcelaine brisée. Ce sont celles que Dupuytren ap-
pelait esquilles primitives. Il désignait sous le nom de secondaires
celles qui, bien que mobiles, adhèrent encore à l'os par des tissus
fibreux ou des lambeaux de périoste, et qui finissent le plus souvent par
s'en séparer sous l'influence du travail pathologique. Enfin, il réservait
le nom de tertiaires aux esquilles qui, complètement adhérentes au
début et n'ayant subi aucun déplacement, peuvent, dans quelques cas,
continuer à vivre, mais qui sont le plus souvent frappées de mort au bout
d'un certain temps et deviennent alors de véritables séquestres. La nécrose
peut également s'emparer de l'extrémité des fragments, et cet accident
s'explique par le décollement du périoste, qui s'étend très-souvent au
delà du foyer de la fracture, ainsi que de nombreux exemples en ont été
cités à la Société de Chirurgie et notamment dans la séance du G dé-
cembre 1871.
Le diagnostic des lésions osseuses produites par les coups de feu est
rarement difficile. Indépendamment des signes communs à toutes les
fractures, on a, pour s'éclairer, l'exploration directe à l'aide du doigt. Elle
110 PLAIE. P. PAR INSTRUMENTS CONTONDANTS.
permet d'apprécier l'étendue des désordres, le nombre, le volume et le
îlegré de mobilité des esquilles. Ces blessures sont toujours d'un pronostic
«rave. Pour les chirurgiens militaires du commencement du siècle, une
fracture par coup de l'eu constituait, le plus souvent, un cas d'amputation.
La chirurgie d'armée est aujourd'hui devenue beaucoup plus conservatrice.
Le sacrifice du membre est toujours considéré comme indispensable dans
les fractures comminulives avec lésion des gros troncs vasculaires ou
nerveux, mais, lorsque les désordres causés par les balles ne portent que
sur les os, la conservation est la règle, et l'amputation l'exception. On
s'en abstient même au membre supérieur, dans le cas de plaie artérielle,
à moins que la brachiale n'ait été atteinte au-dessus de la naissance de
l'humêrale profonde. Au membre inférieur, la règle est plus sévère, mais
pour l'exposer il faudrait entrer dans la discussion des cas particuliers,
et c'est ce qui a été fait dans un autre article {Voy. Amputation, t. II, p. 89) .
Lorsque la conservation du membre a été décidée, la première indica-
tion qui se présente consiste à extraire les esquilles et à pratiquer pour
cela les incisions nécessaires, sans crainte de leur donner trop d'étendue.
A l'exception de Stromeyer, dont nous avons déjà cité l'opinion, tous les
cbirurgiens sont d'accord sur la nécessité d'enlever sur-le-champ les
esquilles primitives, mais les avis sont partagés en ce qui concerne les
esquilles secondaires. Percy et Larrey les laissaient en place, et Dupuy-
tren avait adopté cette pratique, contre laquelle Guthrie s'était déjà élevé.
Roux, Bégin et Baudens ont fait un précepte formel d'extraire immé-
diatement tous les fragments osseux libres ou adhérents. Les chirurgiens
français et les anglais s'y sont conformés en Crimée, et les allemands, à
l'exception de Stromeyer, ont fait de même dans leurs dernières guerres.
Legouest a exposé ce point de pratique avec sa lucidité habituelle, et les
raisons qu'il donne pour étayer le précepte de l'extraction immédiate
sont aussi convaincantes que possible. Il est certain qu'il faut renoncer à
leur ablation, lorsqu'elle entraîne de trop grands dangers et qu'elle né-
cessite des délabrements trop considérables, mais ce sont là des cas
exceptionnels.
L'extraction des esquilles doit se faire sans violence et avec les plus
grands ménagements. 11 faut se garder de les arracher, de déchirer, de
tordre les parties molles qui les retiennent encore et qui doivent être
coupées avec le bistouri ou les ciseaux. Quant à ménager le périoste, avec
l'espoir de le voir reproduire un os nouveau, c'est un conseil qu'il est
bon de suivre, lorsque la fracture est superficielle et que les esquilles
sont facilement accessibles, mais c'est là le cas le plus rare, el dans la
pratique on est le plus souvent obligé d'y renoncer, en raison des diffi-
cultés (pie présenterait une dissection aussi délicate, et de l'étendue des
incisions qu'elle nécessiterait, pour arriver le plus souvent à un résultat
négatif. Ou a donné le conseil de réséquer les extrémités des fragments,
lorsqu'elles sont anguleuses cl dépouillées de leur périoste, mais cette
pratique est le plus souvent inutile et peut avoir des inconvénients.
Lorsqu'une plaie d'arme à feu avec lésion des os a été débridée, dé-
PLAIE. T. PAR INSTRUMENTS CONTONDANTS. 111
barrassée avec soin des corps étrangers eL des esquilles, elle est réduite
.à la condition d'une fracture comrainutive ordinaire, avec pénétration de
l'air dans son foyer, et doit être traitée comme telle. Le premier soin
qu'elle réclame consiste dans l'application d'un appareil capable d'im-
mobiliser le membre tout en permettant de surveiller et de panser la
plaie. Cet appareil doit être appliqué sur le champ de bataille même et
avant le transport du blessé. La chirurgie moderne possède, pour atteindre
ce but, une grande variété de moyens qui ont été décrits et appréciés à
l'article Fractures, t. XV, p. 460.
11 nous resterait à parler d'un dernier ordre de complications immé-
diates résultant de l'ouverture des articulations et des cavités splanchni-
ques, mais ce sujet a été traité ou le sera dans d'autres articles, auxquels
nous nous bornons à renvoyer le lecteur.
Indépendamment des complications que nous venons de passer en revue
et qui résultent de l'action immédiate des projectiles, les plaies d'armes
à feu sont exposées à tous les accidents consécutifs qui peuvent survenir
dans le cours des blessures graves. Elles y sont même plus particulière-
ment disposées par la violente contusion qui les accompagne, par l'in-
flammation et les longues suppurations qui en résultent. Les phlegmons
profonds, les fusées purulentes, les trajets listuleux étendus, sont la
conséquence fréquente des désordres qui accompagnent la lésion des os,
et dans toutes les plaies d'armes à feu, même quand elles sont exemptes
de complications, on doit craindre l'explosion des accidents formidables
que font naître les grandes agglomérations de blessés. Dans ces conditions,
l'érysipèle, l'angéioleucite, le tétanos, la pourriture d'hôpital, l'infection
purulente, sont à l'état de menace permanente et constituent la princi-
pale cause des revers que la chirurgie d'armée a si souvent à déplorer.
Nous ne faisons que signaler ces accidents, malgré leur importance, parce
qu'ils ne présentent rien de particulier dans le cas qui nous occupe et
que chacun d'entre eux a sa place marquée et son article spécial dans ce
Dictionnaire.
Il nous reste peu de chose à ajouter à ce que nous avons dit déjà sur
le traitement des plaies d'armes à feu. Lorsqu'on a pratiqué les débride-
ments nécessaires, arrêté les hémorrhagies, enlevé les corps étrangers et
les esquilles, il ne reste plus qu'à panser le malade et à le placer dans les
meilleures conditions hygiéniques pour assurer sa guérison. Le pansement
doit être aussi simple que possible. On a depuis longtemps renoncé aux
tentes, aux sétons, aux baumes et aux onguents si chers à l'ancienne
chirurgie ; la plupart des chirurgiens d'armée n'emploient plus d'autre
topique que l'eau froide. On la trouve partout, elle permet de mainte-
nir la plaie dans un état de propreté constante, elle modère l'inflam-
mation, et les blessés peuvent humecter eux-mêmes les pièces de leur
appareil lorsqu'ils en sentent le besoin. L'eau froide peut être employée
sans inconvénient jusqu'à la cicatrisation complète ; il ne faut y renoncer
que lorsque la suppuration est à peu près tarie ou lorsque la surface
traumatique devient blafarde. Il est, toutefois, des circonstances dans
M S PLAIE. — r. l'An aui:aciu:mi:kt.
lesquelles ce pansement si simple ne suffit pas. Dans les ambulances et
dans les hôpitaux encombrés, lorsque les complications que nous avons
indiquées régnent épidémiquement au milieu des blessés, lorsqu'on un
mot on est obligé de les traiter dans un milieu infectieux, il est néces-
saire de recourir aux pansements antiseptiques, et l'acide phénique est
le désinfectant qui a donné jusqu'ici les meilleurs résultats (Voy. Panse?
MENTSj t. XXV, p. 747).
Les irrigations continues, la glace même, trouvent aussi leurs applica-
tions dans quelques cas spéciaux; on en obtient de bons résultats dans les
plaies d'armes à feu des articulations et notamment dans celles de la
main et du pied, mais ce mode de traitement, qui demande une grande
surveillance et l'emploi d'appareils un peu compliqués, ne peut être mis
en usage que dans les hôpitaux et ne saurait, par conséquent, rendre de
grands services en chirurgie d'armée.
On a bien rarement l'occasion de recourir aux émissions sanguines. La
saignée générale, dont les anciens faisaient un si large emploi, est tombée
en désuétude. On n'a même presque jamais recours aux sangsues, aux-
quelles Baudens accordait encore une si grande confiance. La pratique
moderne est dominée, à juste raison, par la crainte de l'anémie et de l'épui-
sement, auxquels les blessés par les armes de guerre sont, presque fata-
lement voués, lorsque leur guérison se fait attendre et que leur séjour
dans les hôpitaux se prolonge. Au lieu de leur faire perdre du sang, on
ne songe qu'à soutenir leurs forces, et, les premiers accidents dissipés,
la fièvre traumatique passée, on les soumet à un régime aussi fortifiant,
aussi réparateur que possible. Une bonne alimentation, un air pur, une
propreté minutieuse, sont, en effet, les premières conditions d'une guérison
rapide ; malhcurçusement elles sont, le plus souvent, irréalisables, dans les
circonstances où ces blessures se produisent.
IV. Plaies pak arrachement. — On désigne sous ce nom les solutions
de continuité qui résultent de l'avulsion d'une partie du corps produite
par une traction violente. Quoique toutes les parties saillantes puissent
être ainsi arrachées, ce n'est qu'aux membres que ce genre de blessures
offre de l'intérêt. Elles ne sont pas fréquentes. Dans les traités classiques
leur histoire est tracée d'après quelques observations qu'on retrouve,
partout et qui ne sont pas suffisamment détaillées. Il a été pourtant
publié assez de faits, depuis quelques années, pour qu'on puisse l'aire une
étude plus complète de ces lésions.
Les plaies par arrachement sont plus fréquentes aux membres supérieurs,
cl ce sont les doigts qui en sont le plus souvent le siège. Dans le tome II
des Mémoires de V Académie de Chirurgie, on en trouve huit exemples
dont Sept ont été réunis par Morand» Nous en avons recueilli une quin-
zaine d'autres dans les recueils périodiques récents, cl notamment dans
les Bulletins de In Société de Chirurgie.
Dans l'ordre de fréquence, c'est la main qui vient ensuite; nous en
avons trouvé quatre observations ; puis l'épaule, dont il existe trois
cas bien authentiques, et enfin I'avant-bras, dont nous ne connaissons
PLAIE. P. PAR ARRACHEMENT. |113
.qu'un exemple. Au membre inférieur, ce sont aussi les orteils qui
sont le plus souvent arrachés; le pied vient après; nous n'avons
I trouvé qu'un seul fait d'arrachement de la jambe, et jamais on n'a
■ observé l'avulsion du membre inférieur tout entier. Si nous avons
cité des chiffres, ce n'est pas que nous ayons la prétention d'avoir
recueilli toutes les observations, ni le désir d'établir une statistique,
c'est seulement pour faire connaître le nombre de faits qui nous ont servi
à rédiger ce travail.
Les causes qui produisent l'arrachement des membres agissent toutes
d'après le môme mécanisme. Une violente traction s'opère sur une extré-
mité, le corps résiste par son poids ou par l'effort que fait le blessé, et la
déchirure s'opère à une distance plus ou moins grande du point où la force
a été appliquée. Le plus souvent, cette force est celle d'une machine dans
les engrenages ou dans la courroie de laquelle une partie du corps s'est
engagée. Parfois, c'est un nœud coulant, une corde qui s'enroule autour
d'un membre, l'entraîne et l'arrache lorsque le corps, arrêté par un
obstacle ne peut plus suivre le mouvement. C'est ainsi que fut emporté
le bras de Samuel Wood, le meunier, dont l'observation, publiée en 1758
dans les Philosophical Transactions, a été reproduite depuis par tous les
auteurs. Nous connaissons quelques exemples d'arrachement du pied
produit par le même mécanisme à bord des navires. Lorsqu'un homme
a l'imprudence démettre le pied dans le cercle formé par une manœuvre
roulée sur le pont et que celle-ci vient à se dérouler brusquement, la spi-
rale se resserre, l'homme, se sentant saisi, s'accroche instinctivement
au premier point résistant qu'il rencontre, et le pied est emporté. C'est
ordinairement en jetant l'ancre ou en amenant les huniers que cet [acci-
dent se produit.
Les gens qui conduisent des chevaux ont souvent les doigts arrachés
par la bride de l'animal, lorsque celui-ci fait un écart brusque. J. D. Larrey
a le premier signalé la fréquence de cette blessure chez les cavaliers qui
entortillent le bridon autour de leurs doigts lorsqu'ils mènent leurs che-
vaux à l'abreuvoir. Enfin, il existe dans la science un fait d'arrachement de
l'avant-bras survenu dans les tentatives faites pour réduire une luxation
de l'épaule. Les tractions avaient été opérées avec prudence par un chi-
rurgien d'un habileté reconnue, et la facilité avec laquelle le membre se
détacha ne peut s'expliquer que par une altération profonde des tissus
qui fut, du reste, constatée à l'autopsie.
Les plaies par arrachement ne présentent pas l'aspect hideux des bles-
sures faites par les gros projectiles, bien qu'il y ait quelque analogie
dans leur mode de production. Leur surface est inégale parce que les
tissus, n'ayant pas la même force de cohésion, ont cédé à des hauteurs
différentes, mais elle n'est pas noire et infiltrée de sang, parce qu'elle n'a
pas été contuse. La peau est le plus souvent amincie, frangée sur les
bords, parfois roulée sur sa surface saignante ; tantôt elle dépasse le ni-
veau des chairs et tantôt elle les laisse à découvert dans une certaine
étendue. Quand la lésion a été produite par la constriction d'un lien, les
HOUV. DICT. MÉD. ET CUIIl. f. XXVIIIg— 8
H4 PLAIE. — p. paii arrachement.
téguments sont quelquefois coupés circulairemenl et avec netteté. Les
muscles cèdent plus facilement dans leur masse charnue que dans leur
partie fibreuse, et la portion du membre qui a été détachée entraîne avec
elle de longs bouts de tendons accompagnés parfois de quelques fibres
musculaires. Ce fait est constant lorsqu'il s'agit de la main, des doigts
ou des orteils. Les portions tendineuses ont, dans ce cas, de vingt à trente
centimètres de longueur. Dans un fait rapporté à la Société de Chirurgie
par ll.Larroy,le tendon fléchisseur de l'index gauche attenant à la troisième
phalange mesurait trente-trois centimètres. Les nerfs présentent souvent
la même disposition. Huguier a rapporté une observation dans laquelle
la main, arrachée par une machine, avait entraîné vingt centimètres du
nerf médian, mais la partie détachée allait s'amincissant jusqu'à son
extrémité et ne contenait guère que du névrilème. Dans le fait d'ar-
rachement de l'avant-bras que nous avons cité, tous les nerfs du plexus
brachial avaient été détachés à une assez grande hauteur au-dessus du
plan général de la section. Il en est de même des artères dont le bout in-
férieur fait saillie à la surface du tronçon, tandis que le bout supérieur se
rétracte fortement vers la racine du membre et que son extrémité se
ferme de manière à mettre obstacle à l'écoulement du sang. Ce phéno-
mène remarquable tient à la manière dont les différentes tuniques se
comportent lorsquelles cèdent à la traction. L'interne et la moyenne, plus
fragiles, se rompent les premières et se recroquevillent à l'intérieur du
vaisseau; la celluleuse s'allonge, se distend, finit par céder en s'effilant.
comme le fait un tube de verre devant la lampe d'émailleur, et coiffe les
extrémités rétractées des deux autres. Le sang qui vient se heurter contre
cet obstacle s'arrête, se coagule, le caillot ainsi formé s'affermit et s'op-
pose d'une manière définitive à l'hémorrhagie. Le même phénomène se
produit, à plus forte raison, dans les vaisseaux de petit calibre et dans les
capillaires.
La plupart des auteurs et notamment ceux du Compendium de Chi-
rurgie ont avancé que la séparation s'opérait toujours dans une jointure.
Le fait n'est pas complètement exact. La fracture des os est signalée dans
la plupart des observations que nous avons consultées. L'omoplate était
rompue en travers chez Samuel Wood; la plupart des os du carpe étaient
brisés, dans l'observation citée par Huguier; chez la femme dont l'avant-
bras avait été arraché pendant les efforts de réduction, la partie supé-
rieure de l'olécrane était restée appendue au tendon du triceps, tandis que
la moitié postérieure du condyle de l'humérus, l'épicondyle et une por-
tion de l'épitrochlée, adhéraient aux muscles de l'avant-bras. Les mal-
léoles sont le plus souvent arrachées avec le pied, et, lorsqu'il s'agit des
doigts, les phalanges sont souvent fracturées.
Les plaies par arrachement ne sont pas douloureuses : Samuel Wood ne
s'aperçut qu'il avait perdu le bras qu'en le voyant passer dans la roue de
son moulin; l'enfant cité par Benomont n'était préoccupé que de la
crainte d'encourir les reproches de ses parents; les cavaliers qui ont les
doigts arrachés par la bride de leur cheval ne s'en aperçoivent pas tou-
PLAIE. P. EMPOISONNÉES. 115
jours au premier moment, mais, lorsque de longs bouts de tendons ont
accompagné la phalange, le blessé ressent souvent une douleur très-vive
au point où la séparation a eu lieu. Ces blessures ne saignent pas. Tous
les observateurs en ont fait la remarque, et nous en avons indiqué les rai-
sons. Il ne faudrait cependant pas croire à l'impossibilité d'une hémor-
rhagie, en pareille circonstance. Dans une des observations que nous
avons citées, au moment où l'avant-bras se détacha, un Ilot de sang cou-
vrit le chirurgien, qui s'empressa de lier l'artère.
Le pronostic des plaies par arrachement n'est pas aussi redoutable qu'on
pourrait le croire. En général, elles guérissent plus vite et sont suivies de
moins d'accidents que les amputations pratiquées au même point. On
attribue cette bénignité relative à la rétraction des vaisseaux, qui empê-
che l'écoulement du sang et son infiltration dans les tissus; quelques
chirurgiens ont même proposé d'ériger l'arrachement en méthode opé-
ratoire et de l'appliquer partout où la structure des parties peut s'y prêter.
Nous n'avons pas à nous occuper de cetle question, mais, tout en recon-
naissant que les suites de ces blessures sont le plus souvent bénignes,
nous rappellerons que Billroth a vu succomber rapidement un garçon de
14 ans qui avait eu le bras droit arraché par une roue de machine, que la
femme dont l'avant-bras s'était détaché sous l'effort de tractions chirurgi-
cales est morte, au bout de douze jours, d'infection purulente, et qu'il
n'est pas rare de voir survenir des acciJents du côté de l'avant-bras et de
la main, chez les gens qui ont eu des doigts arrachés avec leurs tendons.
L'inflammation remonte souvent le long des gaines vides et donne lieu à
des abcès qui retardent notablement la guérison.
L'indication que présentent ces blessures est simple. Elle consiste à
régulariser la section que la cause vulnérante a produite. Si les os sont
brisés comme cela arrive souvent aux phalanges, on en pratique la désar-
ticulation dans la jointure la plus voisine. S'il s'agit d'une extrémité ar-
ticulaire qui dépasse le niveau des parties molles, on en fait la résection à
une hauteur suffisante ; on coupe les bouts de tendons qui dépassent et on
régularise, 'si cela est nécessaire, les lambeaux cutanés. Quant aux artères,
il est inutile de s'en préoccuper, puisqu'elles se sont retirées au milieu des
chairs et que la disposition de leurs tuniques s'oppose à l'hémorrhagie.
Cela fait, on procède au pansement, comme s'il s'agissait d'une ampu-
tation.
V. Plaies empoisonnées. — Nous désignerons sous ce nom toutes les
plaies compliquées de l'inoculation d'un agent toxique, que ce soit un
venin, un virus ou un poison. Ces blessures sont essentiellement caracté-
risées par ce fait que la plaie, en elle-même, est sans importance, et
qu'elle n'a pas plus d'influence sur les accidents graves et souvent mor-
tels qui vont se produire que la piqûre de l'aiguille tubulée dans une
injection hypodermique.
Ces accidents diffèrent suivant la nature de l'agent toxique et sont tou-
jours semblables lorsqu'ils sont produits par le môme agent, quelle que
soit d'ailleurs l'étendue de la plaie. Les blessures dont nous allons nous
IIG PLAIE. P. EMPOISONNÉES.
occuper peuvent donc se ranger d.'ins trois catégories : celles qui résultent
de la morsure ou de la piqûre des animaux venimeux, celles qui sont pro-
duites par l'inoculation d'un virus, celles qui sont faites par des armes
ou des intruments imprégnés d'un poison proprement dit. Nous n'avons
pas à parler ici des plaies appartenant aux deux premières catégories,
parce que leur étude se rattache à celle des agents toxiques qui leur don-
nent leurs caractères spéciaux (Voy. Ciiauuon, Moiive, Race, Vipère, etc.).
Nous nous bornerons à dire un mot des plaies faites par les armes em-
poisonnées et des blessures des anatomistes, ces sujets rentrant plus par-
ticulièrement dans notre cadre et n'ayant pas été traités ailleurs.
A. Plaies faites par les armes empoisonnées. — La coutume d'em-
poisonner les armes de chasse ou de guerre a régné de tout temps chez
les peuples barbares, et de tout temps aussi cette coutume a été enlouréc
de pratiques superstitieuses dans lesquelles l'imagination a toujours eu sa
bonne part. Dans un travail rempli d'érudition qu'il a lu, le 2 novem-
bre 1877, à l'Institut, Lagneau a retracé l'histoire de ce passé toxicologi-
que depuis les temps préhistoriques jusqu'à nos jours; nous ne le sui-
vrons pas dans cette étude rétrospective et nous nous bornerons à aborder
la question telle qu'elle se présente aujourd'hui.
On ne trouve plus d'armes empoisonnées qu'entre les mains de quel-
ques peuplades sauvages. La plupart d'entre elles s'entourent, pour leur
préparation, d'un mystère qui laisse planer les plus grands doutes sur la
nature des substances employées. C'est le plus souvent au suc de plantes
vénéneuses qu'elles ont recours, et beaucoup de celles dont on cite les
noms sont trop peu actives pour déterminer la mort par une inoculation
de cette espèce. D'autres font séjourner leurs flèches dans des cadavres
putréfiés, ce qui né peut avoir d'autre effet que de leur communiquer les
propriétés septiques de nos instruments d'amphithéâtre ; il en est enfin
qui ont recours au venin des serpents ou à l'exsudation cutanée de
quelques espèces de batraciens. Si l'histoire de ces poisons est entourée
d'obscurité, celle de leurs effets sur l'homme l'est bien davantage encore;
toutefois, il est bien démontré, pour nous, que ces armes sont plus redou-
tables parla terreur qu'elles inspirent que par les blessures qu'elles font.
Lofait est assez important pour que nous n'hésitions pas à entrer dans
quelques détails, afin de le bien établir.
Parmi les peuplades de l'Afrique qui ont conservé l'habitude d'empoi-
sonner leurs flèches, on cite les Boschimans, les Holtcntots et les Pahouins.
Les premiers se servent, dit-on, de la chair de la Vipère à cornes, qu'ils
pilent jusqu'à en retirer un suc visqueux ; les seconds, d'un liquide ex-
trait des bulbes de quelques Amarillidacëes ou de certaines Euphpr&es;
les derniers, des graines de L'Inée ou Onaye, plante de la famille ûe&Apo-
cynces. Des expériences physiologiques ont été laites par Polaillon et (";n-
ville sur ce dernier poison, à l'aide de graines qui leur avaient été
apportées du Gabon par le docteur Vincent, médecin de première classe
do la marine. Ils se sont servis de l'extrait alcoolique et ils ont déter-
miné la mort chez les batraciens, les poissons, les oiseaux et nicinc chez
PLAIE. P. EMPOISONNÉES. 117
les petits mammifères, à l'aide d'injections contenant de 5 à 10 milli-
grammes de cet extrait. Il est douteux qu'en trempant la pointe de leurs
flèches dans le suc de ces graines grossièrement broyées les Pahouins
réussissent à leur communiquer des propriétés vénéneuses bien redouta-
bles, mais il est certain que, depuis plus de trente ans que nous occu-
pons le Gabon, jamais nos médecins n'ont eu l'occasion d'observer
une seule blessure empoisonnée de cette façon. Les Anglais du Cap et de
Port-Natal, qui ont souvent des engagements avec les Hottentots et les
Boschimans, n'en ont pas vu davantage.
Certains peuples de l'Inde empoisonnent, cfii-on, leurs flèches avec le
suc d'une plante de la famille des Moracées.' En Cochinchine, les Mois
trempent les leurs dans un extrait végétal qu'on dit assez actif, lorsqu'il est
récemment préparé, pour tuer un éléphant. Richaud, qui rapporte ce fait,
s'empresse d'ajouter que les blessures faites à nos soldats avec ces pré-
tendues flèches empoisonnées n'ont amené aucun accident et ont guéri
comme de simples plaies par instruments piquants.
Les sauvages de l'Océanie sont ceux dont les armes sont le plus redou-
tées. Les indigènes de Java et de Sumatra, ceux des Nouvelles-Hébrides,
des îles Santa-Cruz et Vanikoroo, ont à cet égard une réputation bien
établie. Les Javanais emploient Vapas antiar, qui provient de Vanliaris
toxicaria, famille des Urticées ortocarpées, et Vupas tieulé, fourni par
une espèce de strychnos. La récolte de ces poisons a donné lieu à des
légendes effrayantes, mais les Hollandais, qui ont eu de fréquents dé-
mêlés avec les Javanais, n'ont jamais observé de blessures empoison-
nées à la suite de ces engagements, et on ne trouve pas un mot qui y
soit relatif dans les travaux publiés par leurs médecins sur cette colonie.
A. Sumatra, tous les habitants sont armés de poignards dont les lames
sont presque toutes creusées de rainures longitudinales. Nous avons eu
l'occasion d'examiner sur les lieux un grand nombre de ces armes, et
nous n'avons jamais trouvé de trace de poison au fond de ces rainures,
ni entendu parler d'accidents particuliers survenus à la suite des bles-
sures faites par ces poignards. Enfin, dans leur guerre contre l'empire
d'Atjeh, où ils se sont maintes fois battus à l'arme blanche et où ils
ont eu plus de sept cents blessés, les Hollandais n'ont pas signalé un seul
cas de blessure empoisonnée.
Les flèches des indigènes des Nouvelles-Hébrides, de Santa-Cruz et de
Vanikoroo, ne sont pas plus redoutables, au dire du docteur A. li. Messer,
médecin de la frégate anglaise la Pearl. Il s'est livré à de longues
recherches sur ce sujet, pendant sa station dans l'Océan Pacifique, et il
n avait pu se procurer aucun renseignement de quelque intérêt, lorsque
les circonstances lui permirent d'apprécier par lui-même la valeur des
croyances qui régnent à cet égard. Le commodore Goodenough, un officier
et six hommes de la Pearl, furent attaqués à S;m!n-Cruz par les naturels
et blessés par leurs flèches. Tous les hommes de l'équipage étaient con-
vaincus que les plaies faites par ces armes étaient mortelles et que tous
ceux qui en étaient atteints devaient mourir du tétanos. Le commodore
118 PLAIE. — P. EMPOISONNÉES.
Lui-même, malgré la trempe solide de son caractère, ne pouvait se sous-
traire à l'obsession de cette pensée, et l'événement parut lui donner
raison, car il l'ut atteint du tétanos le cinquième jour, et mourut le
huitième. Deux de ses marins eurent le même sort : les accidents téta-
niques se montrèrent chez eux le sixième jour. Ainsi, sur huit blessés,
trois succombèrent à cette redoutable complication, mais, ainsi que le
fait observer le docteur Messer, elle est extrêmement commune dans
^Océanie, et il est impossible d'admettre que le poison y soit pour quel-
que chose, car il n'est pas de substance toxique dont les effets attendent
cinq ou six jours avant de se manifester.
Pour terminer cette rapide revue, il ne nous reste plus qu'à parler
des peuplades de l'Amérique méridionale qui habitent sur les bords de
l'Amazone et de l'Orénoque. C'est de là que nous vient le curare, ce
poison redoutable qui a été, de la part de Claude Bernard, l'objet de tra-
vaux si remarquables (Voy. Curare, t. X, p. 548). A l'époque où ré-
minent physiologiste poursuivait ses recherches, on ne connaissait pas
d'une manière exacte la composition de ce produit. On se demandait
encore s'il ne devait pas son activité au venin de quelque animal. On est
aujourd'hui bien fixé sur ce point. Gubler a publié dans le Journal de
thérapeutique du 25 avril 1879 un important article dans lequel il
démontre, à l'aide de documents récents, que le curare est un poison
végétal, et le docteur Crevaux, médecin de première classe de la marine,
qui explore, en ce moment, les bords de l'Amazone, a écrit le 10 mars
1879 au gouverneur de la Guyane qu'il avait découvert le mode de pré-
paration du curare et le végétal auquel il doit ses propriétés toxiques :
c'est une liane très-élevée qu'il a pu voir en fleur et dont il a envoyé
la photographie à Cayenne. En faisant macérer l'écorce de sa racine dans
l'alcool et en injectant le liquide à une poule, on la fait périr en trente
secondes. On comprend que des flèches imprégnées d'un pareil poison
puissent donner la mort à de petits animaux ; le fait est d'ailleurs incon-
testable. Il est logique d'admettre qu'il en arriverait autant chez l'homme,
s'il était atteint par un nombre suffisant de ces flèches et que leurs pointes
vinssent à se briser dans la plaie. Le fait est vraisemblable, mais il n'est
pas démontré. Nous n'avons pas pu, du moins, en trouver une seule ob-
servation concluante, car nous ne pouvons pas donner ce nom à celles
qui ont été publiées par le docteur Fernira de Lcmos (1867). Il y est
question de voyageurs attaqués sur les bords de l'Amazone par une
bande de sauvages. Sept d'entre eux furent blessés par leurs flèches. L'un
succomba au bout de quelques heures, mais il avait reçu trois blessures
à l'abdomen. Cinq autres ne ressentirent aucun symptôme particulier, et
l'auteur attribue cette immunité à ce qu'ils burent de l'eau salée et en
lavèrent leurs plaies. Le dernier éprouva des accidents bizarres dans le
détail desquels nous ne pouvons entrer, mais qui sont tout à fait diffé-
rents de ceux du curare, et il finit par guérir après avoir subi l'amputation
de la cuisse nécessitée par des hémorrhngics incoercibles dues à ce que
l'une des flèches avait lésé simultanément l'artère lihiale postérieure gau-
PLAIli. P. EMPOISONNÉES. 119
che et J'une de ses veines satellites. Ces observations n'ont rien de con-
cluant, et l'auteur avoue lui-même qu'elles n'ont pas toute la rigueur
scientifique désirable.
Les sauvages du Gboco empoisonnent leurs llècbes avec le venin sé-
crété parla peau d'une grenouille particulière au pays. A. Posada Arango,
qui a publié, en 1871, un travail très-savant sur ce sujet, la désigne
sous le nom de Pkyllobates Chocoensis. 11 a analysé le poison avec le
plus grand soin ; il l'a expérimenté sur des coqs, des poules, des canards,
des ebats et des codions d'Inde, et tous ceux qu'il a piqués avec les flè-
ches des Indiens du Choco sont morts en moins d'un quart d'heure. Ces
sauvages, dit-il, sont d'un naturel essentiellement pacifique et ne se ser-
vent de leurs flèches que pour la chasse et pour se défendre contre les
bêtes féroces, mais ils en craignent tellement les effets que, lorsqu'ils se
blessent accidentellement, ils n'hésitent pas à couper immédiatement la
partie qui a été atteinte, quand cette opération est possible. Les informa-
tions manquent donc complètement de ce côté comme des autres.
En résumé, nous sommes loin de révoquer en doute les effets que peu-
vent produire sur l'homme les armes empoisonnées. Nous pensons que
de pareilles blessures.peuvent occasionner des accidents graves et même
amener la mort; mais toutes les recberebes que nous avons pu faire pour
en trouver des observations sérieuses et autbentiques ont abouti à un
résultat complètement négatif. Les médecins des autres nations n'ont pas
été plus heureux que nous, et ce fait valait la peine d'être constaté, parce
qu'il est de nature à diminuer les craintes exagérées que les armes des
sauvages inspirent à ceux qui sont exposés à en subir les atteintes.
Le traitement à opposer à ces blessures, dans le cas où on viendrait
à en observer, est celui de toutes les plaies empoisonnées. 11 consiste à
appliquer immédiatement une ligature entre le cœur et la partie lésée,
à inciser la plaie pour en mettre tout le trajet à découvert, à la laver à
grande eau et à la cautériser soit avec un caustique liquide, tel que le ni-
trate acide de mercure ou l'acide nitrique, soit avec le fer rouge, suivant
qu'on a l'un ou l'autre de ces moyens à sa disposition. On peut aussi
opérer la succion à l'aide de ventouses, ce qui permet d'attendre qu'on
se soit procuré les moyens d'agir plus énergiquement. Il ne faut pas se
bâter d'enlever la ligature. Claude Bernard a donné à cet égard un excel-
lent conseil. Il faudra, dit-il, relâcher la ligature pendant un instant pour
la renouer aussitôt qu'apparaîtra le premier symptôme d'empoisonne-
ment nouveau, et ainsi de suite. La dose de curare ainsi fractionnée
pourra sans occasionner la mort traverser toute l'économie et s'éliminer
ou se détruire. Enfin, si, malgré l'emploi de ces moyens, l'i?suc fatale
semblait imminente, il faut savoir, dit Paul Bert, que le danger peut être
combattu par la respiration artificielle et par elle seule, mais il faut bien
insister sur ce fait que cette pratique a besoin d'être prolongée fort long-
temps. Ces conseils n'ont été donnés qu'en vue du curare, mais il ne pour-
rait y avoir que de l'avantage à y recourir dans le cas de blessure empoi-
sonnée par une autre substance.
m
PLAIE. — 1'. DES ANATOMISTES.
B. Plaies des Anatomisles. — 11 n'est guère de médecin qui ne se soit
blessé, dans le cours de ses études anatomiques, et qui n'ait éprouvé quel-
ques accidents à la suite de cette blessure. Les scalpels, les érignes, les
épingles, les ciseaux, sont jetés au hasard sur les tables d'ampbilliéâtre,
et ceux qui s'en servent sont à chaque instant exposés à se piquer. Dans
les manœuvres opératoires, la scie s'échappe parfois de sa voie et vient
blesser le pouce de la main gauche qui sert à la lui tracer. Souvent aussi
c'est une esquille osseuse, un fragment de côte, par exemple, qui cause la
blessure. Enfin, il arrive souvent aux anatomisles de plonger leurs mains
dans des liquides cadavériques, sans se préoccuper des plaies insignifiantes
qu'elles peuvent présenter et qui se trouvent ainsi en contact avec le
principe septique. Les érosions de la peau sont plus souvent suivies d'ac-
cidents que les piqûres nettes faites par la pointe des scalpels. D'après
Billroth, les petites écorchures non saignantes sont plus dangereuses, au
point de vue de l'infection, que les incisions profondes, par la raison
anatomique que les réseaux de lymphatiques dont le pouvoir absorbant
est le plus considérable se trouvent précisément répandus dans la couche
la plus superficielle du derme.
Il est à remarquer que les cadavres frais offrent plus de danger que
ceux qui sont en pleine putréfaction. Cette observation, que Colles (de Du-
blin) a faite le premier, a depuis été vérifiée par la plupart des anato-
mistes. On prétend même que les intoxications les plus graves, celles qui
sont suivies de mort au bout de quelques jours, surviennent, le plus sou-
vent, à la suite des blessures faites en pratiquant l'autopsie de cadavres
encore chauds, et Billroth se demande si, dans ce cas, le médecin ne s'est
pas inoculé une humeur pathologique formée antérieurement dans l'orga-
nisme vivant, plutôt qu'un virus cadavérique. Ce qui est certain, c'est
que les corps des femmes mortes de fièvre puerpérale, ceux des sujets qui
ont succombé à la suite d'une opération de hernie étranglée, sont particu-
lièrement à redouter. Il faut tenir compte aussi des prédispositions in-
dividuelles. 11 est des gens qui semblent jouir d'une véritable immunité et
qui peuvent impunément se blesser, dans le cours de leurs dissections,
tandis qu'il en est d'autres qui ne peuvent se faire la plus légère piqûre
sans voir survenir des accidents. Billroth fait observer, avec raison, que
des infections répétées semblent plutôt augmenter que diminuer cette ré-
ceptivité.
Les accidents qui se produisent à la suite des plaies d'amphithéâtre
diffèrent essentiellement, sous le rapport de la gravité, suivant qu'ils res-
tent bornés à la partie blessée, qu'ils s'étendent aux membres tout entiers
en suivant la chaîne des lymphatiques et des glanglions, ou que le prin-
cipe toxique pénètre d'emblée dans le torrent circulatoire et s'attaque à
l'économie tout entière. Dans le premier cas, tout se borne parfois au dé-
veloppement d'un bouton inflammatoire semblable à celui de la fausse vac-
cine et qui se termine par la guérison, après avoir fourni une gouttelette de
pus. Souvent il se forme une croûte sous laquelle la suppuration s'a-
masse et qui se renouvelle aussitôt qu'on l'enlève ; le point blessé reste
PLAIE. P. DES ANATOMISTES. 121
(douloureux, dur, et parfois il s'y développe une petite tumeur que Follin
(désigne sous le nom de tubercule anatornique. C'est une hypertrophie
ipapillairc du derme, violacée, indolente, saignant facilement, et quelque-
fois divisée en une multitude d'élevures papuleuses au centre desquelles
i existe un vide dont on peut faire sortir par la pression une gouttelette de
;pus. Ces tubercules sont très-nombreux cbez quelques sujets, et cela s'ob-
i serve particulièrement sur les garçons d'ampliithéâtre, qui ont les mains
constamment plongées dans des liquides cadavériques.
Dans le second des cas que nous avons prévus, la petite plaie ne présente
d'abord rien de particulier, mais, dans la journée qui suit la blessure, le
doigt se gonfle et devient douloureux ; on y sent de la cbaleur, de la
i tension et des battements : c'est le début d'un panaris. Les accidents peu-
vent rester bornés à la phalange et aux ganglions axillaires, qui deviennent
toujours plus ou moins douloureux en pareil cas, mais parfois il survient
une véritable angéioleucite, avec un mouvement fébrile très-accusé et une
tuméfaction considérable des ganglions de l'aisselle, laquelle se termine
souvent par un abcès.
Dans le troisième cas, le plus grave de tous, mais heureusement le plus
rare, les accidents généraux débutent brusquement, de 12 à 18 heures
après la blessure. Le malade est pris de frisson, de nausées et parfois de
vomissements ; il accuse une céphalalgie frontale intense ; le pouls est pe-
tit, concentré et fréquent, l'anxiété est extrême et le système nerveux pro-
fondément déprimé. En même temps, on voit se produire, sur le point où
siège la piqûre, une petite vésicule à bord très-nets, qui prend bientôt l'as-
pect d'une pustule remplie d'un liquide trouble. 11 survient alors de vio-
lentes douleurs dans l'aisselle et dans l'épaule ; les ganglions axillaires se
tuméfient, ainsi que le tissu cellulaire des régions sous-scapulaire et sous-
pectorale, qui semblent envahies par une sorte d'œdème inflammatoire.
L'état général s'aggrave rapidement; l'anxiété respiratoire augmente ; il
survient un délire fugace qui fait place à un accablement profond ; le
pouls se déprime, devient irrégulier, et la mort arrive parfois avant la fin
du second jour. Dans quelques cas, les accidents se montrent plus tard et
marchent avec moins de promptitude. Le gonflement général du membre
ne survient qu'au bout de quatre ou cinq jours ; il remonte rapidement
jusqu'à l'épaule et jusqu'au cou, prend une teinte livide et se termine
bientôt par une suppuration gangreneuse et des décollements étendus.
En même temps, des symptômes ataxiques se manifestent, l'adynamie se
prononce et la mort survient vers le dixième jour, avec tous les signes
d'une infection purulente entée sur un phlegmon diffus gangreneux.
Dans les deux premiers cas, il y a lieu de croire que les fluides putréfiés
ont porté leur action sur le système lymphatique seulement et qu'elle
s est traduite par de simples phénomènes inflammatoires; maïs, dans le
dernier, il faut bien admettre une intoxication produite par un poison
septique qui a pénétré dans le torrent circulatoire, en un mot, une vérita-
ble SEPTICÉMIE.
Nous n'insisterons pas sur la marche et sur le traitement des accidents
\22 PLAIE. QUESTIONS MÉMCO-LÉfiALES.
que nous venons de passer en revue, parce qu'il en a élu question dans
d'autres articles ; mais nous devons dire un mot des précautions à
l'aide desquelles on peut les prévenir. Elles sont simples et, le plus
souvent, suivies de succès. Le premier soin à prendre, lorsqu'on vient
de se blesser à l'amphithéâtre, consiste à faire saigner la petite plaie
en comprimant le doigt de haut en bas et à y l'aire tomber en même
temps un fdet d'eau froide. On peut également en opérer la succion. Il
faut continuer cette manœuvre pendant huit ou dix minutes. Gela suf-
firait, dans la majorité des cas, pour atteindre le but, mais nous trouvons
plus prudent d'y joindre une cautérisation légère. Le nitrate d'argent,
auquel on a recours d'habitude, a l'inconvénient de ne pouvoir pénétrer
jusqu'au fond de la plaie : nous lui préférons les caustiques liquides,
tels que le nitrate acide de mercure ou tout simplement l'acide nitri-
que qu'on a toujours sous la main, dans les amphithéâtres. Il suffit d'en
laisser tomber une gouttelette enlre les lèvres de la petite plaie et de
la replacer immédiatement sous le jet d'eau froide. Ces moyens, d'un em-
ploi facile et très-peu douloureux, réussissent presque toujours, lorsqu'on
y a recours sur-le-champ, à prévenir les accidents auxquels les anato-
mistes sont exposés. Jules Rochat.d.
Questions médico-légales uelatives aux tlaies. — Pour qu'il y ait plaie, il
faut qu'il y ait solution de continuité des parties sous-jacentes à la peau;
il y a toujours dans ce cas, plus ou moins, une effusion de sang, mais
sans qu'il y ait nécessairement hémorrhagie; ce fait de l'effusion du sang
est expressément retenu, dans notre loi, comme un caractère aggravant
les violences exercées et constitutives du crime lui-même (art. 521 C. P.).
Une plaie est une blessure, et l'histoire des blessures, au point de vue
médico-légal, a été assez bien faite, dans ce Dictionnaire, par notre émi-
nent et regretté maître, AmbroiseTardieu, pour que nous n'ayons que peu
à ajouter à ce qu'il a dit sur ce sujet; nous insisterons seulement sur
quelques considérations relatives aux blessures en général, mais plus spécia-
lement applicables aux plaies et que notre pratique a pu nous apprendre.
I. Il faut se préoccuper, avant tout, lorsqu'on examine un blessé ou
lorsqu'on procède à l'autopsie d'un cadavre, (f'énumérer et de décrire
les plaies. Pour cela, nous ne saurions trop conseiller de ne point se
contenter de simples noies ; il est préférable de faire, en quelques coups
de crayons, un schéma représentant la partie du corps où existent les
plaies, puis de représenter ces plaies dans leur direction, leurs dimen-
sions, que l'on mesure avec soin et que l'on reporte sur le dessin. Des
renvois chiffrés permettent, pour telle ou telle plaie, d'ajouter une note
complémentaire.
Depuis quelques années, un service photographique a été institué, à
la Préfecture de Police, pour reproduire, avant l'autopsie, dans les cas
de mort violente, avec plaies, la configuration extérieure des blessures;
l'intervention du médecin chargé de l'autopsie peut èlre utile pour
indiquer au photographe quelles sont les parties qui doivent èlre. plus
spécialement reproduites.
PLAIK. QUESTIO.NS MÉDICO-I.KGAI.ES. 125
U. Lorsque les plaies ont été énumérées et décrites, il faut déterminer
d'abord de quelle façon ou avec quelle arme elles ont été produites.
[Nous n'avons pas à rappeler ici les caractères généraux des plaies par
• arrachement, par morsures. Les plaies par arrachement (à l'exception
ide l'arrachement du pénis, mutilation qui peut être volontaire, ou cri-
minelle et dans certains cas provoquée par un attentat à la pudeur), s'ob-
. servent dans les cas de blessures par imprudence.
Les plaies par morsures sont facilement reconnaissables; elles exis-
tent aux doigts, au nez, aux oreilles; elles peuvent être trouvées sur le
corps de la victime, souvent aussi sur le corps du meurtrier ; elles sont
l'indice d'une lutte ayant précédé la mort. Pour n'en citer qu'un exem-
ple, Troppmann, lorsque nous l'avons examiné, avait sur le corps des
cicatrices de morsures, des égratignures au visage, des traces de che-
veux arrachés. Ces cicatrices de morsures doivent être décrites et dessinées
avec le soin le plus minutieux, car l'inculpé cherche le plus souvent à
les expliquer par une tout autre cause, écorchure ou brûlure, etc.
On examinera avec soin l'état des dents de la victime, on peut avoir
occasion, dans certaines circonstances, de faire des comparaisons utiles.
Il faut savoir reconnaître aussi les plaies par morsures produites par
les dents d'un animal ; on trouve souvent, sur les cadavres d'enfants sub-
mergés dans les égouts, des morsures de rats qui, dans certains cas,
ont été considérées comme l'indice de violences criminelles par des mé-
decins peu expérimentés.
Les plaies conluses se reconnaissent à leurs caractères spéciaux :
attritions des lèvres de la plaie et des tissus sous-jacents, irrégularité
et largeur de la plaie correspondant souvent à la forme du corps
vulnérant, etc. Cependant, il faut cire prévenu que dans certains cas
la forme extérieure de la plaie peut être toute différente ; cela dépend
surtout de la configuration des plans osseux sous-jacents; nous avons vu
des plaies du cuir chevelu faites avec un bâton, plaies de formes régu-
lièrement curviligne, aux lèvres écartées, mais nettement divisées, et
qu'à un examen superficiel on aurait attribué à des coups de couteau.
Un corps contondant quadragulaire et massif peut faire des plaies étoilées.
Les plaies par instrument piquant gardent plus souvent l'empreinte
de l'arme spéciale qui les a produites. Les plaies faites avec des ciseaux
ont ce caractère spécial d'êtres doubles et formant un lambeau triangu-
laire dont le sommet est souvent mousse (Tardieu); la plaie faite par un
compas est triangulaire ; par un fleuret, anguleuse et carrée. Cepen-
dant, par le fait de l'écartement des tissus, de la direction suivie par
l'instrument vulnérant, la forme extérieure de la plaie peut varier: c'est
ainsi qu'un poinçon rond peut l'aire une plaie elliptique».
Lorsque l'instrument est à la fois piquant et tranchant; la blessure
présente alors des particularités qu'il est bon de .connaître. Souvent la
largeur de la plaie extérieure est plus considérable que celle de l'arme
(Bayard, Annales d'hygiène publ. et de médecine légale). Si la lame est
introduite par la pointe, les angles de la plaie varieront suivant que
PLAIE. QUESTIONS MÉDICO-LÉGALES.
l'instrument offrira un tranchant simple ou double. Au dos de la lame
correspondra un angle tronqué', au tranchant un angle très-aigu (Tardieu,
Étude médico-légale sur les blessures).
Dans les plaies par instrument tranchant, les bords sont nets, les
angles, plus ou moins aigus, se terminant parfois par un prolongement
de moins en moins profond. Les bords sont souvent écartés, mais l'écar-
teinent des lèvres ne dépend pas de l'épaisseur de la lame; elle dépend
surtout de la profondeur de la plaie, de la direction des fibres des tissus
divisés par rapport à celle qu'a suivie l'instrument vulnérant. Lorsque la
blessure a été faite avec un rasoir, on peut reconnaître en quel point
l'arme a été enfoncée par son talon et dans quelle direction elle a été
ramenée ensuite, l'incision se terminant par une sorte de queue effilée.
On peut reconnaître également , par les entailles pouvant exister sur les
lèvres de la plaie ou dans sa profondeur, si l'arme a été ramenée dans la
plaie ; mais il faut ne pas perdre de vue ce fait que, dans les cas de plaie
profonde, l'inégale rétraction des tissus divisés par une seule incision,
peut donner l'apparence d'entailles plus ou moins régulières.
La distinction de la nature de la plaie et de l'espèce de l'arme qui
l'a produite n'est point des plus faciles; sur des parties du corps où la
peau recouvre des parties molles et épaisses, un instrument tranchant
à lame mal affilée, comme un vieux couteau, un sabre, etc., peut
faire des plaies à bords mâchés, contus et à angles mousses analogues
à celles que produit d'ordinaire un instrument contondant. Dans les
autopsies auxquelles nous avons procédé, lors de l'affaire Troppmann,
nous avons constaté, sur trois des victimes, des plaies contuses semi-
elliptiques, et nous avons pu reconnaître « qu'elles avaient été faites par
une arme telle qu'un couteau brisé , agissant à la fois comme instru-
ment tranchant et contondant. »
Dans certains cas, les plaies ont été faites à l'aide d'instruments ser-
vant à l'exercice de professions spéciales; et il est nécessaire de connaître
la forme et la dimension des instruments tranchants ou contondants
utilisés dans certaines professions, et qui peuvent servir d'armes dans
certaines conditions.
La forme des plaies, en apprenant de quelle arme on s'est servi, peut
donner des renseignements utiles sur la profession du meurtrier.
Le siège et l'étendue des blessures faites peuvent donner également,
au point de vue de la profession du meurtrier, des indications utiles. Dans
le cas d'un jeune garçon boucher de quinze à seize ans, trouvé, la gorge
coupée, au voisinage de l'abattoir de Saînt-Ouen, la forme et la situation
de la plaie du cou nous indiquèrent que la victime avait été égorgée par
le procédé dont on se servait, à l'abattoir même, pour tueries moulons;
et ce détail a permis de retrouver le meurtrier parmi les compagnons de
travail du jeune apprenti boucher.
En même temps (pie l'on est chargé d'énumérer et de décrire les bles-
sures, on doit également examiner les armes saisies et que l'on croit
avoir servi à faire les blessures. On ne peut jamais affirmer que telle arme
PLAIE. QUESTIONS MÉDICO-LÉGALES.
125
a dû nécessairement faire telle ou telle blessure; on peut dire seulement
que cette arme a pu faire les blessures constatées lors de l'examen
du blessé, de l' autopsie du cadavre; et lorsqu'il s'agit de l'examen
d'un blessé, il faut tenir compte, pour apprécier ce que devait être
la plaie primitive, du temps qui s'est écoulé depuis la blessure et de
la déformation à laquelle ont pu donner lieu, dans l'aspect primitif
de la plaie, la tuméfaction, l'infiltration des tissus et l'inflammation
consécutive.
Les plaies par arme à feu doivent être spécialement étudiées, au point
de vue de la nature du projectile et de la distance à laquelle le coup a
été tiré. Depuis quelques années, l'arme le plus souvent employée est le
revolver. Comme la cartouche de cuivre du revolver ne contient que des
traces de poudre, les recherches faites précédemment et consignées dans
les livres, sur la distance à laquelle se produisent les brûlures et l'in-
crustation des grains de charbon, n'offrent plus grand intérêt. Lors de
l'affaire Godefroy, nous avons dû chercher à déterminer jusqu'à quelle
distance avaient pu se produire, dans un cas déterminé, la brûlure et
l'incrustation des grains ; les expériences ont été faites avec Vanne elle-
même et avec des cartouches identiques à celles qui avaient servi au
meurtrier. Lorsque cette question de la distance du coup, très-importante
au point de vue de la distinction entre le suicide et l'homicide, sera
soulevée de nouveau, nous croyons qu'il conviendra de procéder de la
même façon et de se servir, pour chaque cas particulier, de l'arme et de
la cartouche qui se rapprochent le plus de celles qui ont servi à com-
mettre le meurtre. La charge de fulminate et de poudre n'est point la
même dans les cartouches de différentes fabrications, et ces conditions
font varier la dislance à laquelle peuvent se produire la brûlure et les
incrustations.
Dans les cas des plaies par armes à feu autres que le revolver (fusil de
chasse...), il faut recueillir avec soin tous les débris qui peuvent se
trouver dans la plaie ou qui sont entraînés par la suppuration. Dans
certains cas, il a été possible de recueillir ainsi des débris de papier
ayant servi à la bourre et qui ont constitué ultérieurement d'importantes
pièces à conviction.
III. La question du pronostic des plaies a été traitée à l'article : Bles-
sures en général. Rappelons seulement qu'il ne convient point de porter
un pronostic d'après une seule visite; en effet, on sait combien sont nom-
breuses les complications des plaies il faut tenir compte du siège de
la blessure (plaies de tête, de la racine du nez, etc.), de la constitution
et des habitudes du sujet (ivrognerie, syphilis, scrofule), des épidémies
régnantes (érysipèle, etc.).
Au point de vue de la responsabilité de l'auteur des plaies, il faut
tenir grand compte du défaut de soins donnés à la victime, et surtout
rechercher si l'on n'a point employé, pour panser les plaies, des pom-
mades ou onguents fournis par des empiriques. C'est ainsi que, s'il sur-
vient un phlegmon diffus, consécutivement à une plaie du dos de la
120 PLAIE. QUESTIONS MÉDICO-LÉGALES.
main, pansée avec un onguent irritant, la responsabilité n'en saurait être
attribuée à l'autour d'une blessure souvent légère.
Le pronostic des plaies par arme à feu, alors même qu'elles semblent
insignifiantes, telles que celles laites par quelques grains de plomb, doit
toujours être réservé ; nous avons vu, aux environs de Cbartrcs, un indi-
vidu atteint au cou de deux grains de plomb , dans un accident de
cirasse, chez lequel les deux petites plaies avaient guéri, après quelques
jours, et qui succombait, deux ans après, aux suites d'un anévrysme de
la carotide causé par la blessure de l'artère.
IY. Il est difficile de répondre avec précision à cette question :
A quelle époque la plaie a-l-elle été faite? La durée de la cicatrisation
varie, en effet, suivant la profondeur et l'étendue de la blessure, l'inten-
sité de l'inflammation, l'abondance de la suppuration, etc. La plaie cica-
trisée, rouge ou violacée d'abord, pâlit ensuite, puis devient tout à fait
blanche, dure et nacrée. L'étude des cicatrices , au point de vue de
l'identité, est importante en médecine légale, mais, lorsque la cica-
trice se forme, déjà la plaie n'existe plus, et nous n'avons point à en parler
ici.
Il est plus facile de distinguer les plaies faites pendant la vie des
déchirures ou solutions de continuité faites après la mort; celles-ci sont
pâles et livides, et leurs bords, incomplètement rétractés, ne sont pas
infiltrés de sang. Cette distinction est importante à faire, lorsqu'on exa-
mine un cadavre de noyé, qui peut être mutilé, sur lequel existent des
plaies profondes, faites à l'aide du croc, ou des plaies plus petites prove-
nant de morsures d'animaux, alors qu'il ne s'agit cependant que d'une
submersion accidentelle.
Enfin on doit se demander si les plaies proviennent d'un accident,
d'un suicide ou d'un meurtre. Nous n'avons point à répéter ce qui a été
dit à ce sujet, à propos des blessures en général ; rappelons seulement
que, dans la pratique, cette question est des plus complexes.
Pour ne parler que de l'apparence extérieure des plaies, la multiplicité
des coups portés est une présomption de meurtre, mais nous avons vu,
dans des cas de suicide avéré, le corps criblé de blessures.
Lorsque plusieurs armes ont été employées, il y a également pré-
somption de meurtre ; cependant nous avons vu, dans des cas de sui-
cide, des blessures faites avec des armes différentes, rasoir et revolver,
poinçon et couteau, serpette, etc.
L'examen du cadavre, au point de vue des traces extérieures de vio-
lences indiquant une lutte, l'examen des vêtements surtout, donneraient,
dans cetLc difficile question, des éléments de conviction. Souvent, dans
les cas de suicide, l'individu, avant de se frapper, écarte ses vêtements,
puis s'assure du point où il veut frapper ; il n'en est pas de même, dans
les cas de meurtre, les vêtements sont atteints par l'arme. Lorsqu'il s'agit
de décider s'il y a suicide ou meurtre, on attache, et avec raison, une
grande importance à la découverte de l'arme près du cadavre. Il convient
de rappeler cependant que quelquefois l'arme peut être projetée à une
PLAIE. QUESTIONS MÉDICO-LÉGALES. 127
assez grande distance; dans un cas de suicide par égorgement, que nous
avons eu occasion d'observer, l'arme n'avait pu, malgré les recherches les
plus attentives, être retrouvée auprès du cadavre; en fouillant le gilet, on
trouva le couteau fermé et plein de sang dans une des poches ; l'indi-
vidu, après s'être ouvert la gorge, avait pu, par une sorte de mouvement
automatique, fermer son couteau, et l'avait remis dans la poche où il le
plaçait d habitude. Il ne faut point oublier que, dans les blessures les plus
graves, alors que le cœur est percé, la gorge ouverte, la mort n'est pas
toujours foudroyante; l'individu peut marcher quelque temps encore.
En résumé, dans celte question de la distinction du suicide et du meur-
tre, l'étude de la plaie en elle-même ne peut, le plus souvent, que donner
des présomptions ; mais dans certaines circonstances, ces présomptions
équivalent presqueà la certitude. Dans l'affaire Godefroy, l'accusé préten-
dait que sa victime s'était suicidée, tenant le pistolet à deux mains, par
conséquent très-rapproché du front (à moins de douze centimètres). A
cette distance, il eut dû y avoir incrustation de grains de poudre et
brûlure des bords de la plaie; les bords de la plaie étaient nets; ils
n'étaient ni brûlés, ni noircis ; le coup avait été tiré à une plus grande
distance. On ponvait donc conclure qu'il n'y avait pas eû suicide.
Georges Bergeron,
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PLÉTHORE. — Le mot pléthore (Tikrfiû?*, plethora) exprime,
aussi bien par son étymologie (tcXy)U£cv, être plein) que par le sens qu'on
y altachc généralement, l'idée de plénitude, de trop-plein, de surabon-
dance, etc., et ol'i'resous ce rapport une richesse synonymique tout à fait
PLÉTHORE. — HISTORIQUE.
129
concordante, dans ces expressions : plenitudo, replelio, polijœmia, copia
boni sanguinis, etc. Quelles que soient les applications spéciales, ou plus
ou moins détournées, qu'on ait faites de ces termes équivalents, c'est
toujours la même interprétation, conforme au point de départ. Les au-
teurs, sûrs de cette notion initiale, ont pu s'étendre à loisir sur un pa-
reil sujet; et admettre aussi bien une surabondance des diverses hu-
meurs que l'on distingue, et même de la vitalité et des forces intimes,
que du sang lui-même, considéré comme la source de toute activité
biologique. La plénitude fut aussi bien relative qu'absolue, partielle que
générale, substantielle que virtuelle, etc. ; et le remède, si simple à
trouver, fut toujours la déplétion, c'est-à-dire la soustraction de l'humeur
vitale par excellence, le sang. Aussi la facilité avec laquelle on prodiguait
la saignée impliquait-elle, d'une façon presque corrélative, le règne
de la pléthore. L'influence de cette affection est bien contestée de nos
jours; mais, comme les accidents qu'on lui attribuait n'étaient pas
purement subjectifs, la physiologie moderne a pour devoir d'interpréter
rationnellement la pléthore des âges antérieurs, de montrer ce qui lui
correspond aujourd'hui parmi les troubles morbides observés, et d'indi-
quer en même temps quels sont les moyens propres à y remédier.
I. Historique. — Dans un sujet qui a subi aussi profondément les
vicissitudes des doctrines, le point de vue historique doit occuper le
premier plan. Tout l'intérêt de la question est là : c'est en vain qu'on
voudrait faire de la pléthore une entité nosologique, et en donner une
description didactique, comme s'il s'agissait d'un cas définitivement ac-
quis à la science, et parfaitement défini. Tout proteste contre cette
manière de procéder, et nous impose certaines limites. La pléthore, c'est
l'excès du bien, pouvant seulement aboutir parfois à quelques troubles
fonctionnels, et encore plus rarement à de véritables accidents. Nous
devons donc rechercher surtout comment s'est établie la notion de la
pléthore, et comment cette conception s'est transformée dans la série des
âges, et jusqu'à notre temps, conformément aux doctrines qui se sont
succédées.
Nous voyons tout d'abord que l'idée de la pléthore était déjà familière
à l'époque d'IIippocrate. Son troisième aphorisme, interprété dans ce
sens par Van Swieten, déclare que l'excès même de la santé est dange-
reux; car, un équilibre parfait étant impossible, et de même le progrès
vers le mieux, il est de toute nécessité de déchoir. La déplétion peut être
dangereuse, et non moins dangereuse la réfection qui lui succède. Dans
d'autres passages, que nous avons analysés à propos de la Dyspepsie (T. XII,
p. 44), celte obligation de maintenir une juste proportion entre la
recette et la dépense est très-nettement indiquée, et dans des termes
tpie ne renierait pas la doctrine de la corrélation des forces physiques.
En somme, est-il dit, c'est l'harmonie du tout qui constitue la parfaite
santé
Les progrès de la science, au temps de Galien, introduisirent une plus
grande précision dans le sujet. Galien lui-même reconnaît que la pléthore
ROOT. DICT. MÉD. ET CHIH. XXVIII — 9
150
PLÉTHORE, — HISTORIQUE.
n'est pas l'augmentation de toutes les humeurs, mais seulement de la
masse du sang normal. Les accumulations de bile jaune ou noire, de
pituite, de sérosité n'appartiennent pas à la pléthore, mais à la cachexie.
Il admet aussi, d'après une opinion reçue de son temps, deux espèces de
pléthore : l'une relative aux vaisseaux (xpcç à.^iî%), et l'autre aux forces
(■xpbq t»]v Sûva[wv). La première implique une réplétion extrême des vais-
seaux, au point d'exposer à une rupture imminente, et de gêner le
jeu des fonctions par cette distension même ; la seconde ne consiste plus
dans une réplétion trop grande du système vasculaire, mais dans ce fait
que la force vitale amoindrie peut à peine mettre l'humeur centrale en
mouvement.
Ces vues sur la pléthore restèrent classiques tant que dura le règne du
Galénisme, c'est-à-dire jusqu'à une époque assez rapprochée de nous, et
se retrouvent dans presque toute leur pureté première chez Boerhaave,
qui leur a donné l'appui de son autorité. C'est encore là qu'on trouve la
description la plus complète de la pléthore, à peine distinguée comme
cas morbide particulier par les autres auteurs. Van Swieten, le com-
mentateur des aphorismes, s'en prend à Van Ilelmont, qui hésite à
compter la pléthore parmi les maladies, n'admettant pas que ce qui est
bon puisse pécher par excès ; et il fait observer que, si la pléthore n'est
pas encore la maladie, elle est une telle situation, que la moindre addi-
tion d'humeurs, ou que la raréfaction de ces humeurs sous l'influence du
calorique, ne peut manquer de troubler les fonctions.
Quelque soit, du reste, le rôle qu'on accordât à la pléthore, soit qu'on,
eût égard à la surabondance générale du sang, soit qu'on vît dans les
accumulations partielles de cette humeur, constituant les congestions
actives ou les fluxions inflammatoires, de véritables pléthores locales,
jamais plus grand emploi delà saignée, pour ne pas dire abus, ne fut fait
que pendant le siècle dernier, et jusqu'à l'époque presque contemporaine,,
finissant avec Broussais et son influence. Ce n'est pas que cet abus justifie
absolument l'espèce d'abandon où se trouvent à l'heure présente les
émissions sanguines ; mais les idées ont pris un autre cours : les hypéré-
mies partielles ont reçu une interprétation plus conforme à la réalité des
choses, et sont combattues par des moyens non moins énergiques, tout
en épargnant le sang, dont il ne semhle pas qu'on ait jamais une trop
grande proportion.
Durant cet intervalle, des données plus positives s'étaient introduites
dans l'histoire de la pléthore. On avait cherché à déterminer quelle de-
vait être la masse totale du sang chez un homme, dans les conditions
normales, d'après certaines comparaisons faites avec les animaux (Allen
Moulin). Mais, indépendamment de l'incertitude attachée à une pareille
méthode, la quantité du sang peut encore varier avec la taille de l'indi-
vidu, avec la capacité relative des vaisseaux, et enfin avec beaucoup
d'autres circonstances encore. La considération de la pression exercée
par le sang sur les parois vasculaircs offrait déjà des résultats plus facile-
ment appréciables; mais, en raison de l'impossibilité d'obtenir celle
PliÉTHORE. — HISTORIQUE. 151
pression sur le vivant par des moyens directs, on en était toujours réduit
à l'apprécier d'après certains caractères du pouls, dont les rapports avec
la tension vasculaire sont d'une nature tout à fait contradictoire.
Avec les conquêtes de l'hématologie chimique, la question prit un tout
autre aspect. Les travaux de Becquerel et Rodier (1841), d'Andral et
Gavarret (180), et de tant d'autres, servirent de base à une étude plus
rigoureuse de la pléthore. C'est le globule rouge qui devint l'unité de
mesure, comme étant l'élément le plus essentiel du sang; mais il ne fut
d'abord évalué qu'en masse, et par rapport aux autres parties consti-
tuantes de l'humeur centrale. Nous verrons dans quelles limites oscillent
les résultats obtenus, et quel écart peut exister entre le plus et le moins,
entre la pléthore et l'anémie.
La science moderne fit mieux encore. Aidée du microscope, elle chercha
à dénombrer ces globules rouges, principe de la richesse du sang, mal-
gré les difficultés de l'entreprise, et l'énormité des chiffres qu'on devait
trouver. Nous aurons à fournir quelques détails sur ce sujet, qui n'a reçu
ses perfectionnements pratiques que de nos jours (iMalasscz, 1872;
llayem, 1875).
La qualité du sang ne fut pas seulement appréciée au moyen de la
numération des globules rouges, elle parut aussi subordonnée à l'inten-
sité de sa coloration, due elle-même à V hémoglobine, substance intime-
ment attachée à la constitution du globule rouge. Le procédé de dosage de
l'hémoglobine est plus facile à mettre en œuvre que la numération des
globules rouges ; nous dirons sur quels faits il est fondé, et nous aurons
à juger de sa valeur réelle. Il a été imaginé par ces mêmes auteurs que
nous venons déjà de citer (Malassez, 1874; llayem, 1875) : comme on
le voit, il est né d'hier, pour ainsi dire.
Nous n'avons pas voulu détourner l'attenlion de la pléthore vraie, clas-
sique, pour parler de certaines acceptions que le mot a reçues chemin
faisant : nous réservant d'y revenir en dernier lieu, pour être complet.
C'est ainsi que l'excès absolu de la masse du sang, nécessitant une déri-
vation de cette humeur vers certaines dépendances du système vasculaire,
où elle s'emmagasine, donne lieu à une sorte de pléthore partielle, avec
dilatation variqueuse de diverses sections du système veineux. Parmi ces
déterminations d'un ordre si particulier, nous mentionnerons la plélhore
abdominale, dans ses rapports avec la disposition hémorrhoïdaire et
toutes ses conséquences. Qui ne voit ici comme une consécration des
opinions de Stahl, et comme le principe de cette grande affection hypo-
chondriaque, qui joue un rôle si considérable dans ses doctrines?
La pléthore se révèle, sous ce nouvel aspect, avec son véritable sens,
que nous aurons à faire prévaloir en temps opportun, et prend ainsi une
consistance qui laisse bien loin dans un vague indéterminé cet état
sans limites et sans attributions, tel que l'on conçoit la pléthore gé-
néralement.
Une dernière acception de ce terme repose sur certains faits observés,
d'abord, dans le cours do la grossesse; alors qu'il semble y avoir sura-
1 3*2 PLETHORE, — physiologie pathologique.
bondance de sang, donnant lieu à quelques accidents qui cèdent précisé-
ment à l'emploi de la saignée. Cette disposition parait justifiée par l'état
du pouls, qui implique une grande masse de sang en mouvement; et par
l'hypertrophie temporaire du ventricule gauche, reconnue par Larcher
(1828). Mais d'autres circonstances reproduisent les mêmes phénomènes en
dehors de la grossesse, toutes dominées par une certaine dilution du sang.
L'état cachectique, en un mot, se trouve mainte fois doublé d'une sorte
de polyémie séreuse (Beau, 1846), forme de pléthore, qui ne simule la
véritable pléthore que par ses caractères les plus accessoires. Néanmoins
nous aurons à tenir compte de cette assimilation plus ou moins forcée,
pour mieux en faire ressortir les oppositions et les apparences para-
doxales.
Cet historique serait incomplet, si nous ne signalions pas l'influence
de la méthode graphique sur les progrès de la question qui nous occupe
en ce moment. Les rapports réciproques des circulations locales avec la
circulation générale, et l'action des mouvements respiratoires sur la ten-
sion vasculaire, sont nettement établis au moyen de tracés qui ne laissent
guère de place à l'équivoque. La véritable pléthore se trouve ainsi déga-
gée des simples troubles circulatoires, qui sont plus ou moins fugaces, et
qui nécessitent l'emploi de moyens différents, destinés à y remédier. On
peut donc affirmer, sans crainte d'être contredit, que la question de la
pléthore, longtemps stationnaire, a reçu de la science contemporaine des
éclaircissements qui vont nous permettre de décider ce qu'il y a à prendre
ou à laisser de cet état qu'on ose à peine appeler morbide.
II. Physiologie pathologique. — La notion de la pléthore, au
point de vue objectif, est relative aux diverses circonstances suivantes :
1° à la masse totale du sang; 2° au degré de pression que ce sang
exerce sur les parois vasculaires; 3° à sa richesse, soit en globules
rouges, soit en hémoglobine; 4° enfin à quelques autres particularités
secondaires. Nous allons examiner la question sous chacun de ces diffé-
rents aspects, laissant à la clinique le soin de coordonner ces éléments et
de conclure sous le rapport nosologique.
1° On ne peut arriver à la connaissance de la masse totale du sang,
chez l'homme vivant, que par des voies détournées et d'une façon tout
approximative. Partant, il est encore plus difficile de dire à quel point
précis commence la pléthore par surabondance de la masse sanguine;
car, à l'absence de moyens certains pour évaluer la quantité de sang que
l'on possède, s'ajoutent les incertitudes provenant des écarts considéra-
bles dans les résultats obtenus tant bien que mal, sans sortir des limites
physiologiques. C'est ainsi que, d'après Cl. Bernard , et suivant qu'un
animal est à jeun ou en pleine digestion, la masse totale du sang peut
varier du simple au double. Dans ces termes, on conçoit quelles pertur-
bations apportent à la solution du problème les actes les plus simples de
la vie, qui tantôt ajoutent et tantôt enlèvent à la masse de nos humeurs.
On avait bien songé à appliquer la méthode de numération des glo-
bules rouges à l'évaluation de la quantité moyenne du sang ; et Vierordt,
PLÉTHORE. — PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE. 155
le premier (1852-54), avait proposé un procédé qui serait, à la rigueur,
praticable chez l'homme vivant. MaisMalassez (1874), tout en indiquant
quatre autres moyens de dosage fondés sur le même fait, est obligé de
reconnaître que les résultats obtenus sont loin d'être absolus ; et d'ail-
leurs on ne peut opérer que sur des animaux, puisqu'il faut les sacri-
fier. Cet auteur a néanmoins énoncé un principe qui peut, par extension,
recevoir son application chez l'homme et éclairer la question qui nous
occupe : c'est le principe de la capacité globulaire ; à savoir, le rap-
port qui existe entre le nombre des globules rouges et l'unité de poids
de l'animal, en supposant le sang distribué avec égalité dans tous les
tissus. Il ne faut pas confondre la capacité globulaire avec la richesse
globulaire, qui n'est que le nombre absolu des globules rouges par mil-
limètre cube de sang. Voici maintenant quelques faits qui, sans exiger la
connaissance de la masse du sang, peuvent être utiles à savoir :
Relativement à l'âge, il semble, du moins dans les premières périodes
de la vie, que la capacité et la richesse globulaires vont d'abord en aug-
mentant, tandis que le volume total du sang diminue.
L'influence du régime, produisant l'engraissement de l'animal, amène
une diminution de la capacité globulaire et du volume du sang; mais la
richesse en globules augmente. Il s'ensuit que l'embonpoint se développe
plus rapidement que le sang.
Dans l'amaigrissement, au contraire, le volume proportionnel du sang
augmente; et la capacité globulaire et la richesse globulaire diminuent :
il y a hydrémie.
Dans l'inanition, il y a à la fois diminution de la capacité et de la
richesse globulaire et du volume du sang : le sang paraît plus vite affecté
que tout autre tissu.
Chez un inanitié, Malassez évalue la réduction de la masse du sang au
soixante-dixième du poids du corps; tandis que, chez un individu sain,
dont le sang était destiné à être transfusé au précédent, la proportion
était environ du neuvième.
De ces faits, qui ne nous dispenseront pas de revenir sur la numéra-
tion absolue des globules rouges dans ses rapports avec la pléthore, nous
pouvons conclure que cet état du sang est indépendant de ce qui est
la marque extérieure de la force et de la santé, l'embonpoint et l'exubé-
rance des masses musculaires : il serait plutôt en opposition avec ces
apparences.
C'est qu'en effet, la surabondance de sang doit se traduire par cer-
tains phénomènes qui impliquent une prédominance du liquide sur le
solide, dont on chercherait en vain les attributs sur les individus san-
guins qu'on qualifie trop volontiers de pléthoriques. Il y a là une erreur
qui a longtemps subsisté, et dont il faut revenir. Si à l'homme d'un
tempérament sanguin, on oppose un homme à tempérament bilieux,
on remarquera, entre autres caractères, chez ce dernier, un développe-
ment exagéré des veines sous-cutanées, souvent une tendance à l'état vari-
queux de ces veines; les veines hémorrhoïdaires sont également vari-
PLÉTHORE, rilYSIOLOGIE I'atiiologiqh .
queuses; tout annonce une sorte de pléthore abdominale, qui se trahit
par des malaises propres aux hypocliondriaques, et qui se juge, soit par
des épistaxis, soit surtout par des flux hémorrhoïdaux. Cet ensemble
annonce une surabondance de sang, un trop-plein, qui tend à relluer
dans le système veineux, et à y constituer de véritables réserves : tel est
le sens général de l'affection hémorrhoïdairc , chez l'homme principale-
ment! Pour ce qui est de la femme, il y a une circonstance, la grossesse,
qui entraîne une sorte de pléthore, s'annonçant par des varices des mem-
bres inférieurs, et indirectement par l'hypertrophie du ventricule gauche
(Larcher, 1828). L'origine d'un pareil état est moins dans la présence
d'un fœtus, qui gêne la circulation, que dans le fait de la suppression
des règles qui, chaque mois, enlevaient le trop-plein du système vascu-
laire. Si on voulait nier le rôle et l'utilité de ces réserves de sang, il suffi-
rait de citer le cas de celte servante qui, à chaque grossesse, se faisait
avorter en comprimant les varices qu'elle portait aux membres infé-
rieurs.
Cette forme de pléthore est bien la pléthore ad vasa , par excellence ; l'ex-
pansion de la masse sanguine, sous l'influence de la chaleur, ou delà pres-
sion atmosphérique diminuée, donne lieu à la variété de pléthore dite ad
volumen; tandis que la réduction du champ circulatoire, par le fait d'une
amputation, par exemple, constitue la variété ad spatium. Ces distinc-
tions ont leur importance, puisqu'elles spécifient telle ou telle condi-
tion étiologique particulière; elles sont, jusqu'à un certain point, indé-
pendantes de la qualité du sang, c'est-à-dire de sa richesse en globules
rouges, de sa consistance et de sa densité. Aussi a-t-on admis une autre
espèce de cet état qui mérite les noms de pléthore ou de polyémie
séreuse. La pléthore de la grossesse est en grande partie de cette nature ;
des accoucheurs célèbres (Désormeaux, P. Ménière, 1828) ont mis sur
son compte bon nombre des accidents de la grossesse, et ont ainsi jus-
tifié l'emploi de la saignée, si largement fait, même à simple titre pré-
ventif.
'Le même ensemble symptomatique a conduit certains observateurs
(Beau, 1845-56) à admettre une sorte de pléthore de cachexie, compre-
nant à la fois une plus ou moins grande hydratation du sang, et une
surabondance apparente de l'humeur en circulation. L'hydralalion se
traduit, en pareil cas, par une transsudation du sérum hors des vais-
seaux, et par un affaiblissement de la coloration rouge du >ang; tandis
que la soi-disant pléthore serait accusée par une réplétion extrême des
vaisseaux, par des congestions viscérales et par des bruits de souffle.
Mais, dans ce tableau si habilement tracé, les apparences jouent un plus
grand rôle que la réalité ; et nous aurons à décider jusqu'à quel point,
dans la pléthore, la quantité du sang peut se séparer de sa qualité.
2° La pression que le sang exerce sur les parois vasculaires, est aussi
un élément important de la question. Il peut toujours y avoir phlétorc
relative, du moment que la tension intravasculaiic dépasse un certain
degré. Les caractères de la forte tension sont précisément ceux de la
PLÉTHORE. —
PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.
155
surabondance de la masse sanguine, et ont servi de point de départ à une
variété de pléthore, ad vires, qui s'est introduite tout empiriquement
■dans la science. Ces caractères sont : la petitesse et la dureté du pouls ,
le ralentissement des pulsations cardiaques, et, dans les tracés sphyg-
mographiqucs, le peu d'amplitude de la courbe et le défaut de dicro-
lisme. En même temps, on observe, dans les cas extrêmes, tous les acci-
dents propres à la concentration des forces (oppressio virium) , et
jusqu'à Yalgidité cholériforme la plus inquiétante. Un pareil état reçoit
sa solution, soit d'une émission sanguine faite à propos, ou de toute
autre déplétion ; et, corrélativement, du relâchement du réseau capil-
laire de la périphérie, dans cette phase de réaction qui suit si avanta-
geusement la période de frisson et d'algiilité.
Cette forme de pléthore se rencontre dans un grand nombre de cir-
constances, dont quelques-unes s'écartent à peine de l'état physiologique.
On l'observe dans le simple frissonnement du froid et de la terreur, et
dans le degré le plus avancé de l'algidité cholérique et de l'étranglement
intestinal. Elle suppose une énorme concentration de sang dans les or-
ganes intérieurs, où la vie semble se réfugier, et y constitue une pléthore
ad vasa réelle, quoique temporaire et fugace. Il existe momentanément
une congestion des grosses veines afférentes du cœur, et une dilatation
des cavités droites, en rapport avec l'état asphyxique et l'angoisse où se
trouve le malade. Des transsudalions, telles que Venlérorrhée choléri-
que, compensent à peine cette tension extrême, qui ne saurait durer sans
danger, et qui ne se trouve efficacement levée que par la relaxation du
réseau capillaire périphérique. Alors, à la forte tension succède la faible
tension, à la petitesse et à la lenteur du pouls, l'ampleur et la vitesse, au
refroidissement le réchauffement, à la suspension momentanée de la vie
extérieure l'expansion de toutes les activités fonctionnelles, à Voppressio
virium la réaction. C'est alors la fièvre dans ses manifestations les plus
amples. Le système vasculairc est le théâtre de ces mouvements antago-
nistes, qui sont liés entre eux par des lois, inscrites automatiquement
parles procédés graphiques (Marey, 1865; S. Tschirjew, 1877).
Les divers actes de la vie nutritive, les congestions actives ou passives,
présidant aux phlegmasies ou aux hémorrhagies, constituent autant de
cas de pléthore relative, et entretiennent les mêmes alternatives entre la
tension vasculairc profonde et la périphérique.
Quoi qu'il en soit de la quantité de sang que l'on possède, le système
artériel s'accommode toujours pour conserver un certain état de pression,
sous lequel s'accomplissent les divers actes de la vie, et qui donne en
partie la mesure de l'énergie vitale, comme le manomètre du générateur
de vapeur. Cette pression, qu'on a pu déterminer chez les animaux, n'est
pas exactement connue pour l'homme : elle est d'ailleurs incessamment
variable. Il y a pourtant des sections du système artériel, où l'adaptation
ne se fait plus aussi strictement, lorsque la tension intra-vasculaire vient
à s'aba isser au-dessous de certaines limites, par suite d'anémie surtout.
C est dans l'aorte, où l'absence de l'élément contractile ne permet pas de
136
PLÉTHORE. — physiologie; pathologique:.
régler le calibre du vaisseau suivant la masse du sang qui le traverse. Il
en résulte des écarts considérables entre le maximum et le minimum de
tension, et une excursion des parois, qui donne naissance aux ballemenls
aortiques (voy. t. II, p. 79i). En thèse générale, on sera d'autant plu»
voisin de l'état pléthorique, dans les conditions ordinaires de la vie, que
la tension vasculaire sera plus près de sa limite supérieure, sans pouvoir
s'abaisser beaucoup au-dessous : l'exploration du pouls servira de mesure
dans ce cas.
C'est encore sous l'influence de la pression atmosphérique, que ces
accommodations auront le plus lieu de s'exercer. La tension intra-vascu-
laire ne vaut que par son écart au-dessus de la pression extérieure. On
sait ce qui se passe dans les ascensions en ballon, et réciproquement
dans la cloche du plongeur ; et par le jeu alternatif de ces deux conditions
extrêmes, on peut en quelques secondes accroître la pression vasculaire
jusqu'aux ruptures hémorrhagiques, ou lui faire équilibre jusqu'à l'an-
nuler pour ainsi dire. On se rend ainsi compte enfin du rôle de la pres-
sion barométrique dans un grand nombre de troubles fonctionnels aussi
mobiles qu'elle, et souvent inexplicables.
3° Mais c'est la qualité du sang qu'il s'agit surtout d'apprécier.
Qu'importe que ce sang remplisse outre mesure le système circulatoire, et
que ce système soit monté au degré de la forte tension, si le liquide en
mouvement est dépourvu de vertus vivifiantes. Il est donc nécessaire que
le sang ait une certaine densité, qu'il soit suffisamment riche en globules
rouges, que ces globules eux-mêmes soient en état d'accomplir énergique-
ment leur tâche intime, et qu'enfin dans toutes leurs proportions, les
éléments constituants de l'humeur centrale soient tels que le comporte le
type moyen de la vie. La pléthore ne commencera que lorsque l'un ou
l'autre de ces principes constitutifs, ou tous à la fois, dépasseront une
limite déterminée.
Parmi les parties intégrantes du sang, les globules ronges occupent le
premier rang par l'importance. Il y a donc lieu de les apprécier eux-
mêmes, et pour la proportion que le sang en renferme. Ce dernier point
nous occupera d'abord.
Dans les premiers essais rigoureux d'hématologie, on s'est surtout in-
quiété de mesurer en masse ces globules rouges, et d'en donner le poids
absolu pour 1000 parties de sang. Mais les résultats ne sont pas constants;
ils varient avec les observateurs, et même d'un instant à l'autre chez le
même individu. (Voy. art. Sang.) Afin de fixer les idées, nous indiquerons
le chiffre de 127 pour 1000, adopté par Andral et Gavarret, et qui a
plutôt servi à marquer une limite supérieure pour les anémies, et surtout
la chlorose, qu'à édifier les esprits à l'égard de la pléthore. Cependant
nous voyons la proportion de 131, de 154 (moyenne 141) pour 1000,
dans des cas se rapportant à ce dernier étal morbide.
Ces résultats ont heaucoup perdu de leur importance depuis qu'on a
entrepris de compter ces globules rouges eux-mêmes. Les principes de
cette numération sont indiqués d'autre pai (art. Sang), et nous n'avons à
PLÉTHORE. PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.
137
nous occuper ni des moyens, ni des faits qui n'intéressent pns directement
notre sujet. Cependant nous indiquerons la méthode de Hayem (1875),
comme la plus simple et la plus facile, pour arriver à connaître le
nombre des globules rouges par millimètre cube de sang. Maintenant à
quel chiffre pourra-t-on dire qu'il y a pléthore? Est-ce à quatre millions?
à six millions? etc. Il est bien difficile de se poser des bornes fixes à cet
égard, car une multitude d'influences font varier ces proportions. C'est
ainsi que, pour ne citer qu'un exemple, Brouardel (1876) a vu une pur-
gation élever le chiffre habituel des globules rouges d'un million par
millimètre cube, et quelquefois de deux millions. Il est vrai que le pre-
mier rapport ne tardait pas à se rétablir, à la suite. De même, chez un
inanitié, il a compté 4 849 595 globules rouges, chiffre relativement
considérable, qui a permis à notre ingénieux observateur d'émettre ce
paradoxe : « Voulez-vous rendre un homme pléthorique? mettez-le à la
diète, et purgez-le. » Il n'est pas besoin de dire que la réciproque est
également vraie; et qu'un repas copieux, délayant le sang, le rend plus
pauvre en globules. Mais nous savons aussi que la solution du problème
de la pléthore ne dépend pas que d'un seul facteur.
Le globule rouge étant considéré comme l'élément essentiel du sang,
et, ainsi que Malassez le désigne, comme la monnaie respiratoire, il ne
suffit pas d'en connaître le nombre exact, mais aussi quelle est sa charge
en hémoglobine. L'hémoglobine, à quelque titre que ce soit, est le prin-
cipe qui fixe l'oxygène de l'air dans l'acte de la respiration, et sert à le
dépenser dans tous les points de l'organisme. Un globule, quoique volu-
mineux, comme dans la chlorose, peut être pauvre en hémoglobine; et sa
richesse en cette substance est le vrai mobile de son utilité et de son
énergie. Il est donc important d'en opérer le dosage, pour juger de la
valeur d'un certain sang. Ce dosage est, en général, fondé sur l'intensité
de la coloration du sang donné, en rapportant la nuance observée à un
chiffre connu de globules rouges. (Yoy. art. Sang.) Il arrive ainsi
qu'avec moins de globules rouges, et avec des globules plus petits, un
sang peut être plus riche en hémoglobine, et par conséquent plus vrai-
ment pléthorique, qu'un autre sang dont il faut plus de globules rouges
pour obtenir la même teinte, et le même pouvoir respiratoire, par con-
séquent.
L'hémoglobine, à son tour, paraît devoir ses vertus dynamiques au fer
qu'elle contient. D'après les évaluations les plus récentes, elle ne renfer-
merait pas moins de 0.42 pour 100 de ce métal. D'un autre côté, l'action
du fer, chez les chlorotiques, se traduit par une augmentation rapide de
la richesse globulaire, et parallèlement de la charge en hémoglobine. Ces
faits, observés à l'occasion des anémies et de la chlorose, servent par
extension à concevoir l'état pléthorique, sans qu'aucun terme précis
permette de dire où finit l'anémie, où commence la pléthore.
4° Il n'est pas, d'ailleurs, un seul des éléments du sang que la chimie
a distingués et dosés, qui n'apporte son contingent au sujet qui nous
occupe. On peut même poser en fait que la pléthore est une sorte de
158
PLÉTHORE. AI'l'UCAHONS CLINIQUES.
résultante de toutes les activités intimes de l'humeur centrale, s'exerçant
avec harmonie, mais à la limite supérieure même de ces énergies. De
sorte qu'avec un degré de plus la désunion commence, et les troubles
fonctionnels en même temps. 1! en résulte qu'on doit rencontrer une.
juste proportion de fibrine, ou mieux de plasma, pour servir de milieu
kYhémalie; et des principaux sels : chlorure de sodium, phosphate de
soude, etc., qui favorisent les réactions propres à la respiration et à la
nutrition.
Il est si vrai que cet ensemble de richesse globulaire et en hémo-
globine constitue le point culminant de la vie physiologique, ou pléthore,
que, dès le premier pas de l'état morbide, l'équilibre est rompu. On sait
avec quelle vitesse se consomment les globules rouges dans les inflam-
mations, les pyrexies, les dégénérescences, et surtout les hémorrha-
gies, etc. Un des points les plus remarquables de cette destruction, c'est
le défaut d'emploi de la fibrine qui sert, pour ainsi dire, d'atmosphère
au globule rouge, et qui dès lors se précipite avec tant de facilité," soit
dans le vase de la saignée, soit dans les parties qui sont le siège de la
détermination morbide. Cette prépondérance de la fibrine se retrouve
dans le cours de la plupart des cachexies, et même dans la chlorose, à
l'exception peut-être des affections scorbutiques. Un nouvel équilibre
tend à s'établir par un appel surabondant de l'élément aqueux; la tension
intra-vasculaire remonte; une autre forme de plénitude ou pléthore ap-
paraît : c'est notre plélhore ou polyémie séreuse.
Il faut encore tenir compte de la qualilé du sang, et surtout de sa den-
sité' dans leurs rapports avec les mouvements circulatoires. Nous nous
contenterons de rappeler ici que le sang circule d'autant plus facilement
qu'il est moins dense (art. Cibculation, t. VII, p. 720) ; et que la dispo-
sition à produire des bruits de souffle est en raison inverse de cette den-
sité (art. Auscultation, t. IV, p. 490). Renversez les termes de ces deux
propositions, et vous en aurez fait l'application à la pléthore. D'un autre
côté, les recherches de Malassez (1875) nous montrent l'inégale ri-
chesse du sang en globules rouges, suivant les différentes parties de
l'arbre circulatoire, et une foule d'autres circonstances accessoires; cela
implique une grande diversité parmi les circulations locales, qui sont
d'autant plus entravées que, d'après l'expression vulgaire, le sang est
plus épais.
Il nous reste, à présent, à transporter ces données de physiologie pa-
thologique sur le terrain de la clinique, pour y recevoir leur véritable
signification, et y trouver leur utilité pratique,
III. — Applications cliniques. — Nous avons déjà fait pressentir
combien il serait difficile de réunir dans un même cadre tous les phéno-
mènes propres à la pléthore, pour en conclure à une unité nosologiquc
bien définie. Nous pensons, au contraire, qu'il y a lieu de former plu-
sieurs groupes parmi les symptômes que l'analyse précédente nous a révé-
lés, et de rattacher chacun d'eux à sa série naturelle, d'après ses affinités.
C'est ainsi que nous distinguerons, d'abord, trois grands cas principaux
PLETllOllli. APPLICATIONS CLINIQUES. 159
pour la pléthore proprement dite : 1° l'un relatif à la surabondance du
sang; 2° le second, sous la dépendance de la pression inlravasculaire ;
et 5° le troisième caractérisé par la richesse du sang en globules rouges
et en hémoglobine. Puis, nous admettrons un quatrième et dernier cas,
pour la pléthore fausse ou paradoxale.
1° Pléthore par surabondance de la masse sanguine. — C'est la
pléthore vraie ou classique par excellence, la pléthore ad vasa des au-
teurs anciens. Elle n'est pas une maladie, mais une prédisposition ex-
trême à ces trouhles morbides qu'engendre le trop-plein, ou l'excès dans
le bien. Elle résulte d'une accumulation des produits de la digestion, que
leur surabondance, ou que l'allanguissement des fonctions laisse sans
emploi. Elle est l'attribut des gros mangeurs, des gens sédentaires, et ne
se montre guère que durant l'âge mûr. Elle appartient encore à ceux qui
ont subi l'amputation d'un ou plusieurs membres, et qui, ayant la même
puissance digestive, n'offrent plus une capacité vasculaire suffisante. La
femme, après l'âge de retour, se retrouve dans le même cas, étant privée
d'un flux sanguin périodique, devenu une nécessité. Durant la grossesse,
un pareil état peut être observé; mais il se complique d'une sorte de
pléthore anomale, que nous signalerons par la suite.
Cette forme de pléthore se traduit par le signe physique le moins équi-
voque, une ampliation du système veineux, qui offre en différents points du
corps des dilatations, des sinuosités, constituant les varices, les tumeurs
variqueuses, et plus spécialement le varicocèle, les hémorrhoïdes, etc.
On ne saurait douter de la signification de ces états anatomiques,
quand on voit des hémorrhagies périodiques et critiques prendre une
telle voie comme si elles n'en étaient que l'aboutissant obligé et naturel;
et lorsque les malaises, propres à la période préparatoire, disparaissent
avec la crise qui leur succède. Ces malaises sont ceux de Y affection hgpo-
chondriaque, conçue selon les idées de Stahl, et correspondant à ce que
les Allemands appellent la vénosilé. C'est un sentiment d'angoisse, de
dyspnée, de tension des hypochondres, avec dispositions aux vésanies
tristes, etc. : le tout aboutissant parfois à une épistaxis, ou mieux à une
poussée hémorrhoïdaire, avec lénesme et enfin flux hémorrhagique. Si
l'hémorrhagie donne la solution d'un tel état morbide, on ne manque pas
de le voir reparaître au bout d'un certain temps, lorsqu'une nouvelle
surabondance du sang sans emploi se fait sentir. On ne peut mieux
comparer cette situation qu'à celle de la menstruation chez la femme :
chaque période cataméniale est une nécessité physiologique; et lorsqu'une
circonstance quelconque, telle que la grossesse ou le retour d'âge, vient
à supprimer une pareille habitude, nous savons déjà que les mêmes
phénomènes d'ampliation veineuse et de ilux supplémentaire ne tardent
pas à se montrer.
Sans insister davantage sur des faits qui n'ont peut-être pas encore
reçu l'interprétation que nous en donnons, mais qui la méritent bien,
nous ferons remarquer que la pléthore, envisagée à ce point de vue, cor-
respond plutôt à l'ensemble du tempérament bilieux qu'à celui du tem-
140
PLÉTHORE. —
APPLICATIONS CLINIQUES.
Défaillent sanguin. Avec les mêmes attributs, elle expose aux mêmes
complications morbides. La surabondance du sang l'emporte sur sa ri-
chesse globulaire, et la tendance aux hémorrhagies conduit même peu à
peu certains malades à l'anémie, ou à la polyémie séreuse. La stagnation
du sang dans les dilatations veineuses implique un certain ralentisse-
ment du mouvement circulatoire, particulier, du reste, aux tempéra-
ments bilieux. Le contact prolongé de l'humeur centrale avec les tissus
fait qu'il se surcharge de principes uratiques ; et, de là à la goutte et à
la gravelle, il n'y a qu'un pas. Enfin le fait même de l'excès de la masse
sanguine donne au pouls les caractères de la forte tension : circonstance
qui prédispose d'autant plus aux hémorrhagies que le sujet est plus
avancé en âge, et que ses vaisseaux sont plus athéromateux. Parmi les
hémorrhagies dues à cette cause, Y apoplexie cérébrale est une des plus
fréquentes et des plus redoutables.
On devra compléter cet exposé par l'étude des varices, en général, et
de Y affection hémorrhoïdaire, en particulier.
Le traitement, non pas de celte forme de pléthore elle-même, mais des
accidents auxquels elle donne lieu, est tout indiqué. Si la nature ne
provoque pas un soulagement prompt par une hémorrhagic spontanée
critique, il faut l'aider dans ses efforts, et, par des émissions sanguines
générales, ou mieux locales, opérer la spoliation nécessaire au retour de
l'ordre et du bien-être. On devra autant que possible déterminer l'hé-
morrhagie là où elle tendait à se faire : appliquer, par exemple, des
sangsues à l'anus chez un hémorrhoïdaire. Cependant, tenant compte des
voies détournées qu'utilise la dérivation (v oy.T. XI, p. 192), on allégera
une tension sanguine des parties supérieures trop forte, par cette même
émission hémorrhoïdaire, spontanée ou provoquée.
Aucun autre moyen ne vaudra celui que nous mettons en avant; et si
l'on préconise parfois certains purgatifs drastiques, c'est dans le but de
porter le molimen hémorrhoïdaire à son plus haut degré, et d'amener la
rupture par excès de pression.
Mais il y aura lieu également de combattre la disposition à un pareil
état par des moyens hygiéniques convenables : faire par exemple succéder
à une vie trop sédentaire des occupations qui nécessitent l'emploi des
forces physiques, et accroissent la dépense des substances qu'accumule la
nutrition; ou bien alors diminuer la recette, et la proportionner à l'acti-
vité que l'on développe. Il faut, en outre, combattre la constipation habi-
tuelle en pareil cas; et peut-être, en assurant des évacuations régulières
et abondantes, prévenir une plénitude trop imminente. C'est à ce titre
que certaines eaux minérales, comme celles de Niederbronn. de Ilom-
bourg, de Biermenstorlf, etc., conviennent si bien aux pléthoriques hypo-
chondriaques. Peu importe le mode de dcplétion, pourvu que le but soit
atteint, et surtout qu'il le soit à moindres frais pour l'organisme. Sous
ce rapport, les évacuations alvines ont un avantage marqué, surtout chez
les pléthoriques qui ont déjà passé l'âge moyen de la vie, chez les hom-
mes obèses et chez les goutteux.
PLÉTHORE. APPLICATIONS CUBIQUES.
L'atténuation de la masse sanguine peut encore être obtenue, dans
quelques cas, par l'action des eaux minérales alcalines, et particuliè-
rement des eaux de Vichy et congénères. Il est de tradition, en effet, que
les hommes à tempérament bilieux, et voués aux conséquences de la plé-
thore abdominale et de la vénosité, se trouvent bien d'un pareil traite-
ment.
2° Pléthore par excès de pression intravasculaire . — Nous avons
vu plus haut quelles étaient les conditions physiologiques de cette forme
de pléthore, et comment, par une adaptation particulière du système
vasculaire, les apparences du trop-plein se reproduisaient exactement,
de même que dans le cas précédent. C'est une pléthore essentiellement
relative, que, par rapport à la pléthore ad vasa, on qualifiait de pléthore
ad vires, comme si la gêne de la circulation ne provenait plus de la sur-
abondance du liquide à mouvoir, mais seulement de l'insuffisance dans
l'impulsion.
Cette pléthore est plus souvent partielle que générale. Cependant il
existe telles circonstances presque physiologiques qui nous mettent en
présence d'un état de cette nature, étendu à l'universalité du corps : c'est,
d'une part, lorsqu'il y a plénitude vraie du système circulatoire, et que
par conséquent la tension vasculaire reste toujours voisine d'un point maxi-
mum, et limite les excursions des parois des vaisseaux; et, d'autre part,
dans les cas de pression atmosphérique forte, soit libre, soit artificielle.
Ici encore les oscillations du ressort vasculaire sont nécessairement bor-
nées. De toute façon les explorations sphygmographiques, ou simplement
tactiles, indiquent ce qu'il en est, par les signes de la forte tension, qu'il
est inutile de reproduire en ce moment.
On connaît mieux les troubles qui résultent d'une rupture brusque
d'équilibre entre la pression atmosphérique et la pression intravascu-
laire, lorsque la première vient subitement à baisser, comme dans les as-
censions de montagnes ou en aérostat, que les phénomènes inverses.
Cependant, il est admis qu'une forte pression à l'extérieur, dans la cloche
du plongeur ou dans les appareils à air comprimé, est plutôt accompagnée
de bien-être général, d'une respiration plus libre et d'un allégement de
tous les mouvements : au point que l'art s'est emparé de ce fait, et l'ex-
ploite au grand avantage de certains malades, parmi lesquels on range
précisément les asthmatiques et les anémiques.
Mais les pléthores partielles, de la nature de celles qui nous occupent,
apportent un bien plus grand trouble fonctionnel que les précédentes, et
nous placent définitivement sur le terrain morbide. Nous distinguerons,
à cet égard, le groupe de Valgidité, celui de Voppressio virium, et enfin
celui des congestions proprement dites. Nous avons établi les données de
physiologie pathologique qui correspondent à ces formes exceptionnelles
de pléthore; il nous reste à les présenter au point de vue clinique.
Le groupe de Valgidité est bien connu ; c'est cet état dans lequel tout
le sang semble s'être réfugié à l'intérieur des principaux viscères, tandis
que la chaleur eL la vie ont en quelque sorte abandonné la périphérie. On
142 PLÉTHORE. — applications cliniques.
ne peut douter qu'il n'en soit ainsi, lorsqu'on voit tout le réseau vasculaire
extérieur vide de sang, et comme un ratatinement de l'enveloppe géné-
rale du corps qui est, dans les conditions ordinaires de la vie, dans une
sorte d'érection physiologique. Il faut bien admettre des lors qu'il y a
trop-plein ou pléthore des cavités viscérales, y compris les organes
qu'elles recèlent. Nous n'avons pas à entrer dans les détails d'une pa-
reille situation; il nous suffira de renvoyer aux cas qui y correspondent
cliniquement : à l'algidité cholérique, au frisson de la lièvre, aux ma-
laises de la nausée, de la migraine, aux accidents de l'iléus et du
péritonisme, à la colique hépatique, néphrétique, etc. Lorsque cet état
est porté à l'extrême, on peut observer des ruptures hémorrhagiques,
des transsudalions séro-sanguines, et des mouvements colliquatifs dont le
flux cholérique donne une idée exacte. Il ne s'agit là que des accidents
purement mécaniques, qui ne jugent pas la maladie; celle-ci n'a d'autre
fin que la cessation même du spasme, le relâchement du réseau capillaire
périphérique, et le retour du sang dans les parties qu'il avait quittées :
c'est, en un mot, la réaclion. Cet événement est l'issue habituelle d'un
état fort grave, qui à lui seul est dans le cas de compromettre l'existence,
si la nature ou l'art n'interviennent pas promptement. Dans cette dernière
circonstance, on a recours au réchauffement artificiel du malade, aux
frictions, et à certaines substances, données à l'intérieur, qui opèrent
dans le même sens, tel que l'opium ou la morphine, et en général toute
la classe des excitants diffusibles.
Le groupe de Yoppressio virium offre beaucoup d'analogies avec le
précédent. Il n'en diffère que parce qu'il correspond à une détermination
morbide définie, qu'il n'est pas fugace à la façon de l'algidité, et qu'il
fait souvent illusion sur sa véritable signification. On l'observe à la suite
des grands traumatismes , des brûlures étendues, dans le cours d'im-
portantes phlegmasies viscérales, comme la pneumonie, par exemple,
dans certains anthrax de mauvaise nature, etc. La présente circonstance
est remarquable surtout par une extrême prostration des forces, et par
cet état qualifié d'adynamie. Malgré la gravité de sa situation, le malade,'
frappé de stupeur, demeure indifférent à ses souffrances et à tout ce qui
l'entoure. C'est sous l'empire d'une sensation excessive, que se fait cette
sorte de concentration des forces; il y a comme une compression des
centres nerveux par l'afflux du sang, qui cesse pour ainsi dire de circuler:
du moins il y a la plus grande analogie entre cet état et les signes de
la compression cérébrale. Cette plénitude des vaisseaux de l'encéphale
et du canal médullaire cesse comme par enchantement, et les désordres
qu'il entraine, par une dérivation puissante qui appelle le sang loin des
régions où il est accumulé, et notamment par l'emploi de la saignée
générale. À la suite de l'émission sanguine, il semble qu'un obstacle
soit écarté; et que, l'humeur centrale recommençant à circuler, les
fonctions se raniment et la vie se réveille. D'autre part, l'affection
morbide, qui commande une pareille situation, ne peut entrer en réso-
lution qu'à ce prix. Il faut encore remarquer que tout moyen capablo
PLÉTHORE. APPLICATIONS CLINIQUES.
145
d'atténuer les impressions excessives, qui oppriment ainsi le jeu des
fonctions, pourrait êlre mis en usage au môme titre : sous ce rapport,
les injections hypodermiques de morphine et les inhalations de chloro-
forme donneraient le même résultat, à moindres frais.
Enlin le groupe des congestions proprement dites, congestions actives,
congestions passives, congestions hémorrhagiques, inflammatoires, tro-
phiques, congestions par paralysie et par rétention, etc. , nous placent
dans un cas tout à fait analogue : une pléthore locale excessive rompt
l'équilibre de la circulation générale, et a pour conséquence une déshar-
monie de l'ensemble physiologique. Des accidents nombreux résultent
de cet appel fait au profit de la partie malade, et sont en rapport avec
l'excès de tension d'un côté, et avec son insuffisance de l'autre. C'est
l'économie tout entière se prêtant à une accommodation vicieuse, il est
vrai, mais inévitable. Parmi les formes multiples que prend la pléthore
par congestion, nous signalerons particulièrement l'ensemble de phéno-
mènes touchant à l'état morbide, et qui sont le produit de Veffort. Pour
le reste, nous renvoyons à l'article congestion (T. IX, p. 15) qui donnera
la clé de bien des difficultés inhérentes au sujet actuel, et qui le complé-
tera tout naturellement.
5° Pléthore par richesse en globules rouges et en hémoglobine. — Ici,
nous nous éloignons plus que jamais de l'état morbide : c'est au contraire
l'idéal de la santé, sans qu'on puisse dire à quel point précis commence
la pléthore. Un pareil état se revêt des attributs du tempérament sanguin
(voyez Tempéraments), et n'a guère d'autres inconvénients que d'exposer
ceux qui le présentent aux affections inflammatoires franches, à la pneu-
monie principalement ; et l'indication thérapeutique toute trouvée, c'est
la saignée faite largâ manu. L'extrême densité du sang, unie à une plasti-
cité non équivoque, amène, surtout au voisinage des déterminations mor-
bides, des stases, des ralentissements du mouvement circulatoire, con-
duisant assez facilement à Voppressio virium. Il faut enlin savoir que
celte richesse en globules, en hémoglobine, en monnaie respiratoire,
comme l'appelle iMalassez, n'est pas nécessairement liée à la surabon-
dance de la masse du sang : sous ce rapport, il existe un certain anta-
gonisme entre cette forme de pléthore et la première que nous ayons
étudiée; il est le même que celui qui apparaît entre le tempérament
bilieux ou hémorrhoïdaire, et le tempérament sanguin qui a un tonus
vascularis plus énergiquement constitué, et se prête par conséquent
moins facilement à l'ampliation variqueuse.
Si la pléthore par excès de richesse n'est pas un mal, il y a néanmoins,
dans cet état bien et dûment constaté, comme un critérium ou un étalon
pour la santé; et lorsqu'on aura reconnu, chez un individu, une certaine
exubérance globulaire, comme cinq à six millions, par exemple, avec une
intensité de coloration proportionnelle en hémoglobine, et cela d'une
façon moyenne et habituelle, tout abaissement notable et persistant dans
ces résultats indiquera qu'il y a déchéance organique et menace pour
la santé. La vitesse de la chute sera mesurée par la diminution plus ou
|/t4 PLÉTHORE. APPLICATIONS CLINIQUES.
moins rapide du nombre des globules rouges, sacbant que l'état morbide
les consomme avec une extrême avidité. A ce litre, la numération des
hématies et le dosage de l'hémoglobine sont de précieuses conquêtes
pour la science du pronostic.
Jusqu'à présent, nous avons envisagé les différents aspects sous les-
quels apparaît la pléthore, comme autant de formes distinctes dans cet
état plus ou moins morbide ; or, il peut se faire que ces distinctions quel-
que peu arbitraires soient, au fond, les éléments d'un même tout, et que
la vraie pléthore soit précisément constituée par leur réunion. Rien
n'empêche, en effet, que l'on observe tout à la fois chez le même sujet
la surabondance absolue du sang, un état de tension circulatoire élevé,
et une grande richesse en globules et en hémoglobine : ces diverses cir-
constances vont parfaitement ensemble ; mais on peut affirmer que leur
concours harmonique constituerait un idéal de la santé qui est rarement
atteint. Nous pensons que la vérité se trouve sur le terrain analytique;
d'autant plus, que, loin de poursuivre une entité chimérique, nous nous
sommes tenu dans les limites d'une simple étude de physiologie patholo-
gique.
4° Pléthores fausses ou paradoxales. — Il nous reste à dire quelques
mots de certains états qui simulent la pléthore, et que nous avons déjà
entrevus dans ce qui précède. C'est principalement au lit du malade que
doit s'agiter une pareille question, particulièrement liée à des apparences.
La masse du sang semble surtout surabondante ; mais on ne peut nier
que la charge en hémoglobine ne soit toujours faible, le nombre des glo-
bules rouges fût-il même assez considérable. Quoiqu'il en soit de ces dé-
tails, il importe avant tout de se placer en face de cas particuliers.
C'est à l'occasion de la grossesse que l'idée de cette pléthore a été
principalement soulevée; et la plupart des accidents propres à cet état
ont été mis sur le compte d'un excès de sang. Certains phénomènes justi-
fiaient cette manière de voir, et notamment la dilatation variqueuse des
veines des membres inférieurs, la bouffissure et l'ampliation du corps
tout entier, et jusqu'au développement hypertrophique du ventricule
gauche du coeur, signalé par Larcher, impliquant une plus forte ondée
sanguine mise en mouvement, etc. Enfin les bons résultais de la saignée,
si largement employée autrefois, venaient donner leur appui à celte opi-
nion. On ne saurait du reste, sans l'accepter dans sa totalité, méconnaître
la surabondance de la masse sanguine prouvée par tant de faits, et même
par la nécessité de la situation ; mais ce sang est relativement pauvre : les
globules rouges ont diminué de nombre, leur charge en hémoglobine est
faible; il a gagné en fibrine, et il est plus hydraté. Cet état est qualifié de
polyémie séreuse, et se retrouve dans d'autres circonstances que la gros-
sesse.
On l'observe tout d'abord dans la chlorose, qui présente les mêmes
signes extérieurs de pléthore, dans la bouffissure du visage, dans les ver-
tiges, la céphalalgie, les pulsations cardiaques, les bruits de soufflet qui
semblent annoncer qu'une forte ondée parcourt rapidement le système
PLÉTIIOHE. APPLICATIONS CLINIQUES.
145
.artériel. Enfin il n'est pas jusqu'à une certaine coloration du visage (chlo-
iwsis florida) qui ne puisse faire illusion.
Tout cet ensemble appartient à la plupart des états cachectiques, et la
piépondérance de tel symptôme, comme la tuméfaction légère des tissus,
indépendamment des véritables suffusions hydropiques, va jusqu'à mas-
quer, pendant un certain temps, l'amaigrissement du sujet et trompe
sur l'étendue des ressources qui lui restent.
Les mêmes objections peuvent s'adresser à ces différents cas , assez
semblables dans la forme ; et voici en quoi elles consistent : si ce sang
paraît abondant, sous le rapport du volume, il est réellement pauvre de
ce qui constitue sa véritable valeur, c'est-à-dire en globules rouges. Et
quand même ceux-ci n'auraient pas trop perdu de leur nombre , ils
offrent un faible degré d'hémoglobine ; car, ainsi que Malassez l'a con-
staté, il n'y a pas de rapport nécessaire entre ces deux facteurs. Enfin il
n'est pas jusqu'au volume de ces hématies, qui ne puisse être augmenté
dans la chlorose, par exemple. Ensuite, il faut bien savoir que la facilité
à produire fies bruits vasculaires, prouve moins en faveur de la quantité
que de la faible densité du sang ; et cela conformément à des principes
parfaitement connus (Voy. Auscultation, t. IV, p. 195) ; et, qui plus
est, la faible tension du système artériel entraine, de la part du cœur,
un surcroît de travail qui amène assez promptement son hypertrophie ;
et, comme il est mal nourri, sa dégénérescence granulo-graisseuse. Enfin,
tout en admettant un trop-plein de sang hydraté , l'excès de pression
intra-vasculaire , et toutes les conditions hydrostatiques perverties, ont
pour résultat la transsudation séreuse au travers des parois du vaisseau,
et déchargent le système circulatoire au profit du tissu cellulaire com-
mun, des cavités séreuses et des émonctoires. Telle est l'issue d'un état
qui ne comporte aucun équilibre ni aucune persistance. Mais ce sont, en
général, les caractères de la faible tension, que présente le pouls dans les
cachexies, de même que pendant la fièvre ; et l'anasarque doit reconnaî-
tre pour cause presque exclusive les troubles survenus dans la constitu-
tion du sang, surtout son hydratation.
Quelques affections cardiaques spéciales, comme l'insuffisance aor-
tique, et un état cachectique très-intéressant, le goitre exoplithalmique,
se prêteraient à une analyse du même genre, et nous conduiraient à un
résultat analogue, pour ce qui est de la pléthore; mais il est inutile d'in-
sister davantage sur une question jugée.
De cette discussion, il est donc permis de conclure, que les fausses plé-
thores ne conservent, avec la pléthore vraie, qu'une ressemblance très-
éloignée, pour ne pas dire plus ; et que, ainsi que nous avons cru devoir
les désigner, elles sont, à tous les points de vue, paradoxales.
Nota. — Consultez la bibliographie des articles : Aoscdltatiox , Congestiox, |D£iuvatiox,
Saxg, elc.
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totale du sang (Archives de physiologie normale et pathologique. 1875, n" 2 et 3). — Nou-
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Alfred Luton.
PLEURÉSIE. — La pleurésie est l'inflammation de la plèvre. Une
des plus communes parmi les maladies de l'appareil respiratoire, elle se
montre sous des formes très-diverses, et les nombreuses variétés qu'elle
présente se rattachent, d'une part aux causes multiples qui peuvent lui
donner naissance, d'autre part aux différences des lésions qui en sont la
conséquence. Pour caractériser ces nombreuses variétés, on a coutume
d'employer des dénominations destinées à mettre en relief les caractères
les plus saillants de chacune d'elles ; mais ces caractères sont tantôt rela-
tifs aux causes de la maladie (pleurésie à frigore, traumatique, tubercu-
leuse, etc.), tantôt subordonnés aux lésions anatomiques (pleurésie sèche
ou avec épanchement, générale ou partielle, enkystée, multiloculaire,
purulente, hémorrhagique, etc.). Parmi toutes ces formes, il serait sans
doute très-difficile, sinon impossible, d'établir une classification régu-
lière, basée sur la considération d'un caractère dominant tous les autres,
et si l'on prenait pour point de départ unique, soit les causes, soit les
lésions, on serait exposé à reléguer au second plan des caractères qui ont.
en mainte circonstance, une importance majeure au point de vue pra-
tique.
En présence de ces difficultés, il nous a paru préférable, sans cher-
PLEURÉSIE. — r. Aicuii primitive. — causes. 147
cher à présenter une classification méthodique des pleurésies, de suivre
un ordre qui nous permit d'étudier successivement et séparément lus
types cliniques les plus communs et les plus importants. Nous sépare-
rons d'abord les pleurésies aiguës et les pleurésies chroniques, Chacun
de ces groupes comprendra des formes primitives et des formes secon-
daires; dans cette division, ce sera la considération des causes différentes
qui servira de base fondamentale et qui permettra, à la suite des pleuré-
sies simples et franches, d'étudier certains types spéciaux de pleurésies
secondaires, comme la pleurésie rhumatismale, la pleurésie tuberculeuse
et d'autres. Puis, suivant la nature des lésions, nous séparerons, pour les
étudier à part, les pleurésies purulentes et hémorrhagiques, dont l'his-
toire ne saurait être réunie à celle de la pleurésie à épanchement séro-ji-
brineux qui appartient toute entière à la forme aiguë franche et primi-
tive. L'étude des pleurésies partielles (interlobaire, diaphragmatique,
médiastine) sera faite à propos des autres groupes dans lesquels elles
rentrent comme de simples variétés.
Plecrésie aiguë pmmitive. — La pleurésie aiguë primitive, pleurésie
franche, séro-fibrineuse , est la forme la plus commune des pleurésies ;
c'est celle où les caractères propres de la maladie se dégagent le plus net-
tement. Aussi nous la prendrons comme type principal, et c'est à propos
d'elle que nous étudierons, avec les développements nécessaires, les
caractères communs à toutes les pleurésies.
Causes. — La cause la plus fréquente de la pleurésie aiguë est le
refroidissement : le plus souvent c'est un refroidissement de toute la sur-
face du corps, et cette cause est d'autant plus efficace, que le corps était
au préalable échauffé ou en sueur; d'autres fois, c'est un refroidissement
partiel agissant sur une partie du corps et notamment sur la poitrine, ou
résultant de l'ingestion de boissons froides. Cette cause est aussi celle
qui détermine le développement de la pneumonie et de la bronchite, et
souvent on ne peut invoquer autre chose que les dispositions indivi-
duelles, pour expliquer comment, à une même cause apparente, corres-
pondent des effets différents. Nous nous contenterons de remarquer ici
que la pleurésie semble survenir de préférence chez les individus dont la
constitution est plus ou moins débilitée, tandis que la pneumonie sur-
vient plutôt chez les personnes plus robustes. L'âge intervient aussi dans
celte détermination morbide : le refroidissement produit, peut-être chez
les enfants, certainement chez les vieillards, beaucoup plus souvent la
pneumonie que la pleurésie.
Comment agit le refroidissement pour produire la pleurésie? On a invo-
qué une action réflexe, et c'est à ce mécanisme que Marcovitz s'est ratta-
ché dans sa thèse : d'après cette manière de voir, le froid impressionne-
rait les extrémités phériphériques des nerfs sensitifs, et agirait par action
réflexe sur les nerfs vaso-moteurs qui se rendent aux organes, produisant,
suivant les susceptibilités individuelles, ici une angine, là une pneumo-
nie, là encore une pleurésie. Peut-être pourrait-on admettre aussi bien
une action directe du froid sur les nerfs qui se rendent aux organes
148 PLEURÉSIE — P. aiguë primitive. — lésions anatomiqiks.
amenant l'irritation de ces nerfs ou leur inflammation et, par suite, à
lilrc de troubles trophiques, des lésions inflammatoires de la gorge, du
poumon ou des plèvres. Mais ce ne sont là encore que des hypothèses sur
lesquelles il n'y a pas lieu ici d'insister plus longuement.
La pleurésie aiguë est encore quelquefois causée par des traumatismes,
tels que les plaies ou les contusions du thorax, les fractures de côtes.
Ces pleurésies traumatiques , subordonnées , pour leur siège et leurs
caractères anatomiques, à la cause qui les a produites, diffèrent notable-
ment des pleurésies simples ordinaires, dont le refroidissement est, en
quelque sorte, la cause univoque.
Comme toutes les autres maladies, celle qui nous occupe a ses conditions
d'opportunité, qu'il est intéressant de connaître : peu fréquente dans les
premières années de la vie, elle se montre assez commune après l'âge de
cinq ans; clans l'âge adulte, elle devient très-fréquente, surtout entre
vingt et trente ans, puis devient moins commune avec le progrès des
années et est enfln presque rare dans la vieillesse. Quant au sexe, il semhle
sans influence réelle sur le développement de la maladie; mais il n'en est
pas de môme de l'état antérieur de la santé : la pleurésie est fréquente
dans la convalescence de diverses maladies; sans cesser pour cela d'être
primitive, elle se développe souvent à la suite d'un refroidissement,
même léger, auquel les convalescents sont plus sensibles en raison de
leur état de faiblesse. Enfin la pleurésie à frîgore est encore assez fré-
quente dans le cours de certaines maladies, et notamment des néphrites
chroniques et, dans ce cas, elle peut être influencée dans sa marche par
la maladie antérieure qu'elle est venue compliquer.
Lésions anatomiques. — Toutes les pleurésies sont caractérisées
anatomiquement par une lésion de nutrition occupant le tissu même
de la plèvre (hyperémie . hyperplasie du tissu séreux), et par une exsu-
dation qui se fait dans la cavité séreuse (épanchement liquide, pseudo-
membranes).
Dans la pleurésie simple, les premières de ces lésions sont ordinaire-
ment peu marquées ; les secondes, au contraire, ont une grande impor-
tance par le développement qu'elles acquièrent et par les conséquences
qu'elles peuvent entraîner ; nous les étudierons successivement.
a. Lésions parenchymateuses . — Au début de la pleurésie, la plèvre
est le siège d'une rougeur qui se présente sous la forme d'arborisations
ducs à l'injection des petits vaisseaux ; quelquefois il y a par places des
ecchymoses, résultant de la distension excessive et de la rupture de quel-
ques-uns de ces vaisseaux. La plèvre est un peu épaissie; souvent elle a
perdu une partie de sa transparence et présente un aspect louche ; sa sur-
face est moins lisse, elle est hérissée de granulations ordinairement très
peu saillantes.
Sur des coupes de la membrane séreuse examinées au microscope, on
constate que les cellules épithéliales sont gonflées, qu'elles se sont multi-
pliées par prolifération et se sont détachées en grand nombre; aussi en
trouve-t-on de petits îlots entre la surface de la plèvre et l'cxsudat lîbri-
PLEURÉSIE. — p. aiguë primitive. — lésions anatomiques. 149
neux. Le tissu conjonctif sous-jacent est gorgé de liquide dans lequel on
trouve en plus grande quantité qu'à l'état normal des cellules ayant les
caractères des globules blancs du sang. Il se forme, en outre, à la sur-
face de la plèvre un tissu de granulation composé de cellules embryon-
naires, qui proviennent de la prolifération des éléments conjonctifs; dans
dans ce tissu de nouvelle formation, on peut voir des vaisseaux nouveaux
qui proviennent des vaisseaux contenus dans le tissu sous-séreux et
s'avancent, en bourgeonnant, jusqu'à la surface libre des granulations;
ces vaisseaux ont des parois minces et friables: aussi se rompent-ils quel-
quefois et donnent lieu, soit à des ecebymoses de la plèvre ou des fausses
membranes (ibrineuses, soit à des épanehements de sang qui se mêlent à
la sérosité accumulée dans la cavité pleurale (pleurésie hémorrhagique) .
U'Ce tissu nouveau est susceptible de s'organiser et de se transformer pro-
I gressivement en un tissu analogue au tissu de cicatrice : telle est l'origine
des néomembranes organisées qui se forment à la surface de la plèvre ;
c'est encore à ce tissu de granulation que sont ducs les adhérences qui
unissent la plèvre pariétale et la plèvre viscérale, et qui sont produites
par le contact et le fusionnement de végétations ou de néomembranes
développées sur les deux feuillets opposés de la plèvre. Ces adbérences
sont d'ailleurs plus ou moins développées, tantôt formant des brides
filamenteuses tenues, tantôt amenant la soudure de portions très étendues
du sac séreux.
Mais, nous le répétons, ces dernières lésions sont d'ordinaire très-peu
marquées, et en quelque sorte à l'état rudimentaire, dans la pleurésie aiguë
franche ; nous les retrouverons , avec leur entier développement , dans
la pleurésie purulente et surtout dans la pleurésie chronique.
b. Exsudai. — La principale lésion de la pleurésie aiguë consiste
dans un épanchemenl séro-librincux , qui se fait dans la cavité de la
plèvre.
Quelquefois la partie séreuse de l'exsudat est très-peu abondante et
aussitôt résorbée; la partie fibrineuse se dépose sur les parois de la plèvre,
sous forme d'une fausse membrane plus ou moins épaisse. C'est la pieu- !
résie sèche, qui est rarement primitive.
Presque toujours l'épanchement liquide existe en quantité notable.
Dans le liquide sont suspendus, très-habituellement des flocons fibri-
neux, et à la surface de la plèvre on trouve des fausses membranes.
Ces lésions si importantes doivent être étudiées avec quelques détails.
Les caractères de V épanchement pleurélique sont surtout bien connus
depuis que la pratique de la thoracenlèse a fourni des occasions fré-
quentes de les déterminer dans toutes les particularités qu'ils présentent.
La quantité de liquide épanché est très-variable, depuis quelques
grammes jusqu'à plusieurs litres : suivant l'abondance du liquide épan-
ché, on dit que l'épanchement est faible, moyen ou abondant. La valeur
de ces expressions n'a rien d'absolu; cependant, en se conformant à
l'usage, on peut appeler faible un épancheinent de 1/2 litlre, moyen un
épanchement de 1 litre à 1 litre 1/2, abondant un épanchement de
I DO PL KL K KSI K. —
V. AIGUK PRIMITIVE.
LÉSIONS ANATOJIIQUES.
2 litres à 2 litres 4/2, très abondant un épanchement qui dépasse
3 litres (Bouilly).
Le liquide est transparent, de couleur ambrée ou jaunâtre plus ou
moins foncée; les épanebements anciens ont habituellement une colora-
tion plus intense que les épanebements récents, et leur couleur peut res-
sembler à celle du bouillon; quelquefois on observe une teinte rosée,
quand le liquide contient une assez grande quantité de globules rouges
du sang, ou une teinte loucbc quand il renferme une forte proportion de
leucocytes. La présence de quelques globules rouges dans la sérosité pleu-
rale ne suffit cependant pas pour faire croire à une pleurésie hémorrha-
gique, pas plus que l'existence de . quelques leucocytes n'indique une
pleurésie purulente : l'examen microscopique montre en effet que tous
les liquides pleurctiques contiennent quelques-uns de ces éléments du
sang. La pleurésie ne mérite vraiment le nom d'bémorrhagique ou de puru-
lente que quand ces éléments sont très-abondants; nous reviendrons ail-
leurs sur ces caractères.
Les caractères chimiques des épanebements pleuraux ont été surtout
bien étudiés par Méhu, qui a en même temps montré les indications qu'on
en pouvait tirer pour le diagnostic et le pronostic. Relativement à sa
composition, le liquide pleurétique se rapproche du sérum du sang;
cela d'ailleurs ne doit pas surprendre, si l'on observe que l'exsudat de la
pleurésie, comme tous les exsudats inflammatoires, a son origine dans
le sang et résulte de la transsudation exagérée du sérum sanguin à la
surface de la plèvre. On trouve donc dans ce liquide les mêmes éléments
constituants que dans ce sérum, à savoir de l'eau, de l'albumine, de la
matière fibrinogène, des sels; on y trouve même, comme nous venons de
le voir, des éléments figurés du sang, globules rouges et leucocytes. Mais la
proportion de ces principes constituants du sang est très-modifiée dans
l'exsudat pleurétique : la quantité d'eau est toujours augmentée, la
quantité des principes en dissolution est au contraire toujours diminuée;
l'exsudat est donc, en quelque sorte, du plasma sanguin plus ou moins
dilué, dans lequel d'ailleurs la proportion relative des éléments consti-
tuants varie beaucoup suivant l'intensité et d'autres caractères de l'in-
flammation. Comme le plasma sanguin, le liquide pleurétique est coagu-
lable spontanément et par le battage; il présente en outre la même
réaction alcaline au papier de tournesol et les mêmes réactions chimi-
ques, ainsi que nous allons le voir.
Le liquide pleurétique extrait de la poitrine par une ponction est spon-
tanément coagulable, caractère important à examiner en raison des
déductions qu'on en peut tirer (Méhu) : quand, après avoir pratiqué la
thoracentèse, on abandonne le liquide de l'épanchement dans un vase, il
se- prend bientôt en une masse transparente qui présente les apparences
d'une gelée. Cette coagulation est duc à la fibrine qui était en dissolution
dans la sérosité et qui se concrète au contact de l'air; elle se produit
dans un laps de temps qui varie suivant la quantité de fibrine contenue
dam le liquide; quand la fibrine est abondante, la coagulation commence
PLEURÉSIE. P. AIGUË PRIMITIVE. — LÉSIONS ANATOMIQUES. 151
très vite, et au bout de quatre à cinq heures le coagulum est assez ferme
pour qu'on éprouve quelque difficulté à le diviser avec une baguette de
Terre; dans d'autres circonstances, la coagulation se fait plus lentement,
mais ordinairement la fibrine est à peu près complètement déposée au
bout de douze à vingt-quatre heures. Cependant, malgré cette rapidité
relative de la coagulation, la quantité de fibrine contenue dans le liquide
pleurétique est faible, elle ne dépasse ordinairement pas la moitié de
celle que contient un poids égal de sérum sanguin et lui est souvent très-
inl'érieurc : ainsi, sur trente analyses, Méhu a trouvé que la quantité
•moyenne de fibrine était de 0g,425 par kilogramme de liquide, au maxi-
mum 1B,276, au minimum 0g,075.
Les matières albumineuses contenues dans l'exsudat font que ce liquide
est coagulable par la chaleur, par l'acide nitrique, etc., et que, traité par
l'un de ces procédés, il se prend en une masse plus ou moins compacte.
La richesse en albumine des liquides pleurétiques est d'aillleurs très-iné-
gale; elle peut varier de 10 grammes à 150 grammes et au delà par
kilogramme de sérosité (Méhu).
Enfin, outre la fibrine et l'albumine, on trouve dans l'épanchement les
mêmes matières minérales que dans le plasma du sang, mais en quan-
tité moindre. La quantité de résidu sec par kilogramme de liquide (non
•compris la fibrine) a, dans 50 analyses, varié de 58g,06à 79g,80, com-
prenant : matières organiques 508,01 à 71e, 55, matières minérales 7g,20
à 9g,01 ; en sorte que, suivant une proposition formulée par Méhu, c'est
à peine si les liquides pleurétiques les plus riches en matières solides en
renferment autant que le sérum sanguin le plus pauvre.
En résumé, comme le dit Méhu, le liquide de la pleurésie aiguë res-
semble tellement au plasma sanguin , qu'on serait fort embarrassé de
distinguer ces deux liquides autrement que parles proportions des élé-
ments qui entrent dans leur composition : même coagulation spontanée
et par le battage , mêmes réactions chimiques. Mais les éléments con-
tenus dans le liquide pleurétique sont beaucoup moins abondants que
ceux que contient le sérum du sang.
L'intensité de l'inflammation lait varier, dans des proportions très-
.- -étendues, la composition de l'exsudat : plus l'inflammation est aiguë ,
plus est abondante la quantité d'albumine et de matière fibrinogène ; et,
inversement, moins intense est le caractère inflammatoire, plus l'exsudat
est dilué et pauvre en matières coagulables. Il n'est pas question ici, bien
entendu, de la pleurésie purulente, dans laquelle l'épanchement pré-
sente des caractères particuliers qui seront étudiés ailleurs.
La matière fibrinogène contenue dans l'exsudat ne se coagule pas
seulement au contact de l'air : une partie se concrète pendant la vie au
sein même de l'organisme ; de là les flocons fibrineux qui flottent dans
le liquide et les fausses membranes qui se déposent à la surface de la
plèvre enflammée. Cette coagulation a lieu suivant un mode analogue à
celui de la coagulation de la fibrine dans une goutelette de sang (Ran-
vier) : on voit partir d'un centre, sorte de centre de cristallisation, des
152 PLEURÉSIE. — i>. aiguk piumitivk. — lésions anatomiques.
rayons qui s'enchevêtrent et constituent un réseau semblable à une toile
d'araignée. Agglomérés en masses plus ou moins volumineuses, ces
dépôts constituent les llocons fibrineux; étalés en membranes etsuperpo-,
sés par couches successives, ils constituent les fausses membranes. Les
flocons fibrineux, dont l'existence même est inconstante, sont quelquefois
très abondants dans le liquide pleurélique ; ils se présentent tantôt sous
la forme de filaments tenus, tantôt sous l'apparence de grumeaux ordi-
nairement peu volumineux. Souvent, pendant l'opération de la thoracen-
lèsc, ils s'engagent dans le trocart et en obstruent la lumière.
Les fausses membranes déposées à la surface de la plèvre sont à peu
près constantes dans la pleurésie aiguë, mais leur développement est très-
variable. Quelquefois elles forment une couche mince et à peine appa-
rente sur la membrane séreuse; pour démontrer leur existence, il peut
être nécessaire de racler avec l'ongle la surface de la plèvre, et on en
détache ainsi un mince lambeau semi-transparent, mou et friable. Quand
l'inflammation est plus intense ou a duré plus longtemps, on peut trou-
ver de grandes fausses membranes plus ou moins épaisses, qu'on peut
quelquefois partager en plusieurs feuillets stratifiés; ces différentes cou-
ches correspondent sans doute à des dépôts successifs de fibrine. Les
fausses membranes se montrent très-souvent dans toute l'étendue de la
partie enflammée de la plèvre, occupant les deux feuillets opposés de la
membrane, séreuse, et accolées l'une à l'autre sur les limites de la partie
malade: elles forment alors autour de l'épanchement une enveloppe con-
tinue, un sorte de kyste contenu dans la cavité de la plèvre; d'autres fois
ces fausses membranes établissent des adhérences rarement très-nom-
breuses qui cloisonnent la cavité de la plèvre et la partagent en un certain
nombre de loges contenant du liquide [pleurésies aréolaires) ; dans d'au-
tres cas encore, elles ne se montrent que par places sous forme de
plaques plus ou moins étendues. Leur surface libre est inégale, irrégu-
lière, hérissée de saillies sous forme de mamelons ou de villosités. Leur
couleur est blanchâtre, opaline et demi-transparente quand elles sont
jeunes, opaque à une époque éloignée de leur formation, Leur consis-
tance varie aussi avec l'âge de la maladie : au début elles sont molles,
imprégnées de liquide, faciles à écraser et à rompre; plus tard elles
deviennent résistantes et presque sèches.
Dans ces fausses membranes plus ou moins denses, l'examen micros-
copique fait à peine reconnaître la disposition réticulée qu'on observe peu
de temps après la coagulation de la fibrine : on retrouve cependant par
places des tractus fibrillaires, et dans leurs intervalles on distingue çà et
là des cellules, dont les unes sont des globules blancs du sang, dont les
autres, quelquefois très-volumineuses, procèdent sans doute des cellules
épithéliales de la membrane séreuse gonflées, proliférées et détachées
(Cornil cl Ranvier).
Quand l'inflammation pleurale est terminée, l'exsudat est destiné à
disparaître. Le plus habituellement la guérison arrive par résorption des
produits épanchés : la partie liquide de l'exsudat, c'est-à-dire la sérosité,
PLEURÉSIE. P. AIGUË l'RIMITIVK. LÉSIONS ANATOMIQUES. 153
est absorbée par les lymphatiques qu'on voit souvent dilatés et dont quel-
ques-uns sont remplis par des coagulations librineuses et par des leuco-
cytes; les parties solides, fausses membranes, fibrine concrétée, cellules,
disparaissent plus difficilement : ne pouvant être directement résorbées,
elles subissent la métamorphose granulo-graisseuse et ainsi, sous forme
de détritus granulo-graisseux, elles sont, comme les parties liquides,
reprises par les lymphatiques.
Pendant longtemps on a cru que les fausses membranes librineuses
étaient susceptibles de s'organiser, qu'il pouvait s'y déveloper des vais-
seaux, et que souvent elles persistaient comme trace indélébile d'une
pleurésie antérieure sous forme de brides réunissant les deux feuillets de
la plèvre, ou sous forme de plaques capables même de subir diverses
transformations. Mais contrairement à cette manière de voir, il est établi
aujourd'hui que les exsudats sont inaptes à l'organisation ; il n'y a que
les néomeinbranes formées par la prolifération des éléments de la plèvre
qui soient organisées ou organisables ; ce sont elles qui forment les bri-
des ou les faux ligaments qui attachent le poumon à la paroi thoracique ;
ce sont elles aussi qui sont susceptibles de se transformer en cartilages,
en os même, ainsi que nous le verrons à propos de la pleurésie chro-
nique.
Après avoir étudié les lésions de la pleurésie aiguë en elles-mêmes,
nous devons examiner maintenant les particularités qu'elles présentent
dans leurs dispositions générales, et l'influence que ces lésions exercent
sur les organes voisins.
La disposition que les épanchements pleurétiques présentent dans le
thorax a une grande importance, parce que leur situation et leur forme
fournissent des données précieuses au diagnostic. Au début de la maladie,
les produits épanchés paraissent former d'abord une couche mince, une
nappe interposée entre le poumon et la partie thoracique ; plus tard, à
mesure que la quantité en est plus grande, ils obéissent à l'influence
de la pesanteur et s'accumulent dans les parties déclives de la cavité pleu-
rale, puis ils s'élèvent graduellement de bas en haut jusqu'à atteindre,
dans les épanchements considérables, les parties supérieures du thorax.
Une fois formés, ces épanchements seraient mobiles et se déplaceraient
librement suivant la position du sujet, si leur consistance visqueuse et
surtout les fausses membranes qui les enveloppent ne les maintenaient
dans la situation où ils se sont primitivement déposés. En fait, tandis que
les épanchements séreux de l'hydrothorax sont libres dans la plèvre et
occupent toujours la partie déclive dans toutes les positions du thorax, les
épanchements delà pleurésie sont, au contraire, habituellement immobiles
dans la place qu'ils occupent, maintenus et emprisonnés dans la situation
qu'ils ont prise par des fausses membranes qui leur forment un kyste
et les limitent de toutes parts.
La disposition et la forme qu'affectent les épanchements dans la pleu-
résie ont été parfaitement établies par Damoiseau. Pour s'en rendre compte,
il suffit d'avoir présentes à l'esprit, pendant la formation de l'épanché-
154 PLEUHÉSIIi. — r. aiguë primitive. — lésions anatomiques.
mont, ces trois données : la forme irrégulièrement conique de la cavité
pleurale, l'action de la pesanteur, enfin la position habituelle du malade
dans son lit. Si l'on observe que les pleurétiques au début sont couchés
d'ordinaire sur le dos, le thorax étant soulevé et plus ou moins incliné à
l'horizon, on comprendra facilement que les épanchernents doivent s'ac-
cumuler d'abord en arrière dans la partie la plus déclive de la gouttière
costo-vertébrale, au-dessous de l'angle inférieur de l'omoplate; puis, à
mesure qu'ils augmentent, leur surface en s'élevant coupe obliquement la
cavité conoïde qui les renferme et dessine à sa surface des courbes du
genre des sections coniques obliques (Damoiseau). Dans leurs différentes
phases d'accroissement et de décroissance, les épanchernents décrivent
des courbes emboîtées ,dont l'axe vertical correspond toujours aux parties
les plus déclives de la gouttière costale, et dont la moitié antérieure et la
moitié postérieure sont très-inégales, la moitié antérieure étant très-lon-
gue jusqu'à atteindre le sternum plus ou moins haut et la moitié posté-
rieure très-courte se terminant à la colonne vertébrale. Ils sont fixés et
maintenus dans celle position, comme nous l'avons dit, par leur consi-
stance et le kyste pseudo-membraneux qui les enveloppe ; dès lors ils sont
soustraits à la pesanteur, et, quelle que soit la position du thorax, ils
conservent la forme d'une section de cône, et leur niveau supérieur coupe
le thorax selon un plan dirigé de haut en bas et d'arrière en avant rela-
tivement à l'axe vertical de cette cavité.
Quelle que soit l'abondance de l'épanchement, sa disposition reste
toujours telle que nous venons de l'indiquer; les parties anléro-supé-
rieures de la poitrine sont donc les dernières à être envahies par l'épan-
chement, et elles ne le sont que quand ce dernier remplit toute la cavité
la plèvre.
A ces indications fournies par Damoiseau, Peter a récemment ajouté
quelques particularités relatives surtout à la nature du liquide épanché;
nous aurons à y revenir à propos du diagnostic.
Telle est la disposition la plus ordinaire et la plus fréquente dans la
pleurésie aiguë primitive. Cependant il existe quelques variétés de la ma-
ladie dans lesquelles la situation et la forme des lésions offrent des carac-
tères différents : ainsi dans la pleurésie diaphragmatique, l'épanchement
se fait entre la face supérieure du diaphragme et la base du poumon, repré-
sentant un kyste étalé entre ces deux organes ; dans la pleurésie interlo-
baire, qui est à la vérité rarement primitive, il présente une disposition
analogue, le liquide s'accumulant et s'enkystant entre deux lobes du
poumon ; de même dans la pleurésie médiastine, où le liquide s'épanche
entre la face interne du poumon et le médiastin. D'autre part, quand
l'inflammation se développe dans une plèvre antérieurement bridée ou
cloisonnée par des adhérences, l'épanchement se produit dans une partie
quelconque de la cavité pleurale, et sa forme très variable est subordonnée
aux adhérences qui le limitent.
Les lésions de voisinage que détermine la pleurésie sont de deux
ordres : en tant qu'inflammation, elle produit dans les organes adjacents
PLEURÉSIE. — r. aiguë primitive. — lésions a.natomiques. 155
des lésions inflammatoires ; en outre, par l'épanchement auquel elle
donne lieu, elle entraine des déformations ou des déplacements des parois
thoraciques et des viscères avec lesquels la plèvre est en rapport.
L'inflammation de la plèvre pulmonaire se propage aux couches les
plus superficielles du poumon et, ainsi que Brouardel l'a démontré, on
trouve, dans la zone corticale du parenchyme pulmonaire contigu aux
lésions pleurétiques, les altérations de la pneumonie interstitielle ; ces
altérations survivent même à la pleurésie qui leur a donné naissance et
expliquent certains phénomènes d'auscultation qui persistent souvent
pendant un très long temps après la guérison de la pleurésie. Dans la
paroi thoracique on trouve aussi des lésions inflammatoires des organes sous-
jacents à la plèvre : ainsi le tissu cellulaire peut présenter les altérations
du phlegmon aigu ou suhaigu (Leplat), le périoste des côtes lui-même peut
être atteint par l'inflammation; enfin les nerfs intercostaux présentent des
caractères de névrite, ainsi que l'a signalé Beau : « Ces nerfs, dit-il, sont
plus ou moins enflammés dans tous les cas d'inflammation de la plèvre,
soit simple, soit compliquée de pneumonie. L'inflammation occupe ordi-
nairement toute la portion du nerf qui touche la plèvre, mais ne s'étend
pas au delà. Elle est caractérisée par une injection souvent intense, non-
seulement du névrilème, mais du nerf lui-même, qui est augmenté de
volume, sans être pour cela ni plus mou ni plus friable qu'un nerf sain.
Quelquefois il adhère légèrement à la portion de plèvre contiguë. »
Mais les altérations les plus importantes que détermine la pleurésie
dans les organes voisins, sont sans contredit celles qui résultent de la
compression exercée par l'épanchement; ce sont elles qui font en grande
partie la gravité de la maladie, en sorte que le danger de la pleurésie
réside moins dans l'inflammation elle-même que dans l'abondance de
l'épanchement auquel elle donne lieu et dans les troubles mécaniques
qui en sont la conséquence. La compression que l'épanchement exerce
sur les organes adjacents à la plèvre, le refoulement, la déformation et les
déplacements de ces organes résultent en grande partie de la tension à
laquelle est soumis le liquide dans les épanchements pleurétiques ; nous
nous arrêterons un instant d'abord à cette importante question des ten-
sions intra-thoraciques, sur laquelle Peyrota récemment publié une élude
très remarquable, et nous résumerons ici les intéressantes recherches
qu'il a publiées.
Lorsqu'il existe un épanchement un peu abondant, soit liquide, soit
gazeux, dans une des cavités pleurales et à plus forte raison dans les
deux, les tensions intra-thoraciques subissent des modifications impor-
tantes. A l'état normal, en raison de l'élasticité pulmonaire, la surface
interne des parois thoraciques et les organes creux contenus dans le mé-
diastin sont soumis à une pression négative; mais lorsqu'il se produit
un épanchement qui permet au poumon de revenir sur lui-même, cette
tension négative tend à disparaître, et quand l'épanchement devient con-
sidérable, elle peut être remplacée par une tension positive. Ordinaire-
ment les épanchements ne se bornent pas à tenir sans effort dans la loge
150 PLEURESIE. — P. aiguë primitive. — lésions anatomiques.
où ils tombent; ils tendent à écarter et â refouler les parois qui les limi-
tent; niais celles-ci réagissent par leur élasticité et entretiennent dans le
milieu liquide ou gazeux qui les presse une tension variable. Il n'est pas
besoin d'un épanchement très-abondant pour que celte pression puisse
être supérieure à la pression atmosphérique. Veut- on la preuve expéri-
mentale de cet excès de tension? Quand, chez un sujet mort avec un
épanchement pleural, on fait une ponction en un point quelconque du
thorax, on voit le liquide sortir par l'ouverture et non l'air pénétrer dans
la poitrine (Peyrot). Si, chez des sujets morts de même avec des épan-
chemenls pleurétiqucs, on adapte un manomètre à la trachée et qu'on
fasse ensuite l'ouverture de la poitrine, alors l'eau du manomètre, au lieu
d'être refoulée et de s'élever dans le tube, comme dans l'état normal,
par l'effet de l'élasticité pulmonaire, est au contraire aspirée et s'abaisse
dans le tube : dans un cas, l'abaissement de la colonne liquide fut de
4 centimètres, dans un autre cas de 10 centimètres (Mocquot et Rosa-
pclly).
Aussi tout épanchement un peu abondant se trouve soumis à une pres-
sion plus ou moins considérable. Sur le vivant, celle pression varie dans
chaque mouvement respiratoire ; et dans les cas d'épanchement peu co-
pieux, les grandes inspirations peuvent sans aucun doute ramener dans
la plèvre une tension négative. Dans un cas, Peyrot a mesuré la tension
pleurale sur le vivant à l'aide d'un manomètre à mercure ; chez un ma-
lade atteint d'un pyo-pneumothorax la tension était, au moment de la
ponction, de -}-5 centimètres de mercure; après la soustraction d'un litre
et demi de liquide, elle n'était plus que de 12 millimètres; on suspendit
alors l'aspiration : à ce moment, les mouvements respiratoires se tradui-
saient par des oscillations de la colonne liquide.
On a du reste souvent la preuve d'une grande tension intra-pleurale,
quand on fait la thoracentèse avec le trocart ordinaire : le liquide jaillit
à une certaine distance pendant un certain temps ; ce n'est pas alors que
la baudruche est nécessaire, mais seulement à la fin de l'opération, alors
que la plèvre est presque vide et que l'influence des mouvements respira-
toires peut s'y faire sentir (Peyrot).
Quelques autres auteurs se sont aussi occupés de déterminer quelle est
la tension intra-thoracique dans les épanchements pleuraux. Ainsi, en
Allemagne, Quincke et Leyden (cités par Homolle) ont, dans un grand
nombre de cas, mesuré cette tension à l'aide du manomètre, pendant
l'opération de la thoracentèse, à divers moments de l'écoulement du
liquide.. Tout récemment enlin, Homolle a publié, dans un très-intéres-
sant mémoire, les nombreuses recherches que Potain a faites sur ce sujet
important, en se servant surtout d'un petit manomètre matallique qui
s'adapte, sans difficulté, aux appareils aspirateurs. Voici les principales
conclusions auxquelles Potain et Homolle ont été conduits : La tension
initiale, au début de la thoracentèse, est presque toujours positive; elle
s'élève parfois jusqu'à 20 et 50 millimètres de mercure; elle peut, par
exception, s'abaisser à 0 ou à — 2. Il est impossible d'établir un rapport
PLEURÉSIE. P. AIGUË PRIMITIVE. LÉSIONS ANATOMIQUES. 157
proportionnel entre le degré de pression positive ou négative et la pré-
sence d'une quantité déterminée de liquide dans la plèvre. Les hautes
tensions s'observent avec les grands épanchements, surtout lorsqu'ils sont
franchement inflammatoires et récents, chez les sujets jeunes et vigou-
reux, dont les parois thoraciques sont fortes et élastiques, enfin lorsque
le poumon hyperémié ou enflammé conserve, sous la pression du liquide,
un volume notable. Les basses pressions initiales se montrent dans les
conditions opposées (vieil épanebement, sujet cachectique, poumon
affaissé, etc.). Les grandes décompressions finales succèdent à la sous-
traction de quantités considérables de liquide, quand les parois sont
rigides, quand le poumon est peu susceptible d'expansion, qu'il est bridé
par la plèvre épaissie, hyperémié on atélectasié depuis longtemps. Une
décompression brusque et forte est une des causes les plus certaines et
les plus importantes des divers accidents qui s'observent, soit après, soit
même pendant l'évacuation des épanchements pleuraux par la thoracen-
tèse (toux, douleur, expectoration albumineuse, congestion ou œdème
aigu, peut-être même pneumothorax). Le manomètre permet d'apprécier
la rapidité avec laquelle se produit l'abaissement de tension et le degré de
l'aspiration; il peut donc servir de guide pour faire apprécier le moment
où il convient d'interrompre l'écoulement du liquide. Tant que la décom-
pression est lente et graduelle, on peut, en général, continuer l'extrac-
tion ; il est bon de la suspendre quand, après un abaissement progressif,
on constate une diminution brusque et notable de la pression.
Voyons maintenant les effets de compression que l'épanchement exerce
sur les organes voisins.
Le poumon est naturellement le premier organe comprimé, et c'est sur
lui que les effets de la compression sont le plus accusés. Au début de l'é-
panchement, il revient d'abord sur lui-même en vertu de son élasticité ;
plus tard, à mesure que le liquide augmente, il se vide graduellement de
l'air qu'il contient, son parenchyme s'affaisse, devient de plus en plus
compacte, et présente les caractères qu'on a décrits sous le nom de splé-
nisation; il ne crépite plus sous le doigt et surnage à peine dans le li-
quide où on le plonge. Les bronches elles-mêmes n'échappent pas à la
compression : les extrémités bronchiques et même les bronches d'un cer-
tain calibre, quand l'exsudatest très-abondant, sont aplaties et imperméa-
bles à l'air. Si l'épanchement est demeuré limité en arrière et sur les
côtés, comme cela est très-ordinaire, c'est surtout dans les parties posté-
rieures du poumon qu'on trouvera les altérations précédentes ; mais
quand l'épanchement très-considérable a envahi la totalité de la cavité
pleurale, le poumon se retire vers son hile sur le côté de la colonne ver-
tébrale, c'est là qu'on le retrouve sous la forme d'une petite masse grisâ-
tre, exsangue, souvent enveloppée de fausses membranes épaisses. Lorsque
le liquide épanché est résorbé et que la pression cesse, le poumon peut
quelquefois reprendre ses caractères normaux; mais ce retour à l'état nor-
mal est toujours très-lent à se produire, et le plus souvent même il reste
quelques traces de la maladie. Si une partie plus ou moins considérable
158 PLEURÉSIE. P. AIGUË PRIMITIVE. LÉSIONS ANATOMIQUES.
du poumon est enveloppée de néoineinbranes inextensibles, le paren-
chyme pulmonaire, ainsi emprisonné, reste ail'aissé et inapte à remplir
ses fonctions.
Le refoulement des parois thoraciques et des organes adjacents est
étroitement lié à la tension de Pépanchement ; ce sont des phénomènes
connexes, si bien que les déformations du thorax et les déplacements des
viscères peuvent, dans une certaine mesure, servir à apprécier l'augmen-
tation de la tension intrathoracique.
Les différentes parois de la loge pulmonaire subissent à des degrés va-
riables l'influence du refoulement. La paroi costale éprouve, du côté de
l'épanchement, un changement d'aspect qui saute aux yeux, elle tend à
devenir globuleuse ; cette déformation est due à ce que les côtes, repous-
sées en dehors par le liquide, exécutent un mouvement de rotation autour
d'une ligne fictive passant par leurs deux extrémités ; dans ce mouvement
toute la partie convexe de l'arc costal se trouve écartée de l'axe vertical
du thorax, et par suite le périmètre de la poitrine est agrandi. Cependant,
ainsi que l'a montré Peyrot, l'agrandissement du côté malade n'est pas
surtout formé par le développement de la moitié du thorax où siège l'é-
panchement, l'autre côté conservant sa forme normale ; il est plutôt le
résultat d'un mouvement subi à la fois par les deux côtés de la cage tho-
racique qui se portent d'ensemble dans le sens du mamelon qui corres-
pond à l'épanchement. Le côté malade se dilate donc surtout aux dépens
du côté sain, qui se trouve entraîné vers lui par l'effort que l'épanche-
ment exerce sur une partie de la paroi thoracique, et il en résulte une
déformation de la poitrine qui amène la production d'une sorte de tho-
rax oblique ovalaire (Peyrot). Des expériences cadavériques ont dé-
montré à Peyrot la réalité de cette déformation générale de la poitrine; il
a vu que, dans le cas d'épanebement considérable, le sternum se déjette
vers le côté malade jusqu'à se transporter tout entier de ce côté ; en
même temps, la portion cartilagineuse des côtes bombe et s'arrondit du
côté malade, tandis que de l'autre côté elle s'aplatit de plus en plus à
mesure qne le sternum s'éloigne davantage de la ligne médiane. Dans ce
mouvement général du thorax sous l'effort de l'épanchement, ce sont sur-
tout les parties antérieures qui cèdent en raison de leur mobilité, tandis
que les parties postérieures résistent et opposent un obstacle efficace au
déplacement. Quoi qu'il en soif, ces déformations de la paroi du thorax
pToduisent, en même temps que le soulèvement des côtes, une asymétrie
très-marquée que l'œil et la main peuvent apprécier facilement.
Le refoulement du diaphragme est très-commun, et concurremment on
observe le déplacement du foie ou de la rate. Ces déplacements sont quel-
quefois très-considérables ; ainsi Damoiseau rapporte que, dans un cas d'é-
panchement purulent du côté droit, le foie avait subi un mouvement de
bascule tel que sa face inférieure était devenue verticale et que son bord
inférieur touchait le ligament de Fallopc ; le diaphragme présentait dans
l'abdomen une convexité au moins égale à celle qu'il forme ordinairement
dans la poitrine. L'abaissement de la rate dans les épanchemenls du côté
PLEURÉSIE. P. AIGUË PRIMITIVE. LÉSIONS ANATOMIQUES. 159
eauche signalé par Sloll, a moins d'importance et est plus difficile à
apprécier.
Le refoulement du médiastin, admis par la plupart des auteurs, a cepen-
dant été contesté par Richerand, qui, s'appuyant sur des expériences cada-
vériques, déclare que le médiastin est assez solidement fixé en avant et
en arrière du thorax et présente une résistance suffisante pour s'opposer
au refoulement même dans les épanchements les plus considérables. Mais
Peyrot, qui a fait aussi des expériences sur le cadavre, affirme que le dé-
placement du médiastin existe et est môme considérable dans les grands
épanchements. On apprécie surtout ce refoulement par le déplacement
ou la compression des organes contenus dans le médiastin. Ledéplacement
du cœur est souvent très-accusé dans les épanchements de la plèvre gau-
che; il est fréquent devoir le cœur dépasser le bord droit du sternum, et
il n'est pas très-rare de le voir atteindre le niveau du mamelon droit. La
trachée et la crosse de l'aorte peuvent encore être comprimées dans le mé-
diastin antérieur. Les organes contenus dans le médiastin postérieur sem-
blent moins subir les effets de refoulement; cependant Damoiseau a ob-
servé, dans un cas de pleurésie, une dysphagie qui ne peut guère être
attribuée qu'à la compression de l'œsophage. Il faut tenir compte aussi des
modifications que la compression du médiastin apporte à la circulation
dans les grosses veines qui sont contenues dans cet espace : la compres-
sion que subissent ces vaisseaux peut être invoquée pour expliquer la gêne
extrême de la circulation et de la respiration qu'on observe souvent, cer
tains œdèmes qui surviennent dans le cours de la pleurésie, enfin les coagu-
lations sanguines qui peuvent se former dans le cœuroules gros vaisseaux
et entraîner de redoutables accidents (Peyrot).
Les déplacements du cœur, du foie, de la rate, que nous venons d'indi-
quer sont très-réels; mais nous pensons qu'ils sont moins étendus en réalité
qu'ils ne le paraissent. En effet, dans l'appréciation de ces déplacements,
on prend pour point de repère la paroi tboracique ; or celle-ci, ainsi que
nous l'avons vu, ne reste pas immobile dans sa position normale : elle se dé-
place aussi, et ses déplacements viennent s'ajouter à ceux des organes et les
exagèrent en apparence. Ainsi, dans le cas d'épanchement considérable dans
la plèvre gauche, le cœur est refoulé à droite sous lesternum et même au delà
de cet os; il y a là un déplacement réel Au. cœur; mais en même temps le
sternum est entraîné vers la gauche et glisse au-devant du cœur, qui dès
lors paraît plus entraîné vers la droite qu'il n'est en réalité ; il y a donc
un déplacement relatif du cœur par rapport au sternum qu'on prend pour
point de repère. Cette manière nouvelle d'interpréter les déplacements du
cœur a été très-nettement formulée par un de nos élèves, M. Defontaine,
à propos d'un malade atteint de pleurésie purulente et traité par les ponc-
tions successives, chez lequel nous avions fait un grand nombre de men-
surations du thorax dans le but d'apprécier les déformations de la poitrine
et les déplacements des organes. Nous la croyons pour notre part très-
exacte, el l'un de nous en a fait l'objet d'un petit mémoire; mais il reste-
rait à indiquer des moyens pratiques pour distinguer les déplacements re-
Kill
PLEURÉSIE.
P. ÂIGUii PRIMITIVE.
SYMPTÔMES.
latii's des déplacements réels ou faire la part qui revient à chacun d'eux
dans chaque cas particulier ; c'est ce que nous n'avons encore pu réaliser.
Ce qui vient d'être dit des déplacements du cœur est également appli-
cable aux déplacements du l'oie et de la rate: sans doute l'abaissement
du diaphragme repoussé par l'épanchement refoule le foie, mais en même
temps le mouvement des côtes qui se relèvent tend à laisser le foie plus
à découvert dans l'abdomen, et si on veut apprécier le déplacement du
foie par l'étenduedont cet organe déborde les fausses côtes, on réunit dans
cette appréciation et le refoulement en bas du foie par l'épanchement
(déplacement réel) et le mouvement en haut de la paroi thoracique, qui
ebange les rapports du foie avec les dernières fausses côtes (déplacement
relatif). En résumé, nous croyons que, contrairement à ce qui a été fait
jusqu'ici, il faut tenir compte, dans l'appréciation des déplacements des
viscères dans les grands épanebements pleuraux, des déformations et des
déplacements que subit la paroi thoracique elle-même, et savoir que les
changements de rapports des viscères avec le sternum ou les côtes, consi-
dérés à tort comme (ixes, ne donnent pas la mesure exacte des déplace-
ments de ces viscères; mais qu'ils sont la somme de deux facteurs, d'une
part le refoulement vrai des organes, d'autre part le glissement en sens
inverse de la paroi thoracique.
Symptômes. — Le début de la pleurésie aiguë est très-variable :
le plus souvent il est brusque, marqué par un mouvement fébrile, accom-
pagné de point de côté, de toux et de gêne respiratoire ; quelquefois il
est insidieux, caractérisé seulement par du malaise et une sensation peu
accusée de gêne dans la poitrine, en sorte que le malade continue à
vaquer à ses occupations jusqu'à ce qu'il soit arrêté par la difficulté de la
respiration, et il arrive quelquefois qu'on trouve, dès la première fois
qu'on examine la poitrine, un abondant épanchement. La fièvre, la dou-
leur de côté, la toux et la dyspnée, tels sont les symptômes qui indiquent
l'invasion de la maladie, mais ces symptômes ne sont pas constants, ils
sont suivant les cas plus ou moins développés, ou encore diversement
associés entre eux ; de là des variétés nombreuses dans le mode de début
de la pleurésie qui, dès le commencement comme durant son cours, pré-
sente plus d'irrégularités et d'imprévu que la plupart des autres maladies
aiguës.
Quel qu'ait été son début, la pleurésie ne tarde pas en général à être
caractérisée par la persistance des trouhles fonctionnels, spécialement de
l'oppression et de la toux, et surtout par l'apparition de signes physiques
qui permettent en général de suivre la maladie dans toutes ses phases et
de reconnaître avec précision la plupart des particularités qui s'y ratta-
chent : ainsi avec l'inspection, la palpation, la mensuration, la percus-
sion et l'auscultation, il est le plus souvent possible de déterminer avec
exactitude, s'il existe ou non un épanchement dans la plèvre; quand l'épan-
chement existe, quel siège il occupe, quelle est sa foi inc. quels sont ses
limites, son épaisseur ; d'apprécier ainsi dans une certaine mesure quelle
est sa quantité, quelle est sa composition, s'il est libre ou enkysté dans
PLEURÉSIE.
P. AIGUË PRIMITIVE.
SYMPTÔMES.
m
la cavité pleurale, de le suivre dans ses diverses périodes d'accroisse-
ment, d'état et de déclin; de reconnaître les efi'cts mécaniques qu'il
exerce sur les viscères adjacents ; toutes questions capitales pour !e
pronostic et pour le traitement.
Enfin, quand l'inflammation pleurale est éteinte, elle laisse souvent
après elle des reliquats qui dépendent de la persistance de quelques-
unes des lésions de la plèvre et de la compression que l'épanchement a
exercée sur les organes voisins. Tous ces symptômes et ces signes méri-
tent une étude attentive.
Symptômes généraux et fonctionnels. — La fièvre de la pleurésie est le
plus souvent modérée, elle s'établit graduellement et se montre sous le
type rémittent. Elle n'a ni la brusquerie du début, ni l'intensité, ni la
marche typique qu'on trouve par exemple dans la pneumonie; mais elle
présente pourtant quelques caractères qui ont une réelle importance.
Au début de la pleurésie aiguë franche, la fièvre peut être regardée
comme presque constante, et il est de règle qu'il y ait un mouvement
fébrile dans les premiers jours de l'invasion de la maladie. Le plus sou-
vent il y a des frissons durant un jour ou deux : on ne trouve pas Je gros
frisson intense, unique et prolongé du début de la pneumonie, mais de
petits frissons qui reviennent à intervalles irréguliers. Cette différence
paraît due à ce que la fièvre, au lieu de s'élever rapidement et d'attein-
dre son apogée en quelques heures comme dans la pneumonie, s'accroît
au contraire lentement et met deux ou trois jours pour arriyer à son
maximum qui est lui-même relativement peu élevé. La température, en
effet, monte habituellement aux chiffres de 58°, 58° 5, et même 59 de-
grés ; rarement elle dépasse beaucoup ce chiffre ou, si elle atteint
40 degrés, ce n'est que d'une façon passagère. Le pouls est accéléré, et
celte accélération est souvent hors de proportion avec l'élévation de la
température : ainsi, on compte souvent 100, 120 pulsations par minute
et même davantage : « Dans la pleurésie, dit Lorain, la circulation est
plus accélérée que la température n'est élevée. Il y a une gêne mécanique
de la respiration qui entraîne la circulation. » En même temps qu'il est
accéléré, le pouls est souvent dur et résistant.
Après avoir augmenté pendant deux ou trois jours, la fièvre reste ordi-
nairement stationnaire pendant le temps que dure la formation et l'ac-
croissement de l'épanchement, c'est-à-dire pendant une à deux semaines
environ. Pendant ce temps qu'on peut considérer comme la période
d'état de la maladie, la température oscille entre 58 et 59 degrés, pré-
sentant un écart de 1 degré à peu près entre la température du matin et
celle du soir, et le pouls varie entre 90 et 120 ou 150 pulsations.
Cependantil n'est pas rare que, dès le commencement de celte période, la
fièvre tombeau moment où l'épanchement se forme ou pendant qu'il aug-
mente. La durée de la période fébrile dans la pleurésie est donc très-varia-
ble; elle peut n'être que de trois ou quatre jours, elle peut se prolonger
au delà de deux semaines. En général la persistance delà fièvre doit faire
craindre et rechercher l'existence de quelque complication ou la transfor-
KOBV. D1CT. M ÉD. ET C11III. XXVIII il
102
PLEURÉSIE.
P. AlCUij l'UIMlTIVE.
SYMI'TÔMKS.
mation purulente de l'épanchement; nous reviendrons ailleurs sur ce
point.
Quand la pleurésie se termine par résolution, comme c'est le cas le
plus fréquent, la période de terminaison qui commence en moyenne vers
le vingtième jour, est ordinairement apyrétique : pendant tout le temps
que dure la résorption progressive oc l'épanchcment, il n'y a pas de fièvre;
mais le pouls conserve assez souvent un peu de fréquence, imputable
sans doute à la gène respiratoire. Quelquefois durant cette période, on
voit des retours passagers de fièvre qui coïncident avec un arrêt dans la
résorption ou même avec un retour de l'épanchement.
Bien que les phénomènes fébriles, appréciés surtout par la tempéra-
ture, présentent en général les caractères que nous venons d'indiquer, il
n'est pas rare d'observer des exceptions : ainsi Woillez remarque, d'après
plusieurs faits qu'il rapporte, que la Ihermométrie fournit des données
très-variables suivant les individus et que parfois même les signes en
sont négatifs ; en outre que, les premiers jours passés, la température
n'est nullement en rapport avec les progrès de l'épanchement.
Indépendamment de l'observation de la température générale recher-
chée dans l'aisselle ou dans le rectum, Peter s'est préoccupé des varia-
tions delà température locale dans la pleurésie (thermométrie pleurale) :
pour apprécier la température de la paroi thoracique du côté sain et du
côté malade, ainsi que ses rapports avec la température moyenne du
malade, il place successivement le même thermomètre dans le même
espace intercostal, le sixième par exemple, du côté malade et du
côté sain, puis enfin dans l'aiselle du côté sain. Voici quelques-
uns des résultats intéressants auxquels il a été conduit : Du
côté de la pleurésie, la température pariétale est toujours plus
élevée que la température pariétale moyenne (qui est de 55°, 8) ; la suré-
lévation morbide ou bypei thermie locale est de 5 dixièmes de degré à '2°, 5
et même davantage; — l'élévation de la température augmente comme
l'épanchement, c'est-à-dire avec la période d'activité sécrétoire de la
plèvre ; elle décroît dans la période d'état de l'épanchement, bien qu'elle
reste encore plus élevée que du côté sain ; — la pleurésie n'élève pas
seulement la température pariétale du côté où elle siège, elle l'élève
également du côté opposé; mais la température pariétale du côté malade
est toujours plus élevée (de quelques dixièmes de degré à 1° et même
davantage) que la température pariétale du côté sain; — la température
pariétale s'abaisse peu à peu quand l'épanchement se résorbe spontané-
ment, tout en restant supérieure (en général de plusieurs dixièmes de
degré) à la température pariétale du côté sain; cette persistance tempo-
raire de l'hypcrtlicrinie locale explique la possibilité de la récidive par la
persistance des conditions anatomiques qui président à la formation de
l'épanchement. — Un fait des plus intéressants, c'est que l'élévation
absolue de la température locale, du côté malade, est plus considérable
que l'élévation absolue de la température axillaire, bien que le chiffre
thermique axillaire puisse être plus fort que le chiffre thermique pariétal.
PLEURÉSIE. — p. aiguë pimimvE. — symptômes. 163
Cette hyperthermie locale précède l'hyperthermie axillaire. Deux choses
qui démontrent l'influence dominatrice du travail morbide pleurétique sur
l'état général ou tout au moins sur la température générale. — Si on
vient à évacuer le liquide épanché, c'est-à-dire à vider la cavité de la
plèvre, la température pariétale s'élève du côté ponctionné; cette surélé-
vation de la température ne persiste pas si Pépanchement ne doit pas se
reproduire, elle persiste si l'épanchement se reproduit. Peler a établi que
cette hyperthermie consécutive à la ponction est duc à l'hypcrémic pro-
voquée par l'évacuation du liquide, que cette hyperémie a vacuo
s'ajoute à l'hyperémie phlegmasiquc antérieure et qu'ainsi on comprend
comment la ponction pratiquée intempestivement pendant la période
d'activité inflammatoire peut aider à la transformation purulente de
l'épanchement .Nous sommes obligés de nous borner à ce court résumé des
recherches de Peter ; on voit pourtant les applications qu'on en peut
faire au pronostic et au traitement.
La douleur de côté est un des symptômes les plus constants du
début de la pleurésie aiguë. Elle a souvent son siège sous le mamelon
du côté malade, dans une partie limitée du cinquième ou du sixième
espace intercostal ; elle mérite alors le nom de point de côté : c'est une
douleur aiguë, analogue à celle que donnerait un instrument piquant
enfoncé sous la peau; elle entrave la respiration, qui devient courte,
saccadée, entrecoupée. D'autres fois la douleur est plus étalée, et alors
elle occupe fréquemment une certaine étendue de la base du thorax vers
la partie externe ; elle s'irradie dans quelques cas vers l'épaule, vers la
partie postérieure de la poitrine et même vers le flanc du côté correspon-
dant ; elle présente ordinairement moins d'intensité quand elle est ainsi
diffuse que lorsqu'elle est bornée à un point peu étendu. Tantôt elle est
continue, s'exagéraut dans les mouvements respiratoires ou dans les
secousses de la toux; tantôt elle ne se montre que par intervalles, pro-
voquée seulement par la toux ou par les grandes inspirations. La douleur
de côté ne dure pas en général plus de quelques jours : ordinairement
«lie s'amoindrit ou disparaît quand l'épanchement se produit; elle
revient quelquefois lorsqu'il survient des exacerbations dans le cours de la
maladie. A quoi est due cette douleur? Non pas sans doute à l'inflamma-
tion de la plèvre elle-même, puisque la sensibilité propre de celte mem-
brane est douteuse, mais à l'irritation des nerfs adjacents, c'est-à-dire des
nerfs intercostaux. Bouillaud considérait le point de côté de la pleurésie
comme l'expression d'une névralgie intercostale; il semble plus légitime
de rapporter cette douleur à l'inflammation des nerfs intercostaux, dont
Beau, a démontré l'existence dans la pleurésie, ainsi que nous l'avons vu
précédemment : la douleur de cette névrite est rapportée aux expansions
terminales des nerfs atteints, aussi le malade n'accusc-t-il souvent qu'un
point douloureux sous le mamelon ; mais il est facile de se convaincre que
la pression est douloureuse sur tout le trajet d'un ou de plusieurs espaces
intercostaux, qu'elle est le plus pénible en des foyers qui sont les points
d'émergence des rameaux nerveux, enfin qu'elle éveille de la souffrance
104
PLEURÉSIE.
P. AIGUË PRIMITIVE. —
SYMPTÔMES.
au sommet des apophyses épineuses des espaces correspondants (Beau,
Peter).
La toux peut manquer dans la pleurésie, mais le plus souvent elle se
montre par intervalles, surtout quand le malade veut parler, ou qu'il
cherche à l'aire une profonde inspiration ou encore quand il change de
position dans son lit. Elle présente comme caractères dans la pleurésie
d'être brève, quelquefois quinteuse, toujours sèche : à peine, en effet, le
malade rejclte-l-il après les quintes quelque peu prolongées une petite
quantité de mucosités semblables à de la salive ; quand il y a mie expec-
toration différente, c'est que la pleurésie est compliquée d'une autre
maladie, une bronchite ou une pneumonie par exemple. Peter a très-
habilement, recherché la pathogénie de la toux dans la pleurésie ; il
l'attribue dans tous les cas à l'excitation des filets terminaux du nerf
vague, mais celle-ci se produit de façons différentes aux diverses phases
de la maladie : au début, l'excitation du pneumogastrique a lieu par
transmission de l'inflammation de la plèvre viscérale aux couches adja-
centes du poumon et aux ramuscules bronchiques contigus; plus tard
quand l'épanchement s'est produit en quantité peu considérable, la toux
se manifeste lorsque le malade se déplace, pareeque l'exsudat, en se
déplaçant lui-même par les mouvements du thorax vient irriter de nou-
velles portions du pneumogastrique; elle diminue souvent quand l'épan-
chement augmente, et cesse même quand il est considérable et que le
poumon est enveloppé de fausses membranes et de liquide, parce qu'il n'y
a plus alors de nouvelle surface irritable parles déplacements du liquide.
La toux sèche, quinteuse, qui survient chez un malade dans les change-
ments de position, acquiert ainsi une valeur diagnostique : elle est
l'indice d'une pleurésie et d'une pleurésie avec épanchement peu abon-
dant (Peler).
L' oppression se montre dans la pleurésie à toutes les périodes de la
maladie; elle est quelquefois peu marquée quand le malade est au repos
et surtout au lit ; il est rare pourtant qu'elle ne se montre pas quand il
veut faire un effort, marcher, monter un escalier. Souvent le malade n'en
a pas conscience, mais elle est ordinairement très-appréciable pour le
médecin : on constate en effet, le plus souvent, une accélération des mou-
vements respiratoires, dont le chiffre s'élève à 50. 40, 00 respirations-
par minute et même davantage, au lieu de 18 ou 20 comme à l'état nor-
mal ; on observe en même temps que les mouvements de la partie supé-
rieure du thorax sont exagérés et que les muscles accessoires de la respi-
ration entrent en jeu. Quand la dyspnée devient excessive, elle est
accompagnée de tous les caractères habituels de l'asphyxie. Au début de
la pleurésie, l'oppression est souvent due au point de côlé et à l'immobi-
lisation instinctive du thorax qui en est la conséquence, la respiration est
courte, comme contenue, et précipitée ; plus tard, à la période d'épan-
chement, elle est habituellement en rapport avec La quantité du Liquide
épanché et résulte de la diminution de la surface respiratoire ; mais
même dans ces conditions, elle est très-variable, surtout suivant la rapi-
PLEURÉSIE. —
P. AIGUË PRIMITIVE.
SIGNES PHYSIQUES.
165
dite avec laquelle l'épanchement s'est développé : il est peu de maladies
où l'on rencontre plus que dans La pleurésie l'accoutumance aux lésions
lentement formées ; c'est ainsi que, dans les pleurésies subaigucs, on
trouve quelquefois des épanchements considérables, remplissant tout un
côté du thorax, chez des malades qui n'ont presque pas ressenti de trou-
bles fonctionnels.
Pendant le cours de la pleurésie, les malades restent souvent couchés
sur le dos ; quant au décubitus latéral, il a lieu tantôt d'un côté, tantôt
de l'autre suivant la période de la maladie : au début, pendant la durée
du point de côté, le décubitus a lieu quelquefois sur le côté sain, mais
jamais sur le côté malade dont la pression du corps raviverait les dou-
leurs ; plus tard, quand il y a un épanchement capable de gêner la res-
piration, le décubitus latéral ne peut, au contraire, avoir lieu que sur le
côté malade, parce que, dans cette position, le côté sain peut se dévelop-
per librement pour les besoins de la respiration et que du côté malade
lui-même le poumon est le moins possible comprimé par l'épanchement.
Dans le cas d'un épanchement considérable, la position du malade debout
et sa démarche ne seraient pas, d'après Peter, moins particulières : « Le
malade, dit-il, se tient alors légèrement penché de côté, l'épaule un peu
abaissée, l'avant-bras fléchi, la main rapprochée de la ceinture, et c'est
dans cette position qu'il marche lentement et avec prudence. »
Le faciès est habituellement pâle; les forces sont un peu diminuées et
le travail est rendu impossible surtout par la gêne respiratoire. En-
fin, comme dans toutes les maladies inflammatoires et suivant le degré
de la fièvre, on observe, principalement au début, de l'inappétence, un
peu de constipation, des urines moins abondantes et plus chargées de prin-
cipes minéralisateurs.
Tous les troubles généraux et fonctionnels qui précèdent ont une réelle
importance dans l'étude de la pleurésie aiguë; mais, en raison de leur
grande variabilité, ils ont une valeur diagnostique bien inférieure à celle
des signes physiques qui permettent de suivre dans leurs diverses phases
toutes les lésions dont la plèvre est le siège et d'apprécier toutes les parti-
cularités qu'elles présentent dans leur évolution.
Signes physiques. — Nous avons, sous ce titre, à étudier successi-
vement les signes fournis par l'inspection, la percussion, l'auscultation, la
palpation et la mensuration. Ces signes sont tous en rapport avec deux
conditions fondamentales qu'on observe dans toutes les pleurésies, à sa-
voir d'une part la présence d'un exsudât composé de fausses membranes
et d'un liquide séro-librineux, d'autre part les troubles apportés aux
mouvements du thorax, aux phénomènes mécaniques de la respiration.
Inspection. — La vue permet de constater: 1° la voussure d'un côté de
la poitrine dans les parties correspondantes à un épanchement considéra-
ble ; 2° le retrait de la poitrine qui arrive, au contraire, après la résorp-
tion de l'épanchement; 3° la diminution des mouvements d'ampliatiou
du thorax : 4° le déplacement de certains viscères.
L'ampliation du thorax est assez exactement en rapport avec l'abondance
166
PLEURÉSIE. —
P. AIGUË PIUMITIVE.
— SIGNES PHYSIQUES.
de l'exsudat liquide. Elle ne se montre p;is dès le début de la période
d'épanclieraent : en effet, tant que l'élasticité pulmonaire n'est pas satis-
faite, le liquide épanché dans la cavité pleurale prend la place du pou?
mon qui se retire cL n'exerce aucun effort sur la paroi thoracique; mais,
plus tard, les quantités nouvelles qui s'accumulent, refoulent dans tous
les sens les parois qui limitent l'épanchement; de là la formation de
voussures partielles ou générales. Dans les épanchements moyens, qui
n'occupent, par exemple, que la moitié inférieure du thorax, la voussure
est .imitée à cette partie et n'atteint pas la partie supérieure du thorax.
Quand, au contraire, l'épanchement envahit et distend toute la cavité de
la plèvre, la voussure occupe tout un côté de la poitrine qui tend à pren-
dre la forme globuleuse. Quelle que soit l'étendue de ces voussures, elles
résultent toujours d'un mouvement des côtes autour d'un axe fictif qui
passerait par leurs deux extrémités, mouvement qui a pour effet de rele-
ver les côtes et de les écarter de l'axe anléro-postérieur du thorax ; en
même temps l'extrémité antérieure des côtes est repoussée en avant. Ces
déplacements des côtes ont pour effet d'ngrandir, du côté de l'épanche-
ment, le diamètre transversal et le diamètre antéro-postérieur du thorax ;
mais ils amèneraient un raccourcissement du diamètre vertical, s'il ne
se produisait concurremment un abaissement et un refoulement du dia-
phragme qui compense cet effet. On dit, en général, que les voussures
du thorax, dans la pleurésie, se forment surtout dans les parties posté-
rieures et latérales ; je crois, au contraire, que c'est surtout la partie anté-
rieure des côtes, qui du reste est la plus mobile, qui se laisse refouler
par l'épanchement : il suffit d'ailleurs d'examiner quelques tracés cyrto-
métriques, dans des cas d'épanchements pleuraux, pour se convaincre
que c'est principalement en avant et sur les côtés que l'amplialion du
thorax se fait, et que c'est en ces points que les voussures sont le plus
développées. On peut contrôler les résultats donnés par la vue, en embras-
sant avec les deux mains les deux côtes du thorax successivement : on
constate alois, sans difficulté, que le côté, de l'épanchement présente une
bien plus grande épaisseur que le côté opposé, et que sa surface est plus
régulièrement arrondie. Au niveau des parties dilatées du thorax, on
constate en même temps l'effacement des espaces intercostaux ; cet effa-
cement est dû en partie à la pression du liquide, mais surtout à la para-
lysie des muscles intercostaux qui participent à l'inflammation de la plèvc
sous-jacente.
L'amplialion du thorax suit les variations de l'épanchement et elle dis-
paraît avec lui; plus tard, dans la convalescence de la pleurésie, on peut
même observer un phénomène inverse, c'est-à-dire une dépression des
parois de la poitrine, un rétrécissement de l'un des côtés du thorax.
Lacnnec, qui a le premier appelé l'attention sur cette conséquence possi-
ble de la pleurésie, en a parfaitement indiqué les caractères et le méca-
nisme : « Les sujets qui présentent ce rétrécissement sont, dit-il, très-
reconnaissablcs, même à leur conformation extérieure et à leur démar-
che. Ils ont l'air d'être penches sur le côté affecté , lors même qu'ils
PLEURÉSIE. —
P. AIGUË PRIMITIVE.
— SIGNES PHYSIQUES.
167
cherchent à se tenir droits. La poitrine est manifestement plus étroite de
ce côté; et si on la mesure avec un cordon, on trouve souvent plus d'un
centimètre de différence entre son contour et celui du côté sain. Son
étendue en longueur est également diminuée ; les côtes sont plus rap-
prochées les unes des autres; l'épaule est plus Lasse que du côté op-
posé; les muscles, et particulièrement le grand pectoral, présentent un
volume de moitié moindre que ceux du côté opposé. La différence des
deux côtés est si frappante, qu'au premier coup d'oeil on la croirait beau-
coup plus considérable qu'on ne la trouve en la mesurant. La colonne
vertébrale conserve ordinairement sa rectitude : cependant elle fléchit
quelquefois un peu à la longue, par l'habitude que prend le malade de
se pencher toujours du côté affecté. » Ces caractères si tranchés ne se
présentent guère que dans les pleurésies qui ont amené la formation d'un
épanchement considérable , avec fausses membranes épaisses, et qui ont
duré très-longtemps, notamment dans les pleurésies chroniques; ils se
montrent pourtant, sous une forme atténuée, à la suite d'un grand nom-
bre de pleurésies aiguës, surtout chez les enfants. Laônnec pensait que
ce rétrécissement, une fois produit, persistait indéfiniment; mais il est
établi que la déformation peut disparaître à la longue ; c'est encore chez
les enfants qu'on observe souvent ce retour à la conformation normale de la
poitrine, même après des pleurésies qui ont entraîné des déformations
considérables. Outre ces rétrécissements généraux de tout un côté de la
poitrine, Woillez a montre qn'il s'opérait aussi des rétrécissements par-
tiels du côté affecté, à la suite de la pleurésie, et que ces rétrécissements
limités se développaient de préférence au niveau des régions où s'obser-
vent habituellement les dépressions relatives des saillies physiologiques,
c'est-à-dire de préférence en arrière du côté gauche, et en avant du côté
droit.
Quant au mode de formation de ces dépressions du thorax, tous les
auteurs, depuis Laënnec, l'interprètent de la façon suivante : Lors de la
guérison de la pleurésie, le poumon rétracté et emprisonné dans les
fausses membranes résistantes, ne peut se dilater ou du moins il ne se
dilate que partiellement ; à mesure que l'épanchement est résorbé, il
faut que le vide virtuel qui en résulte soit comblé et dès lors, à défaut du
poumon qui a perdu son expansibilité, ce sont les côtes et les parois tho-
raciques qui se laissent déprimer par la pression atmosphérique. A cette
première cause d'affaissement des côtes s'ajoute dans une certaine me-
sure la traction exercée sur elles par les adhérences costo-pulmonaircs qui
se sont formées au cours de la pleurésie : ces adhérences agissent à la fois
sur les côtes et sur le poumon, sur les côtes qu'elles entraînent en dedans
vers l'axe de la poitrine, sur le poumon qu'elles forcent dans une cer-
taine mesure à se développer, mais en déterminant souvent une dilatation
des bronches (Barth). Ainsi d'après celte théorie, ce serait surtout la pres-
sion atmosphérique s' exerçant sur la paroi thoracique lors de la résorption
de l'épanchement et accessoirement la rétractilité des fausses membranes,
qui amèneraient la dépression du thorax à la suite de la pleurésie. Cepen-
108 PLEURÉSIE» — Pï AIGUË I'HIMITIVK. SIGNES physiques.
dant Brbuardel a contesté, dans la production de cette déformation, l'in-
ilucuce de la pression atmosphérique, sous prétexte que la différence de
tension à la surface thoracique et à la surface bronchique était très-faihle
dans l'inspiration (un ou deux centimètres de mercure) et que d'ailleurs
pendant l'expiration la différence était en sens inverse; d'après lui la
véritable cause des déformations thoraciques après la pleurésie, réside
dans le travail physiologico-pathologiquc des fausses membranes et dans
ieur tendance rétractile.
L'inspection permet encore de constater la diminution des mouvements
du thorax du côté correspondant à la pleurésie : souvent il semble qu'une
moitié de la poitrine soit presque immobile; tout au moins les excursions
respiratoires de la paroi thoracique sont extrêmement limitées du côté
malade, tandis que du côté sain elles conservent leur amplitude normale
ou paraissent même exagérées. Rien n'est plus facile que de conslater
cette différence dans les mouvements respiratoires des deux côtés quand
le malade est couché sur le dos et qu'on examine de face la poitrine dé-
couverte : déjà très-appréciable dans les respirations ordinaires, elle
devient beaucoup plus apparente dans les respirations profondes. Ce n'est
pas seulement la respiration costale qui est ainsi modifiée, c'est encore la
respiration diaphragmatique : par suite de l'immobilité du diaphragme
du côté malade, l'hypochondre et la moitié de l'épigastre restent immo-
biles dans les deux temps de la respiration, tandis qu'on les voit du côté
sain soulevés pendant l'inspiration et déprimés pendant l'expiration. Ces
phénomènes peuvent se montrer aux diverses périodes de la pleurésie,
mais ils paraissent dépendre de conditions pathogéniques différentes :
au début le côté malade paraît immobilisé instinctivement par la dou-
leur; plus tard on peut invoquer laparalysie des muscles intercostaux et
du diaphragme par voisinage avec la plèvre enflammée ; quand l'épan-
chement est formé et qu'il est abondant, la paroi du thorax et le dia-
phragme sont maintenus immobiles dans la situation qui correspond à la
plus grande ampliation delà cavité thoracique ; enfin après la résorption de
î'épanchement, ces mêmes parties sont fixées par les adhérences et par le
défaut d'expansibilité du poumon, dans la position qui correspond à la
plus grande rétraction du thorax.
L'inspection permet enfin de constater le déplacement du cœur et en
fournit un des meilleurs signes, à savoir les battements de la pointe qui,
dans la pleurésie gauche sont visibles plus ou moins loin du point où
elle bat habituellement : tantôt à gauche dans le voisinage du sternum,
tantôt à l'épigastre, ou bien à droite de la ligne médiane, dansles espaces
intercostaux du côté droit, le long du bord du sternum. Moins souvent,
dans les pleurésies droites, on voit la pointe du cœur refoulé vers la
gauche, battre plus ou moins loin en dehors et au-dessous du mam-
mclon.
Percussion. — Les signes fournis par la percussion sont avec ceux
que donne l'auscultation d'une importance décisive dans le diagnostic de
la pleurésie. Par la percussion, on trouve du côté malade soit une dimi-
PLEURÉSIE. — P. AIGUË PRIMITIVE. — SIGNES TIIYSIQUES. 169
nution de résonnance appréciable, soit une matité plus ou moins com-
plète; en même temps que les qualités du son ont varié, les sensations
tactiles perçues par le doigt qui percute se sont modifiées : il existe une
résistance au doigt dans les parties occupées par l'épanchement (Piorry),
résistance qui contraste avec la sensation de souplesse qu'on trouve dans
les parties saines.
Pour que le son soit obscurci, il faut que le liquide ait au moins de
un à trois centimètres d'épaisseur. Si l'épanchement est minime, il reste
disposé sous forme d'une lame mince interposée aux deux feuillets de la
plèvre, et donne lieu alors à une légère diminution de résonnance. Dès
que le liquide augmente, sous l'influence de la pesanteur il s'accumule
dans les parties les plus déclives de la cavité pleurale, c'est-à-dire, en
raison du décubitus dorsal habituel aux malades, à la partie postéro-in-
férieure du thorax. Nous avons vu plus haut que l'intersection du plan
de la face supérieure du liquide et du cône figuré par le thorax, donne
une courbe parabolique, à laquelle succèdent, avec les progrès de l'ex-
sudat, une série de courbes concentriques de même ordre. La percussion,
en donnant les limites de l'épanchement, permet de retracer ces disposi-
tions de la surface du liquide. Nous verrons plus loin quel parti l'on peut
tirer de la forme de ces courbes, pour le diagnostic et le pronostic de la
pleurésie.
A mesure que le liquide augmente la matité s'étend, et le son, com-
plètement mat à la partie inférieure, devient en remontant simplement
obscur. La matité envahit bientôt les parties latérales de la poitrine,
mais ce n'est que dans les cas d'épanchement très-abondant, qu'on la
voit s'étendre aux parties antérieures du thorax. Le niveau supérieur du
liquide permet, par son ascension graduelle, d'apprécier les progrès de
l'exsudat ; il peut arriver néanmoins que le liquide augmente sans varia-
tions appréciables de son niveau, et sans que la limite de la matité se
rapproche de plus en plus du sommet du thorax. Ce phénomène est du
au déplacement du cœur, au refoulement des médiastins, à l'abaissement
du diaphragme, du foie, de la rate et à la dilatation du thorax qui ré-
sistant d'abord, cède ensuite plus ou moins rapidement et se laisse
distendre.
Le degré de la matité varie comme son étendue avec l'ahondance du
liquide : au début, alors que l'exsudat est étale en lame jusqu'à une cer-
taine hauteur, il ne donne que de la submalité, et une percussion un
peu énergique évoque toujours la résonnance des parties profondes. Une
percussion plus ou moins forte peut donc, dans de certaines limites,
faire apprécier l'épaisseur du liquide. Ce n'est que lorsque celle-ci est
considérable que la résonnance profonde fait entièrement défaut, cl que
la matité est complète, absolue, sans vibrations du thorax ; elle est alors
bien plus prononcée que dans la pneumonie, et devient identique au son
que donne la percussion d'épaisses masses musculaires : lanqaam per-
cussi femoris. La résistance au doigt qui percute, et l'absence d'élas-
ticité sont aussi bien plus marquées. Ces caractères plcssimétriques
170 PLEURESIE. — p. aiguë piumitive. — signes physiques.
peuvent s'étendre à tout un côté du thorax, mais les parties anléro-
SUpérieures, envahies les dernières, ne donnent de matité que lorsque le
liquide est assez ahondant pour occuper toute la poitrine. Dans ces cas,
le poumon refoulé, comprimé, est réduit quelquefois à une sorte de moi-
gnon presque exsangue. On peut encore néanmoins, par une percussion
minutieuse, le retrouver dans un point de la poitrine où, retenu par son
hilc, il surnage au-dessus de l'épanchement. Il est alors en haut en avant
et en dedans du médiaslin, dans le sinus formé par le hord du sternum
et l'extrémité interne de la clavicule; c'est là la dernière partie sonore
du thorax.
Avcnhrugger avait donné comme un des caractères de la matité pleu-
rétique, la mobilité de son niveau dans les changements d'attitude im-
posés au malade. Le fait est loin d'être constant, il paraît même
exceptionnel dans la pleurésie franche. Deux conditions s'opposent au
déplacement de l'exsudat : sa consistance, quand il contient une forte
proportion de fibrine, ce qui est le cas ordinaire dans la pleurésie
franchement inflammatoire ; la limitation du liquide par des fausses
membranes qui l'enkystent constitue encore un obstacle à sa mobilité.
Néanmoins lorsque, procédant d'une phlegmasie moins franche, l'épan-
chement est plus fluide, ou que l'enkystement est moins complet, comme
cela arrive dans certaines pleurésies secondaires, on peut en changeant
la posture du malade, faire varier la ligne de niveau, et trouver de la
résonnance dans des points précédemment mats.
La percussion ne donne pas seulement de la matité, elle permet aussi
d'étudier les changements de résonnance des points de la poitrine avec
lesquels le poumon reste encore en contact. Quand l'épanchement, même
très-abondant, laisse libre le sommet de la poitrine, on observe à ce
niveau une exagération de sonorité à laquelle Skoda a attaché son nom :
bruit skodique. Cette partie du poumon, un peu rétractée, est moins
tendue, elle vibre plus complètement, et donne, au-dessous de la clavi-
cule, une résonnance tympanique qui tranche sur la matité absolue des
parties inférieures. Par un mécanisme analogue, c'est-à-dire une légère
rétraction du poumon, un son clair ou même tympanique se montre au
niveau de l'épanchement, tout à fait au début de la pleurésie, dans des
points où le liquide est encore très-peu considérable et où l'on trouvera,
un peu plus tard de la matité. Ce fait, établi par Skoda, a été confirmé
par Barth et Gueneau de Mussy. Quand répanchement occupe toute la
cavité de la poitrine d'un côté, la matité sous-claviculaire est absolue.
Quelquefois en ce point le son est encore tympanique, mais avec un bruit
de pot fêlé ou une résonnance métallique ; cela tient à ce que la compres-
sion du poumon étant alors complète, permet au doigt de faire vibrer
directement la colonne d'air de la trachée et des grosses bronches.
Le degré de la matité n'est pas toujours l'expression absolue de l'abon-
dance et de l'épaisseur de la couche liquide : Skoda a fait voir que,
lorsqu'une paroi vibrante est très-tendue, la tonalité du son s'élève et la
résonnance diminue; la pneumalosc abdominale, l'emphysème pulmo-
PLEURÉSIE. — r. aiguë primitive. — signes physiques. 171
naire peuvent, avec une tension élevée, donner une résonnance moindre
qu'à l'état normal ; il en est deméme, comme l'a fait remarquer Laënnec,
d'un épanchement moyen ou même peu abondant, s'il se forme rapide-
ment et surprend le poumon, qui ne se laisse pas refouler d'abord, et la
paroi costale qui résiste; la tension de la paroi Ihoracique peut alors clic
telle, qu'il y ait absence plus ou moins complète de vibrations, et matité
presque absolue.
Auscultation. Les données diagnostiques fournies par l'application de
l'oreille se tirent surtout de l'examen du côté malade, néanmoins, il
n'est pas sans intérêt d'ausculter le côté sain. Ces signes d'auscultation
consistent tantôt en une simple modification des bruits normaux, tantôt
dans l'apparition de bruit insolites.
Le signe stéthoscopique le plus commun, celui que l'on rencontre à
divers degrés dans tous les cas de pleurésie avec exsudât, c'est l'affai-
blissement du bruit respiratoire ; toutefois, ce n'est pas toujours le pre-
mier indice que donne l'auscultation : tout à fait au début de la phleg-
masie pleurale, alors qu'il n'existe pas encore d'épanebement, il n'est pas
rare de percevoir un léger bruit de frottement dû à la locomotion du
poumon, qui fait frotter l'une contre l'autre les deux plèvres engluées
de fibrine granuleuse; ce frottement est extrêmement doux. C'est là un
phénomène tout à fait fugace, et promptement on voit s'affaiblir ou dispa-
raître complètement le murmure respiratoire; ce bruit, d'abord plus faible
à la base, cesse bientôt complètement à ce niveau, en même temps qu'il
commence à s'affaiblir plus baut, pour reparaître avec son intensité nor-
male à la limite supérieure de l'épanchement. Quand le liquide est très-
abondant, le silence peut être absolu dans toute la bauteur de la poitrine
en arrière ; chez l'enfant, toutefois, il est rare que la respiration soit tout à
fait abolie, si ce n'est à une époque éloignée. Dans les cas d'épanchements
moyens, le bruit respiratoire complètement nul ou très atténué en arrière,
est simplement affaibli sur les côtés et en avant, ce qui résulte de la
disposition du liquide que nous avons déjà signalée. Au sommet de la
poitrine, surtout en avant, il n'est pas rare de trouver au contraire un
bruit fort, exagéré, presque soufflant, semblable à la respiration puérile
qu'on perçoit dans le poumon du côté opposé. Cette exagération du mur-
mure vésiculaire, serait due, pour Woillez, à un léger refoulement en
haut du poumon par le liquide.
L'affaiblissement de la respiration est d'autant plus prononcé que
l'cxsudatest plus considérable. Néanmoins Guéneau de Mussy fait remar-
quer qu'il ne lui est pas toujours proportionnel : comme l'avait vu
Laenncc, ce signe peut être plus accusé au début qu'il ne le sera plus
tard, alors que le liquide aura augmenté d'abondance. Ce désaccord appa-
rent entre le symptôme et sa condition physique s'explique, pour l'émi-
nent médecin de l'IIôtcl-Dieu, par une tension moindre de la paroi
thoracique ; nous pensons qu'il est dû aussi en partie à l'immobilisation
instinctive du côté malade qui résulte de la douleur de côté.
Il faut se garder, quand on ausculte le côté malade, de prendre pour
17'2 rLKURÉSIE. — r. aiguë primitive. — sicnes physiques.
un bruit vésiculairc produit sur place, le retentissement du murmure
respiratoire du poumon opposé. Nous verrons, à propos de l'auscultation
du côté sain, que la respiration y csttrès-dévcloppéc et prend le caractère
puéril, et ce bruit intense se propage aisément au poumon malade. On
reconnaîtra l'erreur, en auscultant sur une ligne horizontale des points
de plus en plus distants du rachis, le bruit transmis allant alors en
s' éteignant.
L'affaiblissement du bruit normal, dû à la présence du liquide, per-
siste néanmoins à un certain degré après sa disparition, ce qu'il bail
attribuer pour une part à l'existence de fausses membranes, mais aussi
à ce que l'expansion pulmonaire reste amoindrie pendant des mois et
même des années, et permet de reconnaître, bien longtemps après la
guérison, quel a été le côté atteint.
L'affaiblissement ou la disparition plus ou moins complète du bruit
respiratoire peut être le seul signe que donne l'auscultation, mais il est
fréquent d'observer, avec les progrès de l'épanchement, de la respiration
bronchique ou souffle bronchique. Le souffle, à son moindre degré, n'est
guère qu'un bruit d'expiration prolongée, et même alors qu'il est très
développé, il a un caractère de douceur et d'acuité qui diffère de la
rudesse à timbre métallique du souffle de la pneumonie ; il est voilé,
lointain, en général plus marqué durant l'expiration, mais se produi-
sant aux deux temps de la respiration; toutefois, il peut ne se montrer
que dans les inspirations profondes, alors que l'on fait tousser le ma-
lade, ou bien à l'expiration seulement. Souvent avant de se faire entendre
aux deux temps, il se montre d'abord à l'expiration, et quand il est
sur le point de disparaître, c'est encore par l'expiration qu'il finit. Le
souffle bronchique existe très-fréquemment au début de la pleurésie chez
les enfants.
Si le liquide est très-copieux, le souffle peut disparaître, pour devenir
de nouveau appréciable lorsque l'épanchement diminue. Il occupe rare-
ment tout le côté malade, quelque étendue que soit la matité, quelque
complet que soit le silence respiratoire : tantôt borné aux parties laté-
rales du rachis, là où le poumon est refoulé par l'exsudat, d'autres
fois, il est limité à la partie moyenne de la poitrine en arrière, dans
le voisinage de l'angle inférieur de l'omoplate. On le trouve dans
les points où l'épanchement offre peu d'épaisseur, et où les modifications
de la voix sont plus accentuées ; ce sont deux phénomènes connexes.
L'existence d'adhérences dues à une pleurésie antérieure peut modifier
la situation qu'il occupe habituellement, quand aucun obstacle n'empêche
le liquide d'obéir à l'action delà pesanteur.
Existc-t-il un rapport constant entre la quantité de l'épanchement et
l'existence du souffle bronchique ? On est loin d'être d'accord sur ce
point, et tandis que Monneret, llirlz, Gucncau de Mussy, Jaccoud. Gutt-
mann admettent que le souille apparaît avec une collection liquide peu
abondante, Fournct, Landouzy, Netler, pensent qu'un épanchement volu-
mineux est la condition nécessaire de sa production. D'après Guttmann
PLEURÉSIE. P. AIGUË PRIMITIVE. SIGNES PHYSIQUES. 175
le souflle se produirait quand le liquide, d'abondance moyenne, est suffi,
saut pour comprimer les cellules pulmonaires et les petites bronches,
sans aplatir les gros tuyaux bronchiques. Les épanchements faibles, n'ame-
nant pas l'imperméabilité du poumon, ne le déterminent pas, non plus
que les collections volumineuses qui aplatissent les grosses bronches, et
empêchent ainsi la plus grande partie des vibrations laryngées de retentir
jusqu'au poumon. L'opinion de Woillez sur le souflle bronchique, se
rapproche de celle que nous venons de rapporter : « La cause immédiate
du souffle bronchique dans la pleurésie, dit-il, doit être cherchée dans des
conditions physiques du poumon encore difficiles à déterminer. Une seule
nous paraît évidente, c'est l'imperméabilité complète ou incomplète des
vacuoles pulmonaires, par le fait du retour du poumon sur lui-même,
ou de sa compression, imperméabilité d'où résulte la résonnance bron-
chique de l'air en mouvement dans les conduits respiratoires. » L'abon-
dance médiocre du liquide et sa faible densité sont favorables à l'appari-
tion du souffle. Pour Jaccoud, il serait produit par le bruit vésiculaire
renforcé et prolongé par une couche mince de liquide faisant office d'anche
membraneuse. Il convient d'ajouter que la présence du liquide ne paraît
pas indispensable à sa production, puisque Woillez et Landouzy ont signalé
sa persistance après la disparition complète du liquide et alors que la
résorption de l'épanchement n'était pas douteuse.
Quelquefois le souflle pleurétique prend le caractère caverneux ou
amphorique, et peut s'accompagner de gargouillement, comme s'il
existait une caverne vaste et superficielle, ou bien un hydropneumo-
thorax; Azam, Béhier, Landouzy, Rilliet et Barthez en ont cité des
observations. Ces caractères ont été rencontrés surtout au niveau de
l'épine de l'omoplate, dans le voisinage des grosses bronches et de la
trachée. Ces phénomènes regardés comme exceptionnels chez l'adulte,
sont relativement fréquents dans la pleurésie des enfants. Ils seraient
dus à la compression du poumon par l'épanchement, et à la transmis-
sion à la paroi thoracique des bruits trachéaux et bronchiques par le tissu
pulmonaire refoulé et induré. Mais on a expliqué de la même façon le
simple souffle bronchique, il semble donc évident que dans les cas de
souffle caverneux et amphorique, il doive y avoir autre chose. Il est
probable que la transmission du bruit trachéal est ici rendue plus com-
plète et plus facile par l'existence d'un certain degré de congestion pul-
monaire. On a encore expliqué les phénomènes cavitaires par l'existence
d'adhérences qui retiennent le poumon appliqué contre la paroi costale au
niveau de laquelle on perçoit les bruits amphoriques. Barthez et Rilliet
ont noté comme conditions favorables à ces modifications du souflle pleu-
rétique les indurations du poumon, les tumeurs situées au voisinage des
gros tuyaux bronchiques, comme un anévrysme de l'aorte, une tumeur
fibreuse, etc.
Si la pleurésie se complique d'une bronchite, les râles que celle-ci déter-
mine prennent souvent, dans les points où s'entend le souffle, un carac-
tère éclatant, un timbre métallique, véritable gargouillement bronchique.
174 PLEURESIE. — p. aiguë primitive. — signes physiques.
Ou a, dans ces cas, beaucoup de peine à se défendre de croire à l'existence
d'une caverne pulmonaire.
Pendant qu'on ausculte le malade, il est important de le faire parler.
La voix peut conserver ses caractères ordinaires, à l'intensité près ; elle
est alors plus faible que du côté sain, comme éloignée, et l'affaiblissement
s'accroît de haut en bas, ainsi que cela arrive pour le bruit pulmonaire.
Quand l'épanchement est considérable, et le son de percussion complète-
ment mat, la voix cesse d'être perceptible ; plus rarement le murmure vocal
est exagéré et constiluc une sorte de bourdonnement. Un signe autrement
significatif est Yégophonie, mais elle est loin d'être constante, et ses
caractères varient avec ceux de la voix normale et la quantité de l'ex-
sudat. Si la collection étant d'abondance moyenne, la voix n'est pas
trop aiguë, elle prend à l'auscultation un caractère aigre, elle est trem-
blotante, comme bredouillante, saccadée ; elle rappelle le bêlement de la
chèvre, ou bien elle à un timbre nasillard comme celui que l'on produit
lorsqu'on parle en se pinçant les narines ; ailleurs c'est un bruit criard
comme la voix de polichinelle, semblable au son du mirliton, ou strident
comme la vibration d'un jeton sur les dents.
L'égophonie ne s'entend ni dans un espace étendu, ni d'ordinaire pen-
dant longtemps : le plus souvent, on la perçoit au pourtour de l'angle
inférieur de l'omoplate entre la ligne axillaire et le rachis, et habituelle-
ment vers la limite supérieure de l'épanchement. Sa production, souvent
transitoire et fugace, semble être liée à une hauteur donnée du liquide,
en deçà et au delà de laquelle elle n'existe pas. Très-commune dans les
épanchements médiocres qui atteignent la partie moyenne de la poitrine
elle parait résulter de la résonnance de la voix à travers une mince lame
de liquide infiltré dans des fausses membranes ou interposé à la paroi
thoracique et au poumon. Lorsque l'épanchement devient très-abondant
elle disparaît, pour revenir dans le décours de la maladie, mais elle est
alors bien moins nette que l'égophonie du début, ce qui paraît tenir à
l'existence des fausses membranes dont la présence entrave sa production.
Dans quelques cas, au lieu d'égophonie, on perçoit une bronchophonie
semblable par ses caractères à celle de la pneumonie, ou bien le retentis-
sement vocal a un caractère mixte qui participe à la fois de l'une et de
l'autre, c'est la broncho-égophonie. Enfin, il n'est pas rare de trouver en
même temps, dans des points différents d'une part de l'égophonie, de
l'autre de la bronchophonie.
La recherche de la pectoriloquie aphone donne encore des caractères
diagnostiques importants : Baccelli (de Rome) appelle ainsi le phénomène
qui se produit lorsqu'on fait parler à voix basse, pendant qu'on l'ausculte,
un malade atteint d'epanchement plcurétiquc. Lorsque la transmission
vocale se fait bien, il semble que le malade chuchote directement dans
l'oreille de l'observateur. D'après Baccelli, les liquides homogènes, peu
denses, très-fluides transmettent très-nettement la voix chuchotée ; mais
si le liquide épanché s'écarte de la consistance et de la composition du
sérum, s'il est épais, chargé de flocons d'exsudat, s'il tient en suspension
PLEURÉSIE. —
P. AIGUË PRIMITIVE.
SIGNES PHYSIQUES.
175
des éléments histologiques, des leucocytes, des hématies, les vibrations
ne se feront plus sentir. Les signes tirés de ce mode d'exploration, appor-
teraient, si sa valeur était confirmée, un sérieux appoint au diagnostic de
la nature des épanchements, et éclaireraient singulièrement le diagnostic
de la pleurésie purulente et des hémorrhagies pleurales.
Tous ces signes d'auscultation, le souffle, l'égophonie, la bronchopho-
nie, peuvent faire défaut, et l'on ne trouve d'autres signes que la matité
et l'absence du murmure vésiculaire.
Le frottement pleural que nous verrons être le seul signe physique
de la pleurésie sèche se rencontre quelquefois au début, et très-souvent à
la fin de la pleurésie avec épanchement. C'est surtout au-dessous de
l'aisselle qu'il offre son maximun d'intensité, en raison de l'amplitude
plus grande du glissement pulmonaire à ce niveau. Suivant son degré, il
a des caractères bien différents : quelquefois très-léger, il constitue un
simple frottement, semblable au froissement de la soie, au bruit des
feuilles mortes que l'on foule aux pieds. Quand il est plus fort, si ses
saccades sont nombreuses et régulières, elles peuvent simuler les râles
sous-crépitants, c'est là le frottement râle de Damoiseau. Quelquefois, les
frôlements sont assez multipliés et assez fins pour faire croire à un véri-
table râle crépitant, fausse crépitation que Trousseau considérait comme
bien réelle, et qu'il rapportait à une phlegmasie superficielle du poumon
développée par conliguité avec la plèvre enflammée. 11 y aurait là quelque
chose d'analogue à ce qui arrive dans l'érysipèle pour le tissu cellulaire
sous-cutané qui s'infiltre de fibrine. Cette variété de frottement s'entend
tout à fait au début, pendant les quelques heures qui précèdent la forma-
tion de l'épanchement. On a d'ailleurs bien rarement l'occasion de la
constater, car on ne voit guère les malades tout à fait au début, et
quelques heures suffisent pour amener la production du liquide. Nous
verrons à propos du diagnostic que des râles crépitants existent réelle-
ment dans d'autres cas, et reconnaissent pour cause, soit une congestion
pulmonaire, soit, lorsque l'épanchement s'est rapidement résorbé, le
déplissement pulmonaire.
Quand le frottement est plus marqué, c'est un bruit intense ressem-
blant au froissement de la neige, et même à la crépitation osseuse; il peut
être alors perçu par l'oreille placée à une petite distance de la poitrine,
il devient appréciable par le palper, et le malade, qui en a conscience,
peut en être incommodé. La toux, l'expectoration ne le modifient pas, ce
qui le distingue des bruits bronchiques. Il est superficiel, on peut l'obser-
ver aux deux temps, mais il est plus marqué à l'inspiration qui peut
être le seul moment où on le perçoive. Les saccades sèches et inégales
du frottement moyen ou intense, en font un signe d'une grande valeur ; il
s entend dans la plupart des cas lors de la résolution de l'épanchement ;
quand on l'observe tout à fait à la base du poumon, il indique très net-
tement la disparition complète du liquide.
Une variété de pleurésie sur laquelle nous aurons à revenir à propos
des pleurésies secondaires, h pleurésie sèche, n'a pas d'autre signe phy-
m
PLEURÉSIE. —
P. AIGUË I'IUMITIVE.
— SIGNES PHYSIQUES.
siquc que le frottement. Lorsque l'exsudal liquide manque, ou qu'il est
très-peu abondant, l'exsudat fibrineux qui revêt la plèvre au niveau du
point enllammé, donne lieu àdn frottement pleural. Ce signe, qui persiste
pendant toute la durée de l'affection, en constitue, avec une légère dou-
leur siégeant au niveau du point malade, toute la symplomalologie. La
pleurésie sèche est bien rarement primitive, elle est d'ordinaire symp-
tomatique de la tuberculose. On en a néanmoins signalé quelques cas,
chez des sujets bien portants d'ailleurs et non diathésiques.
Tels sont les signes stéthoscopiques que donne l'application de l'oreille
sur le côté malade. II est de quelque importance d'examiner également
le côté sain : dans les cas ou l'épanchement est très-peu abondant, la
comparaison du côté malade au côté sain fera mieux saisir un léger affai-
blissement du bruit respiratoire qui aurait pu échapper sans cela. Si
l'épanchcment est faible ou médiocre, le murmure vésiculaire reste nor-
mal du côté opposé, mais quand le liquide est très-abondant, et le pou-
mon fortement comprimé, on perçoit dans le côté sain une respiration
exagérée, puérile. Par suite de la suppression plus ou moins complète
des fonctions d'un des poumons qui cesse de pouvoir se dilater, toute
la colonne d'air trachéale passe dans le poumon sain ; il est d'ailleurs
probable que le malade s'efforce instinctivement d'augmenter l'ampli-
tude de la dilatation du poumon sain, pour suppléer son congénère dont
l'inaction rend l'hématose insuffisante.
Il faut se garder, quand on ausculte le côté sain, de prendre pour du
souffle un bruit de propagation venant du côté malade. Le souffle trans-
mis, qui est à son maximum au voisinage de la gouttière vertébrale, di-
minue à mesure que l'oreille s'éloigne vers l'aisselle, où l'on percevra la
respiration exagérée, mais sans mélange de bruits morbides.
L'auscultation du poumon resté libre servira encore à reconnaître
l'existence de la congestion pulmonaire très-fréquente du côté sain, quand
l'épanchement est considérable.
Enfin, les déplacements du cœur souvent appréciables à la vue ou au
palper quand les battements de la pointe sont superficiels et suffisamment
énergiques, seront aisément suivis dans leur marche à l'aide de l'oreille
qui trouvera aisément le maximum qui répond à la pointe de l'organe.
Palpation. — L'application de la main sur la paroi thoracique ne
fournit aucun signe qui lui soit propre et que l'auscultation ou la vue ne
puisse donner; elle permet néanmoins de contrôler les autres méthodes
d'exploration, et à son aide, certains signes sont appréciés d'une façon
plus complète ; tels sont le frémissement vocal des parois thoraciques, le
frottement pleurétiquc, l'existence et le siège d'un point de côté non
appréciable spontanément, l'amplitude de la dilatation du côté de l'épan-
chement.
Le frémissement thoracique, connu de longue date par le travail de
Raynaud, qni l'a le premier signalé (1824) et par la clinique d'Andral.
a été surtout vulgarisé par Monneret qui a insisté sur sa valeur et sa
signification dans un certain nombre de maladies, et notamment dans la
PLEURÉSIE. — P. AIGUË PRIMITIVE. SIGNES PHYSIQUES. 177
pleurésie. L'intensité des vibrations thoraciques varie avec des conditions
multiples : elle est d'autant plus grande que la voix est plus forte et plus
grave, la paroi costale plus mince, et le point exploré plus rapproché du
larynx. Si, au contraire, la voix est grêle et aiguë, la couche musculo-
adipeuse très-épaisse, les vibrations laryngées, plus nombreuses mais
moins étendues, feront à peine vibrer la paroi costale; le frémissement
pourra même être nul, ainsi que cela arrive souvent chez les femmes. Ce
signe n'a donc pas une valeur absolue; on peut trouver des vibrations à
peine perceptibles sur un sujet sain, alors qu'elles conserveront une cer-
taine intensité dans» des cas d'épanchement pleural; il faudra toujours
procéder par comparaison.
Lorsque le poumon et la paroi costale sont écartés l'un de l'autre par
l'interposition d'un liquide, le frémissement diminue; il disparaît presque
complètement quand le liquide occupe toute la cavité pleurale et comprime
fortement le poumon. Dans ces cas les vibrations, faiblement transmises
par les bronches comprimées et aplaties, s'atténuent en traversant le
liquide et n'arrivent pas à la paroi thoracique. La diminution des vibra-
tions thoraciques caractérise plus sûrement la présence de l'épanchement
que la matité ou l'obscurité du son; celle-ci peut être donnée par des
fausses membranes épaisses, tandis que l'affaiblissement du frémissement
vocal est bien le fait de la présence d'un liquide.
Woillez a établi, à l'aide d'un nombre relativement considérable d'ob-
servations, que dans la pleurésie avec épanchement le simple affaiblisse-
ment des vibrations thoraciques est la règle, et leur abolition complète
l'exception. Dans les épanchements très-abondants, si les vibrations vocales
naguère complètement supprimées se montrent de nouveau, on peut annon-
cer la diminution du liquide, quand même, son niveau restant stationnaire
et son épaisseur seule diminuant, la percussion n'indiquerait rien. Le
frémissement thoracique laisse donc suivre avec quelque exactitude la
marche du liquide. L'absence de vibrations thoraciques à la base de la
poitrine, permet sans le secours de l'oreille, d'affirmer la présence en ce
point d'un épanchement ; dans quelques cas, chez les vieillards par
exemple, dont la pneumonie même étendue éveille si peu de retentisse-
ment général, et présente des signes physiques si incomplets, l'absence
du frémissement vocal sera souvent le seul moyen de décider entre la
1 pleurésie et la pneumonie, les vibrations étant toujours accrues dans cette
i dernière maladie.
Par le palper thoracique, on reconnaît encore l'existence du frottement
i pleural, mais seulement quand il est assez intense; il donne alors à la
i main une sensation analogue au froissement du cuir neuf, ou à celle
i que l'on éprouve en marchant sur la neige gelée ; on peut enfin ne per-
l cevoir qu'une sorte de grattement ou de frôlement. Le frottement peut être
• senti dans tous les points de la poitrine, plus rarement toutefois au
; sommet, ou les exsudats sont exceptionnels, et les mouvements de lo-
i comotion du poumon fort limités; par une raison inverse, c'est au-
dessous de la région axillaire qu'on le perçoit le mieux ; on le trouve
NOUV. IlICT. MÉD. ET CUIR. XXVIII — 12
•178 PLEURESIE. — p. aiguë ramrfim — signes physiques.
quelquefois aux deux temps, mais plus souvent à l'inspiration, surtout à
la lin.
La pression du doigt sur différents points de la poitrine peut servir
soit à éveiller une sensibilité qui ne se manifestent pas spontément, soit
à exagérer un point de côté peu marqué.
• La palpation fait encore estimer d'une façon prompte et néanmoins
assez exacte, le degré d'amplialion anormale de la poitrine, surtout
dans le sens antéro-postérieur : en appliquant une main à plat sur le de-
vant de la poitrine, et l'autre en arrière, on constate l'augmentation de
volume du côté malade, comme à l'aide d'une sorte de compas d'é-
paisseur. Ce procédé, assez grossier en apparence, est réellement très-
utile.
Par la palpation on déterminera aussi, le plus souvent, le déplacement
du cœur et le lieu où bat sa pointe.
Signalons enfin, pour mémoire, la fluctuation intercostale, que Cor-
visart avait indiquée pour la péricardite, et que depuis on a donnée
comme un signe d'épanchement pleural. Trousseau l'avait fréquemment
constatée et la percevait à l'aide d'un doigt appliqué dans un espace in-
tercostal pendant qu'il exerçait une percussion légère dans un espace
voisin; pour lui elle n'est pas l'objet d'un cloute. Difficile à percevoir
quand le liquide n'est pas très-abondant et les espaces intercostaux très-
dilatés. elle ne se montre guère que dans des cas ou sa présence n'ajoute
rien au diagnostic.
Mensuration. — On tire de la mensuration de la poitrine des résul-
tats assez précis. Il faut savoir d'abord que le périmètre du tborax n'est
pas égal des deux côtés : le droit est plus étendu que le gauclie de 1 à
5 centimètres ; quelquefois ils sont égaux, trèsr-arement le rapport est
inverse, et le côté gauche l'emporte sur le droit. Cet excès, à l'avantage
du côté droit, tient au développement plus marqué des muscles correspon-
dants sous l'influence du travail qui les met plus souvent en jeu. Woillezr
mesurant le thorax cbez 41 sujets bien conformés, a trouvé le côté droit
plus développé chez 56, les deux côtés égaux chez 5. Pour comparer le
périmètre du côté malade à celui du côté sain, le ruban métrique suffit,
et l'on peut ainsi trouver des différences assez marquées, et atteignant
6 et môme 7 centimètres.
Dans le même but, on peut encore se servir du cyrtomètre. Voy. t. V
art. Cybtomètre, par Rigal. 11 donne en outre des indications sur la forme
et les diamètres de la poitrine. Les dimensions circonférentielles ne sau-
raient augmenter très-notablement, et le côté malade ne l'emporte jamais
sur l'autre que de quelques centimètres. Mais lorsque la cavité pleurale
est distendue par un épanchement assez considérable, son diamètre an-
téro-postérieur augmente et la cage tlioracique tend à devenir cylindri-
que, d'aplatie qu'elle était, ce qui augmente sa contenance, les cavités
sphériques ayant, à périmètre égal la capacité la plus grande. Le cyrto-
mètre rend ici de grands services en donnant les diamètres vertébro-
ma.mmairccl vertcbro-sternal et en indiquant leur accroissement. La men-
PLEURESIE. P. AIGUË PRIMITIVE. VARIÉTÉS. { 79
suration permet aussi d'apprécier le retrait du thorax après la résorption
de l'épanchement.
Variétés. — Un certain nombre de pleurésies, par „eur limi-
tation à un siège spécial, ou au contraire par leur généralisation,
présentent des symptômes particuliers, mais elles ne diffèrent pas par
leur nature de la pleurésie commune à laquelle leur description doit être
rattachée. Ce sont : la pleurésie double, les pleurésies diaphragmalique
interlobaireaimédiastine. D'autres pleurésies aiguës se distinguent de la'
forme commune par certaines particularités anatomiques, notamment par
le mode d'enkystement du liquide épanché et par le cloisonnement de la
cavité kystique (pleurésie mulliloculaire, pleurésie aréolaire). Nous en
dirons aussi quelques mots.
Pleurésie double. — La pleurésie peut être étendue aux deux côtés de
la poitrine. Elle n'envahit pas alors en même temps les deux plèvres •
plusieurs jours d'intervalle séparent souvent les deux poussées inflamma-
toires; ce sont, le plus souvent, comme deux pleurésies se développant
isolément et n'ayant pas une évolution parallèle. Tantôt chaque pleurésie
donne lieu pour son propre compte à une douleur de côté, ou bien il n'v
a qu'un seul point douolureux, ou enfin ce phénomène fait complète-
ment défaut; ce dernier cas est même plus commun que dans la pleurésie
unilatérale. La dyspnée est bientôt considérable, et l'anxiété très-marquée •
les symptômes généraux ont une grande intensité, la violence de la'
phlegmasie peut développer une réaction fébrile assez intense et
pour Monneret la mort pourrait même survenir avant la formation d'un
double épanchement. La percussion et l'auscultation donnent les mêmes
résultats que dans la pleurésie unilatérale, mais elles demandent plus d'at-
tention et de soin à cause de l'absence de terme de comparaison. L enan-
chement n'est jamais égal des deux côtés. La marche de la maladie est
plus rapide, elle aboutit plus vite au dénoûment presque constamment
funeste. Lorsque les malades guérissent, ils gardent, probablement par
le fait d'adhérences, des troubles souvent très-profonds dans le jeu de
l'appareil respiratoire.
La plupart des pleurésies doubles sont secondaires et se montrent soit
chez les rhumatisants, soit chez les tuberculeux.
Pleurésie diaphragmalique. — La plus nette des pleurésies partielles
est celle qui atteint le diaphragme ; elle peut coïncider avec l'inflamma-
tion de la séreuse costo-pulmonaire, dont elle ne constitue alors iiu'un
épisode; mais, quand la phlegmasie est limitée au diaphragme, les signes
habituels de la pleurésie font défaut, et le diagnostic n'es^ basé que°sur
l'existence des troubles fonctionnels et l'intervention de quelques symp-
tômes spéciaux.
Il existe un mouvement fébrile et les symptômes généraux d'une pleu-
résie dont aucun signe physique ne vient révéler le siège : de la loin
une dyspnée intense et qui va jusqu'à l'orthopnée et l'angoisse respira-
toire; la respiration est saccadée, convulsive et entrecoupée. Les rmdades
ont une attitude spéciale, ils sont assis sur leur lit, le tronc incliné en
180
PLEUKÛSIE.
— I'. AlCUii PRIMITIVE.
VARIÉTÉS.
avant; une douleur vive et subite éclate spontanément dans une des
régions hypochondriaques, s'étend suivant la ligne de jonction des carti-
lages costaux, remonte souvent jusqu'à l'épaule et descend vers le côté
correspondant de l'abdomen ; elle s'aggrave par les inspirations profondes,
la toux, les efforts de vomissement, mais surtout par la pression exercée
au-dessous du rebord des fausses côtes, de façon à refouler en haut l'hy-
pochondre. La percussion et l'auscultation sont d'un médiocre secours :
quand le liquide est très-abondant, il s'accumule au-dessus du diaphragme
et dans le sillon costo-diaphragmatique, à la base du poumon adhérent
par son pourtour, et dont les parties centrales sont refoulées en haut;
peut-être alors la percussion pourrait-elle limiter une malité relative éten-
due transversalement à la base du thorax, et très-courte dans le sens
vertical, avec une sonorité exagérée au-dessus; mais ce cas est rare, d'or-
dinaire les résultats de la percussion sont nuls. Si l'affection siège à
droite, on peut quelquefois reconnaître un abaissement du foie; si elle
est à gauche, la rate peut être refoulée en bas, mais c'est là un fait
difficile à constater. A l'auscultation, on trouve vers la base de la poitrine
une diminution du murmure vésiculaire ou un silence complet, le malade
retenant instinctivement son souffle pour éviter la douleur; quelquefois on
perçoit vers la limite inférieure du poumon, un peu de râle sous-crépitant
dû sans doute à de la congestion pulmonaire au voisinage de la plèvre
enflammée. En observant les mouvements respiratoires à la base de la
poitrine, on constate l'immobilité plus ou moins complète de cette ré-
gion; les deux mouvements produits par la contraction du diaphragme,
élévation des dernières côtes et soulèvement de l'épigastre à l'inspiration
n'existent plus, ce qui est caractéristique de l'inertie du diaphragme.
Celle-ci est due en partie à l'influence du liquide interposé entre ce
muscle et la base du poumon, mais surtout au trouble vital survenu, sui-
vant la loi de Stokes, dans l'activité fonctionnelle de la fibre contractile :
il y a une véritable paralysie du muscle, consécutive à la phlegmasie delà
séreuse qui le revêt.
N. Guéneau de Mussy a appelé l'attention sur quelques signes qui ont une
grande valeur : le nerf plirénique est douloureux à la pression pratiquée
sur les points accessibles de son trajet, entre les deux faisceaux inférieurs
du sterno-mastoïdum, à la base du cou. Il y a, de plus, des irradiations
douloureuses dans le domaine du plexus cervical, au-dessus de la clavi-
cule, dans la région scapulaire, dans le moignon de l'épaule. La pression
dans un point circonscrit de la région épigastrique éveille une douleur
vive et une angoisse très-accusée. Ce point siège à l'intersection de deux
lignes qui prolongent l'une le bord externe du sternum, l'autre la partie
osseuse de la dixième côte. Guéneau de Mussy a nommé bouton diaphra-
gmatique ce point si nettement limité, dont la pression fait à volonté jaillir
en quelque sorte la douleur. On trouve quelquefois aussi un point dou-
loureux au voisinage des vertèbres dorsales, à la hauteur du dernier espace
intercostal. Un autre signe des épanchements sus-diaphragmatique est
l'abaissement, du côté malade, de la dernière côte qu'entraîne en bas le
PLEURÉSIE. —
P. AIGUË PlllSIITIVIi.
VARIÉTÉS.
diaphragme refoulé par le liquide ; c'est là un fait habituel, mais non
constant. On a signalé également le hoquet, les nausées, les vomisse-
ments qui sont exceptionnels, l'ictère qui est plus rare encore. Quant
aux accidents nerveux, au délire, au rire sardonique mentionnés par
les anciens, ils sont à peine connus des cliniciens modernes.
Les différents symptômes que nous venons d'indiquer peuvent faire
complètement défaut, et la pleurésie diaphragmalique ne se trahit alors
par aucun signe. Une de ses terminaisons possibles est l'ouverture de la
collection circonscrite dans la grande cavité séreuse ; celte solution favo-
rable, mais trop rare, amène un soulagement rapide et profond, qui con-
traste d'une façon en apparence irrationnelle avec l'extension de la pleu-
résie. Plus souvent que la pleurésie ordinaire, la pleurésie diaphragma-
tique peut entraîner la mort, soit par ouverture dans la cavité périto-
néale, soit par les troubles fonctionnels qui se produisent.
Pleurésie interlobaire, médiastine. — Dans la pleurésie interlobaire,
l'épanchement, limité par des adhérences de la périphérie des deux lobes
contigus, les écarte l'un de l'autre et se creuse un lit à leurs dépens. La
pleurésie médiastine siège sur le feuillet pleural qui limite les médias-
tins et sur la partie adjacente de la séreuse pulmonaire. Ces deux formes
de pleurésie circonscrite, très-rares d'ailleurs, ne donnent lieu qu'à des
symptômes locaux obscurs et peu tranchés. La pleurésie interlobaire peut
être quelquefois reconnue par l'existence d'une zone mate et non vibrante
siégeant à la hauteur de la seissure du poumon, et ayant la même di-
rection qu'elle. Dans la pleurésie médiastine, il existe une douleur pro-
fonde, perçue au niveau du sternum, et qu'exaspèrent fortement les mou-
vements respiratoires. Toutes les deux s'accompagnent de fièvre, d'op-
pression qui, avec la douleur localisée, peuvent les faire soupçonner par
exclusion, lorsque l'examen du péricarde et de la plèvre n'y accusent
aucun désordre. Dans ces sortes de pleurésies limitées, la pleurésie
interlobaire surtout, on voit fréquemment le liquide se frayer une issue
au dehors à travers le parenchyme pulmonaire et être rendu par expec-
toration. Un bon nombre de prétendus abcès pulmonaires et de vomiques
n'ont pas d'autre origine, et sont dus à des pleurésies interlobaires.
Pleurésie multiloculaire aréolaire. — La pleurésie multiloculaire
ou pleurésie enkystée multiloculaire, est due à la présence de cloisons
pseudo-membraneuses qui divisent la cavilé pleurale en grands compar-
timents. Cette variété n'est pas rare, et souvent, après l'évacuation par
l'aspirateur d'un épanchement notable , on voit la résonnance et le bruit
vésiculaire reparaître à la partie inférieure de la plèvre, et la matité per-
sister au-dessus, ce qui indique évidemment un épanchement divisé en
plusieurs loges. Les pleurésies cloisonnées surviennent chez des sujets
atteints antérieurement de pleurésies sèches et adhésives ; celles-ci étant
d'ailleurs souvent diathésiques, il en résulte que la pleurésie cloisonnée
qui leur succède, a un pronostic plus sérieux que la pleurésie commune.
Quant aux signes de cette variété, ils sont encore incomplètement
connus.
182
l'LKUKÉSlE.
P. AIGUË PRIMITIVE.
VARIKTÊR.
Le professeur Jaccoud, dans une récente communication à l'Aca-
démie, a signalé deux types de pleurésie multiloculaire , dont il s'est
efforcé de donner les caractères cliniques. Dans une première forme, on
reconnut à l'aide des signes ordinaires l'existence d'un épanchement
total ; mais les vibrations vocales, anéanties dans tout le côté, persis-
taient suivant une bandelette antéro-poslérieure , qui décrivait sur la
paroi un trajet demi-circulaire. L'éminent observateur diagnostiqua
l'existence, entre le poumon refoulé par l'épanchement et la paroi tho-
racique, d'une cloison tendue et transmettant à celle-ci les vibrations
vocales. En vidant séparément les deux loges, dont le contenu, séreux
dans l'une, était purulent dans l'autre, la thoracentèse vérifiée confirma
le diagnostic plus lard par l'autopsie.
Dans un second type, dont il a observé plusieurs cas, l'épanchement
était accusé par une matité de pierre, du souffle bronchique, de la bron-
chophonie, le déplacement des organes voisins, l'absence de bruit skodi-
que, et la conservation des vibrations vocales. A l'autopsie, cloison
transversale complète divisant la plèvre en deux loges indépendantes,
comme dans la première forme, et de plus, brides nombreuses tendues
entre le poumon el la paroi thoracique, mais ne cloisonnant pas les
loges. Pour Jaccoud, ces dispositions anatomiques expliquent l'ensemble
des symptômes : l'épanchement abondant refoule le poumon autant que
le permet la présence de la .cloison et des brides fibreuses; en raison de
leur tension, celles-ci vibrent facilement, et transmettent à la paroi les
hruits bronchiques, souffle el voix; elles communiquent au thorax leur
frémissement, et comme elles sont nombreuses, toute la paroi vibre, d'où
fremitus vocal conservé. Comme les adhérences occupent le poumon du
haut en bas, le lobe supérieur ne peut être refoulé au contact du thorax
en avant, ce qui explique l'absence de bruit skodique. Dans la discussion
provoquée par cette communication si intéressante, Moutard-Martin,
Maurice Raynaud et Woillez, ont contesté la légitimité de ces conclu-
sions fort ingénieuses, mais qui attendent des faits une confirmation plus
complète.
Un troisième type de pleurésie cloisonnée a été indiqué par Moutard-
Martin : avec tous les signes d'un épanchement abondant qui efface les
espaces intercostaux et fait bomber le côté malade dans toute son éten-
due, l'attention est appelée sur une saillie considérable de la région anté-
rieure du thorax, avec matité absolue sous la clavicule ; ces signes per-
mettent de reconnaître une pleurésie enkystée , et la thoracentèse
appliquée à la partie inférieure de la poitrine, en isolant le kyste supé-
rieur, complète le diagnostic.
Dans la pleurésie aréolaire, beaucoup plus rare, le liquide est empri-
sonné dans des vacuoles séparées par des cloisons fibrineuses ; l'examen
anatomique montre la poitrine remplie d'une sorte de gelée transparente
(pleurésie gélatiniforme), constituée par un nombre infini de vacuoles
pleines de sérosité iluide. L'exsudat ressemble alors au tissu cellulaire
largement infiltré de liquide. Un épanchement inflammatoire infiltré au
PLEURÉSIE.
P. AIGUË PRIMITIVE. MARCHE.
183
: sein de fausses membranes anciennes, dues à une pleurésie antérieure,
peut revêtir le même aspect.
Aucun signe clinique ne caractérise la pleurésie aréolaire ; on peut
seulement la reconnaître par la thoracentèse, qui ne fournit qu'une
minime quantité de liquide. Si l'on fait alors varier la position de la
canule, soit en l'enfonçant, soit en lui imprimant des mouvements de
latéralité, on voit reparaître quelques gouttes de sérosité, et l'on perçoit
en outre une sorte de crépitation fine due à la rupture des cloisons.
Le pronostic de la pleurésie aréolaire est un peu plus sérieux que celui
de la pleurésie commune, parce que sa thérapeutique n'a rien à espérer
de l'emploi de la thoracentèse, qui reste sans résultats.
Marche, terminaisons, complications. — L'évolution de la
pleurésie comprend trois phases distinctes : la période de début, celle
d'état ou d'épanchement, celle de résorption.
Le début est nettement établi par l'apparition des symptômes généraux et
des troubles fonctionnels, par les petits frissons répétés, la fièvre, la toux, la
•dyspnée et la douleur de côté. Ces diverses manifestations sont d'ordinaire
simultanées ; quelquefois les signes locaux précèdent de quelques heures
la réaction fébrile. Plus rarement les troubles fonctionnels font défaut, la
maladie est seulement annoncée par une fièvre légère ; souvent même chez
les vieillards, il n'y a qu'un léger délire et de la sécheresse de la langue.
Au début l'exploration à l'aide des signes physiques reste complètement
muette: il y a bien, à l'oreille, un peu de faiblesse du bruit respiratoire,
mais elle elle tient seulement à ce que, pour éviter la douleur, le malade
retient instinctivement sa respiration. La durée de cette période initiale
est très-courte ; bientôt, en même temps que persistent les symptômes
généraux et les troubles fonctionnels , l'existence de l'épanchement
se caractérise. Quelquefois, nous l'avons vu, on perçoit avant son appa-
rition un léger frottement dû au glissement des deux plèvres dépolies par
un mince exsudai fibrineux. Si l'on peut surprendre à son début l'appari-
tion de la malité, on la trouve d'abord, le malade étant assis, à la partie
inférieure de la gouttière vertébrale, au-dessus de la douzième côte;
d'autres fois à la partie latérale du thorax. Dans ce point, indiqué par Da-
moiseau, il y a d'abord, en bas et en arrière, de l'obscurité du son qui re-
monte peu à peu, et devient en bas de la véritable matité. A ce niveau,
les vibrations vocales sont diminuées; le liquide s'élève graduellement, et
la limite de la matité, son degré, la résistance au doigt qui percute, permet-
tent de tracer assez nettement la marche de l'épanchement. Cependant, le
murmure vésiculaire a disparu pour faire place à de l'expiration prolongée,
à du souffle doux et voilé, il y a de l'égophonie. Les progrès du liquide
peuvent alors s'arrêter et les signes physiques persistent, ou bien il aug-
mente encore, ces bruits cessent à leur tour, et quand l'épanchement de-
vient très-abondant, la matité est complète du haut en bas, les vibrations
-vocales nulles, le silence absolu. La durée de la période d'épanchement,
depuis le moment où le liquide apparaît jusqu'à celui où il commence à
décroître, est de quinze à vingt-cinq jours.
184 PLEURÉSIE. — i>. aiguë primitive. — habche.
Arrivé à son point culminant, le liquide reste stationnaire pendant
plusieursjonrs.Woillez serait arrivé, par l'emploi de la mensuration, à recon-
naître que la phase stationnaire de l'épanchement est rare, et que sa
durée, quand elle existe, n'excède pas un à deux jours.
Néanmoins ce n'est guère qu'au bout de trois semaines au moins que
l'anscullation et la percussion signalent la diminution du liquide. La ré-
solution, d'abord assez rapide, paraît se ralentir beaucoup à mesure qu'on
se rapproche des couches inférieures de l'exsudat qui contiennent une
plus forte proportion de fibrine, et dans certains cas, elle s'arrête com-
plètement, et cesse pendant plusieurs jours de faire des progrès. A mesure
que l'épanchement baisse, la sonorité et le murmure vésiculaire reparais-
sent du haut en bas. On trouve souvent alors, nous l'avons vu, une égopho-
nie de retour, beaucoup moins nette que celle du début. On perçoit alors
aussi le frottement qui répond à des points où le liquide a complètement
disparu. La résolution de la pleurésie a une durée qui varie entre trois
et six semaines. Chez les enfants, la marche est rapide, la guérison
prompte, et la durée totale de la maladie est de 7 à 15 jours.
Telle est la marche habituelle de la pleurésie ; on en suivra aisément
les phases en observant attentivement les signes physiques. Les troubles
fonctionnels seront d'un moindre secours, car ils ne sont pas toujours soli-
daires de l'état local; la fièvre notamment, est loin d'avoir une évolution
parallèle à celle de la phlegmasie pleurale. La pleurésie n'a pas, comme la
pneumonie, une marche cyclique ; dans celle-ci, on sait à peu près à quel
moment la fièvre doit tomber, et quand elle baisse on en conclut légiti-
mement à la résolution de la phlegmasie lobaire ; dans la pleurésie, la
défervescence est irrégulière : elle peut se produire longtemps avant que
l'épanchement ait cessé de croître, souvent même, dans certaines pleu-
résies latentes, l'épanchement devient considérable, sans que la moindre
réaction fébrile vienne donner l'éveil, et inversement la résorption peut
commencer alors que la fièvre est encore très intense. La défervescence
peut s'accompagner de quelques phénomènes critiques, sueurs abondantes,,
émission d'urines copieuses , mais ces cas sont exceptionnels. Les signes
physiques ont une bien autre valeur. Dans quelques cas, néanmoins, ni
l'auscultation ni la percussion ne peuvent éclairer sur la marche de l'épan-
chement: la ligne de niveau peut baisser alors que le liquide a réellement
augmenté, elle peut paraître lixe tandis qu'il diminue. Hirtz a signalé i'as-
cension du poumon d'abord plongé dans le liquide, puis émergeant à la
partie supérieure, et donnant lieu à un abaissement apparent de la matilé.
On pourra alors tirer quelque parti du déplacement des viscères ; dans la
pleurésie gauche, si le cœur déplacé continue à marcher vers la droite, s'il
s'arrête dans sa migration ou revient graduellement vers sa place normale,
on saura que le liquide augmente, qu'il reste stationnaire ou qu'il dimi-
nue. Pour la pleurésie droite, Damoiseau avait voulu faire du bord infé-
rieur du foie un point de repère propre à indiquer les variations du liquide,
suivant que l'organe descend vers l'abdomen ou remonte vers le thorax ;
mais ces déplacements n'ont rien de constant ni de régulier.
PLEURÉSIE. — p. AiGuii primitive. — terminaisons. 185
En faisant appel à tous les modes d'exploration, en observant attenti-
vement les phénomènes généraux et locaux, il sera d'ordinaire aisé de
suivre la marche de l'exsudat. Il se présente néanmoins des cas très dif-
ficiles, où le médecin est dans l'impossibilité presque absolue de recon-
naître dans quel sens marebe l'épancliemenl; lorsque, par exemple, le
couche liquide, complètement enkystée, varie seulement d'épaisseur, ou
bien quand la matité complète et absolue occupe toute la cavité pleurale.
Dans ces cas, il est évident que la percussion et l'auscultation seront
muettes, et que le liquide pourra augmenter, sans que les signes physiques
en trahissent rien. Woillez recommande en pareil cas la mensuration à l'aide
du cyrtomètre. Ce moyen de diagnostic est quelquefois utile, mais il est
souvent impuissant comme les autres ; il exige d'ailleurs une habileté
de main qu'on ne peut acquérir qu'après une longue pratique, pour prix
de laquelle on n'obtient souvent que des résultats peu certains. Néanmoins,
l'emploi du cyrtomètre, en signalant l'accroissement des diamètres antéro-
postérieurs du thorax (diamètres vertébro-sternal et vertébro-mammaire)
indiquera souvent une augmentation du liquide absolument inappréciable
par d'autres moyens. L'emploi du simple ruban gradué rendra aussi,
quelques services en pareil cas.
La pleurésie aigiic peut se terminer parla guérison ; elle peut aboutir à
l'état chronique, ou entraîner la mort.
La pleurésie franche développée chez un sujet sain et robuste se termine
communément par la guérison. La résorption peut être alors complète, et
l'on voit reparaître la sonorité et le murmure vésiculaire du haut en bas
jusqu'à la limite inférieure du poumon. Quelquefois, mais rarement, la
guérison est précédée de phénomènes critiques, sueurs, diarrhées, urines
abondantes ; on a même signalé des métrorrhagies. Quand la maladie a
été très-intense, ou que la résolution se fait moins activement, il reste à
la hase de la poitrine, en arrière, un peu de submatité et d'obscurité du
murmure vésiculaire, et ces modifications peuvent persister durant des
mois et même des années. Quelques malades gardent, durant leur vie
entière, des signes manifestes de l'affection pleurale. Souvent, après la
guérison, ils conservent des douleurs dans le côté autrefois atteint, ils ne
peuvent faire une inspiration profonde, ni se livrer à aucun effort. Ces
troubles, qui les inquiètent beaucoup, sont dus à la présence de fausses
membranes, ou d'adhérences celluleuses qui gênent l'expansion du pou-
mon, déjà mal disposé à se dilater, par le fait de la compression qu'il a
subie.
La pleurésie aiguë peut se terminer par la suppuration et le passage à
1 état chronique : c'est là un dénoùment exceptionnel qui se montre sur-
tout dans les pleurésies secondaires, lesquelles même sont quelquefois
chroniques d'emblée. Après la chute de la fièvre et la résolution de la
phlegmasie, le liquide peut persister sans aucun autre trouble, consti-
tuant ainsi un véritable hydrothorax facilement curable par la simple
évacuation du liquide.
La mort eslpcu commune dans la forme aiguë, elle peut être graduelle
186
PLEURÉSIE.
P. AIGUË PKIMIïn I ..
COMPLICATIONS.
et résulter de la gène progressive de l'hématose, lorsque l'épanchement
devient considérable. 11 peut se faire alors que la paroi thoracique, dis-
tendue par le liquide, ait presque atteint la limite de sa dilatation extrême,
et que l'expansion inspiratrice soit à peine sensible. Une congestion du
poumon libre, sorte de fluxion collatérale, peut venir augmenter les trou-
illes de l'hématose. La mort survient alors par le fait d'accès d'orthopnée
et d'oppression vive, avec anxiété extrême. La quantité de liquide néces-
saire pour amener l'issue fatale est très variable ; on a rarement vu, toute-
fois, la mort être causée par un épanchement inférieur à 2000 grammes.
La pleurésie double, quand les épanchements remontent très-haut, donne
lieu à ces désordres et peut aboutira l'asphyxie ; il en est de même de
la pleurésie diaphragmatique,
La mort peut arriver subitement, même dans le cours d'une pleurésie
d'apparence bénigne : tantôt la quantité du liquide a augmenté subite-
ment jusqu'à produire l'asphyxie ; plus souvent l'issue funeste est due à
une déplacement extrême et à la compression du cœur et des gros vais-
seaux. En pareil cas, on a expliqué la mort par une syncope, ce qui est
exceptionnel, et l'on a exagéré l'influence du déplacement du coeur sur
la production de la syncope.
Ce déplacement du cœur agit surtout par les troubles de circulation
qu'il entraîne : les gros vaisseaux de la base subiraient une certaine
torsion ; Chomel a insisté sur cette torsion des gros vaisseaux, dont il
a tout au moins exagéré l'importance; le cœur est gêné dans ses mou-
vements, il en résulte la formation de caillots ventriculaires, ces caillots
peuvent se prolonger dans l'artère pulmonaire, et entraver l'hématose,
ou bien, détachés, ils donnent lieu à des embolies pulmonaires prompte-
ment mortelles. C'est principalement dans la pleurésie gauche, avec forte
projection du cœur à droite, qu'on voit se former ces caillots. Les mêmes
désordres peuvent être l'effet de la pleurésie droite. Blachez a démontré
la coagulation du sang dans la branche de l'artère pulmonaire desser-
vant le poumon comprimé, coagulation probablement due à la la gêne de
la circulation dans ce viscère. Cette thrombose d'une branche de l'artère
pnlmonaire peut s'étendre au tronc principal et de là à la branche oppo-
sée. On a signalé, mais plus rarement, des caillots des cavités gauches don-
nant lieu à des embolies cérébrales. La formation des caillots cardiaques
peut être diagnostiquée chez les enfants à l'aide des troubles de la circu-
lation, de l'irrégularité du pouls, de la dyspnée, de la jactitation, qu'ils
déterminent (Labric). Maurice Raynaud a signalé comme cause de mort
subite dans les pleurésies à exsudât abondant, la dégénérescence graisseuse
du cœur. La péricardite est une complication funeste, et qui semble dé-
terminer la mort plus hâtivement que toutes les autres. La mort subite
peut encore être l'effet de l'évacuation spontanée ou curalive de l'épan-
chement: quand il est expulsé sous forme de vomique, ce qui du reste
est l'exception dans les formes aiguës, et arrive surtout dans la pleurésie
purulente, le liquide peut envahir les voies aériennes avec une telle abon-
dance qu'il entraîne une prompte suflocation. D'autre part, dans la
PLEURÉSIE. P. AIGUË PIUMITIVK. — DIAGNOSTIC. 187
thoracentèse comme nous le verrons plus loin, on peut voir se produire
des congestions et des apoplexies pulmonaires par le fait de la soustraction
trop rapide et trop complète du liquide épanché.
Nous venons de signaler, à propos des terminaisons, un certain nom-
bre de complications redoutables , pouvant amener la mort : syn-
cope , caillots cardiaques, dégénérescences graisseuses du myocarde,
embolies veineuses, etc. Eu dehors de ces accidents, heureusement rares,
la pleurésie franche s'accompagne rarement de complications impor-
tentes. Cependant Potain a insisté sur la fréquence de la congestion pul-
monaire, non-seulement du côté sain, mais dans le poumon malade. La
pneumonie consécutive à la phlegmasie pleurale est une maladie très-
rare, et bien distincte de la pleuro-pneumonie où la pneumonie est l'af-
fection primitive.
La pleurésie gauche se complique quelquefois de péricardite, accident
grave en pareil cas, puisqu'il a, dans quelques exemples, entraîné la
mort. Mais, quand les deux affections coïncident, elles sont bien plus sou-
vent l'expression commune de la diathèse rhumatismale.
La pleurésie est une complication très-fréquente de la tuberculose, le
rapport inverse, s'il est possible, est bien diflicile à démontrer. A peine
peut-on regarder comme une complication, la douleur qui, chez certains
malades, persiste dans le côté affecté longtemps après la guérison. Cette
douleur que la pression n'augmente pas, paraît profonde, et serait due,
d'après Woillez, à l'existence d'adhérences pleurales. Une complication
bien lointaine de la pleurésie, indiquée par Barth, est la dilatation des
bronches, qui coïncide trop fréquemment avec les adhérences pleurales
pour qu'il n'y ait pas là un rapport de cause à effet.
Diagnostic. — Nous avons insisté suffisamment pour n'avoir pas à
y revenir, sur les signes qui distinguent la pleurésie.
Au début, on n'observe que des symptômes fonctionnels, lesquels,
pour si complets et si accusés qu'on les suppose, n'ont rien qui carac-
térise spécialement une pleurésie et peuvent tout aussi bien signaler
l'invasion d'une pneumonie ou d'une congestion pulmonaire. Le frotte-
ment prémonitoire qui précède l'apparition du liquide aurait plus de
valeur, mais il n'existe que rarement et l'on devra, pour se prononcer,
attendre la formation de l'épanchement. Celui-ci est particulièrement
indiqué par la matité, l'absence de vibrations vocales, dans quelques ças
par le déplacement du liquide appréciable à la percussion, par la fai-
blesse ou l'absence du murmure vésiculaire avec ou sans souffle bron-
chique, par les modifications de la résonnance vocale, egophonie ou
broncho-egophonie. Aucun de ces signes n'est pathognomonique, aucun
n'est absolument propre à la pleurésie, leur ensemble seul permet d'être
affirmatif, et comme ils sont loin d'être toujours réunis, le diagnostic
est quelquefois embarrassant. Toutefois deux signes ont une valeur
presque décisive ce sont P egophonie et l'absence des vibrations vocales.
Certaines pleurésies restent absolument latentes, et malgré la présence
d'un épanchement abondant, le son de percussion reste clair et l'auscul-
188
PLEURÉSIE.
P. AIGUË l'IllMITIVK.
DIAGNOSTIC.
talion fait entendre le bruit respiratoire. Clionicl expliquait celte ano-
malie en invoquant la transmission des bruits pulmonaires par le liquide
épanché. Woillcz qui en a rapporté six observations, explique les anoma-
lies de l'exploration physique par une condition anatomique commune à
tous ces cas : condensation du poumon refoulé par le liquide épanché et
adhérence de l'organe aux parois thoraciques dans une étendue variable.
Les cas sont des raretés pathologiques et d'ordinaire on arrive plus ou
moins facilement à reconnaître la présence du liquide.
La pleurésie étant reconnue, il importe d'être fixé sur la proportion du
liquide; on aura égard alors à l'étendue de la matité, à la nature des
signes stéthoscopiques, egophonie, souflle, au degré de la dyspnée, au
déplacement plus ou moins marqué des viscères, aux données fournies
par la mensuration simple et par la crytométrie. Nous avons vu que
l'étendue de la matité est loin d'avoir une valeur absolue pour indiquer
l'abondance de l'épanchement, une petite quantité de liquide disposée
sous forme de lame entre les feuillets pleuraux pouvant simuler un
épanchement volumineux, alors que le liquide accumulé en grande
quantité à la base du poumon qu'il a refoulée donnera une matité res-
treinte.
Le diagnostic des pleurésies partielles interlobaires et médiastines est le
plus souvent impossible ; quant à la pleurésie diaphragmatique elle sera
soupçonnée bien moins à l'aide des signes physiques dont la signification
est assez vague, que d'après les caractères de la douleur et la gravité des
troubles généraux et fonctionnels.
La pleurésie et la pneumonie ont en commun de nombreux traits de
ressemblance, et la confusion, presque nécessaire avant l'emploi de la
percussion et de l'auscultation, alors que le médecin n'avait d'autre
guide que l'étude des troubles fonctionnels et de l'état général, est
aujourd'hui encore quelquefois difficile à éviter. Sans doute, en comparant
l'un à l'autre des cas bien nets de pleurésie et de pneumonie, on ne
trouvera pas l'hésitation possible, et il suffira d'observer, d'une part
'egophonie et l'absence de frémissement vocal, de l'autre les râles crépi-
tants et les crachats rouillés pour prononcer à coup sûr. Mais si les signes
importants font défaut de part et d'autre, on peut se trouver en présence
d'une affection caractérisée seulement par de la matité et du souffle, signes
communs à l'épanchement et à l'hépatisation. En pareil cas l'on devra
analyser avec soin les différents signes généraux et locaux; les symptômes
communs aux deux maladies n'ont pas des caractères identiques, ils sont
séparés par des dissemblances marquées, ou tout au moins par des
nuances. La matité, absolue, sans élasticité dans la pleurésie, est bien
moins complète au niveau d'une hépatisalion. Les qualités du souille sont
différentes dans les deux cas : voilé doux et lointain dans la pleurésie, il
est rude, tubaire, sous l'oreille dans la pneumonie ; on le rencontre bien plus
fréquemment dans celle-ci que dans la première, ou l'on ne trouve souvent
que du silence respiratoire, de sorte que l'absence de souffle au niveau
d'un foyer de matité est une présomption en laveur de l'épanchement. La
PLEURÉSIE. P. AIGUË PRIMITIVE. DIAGNOSTIC. 189
toux, rare dans la pleurésie, est fréquente et pénible dans la pneumonie ;
dans cette dernière le frisson initial est unique et d'une grande violence,
au début de la pleurésie, il n'y a d'ordinaire que de petits frissons peu
intenses et qui reviennent à plusieurs reprises ; passé les premiers jours,
la fièvre est légère, l'état général peu ébranlé, le faciès à peine altéré
chez lus pleurétiques, dans la phlegmasie pulmonaire la température
élevée au début persiste, le pouls reste fréquent, les traits sont altérés,
ils portent l'empreinte d'une anxiété quelquefois assez vive. Les phéno-
mènes sympathiques, rares dans la pleurésie, sont très-communs dans la
pneumonie. On devra aussi tenir compte de l'étendue de la lésion
comparée à l'état général : un souffle étendu coïncidant avec un état
général peu sérieux est favorable à l'hypothèse d'une pleurésie, une hépa-
tisation assez considérable n'étant guère admissible sans un retentisse-
ment marqué sur l'économie. Si avec ce souffle étendu on ne trouve pas
des râles on sera porté à croire à une pleurésie, car une hépatisation pul-
monaire d'une certaine importance ne peut guère être au même degré
dans tous ses points .
Dans quelques cas de pleurésie non enkystée, le niveau du liquide
varie avec la position donnée au malade. Enfin une matité limitée à sa
partie supérieure par une courbe parabolique indique un épanchement,
la matité pneumonique ne pouvant rien offrir d'analogue. Il n'est pas
jusqu'à l'âge du malade qui ne vienne aider au diagnostic, la pneu-
monie étant très-commune chez les vieillards, et la pleurésie, au contraire,
rare.
Quelqnefois les deux affections sont réunies : dans le cas le plus commun
il s'agit d'une pneumonie plus ou moins considérable qui atteint la surface
du poumon, et donne lieu alors, tantôt à une pleurésie sèche, tantôt, et
c'est le cas ordinaire, à un léger épanchement; la pneumonie reste alors
l'affection principale et la pleuro-pneumonie est presque toujours une
pneumonie avec pleurésie accessoire et d'une importance secondaire. Ce-
pendant on rencontre des cas mixtes où pleurésie et pneumonie ont une
valeur sensiblement égale ; si la pneumonie occupe la partie supérieure,
le diagnostic n'offrira aucune difficulté, on trouvera à la base les signes
de l'épanchement, et au-dessus ceux de l'hépatisation. Lorsque la lésion
pleurale sera au même niveau que l'induration pulmonaire, les râles cré-
pitants seront masqués par l'épanchement, les vibrations thoraciques
nulles, le retentissement vocal aura, il est vrai, le timbre broncho-ego-
phonique, le souffle sera peut-être plus rude et plus intense que dans
une simple pleurésie, mais en l'absence des crachats rouillés, on n'en
sera pas moins dans un grand embarras.
Woillez signale une cause d'erreur dont nous avons constaté récem-
ment l'existence : on peut trouver sous la clavicule une respiration
bruyante, du souffle véritable, de la bronchophonie, et croire à l'existence
en ce point d'un noyau d'hépatisation ; souvent la percussion donne à ce
niveau de la submatité. L'absence de râles crépitants, même en faisant
tousser le malade, la rareté de la toux qui est sèche ou sans expecto-
11)11
PLEURESIE. —
P. AIGUË l'IUMITlVE.
DIAGNOSTIC.
ration caractéristique, l'absence d'un élat fébrile en rapport avec une
hépalisation, exclucront la pneumonie. Woillez attribue ces phéno-
mènes au refoulement du poumon vers le sommet de la poitrine, par
l'épancbement.
Quand l'épancbement est compliqué de bronebite on pourrait prendre
les raies que l'on perçoit obscurément à travers le liquide et quelquefois
avec du souffle, pour une pneumonie mal caractérisée, mais on recon-
naîtra que les râles existent des deux côtés, et d'ailleurs il n'y aura pas
de cracbats rouilles.
La congestion pulmonaire simple, ou celle qui accompagne le début
des fièvres éruptives pourront prêter à la confusion. Dans ces cas, en effet,
on trouve un point de côté, de la toux, de l'obscurité du son de percussion,
de la faiblesse du bruit vésiculaire, de l'expiration prolongée ou même
du souffle ; mais dans l'byperémie, la sonorité est diminuée sans être abolie,
a matité est moins étendue, elle est fixe et ne se déplace jamais dans
les changements d'attitude imposés au malade, ainsi qu'il arrive par-
fois dans la pleurésie; les vibrations tboraciques sont ici parfois légèrement
atténuées, d'ordinaire elles sont augmentées, tandis qu'elles sont nulles
dans l'épancbement pleural. A l'oreille, le murmure vésiculaire est faible,
l'expiration prolongée; quelquefois il existe du souffle inspiratoire sur-
tout au niveau de la racine des bronches, ce souffle est doux et grave, il
est plus précoce que celui de la pleurésie. Il n'est pas rare de percevoir
des râles fins qu'on peut prendre pour du frottement. Il n'y a pas d'ego-
phonie, mais un retentissement léger de la voix. Ces signes peuvent rester
stationnaires, puis tout à coup, soit spontanément, soit par le fait du
traitement, ils disparaissent en quelques heures. Dans la congestion, la
toux s'accompagne d'une expectoration qui ressemble à une solution de
gomme ; elle est sèche et sans crachats dans la pleurésie.
La bronchite ne pourra guère être prise pour une pleurésie, malgré la
fièvre, la toux, et la pleurodynie que lorsqu'elle sera précédée de conges-
tion pulmonaire.
L'hydrotborax donne les mêmes signes physiques que l'épanchement
inflammatoire, mais il est d'ordinaire double et coïncide avec d'autres
hydropisies qui reconnaissent la même origine que celle du thorax; l'by-
dropisie pleurale est mobile et son niveau varie quand le malade change
d'atitude. D'ailleurs l'hydrothorax est toujours secondaire, en remontant
dans les antécédents du malade on n'y retrouve pas les symptômes du
début brusque de la pleurésie, et en l'examinant, on rencontre, soit une
affection du cœur, soit un mal de Brigbt, soit une altération du sang
qui explique l'épanchement pleural.
Les tumeurs de la cavité thoracique ont une marche ebronique qui ne
permet guère d'hésiter ; cependant une néoplasic lentement développée
peut se trahir tout d'un coup avec éclat par des symptômes aigus qui
appellent l'examen de la poitrine, l'erreur sera alors quelquefois difficile
à éviter. Mais la tumeur n'a pas des contours réguliers, et la matité qui
lni correspond n'est pas limitée supérieurement par une ligne de niveau
PLEURÉSIE* — p. aiguë primitive. — diagnostic. 191
horizontale ou par une courbe, elle reste fixe malgré les mouvemenls
imprimés au thorax. La sonorité et le murmure vésiculaire, qui manquent
au niveau de la tumeur peuvent se retrouver dans les parties déclives
à la hase du poumon. Aucun de ces signes n'est ahsolu, car des
adhérences peuvent limiter le liquide aux parties supérieures en laissant
libres les points déclives, mais les vibrations thoraciques sont alors
perdues au niveau du liquide, elles sont au contraire normales ou
accrues dans les cas d'une tumeur; celle-ci, en refoulant les organes
thoraciques, en amène le déplacement ou la compression, et l'on trouve
des ectopies du cœur, des signes de compression des troncs veineux ou
artériels, des bronches, des différents cordons nerveux.
Ces tumeurs peuvent prendre naissance en dehors du la poitrine et
venir, en se développant, faire saillie dans sa cavité, ainsi que cela arrive
ponr les tumeurs du foie, son hypertrophie et surtout les kystes hydati-
ques. Le kyste peut alors être fortement refoulé dans la ca#e thoracique,
et remonter très-haut jusqu'à la quatrième, la troisième côte, ou même
jusqu'à la clavicule, en repoussant le poumon ; la compression peut
détruire graduellement les fibres du diaphragme dont la perforation
livre passage à la tumeur. On trouve alors à l'auscultation et à la percus-
sion les signes physiques d'un épanchement pleural. Mais en pareil cas,
les accidents ont d'abord été purement abdominaux, leur marche est très-
lente, l'état général a été longtemps indemne. La matité thoracique a une
forme spéciale à limite supérieure fortement convexe en haut, de telle
sorte qu'à ses parties supérieures et latérales on retrouve la résonnance
pulmonaire. La matité peut être complète au voisinage du rachis, et
cesser sur les parties latérales du côté droit, ou bien au contraire occupant
ce dernier point, disparaître au voisinage de la colonne vertébrale, près
de laquelle on retrouvera la sonorité et le bruit respiratoire; son niveau
est immobile et ne varie pas en inclinant le thorax en divers sens ; ces
caraclèresplessimétriques peuvent, on le conçoit, appartenir àunepleurésie
enkystée, mais ce cas est peu fréquent; d'ailleurs dans les kystes hydati-
ques la matité se continue inférieurement et sans ligne de démarcation
appréciable avec celle du foie, lequel est très-abaissé . La partie inférieure
de la paroi thoracique, au niveau des fausses côtes est refoulée en dehors,
et la poitrine prend dans cette région une forme globuleuse. Quelquefois
on peut, au-dessous du rebord costal percevoir une fluctuation obscure.
Le frémissement hydatique serait caractéristique, mais il est bien
rare; on aura enfin la ressource décisive d'une ponction explora-
trice, et l'on trouvera au liquide tous les caractères de celui des kystes
hydatiques : absence d'albumine, coloration claire, présence de cro-
chets, etc.
Dans les cas d'infiltration tuberculeuse générale d'un poumon, la
matité dure et absolue qui existe en pareil cas, et l'absence plus ou moins
complète du bruit respiratoire, peuvent faire songer à un épanchement
pleural. Cette erreur, possible chez l'adulte, se produit surtout chez les
enfants; Barthez a rapporté des cas de ce genre, ou l'erreur était abso-
192
PLEURÉSIE. —
P. AIGUË PRIMITIVE.
— PItONOSTIC.
lumcnt inévitable : dans l'un, le diagnostic ne fut fait qu'à l'autopsie ;
dans un autre, une ponction fut pratiquée, qui n'amena rien.
Par une erreur inverse, on peut croire à une tuberculisation avancée
qui n'existe pas, comme dans ces cas signalés par Barlliez et Rilliet, par
Béhier; le poumon adhère alors en haut à la paroi thoracique, et il existe
dans ce point un véritable souffle caverneux amphorique, quelquefois avec
gargouillement. L'évolution de la maladie, l'état général non en rapport
avec une tuberculose avancée, et surtout la présence de l'épanebement
suffiront pour faire rejeter l'existence d'une caverne.
La péricardite qui cause un point de côte, de la dyspnée, et amène une
collection séreuse quelquefois assez abondante à la partie antéro-inférieure
du côté gauche pourrait faire croire à un épanchement pleural, mais on
observerait l'absence de matité dans la ligne axillaire et en arrière, la con-
servation des vibrations thoraciques, la persistance du murmure réspi-
ratoire, l'absence de souffle; le choc de la pointe du cœur sera d'ailleurs
impossible à percevoir, et ses bruits éloignés.
L'impulsion du cœur qui vient battre contre une plèvre revêtue de
fausses membranes, pourra simuler un bruit de frottement isochrone aux
mouvements du cœur, et dû à une péricardite ; mais on trouvera dans
quelque point du même côté un bruit de frottement de même timbre que
le précédent, et coïncidant avec les mouvements respiratoires.
La pleurodynie ou rhumatisme des parois thoraciques donne lieu à
un point de côté violent, et le malade pour éviter les douleurs provo-
quées par les contractions des muscles thoraciques , retient instinctive-
ment son souffle; il en résulte un peu d'affaiblissement du murmure
pulmonaire. On ne pourrait la confondre qu'avee la pleurésie com-
mençante, car la pleurodynie ne donne lieu à aucune matité. La douleur
du côté plus vive, plus étendue que dans la pleurésie augmente plus
que celle-ci sous l'influence de la pression, de la toux, des mouvements
respiratoires.
Quant à la névralgie intercostale qu'il est d'usage de faire figurer dans
le diagnostic différentiel de la pleurésie, elle n'a avec celle-ci qu'un point
de contact : la douleur de côté, mais celle-ci allongée sur le trajet d'un
ou plusieurs nerfs intercostaux présente des points douloureux, surtout
au niveau des vertèbres ; c'est du reste là tout, aucun signe physique,
pas de phénomènes généraux.
Pronostic. — La pleurésie franche, développée chez un sujet sain,
se termine d'ordinaire par la guérison, son pronostic est donc en général
favorable, ce qui n'empêche pas qu'elle ne soit une maladie sérieuse, et
dont les irrégularités fréquentes doivent toujours inspirer quelque
inquiétude.
Les éléments du pronostic se tirent de considérations multiples, les
unes empruntées directement à la maladie elle-même, telles que le
siège et l'étendue de la pleurésie, l'abondance de l'épanebement, l'inten-
sité de la fièvre, la dyspnée, la marche delà maladie, ses complications,
etc.; les autres ^ayant trait au terrain sur lequel se développe la pieu-
PLEURÉSIE. — p. aiguë primitive. — pnososnc. 195
résie, l'àoe du malade, sa constitution, l'existence ou l'absence chez lui
de maladies diathésiques, son état général. ,
La quantité de L'épanchement a une certaine importance pronostique,
et, si l'on voit le plus souvent guérir des pleurésies avec liquide abon-
dant, il n'en est pas moins vrai qu'un épanchement volumineux est plus
grave qu'un moyen. C'est surtout avec les grandes collections séreux-;
qu'on voit le refoulement du cœur être accompagné d'accidents inquié-
tants ou graves, de syncopes quelquefois mortelles, de coagulations car-
diaques ou pulmonaires qui amènent des complications redoutables, d'une
distension exagérée du thorax qui produit l'asphyxie. D'autre part,
quand le liquide est en quantité considérable, il entrave l'hématose, qui
ne se fait plus que par un seul poumon, souvent comprimé jusqu'à un
certain point; la circulation est elle-même gênée, d'où déchéance de
l'économie et dangers de tuberculose. Peter tire de l'existence de la
courbe de Damoiseau des données pronostiques : pour lui, quand elle
existe, l'épanchement est fibrineux et se résorbera promplement ; si au
contraire le liquide est limité par une ligne de niveau, l'exsudat est
séreux, et toutes choses égales d'ailleurs, la résorption sera plus longue.
La pleurésie gauche qui entraîne le déplacement du cœur vers la droite
est aussi celle qui se complique le plus souvent de péricardile, et nous
avons vu que la pleurésie diaphragmatique se termine quelquefois par
la mort.
Les complications aggravent nécessairement le pronostic: la péricardile,
à moins qu'elle ne soit rhumatismale comme la pleurésie qu'elle accom-
pagne, est un épisode sérieux ; le développement d'un épanchement dans la
plèvre restée saine est fâcheux sans être absolument grave; certaines
.-yucopes, ducs à des concrétions sanguines cardiaques ou vasculaires,
peuvent être considérées comme fatales.
La marche delà maladie, la date à laquelle elle remonte, sont utiles à
considérer : quand le liquide continue à monter au delà de la durée
habituelle de la période d'accroissement, c'est-à-dire après trois semaines,
il faut craindre qu'il n'atteigne des proportions anormales; si l'augmen-
tation persiste après vingt-cinq à trente jours, on doit prévoir l'issue fu-
neste. Lorsque la résolution commence, si elle marche régulièrement, le
| pronostic est favorable.
La persistance prolongée d'un épanchement, même moyen, est une
I fâcheuse condition; elle constitue dans l'évolution de la maladie une
i irrégularité de mauvais augure, et annonce souvent le passage de la
I phlegmasie franche à un processus purement passif, l'bydropisic. Les
conditions anatomiques de la plèvre malade et du poumon refoulé par
I l'épanchement aggravent le pronostic : si la cavité pleurale est tapissée
| par une . fausse membrane épaisse, celle-ci substituée à la plèvre est
i impuissante à résorber L'épanchement ; le poumon coiffé par des fausses
i membranes, bridé par des adhérences, ne peut se dilater, et si le liquide
i disparait, l'expansion du poumon étant impossible, il en résulte, comme
i nous l'avons vu, une exagération de la pression négative normale qui
NOUV DICT. MÉD. ET Cil». XXVIII. — 15
194 PLEURESIE. — p. aiguë primitive. — traitement.
active et perpétue l'exhalation séreuse. La guérison n'est pourtant pas
impossible, alors les organes voisins se rapprochent, la paroi thoracique
se déprime et le vide est à peu près comblé.
La notion du terrain sur lequel la maladie s'est développée joue un
rôle important dans le pronostic, et l'on devra tenir compte des conditions
d'âge, de constitution, d'état général, etc. La pleurésie primitive simple
chez un enfant âgé de plus de six ans est d'ordinaire bénigne, et, si sa
marche est très-aiguë, la guérison est assurée; chez l'enfant, toutefois, il
faudra tenir compte de la fréquence plus grande des complications.
Quant aux pleurésies primitives chez les très-jeuncs enfants, les observa-
tions en sont trop rares pour qu'il soit possible d'établir des règles.
Dans la vieillesse, où elle est aussi rare que la pneumonie est fréquente,
la maladie tend à passer à l'état chronique. Il en est de même chez les
malades qui ont un état général mauvais, dont la constitution est appau-
vrie par la misère et les excès, chez les sujets anémiques ou en puissance
d'une diathèse, la goutte, la tuberculose, le rhumatisme. A ce propos, on
ne devra pas confondre la pleurésie développée pendant le cours du
rhumatisme, laquelle est, comme nous le verrons, une affection bénigne,
avec celle qui survient chez un sujet rhumatisant en dehors d'une attaque
aiguë. Celle-ci pâtit en quelque façon du milieu où elle a pris naissance,
et le rhumaLisant qui contracte une pleurésie l'a volontiers mauvaise.
Traitement. — On doit tenir compte de deux faits essentiels :
1° L'acte morbide qui constitue la phlegmasie pleurale. 2° L'épanchement
qui en est le produit. De là deux indications importantes : enrayer ou
modérer l'inflammation de la membrane séreuse ; faciliter la résorption de
l'épanchement à l'aide des moyens médicaux, ou en provoquer l'issue au
dehors par l'intervention chirurgicale.
Traitement médical . Au premier rang des agents antiphlogistiques
destinés à combattre l'élément inflammatoire, se placent les émissions
sanguines générales et locales, elles sont surtout indiquées quand la
fièvre est très-vive, l'oppression intense, la douleur du côté très-aiguë.
Les saignées générales ne sont guère pratiquées aujourd'hui dans la
pleurésie ; les médecins en jugeaient autrement dans la première moitié
de ce siècle, et la saignée générale tenait alors une grande place dans la
thérapeutique. Les faits tirés de la pratique d'Andral, de Bouillaud, de
Crùveilhier, de Chomel, de Louis, témoignent de la haute valeur de cette
médication. Entre les mains de ces maîtres éminents, on voyait, grâce
aux émissions sanguines, des pleurésies 'tourner court rapidement, sou-
vent en cinq ou six jours, quelquefois même avant la formation de
l'épanchement. Depuis de longues années, une réaction excessive, comme
toujours, s'est opérée contre la saignée, et l'on est passé, sur ce point,
d'un engouement extrême à une indifférence complète. Dans sa traduction
de Walshc, Fonssagrives se plaint que les émissions sanguines n'occupent
plus dans le traitement de la pleurésie la place qui leur est duc ; le
professeur Peter insiste cncrgiqucmcnl sur les conséquences, d'après lui
désastreuses, de ce mépris des saignées générales. Il attribue à l'abandon de
PLEURÉSIE. — p. aiguë primitive. — traitement. 195
cette pratique ancienne la formation si commune aujourd'hui, et naguère
inconnue, de ces vastes épanchements dont la résorption est impossible,
et dont on n'arrive à débarrasser les malades qu'à l'aide de la thoracentèse.
« Je le dis bien haut : de nos jours, à Paris, on abandonne trop volontiers
le pleurétiquc à lui-même, on laisse trop platoniqucment l'épanchement
s'opàrer, on néglige trop les émissions sanguines. Si, pour les citadins,
dont l'organisme n'a pas la vigueur ni le sang, la richesse de ceux des
campagnards, on ne peut pas toujours avoir recours à la saignée générale,
au moins doit-on commencer le traitement par une application de ven-
touses scarifiées ou de sangsues, en nombre proportionné à la force du
malade et à l'intensité de la douleur comme de la fièvre (à l'intensité
de la douleur surtout), application que l'on renouvelle ou non, suivant le
besoin (Peter). »
L'emploi des saignées générales n'est pas toujours indiqué ; évidem-
ment, chez un malade vigoureux, pléthorique, quand le début est violent
et impétueux, si le point de côté est très-douloureux, l'oppression très-
vive, et qu'on assiste à l'explosion de la maladie, il sera très-sage de
pratiquer une saignée, laquelle donnera sur-le-champ une amélioration
incontestable. Mais, si la pleurésie a des allures moins bruyantes, si elle
frappe un sujet de complexion médiocre que l'on n'est pas appelé à traiter
dès les premiers jours, on s'abstiendra des émissions sanguines générales,
et l'on donnera la préférence aux ventouses scarifiées qui agissent en
même temps comme révulsifs. Indépendamment de leur action antipblo-
gistique, elles ont un effet évident sur le point de côté, assez violent
quelquefois pour exiger une intervention spéciale : elles font cesser la
névrite qui en est la cause.
Les Allemands et les Anglais emploient les mercuriaux comme anti-
phlogistiques et altérants; ils prescrivent le calomel à dose fractionnée
et les frictions d'onguent napolitain jusqu'à saturation et sialorrhée.
Celte méthode populaire chez les Anglais, dans la pleurésie et dans la
péricardite, est à peu près inconnue chez nous. La digitale, qui par ses
propriétés antipyrétiques modère les combustions, peut être donnée au
début en infusion ou macération comme antifébrile, en attendant que
son action diurétique trouve son emploi dans l'élimination de l'épan-
chement. On pourrait donner l'émétique comme contro-stimulant, mais
les vomissements et la diarrhée qu'il peut provoquer ne seraient pas sans
inconvénients chez les sujets débiles. Pour enrayer la marche de la phleg-
masic, on tirera encore un bon parti de l'application de larges vésica-
toircs. Tous ces moyens s'adressent à l'inflammation pleurale, et doivent
être appliqués dans la période initiale; il faut les choisir avec discerne-
ment et en proportionner l'emploi à la gravité des symptômes.
Quand la pleurésie cstsimple, franchement inflammatoire, on s'en tient
à ces agents thérapeutiques. S'il existe un étal bilieux ou saburral, on aura
recours à un éméto-cathartique; lorsqu'il y a de l'adynamie, on emploie les
toniques. Quelquefois la fièvre est nettement rémittente, sans être liée à un
état gastrique; on se trouvera bien alors de l'emploi du sulfate de quinine.
106
PLE1 RÉSIE. —
P. AIGUË PRIMITIVE.
TRAITEMENT.
Quand la réaction fébrile est jicu marquée, la douleur de côté médiocre,
l'oppression peu accusée, il conviendra de laisser de côté la médication
antiphlogistique, pour ne recourir qu'aux agents qui s'adressent plus spé-
cialement à l'épanchement, c'est-à-dire aux révulsifs, ventouses, vésica-
toires, badigeonnages iodés ; aux dérivatifs intestinaux, drastiques prin-
cipalement; aux diurétiques, digitale, diète lactée, nitrate de potasse; aux
sudorifiques, jaborandi. Avant d'intervenir trop activement, on fera bien
d'observer le marche du liquide : il est des cas où la résolution, lies-
précoce, commence du sixième' au dixième jour, mais c'est surtout du
quinzième au vingtième qu'elle débute. Tant qu'on la voit se continuer
régulièrement, il est inutile d'agir, et l'on pourra ne faire de médication
que si le liquide cesse de diminuer. Toutefois, il ne faut pas oublier
que, même chez les sujets vigoureux et robustes, la pleurésie n'a jamais
une allure aussi aiguë, aussi franchement inflammatoire, une tendance
aussi nette vers la résolution que la pneumonie. On ne perdra pas de vue
qu'il faut au malade un certain degré de vigueur pour résoudre sa pbleg-
masie, et, lorsque l'on sera en présence de sujets anémiques ou faibles,
on ne devra pas abandonner la résolution aux seules forces de l'orga-
nisme. En pareil cas, une fois la fièvre tombée, l'inflammation languit,
elle traîne en longueur, le liquide reste stationnaire, puis tous les phéno-
mènes phlegmasiques disparaissent, et à la pleurésie se substitue un
liydrothorax, une véritable hydropisie de poitrine qui n'a aucune tendance
à la résolulion, ou bien, ce qui est autrement grave, la pleurésie devient,
purulente ou passe à l'étal chronique.
Woillcz, surveillant à l'aide des tracés cyrlométriques la marche du
liquide, a noté l'effet des diverses médications sur sa résolution; il a
obtenu le tableau suivant qui résume en centièmes, pour chaque médi-
cation, la proportion des effets favorables ou nuls, et dans lequel on trouve
des résultats inattendus. Ces données n'expriment, bien entendu, que l'in-
fluence de la médication sur l'épanchement seul ; on n'y trouve pas noté
l'effet des diurétiques, dont l'emploi continu amène des modifications
graduelles non susceptibles d'être saisies par les tracés de mensuration.
EFFETS POUR CE:\T.
MÉDICATIONS
Favorables.
Nuls.
0.07
0 55
0.57
0.43
0.45
0.55
0.55
0.66
0.25
0.75
0.10
0.83
0.10
0.00
La médication révulsive et dérivative, qui a d'excellents résultats pen-
dant la période aiguë de la pleurésie, devient impuissante et inutile,
sinon nuisible, quand la fièvre est tombée. Comme le fait si judicieuse-
PLEURÉSIE. —
P. AIGUË PRIMITIVE.
TRAITEMENT.
197
ment observer Peter, on ne peut avoir la prétention de faire absorber le
liquide par la plèvre dans l'état où elle se trouve: la plèvre pulmonaire,
qui a suivi dans sa rétraction le poumon plus ou moins ratatiné, est
réduite à presque rien, elle est d'ailleurs recouverte de fausses mem-
branes; la séreuse pariétale qui a gardé sa disposition normale, est aussi
revêtue de néomembranes et tout aussi impropre à l'absorption. La
révulsion d'ailleurs n'est elficace qu'en substituant une hyperémie arti-
ficielle et thérapeutique à la congestion pleurale qui est le fait de l'inflam-
mation, elle sera donc de nul effet, une fois celle-ci guérie. Les sudorifi-
ques, les diurétiques, les purgatifs, ont le même mode d'action ; quand ils
sont efficaces, c'est bien plutôt par l'hyperémie dérivatrice que par une
spoliation qu'il faudrait supposer énorme pour qu'elle activât sérieuse-
ment l'absorption à la surface de la plèvre. Passé donc la période inflam-
matoire, la médication révulsive ctdérivative sera sans résultats salutaires,
elle augmentera la faiblesse du malade, et cette débilitation deviendra
elle-même une condition fâcheuse pour la résolution de l'exsudat.
Lorsque, par le fait de l'insuffisance du traitement ou des conditions
défavorables dans lesquelles se trouve le malade, on voit la résolution
de l'épanchement, tarder au delà de 28 ou 30 jours, il faut renoncer à
l'espoir d'en avoir raison par un traitement purement médical, et recourir
à la thoracentèse.
Le point de côté de la pleurésie commune et la douleur si pénible de la
pleurésie diaphragmatique exigeront l'emploi d'une médication pallia-
tive, piqûres de morphine, frictions belladonées, opium en pilules, etc.
Thoracentèse. L'indication de la thoracentèse est tout entière dans ces
deux circonstances : abondance extrême de l'épanchement ; sa résistance
à l'absorption.
Quand le liquide est très-abondant, surtout si la pleurésie siège à gau-
che et déplace le cœur, on sait qu'il peut amener des accidents graves :
la dyspnée considérable qui entrave l'hématose et la mort subite par
syncope, par asphyxie. C'est dans ces cas que l'on est appelé à pratiquer
la thoracentèse d'urgence; analogue par les conditions où l'on opère à la
trachéotomie, constituant comme elle un traitement palliatif, elle pare au
plus pressé et n'est pas toujours curative. Si la fièvre persiste, si la phlcg-
masic pleurale n'est pas éteinte, la séreuse continuera à sécréter un
liquide pathologique et elle reproduira répanchement. Il est néanmoins
des cas où il suffit de soustraire une minime quantité de liquide pour
voir le reste se résorber rapidement; cela s'explique par l'état des vais-
seaux qui, comprimés par le liquide, sont hors d'état de fonctionner, et
dans lesquels la diminution de pression rétablit la circulation.
Par la thoracentèse pratiquée d'urgence, on gagne du temps, et, la
maladie se retrouvant dans les mêmes conditions qu'avant l'épanchement,
on a le loisir d'agir sur elle par le traitement médical. C'est le seul cas
où il n'y ait pas lieu de s'arrêter à la persistance de l'état fébrile et nous
verrons plus loin que, hormis le cas d'urgence, il est tout au moins irra-
tionnel d'opérer malgré la fièvre.
L
198
PLEURÉSIE.
— P. AIGUË PRIMITIVE.
TRAITEMENT.
Pour décider l'urgence de la tlioraccntèse, il est impossible de s'en
tenir à un seul indice : il faut évidemment tenir compte à la l'ois et des
troubles fonctionnels et de la quantité de l'épancbement. La dyspnée, à
elle seule, ne saurait rien décider; on voit souvent des collections énor-
mes de liquide ne' provoquer que peu de gêne respiratoire et permettre
aux malades de travailler et de vaquer sans défiance à leurs occupations.
D'autre part, il y a parfois, au début de la maladie, des dyspnées suffocantes
avec des lipothymies alarmantes, qui ne sont pas justiciables de la
tlioraccntèse, mais des stimulants diffusibles cl des toniques. La dyspnée
excessive n'est donc une indication qu'autant que l'épancbement sera
reconnu abondant. A quelle quantité de liquide aura-t-on à redouter des
accidents graves? D'après G. Dieulafoy, hormis le cas de Blachez, où la
plèvre ne contenait que 1500 grammes, jamais la mort n'a été provoquée
par une collection inférieure à 2000 grammes. Il faudra donc prononcer
l'urgence, lorsque chez un sujet robuste et vigoureusement organisé le
liquide atteindra de 1800 à 2000 grammes. On arrive à évaluer la pro-
portion de l'épancbement par l'élévation de son niveau, par la mensu-
ration, par le déplacement des viscères et notamment du cœur. Quand
on trouve à l'auscultation, un silence absolu sans égophonie ni souffle, ou
hien un souffle caverneux ou amphorique, lorsque la matité absolue
remonte en arrière jusqu'à l'épine de l'omoplate et supprime en avant
la sonorité skodique qui existait au-dessous de la clavicule, et, dans les
cas de pleurésie gauche, quand le cœur est déplacé, et que sa pointe
vient battre à droite du slernum, on peut admeltre que l'épanchement,
chez un adulte bien constitué, varie de 1800 à 2000 grammes (G. Dieu-
lafoy). La thoracentèse est alors urgente, il n'y a pas à s'inquiéter de la
fièvre, il faut agir, et promptement, sous peine d'accidents. Sur cette
thoracentèse d'urgence, tout le monde est d'accord. Les complications de
la pleurésie, en tant qu'elles augmentent la dyspnée ou entravent la
circulation pulmonaire, sont une raison de plus d'opérer.
La résistance de l'épanchement à la résorption est encore une source
d'indications pour la thoracentèse ; mais ici l'évidence ne s'impose plus
et l'opportunité de la ponction est discutée. Lorsque l'épanchement est
d'abondance moyenne, pendant la période fébrile, et alors que la
pleurile n'est pas encore guérie, il faut traiter le malade médicalement :
tant que dure la phlegmasie, une ponction n'avancerait en rien la
guérison, le liquide se reproduisant immédiatement. Mais, dès que la
défervescenec s'est produite, il se peut faire que la chute thermométrique,
d'abord franche et rapide, s'arrête tout à coup, et cesse de faire aucun
progrès; la pleurésie est guérie, elle liquide ne constitue plus qu'un
corps étranger, une épine menaçante, reliquat de la maladie, qu'il est
inquiétant d'abandonner à lui-même. Tout d'abord, et même avec un
épanchement médiocre, on n'est pas complètement exempt du souci de
mort subite, et l'on a vu, en pareil cas, plus d'un exemple de terminaison
funeste. D'ailleurs, la seule présence du liquide produit le déplacement
des organes, qui finissent par contracter; des adhérences, et gardent leur
PLEURÉSIE. P. AIGUË PRIMITIVE. TRAITEMENT. 199
situation anormale. Le poumon comprimé s'affaisse, perd sa souplesse et
prend une sorte de rigidité qui s'oppose à l'entrée de l'air, il respire mal,
et de ce trouble de la circulation et de l'hématose résulte une certaine
déchéance de l'économie qui constitue une chance de plus pour que la
pleurésie devienne chronique ou purulente. Il y a donc intérêt évident à
extraire prompteincnt ces épanchements, qui sont par eux-mêmes une
cause de persistance par les troubles mécaniques et nutritifs qu'ils
déterminent dans le poumon refoulé. La thoracentèse peut abréger de
plusieurs semaines la durée de la maladie, et hâter la convalescence.
Autrefois, alors qu'on ne connaissait que le trocart de Rcybard, la
thoracentèse d'urgence était seule pratiquée, et constituait un trauma-
tisme auquel on n'osait exposer le malade sans nécessité absolue.
De l'année 1850, où Trousseau lit entrer la ponction de la poitrine dans
la pratique médicale, jusqu'en 1870, où G. Dieulafoy appliqua pour la pre-
mière fois l'aspiration au traitement de la pleurésie, la méthode de liey-
bard fut seule en usage, et l'on peut dire que, dans maintes circonstances
où son emploi eût été salutaire, le médecin reculait devant la crainte de
pratiquer une opération véritable. Depuis le jour où G. Dieulafoy, forçant le
liquide à traverser une aiguille capillaire, a réduit l'opération aux pro-
portions inoffensives d'une simple piqùre-d'épingle, on n'hésite plus, dès
que la résorption se fait attendre, à pratiquer l'aspiration. Comme le fait
remarquer l'olain, l'avantage de la méthode aspiratrice n'est pas d'obtenir
une évacuation des épanchements pleuraux plus rapide ou plus complète
qu'on ne le faisait avec la canule autrefois en usage, et de forcer, par un
moyen puissant, l'issue d'un liquide qui ne sortirait pas de son propre
poids; le mérite de l'aspiration est d'évacuer l'épanchcment en produi-
sant le moins de traumatisme possible, et le vide ne sert qu'à obliger le
liquide à traverser, dans un temps assez court, un tube très-fin dont
l'introduction passe presque inaperçue. Le traumatisme est nul, et la
douleur est si peu de chose que les malades la redoutent moins que celle
d'un vésicaloire ; l'opération est comparable par son innocuité à une
injection hypodermique faite avec la seringue de Pravaz.
Nous n'avons pas à décrire ici l'aspiration, ni les nombreux instru-
ments qu'on a proposés pour la pratiquer (Voy. art. Poithine, llioi-a-
centèse). Les deux seuls en usage aujourd'hui sont l'aspirateur de G. Dieu-
lafoy et celui de Potain qui, avec des mérites différents, ont des avantages
à peu près égaux.
La thoracentèse donne lieu à un petit nombre d'accidents que nous allons
passer en revue. Lorsque l'évacuation est faite trop rapidement, comme
cela arrivait quelquefois avec la canule de Rcybard, le malade est pris
à la fin de l'opération de quintes de toux opiniâtres et extrêmement fati-
gantes. C'est là un inconvénient que l'on évite d'ordinaire en se servant
de l'aspirateur, mais en se gardant de procéder trop brusquement . La
pénétration trop soudaine de l'air dans le poumon rapidement déplissé est
la cause probable de ce petit accident qui n'a d'autre effet que de fatiguer
le patient.
200
PLEUliKSIK.
P. AIGUË PRIMITIVE.
TRAITEMENT.
Nous ne parlons ici que pour mémoire de la lésion de Tarière inter-
costale, que l'on produisait quelquefois avec le gros trocart; elle est
inconnue aujourd'hui. La seule hémorrhagie, toujours sans importance,
que l'on observe par les procédés actuellement en usage, est due à la
déchirure des vaisseaux qui parcourent les néo membranes.
Un accident plus sérieux est l'œdème aigu et la congestion du poumon,
avec expectoration albumineuse. A la fin de l'opération, ou pendant les
instants qui la suivent, le patient est pris d'une toux quinteusc et opi-
niâtre, il se produit de la dyspnée, ou même une sensation d'étouffement
qui va jusqu'à l'angoisse. Le malade rejette alors par la toux, tantôt des
mucosités spumeuses, quelquefois teintées de sang, tantôt un liquide
glaireux, filant, semblable à du blanc d'œuf, qui, traité par la cbaleur ou
l'acide nitrique, donne un dépôt abondant d'albumine. La quantité de
cette expectoration varie de 50 à 500 grammes, elle peut s'élever à un
et même deux litres. La toux vient par quintes à la suite de chacune des-
quelles le liquide sort par gorgées. La dyspnée est d'ordinaire en rapport
avec la quantité et l'état mousseux du liquide battu par l'air dans les
tuyaux bronchiques. Si l'on ausculte la poitrine dès le début de l'acci-
dent, on entend des râles sous-crépitanls fins d'œdème pulmonaire, sur-
tout très-abondants vers la base du poumon.
Cet état persiste sans modifications pendant plusieurs heures; il peut
durer une journée entière, puis, si l'byperémie est peu marquée, si le
liquide qui transsude dans l'arbre aérien n'est pas très-abondant, les
accidents de suffocation cessent, la respiration devient plus facile, le
crachement diminue graduellement, puis disparait, et le malade revient
à l'état normal. Dans quelques cas graves, l'opéré, d'abord soulagé par
la ponction, sent rapidement revenir la dyspnée, la poitrine s'embarrasse
l'anxiété devient extrême et l'arbre aérien est bientôt envabi par vin
liquide spumeux; il y a alors des symptômes d'asphyxie, de la cyanose
de la face, et la mort peut survenir très-rapidement. Dans une thèse fort
bien faite où il a rapporté 21 observations de thoracentèse suivie d'expec-
toration albumineuse, Terrillon rapporte un cas mortel observé dans le
service de Gombault, et où vingt minutes après la thoracentèse: l'aspbyxie
commençait. Les cas de ce genre sont exceptionnels, et l'on ne connaît
guère que six faits où la terminaison ait été fatale, ce qui donne,
néanmoins, pour les cas d'expectoration albumineuse, une mortalité assez
élevée et oblige à considérer comme très-sérieuse cette complication de
la thoracentèse.
Quelle est l'explication de ces faits? On a accusé la piqûre du poumon
par le trocart; mais l'absence habituelle de sang dans le produit de
l'expectoration, et dans le liquide obtenu par la thoracentèse, l'absence
des signes d'auscultation qui ne manqueraient pas d'accuser un hydropneu-
mothorax dans le cas où le poumon aurait été lésé, permettent de rejeter
cette explication, llérard a établi que l'expectoration albumineuse estduc
ù la congestion bn.sque, à l'œdème aigu du poumon, qui sont la consé-
quence de la thoracentèse pratiquée d'une certaine façon : on a remarqué
PLEURÉSIE.
P. AIGUË PRIÎI1TINK.
TI1AITEMENT.
que les accidents coïncident souvent avec l'évacuation très-rapide et com-
plète d'un èpanchement abondant; ils s'expliquent d'une façon très-satis-
faisante par l'afflux presque foudroyant du sang dans le poumon com-
prime par une collection volumineuse, puis très-brusquement dilaté. Sous
l'influence de cette poussée subite, il se produit une congestion et un
œdème pulmonaire^ aigus, et la partie la plus lluidc du sang, le sérum,
transsude au travers des parois vasculaircs et vient pleuvoir dans les
petites bronebcs et dans les alvéoles pulmonaires. On a accusé l'aspira-
tion d'abaisser brusquement la tension pleurale en évacuant le liquide
trop rapidement, mais Dieulafoy fait remarquer que sur seize cas de
tboracentèse avec expectoration albumineuse, où le manuel opératoire
est indiqué, douze fois l'opération avait été faite avec le trocart ordi-
naire, et sur les six cas eonnus d'accidents mortels l'aspiration n'avait
été employée que trois fois. 11 convient d'ajouter que, dans la plupart des
cas d'œdème aigu avec crachements albumineux, il y avait avec la
pleurésie une complication plus ou moins grave; et dans les rares obser-
vations où la maladie était absolument simple on avait tiré en une fois
une trop grande quantité de liquide (2,2 litres, et même 5 litres), « de
sorte que les accidents bénins, graves ou mortels, d'œdème pulmonaire
et d'expectoration albumineuse, suite de tboracentèse, ont toujours clé
associes, soit à des complications de la pleurésie (maladies du cœur,
bronchite, tuberculose, adhérences nombreuses ou anciennes, pleurésie
double), soit à l'issue immédiate d'une trop grande quantité de liquide, et
le plus souvent à ces deux causes réunies » (G. Dieulafoy). D'où le pré-
cepte de ne pas tirer en une foisplusde 1000 à 1200 grammes de liquide,
surtout lorsqu'on a affaire à une pleurésie ancienne ou compliquée. Le
poumon peut alors, après avoir été réduit à un très-petit volume, se dilater
graduellement et s'habituer peu à peu aux fondions qu'il n'accomplissait
plus.
On a encore signalé, après la tboracentèse, des accidents qui ne parais-
sent avoir avec elle que des rapports de coïncidence. La syncope ou l'as-
phyxie, qui surviennent en pareil cas, sont dues à des lésions préexistantes,
caillots cardiaques, embolies cérébrales, thromboses et embolies des
vaisseaux pulmonaires, dégénérescence graisseuse du cœur, etc. La tbo-
racentèse n'est aucunement responsable de ces accidents.
Enfin la tboracentèse a été aussi accusée de transformer une pleurésie
séreuse en pleurésie purulente. Cet accident, si tant est qu'il soit réel, est
infiniment plus rare qu'on ne l'a dit. Lorsque l'on trouve à une deuxième
ponction un liquide purulent, alors qu'il était séreux à la première, le
plus souvent on a affaire à une pleurésie qui fût devenue purulente quand
même. Le liquide extrait d'abord était déjà purulent à un faible degré,
mais trop peu pour que cela fût appréciable sans l'aide du microscope,
et de cet examen incomplet on conclut à une transformation de l'épan-
chement, alors qu'il n'y a qu'un degré plus avancé dans l'évolution d'une
pleurésie primitivement purulente. Dans ces dernières annéeos, des statis-
tiques nombreuses de tboracentèse par aspiration ont établi l'innocuité
202
PLEURÉSIE. P. AIGUËS SECONDAIRES.
du procédé, lorsqu'il esl pratiqué avec toutes les précautions voulues.
Parmi ces précautions figure au premier rang, la propreté des instru-
ments employés et l'emploi d'un trocart ou d'une aiguille incomplètement
nettoyés et qui auraient servi antérieurement à vider quelque collection
purulente pourrait l'aire accuser la llioracenlèse de méfaits qui, en
bonne justice, lui sont étrangers.
En somme, la thoraccnlèse par aspiration est une excellente opération
qui n'a pas les dangers qu'on lui reproche, et lorsqu'elle est bien faite elle
soulage les malades, sans leur faire courir de risques, sans ajouter au
mal une complication. Elle permet de multiplier une intervention dont on
s'abstenait par timidité et d'éviter la temporisation qui laisse passer à
l'état chronique ou à la purulence une pleurésie destinée à guérir
promptement par une ponction opportune.
Pleurésies aiguës secokdaihes. — Un bon nombre de pleurésies aiguës
se sdéveloppent secondairement dans le cours d'une maladie générale, ou
sous l'influence d'une affection de voisinage.
Les maladies générales passibles de complications du côté de la plèvre
sont : les fièvres éruptives, et au premier rang la scarlatine, la variole,
puis la rougeole ; certaines fièvres graves, la fièvre typhoïde, la fièvre
puerpérale, l'infection purulente, le rhumatisme articulaire aigu ; des
affections dyscrasiques, comme la maladie de Bright, ou celles qui, comme
les affections du cœur, troublent la circulation et provoquent le déve-
loppement d'une sorte de pleurésie bâtarde, voisine de l'hydrothorax.
Les affections des viscères thoraciques, du poumon, du cœur ou de
la membrane qui l'enveloppe, sont fréquemment le point de départ d'une
pleurésie : la pneumonie superficielle se complique souvent de pleurésie
chez l'adulte, et presque constamment chez l'enfant ; c'est là la pleu-
ropneumonie ; la rupture d'une caverne tuberculeuse, l'ouverture d'un
foyer gangréneux dans la cavité séreuse, entraînent une pleurésie sur-
aiguë, souvent avec pneumothorax; les abcès du poumon ont ce même
résultat par un mécanisme identique.
Dans l'enfance, la pleurésie est rarement primitive et simple, elle in-
tervient dans le cours de la pneumonie, de la coqueluche, du croup, de
la tuberculose pulmonaire ou méningée, des fièvres éruptives, etc.
Chez les vieillards, des noyaux superficiels d'apoplexie pulmonaire
donnent lieu à un frottement pleural dù au développement d'une pleu-
résie sèche. La phthisie pulmonaire a le môme effet, mais la lésion est
alors chronique. Les phlegmasies du péricarde se propagent quelquefois
par contiguïté à la plèvre adjacente.
Citons encore les affections traumaliques ou spontanées de la paroi
thoracique les fractures de côtes , les plaies de poitrine, la carie costale,
leshydatides et les tubercules de la plèvre, la granulie pleurale et en lin un
certain nombre d'affections des organes voisins dont les désordres peuvent
retentir jusqu'aux plèvres : abcès des médiastins, adénopathie bronchique
suppuréei scrofulcusc ou tuberculeuse, avec ouverture du foyer dans la poi-
trine ; perforations spontanées ou traumatiques de l'œsophage, hépatite,
PLEURESIE. — p. aiguës secondaires. 205
abcès, kystes hydatiques du foie ou cancer de l'estomac ayant perforé le
diaphragme et la plèvre, abcès périnéphriques, etc.
Ces causes variées donnent lieu à des pleurésies parfois séreuses, le
plus souvent purulentes. La lièvre puerpérale, la scarlatine, la pyohémie,
les abcès de voisinage et toutes les affections qui donnent lieu au passage
dans la plèvre de liquides pathologiques provoquent des pleurésies
suppurées.
La symptomatologie des pleurésies aiguës secondaires ne diffère guère
de celle des pleurésies primitives que par le mode de début lié à là cause
dont elles procèdent. En raison des conditions défavorables où se trouvent
les malades, l'affection se prolonge souvent jusqu'à devenir chronique.
Le pronostic est d'ordinaire fâcheux, cependant il est des pleurésies
secondaires qui ont une solution favorable: telles sont la pleurésie rhuma-
tismale et certaines pleurésies chez les tuberculeux .
Nous ne pouvons donner ici un tableau d'ensemble des pleurésies
secondaires; la seule forme qui, en raison de sa physionomie à part,
mérite une description spéciale, est la pleurésie rhumatismale.
Pleurésie rhumatismale. — Moins fréquente que l'endocardite et la
péricardite rhumatismale, elle constitue comme elles une détermination
locale du rhumatisme. Elle se produit d'ordinaire au cours d'un rhuma-
tisme articulaire aigu ; d'autres fois, mais rarement, elle coïncide avec
un rhumatisme musculaire. Ce qui la caractérise et lui donne une allure
distincte, c'est la mobilité qui est le propre des fluxions rhumatismales.
Elle s'annonce d'ordinaire par une certaine recrudescence de la fièvre,
une douleur assez vive dans un des côtés de la poitrine, sans toux ni expec-
toration. D'après le professeur Lasègue, qui a publié sur ce sujet des re-
cherches très-intéressantes, la douleur de côté aurait quelques traits
spéciaux : au lieu d'être, comme dans la pleurésie commune, limitée en
un point, elle représenterait une zone douloureuse, due à ce que le
rhumatisme occupe le tissu aponévrotique qui forme la charpente des
muscles intercostaux; de plus cette douleur ne cède pas promptement,
comme dans la pleurésie ordinaire, elle persiste pendant toute la durée
de la fluxion pleurale, avec des recrudescences qui semblent indiquer
l'envahissement d'espaces intercostaux jusque-là respectés. La dyspnée est
souvent ici très-vive, ce qui paraît dû à la participation du diaphragme
et surtout de son centre aponévrotique. En raison de la rapidité de la
fluxion pleurale, cette douleur accompagne la pleurésie bien plus souvent
qu'elle ne la précède. Mais c'est principalement dans l'évolution de
l'épanchement que l'on trouve les traits caractéristiques de la pleurésie
rhumatismale : tandis que, dans la forme commune, l'épanchement,
précédé de prodromes, peut tarder plusieurs jours, ici son apparition
peut être absolument soudaine, et une collection liquide même considé-
rable peut en quelques heures envahir la plèvre. Les signes physiques de
la pleurésie rhumatismale n'ont rien de spécial, à cela près que, les fausses
membranes étant assez peu communes, on observe rarement le frottement,
et que, la présence du liquide étant de règle, on ne trouvera qu'exception-
204
PLEURESIE. — p. aiguës secondâmes.
Mollement les caractères de la pleurésie sèche. L'épanchcment est presque
toujours d'abondance moyenne, il peut être liuiib'-à un seul coté, et après
être resté à peu près stationnaire pendant trois ou quatre jours, dis-
paraître avec une rapidité égale à celle de son début, sans que la fluxion
atteigne la plèvre opposée. Mais ce n'est pas là la règle, et il est commun
de voir la résolution brusque du liquide être le signal d'une poussée vers
la plèvre voisine; celle-ci, évoluant absolument comme la première,
pourra se terminer soudainement et sans retour, ou bien faire place à
la réapparition d'un épanchement du côté opposé. 11 y a ainsi une sorte
de balancement entre les deux plèvres, et ces alternatives sont analogues
à celles que l'on observe pour les fluxions articulaires. Seux (de Mar-
seille) a récemment encore insisté sur ces caractères particuliers de la pleu-
résie rhumatismale et en a rapporté plusieurs observations intéressantes.
La guérison de la pleurésie rhumatismale est le plus souvent très-rapide ;
outre la disparition des signes d'épanchement, une défervescence très-
proinpte en marque le début. Toutefois il n'en est pas toujours ainsi : il
peut se faire que le rhumatisme, ayant épuisé son action, n'ait plus sur la
résorption du liquide l'influence qu'il a eue sur sa genèse, l'épanchcment
rentre alors dans les conditions de l'exsudat pleurétique ordinaire, et la
résolution tarde plus ou moins.
La pleurésie rhumatismale a parfois une marche silencieuse, alors elle
n'est signalée ni par la douleur, ni par la toux, ni par l'oppression ; il
existe bien de la fièvre, mais on l'attribue au rhumatisme articulaire, et,
comme il est difficile de faire asseoir les malades pour les ausculter, on
peut laisser passer inaperçue la complication pleurais. Il en est d'ail-
leurs ainsi des déterminations cardiaques du rhumatisme : elles veulent
être cherchées, et Chomel imposait au médecin la règle absolue d"auscul-
ter, au moins tous les deux jours, les rhumatisants.
Nous avons vu que la pleurésie rhumatismale peut exister en dehors
du rhumatisme articulaire et coïncider avec un simple rhumatisme mus-
culaire; ce n'est pas tout, elle peut encore se produire en dehors de toute
espèce de manifestation de cette nature, comme l'endopéricardite rhu-
matismale peut apparaître d'emblée sans arthropathies ; mais ces deux
circonstances sont également rares. En pareil cas, pour assigner à la
pleurésie sa véritable nature, il faudra tenir compte des antécédents
personnels et héréditaires du malade, des caractères de la douleur de
côté, de la mobilité de l'affection, de la violence de la lièvre et de sa
chute rapide, de l'existence de sueurs profuses.
La guérison complète et rapide est de règle, et la suppuration aussi
rare que dans les autres localisations du rhumatisme. La pleurésie rhu-
matismale est souvent compliquée d'endopéricardife, et H. Roger a signalé
chez l'enfant une relation étroite entre les deux affections, de sorte que,
dans le rhumatisme, quand l'endocardite existe, on pourrait, presque à
coup sûr, prédire la pleurésie. Celle-ci est alors fréquemment double, et
débute plus souvent dans le deuxième septénaire que dans le premier ou
le troisième.
PLEURÉSIE. —
P. PURULENTE. l'.TIOLOGIE.
205
Le pronostic de la pleurésie rhumatismal est sérieux, non pas comme
pleurésie, mais parce que l'affection est une manifestation viscérale du
rhumatisme, de toutes la plus bénigne, il est vrai, mais fâcheuse néanmoins
parce qu'elle dénote chez le malade une tendance inquiétante aux compli-
cations viscérales, et qu'elle peut faire place au rhumatisme cérébral. Ce-
pendant considérée en soi, la pleurésie rhumatismale est moins sérieuse
que la pleurésie commune, qui peut ne guérir que lentement, ou bien
passer à la suppuration et à L'état chronique.
En raison de ses allures rapides, de sa résolution prompte et spontanée,
elle ne réclame pas une thérapeutique bien active; il n'est pas bon.
d'ailleurs, d'attaquer trop vigoureusement la fluxion rhumatismale, de
peur de s'exposer à des déplacements graves.
La thoracentèse n'est guère indiquée dans la pleurésie secondaire au
rhumatisme que si l'inflammation est double et compliquée de pericar-
dite, si elle amène de la dyspnée, une anxiété notable et la menace d'acci-
dents sérieux. On pourra encore y recourir lorsque, le rhumatisme ayant
épuisé son action, l'épanchement n'a plus de tendance à se résoudre.
Pleurésie purulente. — Mal connue avant la vulgarisation de la thora-
centèse, la pleurésie purulente a. été mieux étudiée depuis ; elle est de
notion vulgaire aujourd'hui, grâce à la facilité des ponctions exploratrices,
qui permettent de suivre, pour ainsi dire jour par jour, les modili-
cations du liquide. Nous emprunterons un bon nombre des détails qui
vont suivre aux travaux si complets et si intéressants que Moutard-Martin
a publiés sur ce sujet. Lorsque l'épanchement, au lieu d'être séreux ou
séro-librineux, est mélangé de pus, ou dit que la pleurésie est purulente ;
histologiquement la pleurésie est toujours purulente, et Laboulbène a
établi que l'exsudat de la pleurésie simple contient des globules de pus
dès les premiers jours : il n'y aurait donc là qu'une question de degré,
mais l'observation clinique ne permet pas d'admettre cette confusion, et
la simple vue suffit à distinguer le liquide d'une pleurésie purulente
de celui de la pleurésie aiguë franche. La première peut, il est vrai, suc-
céder à la phlegmasie simple de la plèvre; mais, dans la majorité des cas,
les deux affections procèdent de causes distinctes et il y a entre elles
des différences de nature et d'évolution qui les séparent nettement ; l'épan-
chement est d'ailleurs purulent d'emblée sous l'influence de certaines
causes, et, dans la pleurésie qui complique la lièvre puerpérale et la pyohé-
mie, le premier liquide sécrété est du pus en nature.
Etiologie. — Parmi les causes de la pleurésie purulente, les unes lo-
cales, sont des lésions d'origine traumatique ou des affections de voisi-
nage, ce sont les mieux connues ; fréquemment, elles donnent lieu à la
production d'un exsudât purulent d'emblée; les autres sont des alfections
générales dont le mode d'action n'est pas clairement établi. Les premières,
qu'elles soient traumatiques ou spontanées, ont une action évidente et
incontestable, telles sont : les plaies de poitrine, les fractures de côtes,
les caries costales, l'érjsipèlc phlegmoneux des parois thoraciques, les
abcès de voisinage ouverts dans la plèvre (abcès de la paroi costale, de
206
l'i.n i;i>ii:.
— T. PUnULENTE. — ÉTIOLOG1E.
l'aisselle, du médiastin, de la rate, du rein, du foie), les épanchements
d'air, de sang, de liquides pathologiques, les corps étrangers, pénétrant
dans la poitrine par l'œsophage ou la trachée, la pneumonie suppurée,
la rupture d'un loyer d'apoplexie pulmonaire. La gangrène pulmonaire
peut être le point de départ d'une pleurésie suppurée, mais cette relation
n'est pas constante ; Rendu et Dehovc ont signalé des cas où la gangrène
pulmonaire était consécutive à la pleurésie purulente dont elle était une
complication.. La tuberculose peut donner lieu à la formation d'un era-
pyème par des mécanismes différents : par la rupture d'une caverne tu-
berculeuse, par le développement de granulations tuberculeuses sur la
séreuse elle-même. En dehors de ces deux modes, la phthisie provoque
tantôt des pleurésies sèches, tantôt des pleurésies séreuses. Dans la
forme commune de la tuberculose, l'épanchement plcurétique, quand il
existe, est le plus souvent séreux, et lorsqu'il est purulent, c'est moins
par une action locale de la tuberculose que par le fait de l'état de cachexie
du sujet, qui prédispose aux phlegmasies suppuratives. Nous avons vu
qu'on avait incriminé la thoracentèse ; Trousseau se refusait déjà à admettre
cette influence fâcheuse de la ponction, qui est bien plus douteuse encore
depuis que le traumatisme est devenu, par les méthodes nouvelles, ab-
solument insignifiant. Quant à l'introduction de l'air dans la plèvre, son
influence nuisible est admise par la plupart des observateurs, et les rares
expériences qui ont été tentées impunément pour en établir l'innocuité
n'ont pas entraîné la conviction et n'ont pas trouvé d'imitateurs.
Parmi les causes générales, les mieux connues sont : les fièvres érup-
tives, la variole, la rougeole et surtout la scarlatine, qui est, à ce point
de vue, la plus dangereuse de toutes ; la coqueluche, l'état puerpéral,
la pyohémie, la morve, la méningite cérébro-spinale, la fièvre urineuse,
les grands traumatismes, les amputations; l'influence de la scrofule
a été signalée, mais n'est pas clairement établie; on a rapporté enfin
quelques cas très-rares de pleurésie suppurée survenus dans la conva-
lescence de la fièvre typhoïde.
Certaines conditions favorisent la suppuration des pleurésies et jouent
le rôle de causes prédisposantes : l'enfance ou l'âge adulte, le scy.e mas-
culin : il y a, à cet égard, une proportion considérable en faveur de
l'homme; puis viennent des conditions générales mal déterminées, toutes
les causes d'affaiblissement, toutes les influences qui portent atteinte aux
fonctions d'assimilation et de désassimilation : insuffisance alimentaire,
famine, affections typhiques, etc. ; on voit encore suppurer la pleurésie
chez les ivrognes, chez les sujets surmenés ou convalescents d'une
maladie grave.
« Quelque soit, dit Lancercaux, le point de départ de la pleurite sup-
purative, la condition pathogénique de cette affection est, pour ainsi dire,
toujours la même, à savoir : la présence clans les liquides organiques, ou
encore dans les tissus du voisinage de la plèvre, d'un principe seplique
purulent. C'est donc le pus ou une substance renfermant des éléments
semblables, sinon de même nature, qui engendre la pleurésie purulente,
PLEURÉSIE. — P. PURULENTE. — ANATOMIE PATHOLOGIQUE. 507
avec plus ou moins de facilité suivant les conditions individuelles, et cela
par un mécanisme peu différent de celui qui consisterait à déposer quel-
ques gouttes de pus sur une plèvre saine. »
Dans certains cas, néanmoins, on ne peut invoquer aucune condition
ni locale ni générale, et la transformation purulente s'opère dans les con-
ditions en apparence les moins propres à la provoquer.
Anatomie pathologique. — Lésions parenchymateuses . Si la
pleurésie purulente, succédant à une fièvre puerpérale ou à la pyoliémie,
a produit en quelques heures, comme cela arrive en pareil cas, un épan-
chement séro-purulent considérable, on trouve alors la plèvre intacte,
sans rougeur et sans ecchymoses ; la membrane est un peu plus terne
qu'à l'état sain, mais il n'y a pas apparence d'inflammation.
Quand la pleurésie purulente a succédé à l'état aigu, la séreuse est plus
rosée qu'à l'état normal, ou même rouge et injectée ; sa surface est moins
lisse, comme dépolie ; si la pblegmasie a été prolongée, la membrane est
infiltrée de pus, inégale, chagrinée et rugueuse; on y trouve à un degré
de développement très-marqué le tissu de granulation et les néo mem-
branes qui résultent de son organisation ; l'endothélium modifié, granu-
leux desquamé, par son mélange avec la fibrine et les globules de
pus, constitue des fausses membranes molles, jaunâtres, et il entre clans
la composition des flocons solides qui nagent dans le liquide. La plèvre
est couverte de petites ecchymoses; à la suite d'une pleurésie purulente
chronique, elle est souvent épaissie, indurée, comme cartilagineuse.
Les néo membranes peuvent s'incruster de sels calcaires et produire des
sortes d'ossifications que l'on trouve sur la paroi costale (Voyez Pleurésie
chronique). Dans quelques cas, elle peut s'infiltrer de leucocytes, se
détruire par places et présenter des ulcérations, comme Vigla l'a signalé
dans un cas de pleurésie purulente consécutive à la morve aiguë. Ces
altérations peuvent être limitées à la grande cavité pleurale, ou bien à
une partie seulement ; elles peuvent affecter la plèvre diaphragmalique,
ou celle qui revêt les scissures interlobaires.
Exsudât. Le liquide épanché est purulent, c'est-à-dire qu'il contient
des leucocytes en quantité suffisante pour être facilement appréciables à
l'œil nu ; au lieu d'être clair et limpide comme dans la pleurésie franche,
il est louche avec tous les intermédiaires entre l'épanchement séro-puru-
lent et le pus phlegmoneux pur. Souvent le premier degré de la pleuré-
sie purulente est à peine appréciable par la simple apparence, et s'il s'agit
d'un liquide obtenu par la ponction, ce n'est qu'à la fin de l'opération
que sort une sérosité légèrement voilée d'une faible teinte opaline, et lais-
sant déposer par le repos des globules blancs en quantité notable. L'ex-
sudat peut être plus épais, de couleur jaunc-verdàtre, ou vert pistache ;
d'autres fois, et lorsqu'il est souillé de sang, il prend une teinte brune
plus ou moins foncée. Il peut être homogène, bien lié, de consistance
crémeuse, ou floconneux et chargé de grumeaux ; le plus souvent, il n'a
pas une consistance égale à celle du pus phlegmoneux, excepté dans les
cas de pleurésies partielles, enkystées, alors que les parties séreuses ont
208 PLEURESIE. — p. purulente. — a.natomie pathologique.
été résorbées. 11 prend alors l'aspcet d'une masse jaune, caséeuse, de
consistance de mastic. Au microscope, on y trouve des leucocytes en
nombre considérable, quelques globules colorés, et des cellules granu-
leuses et volumineuses dues à la transformation des globules de pus. 11 y
a, de plus, des cristaux d'acides gras et des paillettes de choleslérine.
Le liquide, quelquefois inodore, a d'ordinaire une odeur fade, souvent
forte et alliacée, parfois fétide ; ce qui peut s'expliquer par la présence de
l'air dans la cavité purulente, ou par son voisinage immédiat, ou bien
par l'existence au milieu de l'épancbement de lambeaux pulmonaires
spbacélés. La quantité du liquide varie de 1 à 4 ou 5 et même G litres.
Fausses membranes. Leur existence est presque constante : tantôt elles
sont appliquées contre la plèvre, tantôt elles nagent dans le liquide puru-
lent. Quand elles n'occupent qu'une partie de la plèvre, elles sont plutôt
limitées à la paroi viscérale ou au diaphragme. Fréquemment la fausse
membrane, partout continue à elle-même, forme une poche sans ouverture
incluse dans la cavité normale, c'est le kysle pseudo-pleural. Dans la
pleurésie purulente aiguë, les fausses membranes sont peu adhérentes à
la plèvre, elles forment une couche mince, villeuse, molle et blanchâtre ;
quand la maladie est ancienne, elles ont une épaisseur assez grande et
qui peut atteindre 7 à 8 millimètres ; elles sont plus denses, comme fi-
breuses, et leur adhérence est telle, qu'elles ne peuvent être séparées de
la séreuse, et qu'on ne peut même distinguer la limite entre la mem-
brane normale et les produits patbologiques. On y peut reconnaître plu-
sieurs couches dont les superficielles sont tomenteuses et peu résistantes,
tandis que les profondes, d'une organisation plus avancée, ont une con-
sistance plus grande et sont quelquefois fibreuses, d'une dureté compa-
rable à celle du cartilage. Elles sont souvent fortement injectées, et
offrent même dans leur épaisseur des extravasations sanguines; leur colo-
ration n'est pas uniforme, leur surface est inégale, aniïactueuse ; quel-
quefois de teinte rosée, elles ont l'aspect de bourgeons charnus.
D'autres fausses membranes, libres d'adhérences, flottent dans le liquide
purulent; leur volume varie depuis celui de flocons ténus qui peuvent
encore traverser une canule un peu grosse, jusqu'à des masses du vo-
lume d'un gros œuf. Ces concrétions fibrincuses, communes surtout dans
les cas de fistules pulmonaires ou thoraciques, sortes d'épongés impré-
gnées de liquide putride, s'altérant comme le milieu dans lequel elles
baignent, sontun réceptacle d'une borrible fétidité ; c'est là une des causes
de l'incurabilité ordinaire des pleurésies purulentes par les procédés
habituels.
Outre les fausses membranes, on a trouvé dans le liquide des débris
de poclics hydatiques et des hydatides plus ou moins altérées, venues
soit du foie, soit do la plèvre elle-même ; on a vu, enfin, le liquide contenir
des débris de plèvre et de poumon spbacélés. Avec les produits patholo-
giques que nous venons d'énumérer, la plèvre malade peut contenir de
l'air, lorsqu'il existe une fistule plcuro-bronchique ou une ouverture de
la paroi thoracique. Des gaz peuvent-ils se développer spontanément
PLEURÉSIE. — p. purulente. — anatomie pathologique. wJ09
dans la cavité pleurale, et peut-on y trouver des fluides aériformes sans
perforation? Cette question est encore à l'étude : des observateurs très-
distingués, Ilérard, Jaccoud, ont publié des faits qui semblent favora-
bles à l'affirmative; dans quelques cas qui ne paraissent pas discuta-
bles, à la suite de fièvres typhoïdes ou puerpérales, on a trouvé dans la
plèvre des gaz contenant de l'hydrogène sulfuré et d'une odeur fétide.
Ces fluides paraissaient bien manifestement dus, en l'absence de l'air,
à la décomposition putride du pus. Les recherches les plus complètes et
les plus minutieuses pour établir dans ces cas l'existence d'une fistule
pleuro-pulmonaire sont restées sans résultats; cependant, le fait du
développement spontané des gaz dans la plèvre est bien malaisé à prou-
ver d'une façon péremptoire, et les fistules pleurales sont souvent si dilli-
ciles à découvrir, alors même que l'on est sûr de leur existence, qu'il
planera longtemps encore des doutes sur la possibilté du phénomène.
Quelquefois, chez des sujets morts de maladies intercurrentes, on a
trouvé à l'autopsie, dans la poitrine, le kyste pseudo-pleural en voie de
cicatrisation; le kyste se présente alors sous forme de cavité plus ou
moins grande, ou de tube à parois épaisses, denses et comme cartilagi-
neuses ; cette poche, qui peut être adhérente à la plèvre, contient un pro-
duit purulent, épaissi ou caséiforme, parfois de la cholestérine qui
résulte de la transformation du contenu purulent du kyste. D'après les
observations de Guéneau de Mussy, dans quelques cas d'épanchements
anciens, les leucocytes disparaissent, ils subissent une dégénérescence
granulo-graisseuse, et s'émulsionnent dans la sérosité qui les porte et
avec laquelle ils sont résorbés.
État du poumon et des parties voisines. — La disposition du pou-
mon, dans la pleurésie purulente généralisée, est très-analogue à ce
qu'elle est dans la pleurésie commune : refoulé en haut, aplati et
collé au médiastin, le poumon est plus effacé en bas qu'en haut ; quel-
quefois, par suite d'adhérences, il est appliqué contre le' rachis, ou
refoulé en avant contre la paroi costale ou le médiastin. Les fausses
membranes l'enveloppent rarement de toutes parts, souvent elles passent
sur une de ses faces, et l'appliquent à la paroi : il est ainsi complètement
en dehors du kyste pleural. Une disposition bien importante au point de
vue du traitement, c'est la présence d'adhérences anciennes unissant le
poumon et la paroi thoracique, et cloisonnant ainsi la plèvre en plusieurs
loges qui ne communiquent pas entre elles; dans ces cas, le pus n'a pas
d'écoulement, les lavages ne sont que partiels et la guérison est impos-
sible.
Si le processus est très-aigu et répancheinent rapide, le poumon est
libre d'adhérences et sa disposition est la même que dans la pleurésie
séro-fibruneuse.
L'état du parenchyme pulmonaire varie avec la durée et le degré de la
compression : tantôt souple, peu altéré, crépitant surtout en haut, il
est encore insufflable et surnage l'eau ; d'autres fois, il est flasque,
atélectasié, et se précipite au fond du vase. Brouardcl a signalé une
KOUV. D'CT. MÉD. ET CUIR. XXVI 1 1 — 14
210 PIlEURÉSIB. — P. l'UnULIi.MK. ANATOJIIE PATHOLOGIQUE.
altération du poumon qui résulterait de la propagation au tissu cellu-
laire de l'organe du processus inflammatoire!. Elle aurait pour clTet
de condenser ce tissu, d'amener sa rétraction qui contribuerait, pour
une bonne part, à l'inextensibililé du poumon, d'où affaissement de la
paroi thoracique et rétrécissement du côté malade. 11 faut admettre alors
que cette sorte de sclérose pulmonaire disparaît plus ou moins plus tard,
autrement il serait impossible d'expliquer ce qu'il est commun d'obser-
ver à la suite de ces rétrécissements, la poitrine rétrécie se dilatant peu
à peu et revenant à des dimensions voisines de l'état normal.
Le poumon peut contenir des tubercules ; la fréquence relative de cette
complication dans la pleurésie puruLente n'est pas bien établie; d'après
Attimont elle serait rare, puisque sur 150 malades 80 guérirent, et que
la tuberculose ne fut constatée que 9 fois dans les autres cas.
Les parois thoraciques peuvent être atteintes d'altérations nombreuses :
les parties molles peuvent s'enflammer par contiguïté et devenir le sii -
d'abcès; les muscles intercostaux s'atrophient et deviennent graisseux à
la suite des pleurésies purulentes prolongées, et le degré de ces altéra-
tions est en rapport avec la durée et l'intensité de la maladie. Les côtes
subissent de,s modifications de structure très-appréciables, lorsque la
maladie persiste longtemps, .et surtout dans les formes chroniques ; le
travail irritatit se propage à leur face interne, il y développe une ostéo-
périostite végétante, d'où résulte en ces points la formation d'ostéophyles
costaux. Parise et Lebert ont signalé, surtout chez les jeunes enfants,
l'existence de ces productions qui prennent l'aspect d'une côte surajoutée.
Enfin, la paroi thoracique du côté malade, après avoir présenté au début
une ampliation proportionnée à la quantité de l'épanchement, subit,
lorsqu'il se résorbe, une rétraction progressive due à ce que le poumon,
longtemps comprimé et bridé par des fausses membranes, ayant perdu
son extensibilité, la paroi costale, pour combler le vide, se déprime peu à
peu et souvent jusqu'à l'effacement de la convexité normale.
L'exsudat purulent exerce sur les tissus une action destructive qui
devient manifeste, surtout lorsque la pleurésie purulente est chronique :
le liquide peut alors ulcérer les parois de la poche pseudo-membraneuse
qui le contient, perforer la plèvre et se faire jour au dehors, soit à travers
le parenchyme pulmonaire, soit en perforant la paroi thoracique. Dans
quelques cas l'ouverture pulmonaire a lieu en sens inverse, des poumons
vers la plèvre, comme il arrive par la rupture d'une caverne tuberculeuse ;
mais la perforation précède alors l'épanchement purulent dont elle pro-
voque la formation en versant dans la plèvre le contenu de la caverne ;
cette dernière perforation siège toujours au sommet du poumon.
Dans le cas où la perforation est due à la tendance ulcéreuse du pu.-,
et se produit de dehors en dedans par rapport au poumon, elle peutsiégei
dans un point quelconque de la plèvre pulmonaire, très-souvent entre les
lobes du poumon, car ces perforations spontanées sont surtout très-com-
munes dans la pleurésie interlobaire.
La disposition de l'orifice est va-'able comme sa cause: la rupture
PLEURÉSIE. —
P. PURULKNTK
SYMPTÔMES.
211
d'une caverne consiste en un simple pcrtuis, en une ouverture qui fait
communiquer la cavité pleurale avec une caverne de petites dimensions :
l'orifice, souvent très-étroit, est recouvert par des fausses membranes, et
difficile à reconnaître. Dans les cas d'ouverture vers le poumon, la fistule
est plus longue, quelquefois large, souvent étroite, tapissée par une
membrane d'aspect muqueux ; étroite ou large, la fistule est toujours
très-difficile à trouver, cacliée qu'elle est par des fausses membranes ; on
ne parvient souvent à la découvrir qu'en insufflant pour la trachée le pou-
mon plongé dans un vase plein [d'eau. Le trajet fistuleux communique
avec une bronche de calibre variable. La disposition des fausses mem-
branes qui masquent la fistule est quelquefois (elle, qu'elle joue le rôle
de soupape et permet l'entrée de l'air dans la plèvre sans le laisser
échapper.
L'abcès pleural peut s'ouvrir spontanément à l'extérieur du thorax ;
c'est là une terminaison moins fréquente que l'autre. Cette perforation
siège habituellement en avant, dans les premiers espacés intercostaux
qui, au voisinage du sternum, sont plus larges et dépourvus du muscle
intercostal externe ; le plus souvent, elle a lieu dans le cinquième espace.
L'orifice peut être unique, ou bien il y en a plusieurs, plus ou moins
distants et quelquefois très-éloignés les uns des autres ; tantôt le pus
ulcère les fausses membranes et marche de dedans en dehors, quelquefois
un abcès des parois thoraciques s'ouvrant dans la poitrine prépare la fis-
tule pariétale; enfin, dans des cas assez rares, la fistule est mixte, le pus
se fait jour à la fois par la paroi thoracique et par les bronches.
Dans le cas d'ouverture intercostale, lorsqu'on peut examiner les
parties avant la rupture des téguments, leur disposition est la suivantes
au nivèau d'un espace intercostal on trouve à la plèvre un pertius plus
ou moins large, dépassant rarement un centimètre, et qui fait communi-
quer la cavité pleurale avec une poche extérieure à la cage thoracique.
étalée soit en longueur dans l'espace intercostal, soit en largeur et
recouvrant une ou plusieurs côtes. Une fois la collection vidée, la poche
peut se recoller à la façon d'un abcès, mais la fistule persiste plus ou
moins large, souvent irrégulière, sinueuse, et ne laissant que difficile-
ment échapper le pus. Un dernier mode d'évacuation du liquide est la per-
foration du diaphragme de la poitrine vers l'abdomen ; ce dénouement,
assez rare, est précédé d'une péritonite circonscrite qui crée des adhé-
rences et prévient l'épanchement du pus dans le péritoine. On a vu encore,
mais bien plus rarement, le liquide suivre une autre-voie, et passer soit
dans le péricarde, soit dans le médiastin, soit dans la plèvre saine ; on
l'a vu fuser dans la gaîne du psoas jusqu'à la fosse iliaque, ou en arrière
des piliers du diaphragme jusqu'à la région lombaire.
Symptômes. — Lorsque la pleurésie purulente complique la pyo-
hémie ou la fièvre puerpérale, son début, latent et insidieux, n'est
marqué par aucun trouble fonctionnel qui éveille l'attention : il n'y a
ni douleur de côté, ni oppression, et on ne reconnaît la maladie que
si l'on songe à pratiquer l'exploration physique de la poitrine.
212 PLEURÉSIE. — p. purulente. — symptômes.
La pleurésie purulente qui succède à une pleurésie franche se con-
lond à l'origine avec celle-ci, et la purulence s'établit sans changements
notables dans les symptômes: on observe donc un frisson initial violent,
ou de petits frissons répétés, une fièvre vive, un point de côté, delà toux,
de la dyspnée; aucun de ces troubles fonclionncls ne présente rien de
spécial ni de caractéristique, rien qui puisse servir à baser une présomp-
tion. Jusque-là, il y a identité complète avec la pleurésie franche, mais,
tandis que dans celle-ci la défervcscence a lieu au bout de quelques temps,
ici la fièvre persiste, et l'exsudat augmente d'une manière continue,
quel que soit le traitement. Il existe des sueurs profuses pendant la nuit,
les frissons se reproduisent irrégulièrement, la température reste élevée,
et d'après Ziemssen, quand elle atteint de 59°, 5 à 40°, 2, elle aurait une
certaine valeur pour dénoter la suppuration. La peau est chaude et sèche,
l'appétit est perdu, la face e.4 pâle et décolorée, plus tard elle prend
une teinte terreuse spéciale, presque caractéristique des étals où se forme
le pus. Bientôt les fonctions de nutrition s'altèrent, l'amaigrissement
s'accuse, il y a des diarrhées -fétides, il survient de l'œdème des extrémités,
et les malades, plus ou moins cachectiques, marchent vers la terminaison
fatale.
Ce sont là les signes généraux de la pleurésie purulente à marche
aiguë. Ils sont un peu différents dans la forme chronique : celle-ci peut
débuter comme la pleurésie ai^uë, puis la fièvre tombe sans cesser com-
plètement, elle reparait après les repas, ou vers le soir. L'épanchement
s'accroît très-lentement et peut demeurer longtemps stationnaire. L'ap-
pétit reste intact, les fonctions de nutrition sont moins promptement
atteintes que dans la forme aiguë. Cette situation se prolonge pendant
des mois puis, l'état général s'aggrave, l'appétit se perd, la pâleur
devient extrême, les forces s'anéantissent, il survient les mêmes signes
de cachexie que dans la forme aiguë, et quelquefois un œdème considé-
rable sans albuminurie.
Que la pleurésie purulente soit aiguë ou chronique, les signes physi-
ques sont les mêmes que dans la pleurésie commune : ce sont les signes
de tous les épanchements liquides de la plèvre. Plusieurs d'entre eux
présentent toutefois certaines particularités qui les distinguent ; il existe
en outre quelques symptômes propres à la pleurésie purulente.
Comme dans la pleurésie commune, il y a de la voussure de la paroi
costale, mais les dilatations partielles sont ici beaucoup plus communes;
on voit souvent la poitrine présenter à sa base une saillie due au refou-
lement des côtes et au niveau de laquelle la main promenée sur la paroi
thoracique rencontre un brusque ressaut ; au-dessus, la paroi costale
décrit un angle rentrant plus ou moins marqué. Celte saillie de la base
de la poitrine est caractéristique d'un épanchemenl emprisonné par des
adhérences et qui, ne pouvant s'étendre en hauteur, refoule la paroi cos-
tale en dehors, le diaphragme en bas, et se creuse une loge dans le pou-
mon qu'il comprime. Ces collections, lorsqu'on les évacue par la thora-
ceulèse, donnent issue à une quantité de pus tout à fait imprévue, en
PLEURÉSIE. PUHULIO.NTG. SYMTÔMES. 213
raison de l'étendue restreinte de la malilé. Les dilatations limitées à la
base du thorax peuvent faire croire à des tumeurs du foie refoulant en
haut le diaphragme, et rejetant les cotes en dehors, ainsi que cela arrive
pour les kystes hydatiques volumineux siégeant à la face convexe du foie.
Les espaces intercostaux sont effacés et refoulés par le pus, ce que Stokcs
attribue à la paralysie des muscles qui les remplissent.
Un signe de grande valeur, mais qui manque souvent, c'est l'œdème
de la paroi thoracique du côté malade : 'on le trouve, soit au-dessous du
creux de l'aisselle, soit plus en arrière, sur le prolongement de la ligne
axillaire postérieure. Ce signe est presque caractéristique de la présence
du pus dans la poitrine, mais on ne l'observe que tardivement, et alors
que le pus de l'épanchement commence à faire saillie derrière les cou-
ches musculaires. Sa signification du reste n'est pas absolue, on l'a
rencontré quelquefois dans la pleurésie séreuse, et chez des sujets cachec-
tiques, du côté où avait lieu le décubitus. A une période avancée de la
maladie, on verra souvent saillir sous la peau une tumeur fluctuante,
laquelle constituerait également un bon indice, si elle ne survenait à
une époque où le diagnostic est déjà moins douteux.
La mensuration et la percussion ne donnent aucun caractère spécial de
quelque importance. L'épanchement purulent étant plus fréquemment en-
kysté que l'exsudat séreux, la ligne de niveau se déplace plus rarement
encore que dans la pleurésie commune par les changements d'attitude du
malade.
A l'auscultation, on trouve des modifications du bruit respiratoire qui
est diminué ou aboli, ou bien des bruits anormaux, comme le souffle tu-
baire. Les bruits cavitaires, déjà signalés dans la pleurésie commune,
sont plus fréquents lorsque le liquide est purulent : ce sont le/souffle
amphorique et le gargouillement. Ces bruits pseudo-cavitaires paraissent
dus à un tassement, à un refoulement du poumon sur les gros tuyaux aé-
riens ; ils sont surtout le fait des épanchements chroniques, et ne sont
ainsi liés à la pleurésie purulente qu'indirectement, et parce que la suppu-
ration est plus commune dans les cas chroniques.
Le retentissement de la voix peut être le même que dans l'épanchement
séreux, toutefois l'égophonie est plus rare et se montre seulementavec les
épanchements séro-purulcnts; quand le liquide est purulent et épais, la voix
ne retentit plus, ou, si on la perçoit encore, elle paraît sourde et éloignée.
Le signe de Baccelli, la non-transmission à l'oreille de la voix chu-
chotéc, aurait ici une signification importante, si sa valeur était confir-
mée et si, transmises à l'oreille d'abord, les vibrations diminuaient gra-
duellement pour disparaître enfin; on pourrait, en quelque façon, suivre
ainsi la transformation purulente de l'exsudat; mais l'opinion n'est pas
faite encore sur la portée de ce signe.
Les pleurésies enkystées, interlobaires et médiastines, qui sont plus
communes encore sous la forme purulente que sous la forme aiguë fran-
che, ne donnent lieu à aucun signe physique et ne se révèlent que par
quelques troubles fonctionnels : fièvre, frisson, dyspnée.
214
PLEURÉSIE. P. PURULENTE. SYMTÔMES.
Malgré l'existence des symptômes généraux et des quelques signes spé-
ciaux que nous venons d'indiquer, le diagnostic reste incertain jusqu'à la
thoraceritèse exploratrice ou l'ouverture spontanée.
Que la pleurésie purulente soit aiguë ou chronique, le pus tend à se
l'aire jour au dehors, et il s'ouvre une voie tantôt par les poumons et les
bronches, tantôt à travers la paroi thoracique. Dans le premier cas, qui
est le plus fréquent, il se produit une fistule pleuro-bronehique, dont
l'apparition précoce ou tardive a lieu, d'après les observations de AYoillez,
entre les deux limites extrêmes de 28 et 80 jours. D'après Trousseau, chez
les entants, la vomique peut se faire au bout d'un temps assez court,
du 15° au 20e jour; chez l'adulte, les vomiques précoces n'ont guère lieu
que dans la lièvre puerpérale, qui donne lieu si promptement à la forma-
tion du pus.
Rien n'annonce habituellement l'apparition d'une vomique ; le malade,
au milieu d'un accès de toux, rend brusquement par la bouche un liquide
purulent en quantité variable, et qui peut aller jusqu'à plusieurs litres.
Le contact du liquide avec l' arrière-gorge, provoque des efforts de vomis-
sement qui ont valu à l'accident ce nom de vomique.
L'abondance du liquide ainsi rejeté est subordonnée aux dimensions de
la fistule, elle peut être telle qu'elle amène un accès de suffocation ; le
malade peut tomber en syncope, la peau se couvre d'une sueur froide,
les traits sont altérés et l'asphyxie subite amène une mort rapide. C'est là
un cas exceptionnel, d'ordinaire les bronches se débarrassent du liquide
qui les encombre, et la suffocation disparaît. L'expectoration purulente
se poursuit tantôt sans interruption, plus souvent par intervalles. De loin
en loin, un effort de toux, un changement d'attitude ramène le crache-
ment de pus, qui peut même n'avoir lieu qu'à plusieurs jours de dis-
tance.
A partir du moment où le pus a commencé à être rejeté au dehors, les
symptômes observés varient suivant qu'il s'agit d'une pleurésie enkystée
(tnédiasline, interlohaire, diaphragmatique) ou d'un épanchement de la
grande cavité pleurale, et selon que l'air pénètre ou non dans le foyer en
partie vidé. Lorsque la disposition de la fistule est telle, qu'elle permet
l'issue du liquide sans laisser pénétrer l'air dans la cavité pleurale, ou
lorsque le liquide est enkysté entre les lobes pulmonaires, le foyer se vide
peu à peu, il revient sur lui-même, la voussure diminue ou disparait. La
matité est moins étendue cl moins complète, la respiration reparaît dans
des points où elle n'était pluo perçue-, et l'on peut entendre à l'ausculta-
tion de gros râles voisins du gargouillement, dus au conflit de l'air avec
le liquide purulent qui s'écoule par les bronches. Le crachement de pus
continue, celui-ci est inodore, ou, s'il a une odeur prononcée, elle est due
à son altération au contact de l'air dans les bronches.
Lorsqu'elle accompagne une pleurésie interlobaire, souvent la vomique
vient donner la clef de troubles jusque-là vagues et obscurs : douleur
profonde, dyspnée, symptômes généraux de pleurésie, dont aucun signe
physique ne révélait le siège.
PLEURÉSIE. — P. BDRULEMTB. SYMPTÔMES. 215
Quand la lîstule pleuro-bronchique permet l'accès de L'air dans la ca-
vité morbide, la voussure ne diminue pas, l'air venant remplacer le
liquide évacué ; quelquefois même elle augmente par une disposition
particulière des fausses membranes qui font clapet et laissent entrer
l'air à ebaque inspiration sans le laisser sortir ; la dyspnée peut devenir
alors extrême. Le pus, d'abord inodore, se putréfie au voisinage de l'air;
il prend quelquefois une odeur insupportable, alliacée ou d'une horrible
fétidité.
L'entrée de l'air dans la plèvre donne lieu à de nouveaux signes de
percussion et d'auscultation qui sont ceux de l'hydropneumothorax. Ce
sont la résonnance exagérée et tympanique de la poitrine du côté malade,
faisant place à la malilé absolue au niveau de l'épancbement, l'abaisse-
ment du foie et l'immobilité du diaphragme du même côté ; le souffle
amphorique, le tintement métallique qui est patbognomonique de la
fistule pleurale, le bruit de succussion bippocratique, le bruit d'airain
perçu par l'oreille appliquée sur le thorax, pendant que, dans un point
opposé, on percute l'un contre l'autre deux corps durs ou métalliques dont
l'un est appliqué sur la paroi costale. N'insistons pas sur ces signes, ils
sont de notion vulgaire et n'appartiennent pas en propre à la pleurésie
purulente |Voy. plèvue (hydropneumolliorax), bornons-nous à rappeler
qu'ils ne sont pas constants; le tintement métallique fait très souvent
défaut et l'on ne trouve parfois que le bruit de Ilot bippocratique.
L'évacuation du pus par la paroi costale peut se faire à une époque plus
ou moins éloignée du début; une douleur se montre d'abord dans un
point limité de la poitrine, quelquefois dans plusieurs points situés au
niveau d'un espace intercostal; on trouve là une saillie rénitente, peu
sensible au toucher, cette saillie augmente bientôt, elle peut être ar-
rondie, allongée dans le sens d'un espace intercostal, ou occuper deux
espaces voisins en franchissant la côte intermédiaire; la tumeur est
indolente, molle, (Incluante, elle est réductible par la pression, et
augmente au contraire dans les efforts de toux ou d'expiration. Elle
persiste sans modifications pendant un temps variable, puis la peau s'a-
mincit, devient violacée, elle cède spontanément ou dans un effort de
toux, et l'orifice livre passage à une quantité de pus considérable et hors
■de proportion avec le volume apparent du foyer. L'orifice persiste et
reste fistuleux; il peut, suivant sa disposition, ses dimensions et son
obliquité, permettre l'entrée de l'air ou l'empêcher. S'il n'existe pas une
fistule pleuro-bronchique en même temps que l'orifice thoracique, le pus
reste inodore ; il devient au contraire fétide, s'il est en contact avec l'air.
L expulsion du pus par la fistule est suivie de modifications des signes
physiques analogues à celles que détermine la fistule pleuro-bronchique.
Si 1 air a pénétré dans la plèvre, il y a du tympanisme et du bruit de Ilot.
Le niveau de la matitc a baissé, mais l'épanchement se vide ici moins com-
plètement que par la fistule bronchique, et l'écoulement plus ou moins
facile du pus est subordonné à la position de la fistule. Quelquefois l'ap-
parition de l'orifice thoracique est annoncée par plusieurs tumeurs sié-
PLEURÉSIE.
r. PURULENTE. TEI1JI !NAISO.\ .
géant dans des espaces intercostaux différents, l'ouverture de l'une d'elles
entraîne l'affaissement des autres, à moins que l'orifice ne soit placé
très-haut et que le foyer ne se vide mal, une deuxième fistule peut alors
s'ouvrir dans un point plus déclive.
La marche de la fistule thoracique est très-variable ; parfois, elle se
ferme pendant quelque temps pour se rouvrir ensuite, mais l'orifice ne
ferme jamais complètement qu'à sa guérison.
Dans certains cas, et lorsque la tumeur siège dans le voisinage du
cœur, elle est le siège de hattements isochrones à la systole ; on donne à
ces cas le nom à'empyème pulsalile.
L'existence d'une fistule thoracique n'empêche pas la formation d'une
fistule pleuro-bronchique, et réciproquement , le pus peut se faire jour
au dehors, bien qu'il ait commencé à s'évacuer par les bronches. Quant
à l'ouverture dans le médiastin, ou parle diaphragme, elle est tout à fait
rare.
Terminaison. — La pleurésie purulente peut aboutir à la gué-
rison ou à la mort. Elle peut se terminer par la guérison spontanée
et sans évacuation du pus au dehors ; ces cas sont rares, mais les faits
dans lesquels, après la mort due à une autre cause, on a trouvé des kystes
purulents en voie de cicatrisation, ne laissent aucun doute. Moutard-
Martin a rapporté une observation de guérison spontanée d'une pleurésie
purulente dont le diagnolic avait été contrôlé par une ponction explo-
ratrice ; c'est là un fait exceptionnel. La guérison est plus commune dans
les cas où l'épanchement s'est frayé une voie vers l'extérieur. La solution
favorable a surtout été observée dans les cas de vomique, et principale-
ment dans les pleurésies interlobaires, où les parois revenant aisément sur
elles-mêmes ne permettent pas l'entrée de l'air et la putréfaction du pus.
La guérison est possible également quand le pus occupe la grande plèvre,
mais si la fistule ne permet pas l'accès de l'air. Après la vomique, le
foyer diminue d'étendue, l'expectoration devient moins abondante, le
kyste revient sur lui-même, les symptômes généraux s'amendent, la fièvre
tombe, l'appétit renaît, et peu à peu le malade recouvre la santé ; mais
ce résultat est très tardif, et peut se faire attendre un an et davantage.
Les cas de fistules thoraciques sont généralement moins heureux, soit
que l'orifice admette l'air et qu'il se développe des accidents de putridité,
soit que l'ouverture mal située ne permette qu'une évacuation incom-
plète.
La mort est une terminaison fréquente de la pleurésie purulente; elle
paraît inévitable lorsque, l'épanchement n'ayant pas de tendance à se
porter au dehors, le médecin n'intervient pas pour lui ouvrir une voie.
La terminaison fatale est précoce ou tardive suivant les cas ; dans la
pleurésie snppurée aiguë des fièvres graves, scarlatine, fièvre typhoïde,
fièvre puerpérale, la mort peut arriver au bout d'un mois. Dans la forme
chronique, au bout de peu de temps la fièvre cesse, l'appétit revient, les
malades sont pâles et faibles, mais ne sont pas réduits à garderie lit ; ils
n'ont souvent qu'un léger accès fébrile vers le soir ou à la suite des repas,
PLEURÉSIE. — P. PURULENTE. DIAGNOSTIC.
217
et la maladie peut se prolonger ainsi pendant des mois, une année et
même deux.
Que la maladie soit aiguë ou chronique, au bout d'un temps variable
les accidents de fièvre hectique surviennent; il se produit des frissons irré-
guliers, des sueurs nocturnes, le malade pâlit de plus en plus, il a du
dégoût pour les aliments, des diarrhées fétides, de l'œdème des extré-
mités inférieures, et il finit par succomber dans le dernier degré du ma-
: rasme.
A la suite des fistules pulmonaires ou thoraciques, la mort survient
■ encore, si le pus, en rapport avec l'air, subit l'altération putride. Le ma-
lade épuisé par la suppuration, empoisonné par la résorption des pro-
i duits sepliques que contient sa plèvre, succombe à la fièvre hectique.
Diagnostic. — La pleurésie purulente n'a pas de signe pathogno-
imonique, aucun de ses symptômes ne lui est absolument propre, et sa
I physionomie est variable comme ses causes: aussi le diagnostic en est-il
I parfois très-difficile, et de nature à embarrasser les plus expérimentés.
Tantôt les caractères de l'épanchement purulent sont manifestes, tantôt
ion ne peut affirmer que l'existence du liquide, sans rien présumer de
.•sa nature; d'autres fois enfin, l'existence même de la pleurésie est
i méconnue, le début a été insidieux, et toute la plèvre est prise sans
i qu'aucun indice soit venu donner l'éveil.
C'est vers le début de la forme aiguë que l'embarras sera le plus grand :
idans ces conditions, en effet, rien ne distingue la maladie de la pleuré-
:sie simple. Ce n'est qu'en observant la marche des symptômes, en
i notant que la résorption tarde au delà des limites habituelles , que l'on
i commencera à soupçonner la suppuration. Plus tard, il est vrai, la face
| pâlira et prendra la teinte terreuse spéciale; on verra paraître cet œdème
ide la paroi costale qui permet d'affirmer, avec une presque certitude, la
I purulence; mais ces signes, dont la valeur est grande, sont malheureu-
sement inconstants et tardifs.
A delaul des caractères significatifs de la suppuration, il f.mdra obser-
'ver avec soin l'état général, et tenir grand compte des modifications qui
i décèleront un empoisonnement de l'organisme. Parfois on notera une
i discordance singulière entre l'état plus ou moins grave de l'économie et
i ie peu d importance de l'épanchement ; souvent il surviendra des fris-
ions répétés, des sueurs, une fièvre continue avec exacerbations vespé-
: raies ou des accès fébriles existant seulement le soir, de l'anorexie , de
la diarrhée, un peu d'œdème des jambes.
L étiologie devra venir en aide au diagnostic, la pleurésie suppurée
i étant presque toujours secondaire, et venant souvent compliquer cer-
l taines aflections bien connues, les circonstances dans lesquelles la ma-
ladie est survenue constitueront les probabilités les plus grandes en
I faveur de la nature du liquide: ainsi, certaines maladies étant données,
I la pleurésie qui vient les compliquer est presque à coup sûr purulente ;
iil en est ainsi pour la fièvre puerpérale, la scarlatine grave, la pyohémic,
I la morve, la fièvre typhoïde.
PLEUBÉSIE. —
I'. I'Ulll'LKNTE. l'IiONOSTIC.
Le terrain sur lequel évolue une pleurésie est également à considé-
rer : il en est tout autrement d'une pleurésie développée chez un sujet
jeune, vigoureux et sain, ou de celle qui frappe un organisme usé par
l'âge, la misère ou les excès. L'existence de certaines dialhèses et sur-
tout de la tuberculose devra être notée, bien que la pleurésie, dans ce
cas, ne soit pas nécessairement purulente.
La marebe de la pleurésie a son importance pour diagnostiquer la
nature du liquide, et, si l'on en excepte les épanebements de la pyoliémie
et de la fièvre puerpérale, la pleurésie purulente a presque toujours une
allure chronique. D'après Verliac, toute collection chronique devient
purulente chez l'enfant.
La pleurésie purulente peut être confondue avec les maladies à marche
chronique, et notamment avec celles qui , à la longue , amènent de la
(lèvre hectique et du dépérissement. La tuberculisation étendue d'un pou-
mon, outre ces symptômes généraux, offre des signes locaux qui rendent
la méprise plus facile. Entre les troubles généraux de la tuberculose
fièvre hectique, diarrhée, cachexie, et ceux de la pleurésie suppurée, il
n'y a que des nuances insuffisantes à motiver un choix raisonné; on
trouvera plus de ressources clans l'examen physique : une matité très-
étendue d'un côté, avec intégrité absolue ou presque complète du pou-
mon opposé, exclura presque l'idée d'une tuberculose avec laquelle les
vibrations vocales seraient en outre normales ou exagérées, tandis qu'elles
sont faibles ou nulles dans la pleurésie.
La méprise est plus facile à éviter dans le cas de tumeurs du poumon,
de la plèvre ou du médiastin. Les symptômes communs sont la voussure
du thorax, la matité, le silence respiratoire, la broncho-égophonie, mais
les vibrations vocales sont exagérées par le fait d'une tumeur, et celle-ci,
gênant la circulation centrale, amène le développement du réseau veineux
sous -cutané; il y a quelquefois un œdème thoracique distinct par son
étendue de l'infiltration circonscrite de la pleurésie suppurée. Enfin,
quand le poumon ou le médiastin sont envahis par le cancer, on trouve
des masses ganglionnaires dans l'aisselle, ou dans le creux sus-clavicu-
laire.
Les hypertrophies du foie, et surtout les kystes de sa face convexe,
amènent des déformations, de la voussure et de la matité de la base du
thorax; il y a, dans ce point, absence du bruit vésiculaire et des vibra-
tions vocales; mais la limite supérieure de la malité est convexe en haut
dans les tumeurs du foie, concave dans le même sens ou sinueuse dans
les collections pleurales, où elle remonte souvent très-haut, en même
temps que l'on trouve du souffle et de la matité,- dans les tumeurs du
foie, le bord cartilagineux des côtes est souvent comme, rebroussé en
dehors, circonstance qui fait défaut dans la pleurésie; enfin L'élude des
commémora'ifs, l'existence dans le passé d'un ictère, de coliques hépa-
tiques, le mode de début, la marche de la maladie, achèveront de faire
écarter la pleurésie.
Prono.stic. — La pleurésie suppurée est d'une façon générale une
PLEURESIE. P. PURULENTE. TH.UTEMENT.
•219
maladie d'une extrême gravité, et, dans la majorité des faits, elle tue
ceux qu'elle frappe; mais en présence des cas particuliers il convient de
tenir compte, pour établir le pronostic, de conditions multiples. La gra-
vité varie avec les causes de la maladie, avec l'étal général des malades,
avec leur âge. On peut espérer une terminaison favorable, lorsque la sup-
puration survient à la suite d'une pleurésie simple, ou par le fait d'un
traumatisme chez un enfant jeune et vigoureux. Quand elle atteint un
organisme débilité par l'âge, par une maladie antérieure, ou par une
diatbèsc, et surtout lorsqu'elle est secondaire et se montre dans le cours
de certaines maladies, la fièvre puerpérale, la pyoliémie, certaines scar-
latines, la pleurésie purulente est à peu près constamment mortelle.
Traitement. — Dans la pleurésie séro-fibrineuse, dès que la phlegma-
sie est éteinte, il est commun de voir la séreuse cesser de produire du
liquide; l'épanchement se résorbe alors spontanément ou avec l'aide du
traitement médical; s'il tarde à disparaître, une simple ponction le sup-
prime, et le plus souvent sans retour. Il n'en est pas ainsi de la pleuré-
sie suppurée : ici le kyste pseudo-pleural qui s'est substitué à la plèvre
est prêt à verser incessamment sa sécrétion pathologique, et n'a que peu
de tendance à la résorber. Moutard-Martin a cependant rapporté un cas
de pleurésie purulente guérie spontanément sans fistule et sans thoracen-
tèse; mais c'est là une rareté, et la guérison ne peut guère être obtenue
sans que le pus ait été évacué au dehors, soit spontanément par la forma-
tion d'une fistule, soit artificiellement par l'un des procédés que nous
allons indiquer. Le traitement est donc avant tout chiruvcjical, il com-
prend l'emploi des moyens suivants : tlioracentèse simple ou accompagnée
de lavages et d'injections modificatrices; évacuation continue avec lavages
quotidiens et répétés, par l'emploi des canules à demeure, du drainage et
du siphon de Potain ; opération de l'empyème.
Dans le cas où le malade atteint de pleurésie purulente est tubercu-
leux, il faut s'abstenir de toute opération. La guérison, déjà douteuse dans
les cas simples, devient tout à fait improbable quand la pleurésie suppu-
rée complique la tuberculose. Néanmoins Roger conseille, chez les
enfants, une conduite opposée, en faisant observer que le diagnostic posi-
tif de la tuberculose est souvent, chez l'enfant, tout à fait impossible, et
que, dans le doute, il ne faut pas laisser échapper une chance de guéri-
son, si faible qu'elle soit.
L'ouverture spontanée de l'abcès pleural par la paroi thoracique ou
par les bronches s'accompagne, le plus ordinairement, de la pénétration
par la fistule externe ou interne de l'air, dont le contact détermine l'alté-
ration putride de l'épanchement ; il y aura avantage à prévenir la sortie
du pus, cette issue au dehors étant d'ailleurs plus ou moins tardive, et à
faire la ponction aussitôt que l'on soupçonnera la suppuration. La tliora-
centèse sera pratiquée avec le trocart ordinaire ou mieux à l'aide d'un
aspirateur, dans le point le plus déclive de la poitrine, de façon à éviter
la stagnation du pus.
La ponction a quelquefois amené la guérison par simple évacuation du
220
PLEURÉSIE. —
P. PURULENTE. — TRAITEMENT.
liquide, et des exemples de cure radicale, même à la suite d'une seule
thoracenthèse, ont été rapportés par Moutard-Martin , Hérard, Bourdon,
Noèl Guéneau de Mussy et d'autres. C'est surtout dans les cas aigus et
récents que l'on arrive, par des ponctions successives, à tarir la sécrétion.
A mesure que le kyste revient sur lui-même, le trocart aspirateur ne ren-
contre plus que des quantités de liquide de plus en plus faibles. Boucliut
et G. Dieulafoy ont relaté des exemples où l'épuisement graduel de l'é-
panchement aboutissait ainsi à la guérison. Ces succès ont été surtout
observés chez des enfants.
Souvent, à la suite de plusieurs thoracentèses, il s'établit un trajet fis-
tuleux par l'un des trous d'entrée du trocart, le pus s'écoule alors peu à
peu et l'on a vu cette évacuation graduelle du pus amener la guérison ;
cet accident ne se produit que dans les ponctions pratiquées avec le tro-
cart ordinaire, on ne l'observe pas quand on emploie l'aspirateur.
Mais, comme le fait remarquer Peter, la guérison ne peut pas toujours
être atteinte par la simple soustraction du liquide, il faut s'opposer à sa
reproduction et modifier les parois du kyste suppurant, en attendant que
l'on détermine sa cicatrisation par l'accolement des plèvres viscérale et
pariétale. Dans les cas chroniques, cette dernière condition est bien diffi-
cile à obtenir : le poumon emprisonné par les fausses membranes qui le
brident ne peut, si elles sont épaisses et anciennes, se dilater pour s'ap-
pliquer à la paroi costale, et celle-ci n'est pas toujours assez dépressible
pour aller à la rencontre du poumon ; elle ne cède guère d'une façon
efficace que chez les jeunes sujets.
La thoracentèse simple est donc bien souvent insuffisante ; pour abou-
tir à un résultat, elle doit être réitérée pendant un temps quelquefois
très-long, et celte sécrétion, qui se répète aussitôt la plèvre vidée et s'ac-
compagne de fièvre, épuise le malade. Il importe donc de laver le kyste
suppurant et d'en modifier la surface par des injections d'eau alcoolisée,
phéniquée, ou d'une solution de teinture d'iode iodurée. Il n'est pas rare
alors de voir la pleurésie guérir après un petit nombre d'injections
iodées. Mais souvent l'air a pénétré dans le kyste par une fistule pleuro-
bronchique, le pus s'altère, et il devient nécessaire de répéter la thora-
centèse à des intervalles très-rapprochés pour éviter la stagnation du
liquide putride ; on doit revenir aux lavages plusieurs fois par jour, et,
l'effet de la thoracentèse devenant insuffisant , il faut établir un des
appareils qui permettent l'écoulement continu. Mais, l'emploi de ces pro-
cédés obligeant à un traumatisme qui est loin d'être inoffensif comme
celui de l'aspiration, il est évident qu'on n'y doit recourir que lorsque
l'état du malade est assez grave pour motiver les risques que l'on va lui
faire courir.
Canules à demeure. — Elles consistent en tubes de métal ou de
caoutchouc. Woillez a fait construire un trocart courbé sur le plat, qu'il
introduit entre deux côtes et dont la canule plonge par son extrémité à
la partie inférieure de la plèvre ; une baudruche empêche la pénétration
de l'air et sert à faire des lavages. G. Dieulafoy a imaginé un trocart de
PLEURÉSIE. — p. l'unuLEiNTE. — tiuitement. '221
! très-petit diamètre, dont la canule, une fois en place, est presque paral-
I lèle à la paroi interne de la poitrine, et ne peut léser le poumon. Cette
i canule porte à son extrémité externe un petit disque de métal ou bou-
• clier, que l'on fixe à l'aide de rubans de fil passés dans les fentes qu'il
I porte, et collés à plat sur la peau au moyen du collodion. Aussitôt le
itrocart retiré, on visse sur la canule un ajutage à robinet qui s'adapte
à l'aspirateur, on extrait alors le liquide et l'on pratique des lavages et
■ des injections médicamenteuses; puis, l'ajutage étant enlevé, on ferme
I le tube avec un bouchon à vis ou obturateur. On peut ainsi répéter l'aspi-
i ration et les lavages aussi souvent qu'il est nécessaire
Moutard-Martin donne la préférence aux canules en caoutchouc, aux-
i quelles il trouve l'avantage de ne pas blesser le poumon, d'être bien tolé-
i rées par les tissus qu'elles traversent, sans causer aux malades de dou-
I leurs dans les mouvements. Pour les appliquer, on emploie un trocart
i de moyen calibre, dans la canule duquel le tube que l'on a choisi doit
passer facilement. Avant d'introduire le trocart, on glisse à la base de la
canule un petit disque de caoutchouc percé à l'emporte-pièce d'un ori-
i fice central. Le trocart étant retiré, on glisse le tube de caoutchouc dans
la canule, puis on enlève celle-ci, en maintenant le tube dans la plèvre et la
| plaque de caoutchouc contre la paroi thoracique. Le tube étant alors retenu
i en place par le disque de caoutchouc qui le serre légèrement, celui-ci est
fixé à la peau par une petite lame de baudruche fixée avec le collodion.
Les canules métalliques et celles de caoutchouc finissent souvent par
laisser pénétrer l'air, soit par la canule elle-même, soit sur ses côtés par
élargissement de l'orifice d'entrée. Aran a signalé un accident difficile à
(expliquer et paraissant déterminé par l'emploi des canules métalliques,
i c'est le développement de péritonites surtout lorsque la canule est à
| gauche.
Drainage. — C'est l'application aux abcès de la plèvre de la précieuse
méthode vulgarisée par Chassaignac. A l'aide d'un long trocart courbe, on
pénètre à la partie la plus déclive du thorax dans un espace intercostal,
i et l'on fait ressortir la pointe de l'instrument à une certaine distance, soit
i dans le même espace, soit entre deux côtes voisines. Puis, le poinçon étant
retiré et la canule laissée en place, on y introduit un drain, c'est-à-dire
i ce tube de caoutchouc, si employé en chirurgie , qui est fenêtre dans
l toute sa longueur ; le drain étant ressorti par l'extrémité de la canule, on
i retire celle-ci, en maintenant en place le tube en caoutchouc , dont on
i réunit les deux chefs par un fil. Le pus s'écoule alors peu à peu et cesse
de s'accumuler dans la poitrine. Le tube à drainage permet d'effectuer
des lavages, mais non sans difficultés, le liquide sortant souvent par les
côtes du tube extérieur au thorax ; il a en outre l'inconvénient de laisser
I pénétrer l'air dans la plèvre, et, s'il permet l'évacuation constante et
I facile du foyer, il finit souvent par être obstrué, en raison du petit diamè-
I tre de ses orifices, par les particules solides qui flottent dans l'épanclie-
iiment. Le manuel opératoire n'est d'ailleurs pas toujours des plus aises,
-et il est quelquefois difficile de faire ressortir la pointe du trocart.
222
PLEMÉSIE.
P. PURULENTE. TRAITEMENT .
Siphon de Potain. — Cet appareil, des plus ingénieux, a réalisé un
grànd progrès dans le traitement de la pleurésie purulente. Pour le
construire et l'appliquer, il faut introduire dans la partie déclive de
la plèvre un tube en caoutchouc de trente centimètres, dont les deux
tiers environ doivent pénétrer dans la poitrine, Le mode d'introduction
est le même que pour les canules à demeure en caoutchouc, et comme
pour celles-ci l'extrémité du tube est engagée et légèrement serrée dans
l'orifice central, un peu étroit pour elle, d'une petite plaque de caout-
chouc fixée à la peau à l'aide de la baudruche et du collodion. Une fois
cette canule introduite, le pus s'échappe et empêche l'air de pénétrer
dans la poitrine. On emploie alors un tube de caoutchouc bifurqué en Y,
et dont la branche impaire se termine par un petit cylindre de verre un
peu effilé et destiné à être introduit à frottement dans l'extrémité libre
de la canule thoracique. Chacune des deux branches paires se relie pareil-
lement, par l'intermédiaire d'un petit tube de verre, à des tuyaux de
caouLchouc longs d'un mètre environ. L'un de ces tubes plonge dans un
vase rempli du liquide destiné aux lavages et placé à une certaine hau-
teur au-dessus du lit ; l'autre descend dans un vase destiné à recevoir les
liquides qui sortent de la poitrine. Tout le système du tube en Y et de
ses deux longs ajutages ayant été préalablement rempli d'eau et fermé
à ses trois extrémités à l'aide de serres-fines, on introduit dans la canule
thoracique le tube de verre qui termine la branche impaire. Puis, la
pince qui ferme celle-ci étant enlevée, l'appareil est prêt à fonctionner.
Il suffit d'ouvrir le tube inférieur, en étant la serre fine, pour que le pus,
sollicité par le poids de la colonne d'eau, s'écoule rapidement. Quand
l'écoulement a cessé, on ferme le tube inférieur, on ouvre le supérieur,
et le liquide destiné aux lavages se précipite dans la plèvre avec une
vitesse qui varie suivant qu'on élève plus ou moins le réservoir supé-
rieur. Pour les lavages, on emploie de l'eau tiède, purgée d'air par l'ébul-
lition. Lorsque la plèvre est remplie de liquide, on ferme le tube supé-
rieur et l'on ouvre le tube d'écoulement ; après avoir répété plusieurs
fois cette manœuvre, et lorsque l'eau qui a lavé la plèvre en sort trans-
parente et limpide, on remplace, dans le réservoir supérieur, l'eau par
un liquide modificateur ou antiputride: eau alcoolisée, eau phéniquée ou
teinture d'iode très-diluée; celle-ci a malheureusement l'inconvénient d'al-
térer très-vite les appareils de caoutchouc, ce qui peut amener la rupture
et le morcellement du tube à demeure dans le thorax.
Quel que soit l'appareil employé, il arrive un moment où il devient
inutile : lorsque la cavité purulente est cicatrisée, lorsque les parois de
la poche se sont accolées, il convient d'enlever l'instrument qui a servi
aux lavages et a donné issue au pus. On reconnaîtra que la guérison est
complète lorsque l'orifice de la canule ou du drain ne laissera plus sortir
que quelques gouttes de pus, ou lorsque l'eau des lavages ne pénétrera
plus qu'en minime quantité dans la poitrine et ressortira claire et sans
être troublée par le pus. Si l'appareil est retiré trop tùl, alors qu'il existe
encore une cavité, il peut se faire que l'orifice cutané se ferme provisoi-
PLEURÉSIE. P. PURULENTE. TRAITEMENT. 223
i rumen! el que, le pus s'accumulant peu à peu clans la petite poche qui
I persiste, de nouveaux accidents se reproduisent. Quelles que soient les
i précautions prises, il reste souvent une petite fistule qui donne à
j peine quelques gouttes de pus, mais dont on ne peut débarrasser les
i malades.
Moutard-Martin établissant, avec l'incontestable autorité qu'on lui con-
naît sur ces matières, la valeur comparative des différents modes de trai-
; tement que nous venons d'indiquer, donne la préférence au siphon de
iPotain, qui vide, la plèvre à fond, et permet de la laver aussi complète-
ment que possible, tout en s'opposant à l'entrée de l'air. Il place ensuite
,à peu près au même rang le drain de Chassaignac, qui évacue complète-
ment la plèvre, mais ouvre à l'air un libre accès et rend les lavages diffi-
i ciles, et les canules métalliques ou élastiques, qui facilitent les injections,
mais ne vident pas toujours très-bien la plèvre et finissent par laisser
pénétrer l'air.
Nous avons vu, à propos de l'anatomie pathologique , qu'il est des
variétés de pleurésie purulente qui sont rebelles à tous les traitements :
ce sont les pleurésies suppurées multiloculaires, dans lesquelles la tho-
racentèse ouvre une ou plusieurs loges, sans que la communication soit
facile entre les divers compartiments, de sorte que les lavages n'ont qu'un
i effet incomplet et ne sauraient empêcher l'altération putride du pus dans
les cavités soustraites à son action.
L'emploi de la thoracentèse et des appareils à écoulement continu
est d'ordinaire suivi d'une amélioration persistante ou passagère : l'état
général s'amende rapidement, les sueurs nocturnes disparaissent, l'appé-
tit renaît, la diarrhée cesse, la fièvre tombe, le pus, s'il etiit fétide, sort
inodore, il diminue d'abondance et devient plus fluide. Si la modifica-
tion favorable se maintient, la guérison survient, et après un délai quel-
quefois très-long la suppuration se tarit, le kyste pleural est revenu sur
lui-même et la plaie extérieure se ferme ou laisse une fistule qui fournit
à peine quelques gouttes de pus.
Mais, trop souvent, cette amélioration est éphémère, et tous les traite-
ments que nous avons passés en revue sont rendus inutiles par la com-
position du liquide qui, nous le savons, n'est pas homogène et constitué
exclusivement par du pus, mais tient en suspension des flocons fibrineux.
des lambeaux de pseudo-membranes, des hydatides, parfois même des
paquets gangréneux dus au sphacèle des couches superficielles du pou-
mon. Ces débris infiltrés de pus pouvant, nous l'avons vu, se putréfier
et amener des accidents d'infection putride, il importe de leur ouvrir une
issue qu'ils ne peuvent se frayer à travers des tubes plus ou moins étroits.
Lors donc que, malgré l'emploi des canules à demeure, du drainage, du
siphon de Polain. on verra se reproduire des symptômes fâcheux de putri-
dité. lorsque le pus, redevenu fétide, sortira chargé de grumeaux, de
détritus plus ou moins volumineux, ou bien lorsque, par un inconvénient
commun à ces divers appareils, ils seront obstrués par les produits plas-
tiques qui nagent dans le pus, el, refusant tout service, exposeront le
I
224
PLEURÉSIE. P. POHULEM l . 1 HAITKME.NT.
malade aux graves accidenls de la résorption putride, il faudra songer
alors à pratiquer l'cmpyème.
Empyèine. — L'opération de l'empyèmc consiste à faire entre deux
côtes, à la partie inférieure de la poitrine, une large ouverture qui per-
mette au contenu de la plèvre de s'échapper facilement, et aux injec-
tions modificatrices ou antiputrides d'être aisément faites et répétées
à volonté. Moutard-Martin, qui a tiré de ce mode de traitement des résul-
tats remarquables, conseille de pratiquer l'opération comme il suit : on
choisit l'espace intercostal sur lequel portera l'incision, c'est générale-
ment le huitième, mais il n'y a là rien d'absolu, et on ne peut être fixé que
par l'examen du malade, d'après la forme de la poitrine et la direction
plus ou moins oblique des côtes. On trace à l'encre, suivant le bord supé-
rieur de la côte, une ligne longue d'environ six centimètres et dépassant
en arrière la ligne axillaire postérieure, puis on attire la peau un peu
en haut, et on l'incise à trois ou quatre millimètres au-dessous du trait
marqué. Ce relèvement de la peau a pour but de rendre l'incision cuta-
née un peu déclive par rapport à la plaie des parties profondes, de façon
que les liquides venant de la plèvre n'aient pas de tendance à s'infil-
trer dans le tissu cellulaire sous-cutané. On sectionne ensuite les parties
molles jusqu'à la côte, puis, faisant glisser le bistouri à plat sur son bord
supérieur, on incise les parties profondes jusqu'à la plèvre, après avoir
introduit dans la plaie l'index gauche qui doit guider l'instrument, le
débridement de la plèvre ne devant être opéré qu'après qu'on a bien
reconnu avec le doigt dans quel sens on peut le diriger sans courir de
risques de léser un organe profond. On devra prendre soin de donner
plus d'étendue à la plaie extérieure qu'à l'incision profonde, de telle sorte
que, la section allant en s'évasant du fond à la surface, l'air ne puisse s'in-
filtrer dans les tissus par le fait des mouvements respiratoires. Une fois
la plèvre incisée, le pus s'écoule; on fait alors des lavages à grande eau,
pour enlever ce qui peut rester de pus. La plaie doit être maintenue
béante, à l'aide d'une lame mince de caoutchouc découpée en lanières et
introduite dans la plaie, pendant que l'extrémité libre est collée à la peau
avec de la baudruche. Toute tentative pour s'opposer à l'entrée de l'air
est vaine et va à l'encontre du but que l'on se propose, de laver aisément
la plèvre et de laisser une grande facilité à l'issue du pus.
Pour faire les lavages, Moutard-Martin fait coucher le malade sur le
côté sain, et après avoir mis en place la canule thoracique du siphon de
Potain, appareil auquel il donne à juste titre la préférence, il remplit la
plèvre d'eau légèrement iodée, qu'il évacue ensuite par la branche infé-
rieure du siphon. Ce système a l'avantage de mettre toute la surface
malade en contact avec le liquide modificateur, et de ne pas agir avec,
violence, ce qui romprait les adhérences.
A l'aide de cette opération combinée avec l'emploi du siphon de Potain,
Moutard-Martin a obtenu douze guérisons sur dix-sept cas. Des cinq
malades qui succombèrent, l'un avait des cavernes, un autre était suspect
de tuberculose, un troisième avait une pleurésie à plusieurs loges, dont
PLEURÉSIE. — TRAITEMENT. 225
les lavages ne pouvaient modifier qu'un petit nombre, le pus s'altérant
dans les autres et amenant l'infection putride. Il convient d'ajouter que
la proportion des guérisons n'est pas toujours aussi considérable, et que,
depuis la publication de l'excellent travail du médecin de l'Ilôtel-Dicu,
on a rapporté un certain nombre de cas de mort.
L'opération de l'empyème est souvent préférable à tous les autres pro-
cédés, non-seulement à cause de l'issue continuelle du pus, de la faci-
lité des injections et des lavages, mais surtout parce que seule elle permet
la sortie de tous les produits solides contenus dans la cavité pleurale,
quels qu'en soient le volume et la nature.
La guérison de la pleurésie purulente est souvent très-longue à se pro-
duire à la suite de l'empyème ; après l'opération, il survient d'ordinaire
une amélioration marquée', puis la suppuration reprend de l'odeur, des
signes d'infection putride surviennent ; mais sous l'influence de lavages
plus multipliés, d'une alimentation plus réparatrice, les accidents tom-
bent: peu à peu la cavité pleurale diminue de capacité, ce que l'on recon-
naît à la quantité de liquide de moins en moins grande qu'elle admet
lors des lavages ; puis au bout d'un temps assez long, variant de quel-
ques semaines à plusieurs mois, la cavité se comble complètement, les
injections ne pénètrent plus et, dans l'intervalle des pansements, il
s'écoule seulement quelques gouttes d'un liquide à peine louche. Quel-
quefois la guérison du kyste pleural est semée d'épisodes inquiétants, et
d'alternatives où l'on voit reparaître les symptômes de pulridité. Comme à
la suite des autres opérations, on voit ici des fistules persister après la gué-
rison, et résister à tous les efforts du médecin. Enfin, dans un certain nom-
bre de cas, la suppuration est intarissable, le kyste n'a aucune tendance
â la cicatrisation et les malades meurent épuisés par la fièvre hectique.
Malgré ses avantages, l'empyème impose aux malades une opération
grave à laquelle il ne faudra jamais recourir que lorsque des accidents
sérieux mettront la vie en danger : il sera donc sage de n'en venir à celle
extrémité qu'après avoir essayé des procédés exigeant un traumatisme
moindre : la thoracentèse avec injections, le trocart de Dieulafoy, le
.siphon de Polain (Voy. art. Poitrine, thoracenlèse).
Le. traitement médical n'a, dans la guérison de la pleurésie suppuréc,
■ qu'une, influence secondaire qu'il sera bon, néanmoins, de ne pas négli-
| ger. Les malades chez lesquels on est amené à pratiquer l'ouverture de
1 la plèvre sont souvent dans un état de cachexie et de dépérissement
; assez marqués; on devra faire appel à tous les agents thérapeutiques de
i nature à relever les forces et à favoriser l'effort qui s'opère vers la guéri-
:son : alimentation réparatrice et de facile digestion, viande crue, vin pur
i et alcool en petite quantité, quinquina, arséniate de soude, etc. Duboué
i (de Pau) a conseillé l'usage du tannin à haute dose, dont il aurait éprouvé
Iles bon? résultats pour tarir la suppuration. La diarrhée, si elle se pro-
i duit, devra être combattue par les agenls spéciaux qu'elle indique; mais
souvent cette diarrhée est liée à l'odeur fétide du pus : elle est un symp-
1 tome de putriditéet elle disparaît quand le pus cesse de s'altérer.
NOLV. DICT. HÉD. ET CUIR. XXYII1 lj
22G PLEURÉSIE. — p. hémobrhagiqub. — causes, pathogénie
On l'era bien, comme le recommande Moutard-Martin, de multiplier-
lés lavages, dont l'insuflisance est souvent la seule cause des échecs, et de
placer les malades de façon que l'ouverture pleurale soit à la partie la
plus déclive, ce qui rendra l'écoulement facile.
Pleurésie hémorrhagiqjje. — L'épanchement de la pleurésie simple est
chargé, nous l'avons vu, d'un grand nombre de leucocytes, il contient
aussi une quantité considérable de globules rouges, et ces derniers ne
font pas plus la pleurésie hémorrhagique que les premiers ne consti-
tuent la pleurésie purulente. Dans la pleurésie franche, le liquide peut
renfermer de G00 à 3 ou 4,000 globules rouges sans que sa coloration
en soit troublée ; le liquide est alors hislologiquemenl héi^orrhq^ique,
comme l'appelle G. Dieulafoy, et pour lui celte richesse de l'épanche-
ment en globules rouges constituerait une phase spéciale de la pleurésie
qui doit devenir purulente, phase analogue à la période d'engouement,
de congestion, de la pneumonie et des autres phlegmasies.
Pour qu'un épanchernent mérite la qualification d' hémorrhagique il
faut qu'il renferme des hématies en telle proportion que la coloration
rosée ou rouge du liquide en trahisse la présence.
Causes, pathogénîc. — Sous l'influence des idées de Trousseau et
de Barth, on est accoutumé à considérer la pleurésie hémorrhagique
comme étant presque toujours d'origine cancéreuse ; il est certain que
Y hémothorax est fréquemment lié au cancer du poumon et de la plèvre,
mais il y a une grande exagération à regarder les deux termes comme
synonymes. D'une part, en effet, un bon nombre de pleurésies hémor-
rhagiques ne relèvent pas du cancer, et d'ailleurs l'épanchement dù au
cancer est loin d'être toujours hémorrhagique.
La pleurésie hémorrhagique peut être simple et indépendante d'une
affection organique, l'hémorrhagie est alors purement la conséquence de
la phlcgrnasie ; elle peut être liée à la tuberculose miliaire pleuro-pulmo-
naire, au cancer du poumon ou de la plèvre ; on l'observe encore, mais
plus rarement clans les fièvres graves, dans la rougeole, le purpura, le
scorbut, et enfin dans certaines affections dyscrasiques dues à des lésions
rénales, hépatiques, ou même spléniques. L'épanchement hématique est
fréquent lorsque la phlegmasie est la conséquence d'un traumatisme;
enfin le liquide devient sanglant à la suite d'une aspiration trop éner-
gique.
Quand l'hémolhorax est simple il est tantôt lié à la pleurésie séro-lîbri-
neuse commune, et tantôt résulte de la présence des néomembranes.
Dans le premier cas, l'hémorrhagie est due à la violence du processus
phlegmasiquô : les petits vaisseaux de la plèvre subissent une dilatation
anormale, la poussée fluxionnaire peut être assez forte pour les rompre,
il en résulta une hémorrhagie plus ou moins abondante; celle-ci a lieu
soit par rupture des vaisseaux de la plèvre, soit par diapédése ; elle est
contemporaine de l'exsudation fibrineuse cl due à l'intensité de la phleg-
masie qui l'a produite.
L'autre forme d'héiuothorax inflammatoire simple est analogue pour le
PLEURESIE. P. HÉM0KHIIAG1QUE. DIAGNOSTIC. PKOMOSTIC. 227
mécanisme à la pachyméningite, à la péricardite et à la péritonite hé-
morrbagique, à î'hématocèle de la vaginale; c'est un véritable héma-
tome pleural ou pleurésie néo-membraneuse. La pseudo-membrane fibri-
neuse est envabie à une période plus ou moins avancée de la maladie
par le tissu embryonn;iire, qui forme bientôt des néomembranes orga-
nisées et parcourues par des vaisseaux nouveaux à parois minces et
fragiles. La persistance de l'inflammation ou de nouvelles poussées
phiegmasiques peuvent congestionner ces vaisseaux et en provoquer la
rupture : il se produit alors dans le kyste néo-membraneux une hé-
morrhagie exactement semblable par son mécanisme à l'bématome de
la dure-mère. L'épanchement sanguin offre de nombreuses variétés de
couleur et de quantité : ordinairement il est rougeàtre, quelquefois san-
glant, contenant ou non des caillots ; il peut être assez abondant, et l'on
;i pu extraire par la [jonction jusqu'à 4 litres de liquide séro-fibrineux
inflammatoire, ou purement séro-sanguin.
L'bémotborax peut accompagner la pleurésie tuberculeuse. D'après les
recherches de R. Moutard-Martin, c'est seulement dans la tuberculose
miliairc pulmonaire ou pleuro-pulmonaire que l'on rencontre un épan-
chement hémorrhagique. Les granulations tuberculeuses siègent soit dans
la plèvre elle-même, soit dans le parenchyme du poumon au voisinage
de la surface, soit enfin, et c'est là leur disposition la plus fréquente,
dans l'épaisseur des fausses membranes organisées dues à l'inflammation
pleurale; c'est la rupture de leurs vaisseaux qui fait suinter le sang dans
la cavité pleurale. L'épanchement. de teinte plus ou moins foncée, est
ici peu abondant, il dépasse rarement un litre.
Dans riu'niolhorax cancéreux le sang peut être versé par les vaisseaux
de produits inllammatoires développés sur la plèvre au voisinage du
néoplasme, mais il peut venir aussi .-oit des vaisseaux de la tumeur elle-
même, soit de ceux (pie le produit nouveau rencontre dans sa marche, et
dont il détermine l'ulcération. Le premier cas seulement constitue la
pleurésie hémorrhagique cancéreuse. Le siège primitif du cancer est ra-
rement dans la plèvre, quelquefois il est dans le poumon, mais il est
bien plus commun que ce dernier organe ne soit pris que secondaire-
ment, souvent le point de départ du mal est dans les ganglions du
médiaslin. R. Moutard-Martin signale la disposition multiloculaire des
fausses membranes qui accompagnent la pleurésie cancéreuse.
La présence du sang dans le liquide pleurétique extrait par la thora-
cenlèse peut être encore due à une aspiration trop rapide et trop complète;
il arrive alors que les vaisseaux des fausses membranes se rompent soit
par une expansion trop brusque du poumon déchirant les néomein-
brancs qui le brident, soit par un afflux trop précipité du sang dans les
vaisseaux longtemps comprimés, lors de la disparition subite de l'épan-
chement.
I>ïagnostic.Pi>onostic. — La pleurésie hémorrbagique, quelle qu'en
soit l'origine, n'a pas de symptômes spéciaux; une fois 1 epanchcmenl con-
staté, à l'aide des signes physiques ordinaires, on n'a aucun moyen d'en
228 TLEURKSIE. — p. hkmoiuuiagique. — diagnostic, pronostic.
reconnaître la nature. Tout au plus pourrait-on soupçonner que le liquide
est hémalique, s'il existait des signes de tuberculose miliaire, pleuro-pul-
monaire, ou des symptômes de tumeur cancéreuse tlioracique, et qu'en
même temps on trouvât à l'auscultation le signe de Baccelli indiquant
que le liquide n'est pas purement séreux. Dans le cas de cancer pleuro-
pulmonaire, on n'aurait encore qu'une présomption sur l'existence d'un
épanchement hémorrhagique, car les recherches de IL Moutard-Martin
établissent que dans le cancer tlioracique l'épanchemcnt, qui n'existe
que trois l'ois sur huit, n'est hémorrhagique qu'une foi. s sur Irois.
Presque tou jours il en faudra venir à la thoracenlèse pour être éclairé sur
la nature du liquide. Lorsque la ponction ne sera pas simplement explo-
ratrice, mais imposée par l'abondance de l'épanchemcnt, on sera presque
en droit d'exclure l'hypothèse d'une tuberculose, le liquide étant dans ce
cas rarement assez copieux pour exiger la thoracentèse. L'examen hislolo-
gique de l'épanchemcnt pourra, dans quelques cas, fixer le diagnostic en
établissant la présence d'éléments qui permettront d'affirmer l'origine
cancéreuse du liquide.
L'épanchement hémorrhagique étant donné, le diagnostic se réduira à
en connaître la cause : on devra songer d'abord au cancer dont il faudra
chercher la trace dans les antécédents héréditaires et personnels du ma-
lade. On reviendra sur l'examen de la poitrine, qui apprendra, il est vi li,
peu de choses, lorsque le néoplasme existera à l'état d'infiltration, mais,
s'il est sous forme de masses, où s'il s'agit d'une tumeur du médiasthr,
on pourra constater des signes de compression intra-thoracique dus à
la présence d'une tumeur, et une adénopathie bronchique qui se répétera
pour les ganglions sus-claviculaires. Un œdème de la paroi tlioracique
plus étendu que celui de la pleurésie purulente, dù à la gêne de la cir-
culation veineuse et limité à la partie sus-diaphragmatique du corps; la
dyspnée et le cornage par compression des bronches ou de la trachée; la
toux coqueluchoïde ou une névralgie intercostale fixe et opiniâtre par
compression des cordons nerveux, auront encore une grande signification
au point de vue du cancer; enfin la phlegmalia et les signes de la ca-
chexie cancéreuse ne laisseront aucun doute. Ajoutons que, en pareil cas,
la thoracentèse, après avoir évacué un épanchement souvent très-abondant,
n'apporte aucun soulagement, ne modifie en rien les symptômes, et que
la plèvre se remplit rapidement.
La pleurésie hémorrhagique simple, bien moins rare que l'hémothorax
tuberculeux, est la seule que Ton ait intérêt à distinguer proniptenient de
la pleurésie cancéreuse. Le diagnostic est aisé, d'ordinaire la pleurésie
hémorrhagique simple a débuté par une pleurésie franche, sans antécé-
dents d'aucun genre; la ponction modifie rapidement les signes locaux et
le liquide ne se reproduit pas.
On reconnaîtra la pleurésie tuberculeuse à la minime quantité du li-
quide et aux signes insidieux de la tuberculose miliaire pleuro-pulmo-
nairc.
Le pronostic de la pleurésie hémorrhagique est subordonné à la lésion
PLEURÉSIE. P. CHRONIQUE. ÉTIOLOGIE. ANATOMIE PATHOLOGIQUE. 229
qui lui a donné naissance ; absolument grave dans les pleurésies cancé-
reuse et tuberculeuse, il est en général favorable dans la pleurésie hémor-
ragique simple pour laquelle la première ponction est d'ordinaire cura-
trice: Nous avons vu quelle valeur G. Dieulafoy accorde à la pleurésie
hislologiquement hémorrhagique, qui serait toujours destinée à devenir
purulente; il n'en est pas de même de la pleurésie franchement hémorrba-
gique qui, alors même qu'elle ne guérit pas dès la première ponction et en
exige plusieurs, persiste à l'état hémorrhagique et ne passe pas à la suppu-
ration. Cependant nous avons observé à l'Hôpital Temporaire un cas de
pleurésie hémorrbagique simple, dans lequel l'épancbcment assez abon-
dant et composé de sang presque pur résista à plusieurs thoracentèses
après chacune desquelles il se reproduisit en se modifiant graduellement,
jusqu'à devenir franchement purulent. G. Dieulafoy a cité deux faits ana-
logues, mais ce sont là des exceptions, et d'ordinaire la pleurésie hémor-
rhagique simple se termine rapidement par la guérison.
Pleurésie chronique. — Lorsque la durée de la pleurésie dépasse six
semaines ou deux mois sans tendance à la guérison, ou lorsque, dès
le début, sa marche est lente et silencieuse, la maladie est chronique.
Elle peut succéder à la forme aiguë franche, ou être d'emblée chro-
nique; elle peut être primitive ou simple, ou bien secondaire et dialhé-
sique.
Étiolog-ic. — Les causes de la pleurésie chronique simple sont celles
de la pleurésie franche auxquelles se joint l'influence de l'état général; il
faut un certain degré de vigueur pour résoudre une phlegmasie : chez les
sujets de constitution originairement débile, ou qui momentanément sont
alfaiblis, chez les anémiques, les alcooliques, l'inflammation séreuse,
n'ayant. pas la môme acuité que chez les individus sains, passera facile-
ment à l'état chronique; un traitement irrationnel ou trop peu énergique
aura le même effet.
Quant à la pleurésie secondaire, souvent chronique dès son début, elle
est d'ordinaire liée à quelque diathèse, à la scrofule et surtout à la tuber-
culose; « une maladie chronique d'emblée », dit Peter, « est une maladie
constitutionnelle ». La pleurésie chronique est donc, le plus souvent, une
maladie en quelque sorte dialhésique chez des individus entachés de
dispositions morbides innées ou acquises.
La maladie peut tenir aussi à une lésion locale, soit des parois thora-
ciques (carie cosîale, tumeurs du sein), soit du poumon (cancer, tuber-
culose, etc.).
Anatomie pathologique. — Les détails dans lesquels nous sommes
entré à propos des lésions de la pleurésie purulente nous permettront
de passer rapidement sur les caractères nécroscopiques de la pleurésie
chronique.
Ces lésions sont très-analogues à celles de la pleurésie aiguë, mais avec
un développement bien plus marqué. Les néomembranes dues à la proli-
fération des éléments conjonctifs de la plèvre sont épaisses, denses, ré-
alités et fortement organisées ; elles prennent un aspect fibreux, et
250
PLEURÉSIK. —
P. CHRONIQUE.
ANATOMIE PATHOLOGIQUE.
peuvent, même s'infiltrer de sels calcaires et former des plaques ossi-
ibrmes. Le travail inflammatoire peut se propager de la plèvre costale au
périoste sous-jacent, il en résulte la formation à la face interne de la
côte, entre le périoste et l'os, d'une concrétion osseuse, sorte de côte
surajoutée, concentrique à la première, et qui donne à la section de l'os
une figure triangulaire (Parise). En se réunissant d'une face à l'autre, les
néomembranes peuvent former des adhérences plus ou moins étendues,
ou des brides allant du poumon à la paroi costale.
Les fausses membr anes, adhérentes à la paroi ou libres dans le liquide,
sont assez semblables à celles de la pleurésie aiguë, mais plus épaisses,
disposées souvent sous forme de couches stratifiées d'âges différents ; elles
sont devenues très-résistantes, fibroïdes ou même cartilagineuses. Elles
peuvent revêtir toute la plèvre en formant une sorte de sac ou de cavité
close incluse dans la séreuse : c'est le kyste pseudo-pleural bien décrit
par Oulmont. Ce kyste, souvent très-épais, isole complètement l'épan-
chement, ce qui implique l'inanité des moyens employés pour activer la
résorption, celle-ci étant diminuée, sinon complètement supprimée par
l'épais revêtement pseudo-membraneux qui couvre la plèvre.
Dans la pleurésie tuberculeuse, les adhérences du poumon aux plèvres
sont communes. Elles sont denses, serrées, résistantes, et sont d'autant
plus dures et solides que le point du poumon auquel elles répondent est
plus altéré; au sommet, on ne peut extraire le lobe supérieur que par
lambeaux. Les fausses membranes dans les quatre cinquièmes des autopsies
sont infiltrées de tubercules rarement à l'état de granulations miliaires,
mais sous forme de plaques caséiformes.
Le liquide épanché peut être limpide et citrin, plus souvent il est troublé
par la présence de flocons fibrineux et de globules de pus. Il peut être
épais, jaune verdàtre, entièrement purulent ou bien d'une couleur plus
ou moins foncée due à la présence du sang. Quelquefois les parties les
plus fluides de l'épanchement peuvent être résorbées, l'exsudat prend
alors un aspect caséeux. Les flocons pseudo-membraneux et les leucocytes
flottant dans l'épanchement peuvent, quoique rarement, subir la méta-
morphose granulo-graisseuse et former avec le liquide une sorte d'émul-
sion reprise par les lymphatiques (N. Guéneau de Mussy). Quelquefois
le kyste, revenu sur lui-même, constitue une sorte de long tube cartila-
gineux à contenu caséiforme et concret.
Le poumon, refoulé et condensé, est réduit à un petit volume : il peut
avoir à peine un à deux centimètres d'épaisseur. Son tissu dense, rou-
geâtre, carnifié, ne crépite plus et rappelle l'état fœtal; il peut être sain,
mais très-souvent il est criblé de tubercules plus ou moins avancés. Coiffé
par des fausses membranes épaisses, il est comprimé contre le médiastin
ou le rachis, et repoussé vers la partie supérieure de la poitrine. Débar-
rassé des fausses membranes qui le brident, il ne reprend plus par l'in-
sufflation son volume initial.
Comme nous le verrons plus loin, lorsque le liquide s'est résorbé en
partie, la paroi thoracique subit des déformations caractéristiques.
PLEURÉSIE. —
P. CHRONIQUE.
SYMPTÔMES.
251
La pleurésie chronique est très-souvent partielle, et limitée aux parties
déclives; elle peut être sèclie même dans la forme simple, mais bien
plus fréquemment chez les tuberculeux; alors aussi elle est partielle,
mais localisée au voisinage du sommet.
Symptômes. — La pleurésie chronique peut commencer par l'état
aigu dont elle est un mode de terminaison, ou bien être primitivement
chronique; ces deux formes ne diffèrent qu'au début, une fois l'épan-
chement formé, elles se confondent dans une symptomatologie commune.
Lorsque la pleurésie aiguë aboutit à l'état chronique, la transition est
quelquefois marquée par la disparition complète de la fièvre et de la dou-
leur avec persistance des signes physiques; mais souvent elle est difficile
à saisir, et l'on ne peut s'aider, pour juger le début de l'état chronique,
de la durée de la maladie, une pleurésie aiguë pouvant devenir chro-
nique après quinze ou vingt jours; dans tous les cas, une durée de six se-
maines ou deux mois implique la chronicité.
Dans la forme chronique d'emblée, le début est très-insidieux, et ce
n'est qu'au bout d'un temps souvent fort long qu'elle se caractérise. Il
n'existe pas de douleur de côté, mais une simple, sensation de gêne; la
fièvre est nulle ou ne paraît que vers le soir; la toux est rare et sèche;
la dyspnée à peine marquée au repos ne s'accuse que dans les mouvements
violents, elle ne devient notable que lorsque l'épanchement se développe.
Cet état de simple malaise, qui contraste avec la gravité de l'affection,
peut se prolonger durant des semaines et même au delà. Les signes phy-
siques établissent alors la présence d'un épanchement peu abondant de la
plèvre.
Quel que soit le mode de début, à un moment donné les symptômes
sont les mêmes; ils sont surtout en rapport avec l'existence d'un épan-
chement considérable.
Les signes physiques sont ceux de la pleurésie aiguë : néanmoins le
souffle lubaire et les bruits pseudo-cavitaires, souffle caverneux ou ampho-
rique, gargouillement, sont plus fréquents dans la forme chronique
qui détermine la condensation graduelle du poumon et le refoulement
de son tissu sur les gros tuyaux bronchiques. L'égophonie est ici beau-
coup plus rare que dans la pleurésie commune; exceptionnelle au début,
elle est absolument inconnue dans la période de retour. L'épanchement,
souvent si considérable dans la pleurésie chronique, entraîne le dé-
placement des viscères, du foie, du cœur, de la rate et même de l'esto-
mac. 11 y a alors dilatation de la poitrine d'un côté, et écartement des
espaces intercostaux.
Lorsque la pleurésie est sèche, elle est caractérisée par des frottements
râpeux le plus souvent limités au sommet.
La marche de la maladie est lente, souvent semée d'exacerbations avec
accroissement du liquide; celles-ci indiquent un état plus aigu, et parfois
à la suite de ces poussées inflammatoires survient une amélioration.
La d urée de la pleurésie chronique est illimitée : elle peut n'être que
de trois ou quatre mois, ou se prolonger pendant six mois, un an et plus.
232 PLEURÉSIE!. — p. chronique secokdajrb.
C'est surtout dans les cas d'épanchcmcnt séreux que la maladie dure très-
longtemps.
La pleurésie chronique aboutit à la guérison, ou se termine par la mort.
Lorsque la maladie doit guérir, l'état général s'améliore longtemps
avant que les signes physiques en disent rien. Bientôt la matité diminue
d'étendue et d'intensité, l'expansion pulmonaire revient un peu, mais le
poumon ne reprend jamais son volume primitif; le thorax dilaté se réduit
peu à peu, la paroi suivant le retrait du liquide. Celle modification n'est
pas toujours sensible à la simple vue, et l'on fera bien de pratiquer La
mensuration; l'emploi du ruban métrique fera suivre avec précision la
marche du liquide et permettra d'éviter une ponction inutile, à une pé-
riode où, le liquide étant résorbé, des fausses membranes épaisses don-
neraient encore de la matité et laisseraient croire à la persistance de
l'épancbement.
La guérison complète se fait attendre très-longtemps : elle n'est obtenue
qu'au prix d'un rétrécissement du côté malade; il peut y avoir ainsi une
différence de quatre ou cinq centimètres d'un côté à l'autre. L'épaule du
côté atteint est abaissée, le mamelon est situé plus bas et le côté ma-
lade plus court que le côté sain. Le rachis finit par décrire une courbure
dont la concavité est tournée vers la lésion, et les malades semblent s'in-
cliner de ce côté, ce qui donne à leur allure quelque chose de la claudi-
cation. A un degré moindre, le rétrécissement est partiel et borné à la
partie inférieure du thorax.
La terminaison favorable peut succéder à l'établissement d'une fistule
pleuro-bronchique ou pleuro-cutanéc, ce qui est commun dans la pleu-
résie chronique à épanchement purulent.
Longtemps même après la disparition de l'épancbement. la respiration
reste incomplète; le côté malade conserve toujours une élasticité moindre,
de la matité et de la faiblesse du murmure respiratoire. Les malades ne
retrouvent jamais leur état primitif; ne respirant presque qu'avec un
seul poumon, ils conservent une tendance à la dyspnée et s'essoufllent au
moindre mouvement.
Quand l'issue est fatale, elle arrive lentement; elle est annoncée par
un dépérissement graduel, la fièvre hectique, la pâleur, l'œdème qui, des
parois costales, gagne le reste du corps ; il y a des sueurs, de la perle de
l'appélit et des forces, une diarrhée fétide et l'état cachectique. Souvent
une double perforation pulmonaire et thoracique, en entraînant l'altéra-
tion putride du contenu de la plèvre, donne le signal de ces fâcheux acci-
dents, qui n'arrivent guère que dans la forme purulente. La mort peut
être due encore, dans les cas surtout où répanchement est séreux et
très-abondant, à une suffocation brusque, à une syncope, tous accidents
que nous avons indiqués dans la pleurésie aiguë.
Pleurésie cmoïHQftE secondaire. — Nous avons vu qu'elle peut tenir
à des lésions locales des parois thoraciques ou du poumon, mais dans la
grande majorité des cas elle dépend de la tuberculose; les symptômes de
celle variété sont les mêmes que ceux de la pleurésie chronique simple,
PLEURÉSIE. — P, CHRONIQUE SECONDAIRE.
233
mais ils empruntent souvent une physionomie spéciale au développement
simultané île la phthisie, à l'étude de laquelle ils se rattachent {Voy. Phthisie
pulmonaire, t. XXVII, p. 215). Nous nous bornerons à passer ici en revue
les différentes formes de pleurésie qui sont liées à la tuberculose; ce
sont : 1° la pleurésie sèche, qui siège d'ordinaire au sommet; elle est
due à de petites pblegmasies partielles déterminées par l'apparition de
granulations sur la membrane séreuse. Ces poussées s'accompagnent de
la formation de fausses membranes et d'adhérences; elles donnent lieu
à des douleurs thoraciques spontanées ou provoquées. Toutefois, lorsque
les fausses membranes qu'elle développe sont très-épaisses, la pleurésie
sèche peut donner un peu d'obscurité du son de percussion, mais on la
reconnaît surtout par les craquements secs et les frottements que per-
çoit l'oreille. L'existence d'une pleurésie sèche du sommet est très-
significative : elle indique d'une façon presque certaine la présence de
tubercules pulmonaires.
2° Tuberculose pleurale. Le développement de granulations tubercu-
leuses sur les plèvres peut être aigu ou chronique. Dans le premier cas,
la détermination pleurale estime des manifestations de la phthisie aiguë;
elle est souvent accompagnée de tuberculose séreuse généralisée. Elle peut
être sèche, mais, le plus souvent, elle provoque la formation d'un épanche-
ment, et, comme la poussée granulique, atteint les deux plèvres, l'épan-
chement est double. En même temps on observe des manifestations abdo-
minales. Le diagnostic de cette forme de pleurésie est facile : dissémination
des lésions, fièvre rémittente avec oscillations très-marquées de la courbe
thermique, étal typhoïde, etc. {Voy. PnTiusiE aiguë, t. XXVlf, p. 521.)
Lorsque la tuberculose pleurale est chronique, les granulations ont leur
évolution ordinaire, elles se développent sur les plèvres et plus souvent en-
core sur les néomembrancs, où on les trouve sous forme de plaques, de
masses caséeuses. L'épanchemcnt est tantôt séreux, tantôt il est séro-puru-
lent; la nature purulente du liquide est d'ailleurs loin d'être aussi inti-
mement liée qu'on l'avait cru à la tuberculose, et il est fréquent de trouver
à l'autopsie un épanebement purement séreux chez des sujets morts avec
une pleurésie, à une période avancée de la phthisie, tandis que dans cer-
tains cas de pleurésie purulente on ne trouve pas traces de tubercules.
Souvent l'épanchement est double et prend alors une valeur diagnostique
sur laquelle Louis a beaucoup insisté : sur cent cinquante plcuréliques,
il n'avait vu d'épanchements doubles, en dehors du rhumatisme, que
i dans la gangrène ou dans la tuberculose. L'apparition d'un épancher
i ment double chez un sujet sain en apparence est donc une présomption
i de tuberculose.
5° Pleurésies accidentelles. Il est enfin une dernière variété de pleu-
résies liées à la pbymatose, ce sont celles qui se produisent accidentelle-
ment chez un tuberculeux ou chez un sujet que ses antécédents héréditaires
exposent à le devenir. Il est probable qu'il faut singulièrement restreindre
le nombre de ces pleurésies, qui seraient purement fortuites et n'auraient
pas pour origine une lésion antérieure de la plèvre. Nous croyons, avec
234 PLEURÉSIE..— p. OHnomQDB secondaire. — traitement. — bibliographie.
Hérard cl Cotoih que dans la majorité des cas les pleurésies qui se mon-
trent chez les tuberculeux sont ducs au développement des granulations
dans la plèvre. Dans les cas où une pleurésie développée chez un sujet sain
en apparence a été suivie à plus ou moins longue échéance de l'apparition
des symptômes de la phthisie pulmonaire, on a souvent accusé l'affection
pleurale d'avoir provoqué l'éclosion des tubercules dans le poumon ; c'était
l'opinion de Trousseau et celle de Grisolle. 11 est probable que la lésion
suit une marche inverse; il y a d'abord des granulations limitées à la
plèvre qui déterminent une pleurésie qui peut guérir et reparaître à plu-
sieurs reprises; tant que les tubercules sont limités à la séreuse, la santé
peut se maintenir, et ce n'est que lorsque les lésions spécifiques enva-
hissent le poumon que l'on reconnaît la tuberculose. La marche des
pleurésies accidentelles chez les tuberculeux est chronique ou subaiguë,
J'épanchement est quelquefois purulent ou séro-purulent, bien souvent
aussi il est séreux.
Aran avait supposé que la pleurésie droite était plus spécialement en
rapport avec le développement de la phthisie, et qu'un épanchement à
droite était un fâcheux indice et une menace pour l'avenir. L'expérience
hasée sur un grand nombre d'observations n'a pas confirmé ces idées, qui
étaient sans doute l'effet d'une généralisation trop prompte, et l'on voit
indifféremment des pleurésies droites ou gauches arriver à la guérison,
ou être suivies de symptômes de tuberculose.
Traitement. — Lorsque la maladie n'est pas trop ancienne, et que
le processus inflammatoire n'est pas complètement éteint, on pourra tirer
quelques avantages de l'emploi des révulsifs cutanés, vésicatoires, tein-
ture d'iode, et des émissions sanguines locales sous forme de ventouses
scarifiées, si l'état des forces le permet. Quand l'épanchement, par son
abondance, sera un danger pour le malade, si le cœur est déplacé, s'il y
a imminence de suffocation, de syncope ou d'accidents graves, on pourra
être amené à pratiquer la thoracentèse d'urgence.
Si enfin, la maladie n'étant pas trop ancienne, on peut espérer que les
fausses membranes qui brident le poumon pourront encore céder et lui
permettre de reprendre sa place, on devra tenter l'aspiration suivie
d'injections iodées. Mais, quand la pleurésie date de loin, on doit re-
noncer à l'espoir de voir les deux feuillets de la plèvre se rapprocher et
venir au contact. En présence d'une pleurésie tuberculeuse, il conviendra
d'èlre réservé dans l'emploi de la thoracentèse, et de ne la pratiquer que
pour parera des accidents sérieux: en dehors de cette indication, il con-
viendra de s'abstenir d'une intervention qui n'aurait aucune espèce de
chances curatives et amènerait à peine un soulagement éphémère.
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PUEURODYNIE. — La pleurodynie (rcXeopou ô86vv), douleur de
côté) est le rhumatisme musculaire des parois thoraciques ; c'est une des
espèces les plus fréquentes. Rare dans l'enfance, elle est plus commune
chez l'adulte et le vieillard ; on l'observe aussi plus souvent chez les gens
adonnés aux affections manuelles et obligés à des efforts violents.
On a rarement l'occasion de pratiquer l'examen nécroscopique des
muscles atteints, et lorsqu'une maladie intercurrente entraîne la mort,
on n'observe guère que des résultats négatifs. U n'existe aucune modifi-
cation dans la couleur, le volume ou la consistance des muscles, et si
quelquefois on a trouvé de la suppuration, c'est qu'on a pris pour le
rhumatisme musculaire un phlegmon sous-aponévrolique ou un abcès
métastatique. Si l'affection est chronique et ancienne, il peut cependant
y avoir décoloration et atrophie du tissu musculaire, mais c'est là une
lésion consécutive. Parfois on trouve des altérations plus profondes, et la
plèvre est intéressée. La phlegmasie rhumatismale portant sur les mus-
cles pectoraux et grands dentilés peut, surtout quand elle est violente,
s'étendre aux muscles intercostaux, à leur aponévrose profonde et à la
plèvre pariétale; on trouve alors à l'autopsie un exsudai librineux
limité à la plèvre costale et qui est le veslige d'une pleurésie sèche. L'in-
llammalion rhumatismale peut mémo aller plus loin, et donner lieu à
l'exsudation d'un épauchement liquide en faible quantité.
Symptômes. — C'est une affection le plus souvent purement locale,
sans réaction fébrile, ou provoquant à peine un peu de malaise général.
Plus rarement le début est marqué par du frisson, de la lièvre, delà cour-
bature, de l'insomnie, mais le mouvement fébrile tombe rapidement.
Une fois déclarée, et quel que soit son mode de début, la pleurodynie se
PLEURODYNIE. — symptômes. 23»
traduit par deux symptômes essentiels : la douleur et la gène des mou-
T™°S;ckan^ vive, plus forte que celle de la pleurésie,
s'exaspérant par la toux et les grandes inspirations, qu. restent lmutecs
et h complètes. An lieu d'être vive, la douleur peut être sourde et obtuse:
d les cas intenses la pression lexaspère d une laçon bien marquée.
Quelquefois limitée à un point restreint, et surtout au voisinage du ma-
melon, d'antres fois elle est diffuse, répartie sur une large surlace et non
bornée à un foyer circonscrit. Elle peut atteindre les deux co es de la
poitrine, mais elle est plus commune à gauche, son s.ege varie d ailleurs
avec les muscles atteints. Elle occupe souvent le grand pectoral seul,
dans une erande partie de son étendue, soit seulement au niveau de ses
inser1ionsncostales; ou la voit aussi affecter les digitat.ons du muscle
*rand dentelé. Moins fréquemment elle répond aux insertions acromiales
du deltoïde, aux fibres du trapèze et du grand dorsal. Elle peut, en ré-
sumé, occuper tous les muscles superficiels ou profonds de la paroi tho-
racique. Dans les cas légers la pression est indifférente, ou même elle
calme la souffrance; mais, quand l'affection est intense, s, on saisit a
pleines mains les masses charnues, la douleur devient tres-vive. 11
.n'existe pas de points douloureux, et le doigt promené dans 1 espace
i intercostal ne provoque nulle part d'exacerbations.
Les mouvements, aussi bien ceux qu'exige la respiration e les se-
, coures de In toux, de IVlernument, que ceux qu. consistent a llech.rou
à étendre le tronc, sont difficiles et pénibles. Pour restreindre la con-
traction musculaire, les malades osent à peine respirer, et s ils viennent
à s'oublier et à faire une inspiration profonde, ils s arrêtent brusque-
ment et poussent un gémissement; l'excursion de la paro. costale est
■ diminuée du côté atteint, et le bruit vésiculaire y est moins prononce.
IDans les cas très-violents, il peut exister une véritable dyspnée, et s. la
iphlcgmasie s'est propagée à la plèvre, il y a de la toux et même des
lignes d'auscultation : tantôt du frottement, si la pleurésie est sèche,
.comme c'est le cas le plus ordinaire, tantôt du souille et de 1 egophonie,
i s'il y a épanchement séreux.
L'aspect extérieur des parties n'est nullement modifié, il n y a ni chan-
gement de coloration de la peau, ni tuméfaction appréciable.
A part la fièvre qui signale quelquefois le début, il n ex.ste pas de
< symptômes généraux. Comme dans toutes les manifestations du rhuma-
ttisme, les malades ont souvent une grande tendance aux transpirations
; abondantes. , .
La durée du rhumatisme thoracique. est variable, il peut être éphémère
,ou persister durant de longs mois; il peut, tout en restant localise au
(thorax, abandonner son siège initial pour envahir d'autres points, ou
Ibicn, obéissant aux tendances propres au rhumatisme, il quitte les
.muscles atteints pour aller frapper d'autres parties du système muscu-
llairc plus ou moins éloignées ; on a même vu, quoique le lait soit rare,
«cette forme de rhumatisme aboutir à des poussées articulaires qui consti-
240
l'LEUUODYiNlE. —
DIAGNOSTIC. — TIU1ÏKMEKT.
tuaient en quelque façon la signature de la dialhèsc rhumatismale:
Comme toutes les manifestations du même ordre, le mal est voué aux
récidives provoquées tantôt par les fatigues professionnelles, tantôt par
l'action du froid humide.
En dehors de la pleurésie circonscrite, déjà peu commune, il est rare
de rencontrer des complications dans la pleurodynie; on observe quel-
quefois concurremment une bronchite calarrhale qu'on a considérée
alors comme un rhumatisme des muscles bronchiques. Quant à l'endocar-
dite, à la péricardite, à la pneumonie, elles sont absolument rares et excep-
tionnelles.
Diagnostic. — La pleurodynie est difficile à méconnaître; alors
même qu'elle est très-intense, elle n'a guère de commun avec les phleg-
masies des viscères thoraciques que les quelques phénomènes fébriles
du début, la douleur de côté et parfois une dyspnée légère; il n'existe ni
loux, ni crachats, ni signes positifs d'auscultation; à peine, quand la
douleur est très-vive, le bruit vésiculaire est-il un peu affaibli, maison ne
perçoit ni râles, ni souffle, ni égophonie, et les bruits de percussion sont
normaux.
Dans la péricardite la douleur de côté peut faire songer à la pleurodynie,
mais la reaction fébrile intense, la dyspnée, les signes de percussion et
d'auscultation, ne permettront pas d'hésiter.
La douleur de la névralgie intercostale est plus aiguë, elle s'accom-
pagne d'élancements et correspond au trajet d'un nerf intercostal ; elle
est localisée, tandis que celle de la pleurodynie est étendue en nappe ;
les contractions des muscles de la région restent sans influence sur elle
et ne l'exaspèrent pas, et de plus la pression provoque des exacerbations
douloureuses dans un certain nombre de points assez bien déterminés,
dont le plus constant siège à l'extrémité postérieure de l'espace inter-
costal atteint, au niveau de la gouttière vertébrale. Jamais dans la pleu-
rodynie on ne constate une douleur siégeant uniquement dans deux
points situés à une grande distance l'un de l'autre, comme cela arrive
dans la névralgie intercostale; celle-ci est d'ailleurs une maladie fré-
quente, tandis que le rhumatisme des parois llioraciques est une affec-
tion rare, et bien souvent, d'après Vallcix, on a dû prendre une né-
vralgie intercostale pour une pleurodynie.
Le pronostic de la pleurodynie est favorable, elle ne devient fâcheuse
que par sa persistance, ou bien lorsque, très-violente, l'inflammation
musculaire se propage à la plèvre. Dans i es cas, d'ailleurs assez rares, la
pleurésie est toujours très-limitée et le plus souvent sèche.
Traitement. — Dans les cas légers on pourra se côntenter de
l'application locale de quelques agents narcotiques, ou de l'emploi
de révulsifs légers : castaplasmes laudanisés, frictions avec le baume
tranquille, hadigeonnages avec un mélange à parties égales de
teinture d'iode cl de laudanum, application d'un sinapisme, frictions
sèches ou avec un Uniment irritant. On se trouvera bien encore
de l'emploi de sachets de sable chaud, de l'usage de compresses
PLÈVRE. PATHOLOGIE.
241
imbibées de chloroforme, qui agissent bien moins comme calmant qu'à
titre de révulsif.
La position du corps est ici très-favorable à l'apaisement des douleurs,
et l'attitude qui met dans le relâchement les muscles affectés amène
toujours un grand soulagement.
Si la douleur est très-violente, on devra recourir aux émissions san-
guines locales, aux sangsues et surtout aux ventouses scarifiées. Les
vésicatoires morphinés donnent aussi de bons résultats; on pourra re-
courir encore, pour amener une sédation, aux bains tièdes, aux bains
russes, et surtout aux bains de vapeur, dont l'effet est de provoquer
une forte diaphorèse.
Si l'affection tend à devenir chronique, on fera bien de prescrire l'usage
des douches chaudes avec des eaux sulfureuses ou salines ; dans ce but
on devra envoyer les malades à Lucbon, à Baréges, à Aix en Savoie, ou
bien au Mont-Dore, à Néris, à Bourbonne. On pourra recourir enfin à
l'emploi de l'électricité sous forme de courants constants.
Pour prévenir les récidives, on devra, après la guérison prémunir les
rhumatisants contre l'action du froid et de l'humidité, et leur imposer
l'usage de la flanelle. Ils devront éviter les efforts musculaires violents
et répétés, et renoncer, s'il est possible, aux professions qui les exigent.
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Eug. d'Heilly.
PLEUROSTHOTONOS. Voy. Tétanos.
PLÈVRE Anatomie. Voy. art. Poitrine.
Pathologie. — Il convient de distinguer dans les maladies des
plèvres deux groupes bien distincts : les unes sont primitives, affectant
la membrane séreuse exclusivement, ou du moins ne développant dans les
parties adjacentes que des altérations subordonnées à celles de la plèvre
elle-même; les autres sont secondaires et résultent, soit de la propaga-
tion de maladies des organes contigus à la plèvre, soit même de maladies
d'organes éloignés ou de maladies générales.
Parmi les maladies primitives, il n'y a de très-commune et de vraiment
importante que la pleurésie ; la plupart des autres :sont des raretés patho-
logiques : la gangrène, si tant est même qu'elle puisse affecter la plèvre
sans intéresser d'abord au moins les couches superficielles du poumon,
les tubercules, le cancer, les hydatides et d'autres productions morbides,
se montrent quelquefois dans la plèvre à l'exclusion de toute autre déter-
mination dans d'autres organes, mais il est bien plus fréquent que cet;
NOUV. DICT. MÉD. ET CUIR. XX VI II — 10
242
PLÈVRE, PATHOLOGIE. GANGRÈNE.
affections de la plèvre résultent de l'extension de maladies analogues
occupant le poumon, le médiastin ou d'autres organes voisins, ou bien
qu'elles ne soient, comme pour le tubercule ou le cancer, qu'une des
déterminations locales d'une maladie générale qui intéresse en même
temps les autres membranes séreuses ou d'autres parties de l'économie.
Quoi qu'il en soit, nous dirons quelques mots de chacune de ces maladies
pour indiquer ce qu'elles présentent de particulier quand elles occupent
les plèvres.
Les maladies secondaires des plèvres sont bien plus fréquentes que les
maladies primitives, bien entendu, si l'on excepte la pleurésie. En effet,
outre les affections que nous venons d'énumérer (cancer, tubercules, etc.),
elles comprennent encore tous les épanchements non inflammatoires
qu'on peut observer dans les plèvres, notamment les épanchements séreux
qui constituent l'hydrothorax et les épanchements gazeux qu'on réunit
sous la dénomination de pneumothorax. Bien que ces deux lésions soient
habituellement décrites dans les livres de pathologie interne comme des
maladies distinctes, ce ne sont pas, à vrai dire, des maladies de la plèvre,
ce sont des accidents qui viennent compliquer les maladies d'organes
divers, et la plèvre n'est que le réceptable de ces épanchements, sans
entrer par elle-même pour la moindre part dans leur formation. Cepen-
dant, sous ces réserves, nous devrons étudier l'hydrothorax et le pneumo-
thorax dans cet article, parce que ces accidents ou épiphénomènes, une
fois développés, entraînent des troubles et des conséquences qui, au point
de vue pratique, les rapprochent surtout des maladies des plèvres.
Nous observerons, dans l'exposé rapide qui va suivre, l'ordre que nous
venons d'indiquer; nous dirons d'abord et à part quelques mots de-
lésions congénitales ou vices de conformation des plèvres.
A. Vices de conformation. — Les lésions congénitales de la plèvre sont
très-rares. On a vu quelquefois ce sac séreux manquer dans quelques-
unes des parties qu'il occupe à l'état normal : ainsi Laboulbène dit avoir
vu, sur un poumon droit, les incisures des lobes très-peu marquées et la
plèvre ne s'y prolongeant que de 2 centimètres: il n'existait point de
pleurésie ayant réuni les feuillets opposés. Plus souvent, on rencontre des
dépressions de la plèvre en certains points de la paroi thoracique ou du
diaphragme; l'étude de ce vice de conformation rentre plutôt dans celle
des hernies du poumon. Enfin la plèvre manque, bien entendu, au niveau
des orifices anormaux qui, dans quelques cas exceptionnels, font com-
muniquer le thorax avec l'abdomen à travers le diaphragme, et permet-
tent aux viscères abdominaux de faire hernie dans la poitrine.
B. Maladies primitives. — 1° Inflammation. Voy. Pleurésie.
2° Gangrène. — Laenncc a consacré un article spécial à la gangrène
de la plèvre qu'il donne d'ailleurs comme une altération très-rare; il la
considère comme rarement primitive, et déclare qu'il n'a vu aucun cas
dans lequel elle parût être un effet d'une inflammation aiguë; le plus
souvent elle serait la suite de la rupture dans la plèvre d'un abcès gan-
gréneux du poumon; ou bien encore elle surviendrait dans les pleurésies
PLÈVRE. — GAKGRÈMË. 243
purulentes chroniques sous la forme d'une escliare limitée de la plèvre
qui, en se détachant, permettrait au pus de se frayer une voie au dehors,
et ce serait là un des moyens que la nature emploie pour amener l'éva-
cuation du liquide épanché.
Jusque dans ces derniers temps, la question de la gangrène de la plèvre
a été presque complètement négligée. En 1875, à l'occasion d'une inté-
ressante observation communiquée par E. Besnier, Bucquoy a lu, à la
Société médicale des hôpitaux, un important mémoire dans lequel il a
comblé cette lacune. D'après l'analyse d'un certain nombre d'observations
éparses çà et là et de trois observations personnelles, Bucquoy est amené
à conclure que, dans l'état actuel de la science, aucun fait positif ne
permet encore d'affirmer l'existence de la pleurésie gangréneuse aiguë
primitive, c'est-à-dire indépendante de toute lésion gangréneuse du pou-
mon. Cette proposition parait exacte, au moins pour la très-grande géné-
ralité des cas. Cependant tout récemment (25 juillet 1879) Bendu a pré-
senté à la Société médicale des hôpitaux une observation qu'il considère
comme démonstrative de la gangrène primitive de la plèvre : dans ce cas,
l'autopsie a montré qu'il existait à la base de la plèvre .gauche, au voisi-
nage du diaphragme, une cavité remplie d'un liquide horriblement
fétide, d'odeur et d'aspect gangréneux ; cette cavité était tapissée par des
fausses membranes épaisses, en un point elle était noirâtre et ulcérée sur
une certaine étendue; à ce niveau, le poumon était perforé, mais autour
de la perforation on ne trouvait aucun indice de gangrène pulmonaire.
A l'occasion de ce fait, Debovea communiqué un cas analogue, avec cette
différence qu'il n'y avait pas de perforation pulmonaire : dans l'intérieur
de la plèvre qui contenait un liquide horriblement fétide, d'une couleur
jus de tabac, on trouva sept masses d'une fétidité horrible, ressemblant
à des matières fécales, et dans lesquelles l'examen microscopique fit
reconnaître des cristaux d'acides gras enchevêtrés dans tous les sens.
Quoi qu'il en soit de ces faits au moins exceptionnels, on peut admettre
. avec Bucquoy que, dans l'immense majorité des cas, la gangrène de la
plèvre n'est pas primitive. En effet, dans toutes les observations coni-
iplètes et suivies d'autopsies que Bucquoy a rassemblées et où l'on a
l trouvé des altérations gangreneuses de la plèvre, on a rencontré en même
t temps, soit des foyers de gangrène pulmonaire circonscrite contigus à la
j plèvre ou même ouverts dans sa cavité, soit un sphacèle étendu des
i couches superficielles du poumon intéressant en même temps la mem-
Ibrane pleurale. C'est à cette dernière forme qu'appartiennent les cas
i décrits depuis longtemps déjà par Corbin dans son mémoire sur la gan-
:grène superficielle du poumon; du même ordre aussi sont sans doute une
■ observation présentée par Ilayem à la Société analomique (1874), celle
déjà citée de E. Besnier, celles de Bucquoy et d'autres encore; c'est, sui-
vant toute vraisemblance, une maladie du même genre qu'a présentée le
professeur D., et dont Millard a communiqué à la Société des hôpitaux
la si intéressante relation.
Pour bien marquer la distinction qui existe entre les cas où la gau-
244
PLÈVRE. — GANGIIOE.
grènc pulmonaire occupe les parties centrales du parenchyme pulmonaire
donnant lieu à tous les signes ordinaires de cette maladie, et ceux où elle
intéresse seulement les couches superficielles du poumon et en même
temps la plèvre, cas dans lesquels les signes de la gangrène sont très-
souvent masqués, Bucquoy a proposé de reconnaître deux formes à la
gangrène pulmonaire aiguë : la forme pneumonique et la forme pleuré-
tique, la première répondant à la gangrène profonde, la seconde à la gan-
grène superficielle.
Cette dernière forme, la seule que nous ayons ici en vue, est la gan-
grène corticale, la gangrène pleuro-pulmonaire, qui comprend l'immense
majorité des cas, sinon tous les cas attribués à la gangrène de la plèvre.
Ses caractères cliniques diffèrent souvent de ceux qu'on rencontre dans
la gangrène des parties profondes du poumon : d'abord la fétidité de l'ha-
leine et des crachats, qui a une si grande valeur diagnostique dans les
maladies gangreneuses du poumon, fait souvent défaut dans la forme qui
nous occupe, parce que le foyer gangreneux est ordinairement sans com-
munication avec les bronches, et même sans rapports avec elles ; en outre,
les signes de l'affection pulmonaire sont habituellement masqués par
ceux de la pleurésie concomitante. Cetle pleurésie est purulente et pré-
sente les symptômes propres à cette forme, qui ont déjà été étudiés ail-
leurs ; souvent il s'y ajoute un pneumothorax par rupture du foyer gan-
greneux du poumon dans la plèvre et dans les bronches; mais on ne
reconnaît que ce pyo-pneumothorax dépend d'une gangrène pleuro-pul-
monaire que lorsque, ayant pratiqué la thoracentèse ou l'empyème, on
est frappé de l'odeur gangreneuse du liquide évacué, ou mieux encore
lorsqu'il y a évacuation au dehors de lambeaux sphacélés du poumon,
comme cela a eu lieu chez le professeur D., ou lorsque survient la fétidité
de l'haleine et des crachats.
Ce n'est pas cependant que certains signes ne permettent, en dehors
même de ces circonstances, d'arriver au diagnostic : au premier rang de
ces signes se place, dès le commencement, une douleur de côté intense
et prolongée, d'une violence et d'une persistance inusitées dans la pleu-
résie ordinaire (Stokcs, Barth, Bucquoy) ; outre cette douleur, on note un
frisson intense et prolongé au début delà maladie, suivi d'une fièvre ordi-
nairement plus développée que dans la pleurésie simple, de la dyspnée,
une toux pénible, presque incessante, sans expectoration ou quelquefois
accompagnée d'hémoptysics. Bientôt apparaissent les signes physiques
d'un épanchement purulent dans la plèvre. Enfin de bonne heure, et ce
signe a une grande importance, l'étal général est mauvais; on observe
une profonde dépression des forces et une inappétence invincible.
La réunion des caractères précédents permet de soupçonner l'existence
de la gangrène pleuro-pulmonaire, mais encore ce diagnostic ne peut être
affirmé que si 1 on voit apparaître la fétidité particulière de l'haleine ejt
des crachats, indiquant la communication du foyer gangreneux ave.: les
bronches, ou si une ponction de la plèvre amène au dehors un liquide
d'odeur franchement gangreneuse.
PLÈVRE.
TUUERCULOSi:.
Les caractères anatomiques de la gangrène de la plèvre ont été parfai-
tement tracés par Laennec. À la surface de la membrane séreuse, on
t trouve des taches verdàtres ou noirâtres, de forme arrondie ou plus ou
i moins irrégulière. Les parties atteintes sont ramollies et tombent facile-
imcnt en détritus; elles exhalent l'odeur infecte et toute spéciale de la
L gangrène. L'étendue de ces lésions est très-variable : tantôt elles sont cir-
conscrites comme le foyer do gangrène pulmonaire auquel elles corres-
I pondent, tantôt elles peuvent occuper toute la surface d'un lobe pulmo-
inaire ou même davantage; quelquefois la plèvre est décollée dans une
. grande étendue et séparée du tissu du poumon par une nappe de détritus
jgangréné (pneumonie disséquante gangréneuse). Au-dessous de la plèvre
; ainsi altérée, on trouve le tiss,u sous-séreux œdématié et infiltré d'une
: sanie infecte, puis le parenchyme pulmonaire gangrené lui-même à une
] plus ou moins grande profondeur ; quand la plèvre pariétale est aussi
; atteinte, on trouve au-dessous d'elle les espaces intercostaux infiltrés de
produits putrides et noirâtres, les côtes dénudées et altérées. Dans la cavité
de la plèvre elle-même est un épancheménl purulent et sanieux, de cou-
leur grisâtre ou verdâtre, d'odeur gangréneuse, dans lequel nagent des
masses pseudo-membraneuses noirâtres et infectes, et souvent aussi des
i débris de parenchyme pulmonaire mortifié.
Les causes de la gangrène de la plèvre sont les mêmes que celles de la
: gangrène du poumon, dont la première est une dépendance. Quant à ces
gangrènes pleuro-pulmonaires aiguës dont nous venons de parler, elles
sont produites surtout par deux causes, qui sont l'exposition du corps à un
froid prolongé et intense et une violente contusion du thorax; la pre-
mière dê ces causes s'est montrée d'une façon très-évidente dans plusieurs
des observations rapportées par Bucquoy, la seconde parait très-probable
dans un fait cité par Jackson et dans l'observation déjà mentionnée de
Hayem.
La gangrène pleuro-pulmonaire a souvent une marche suraiguë qui la
rend promptement mortelle, et toute intervention thérapeutique reste
impuissante. Mais quelquefois les accidents ont une évolution plus lente,
et alors se présente une indication formelle : il faut pratiquer l'opération
de l'empyènic, qui permettra de faire de grands lavages et d'entraîner au
dehors les parties sphacélées de la plèvre et du poumon. Cette conduite a
déjà, dans mainte circonstance, donné de remarquables résultats : la gué-
rison du professeur D. peut être citée comme un des exemples les plus
convaincants des avantages qu'elle offre.
Nous n'insisterons pas davantage sur ce sujet : la gangrène de la plèvre
étant, comme nous venons de le voir, presque toujours, sinon toujours,
subordonnée à la gangrène pulmonaire, nous devons renvoyer pour de
plus amples détails à l'article où il sera traité de cette maladie [Voy. Pou-
mon (gangrène du)] ; notre objet a été seulement de faire voir quelle était
la part de la plèvre et de ses altérations dans les gangrènes superficielles
ou corticales du parenchyme pulmonaire.
3° Tuberculose. — Les maladies des plèvres sont des plus communes
246
PLfciYIU5> IL'IinilCLLOSE.
dans la tuberculose. Ces altérations sont de deux sortes : les unes, ayant
le caractère plus ou moins franchement inflammatoire, se montrent à
titre de complications ou d'épiphénomènes dans la phthisie pulmonaire;
les autres sont des manifestations directes de la tuberculose, indépen-
dantes de lésions des poumons.
Parmi les premières, nous trouvons les pleurésies sèches du sommet et
les pleurésies accidentelles développées chez les tuberculeux.
Les pleurésies sèches du sommet sont à peu près constantes dans la
tuberculose du poumon, à ce point que leur existence bien constatée con-
stitue une présomption puissante de phthisie pulmonaire, alors même
que celle-ci ne se traduit pas encore par des signes évidents : quand, en
effet, une pleurésie se montre ainsi partielle, limitée à une petite étendue
de la membrane séreuse, on sait qu'elle est presque toujours symptoma-
tique d'une altération des parties sous-jacentes du poumon, et quand
cette pleurésie partielle a son siège à la partie supérieure du thorax, lieu
d'élection du développement des tubercules, elle acquiert une valeur dia-
gnostique considérable et permet d'admettre l'existence très-probable
d'une tuberculisalion pulmonaire.
Les pleurésies accidentelles sont aussi très-communes chez les individus
tuberculeux ou disposés à le devenir : survenant dans ces conditions sous
l'influence des causes les plus légères, et même quelquefois sans cause
bien appréciable, elles se distinguent des pleurésies franches par plusieurs
caractères : leur début est souvent insidieux, le point de côté peu intense
ou nul, la fièvre inappréciable; la dyspnée seule appelle l'attention sur
l'appareil respiratoire et la recherche des signes physiques fait alors
reconnaître l'existence d'un épanchement; cet épanchement est souvent
presque séreux ou à peine fibrineux, quelquefois séro-purulent, il ac-
quiert dans mainte circonstance une abondance considérable ; la marche
de la maladie est lente et la résolution très-difficile à obtenir. Ces plcuié-
sies subaiguës ou chroniques, que l'on a encore appelées latentes en rai-
son du peu de développement des phénomènes réaclionnels, se rattachent
très-fréquemment à la tuberculose : tantôt on trouve, chez les malades
qui les présentent, des signes déjà évidents de phthisie pulmonaire, tantôt
elles sont suivies, à échéance plus ou moins éloignée, de l'apparition de
maladies manifestement tuberculeuses, et il est vraisemblable que dans
la plupart des cas elles sont elles-mêmes une première manifestation de
la maladie tuberculeuse dont l'évolution ne se continuera quelquefois que
beaucoup plus tard.
Il n'y a pas lieu d'insister ici davantage sur ces pleurésies dont il a déjà
été question à l'article Phthisie et à l'article Plettuésie; arrivons mainte-
nant à la tuberculose pleurale proprement dite. Celle-ci se montre dans
plusieurs conditions bien distinctes : tantôt elle accompagne la phthisie
pulmonaire dont elle constitue une lésion accessoire, tantôt elle se
montre comme détermination locale d'une tuberculose qui affecte primi-
tivement les membranes séreuses et, dans ce cas, elle évolue sous la
forme aiguë ou sous la forme chronique.
PLÈVRE. TUBE11CUL0SE. 247
La première des formes de tuberculisation pleurale que nous venons
d'indiquer accompagne la phthisie pulmonaire et paraît lui être étroite-
ment subordonnée, ainsi queVillemain et Lépinc l'ont parfaitement étaidi :
dans les parties de la plèvre correspondantes à des lésions tuberculeuses
du poumon, on trouve d'abord des granulations tuberculeuses sur le
feuillet viscéral, mais en outre on observe sur le feuillet pariétal des gra-
nulations grises répondant exactement aux lésions du feuillet opposé;
enlin, on en rencontre encore qui sont disséminées en d'autres points,
notamment au pourtour du foliole fibreux du diaphragme, véritable lieu
d'élection pour ces productions secondaires (Lépine). Cette disposi tion des
lésions tuberculeuses de la plèvre est un des exemples les plus frappants
de ce qu'on a appelé l'infection de voisinage et un des arguments les plus
puissants en faveur de la propriété infectieuse des produits tuberculeux
qui, d'un foyer initial, se propageraient ainsi de proche en proche. Nous
n'insisterons pas davantage sur cette question qui a déjà été complète-
ment exposée ailleurs (Foi/, art. Phthisie, t. XXVII, p. 271).
La tuberculose aiguë de la plèvre est une des manifestations les plus
communes de la phthisie aiguë; parmi les différentes formes que peut
revêtir cette dernière maladie, et qui ont été si bien décrites et reliées
entre elles par Empis, une des plus fréquentes est celle qui affecte les
membranes séreuses, notamment les plèvres et le péritoine : tantôt ces
deux membranes sont prises isolément, tantôt, et plus souvent peut-être,
elles sont affectées simultanément, et quelquefois les méninges avec elles :
de là un complexus morbide très-spécial et très-caractéristique, dans
lequel, aux phénomènes généraux communs à toutes les formes de
phthisie aiguë, se joignent les caractères propres d'une péritonite et ceux
d'une pleurésie ordinairement double, quelquefois aussi ceux d'une mé-
ningite. L'étude de cette forme importante a été aussi faite avec détails
dans l'article Phthisie (Voy. Phthisie aiguë pleurale, t. XXVII, p. 555),
nous ne pouvons qu'y renvoyer le lecteur, et il ne nous reste à étudier
que la forme chronique de la maladie.
La tuberculisation chronique des plèvres, phthisie pleurale de quelques
auteurs, a été indiquée par Laenncc dans ses traits les plus généraux;
elle semble, depuis, avoir été presque négligée par la plupart des patho-
logistes; mais elle a été parfaitement décrite par Barthez et Rilliet qui,
dans leur excellent traité des maladies des enfants, lui ont consacré un
important article auquel nous emprunterons la plupart des détails qui
vont suivre.
Beaucoup plus commune chez les enfants que chez les adultes, la
pblbisic pleurale se montre avec ses caractères les plus accusés chez les
enfants de trois à dix ans.
Les tubercules peuvent se développer sur la face interne de la plèvre
(t. intra-séreux) ou sur sa face externe (t. extra-séreux). Les tubercules
intra-sereux, qu'on observe presque toujours dans celte forme chronique
de la tuberculose à l'état de granulation jaune, sont ordinairement accom-
pagnes de dépôts pseudo-membraneux inflammatoires qui les entourent
248 PLÈVRE. — tuiu.jicui.ose.
et les réunissent entre eux. Souvent on voit à la surface de la plèvre une
fausse membrane stratifiée ayant jusqu'à 2 ou 3 millimètres d'épaisseur;
chaque couche contient un plus ou moins grand nombre de granula-
tions, et celles-ci forment, en outre, une couche adhérente à la plèvre. La
membrane séreuse elle-même, au-dessous de ces granulations, est ordi-
nairement peu altérée ou ne présente que les caractères d'une inflamma-
tion peu intense.
On s'est demandé si l'inflammation était secondaire au développemen
du tubercule, ou si, au contraire, celui-ci se produisait consécutivement
dans les fausses membranes : on doit admettre, avec Barthez et Rilliet,
que le plus souvent les tubercules précèdent les fausses membranes et
paraissent provoquer leur développement par l'inflammation qu'ils déter-
minent; en effet, on trouve souvent des granulations tuberculeuses sans
produits inflammatoires, et, d'autre part, nous venons de voir que; sous
les fausses membranes, dans les parties immédiatement adjacentes à la
plèvre, et par conséquent les plus récemment formées, on trouve une
couche de granulations adhérente à la plèvre et non englobée de fausses
membranes. D'autres fois, les tubercules semblent se développer, non pas
dans des fausses membranes, mais dans des néo-membranes vascularisées
résultant d'une pleurésie antérieure.
Souvent la plèvre est occupée par de larges plaques tuberculeuses qui
tapissent une grande partie de son étendue; ces plaques occupent ordi-
nairement la partie postérieure, quelquefois elles enveloppent tout le pou-
mon et lui forment une espèce de coque. ; leur épaisseur varie de 1 à 4
millimètres, quelquefois jusqu'à 7 millimètres.
Ces tubercules ou les plaques qu'ils forment subissent rapidement,
comme tous les produits tuberculeux, la dégénération graisseuse, et le
plus souvent on les observe à l'état caséeux, mais ayant conservé presque
toujours une consistance ferme : Barthez et Rilliet, comme Laennec,
déclarent qu'ils ne les ont jamais vus ramollis ni ayant formé des cavernes
dans l'intérieur de la plèvre, ni accompagnés de perforation de la mem-
brane séreuse.
Quant aux tubercules extra-pleuraux (il n'est question ici que de ceux
qui se développent sous la plèvre costale, ceux qui sont sous la plèvre
viscérale étant en réalité des tubercules pulmonaires), ils sont tantôt
isolés, tantôt agglomérés, pouvant former aussi des plaques ordinaire-
ment moins étendues que celles qui se développent à la face interne do la
plèvre. Ces produits suivent une évolution analogue à celle des tubercules
pulmonaires : après avoir subi la dégénération casécuse, ils se ramollis-
sent et sont quelquefois évacués par les bronches à travers les deux feuil-
lets de la plèvre et le poumon perforés. Barthez et Rilliet ont vu les
cavernes résultant de la fonte de tubercules sous-pleuraux communiquer
)vec des cavernes pulmonaires par de larges perforations de la plèvre;
celle-ci est dans ces cas le siégé d'adhérences qui empêchent les détritus
caséeux de tomber dans sa cavité. Les mêmes auteurs ont vu les ganglions
bronchiques devenus tuberculeux s'unir aux masses pulmonaires qui.
PLÈVRE. TUBERCOLOsf .
249
de l'autre côté, confinaient aux tuberculeux pleuraux ou extra-pleu-
raux.
La phthisie pleurale a ordinairement un début insidieux et obscur; elle
ne peut guère être reconnue avant que les tubercules agglomérés ne for-
ment des plaques étendues, et encore les symptômes auxquels elle donne
lieu sont-ils souvent masqués ou modifiés par ceux d'une tuberculose pul-
monaire concomitante. La maladie est caractérisée surtout par des signes
physiques qui permettent de déterminer le siège particulier des lésions
dans la plèvre; voici ceux que Rilliet et Barthez ont spécialement relevés
dans les cas où la maladie était simple, dégagée de lésions du poumon.
La percussion fait constater une diminution du son sans matilé absolue;
à l'auscultation, on perçoit une faiblesse du bruit respiratoire, pas de
souffle bronchique, quelquefois du retentissement de la voix sans égo-
phonie; ces symptômes sont toujours plus prononcés en arrière qu'en
avant et ne se modifient pas dans les changements de position du malade.
Les vibrations thoraciques sont affaiblies ou complètement supprimées.
L'inspection de la poitrine et la mensuration dénotent une dépression
du côté malade, quelquefois précédée d'une augmentation. A ces signes
physiques s'ajoutent quelques troubles fonctionnels, une dyspnée ordi-
nairement peu intense, peu de douleurs dans la paroi thoracique, une
toux sans expectoration ; dans un cas, Barthez et Rilliet ont observé une
vomique due à l'ouverture dans les bronches d'une caverne extra-pleurale.
Les symptômes généraux sont ceux des maladies tuberculeuses : amai-
grissement, fièvre rémittente moins développée que dans la phthisie
pulmonaire, sueurs nocturnes.
La marche de la maladie est habituellement lente et progressive, à
moins qu'elle ne soit accélérée par le développement d'autres maladies
tuberculeuses ou par quelque complication aiguë; comme la plupart des
tuberculeux, les malades atteints de phthisie pleurale finissent par suc-
comber dans la fièvre hectique et le marasme.
Le diagnostic de la tuberculose pleurale présente souvent les plus
grandes difficultés, et l'on est particulièrement exposé à la confondre avec
la pleurésie chronique et avec la pleurésie purulente, surtout si celles-ci
se sont développées chez un sujet tuberculeux. On trouve, par exemple,
dans l'excellente thèse de Verliac, plusieurs observations prises dans le
service de Barthez où l'on voit que les examens les plus minutieux n'ont
pas permis de distinguer ces maladies diverses, et que, dans maintes cir-
constances, les phénomènes observés ne pouvaient guère faire éviter les
erreurs qui ont été commises. Les signes physiques peuvent, en effet, être
les mêmes dans ces différents cas, ils permettent bien d'établir l'existence
d'un épanchement ou de produits accumulés dans la plèvre, mais souvent
ils sont impuissants à en indiquer la nature; quant aux phénomènes
généraux, amaigrissement, fièvre hectique avec sueurs nocturnes abon-
dantes dans le cas de tuberculose, plutôt pâleur et bouffissure de la face,
frissons irréguliers, inappétence invincible dans le cas de pleurésie puru-
lente, tout en ayant une réelle valeur diagnostique, ils sont pourtant
250 PLÈVRE. — carcikose.
d'ordinaire insuffisants pour donner une certitude, et nombreux sont les
cas où la thoracentèse seule peut lever tous les doutes et permettre
d'écarter le soupçon d'un épanchement liquide.
4° Caiicinose. — Le cancer de la plèvre n'est pas très-rare, mais il ré-
sulte ordinairement de l'extension d'un cancer du poumon, du médiastin
ou même des organes abdominaux, ou bien il se rattache à une carcinose
généralisée qui, après avoir occupé un organe, l'estomac ou l'intestin, par
exemple, envahit ensuite plusieurs viscères ou les membranes séreuses.
Dans ces conditions, la plèvre n'est affectée que secondairement et souvent
même accessoirement.
Existe-t-il un cancer primitif de la plèvre? La plupart des auteurs ré-
pondent par la négative: et cependant quelques observations récentes
semblent établir la réalité de cette affection. Ainsi Lépinea communiqué,
en 1869, à la Société anatomique un cas très-curieux de carcinome pri-
mitif de la plèvre chez un enfant de dix ans : la cavité pleurale droite
avait presque complètement disparu ; elle était occupée par une masse
■d'un tissu dur, blanc, squirrheux, étalée en plaques, adhérant intimement
à la paroi thoracique. Cette masse, qui avait plusieurs millimètres d'épais-
seur, fusionnait ensemble les deux feuillets pleuraux, excepté en quelques
points où les deux feuillets étaient séparés par une lame mince d'un tissu
aréolaire, et à la base en arrière où il existait une loge du volume de deux
œufs de poule environ, pleine d'un liquide sanguinolent. Le poumon était
réduit à un volume qui ne dépassait guère celui du poing d'un adulte;
en divers endroits, des noyaux, intimement unis aux plaques squirrheuses
de la plèvre, pénétraient dans le tissu pulmonaire; ils étaient mal cir-
conscrits et semblaient se propager le long des cloisons interlobaires et
interlobulaires de l'organe. Dans la cavité pleurale gauche existaient quel-
ques noyaux isolés de volume variable, n'atteignant pas en général celui
d'une noix : la cavité elle-même était remplie d'une sérosité abondante
fortement colorée en rouge. Un épanchement semblable existait dans le
péricarde, qui à droite était perforé par le tissu morbide; celui-ci formait
à la surface du feuillet pariétal de larges plaques végétantes multiples
embrassant les vaisseaux de la base du cœur et ayant même perforé la veine
cave supérieure près de son embouchure dans l'oreillette. Les ganglions
bronchiques, surtoutdu côté droit, étaient dégénérés. A la face inférieure du
diaphragme on remarquait aussi quelques végétations ayant perforé le
muscle. « L'examen microscopique, ajoute Lépine, a démontré dans le
tissu morbide la structure du carcinome (alvéoles très-nets, renfermant
des cellules de formes variables). 11 s'agit bien, dans ce cas, d'un carci-
nome primitif de la plèvre ; l'autopsie faite minutieusement permet d'af-
firmer qu'il n'existait nulle part ailleurs de cancer. » Quant aux accidents
présentés pendant la vie et dans le détail desquels nous ne pouvons en-
trer, ils ont surtout consisté en une oppression progressive avec toux ;
perte de l'appétit sans fièvre ; l'examen physique de la poitrine indiquai! Je
la maLité à la percussion, à l'auscultation abolition du murmure vésiculairc
de la respiration rude, légèrement souffrante et à timbre un peu creux;
PLÈVRE. — carcikose. 251
voussure el mobilité moindre du côté malade. L'évolution de la maladie
l'ut rapide, la mort arriva trois ou quatre mois après le début des accidents.
Cette remarquable observation montre le cancer de la plèvre isolé, in-
dépendant de toute manifestation cancéreuse dans un autre organe qu'on
puisse considérer comme le point de départ de l'affection pleurale.
Les Bulletins de la Société analomique contiennent encore une observa-
tion de Darolles (1874), présentée comme un exemple de cancer primitif
de la plèvre propagé au poumon et accompagné de généralisation; cette
observation est un bel exemple de carcinome pleural, analogue, au point
de vue anatomique, à celui de Lépine ; mais l'existence de plusieurs
lésions cancéreuses dans d'autres parties du corps et notamment dans
tout un lobe du poumon ne semble pas permettre d'affirmer que le car-
cinome pleural ait été primitif.
D'autres observations reproduisent bien les caractères du cancer de la
plèvre, mais on trouve en même temps du cancer dans d'autres organes,
ou bien on ne mentionne pas que ces organes étaient sains ; il en est ainsi
des observations rassemblées par Àrnault de la Ménardière dans sa
thèse sur les manifestations cancéreuses de la plèvre et empruntées à
Àndral, à Vidal, à Lebert. Arnault de la Ménardière rapporte lui-même
un cas très-intéressant, observé dans le service de Desnos, où il s'agit
d'un fibro-sarcome de la plèvre ; mais dans ce fait encore on trouve
deux tumeurs de même nature développées, l'une à l'épaule, l'autre à la
cuisse, et ces deux tumeurs étaient certainement bien antérieures dans
leur développement à l'affection pleurale.
Ainsi, tout en admettant l'existence du cancer primitif de la plèvre,
on doit le tenir pour très-exceptionnel ; il est fréquent, au contraire, que
le carcinome pleural résulte de l'extension de proche en proche, ou de
la propagation à distance d'un cancer du poumon, du médiastin, du sein,
quelquefois et plus rarement d'un cancer des organes abdominaux. Dans
ces cas, le carcinome secondaire reproduit les caractères anatomiques de
la lésion primitive : on y observe l'cncéphaloïde, le squirrhe, le cancer
colloïde, le mélanique, ou encore le fibro-sarcome comme dans le cas de
Desnos mentionné tout à l'heure.
Lorsque le cancer pleural résulte de l'envahissement de la plèvre
par un cancer des organes voisins, la lésion est souvent très-étendue,
formant des masses dans lesquelles il est difficile de faire la part de ce
qui appartient à la membrane séreuse. Plus souvent, le cancer secondaire
paraît plus ou moins indépendant de la tumeur primitive, et se présente
sous la forme de noyaux disséminés à la surface de l'un ou de l'autre des
deux feuillets pleuraux. Voici, par exemple, la disposition qu'on observe
le plus communément, dans les cas de carcinome pleural consécutif au
cancer du sein : un ou deux ilôts cancéreux viennent faire saillie sur la
plèvre costale, au niveau de la région mammaire, cl un certain nombre
d'îlots cancéreux se trouvent disséminés à la surface de la plèvre pulmo-
naire, et cela sans adhérences entre les feuillets des plèvres. Il paraît
démontré aujourd'hui que cette propagation à dislance se ferait par l'in-
252 PLÈVRE. — caucino.se.
termédiaire du système lymphatique : en effet, les vaisseaux lymphati-
ques sont eux-mêmes envahis par la dégénérescence, et on les voit, parti-
culièrement à la surface de la plèvre pulmonaire , sous l'aspect de
cordons blanchâtres disposés en réseaux; on sait, d'autre part, que les
cavités séreuses sont elles-mêmes considérées aujourd'hui comme des
cavités lymphatiques qui peuvent, exactement comme les vaisseaux, ser-
vir de voies de généralisation du cancer (Virchow, Charcol, Lépine,
Debove, Cornil et Ranvier, Troisier). En somme, il s'agirait là d'une pro-
pagation du cancer par une infection de voisinage analogue à celle que
nous avons indiquée plus haut pour la propagation de la tuberculose.
Les caractères anatomiques de l'affection cancéreuse de la plèvre dif-
fèrent suivant les diverses conditions de développement que nous venons
d'indiquer et suivant l'espèce de cancer dont il s'agit : dans le squirrhe,
ce sont ou bien des plaques étalées, dures, d'aspect lardacé, ou bien des
noyaux disséminés, déchiquetés sur leurs bords ou arrondis, sous forme
de petites granulations ou de masses lenticulaires plus volumineuses,
aplaties, ressemblant à des gouttes de cire enchâssées dans la membrane
séreuse ; dans l'encéphaloïde, ce sont tantôt des sortes de champignons
plus ou moins gros, formant des masses bombées, souvent déprimées
et comme ombiliquées à leur centre, tantôt une matière pulpeuse
informe formée par l'agglomération d'un grand nombre de végétations
cancéreuses et remplissant la totalité ou la plus grande partie de la cavité
pleurale ; dans le cancer colloïde, c'est une matière grisâtre et gélatini-
forme infiltrant la plèvre ou sa cavité dans une plus ou moins grande
étendue; dan.s le fibro-sarcôme enfin, c'est un tissu d'apparence fibreuse,
blanc, résistant, ne se laissant pas déchirer et criant sous le scalpel.
Ces productions cancéreuses sont en général très-vasculaires, surtout
dans l'encéphaloïde où les tumeurs sont rougeàtres et même violacées ;
les vaisseaux de nouvelle formation qui les parcourent sont très-fragiles,
ce qui explique la fréquence des hémorrhagies interstitielles et des épan-
chements sanguins. La cavité pleurale, quand elle n'est pas remplie par
les masses cancéreuses, contient un liquide louche, très-souvent sangui-
nolent. Les ganglions bronchiques participent à la dégénérescence, et
quelquefois celle-ci s'étend jusqu'aux ganglions cervicaux, dont l'altération
a une grande valeur au point de vue du diagnostic.
Les symptômes du carcinome pleural sont très-souvent obscurs. La
maladie passe inaperçue et n'est reconnue qu'à l'autopsie, quand elle
consiste seulement en quelques noyaux cancéreux disséminés à la surface
de la plèvre et qu'il n'y a pas d'épanchement notable de l.i plèvre ; mais
elle peut quelquefois être reconnue, lorsque des troubles respiratoires et
des signes d'une affection de la plèvre surviennent chez un individu
antérieurement atteint d'une affection cancéreuse, notamment d'un
cancer du sein, ou soupçonné d'un cancer du poumon. Les troubles
fonctionnels qui feront surtout soupçonner l'envahissement de la plèvre
sont des douleurs de côté fixes et persistantes occupant quelquefois plu-
sieurs espaces intercostaux, douleurs qui résultent de la compression des
PLÈVRE; — cafici.nose. 255
nerfs intercostaux ; une toux plus ou moins fréquente, sèche ou sans
expectoration caractéristique (sauf le cas de cancer du poumon), et une
dyspnée souvent progressive. Les signes physiques pourront alors démon-
trer l'existence de lésions pleurales : matité dans une étendue plus ou
moins considérable, diminution ou abolition du bruit pulmonaire,
souffle à timbre creux ou tubo-caverneux, frottements persistants en
quelques points déterminés, diminution des vibrations thoraciques,
voussures, immobilité d'un côté de la poitrine, etc., souvent signes con-
comitants d'un épanchement liquide plus ou moins abondant. Une
analyse attentive de ces divers signes permettra quelquefois de recon-
naître qu'il ne s'agit pas d'une pleurésie ordinaire; mais ce sont surtout
l'existence d'une cachexie confirmée et la connaissance des antécédents,
de l'existence antérieure d'un cancer dans un autre organe, qui indique-
ront la voie au diagnostic. Si à ces caractères se joint la présence bien
onstatée de ganglions malades dans la région sus-claviculaire ; si une
onction de la poitrine vient établir que l'épanchement pleural est
émorrhagique, on arrivera alors à de grandes probabilités. Ce dernier
hénomène, épanchement sanguin, sans avoir la valeur absolue qu'on
lui a quelquefois attribuée, n'en a pas moins une grande signification et
devra au moins donner l'éveil sur la possibilité d'un cancer de la
plèvre.
Pourra-t-on reconnaître un cancer primitif de la plèvre? Dans le cas
rapporté par Darollcs et mentionné plus haut, le diagnostic a été établi
n s'appuyant notamment sur l'existence d'une toux sèche et quinteuse,
e névralgies intercostales persistantes et rebelles à tout traitement, sur
a constatation de tumeurs ganglionnaires qui soulevaient la région sus-
laviculaire, sur des signes physiques qui dénotaient une affection pleuro-
ulmonaire, enfin sur les caractères manifestes de la cachexie cancéreuse,
lais il ne faut pas moins que tous ces caractères réunis pour conduire
un diagnostic qui devra, dans ces circonstances, être toujours très-
éservé.
L'évolution du cancer de la plèvre paraît assez lente; difficile à indi-
uer pour les cancers secondaires dont le début est très-insidieux, elle
araît s'être accomplie en quelques mois dans les cas considérés comme
es exemples de carcinome primitif.
Le traitement n'est malheureusement que palliatif; la thoracentèse
eut être rendue nécessaire par l'existence d'un épanchement abondant,
ais celui-ci se reproduit le plus souvent et l'on est obligé de répéter
'opération pour prolonger les jours du malade.
Nous ne ferons que signaler ici la carcinose miliaire aiguë (Hermann
emme, Metlcnheimer, Beylard, Charcol et Vulpian, Ilérard et Cornil.
aporte), qui est, pour l'affection cancéreuse, l'analogue de la tubercu-
ose granuleuse aiguë pour l'affection tuberculeuse. Rarement primitive,
le plus souvent secondaire, survenant chez un individu déjà atteint de
cancer, cette forme aiguë de la carcinose est caractérisée anatomiquement
par la présence de granulations grisâtres ou rougcàtrcs présentant le
'254 l'LKVKK. — ri mi.uhs.
plus souvent lus attributs du cancer encéphaloïdc; ces granulations, dis-
séminées dans un grand nombre de viscères et dans les membranes
séreuses, envaliisscnt quelquefois presque exclusivement les plèvres et le
péritoine (carcinosc miliaire aiguë séreuse) sous la l'orme d'une sorte
d'éruption miliaire plus ou moins abondante, accompagnée d'unépanche-
ment séreux ou sanguinolent; le microscope seul permet de distinguer
les granulations cancéreuses des granulations tuberculeuses. L'évolution
clinique de cette affection est, comme les lésions anatomiques, analogue
à celle de la tuberculose aiguë ; les symptômes sont les mêmes, fièvre,
prostration, étal typhoïde. ; dyspnée, signes d'épanchement dans les deux
plèvres, quelquefois bémoptysies liées au développement de granulations
cancéreuses dans les poumons, etc. Les malades s'affaiblissent rapidement
et la mort arrive dans l'état adynamique le plus prononcé. Le diagnostic
ne peut guère être établi que sur l'existence antérieure d'un cancer dans
quelque autre organe de l'économie.
5° Tumeup.s diverses, HYDATiDES. — La plèvre peut être le siège de tu-
meurs variées que nous ne ferons que mentionner, d'abord parce que ce
sont des raretés pathologiques, en second lieu parce qu'elles ne sont pas
spéciales à la plèvre et qu'on peut les rencontrer aussi bien dans les autres
cavités séreuses, enfin parce qu'elles n'ont guère de caractères cliniques
qui permettent d'en .reconnaître l'existence pendant la vie et qu'on les
découvre seulement à l'autopsie sans que le plus souvent on ait soupçonné
leur présence. Ainsi on a observé des sarcomes, des fibro-sareômes dont
nous avons déjà signalé un exemple dans l'article précédent, des épi-
théliômes, des lymphômes ; dans bon nombre de cas ces tumeurs ne sont
pas bornées à la plèvre, on en trouve en même temps dans d'autres or-
ganes, et cette dernière circonstance pourrait peut-être quelquefois per-
mettre un diagnostic, si l'on reconnaissait, en même temps que d'autres
tumeurs dont la nature aurait été déterminée, la présence dans la plèvre
d'une tumeur souvent accompagnée d'un épanchement.
D'autres tumeurs de la plèvre se rattachent plus ou moins directement
à la pleurésie chronique: tels sont les fibromes qu'on rencontre, soit sous
forme de noyaux lenticulaires aplatis ou de petites masses ramifiées, soit
en plaques plus ou moins étendues, les jjroducl 'ions carlilaginiformes ou
ossiformes qui ne sont pas très-rares; ces dernières forment quelquefois
des plaques étalées et assez étendues au milieu de néomembranes qui
couvrent la plèvre. Laboulbène en a cité un bel exemple, les Bulletins de
la Société analomique en contiennent plusieurs observations, et j'en ai
observé moi-même un cas remarquable chez un malade atteint de pleu-
résie chronique : la plèvre pariétale était couverte de néomembranes
épaisses et celles-ci contenaient, dans toute la hauteur de la gouttière
costo-vertébrale, une plaque ossiforme dont les dimensions, l'épaisseur et
la forme, représentaient à peu près un sternum.
On a rencontré encore des angiomes, des lipomes situés sur la plèvre
costale ou au-dessous d'elle (Rokilansky), enfin des kystes séreux et
même un kyste dermoïde (Buchner, cité par Laboulbène). Parmi ces tu-
PLÈVRE. — HïDATiitEs. 255
meurs, nous distinguerons seulement les kystes hydatiques dont nous di-
rons quelques mots.
Les hydalides de la plèvre ont été étudiées récemment encore par
Hearn dans sa thèse sur les kystes hydatiques du poumon et de la plèvre,
mémoire consciencieux et remarquable qui, sur ce point particulier, a
ajouté aux recherches antérieures de Yigla et même aux importants tra-
vaux de Davaine. Elles sont assurément rares, et plusieurs auteurs pen-
sent que l'on a plusieurs fois considéré comme des hydatides pleurales
des kystes du poumon ou des hydatides tombées du poumon dans la cavité
pleurale (Davaine, Trousseau); cependant Hearn a pu en rassembler 15
exemples dont plusieurs très-probants, sur 75 cas de kystes intra-thora-
ciques dans lesquels le siège de la maladie est assez exactement indi-
qué. Elles sont situées tantôt dans la plèvre elle-même, tantôt dans le
tissu sous-séreux, entre la plèvre pariétale et la paroi thoracique.
Les hydatides développées primitivement dans la cavité pleurale pré-
sentent ce caractère anatomique particulier qu'elles sont dépourvues de
poche adventice (Davaine). Dans la plupart des observations suivies d'au-
topsie, on voit que la tumeur est constituée par une poche volumineuse
remplissant souvent la plus grande partie ou même la totalité de la cavité
de la plèvre; les parois de cette poche sont formées par une membrane
transparente ou légèrement opaline et blanchâtre, composée de plusieurs
feuillets minces superposés : sa face externe est quelquefois adhérente à
la plèvre pariétale ou à la plèvre viscérale, mais il n'est ordinairement pas
diflicile de l'en détacher; sa face interne est hérissée de petites granula-
tions sessiles ou pédiculées, qui sont des échinocoques, ou de vésicules
qui ne sont autre chose que des hydatides filles appendues à la poche
principale. Dans l'intérieur du kyste, on trouve un liquide limpide,
hyalin, quand la maladie est récente et que les parasites qui la consti-
tuent sont encore vivants, plus tard louche et trouble, se translormant à
la longue en une masse consistante ressemblant à du mastic ou à du fro-
mage, en même temps que les parois deviennent plus épaisses et prennent
une apparence fibreuse. Tous ces caractères n'ont rien de spécial aux
hydatides pleurales, on les retrouve dans les tumeurs hydatiques de tous
les autres organes, mais ici la poche parasitaire n'est pas entourée par
une membrane adventice, ainsi que nous l'avons dit tout à l'heure ; on
trouve seulement autour d'elle quelques traces de pleurésie, souvent
d'ailleurs peu accusées et consistant en adhérences qui réunissent les
parois du kyste aux feuillets de la plèvre, en une petite quantité d'exsu-
dat gélatineux ou en quelques fausses membranes. Quand les kystes hyda-
tiques de la plèvre sont très-volumineux, ils produisent sur les organes
voisins des effets de compression tout à fait analogues à ceux que déter-
minent les grands épanchements pleurétiques : le poumon est refoulé,
les côtes sont écartées en dehors, le diaphragme est abaissé, enfin le
cœur et les organes contenus dans le médiastin peuvent être eux-mêmes
comprimés et déplacés en divers sens.
Le début des kystes de la plèvre est souvent obscur, ce qui s'explique
256 PLÈVBEj — urawmi
par l'absence de troubles fonctionnels appréciables, tant que la tumeur
n'exerce pas encore de compression sensible sur les organes voisins, et
par la tolérance de la plèvre elle-même qui est à peine irritée par le
développement des bydatides dans son intérieur. Quoi qu'il en soit, les
symptômes auxquels tôt ou tard ces kystes donnent naissance sont la
douleur, la dyspnée et la toux. La douleur occupe précisément les points
où siège le kyste et de là elle présente des irradiations diverses; une fois
développée, elle persiste avec ténacité pendant toute la durée de la mala-
die : cette persistance de la douleur est même un caractère important
dont il faut tenir grand compte dans le diagnostic, et qui distingue les
kystes inlra-llioraciques des épanebements pleurétiques enkystés, dans
lesquels la douleur est un phénomène initial et de courte durée (Vigla).
La dyspnée paraît [subordonnée, d'une part, à la douleur qui entrave
instinctivement les excursions tboraciques, d'autre part, à la compres-
sion mécanique du poumon et à la diminution du champ respiratoire qui
en résulte, aussi cette dyspnée augmenle-t-elle progressivement avec le
volume de la tumeur. La toux est quelquefois signalée, toutefois plus
rarement que dans les kystes hydatiques du poumon ; en outre, contrai-
rement à ce qui a lieu dans ces derniers, la toux reste sèche dans les
kystes de la plèvre et surtout il ne survient pas d'hémoptysies (Hearn).
Quant aux symptômes généraux, ils sont habituellement peu prononcés :
la maladie a, en somme, peu de retentissement sur l'ensemble de l'éco-
nomie, et les seuls troubles fonctionnels qu'elle entraîne sont dus au
siège de la tumeur et aux effets qu'elle exerce sur les organes du voi-
sinage.
Les signes physiques ont naturellement une grande valeur pour le dia-
gnostic d'une tumeur liquide intra-pleurale, et, malgré les analogies
nombreuses qu'ils ont avec ceux des épanchements pleurétiques enkystés,
et surtout avec ceux des hydatides du poumon, ils offrent cependant
quelques particularités qui les distinguent et peuvent quelquefois permet-
tre de reconnaître la nature de la maladie.
Quand le kyste hydatique a acquis un certain volume et qu'il s'accuse
déjà par des douleurs et une dyspnée plus ou moins intense, il donne
lieu quelquefois à une dilatation du tborax et à une voussure dont le
siège correspond précisément à celui de la tumeur. Si cette voussure
n'est pas constante, c'est qu'en réalité le poumon cède plus facilement
à la compression que la paroi thoracique ; mais, quand elle existe, la
voussure devient un signe diagnostique de la plus grande valeur en rai-
son de son siège et de sa forme : en effet, d'une part elle n'occupe pas
forcément la base de la poitrine, comme dans les épanchemenls pleuré-
tiques ; d'autre part, elle peut encore se distinguer par sa forme globu-
leuse, ainsi que Trousseau l'a bien fait ressortir: lorsque la dilatation
thoracique, au lieu d'être uniforme comme cela est ordinaire dans la
pleurésie, est, au contraire, parfaitement circonscrite et globuleuse, cette
l'orme particulière est plutôt l'indice d'un kyste que d'un épanchemenl,
et Trousseau rapporte plusieurs exemples dans lesquels ce signe a pu
PLÈVRE. — uïdatides. t2:.7
déterminer le diagnostic. En même temps que la voussure, on constate
ordinairement une immobilité du lliorax, ou au moins une diminution des
excursions respiratoires du côté correspondant à la tumeur.
Les vibrations thoraciques sont diminuées ou même totalement abolies
au niveau du kyste. La percussion donne une matité souvent complète,
absolue dans toute l'étendue de la tumeur. La palpation et la percussion
semblent donc fournir des résultats identiques à ceux qu'on rencontre
dans les épanclicnienls pleurétiques enkystés; cependant, ici encore, l'éten-
due et le siège dans lesquels on percevra ces signes pourront éclairer
le diagnostic : si l'on arrive à limiter par ces moyens une tumeur enkystée
nettement globuleuse, n'ayant pas le siège ni la forme, si bien détermi-
nées d'ordinaire, des épancbements pleurétiques, on pourra soupçonner
l'existence d'une maladie autre que la pleurésie et penser à un kyste.
Quant à l'auscultation, les signes qu'elle fournit, tels que absence de
bruit respiratoire, souille voilé, quelquefois souille pseudo-cavitaire, ils
ressemblent tellement à ceux que l'on trouve dans la pleurésie, que, saut
encore leur siège et leur forme dans quelques cas particuliers, ils n'ajou-
tent que peu de renseignements à ceux que donnent les autres moyens
d'exploration.
On voit, d'après ce qui précède, de quelles difficultés, souvent insur-
montables, est entouré le diagnostic des kystes bydatiques des plèvres,
difficultés encore accrues lorsque ces kystes sont accompagnés d'un épan-
ebement pleurélique concomitant, ce qui est loin d être rare. Aussi ne
reconnail-on luibituellemcnt la maladie que lorsque se produit spontané-
ment l'ouverture du kyste dans les bronches : ou voit alors survenir,
comme par une sorte de vomi que, une expectoration abondante; le ma-
lade rend, dans des quintes de toux, un Ilot de liquide transparent et clair
ou déjà altéré, d'un goût salé très-prononcé, dans lequel le microscope
permet de constater la présence d'éehinocoqucs ou au moins de crochets.
Cette expectoration hydatique constitue un signe vraiment pathognomo-
nique de l'existence d'un kyste intra-thoracique ; il reste à déterminer
quel est le véritable siège du kyste, si c'est la plèvre, le poumon ou même
le foie; mais nous n'insisterons pas davantage sur ce diagnostic, qui
trouvera mieux sa place à l'occasion des hydatides du poumon.
La marche des kystes hydaliqucs de la plèvre est le plus habituelle-
ment lente, leur durée se compte au moins par plusieurs mois.
La maladie est certainement très-grave et comporte un pronostic très-
sérieux; cependant les kystes de la plèvre peuvent être tenus pour beau-
coup moins graves que les kystes pulmonaires, parce que leur situation
les dispose plus favorablement à l'action thérapeutique (llearn). La gué-
rison spontanée ne parait pas d'ailleurs impossible : on a vu des kystes
intra-lhoraciques guérir après l'évacuation spontanée de leur contenu
par les bronches et même par la paroi thoracique. Mais il ne faudrait pas
trop compler sur cette terminaison favorable : outre que l'évacuation des
kystes par les bronches a plusieurs fois amené l'asphyxie et une morl
rapide, résultant de l'obstruction brusque de ces conduits par des débris
NOCV. DICT. M Kl, kt cmr.. XXY11!. |7
2S8 PLÈVIIE. — MALADIES SIXONDAIIIKS.
d'toydaftides, on a vu plus souvent encore survenir, dans ces conditions,
un pneumothorax, et cette complication est elle-même une des plus dan-
gereuses, car elle peut entraîner aussi une mort rapide par asphyxie
ou bien amener une suppuration de la plèvre, et par conséquent tous
les dangers de la pleurésie purulente. Les kystes de la plèvre ont quel-
quefois aussi causé la mort par une asphyxie progressive, lorsque la ma-
ladie abandonnée à elle-même a acquis un développement considérable
et capable de supprimer complètement les fonctions d'un des poumons.
Heureusement la thérapeutique n'est pas désarmée en face des accidents
si graves et des complications qu'entraînent les kystes des plèvres : si l'on
reconnaît la maladie avant l'ouverture du kyste dans les bronches, la
ponction capillaire et l'aspiration pourront être pratiquées avec chances
de succès; liird, cité par llearn, aurait ainsi obtenu plusieurs guérisons
par ce simple traitement dans des cas de kystes intrathoraciques, et il
paraît que cette pratique est fréquemment employée par les médecins
d'Australie. Si le kyste s'est déjà ouvert dans les bronches, on peut
attendre la guérison spontanée, tant qu'il ne survient pas d'accidents;
mais s'il arrive des complications, et surtout une suppuration de la plèvre,
il faut recourir à l'empyème, et les observations de Vigla, de Southey. de
Moutard-Martin sont là pour témoigner qu'il ne faut pas désespérer,
même dans ces conditions si défavorables, et que l'ouverture de la poi-
trine et les lavages de la plèvre constituent certainement alors la meil-
leure ressource dont on puisse disposer.
Maladies secondaires. — Nous avons déjà vu combien souvent
les maladies des plèvres sont subordonnées à des maladies primitivement
développées surtout dans les poumons, ou encore dans les médiastins, dans
les parois thoraciques, même dans le foie, en un mot dans les différents
organes adjacents à la plèvre. A propos de la pleurésie, de la tuberculose,
du cancer, etc., nous avons insisté sur ce fait important que, la pleurésie
franche aiguë mise à part, la plupart de ces maladies sont rarement pri-
mitives et qu'elles sont, au contraire, habituellement dépendantes d'af-
feetions antérieures des poumons ou des organes voisins.
D'autre part, nous avons observé aussi que, dans un grand nombre de
circonstances, les altérations des plèvres ne sont qu'une des détermina-
tions locales d'une maladie générale, comme la tuberculose ou le cancer :
il s'agit alors de manifestations diathésiques qui envahissent à la fois
plusieurs organes et dans lesquelles la plèvre peut être intéressée au
même titre que les autres membranes séreuses ou les autres viscères.
Ces deux groupes, altérations des plèvres par extension des maladies
des organes voisins, altérations par lésions multiples résultant d'une
affection diatliésiquc, comprennent la plus grande partie des maladies
secondaires des plèvres.
Nous n'insisterons pas davantage sur ces différentes maladies : pour les
pleurésies secondaires, comme pour la tuberculose, le cancer, les dégé-
nérescences secondaires des plèvres, nous renverrons à ce que nous avons
déjà dit dans les pages précédentes. Mais il est un point que nous désirons
PLÈVRE. MALADIES SECONDAIRES. 259
mettre ici en relief, c'est la relation fréquente qui existe entre certaines
maladies des plèvres et les mêmes maladies du péritoine.
La tuberculose cl la carcinose du péritoine coïncident fréquemment avec
des maladies semblables des plèvres, et cette coïncidence a une grande
valeur au point de vue diagnostique. En effet l'existence simultanée
d'une pleurésie simple ou double et d'une péritonite imposera d'une
façon presque absolue l'idée d'une tuberculose des membranes séreuses;
si l'on sait, d'après les recberches cliniques d'Empis, que, dans la tuber-
culose aiguë des séreuses, il est à peu près de règle que les plèvres et le
péritoine soient affectés en même temps, cela n'est pas moins vrai pour
la tuberculose chronique : Godélier, cité par Yillemin, a posé en loi que,
« quand il y a tuberculisation du péritoine, il y a toujours aussi tuborculi-
sation de l'une ou des deux plèvres. » On conçoit toute l'importance cli-
nique de cette loi : dans les cas où une péritonite tuberculeuse ne se
traduit que par des symptômes douteux, ou bien encore dans les cas où
le diagnostic est hésitant entre une péritonite et une autre affection de
l'abdomen, comme une cirrhose du foie par exemple, on devra rechercher
immédiatement s'il existe en même temps quelques signes de pleuTésie
chronique, et les résultats positifs ou négatifs de cette recherche décide-
ront presque toujours à admettre ou à rejeter la tuberculose. Yillemin
déclare que bien des fois il a eu l'occasion de vérifier l'exactitude de cette
loi et qu'il n'a jusqu'ici rencontré aucun exemple qui s'en écarte. Mon
observation personnelle me permet d'ajouter que souvent aussi j'ai pu
constater la valeur diagnostique de ce caractère de coïncidence.
Comment comprendre cette relation si habituelle entre certaines affec-
tions des membranes séreuses thoraciques et abdominales? Assurément
on peut admettre que les plèvres et le péritoine deviennent malades au
même titre et indépendamment l'une de l'autre, par le fait de la
diathèse tuberculeuse ou cancéreuse ; il est probable qu'il en est sou-
vent ainsi, notamment dans les cas nombreux où l'apparition des acci-
dents semble se faire en même temps dans plusieurs membranes séreuses.
Mais on peut encore, dans certains cas, invoquer un autre mécanisme, à
savoir la propagation de proche en proche ou à distance d'une altération
développée primitivement dans un foyer unique. Nous avons déjà indi-
qué, à propos de la tuberculose et du cancer des plèvres, que ces
affections, le plus souvent secondaires, étaient considérées aujourd'hui
comme résultant habituellement d'une infection de voisinage dont le
système lymphatique serait la voie de transmission la plus fréquente ;
les travaux de Virchow, Yillemin, Charcot, Lépine, Debovc, Troisier, que
nous avons mentionnés, semblent mettre ce mode pathogénique au-dessus
de toute contestation. Suivant toute probabilité, c'est d'une façon ana-
logue que se propageraient les lésions des plèvres au péritoine ou
inversement : pour le cancer par exemple, Charcot et Debove ont pu
suivre la propagation du cancer du sein à la plèvre par les vaisseaux
lymphatiques eux-mêmes dégénérés, ainsi que nous l'avons déjà vu ;
mais ce n'est pas tout, les mêmes auteurs ont constaté que la dé^éné-
260
PLÈVRE.
LTA.NCIIKMIÎNTS DANS LA CAVITÉ PLEUKAI.I „
resccncc s'étend souvent au diaphragme, et que par son intermédiaire,
elle peut envahir le péritoine : ainsi, en même temps que la plèvre était
affectée, ils ont trouvé des productions cancéreuses à la face supérieure
et à la l'ace inférieure du diaphragme, figurant dans ce dernier siège des
masses blanchâtres étoilées, anastomosées entre elles, et l'examen histo-
logique a montré qu'il s'agissait là de lymphangite cancéreuse (on sait
d'ailleurs, par les recherches des anatomistes, que le diaphragme est
très-riche en vaisseaux lymphathiques, surtout au niveau du centre
phrénique). Dans un certain nombre de cas, l'altération se propageait
plus loin encore, et les organes enveloppés par le péritoine étaient parse-
més à leur surface de nodules cancéreux. Cette propagation d'une affec-
tion de la plèvre au péritoine ou inversement, bien établie pour le
cancer, paraît au moins probable de même pour la tuberculose, ainsi
qu'il résulte des recherches de Lépine, peut-être môme pour certaines
inflammations purulentes des séreuses, comme le feraient supposer les
faits rapportés par Vautrain et par Caillette, et déjà analysés ailleurs
(Voy. art. Péritonite , t. XXVI, p. 716), faits qui semblent établir la
possibilité d'une propagation des inflammations de la plèvre au péritoine
ou réciproquement.
Quoi qu'il en soit de l'interprétation, le fait de la coïncidence des
affections de la plèvre et du péritoine n'en subsiste pas moins parfai-
tement établi en clinique, et la fréquence de cette coïncidence dans la
tuberculose et dans le cancer lui donne une valeur diagnostique qui jus
tifie les développements que nous lui avons consacrés.
Pour terminer l'étude des maladies secondaires des plèvres, il nous
reste à parler des épanchements dont elles peuvent être le siège. Comme
nous l'avons dit au début de cet article, ce sont plutôt là des accidents,
des épiphénomènes que des maladies proprement dites des plèvres ;
mais au point de vue pratique, il y a tout -intérêt à les eu rapprocher à
cause des symptômes qu'ils déterminent et des conséquences qu'ils peu-
vent entraîner.
Épanchements dans la cavité pleurale. — Ces épanchements présentent
de très-nombreuses variétés, relatives d'une part à la nature des fluides qui
les constituent, d'autre part aux conditions pathologiques qui président à
leur développement.
Nous ne ferons que mentionner un certain nombre d'épanchemenls.
peu communs d'ailleurs, qui résultent de l'irruption brusque dans la plèvre,
de matières diverses provenant des parties voisines : ici, c'est du sang
provenant de la rupture d'un anévrysrnc de l'aorte ou d'une hémorrhagie
pulmonaire abondante; là, c'est du pus provenant de l'ouverture dans la ca-
vité pleurale d'un abcès formé danslepoumon, dans le foie, oumemedans les
reins, dans le mcdiaslin, dans les parois thoraciques; dans'quelquescâs, 1 1
sont des matières gangréneuscs provenant d'un loyer gangréneux super-
licicl du poumon; dans d'autres circonstances, c'est du liquide hydatique
provenant d'un kyste du poumon ou du foie; ailleurs encore, ce sont des
matières alimentaires qui ont passé par une perforation de l'œsophage.
PLÈVRE. — iiYDnoTHOiux. 261
surtout dans le cas de cancer de cet organe. Tous ces faits ressortissant à
l'histoire des diverses maladies que nous venons d'énumérer, et ne sont
autre chose que des complications de ces maladies; nous ne devons pas
nous y arrêter. Notons seulement que, dans ces diverses circonstances,
l'irruption brusque de matières étrangères dans la plèvre s'annonce en gé-
néral par un violent point de côté accompagné d'une dyspnée très-intense
et d'accidents de suffocation capables d'entraîner la mort à bref délai ; que,
dans les cas moins défavorables et moins promplement funestes, il se dé-
veloppe une pleurésie suraiguë à épanchement presque toujours purulent;
enfin que les signes physiques permettent de reconnaître l'accumulation dans
la plèvre d'un épanchement liquide et quelquefois gazeux en même temps.
Ces' différents phénomènes ne peuvent d'ailleurs indiquer autre chose que
l'existence d'une perforation de la plèvre et d'un épanchement dans sa
cavité; quant au diagnostic de la nature du liquide épanché et de la cause
des accidents, il ne peut être éclairé que par les commémoratifs et par
la connaissance antérieure de la maladie primitive.
En dehors de ces épanchements accidentels, qui ne sont en réalité que
des complications des diverses maladies que nous avons énumérées, la
plèvre peut encore être le siège de différents épanchements dont l'élude
ne doit pas davantage nous arrêter : ainsi on peut y rencontrer des épan-
chements sanguins résultant d'un traumatisme, d'une contusion du thorax
ou d'une plaie pénétrante de la poitrine (Voy. art. Poitrine, lésions trau-
maliques de la), ou consécutifs à certaines pleurésies; ces derniers, qui
appartiennent à notre sujet, ont déjà été étudiés (Voy. Pleurésie hémorriia-
gique). On y observe assez souvent des épanchements purulents, non plus
venus des parties voisines comme tout à l'heure, mais directement formés
dans la cavité pleurale ; ces épanchements ont également été étudiés en
détail dans l'article consacré à la Pleurésie purulente. Les plus communs
de tous sont les épanchements séro-fibrineux qui se forment dans la pleu-
résie aiguë ; ils ont été aussi l'objet d'une étude spéciale ( Voy. Pleurésie
aiguë). Enfin on y trouve encore des épanchements séreux que l'on décrit
sous le nom d'hydrothorax, cl des épanchements gazeux de composition
diverse qu'on réunit sous la dénomination de pneumothorax. Ces deux
dernières variétés n'ayant pas été étudiées encore, nous devons les exposer
avec quelques détails.
Hydrotiiorax. — L'hydrothorax est l'hydropisie de la plèvre, en d'autres
termes l'épanchcment dans la cavité pleurale d'un liquide analogue au
sérum du sang.
Le liquide de l'hydrothorax se distingue du liquide de la pleurésie par
l'absence de fibrine; un autre caractère sépare encore ces deux maladies,
1 c'est l'absence de lésions anatomiques dans la membrane séreuse elle-
même lorsqu'il s'agit d'une hydropisie pleurale, l'existence constanle de
i ces lésions dans la pleurésie. En réalité, comme nous l'avons déjà dit, la
| plèvre n'est pas, à proprement parler, malade dans l'hydrothorax, elle
i n est que le réceptacle d'un épanchement à la formation duquel elle est
complètement étrangère ; et la seule lésion que l'on puisse constater dans
26'2 PLÈVRE. — îiYDiioTiioiiAx. — causes.
celle maladie consiste dans l'accumulation d'une quantité plus ou moins
grande de sérosité dans la plèvre.
Il n'y a pas d'hydrolliorax idiopalhique ; l'hydropisie pleurale est toujours
secondaire, dépendante d'une maladie qui a son siège, non pas dans la
plèvre, mais dans l'appareil circulatoire ou dans le sang. Les exemples
qu'on a cités de prétendu hydrothorax idiopalhique peuvent être tenus pour
des faits incomplètement observés; il s'agissait sans doute, ou de pleu-
résies avec peu ou pas de fausses membranes et un épanchement séreux
considérable, ou de tuberculoses pleurales dont les granulations peu nom-
breuses ont pu échapper à l'observation, ou enfin d hydrothorax vrais dont
la cause, maladie du cœur ou maladie de Bright, aura été méconnue.
Causes. — Les causes de l'hydrothorax, comme celles des autres hv-
dropisies (Voy. ce mot), sont des causes mécaniques et des causes dyscra-
siques. En tête des premières se placent les conditions qui apportent un
obstacle à la circulation veineuse dans le poumon ou dans les parois
thoraciques : les plus fréquentes sont les lésions mitrales (rétrécissement
ou insuffisance), dont un des premiers effets est de gêner le cours du sang
dans les poumons et dans leur enveloppe séreuse et par suite d'amener
d'abord la congestion et l'œdème du poumon, puis l'épanchement séreux
dans les plèvres ; plus tard, les troubles apportés à la circulation générale
pourront entraîner le développement d'une anasarque, mais, dans les
hydropisies résultant d'une maladie mitrale, l'œdème du poumon et
l'hydrothorax précéderont toujours les autres œdèmes. D'autres maladies
du cœur peuvent aussi produire l'hydrothorax, notamment toutes celles
qui sont accompagnées d'asyslolie, et aussi la parésie cardiaque qui arrive
dans la période avancée des maladies graves ; mais, dans ces conditions,
l'hydrothorax apparaîtra en même temps que des hydropysies en d'autres
parties du corps et fera elle-même partie d'une anasarque généralisée.
Comme causes plus rares d'hydrothorax d'origine mécanique, on peut
citer les compressions des veines pulmonaires par des tumeurs des m.é-
diastins qui, comme les lésions mitrales, produisent en même temps
l'œdème du poumon et l'hydropisie pleurale, et même les compressions
de la veine cave supérieure qui amènent l'hydrothorax concurremment
avec l'œdème des parois thoraciques, de la tète et des membres supérieurs.
Les causes discrasiques, qui sont la maladie de Bright et les cachexies,
n'ont rien de spécial à l'hydrothorax; elles déterminent une anasarque.
dans laquelle l'épanchement de la plèvre n'apparaît même qu'à une pé-
riode assez avancée et n'acquiert pas en général un bien grand dévelop-
pement.
L'hydrothorax est presque toujours double, caractère clinique impor-
tant qui est un des éléments du diagnostic avec la pleurésie simple, oà
l'épanchement est au contraire unilatéral. Souvent la quantité du liquide
est plus considérable d'un côté que de l'autre, ce qui peut tenir à diverses
influences mécaniques, notamment au décubitus; mais cela n'empêche que
les deux plèvres sont affectées à la fois, ce qu'on s'explique d'ailleurs
facilement par la nature des causes qui produisent l'hydrothorax, causes
PLÈVRE.
HYDKOTHOIIAX.
LÉSIONS ANATOMIQUES.
qui agissent également sur les deux côtés de la poitrine; on ne comprend
même la possibilité d'un hydrothorax unilatéral que dans le cas, certai-
nement exceptionnel, où il y aurait une compression des veines pulmo-
naires d'un seul côté par une tumeur du médiastin, comme un anévi isnu
de l'aorte ou une adénopalliie trachéo-bronchique.
La membrane séreuse elle-même étant saine ou ne présentant d'autre
altération qu'une infiltration légère par de la sérosilé qui lui donne une
apparence comme macérée, les lésions anatomiques de l'hydrothorax se
réduisent au liquide épanché dans la cavité de la plèvre.
La quantité de ce liquide est très-variable : quelquefois très-peu consi-
dérable, 100 à 200 grammes à peine, elle peut atteindre un et même
plusieurs litres; les épanchements énormes appartiennent plutôt aux cas
où l'hydropisie dépend d'un obstacle circulatoire qu'à ceux où elle se
rattache à une altération de sang.
Le liquide est limpide, de couleur légèrement jaunâtre et citriae. Sa
composition, qui d'ailleurs est à peu près la même que dans les autres
hydropisies, est analogue à celle du sérum sanguin; elle en diffère cepen-
dant en ce que la sérosité hydropique contient beaucoup plus d'eau et
moins d'autres éléments constituants que le plasma du sang. Elle est
coagulable par la chaleur et par l'acide nitrique, en raison de la quantité
notable d'albumine qu'elle contient. Voici, d'après les recherches si
précises de Méhu, qui a analysé comparativement un grand nombre de
liquides provenant d'hydrothorax et de liquides provenant de pleurésies,
obtenus dans tous les cas par la thoracentèse; voici, dis-je, les principaux
caractères du liquide de l'hydrothorax : la densité du liquide varie de
1010 à 1016. La quantité de résidu sec, obtenu par évaporation, est com-
prise entre 17 gr. 56 et 47 gr. 76 par kilogramme de liquide; ce chiffre
total se décompose ainsi :
Mntièrcs orgnniques 8«'.91 à 59»r,08
Matières inhn'rules 8»r,5G à 9*r,18
Fibrine • 0«r,156 à 0sr,409
On voit donc que, si lu fibrine se montre plus par ticulièrement dans la
pleurésie aiguë, elle existe aussi dans les cas où l'épanchement est le
résultat d'une gêne de la circulation, mais alors elle est en petite pro-
portion. Nous observerons d'ailleurs que la présence de la fibrine dans le
liquide bydropique semble distinguer l'hydrothorax des autres hydro-
pisies, où au contraire ce constituant fait défaut d'une manière absolue,
si l'on s'en rapporte aux analyses de différents auteurs. (Voy. art. Hyi»bo-
risic. t. XVIII, p. 35.) Répétons enfin que la quantité de fibrine est
minime dans l'hydrothorax comparativement à ce qu'elle est dans la pleu-
résie ; on peut donc, sauf une légère restriction, maintenir la proposition
classique que nous avons formulée après tous les auteurs, à savoir que le
liquide de l'hydrothorax se distingue du liquide de la pleurésie par l'ab-
sence (il vaudrait mieux dire la proportion moindre) de fibrine. On pour-
rait, du reste, en dire autant pour les autres éléments organiques : le
liquide de l'hydrothorax a, en effet, les mêmes éléments que celui de la
PLÈVREj
UVOHOTltOHAX.
SYMPTOMES.
pleurésie aiguë, mais la proportion des éléments organiques est considé-
rablement réduite ; Méhu déclare que jamais, dans les nombreux cas de
pleurésie qu'il a examinés, il n'a constaté un poids de matières organi-
ques aussi faible que celui que contient le plus riche des liquides épan-
chés dans les cas d'hydrothorax. On comprend, d'après ce qui précède,
toute l'importance que peut acquérir l'analyse chimique du liquide
extrait par la thoracenlèse, dans certains cas où le diagnostic est hésitnnt
sur la nature de la maladie qui a produit l'épanchement. Nous reprodui-
rons encore ici, sans autre commenlaire, quelques propositions que Méhu
a déduites de ses recherches et dont nous-mêmes avons eu plusieurs fois
l'occasion de vérifier l'exactitude : — Toutes les fois que le poids du
résidu sec n'atteint pas 50 grammes par kilogramme, il s'agit d'un hydro-
thorax; toutes les fois qu'il dépasse 50 grammes et que le liquide se coa-
gule après l'opération, il s'agit d'une pleurésie aiguë. — Tout liquide
pleural, pour lequel le densimèlre indique une densité inférieure à 1015,
à la température de 15°, est un hydrothorax ; tout liquide pleural, dont
la densité est supérieure à 1018 et qui se coagule après la ponction,
appartient à une pleurésie aiguë franche; tout liquide pleural, dont la
densité est supérieure à 1018 et qui ne donne pas de fibrine, indique une
lésion de la plèvre due à la présence d'un produit hétérologue (tuber-
cule, cancer). Inutile d'insister sur l'importance de ces propositions, dont
on comprend toute la valeur au point de vue du diagnostic.
Symptômes. — Les symptômes de l'hydrolhorax sont souvent très-
peu marqués : quand l'épanchement séreux est peu considérable, ou
lorsqu'il survient dans le cours d'une maladie de cœur déjà avancée ou
dans la période ultime d'une maladie cachectique, il peut facilement
passer inaperçu, si l'on ne prend soin d'en rechercher l'existence par un
examen attentif de la poitrine, La dyspnée est, en réalité, le seul trouble
fonctionnel auquel donne lieu l'hydrothorax ; il n'y a, en effet, dans
cette maladie, ni fièvre, ni point de côté, en un mot aucun dss phéno-
mènes locaux et réactionnels auxquels donne lieu la pleurésie. L'hydro-
pisie pleurale semblerait, en somme, un accident indifférent, si, par la
place qu'elle occupe dans la cavité thoracique, elle n'empêchait d'autant
la dilatation du poumon et n'apportait ainsi obstacle à l'hématose, d'où
la gêne de la respiration. La dyspnée acquiert une intensité qui est en
rapport avec l'abondance du double épancbemenl et arrive nsse/. souvent
jusqu'à Porlhopnée; notons d'ailleurs que la plupart des maladies sous la
dépendance desquelles se développe l'hydrothorax produisent, elles aussi,
la dyspnée, et qu'il est par suite difficile de faire la part de ce qui appar-
tient à la maladie primitive et à l'accident secondaire ; on ne peut guère,
dans ces conditions, rattacher à l'bydropisie pulmonaire et pleurale que
l'aggravation des troubles respiratoires qu'on voit survenir dans le cours
des maladies antécédentes. La dyspnée est accompagnée d'une fréquence
et d'une brièveté marquées de la respiration; dans les degrés extrêmes,
on voit survenir de la cyanose, des sueurs froides et tous les caractères de
l'asphyxie.
PLÈVRE.
1IYDR0T1I0IUX. SYMPTÔMES.
265
Si les symptômes de l'hydrothorax sont souvent insuffisants pour con-
duire au diagnostic, il n'en est pas de même des signes physiques, dont
on devra toujours rechercher et dont on pourra le plus souvent constater
l'existence, dans les circonstances que l'on sait l'avorahles au développe-
ment de l'épanchcment séreux. Ce n'est pas que ces signes soient bien
spéciaux à l'hydrothorax, car ce sont ceux qui appartiennent à peu près
à tous les épanchements liquides de la plèvre ; mais on trouve néanmoins,
dans quelques-uns de ces signes et dans l'absence de quelques autres,
des caractères qui suffisent au diagnostic.
L'inspection de la poitrine permet de reconnaître une diminution de
l'étendue des excursions thoraciques dans les mouvements respiratoires,
et en outre une dilatation générale des parois du thorax, quand l'épan-
chement est très-considérable. Ces signes sont cependant beaucoup moins
accusés ici que dans la pleurésie, parce que l'épanchcment de i'hydro-
pisie pleurale ne donne guère lieu qu'à l'affaissement du poumon et n'a
pas une tension suffisante pour refouler énergiquement les parois cos-
tales. On n'observe pas non plus, dans l'hydrothorax, les déformations
et les voussures partielles qu'on rencontre dans la pleurésie, parce que
le liquide séreux est libre, et non enkysté, dans la cavité de la plèvre.
Notons enfin que les caractères fournis par l'inspection sont, dans le cas
d'épanchement séreux, beaucoup plus difficiles à apprécier que dans le
cas d'épanchement pleurétique, parce qu'ils existent des deux côtés de la
poitrine et qu'on n'a pas, comme dans la pleurésie, un côté sain et un
côté malade qu'on puisse juger par comparaison.
Comme l'inspection, et pour les mêmes raisons, la mensuration ne
donne pas, dans l'hydrothorax, de résultats bien décisifs; c'est surtout
à la palpation, à la percussion et à l'auscultation qu'il faut demander les
renseignements de la plus grande valeur.
Par la palpation, on constate la diminution et même l'abolition des
vibrations vocales dans les parties correspondantes à l'épanchement, et
l'on peut assez facilement limiter par ce moyen le niveau auquel s'élève
le liquide. Cependant la palpation a aussi, dans l'hydrothorax, moins de
valeur que dans la pleurésie, parce que, outre qu'on manque de terme
de comparaison puisque l'épanchcment est double, les parois thoraciques
sont souvent infiltrées d'un œdème dû à la même cause que l'hydropisie
pleurale et que cet œdème peut supprimer les vibrations thoraciques, au
moins dans une certaine étendue de la base de la poilrine.
La percussion donne de la matité dans les parties occupées par le
liquide. Il arrive souvent que celte matité est peu accusée ; il faut, pour
l'obtenir, ne pratiquer qu'une percussion légère, et encore n'obtient-on
quelquefois que de la submatité à tonalité peu aiguë; c'est ce qui a lieu
quand l'épanchement est peu abondant et étalé en nappe. On s'explique,
d'ailleurs, le caractère incomplet de la matité par la faible tension du
liquide épanché et par l'intégrité relative du poumon sous-jacenl, qui
est seulement affaissé et non comprimé ; dans ces conditions, une per-
cussion un peu forte permet en partie d'arriver à la résonnance pulmo-
2(36
PLÈVRE.
— UÏD&OÏHOBÀX.
SYMI'TOMKS.
naire. Quand répanchcmenl est épais et considérable, la rnalité devient
absolue. — ' C'est aussi la percussion qui fait, reconnaître, mieux que tout
autre procédé, la mobilité de l'épancbemeiit, caractère clinique impor-
tant qui est plus marqué dans l'hydrothorax que dans tout autre épan-
chcmeiil pleural et particulièrement que dans la pleurésie : toutes les fois
que l'bydropisie n'occupe qu'une partie de la cavité de la plèvre, et c'est
là le cas le plus ordinaire, le liquide s'accumule dans les parties déclives
et se déplace suivant les différentes positions qu'on imprime au malade;
ainsi, dans le décubitus dorsal, répanchement s'accumule en arrière; si
le malade reste assis ou debout, il s'étale en nappe à la base du thorax
et sur le diaphragme ; si le malade se penche en avant, le liquide se
porte dans les parties antérieures. 11 est facile de suivre, par la percus-
sion, ces divers déplacements du liquide et de constater que les parties
déclives fournissent toujours de la matité jusqu'à un certain niveau,
que les parties supérieures , au contraire, donnent de la sonorité, quel-
quefois même une sonorité exagérée; nous observerons cependant qu'on
ne trouve pas, dans l'hydrothorax à épanchement moyen, le tympanisme
sous-claviculaire aussi accusé qu'il l'est dans la pleurésie.
Par l'auscultation, on constate la diminution ou l'abolition complète
du bruit pulmonaire, suivant que la quantité du liquide épanché est
peu considérable ou très-abondante; on perçoit souvent aussi, vers les
parties moyennes de la poitrine plutôt qu'à la base, un souffle doux,
voilé, moins intense encore que dans la pleurésie, ce qui s'explique par
la compression du poumon, moindre dans l'hydrothorax que dans cette
dernière maladie. Si l'on ausculte le malade pendant qu'il parle à haute
voix, on entend de l'égophonie, limitée en général aux parties voisines
du niveau supérieur de l'épanchement ; si on ausculte pendant que le
malade parle en chuchotant, on constate la transmission de la voix chu-
chotée (Baccelli), phénomène corrélatif au souffle doux et qu'où perçoit
dans les mêmes points. En même temps que ces signes directement liés
à l'hydropisie pleurale, on entend souvent des râles sous-crépitants dis-
séminés, dus à l'œdème pulmonaire qui accompagne habituellement
l'épanchement séreux de la plèvre. Jamais on n'observe dans l'hydro-
thorax de frottement pleural, autre caractère à ajouter à tant d'aulne
pour distinguer cette maladie de la pleurésie.
Le diagnostic de l'hydrothorax est en général facile, à l'aide des
signes que nous venons d'indiquer, toutes les fois au moins que l'épan-
chement offre une certaine abondance. La maladie passe assez souvent
inaperçue, quand la quantité du liquide épanché est faible et que les
symptômes sont masqués par ceux des maladies graves dont l'hydrotho-
rax dépend le plus souvent. On trouve d'ailleurs assez souvent, dans les
autopsies, une certaine quantité de sérosité dans les deux plèvres, dont
aucun signe n'avait révélé l'existence pendant la vie, et qu'on peut con-
sidérer comme un accident ultime, développé durant l'agonie.
La pleurésie est la seule maladie qu'on pourrait confondre avec l'hy-
drothorax ; mais, outre les particularités que nous avons relevées dans les
PLÈVRE. ■ — HYDROTIIOBAX. — TRAITEMENT.
267
SMûlèa communs à ces deux maladies et sur lesquelles nous ne revien-
drons pas, nous rappellerons que l'hydropisic pleurale est habituellement
double, qu'on n'y observe ni symptômes fébriles, ni douleur de côté, ni
frottements ; ces caractères, joints à l'existence des causes d'une bydro-
pisie, suffisent ordinairement pour faire reconnaître la nature de la ma-
ladie et écarter l'hypothèse d'une pleurésie.
Si le diagnostic de l'existence de l'hydrothorax ne présente pas en gé-
néral de grandes difficultés, il n'en est pas de même de la détermination
de la quantité du liquide épanché. Au début de la maladie, le liquide
s'étale en nappe autour du poumon, et son niveau s'élève plus ou moins
haut suivant son abondance.
Plus lard, suivant les observations de Hirlz et de Woillez, au bout de
dix ou douze jours, le liquide gagne les parties inférieures de la poitrine^
entre la base du poumon et le diaphragme: il semble alors, d'après les
signes physiques, que la quantité du liquide a diminué, puisque son ni-
veau s'est abaissé ; il n'en est rien cependant, l'épauchcmcnt s'est seule-
ment déplacé par le fait de la position assise que garde le malade ; il
peut même avoir augmenté, mais il est très-difficile de déterminer quelle
est la quantité du liquide ainsi accumulé à la base de la poitrine. Dans
ces conditions, on remarquera surtout que, si le bruit respiratoire est
revenu plus pur et mieux perceptible dans les parties moyennes ou supé-
rieures de la poitrine, en revanche la respiration est devenue complète-
ment silencieuse dans les parties inférieures et la matité absolue, même
par une percussion forte ; ces caractères bien constatés, auxquels s'ajou-
tera la persistance ou même l'aggravation de la dyspnée, permettront de
ne pas se faire illusion sur la valeur des changements survenus dans les
signes physiques.
La marche de l'hydrothorax est entièrement subordonnée à celle de
l'affection qui en a déterminé le développement. Souvent associée à
d'autres hydropisies dépendantes des mêmes causes, l'hydropisie pleurale
évolue concurremment avec elles, subissant des variations étroitement
liées aux changements qui surviennent dans la maladie primitive. Son
pronostic est d'ailleurs toujours sérieux ; car elle vient embarrasser en-
core les fonctions pulmonaires et entraver la respiration déjà troublée par
la maladie du cœur ou la maladie de Bright, qui tiennent tous les acci-
dents sous leur dépendance.
Le traitement de l'hydrothorax, comme celui des autres hydropisies,
reste soumis à celui des maladies dans le cours et sous l'influence des-
quelles il se développe : la digitale, les purgatifs drastiques et les diuré-
tiques en seront, suivant les circonstances, les principaux agents, si d'ail-
leurs l'emploi de l'un ou de l'autre de ces moyens n'est contre-indiqué
par les conditions de la maladie principale ou par un état de cachexie
avancée. Dans les cas où l'épanchement est très-abondant et produit des
accidents asphyxiques, il ne faut pas hésiter à recourir à la thoracentèse :
la ponction de la poitrine n'est le plus souvent qu'un moyen palliatif, et
le liquide ne tarde pas à se reproduire si, comme c'est le cas le plus or-
208 PLÈVRE. — l'.NEUMOTHOIIAX.
dinaire, la cause de l'épancliemcnt persiste; mais, grâce aux trocarls ca-
pillaires et aux appareils aspirateurs, l'opération est si facilement acceptée
et si inoffeusive, qu'on peut avec avantage y revenir toutes les fois que
les menaces d'asphyxie le commandent, et si l'on n'arrive pas à la guéri-
son, on réussit du moins à combattre une complication redoutable et à
prolonger les jours du malaJc.
Pneumothorax. — On désigne sous ce nom l'épancbement d'air ou de
gaz dans la cavité pleurale.
Le pneumothorax est rarement pur, c'est-à-dire constitué uniquement
par la présence de gaz dans la plèvre : s'il est vrai que, dans certaines
circonstances que nous indiquerons plus loin, il y ait d'abord un simple
épanehcinent gazeux, très-souvent il se produit au bout d'un certain
temps une sécrétion liquide de sérosité ou de. pus qui résulte de l'action
irritante des gaz épanchés; d'autre part, il est très-fréquent que la même
cause amène simultanément l'extravasation dans la plèvre de gaz et de
matières liquides ; enfin la cavité pleurale contient souvent déjà des li-
quides au moment où se produit l'épancbement du gaz'. Dans toutes ces
circonstances, soit d'emblée, soit après un temps plus ou moins long, la
plèvre contient à la fois des liquides et des fluides aériformes et on dit
alors qu'il y a InjdropneumoUiorax ou pyopneumolhorax.
Presque toujours le pneumothorax est unilatéral; dans quelques cas
tout à fait exceptionnels, on l'a vu se développer à la fois dans les deux
plèvres (Laenncc, Bricheteau, Duguet).
On a décrit trois espèces distinctes d'épanchements gazeux intrapleu-
raux : 1° pneumothorax essentiel, résultant de la formation spontanée
de gaz dans la cavité pleurale ; 2° pneumothorax par décomposition pu-
tride de liquides épanchés dans la plèvre; 3° pneumothorax par perfora-
tion, dû à l'irruption dans la plèvre, par une ouverture accidentelle, de
l'air atmosphérique ou de gaz contenus dans les cavités voisines de la ca-
vité pleurale. Cette division, établie par Laennec et admise après lui pen-
dant longtemps, ne résiste pas à l'examen des faits, comme nous allons
le voir.
Y a-t-il un pneumothorax essentiel? Aucun fait probant n'en établit
l'existence, ainsi que cela résulte de la critique à laquelle Béhier, Jac-
coud et Proust ont soumis les exemples qu'on avait cités de ce prétendu
pneumothorax spontané. Les observations publiées sous ce titre (Proust
en a réuni et contrôlé vingt-cinq), sont susceptibles d'explications diver-
ses: ce sont des pleurésies dans lesquelles on s'en est laissé imposer par
l'existence d'une sonorité tympanique à la partie antéro-supérieure de la
poilrine, ou par l'existence du souffle amphorique qu'on rencontre dans
certaines circonstances ; ce sont des pneumonies dans lesquelles la per-
cussion donnait un son tympanique; ce sont même des pneumothorax par
perforation résultant, soit d'un effort, soit de la rupture dans la plèvre
d'un foyer tuberculeux ou d'un kyste hydatique du poumon, etc. Chez
des tuberculeux par exemple, on a admis la production spontanée de gaz
dans la plèvre, quand on ne trouvait pas le point où s'était faite la perfo-
PLÈVRE. — pneumotiioiux. 269
ration dont toutes les autres circonstances semblaient indiquer l'existence ;
mais ne sait-on pas, comme nous le verrons tout à l'heure, que certaines
perforations pulmonaires sont très-difficiles à trouver, et en outre que ces
perforations peuvent se cicatriser ou être complètement oblitérées par
des fausses membranes, ce qui est loin d'être rare? Ainsi tous les faits
observés conduisent à rejeter l'existence du pneumothorax essentiel; on
peut même ajouter que les données de la physiologie pathologique ne
permettent pas de croire qu'il soit possible, car rien n'autorise à admettre,
ni une sécrétion gazeuse dans une membrane séreuse, ni une exhalation
des gaz du sang à travers les capillaires pleuraux.
On a décrit comme une seconde espèce de pneumothorax des épanche-
menls gazeux résultant de la décomposition putride de liquides pleuraux.
La réalité de ce pneumothorax spontané secondaire serait certaine d'après
Jaccoud, qui propose de l'appeler pneumothorax pleurclif/ue pour indi-
quer son origine. Comme exemples de celle espèce particulière, Jaccoud
cite des observations empruntées à Wunderlich, Hughes Bennett, Rosen-
thal, Biermer, Swaync Liltle, Townsend, etc. Cependant quelques-uns de
ces faits n'ont pas paru absolument probants à Béhier, qui pense que
dans plusieurs d'entre eux il a pu exister une perforation pulmonaire
(obs. de Wunderlich, de Bennett et de Swaync Little), comme semble-
rait l'indiquer la fétidité de l'haleine qu'on a observée chez les malades.
Deux observations communiquées par Hérard à la Société médicale des
hôpitaux (1850 et 1851) sont relatives à des pleurésies purulentes dans
le cours desquelles se serait développé un pneumothorax, sans que l'au-
topsie faite avec le plus grand soin permît de constater une perforation
du poumon. Cependant ces fails ont aussi soulevé des doutes de la part
de plusieurs membres de la Société des hôpitaux, qui ne les ont pas
trouvés absolument convaincants.
Ajoutons d'ailleurs que la production de gaz par décomposition d'un
liquide renfermé dans une cavité close parait difficile à comprendre,
puisque, suivant la remarque de Béhier, le contact de l'air est générale-
ment considéré comme une condition indispensable pour que le liquide
pleural subisse une altération capable de permettre la formation d'un
gaz (les recherches récentes sur la fermentation putride semblent toutes
confirmer la nécessité absolus de cette condition).
Quoi qu'il en soit, si le pneumothorax peut se former ainsi spontané-
ment dans la plèvre affectée de pleurésie purulente, on est au moins en
droit d'affirmer qu'il est exceptionnel.
Quant au pneumothorax par perforation, par irruption dans la plèvre
de gaz provenant de différentes sources, celui-là est indubitable et les
occasions de l'observer sont fréquentes.
Eti résumé, le pneumothorax essentiel n'existe pas, le pneumothorax
par altération putride de liquides pleurétiques est douteux ou au moins
exceptionnel ; le pneumothorax par perforation subsiste seul ou presque
seul ; c'est lui que nous aurons exclusivement en vue dans le cours de
cet article.
270 PLÈVHE. — i'nei:mothoua.x. — oauses.
Causes. — On a déjà vu par ce qui précède, que le pneumothorax est
toujours secondaire, consécutif à un état pathologique antérieur. Dans tous
les cas, sauf peut-être exceptionnellement dans la pleurésie purulente,
il résulte d'une perforation qui met la plèvre en communication avec
l'air extérieur ou avec une des cavités renfermant des gaz qui sont situées
dans son voisinage.
Les causes qui produisent cet accident forment deux groupes, aussi
distincts par les caractères el les suites de la maladie que par les condi-
tions qui en ont amené le développement : ce sont des causes tiaumati-
ques et des causes pathologiques.
Parmi les causes traumatiques, nous mentionnerons les plaies péné-
trantes de poitrine, les fractures de côtes compliquées de. plaies du pou-
mon : dans le premier cas, l'air atmosphérique pénètre directement
dans la plèvre par la plaie de la paroi thoracique ou par une plaie du
poumon; dans le second, c'est la déchirure du poumon par un des frag-
ments de la côte fracturée qui permet l'épanchement gazeux. Nous
n'avons pas à insister sur cet ordre de causes, dont l'élude appartient aux
maladies chirurgicales de la poitrine.
On pourrait rattacher encore aux causes traumatiques certains cas.
peu communs d'ailleurs, où le pneumothorax résulte d'une rupture
pulmonaire, par suite d'un effort violent ou d'une quinte de toux ; dans
ces conditions, la tension excessive de l'air dans le poumon peut amener
la déchirure de quelques vésicules. C'est par un mécanisme analogue
que se développerait le pneumothorax par rupture de quelques vésicules
emphysémateuses, fait assurément très-rare, dont on cite seulement
quelques exemples empruntés à divers auteurs.
Ces derniers faits servent, en quelque sorte, de transition entre les
causes traumatiques et les causes pathologiques. Celles-ci, heaucoup
plus communes que les précédentes, nous intéressent particulière-
ment.
Le relevé suivant, emprunté à Saussier, montre la fréquence relative
des principales causes du pneumothorax :
Pneumothorax avec phthisie pulmonaire s |
— pleurésie 29
— gangrène pulmonaire 7
— emphysème pulmonaire 5
— hydatides du poumon \
— apoplexie pulmonaire 5
— cancer ulcéré du poumon 1
— hémothorax 1
— ahcès pneumonique 1
— fistule hépato-pneumo-pleurale. . . 1
En tête des maladies dont le pneumothorax est une complication fré-
quente se place la phthisie pulmonaire. 11 résulte, en effet, des statis-
tiques entreprises à ce sujet par Saussier, par Béhier, par AValshe et
d'autres encore, que celte seule cause comprendrait environ les neuf
PLÈVRE. PNEUMOTHORAX. CAUSES. 271
dixièmes des cas ; il est, en outre, remarquable que, dans ces conditions,
le pneumothorax siège plus souvent à gauche qu'à droite.
La perforation pulmonaire et l'épanchcmcnt gazeux inlrapleural qui
en est la conséquence peuvent survenir à toutes les périodes de la
maladie. Louis a cité un cas dans lequel la plèvre fut perforée par un petit
tubercule placé immédiatement au-dessous d'elle ; les premiers symp-
tômes de la phthisie dataient de quinze jours environ. Mais ce fait est
exceptionnel : le plus souvent le pneumothorax arrive dans la période
de ramollissement ou dans la période d'excavation.
Au moment où survient le ramollissement des foyers tuberculeux, il
n'est pas rare qu'une masse ramollie, située à la surface du poumon,
s'ouvre à la fois dans les bronches et dans la plèvre et permette l'irrup-
tion de l'air dans la cavité pleurale ; ce fait est surtout assez fréquent
quand l'évolution de la maladie est rapide, notamment dans la forme
décrite sous le nom de phthisie galopante. Plus tard, le pneumothorax
est produit par l'amincissement et la rupture d'une caverne placée
superficiellement.
Le siège de la perforation pulmonaire réside le plus ordinairement dans
le lobe supérieur du poumon; mais, bien que les lésions tuberculeuses
commencent presque toujours par le sommet de ce lobe et y soient ulté-
rieurement plus avancées qu'ailleurs, ce n'est pas dans cette partie que
se fait habituellement la perforation, mais plutôt vers la base du lobe
supérieur, au niveau de la troisième ou de la quatrième côte, ce qui
tient sans doute à ce que la plèvre du sommet devient Irès-facilement,
dès le début de la tuberculose, le siège d'adhérences qui unissent le
poumon à la paroi thoracique et s'opposent à la perforation, tandis que
ces adhérences sont moins communes dans les parties situées plus infé-
rieurement.
C'est aussi dans la tuberculose qu'on a observé le pneumothorax double,
affection exceptionnelle dont on ne connaît guère que trois exemples
bien observés, dus à Laennec, à Bricheteau et à Duguet.
Les autres causes pathologiques du pneumothorax par perforation de
dehors en dedans sont assez rares, comparativement à la phthisie pulmo-
naire, puisque celle-ci, comme nous l'avons vu, produit environ les neuf
dixièmes des cas, tandis que toutes les autres maladies réunies n'en pro-
duisent à peine qu'un dixième.
On a cité quelques exemples de pneumothorax produits par la gangrène
pulmonaire : l'épanchcment gazeux résultait de l'ouverture, dans les
bronches et la plèvre à la fois, d'un foyer gangréneux ramolli (Cruvcilhier,
Monneret, Marais). Plus rarement encore, c'est un abcès du poumon
consécutif à une pneumonie (Dalmas, Gunsbcrg) ou un kyste hydatique
(Fouquier, Mercier, cités par Ilcarn) qui ont amené la même complication,
ou encore la rupture dans la plèvre d'une bronche dilatée (Mohr, Taylor,
cités par Jaccoud).
Outre les lésions du poumon que nous venons de mentionner, nous
devons signaler certaines maladies d'autres organes voisins de la plèvre,
272 l'LKVItE. — PHBUMOTHOBAX. — CAUSES.
qui peuvent amener aussi la perforation de cette membrane et l'irruption
de gaz dans la cavité pleurale. On a vu des abcès des parois de la
poitrine s'ouvrir à la fois dans la plèvre et à travers les téguments, formant
ainsi une listule pleuro-cutanéc qui laissait pénétrer l'air dans la plèvre ;
on a vu des abcès des .ganglions bronebiques s'ouvrir à la fois dans la
plèvre et dans les bronebcs, on a vu des cancers de l'œsopbage déterminer
des perforations de ce conduit et le faire communiquer avec la cavité
pleurale (Boerhaave), on a même vu, dans quelques cas malbeureux, cette
perforation produite par la sonde œsophagienne, comme Moutard-Martin
en a encore récemment cité un exemple. D'autres fois, ce sont des abcès,
des kystes suppures du foie (Gros, Williams) ou des reins qui traversent
le diaphragme cl la plèvre pour venir s'ouvrir dans les bronches ; si
alors la plèvre n'est pas fermée par des adhérences, elle est envahie par
l'air qui vient des bronches en même temps que par le pus qui vient de
l'abcès (Bébier) . Enfin le cancer et l'ulcère simple de l'estomac peuvent ame-
ner aussi la perforation du diaphragme et l'épanchement dans la plèvre des
fluides contenus dans la cavité stomacale. Le pneumothorax peut même
être consécutif à une perforation de l'intestin : outre deux observations
empruntées à Boucbaud et à Eisenlohr, Gossy en a rapporté tout récem-
ment deux exemples dans lesquels une perforation du cœcum avait amené
une péritonite partielle et un foyer purulent abdominal; celui-ci avait
traversé le diaphragme et permis au pus et aux gaz venus de l'intestin de
pénétrer dans le thorax ; mais chose remarquable, dans ces deux cas, les
gaz n'avaient pas pénétré dans la plèvre, mais s'étaient épanchés entre
elle et la paroi thoracique en décollant la plèvre pariétale dans une grande
étendue; il s'agissait donc là d'une sorte de pneumothorax sous-pleural.
Toutes les causes qui précèdent, à l'exception de la phthisie pulmo-
naire, sont exceptionnelles ; mais il est une autre cause de pneumothorax
qui est assez fréquente et dans laquelle c'est une maladie de la plèvre qui
est la cause de l'épanchement gazeux : nous voulons parler de la pleurésie
purulente ouverte dans les bronches ou à travers les parois thoraciques.
Ici la perforation pleurale n'a plus lieu de dehors en dedans, comme poul-
ies causes déjà indiquées, mais de dedans en dehors. L'ouverture des
collections purulentes de la plèvre par une fistule pulmonaire ou par une
fistule pleuro-cutanée est loin d'être rare et, dans l'une comme dans
l'autre de ces circonstances, les conditions favorables à la production du
pneumothorax sont réalisées, puisqu'il y a communication entre la plèvre
et l'air extérieur. 11 s'en faut cependant que la pénétration de l'air dans
la cavité pleurale ait alors toujours lieu : dans des cas heureusement très-
fréquents, le trajet fistuleux qui s'étend de la plèvre aux bronches ou à
Iravers les téguments est sinueux et disposé de telie sorte qu'il forme
comme une valvule qui permet la sortie du pus cl non la pénétration de
l'air ; la même disposition se présente plus souvcnl encore au niveau des
fausses membranes épaisses que le pus doit traverser ; ces fausses
membranes forment clapet, suivant l'expression de Ghomel, et empê-
chent l'abord de l'air dans la cavité pleurale. D'un autre côté, l'air
PLÈVRE. PNEUMOTHORAX. LÉSIONS AiNATOMIQUES. 275
ne peut pas non plus s'introduire dans la plèvre tant que la tension de
l'épanchement liquide est supérieure à celle de l'air atmosphérique; aussi
n'est-ce qu'un certain temps après l'ouverture du foyer purulent et après
l'évacuation d'une certaine quantité de liquide que la pénétration de l'air
peut avoir lieu. Mais les conditions favorables que nous venons d'indi-
quer n'existent pas toujours ou peuvent cesser d'être au bout d'un certain
temps, aussi voit-on assez souvent encore le pneumothorax survenir
comme complication de la pleurésie purulente, après ouverture du foyer
par les bronches ou par les parois du thorax. Cette complication ne se
montre pas seulement dans les inflammations purulentes qui occupent
toute la cavité pleurale; on l'observe aussi dans les pleurésies purulentes
circonscrites, notamment dans les pleurésies diaphragmatiques ou inter-
lobaires, ainsi que N. Guéneau de Mussy en a récemment publié plusieurs
exemples intéressants. Dans des cas tout à fait exceptionnels, il existe à
la fois une ouverture dans les bronches et une ouverture par les tégu-
ments et la plèvre est en communication avec l'air extérieur par ces deux
voies en même temps (Gairdner). Les fistules qui meLtent la plèvre en
communication avec l'air extérieur dans le cas de pleurésie purulente
peuvent occuper un siège quelconque, contrairement à ce qui a lieu dans
la phlhisie pulmonaire. Elles offrent d'ailleurs des dispositions variables
qui ont déjà été indiquées ailleurs et sur lesquelles nous n'avons pas à
revenir (Voy. art. Pleukésie purulente, p. 210). Le pneumothorax qui en
résulte est tantôt généralisé ou du moins libre dans la cavité pleurale,
tantôt circonscrit lorsque des adhérences antérieures avaient enkysté le
foyer purulent et limité l'espace où l'épanchement gazeux peut se pro-
duire.
(In voit, en somme, que les causes du pneumothorax, malgré leur appa-
rente variété, se réduisent à deux principales: en première ligne la tuber-
culose pulmonaire, en seconde ligne la pleurésie purulente; le mode de
production de l'épanchement gazeux dans ces deux conditions est égale-
ment simple et facile à comprendre. En dehors de ces deux causes et des
causes traumatiques dont l'élude ne nous appartient pas, toutes les autre
sont des raretés et même des exceptions, et plusieurs de celles qu'on a
invoquées attendent encore d'être démontrées.
Lésions analomiques . — Dans quelques cas simples, le pneumothorax
est uniquement constitué par l'épanchement d'air dans la cavité pleurale,
et les lésions anatomiques se réduisent à cet épanchement; c'est ce qui
arrive surtout dans les pneumothorax vraiment accidentels, qui se pro-
duisent à la suite d'un effort, de la rupture de quelques vésicules emphy-
sémateuses ou d'un traumatisme peu grave. Bans ces circonstances où la
plèvre et les organes adjacents sont sains, la rupture ou la déchirure du
poumon se cicatrise vite, l'air atmosphérique épanché est facilement ré-
sorbé et la guérison a lieu dans l'espace de quelques jours. Lorsque l'épan-
chement gazeux est abondant, la résorption est quelquefois lente à se
faire, et on a vu le pneumothorax persister pendant des semaines et des
mois ; cependant si la plèvre est saine, il ne résulte de la présence de l'air
KOUV. DICT. MLD. El CUIII. XXVIII. — 18
27 i PLÈVRE. PNEl'lIOTHOItAX. — LÉSIONS ANATOMIQUES.
dans son intérieur aucune conséi|iience grave; l'air atmosphérique u'ol
pas irritant pour la plèvre, et quand il est seul épanché et qu'il n'est pas
accompagné de la pénél ration de sang et surtout de produits morbides dans
la cavité pleurale, il peut ne déterminer aucune irritation. Les exemples
de guérison rapide de pneumothorax, dans les conditions que nous venons
d'indiquer, démontrent l'exactitude de ce fait, que confirment encore cer-
taines expériences sur les animaux : Dcmarquay et Leconte, ont en effet,
pratiqué sur des chiens des injections d'air dans la plèvre et les ont ré-
pétées même un grand nombre de fois chez le même animal sans qu'il en
résultat aucun accident.
Mais, comme on pourrait déjà le prévoir par la nature des causes qui
produisent le pneumothorax, cette affection se présente bien rarement dans
les conditions de simplicité qui précèdent : le plus souvent, en même temps
que l'air, d'autres produits et presque toujours des produits morhides
tombent dans la plèvre el déterminent des lésions secondaires; on a alors
les lésions de l'hydropneumothorax ou du pyopneumothorax. D'autres
fois, la plèvre est déjà le siège de lésions graves quand l'air fait irrup-
tion dans sa cavité, ainsi que cela a lieu dans le pneumothorax consé-
cutif à la pleurésie purulente. Il en résulte que, dans la grande majorité
des cas, les lésions anatomiques consistent à la fois dans la présence
d'air ou de gaz dans la plèvre et d'un épanchement liquide de compo-
sition variable ; on trouve en outre les diverses lésions qui ont été la
cause du pneumothorax. Nous avons à examiner rapidement ces différentes
altérations.
Dans le pneumotborax par perforation, le seul que nous ayons en vue,
le fluide épanché est, au moins dans le principe, de l'air plus ou moins
pur. Quand ce gaz séjourne et surtout s'il devient enkysté par oblitéra-
tion de la fistule qui lui a livré passage, il subit des modifications dues
aux phénomènes d'absorption ou d'exhalation qui se passent dans la
plèvre. Ainsi que l'ont établi les analyses de Demarquay et Leconte, qui
concordent à peu près avec les recherches antérieures de Davy, l'oxygène
diminue graduellement, si bien qu'il peut finir par disparaître presque
complètement; il est remplacé par une quantité approximativement équi-
valente d'acide carbonique ; l'azote subit également une augmentation
plus ou moins sensible. Il s'est produit ainsi un nouveau mélange qui est
plus absorbable que le précédent, et ainsi peut avoir lieu successivement
et graduellement la résorption complète. L'absorption se fait aussi sur
les gaz qui se renouvellent dans la plèvre en cas de persistance de la fis-
tule, mais naturellement la résorption complète n'est pas possible, tant
que les gaz continuent à arriver dans la cavité pleurale.
La composition des gaz épanchés n'est plus la même, quand la plèvre
contient en même temps des liquides altérés ou des détritus organiques;
il s'y ajoute alors d'autres gaz, comme l'hydrogène sulfuré ou le sulfhy-
dratc d'ammoniaque, qui donnent à l'épanchement gazeux une horrible
fétidité. En outre, tandis que l'air plus ou moins modifié était sans
influence nocive sur la plèvre et sur l'économie, ces produits d'altération
l'LKVRE.
P.NEUMOTHOn.W. LÉSIONS AN ATOMIQUES.
275
putride sont délétères au plus haut degré et capables d'engendrer des
accidents de septicémie.
La quantité du gaz épanché est très-variable, suivant que la perfora-
tion qui lui livre passage est persistante ou passagère, plus ou moins
large et plus ou moins perméable, suivant que la cavité pleurale con-
tient une quantité de liquide plus ou moins abondante, suivant que la
plèvre est libre ou cloisonnée par des adhérences, etc. Dans quelques
circonstances, la disposition de la fistule pulmonaire est telle que l'air
pénètre sans difficulté dans la plèvre et qu'au contraire il est empêché
d'en sortir par une sorte de valvule qui ferme l'orifice pendant l'expira-
tion ; c'est alors que la quantité de l'épanchcment gazeux peut être le
plus considérable, refoulant les parois thoraciques, le diaphragme et le
médiastin. Il est fréquent que la poitrine renferme d'un demi-litre à un
litre de gaz, mais cette quantité peut varier dans des proportions très-
étendues.
Le liquide épanché dans la plèvre en même temps que les gaz pré-
sente une composition variable: quelquefois il est séreux (hydropneumo-
thorax), très-souvent il est purulent (pyopneumolhorax). La présence
d'une certaine quantité de liquide simplement séreux, coïncidant avec un
épanchement gazeux de la plèvre, est une nouvelle preuve que l'air atmos-
phérique n'a sur la plèvre qu'une action bien faiblement irritante ; cepen-
dant les exemples d'hydropneumothorax avec épanchement purement
séreux sont, en réalité, assez rares: Saussier n'en a cité qu'un exemple
sur 109 observations; on pourrait en signaler quelques autres (Marais,
Vieuille, Peyrot), et récemment encore Desplats en a publié un cas inté-
ressant dans le Journal des Sciences médicales de Lille (juin 1879). Pres-
que toujours l'épanchement liquide qui accompagne le pneumothorax
est sanieux ou purulent, c'est un pyopneumothorax. Très-souvent il pré-
sente une horrible fétidité, due sans doute à ce que son contact avec l'air
lui fait subir la décomposition putride. Dans ce liquide purulent ou
trouve fréquemment des masses pseudo-membraneuses, quelquefois des
détritus gangréneux du poumon. Les parois de la plèvre elle-même sont
tapissées de fausses membranes infiltrées de pus. Nous n'avons pas à
insister sur toutes ces lésions qui ne diffèrent pas de celles qu'on observe
dans la pleurésie purulente.
L'épanchement liquide et gazeux qui constitue le pyopneumothorax
occupe le plus souvent toute la cavité pleurale ; quelquefois il est en-
kysté, ainsi que cela a lieu surtout à la suite des pleurésies purulentes
inlerlobaircs ou diaphragmatiques (Cayol, Moutard-Martin, N. Guéneau de
Mussy). Suivant l'abondance de l'épanchement, on observe des déplace-
ments plus, ou moins marqués des organes voisins ; le poumon surtout
est ordinairement aplati, refoulé, déformé, quelquefois réduit à une
sorte de moignon appliqué contre la colonne vertébrale et à peine incon-
naissable sous la couche épaisse de fausses membranes qui l'enveloppe,
d'autres fois ayant conservé un certain volume et souvent relié par pla-oes
à la paroi thoracique par des brides membraneuses.
270 PLÈVRE. — pneumothorax. — symptômes et marche.
La fistule qui a donné lieu au pneumothorax n'est pas toujours facile
à trouver au milieu de toutes ces lésions. Assez souvent elle est petite,
tortueuse, comme perdue au milieu des inégalités de la surface des
fausses membranes ; pour la trouver, on peut être obligé d'insuffler le
poumon sous l'eau, et on voit alors quelques bulles d'air qui viennent
sourdre à sa surface. Les dispositions et le siège de ces fistules varient
d'ailleurs suivant les maladies auxquelles elles se rattachent; nous en
avons déjà dit quelques mots à propos des causes, et nous renverrons
pour de plus amples détails à l'étude des diverses maladies qui peuvent
amener la perforation de la plèvre, et l'épanchement d'air dans sa ca-
vité. Quelquefois ces fistules s'oblitèrent au bout d'un temps plus ou
moins long, soit par cicatrisation de leurs parois, soit par un dépôt de
fausses membranes qui obture leur lumière, et la plèvre est alors trans-
formée en une sorte de kyste renfermant des liquides et des gaz; cette
oblitération n'est souvent que momentanée et la fistule peut s'ouvrir et
se fermer par intervalles, mais il n'est pas rare que l'occlusion soit défi-
nitive : alors les gaz épanchés peuvent être résorbés en totalité ou en
partie, et le kyste pleural, cessant de communiquer avec l'extérieur, se
comporte comme les épanchements de la pleurésie chronique : une par-
tie du liquide peut être résorbée, le reste persiste indéfiniment en subis-
sant diverses transformations.
Symptômes et marche. — Le mode de début du pneumothorax
et l'évolution des accidents qu'il entraîne diffèrent d'une façon très-sen-
sible suivant la nature des causes qui en ont provoqué le développement;
il est donc nécessaire de distinguer plusieurs cas particuliers, dont les
principaux, par ordre de fréquence, ont trait: 1° aux pneumothorax qui
dépendent d'une maladie pulmonaire, comme de la tuberculose, des abcès
ou de la gangrène du poumon ; 2° à ceux qui sont consécutifs à la pleu-
résie purulente ; 5° enfin à ceux qui résultent d'une simple déchirure
du poumon, sans lésion morbide antérieure de cet organe ni de la plèvre.
Malgré leur rareté relative, nous commencerons par ces derniers, afin de
procéder des cas les plus simples aux cas les plus compliqués.
Le pneumothorax qui survient, soit à la suite d'un effort violent ou
d'une quinte de toux, soit par la rupture de quelques vésicules emphysé-
mateuses, comme celui qui est le fait d'un traumatisme, débute par une
douleur de côté très-vive et par une dyspnée subite. L'intensité de cette
dyspnée est toute entière subordonnée à l'abondance de l'épanchement:
après avoir été toujours assez intense au moment de la production du
pneumothorax, elle peut se calmer après quelques heures ou au plus
quelques jours, si la quantité de gaz est peu considérable ou si ce gaz
est déjà en partie résorbé. Il n'y a ni fièvre ni aucun autre trouble géné-
ral, et surtout on ne constate aucun symptôme de pleurésie! Les signes
physiques dénotent l'existence d'un épanchement gazeux dans la plèvre et
c'est dans ces cas seulement que le pneumothorax se présente à l'état de
pureté: on trouve une sonorité tympanique à la percussion, du souffle
amphorique à l'auscultation, phénomènes sur lesquels nous insisterons
PLÈVRE.
PNEUMOTHORAX.
— SYMPTÔMES ET MARCHE.
277
tout à l'heure ; assez souvent il s'y joint plus tard des signes qui indi-
quent une certaine quantité d'épnncbement séreux. Ordinairement la
déchirure du poumon se ferme peu de temps après sa production, et alors
l'air et le liquide épanché peuvent être résorbés, au bout de quelques
jours ou de quelques semaines ; plus rarement l'épanchcment persiste
pendant des mois et même pendant des années. J'ai observé dans les
hôpitaux un malade qui portait ainsi depuis deux ou trois ans un hydro-
pneumothorax enkysté sans en éprouver d'ailleurs de bien grands trou-
bles : il venait de temps en temps à l'hôpital pour se reposer, mais était
capable de se livrer au travail pendant de longs intervalles. Ce premier
groupe de pneumothorax comprend les cas les plus favorables, puisque
la guérison n'est pas rare et même que souvent elle n'est pas longue à
venir. Celte innocuité relative tient à ce que, au moment où l'épanche-
mcnl s'est produit, le poumon et la plèvre étaient sains et que les lésions
se réduisent à l'épanchcment dans la cavité pleurale d'une certaine
quantité d'air atmosphérique, dont l'action est, comme nous le savons,
bien faiblement irritante.
Dans le pneumothorax consécutif à la pleurésie purulente, on observe
d'abord les symptômes propres à cette maladie, puis ceux d'une vomique
plus ou moins persistante ; ce n'est qu'après une certaine durée de l'ex-
pectoration purulente que surviennent, et cela bien entendu dans quel-
ques cas seulement, les symptômes du pneumothorax. Cette complication ne
s'annonce en général par aucun trouble important qui indique le moment
précis où l'air est entré dans le foyer purulent: pas de point de côté vio-
lent ni de dyspnée subite, dans quelques cas seulement une augmenta-
tion de l'oppression. C'est le plus souvent par les signes physiques qu'on
est conduit à reconnaître que l'air a pénétré dans la plèvre : on trouve,
en effet, de la sonorité dans les parties supérieures de la poitrine qui
auparavant présentaient une matité absolue, on entend du souffle ampho-
rique, on perçoit le bruit de succussion hippocratique, etc. Quelquefois
aussi la fétidité de l'haleine et des crachats peut mettre sur la voie du
diagnostic : alors que, pendant un certain temps, le malade n'avait
expectoré que du pus fluide sans odeur bien marquée, on s'aperçoit à un
moment que les crachats deviennent fétides et acquièrent bientôt une
odeur repoussante ; c'est que l'air qui a pénétré dans le foyer purulent
permet maintenant la putréfaction des liquides épanchés. Presque tou-
jours la production du pneumothorax dans ces conditions aggrave beau-
coup la situation, déjà si sérieuse : l'appétit achève de se perdre, il sur-
vient souvent de la diarrhée, des frissons répétés suivis de sueurs froides,
en un mot des accidents de septicémie, et la mort ne tarde pas à arriver.
Cependant il n'en est heureusement pas toujours ainsi : dans quelques
circonstances favorables, le foyer purulent peut continuer à se vider par
les bronches, sans phénomènes de putridité malgré la présence de l'air, et
la guérison spontanée est possible, aussi bien que dans le cas de pleurésie
purulente simple ouverte dans les bronches sans complication de pneumo-
thorax. Enfin l'abcès pleural s'ouvre quelquefois, non plus dans les bron-
278
PLfcVRE.
P.NEUMOTIIORAX.
SYMPTÔMES ET MARCHE.
■•lies, mais à travers la paroi Ihuraciquc, et dans ce cas encore l'air peut
pénétrer dans la cavité de la plèvre, le pyopneuinotliorax est constitué,
avec toutes les cliances d'altération putride de l'épanclieinent que nous
indiquions tout à l'heure. Quand ces accidents de putridité apparaissent,
une issue fatale est presque inévitable, si une large ouverture du thorax
pratiquée artificiellement ne vient permettre de déterger la cavité et
d' empêcher la décomposition des produits qu'elle contient.
La troisième espèce de pneumothorax que nous avons à étudier est
celle dans laquelle l'épanchemcnt d'air résulte d'une perforation du pou-
mon, consécutive elle-même à une maladie de cet organe. C'est de beau-
coup l'espèce la plus commune, puisqu'elle comprend le pneumothorax,
qui survient dans la phthisie pulmonaire, ou plus rarement à la suite de
la gangrène ou des abcès du poumon ; c'est elle qui a servi de modèle à
la description de tous les auteurs.
Le début est brusque, marqué par deux phénomènes, le point de côté
et la dyspnée, dont la soudaineté d'apparition et la violence sont presque
caractéristiques, lorsqu'on les voit apparaître brusquement chez des indi-
vidus atteints de l'une des maladies que nous venons d'indiquer. Tout à
coup, pendant une quinte de toux ou sans cause déterminante, le malade
est pris d'une douleur atroce, angoissante, parfois accompagnée d'une
sensation de déchirure dans la poitrine. En même temps il éprouve une
dyspnée terrible avec menace de suffocation ; celte dyspnée s'explique
par l'irruption brusque de l'air dans la plèvre, qui d'emblée supprime
une partie de la surface respiratoire (insuffisance pulmonaire aiguë, Win-
trich), et aussi par le point de côté, qui fait que le malade immobilise
instinctivement son thorax. L'oppression arrive à son comble, quand la
perforation est disposée de telle sorte que l'air entre librement dans la
plèvre et ne peut en sortir ; l'épanchement remplit alors tout un côté de
la poitrine, tout le poumon correspondant cesse de fonctionner et la mort
peut arriver très-rapidement avec les phénomènes de l'asphyxie aiguë.
Plus souvent les accidents du début s'atténuent au bout d'un certain
temps, le point de côté surtout, mais la dyspnée persiste, plus ou moins
intense suivant l'abondance de l'épanchement. Dans les premiers temps,
il n'y a pas de fièvre, du moins imputable à l'épanchement d'air; plus
tard, quelquefois même rapidement, les phénomènes fébriles apparais-
sent, liés à la pleurésie qui s'ajoute au pneumothorax et qui est presque
constante dans l'espèce que nous étudions.
Les signes physiques du pneumothorax et de riiydropncumolhorax
sont très particuliers à cette maladie et en rendent le diagnostic le plus
souvent facile.
L'inspection l'ait constater L'immobilisation d'un côté de la poitrine et
la dilatation permanente de ce côté. On voit, en effet, que la moitié du
thorax correspondante à l'épanchement gazeux ne présente pas, dans l'ins-
piration et dans l'expiration, les alternatives de soulèvement et de retrait
qu'on observe du côté sain ; cette immobilité est également évidente au
niveau de l'hypocliondre qui reste soulevé et saillant, et ne s'affaisse pas
PLÈVRE.
PNEUMOTHORAX.
SYMPTÔMES ET MARCHE.
279
comme du côte opposé pendant l'expiration, parce que le diaphragme est
abaissé et maintenu dans cette position par La pression de l'épanchement
gazeux et de l'épanchement liquide; notons, en passant, que cet abaisse-
ment permanent du diaphragme peut encore être reconnu par le refoule-
ment du foie ou de la rate, suivant que le pneumothorax siège à droite
ou à gauche. Quant à la dilatation du côté malade, elle est plus apparente
que réelle, et, en fait, il n'y a pas, dans le pneumothorax, de voussure
générale ou partielle analogue à celle qu'on rencontre dans la pleurésie.
On a prétendu que les gaz pouvaient s'accumuler en quantité considéra-
bles dans la plèvre, lorsque la disposition de la fistule permettait l'entrée
de l'air et empêchait sa sortie, et que ces gaz pouvaient alors acquérir
une tension capable de refouler les parois thoraciques et même de dépla-
cer les organes du médiastin ; mais il y a là une erreur contre laquelle
de Castclnau et Béhier se sont élevés avec raison. Il est, en effet, impos-
sible qu'une nouvelle quantité d'air entre encore dans la cavité pleurale,
lorsque les gaz qui y sont contenus ont acquis, pendant l'agrandisse-
ment du thorax dans l'inspiration, une tension égale à la pression atmos-
phérique ; on ne voit pas quelle force les y ferait pénétrer. Ce n'est donc
pas une distension réelle qui existe du côté malade, c'est simplement
une absence de retrait : la poitrine ne revient pas sur elle-même lors de
l'expiration, puisque l'air qui la remplit ne peut être chassé, elle reste
dans la position qu'elle prend lors d'une inspiration profonde et faite avec
effort; aussi paraît-elle être dilatée pendant l'expiration par rapport au
côté sain, mais celte différence disparaît à peu près complètement au
moment d'une forte inspiration (Béhier). Le plus souvent, d'ailleurs, l'air
peut entrer et sortir sans difficultés, ou bien il est emprisonné dans la
plèvre après oblitération de la fistule; dans ces cas, l'ampliation du côté
malade est nulle ou peu marquée, quelquefois même on trouve un rétré-
cissement dû à des adhérences antérieures^
La percussion donne un son tympanique dans toutes les parties occu-
pées par l'épanchement gazeux, et le doigt qui percute éprouve une sen-
sation d'élasticité remarquable ; s'il y a en même temps des liquides
accumulés dans la plèvre, ils occupent naturellement les parties déclives
et alors on trouve, en haut de la poitrine, une sonorité exagérée, en bas,
une matilé absolue. La tonalité du son tympanique varie suivant la ten-
sion du gaz contenu dans la poitrine et la tension corrélative des parois
thoraciques : si cette tension est faible, la tonalité sera grave; si, au cou-
traire, elle est forte, la tonalité sera aiguë et le caractère tympanique
pourra être alors beaucoup moins facile à percevoir ; il peut même arri-
ver que la tonalité soit assez aiguë pour qu'on puisse croire à l'existence
de la matilé : en y faisant attention, on reconnaîtra qu'il n'y a pas de
matité véritable, mais un son clair et aigu très-différent du son tympa-
nique qu'on trouve habituellement. Quelquefois le son fourni par la per-
cussion présente un timbre métallique remarquable; mais, en général,
pour bien percevoir ce caractère, il faut combiner la percussion et l'au-
scultation : si l'on applique l'oreille sur la poitrine, au niveau des par-
280
PLÈVRE. —
PNEUMOTHORAX.
SYMPTÔMES ET MARCHE.
lies correspondantes au pneumothorax, et qu'en même temps on percute
ou qu'on lasse percuter un point quelconque du thorax, soit avec les
doigts, soit avec un doigt frappant sur une pièce de monnaie, soit avec
une pièce de monnaie frappant sur une autre pièce appliquée sur la poi-
trine, on entend un bruit métallique éclatant et prolongé auquel Trous-
seau a donné le nom de bruit d'airain, et qui a une très-grande valeur
diagnostique.
Les vibrations thoraciques sont abolies dans toute l'étendue de l'hydro-
pneumothorax, aussi bien dans la partie correspondante à 1'épanchement
gazeux que dans celle qui correspond à la collection liquide.
L'auscultation fournit une grande variété de signes, qui sont aussi
importants que caractéristiques. On constate d'abord la suppression abso-
lue du bruit respiratoire normal ; ce bruit est remplacé par du souffle
amphorique, souffle produit, soit par le passage de l'air dans la cavité
pleurale à travers l'orifice étroit de la fistule et qui ressemble en effet à
celui qu'on détermine en soufflant dans l'ouverture d'une cruche à large
ventre et à col très-rétréci, soit par le retentissement du bruit bronchi-
que à travers une cavité pleine de gaz, dans le cas où l'orifice fistuleux
est oblitéré. L'intensité de ce souffle est très-variable ; quelquefois il est
très-fort, d'autres fois il est si faible ou paraît si éloigné qu'il faut une
grande attention pour le découvrir ou qu'on le perçoit seulement dans
les grandes inspirations ; en tout cas, il offre un timbre métallique tout
particulier. Le même caractère amphorique se retrouve dans l'ausculta-
tion de la voix et de la toux, qui sont souvent suivies d'un écho métalli-
que plus ou moins retentissant. L'oreille appliquée sur la poitrine per-
çoit encore, par intervalles, le tintement métallique, petit bruit sec,
sonore, analogue à celui que produirait une perle tombant dans une
coupe de cristal ; ce pbénomène est très-inconstant, il paraît et disparaît
de temps en temps ; quelquefois il est provoqué par des secousses de toux
ou par les mouvements du malade, ou au contraire il est supprimé par
ces circonstances. Tous ces phénomènes, auxquels on peut joindre le
bruit d'airain de Trousseau dont nous avons déjà parlé, constituent un
ensemble de signes d'auscultation dont on ne saurait contester la grande
valeur diagnostique. L'interprétation physiologique de ces divers signes a
donné lieu à de nombreuses discussions, notamment pour le tintement
métallique ; cependant nous n'avons pas à entrer dans le détail des diver-
ses théories qui ont été présentées et soutenues, parce que celles-ci ont
déjà été exposées avec une grande netteté dans l'article Auscultation de
ce dictionnaire (Voy. t. IV, p. 125, 155, et 144). Qu'il nous suffise de
faire observer que la production des divers bruits morbides que nous ve-
nons d'indiquer ne semble pas exiger la communication de la cavité anor-
male avec les bronches, mais que, suivant l'opinion de Skoda, de Mon-
ncret et de Béhicr, ces bruits peuvent aussi bien se produire dans les cas
où la fistule broncho-pleurale est fermée que dans ceux où la communi-
cation persiste entre les bronches et la plèvre : dans cette interprétation,
qui concorde avec un grand nombre de faits et d'expériences, tous les
PLÈVRE- — PNEUMOTHORAX. — SYMPTÔMES ET MARCHE. '28 1
bruits qui arrivent à l'oreille dans l'auscultation de la poitrine, acquer-
raient, en traversant la cavité pleine d'air du pneumothorax-, le caractère
amphorique et le timbre métallique, que ces bruits se passent d'ailleurs
dans la cavité anormale ou en dehors d'elle dans les bronches, que la
perforation pulmonaire existe encore ou bien qu'elle soit fermée. « Ainsi
donc, dit Beliier, dans le pneumotorax, la communication pleuro-bron-
chique n'est nécessaire que pour créer l'établissement de la collection ga-
zeuse qui joue, dans la production des phénomènes, le rôle d'une caisse
de renforcement ; le maintien de cette communication est inutile pour la
production du tintement métallique et des diverses nuances de bruits mé-
talliques. Ces derniers ne sont autres que des bruits extérieurs à la col-
lection gazeuse qui, en la traversant pour arriver à l'oreille de l'observa-
teur, prennent le timbre particulier qui leur imprime un caractère
spécial et une valeur diagnostique particulière. »
Enfin un dernier signe, encore aussi caractéristique que les précé-
dents, est fourni par la succussion hippocratique : lorsque la plèvre con-
tient en même temps des liquides et des gaz, les mouvements imprimés
au malade déterminent un clapotement du liquide, qui est perceptible à
l'oreille et quelquefois même à la main, et que le malade ressent souvent
de lui-même dans les mouvements qu'il exécute. Le bruit de Ilot est, dans
certaines circonstances, assez fort pour qu'on l'entende à distance, d'au-
tres fois il est nécessaire d'appliquer l'oreille sur la poitrine. En outre,
pendant la succussion, la main appliquée sur le côté malade ressent quel-
quefois le choc du liquide qui vient frapper contre la paroi thoracique.
Le bruit de succussion hippocratique, qu'on peut retrouver dans d'autres
circonstances, par exemple lorsque l'estomac distendu contient des gaz et
des liquides, présente pour le diagnostic une très-grande valeur : quand
on l'a bien constaté et qu'on a bien déterminé qu'il a son siège dans la
cavité pleurale, il suffit à lui seul pour établir avec certitude l'existence
de l'hydro-pneumothorax.
Aux symptômes et aux signes précédents s'ajoutent fréquemment des
phénomènes graves qui se rattachent à la purulence ou à la putridité
de l'épanchement liquide. Dans certains cas de pneumothorax tuber-
culeux, l'épanchement peut, à la vérité, rester simplement séreux, ainsi
que nous en avons déjà cite quelques exemples, et alors les phénomènes
généraux sont nuls ou presque nuls, la dyspnée et les menaces d'asphyxie
constituent tout le danger de la maladie; mais bien plus souvent, on
pourrait dire presque toujours, l'épanchement est purulent et il en est
constamment ainsi dans les cas d'abcès ou de foyers gangréneux du
poumon ouverts dans la plèvre : alors apparaissent, quelquefois de très-
bonne heure, les accidents les plus graves de la pleurésie purulente; ou
bien, par suite de l'altération putride que subit le pus, ou voit survenir
.des symptômes de putridité et de septicémie, en tout semblables à ceux
que nous avons mentionnés à propos de la pleurésie purulente compli-
quée de pneumothorax.
On voit, d'après cela, toute la gravité du pronostic dans les cas où le
'■282 PLEVRE1. PNEl MOTlIOnAX. — diagnostic.
pneumothorax est la conséquence de l'ouverture dans la plèvre d'un foyer
tuberculeux ou gangreneux ou d'un abcès pneumonique. Outre que cet
accident peut entraîner la mort à bref délai, par le seul l'ait de l'abon-
dance de l'épanchement et de l'asphyxie qui en résulte, les suites les plus
redoutables sont à craindre, si le malade échappe à ce premier danger;
on aura, en effet, à compter avec le développement d'une pleurésie
purulente généralisée et le développement plus terrible encore de ha
décomposition putride du liquide épanché, avec toutes ses conséquences.
Le pronostic sera moins absolument grave, si le pneumothorax est limité
et enkysté, parce que quelquefois le foyer peut être évacué par les
bronches et la guérison arriver. Enfin, dans des cas malheureuse-
ment exceptionnels, et lorsque le pneumothorax survient au début de
la tuberculose, il peut arriver qu'on ait simplement affaire à un hy-
dropneumothorax, que le gaz soit résorbé après fermeture de la fistule,
et que le liquide épanché disparaisse à son tour après un temps plus ou
moins long.
Diagnostic. — Les différentes espèces de pneumothorax que nous avon/»
successivement étudiées présentent un mode de début et une évolution
qui bien souvent ne permettent pas de se méprendre sur leur natufe; en
outre, on trouve dans cette maladie des signes physiques fournis par la
percussion, par l'auscultation, par la succussion, etc., qui, même pris
isolément, ont déjà une grande valeur, et qui par leur réunion consti-
tuent un ensemble plus capable de suffire au diagnostic dans la plupart
des autres maladies. Très-souvent donc le diagnostic ne présente pas
de difficultés. Mais quelquefois la maladie n'est caractérisée que par
quelques-uns de ses signes habituels, et alors on peut la confondre avec
d'autres maladies ; plus souvent encore on croit à l'existence d'un
pneumothorax qui n'existe pas, parce qu'on a attaché trop d'importance
à certains signes, au souffle amphorique par exemple.
Le pneumothorax généralisé et accompagné, comme c'est le cas le plus
ordinaire, d'un épanchement liquide plus ou moins abondant ne peut
guère être méconnu ni confondu avec aucune aulre maladie; on y
trouve, en effet, à la fois tous les signes physiques, notamment, le souffle
amphorique, le bruit d'airain et le bruit de succussion qui permettent
d'affirmer le diagnostic. Mais l'embarras est bien plus grand pour les
pneumothorax circonscrits et enkystés: quand ceux-ci sont consécutifs à
une pleurésie purulente inlerlobaire ou diaphragmatique, on voit d'abord
se produire les symptômes d'une vomique qui n'avait pas son origine
dans un épanchement occupant la grande cavité pleurale, puis on constate
l'apparition de bruits amphoriques et quelquefois même le tintement
métallique; dans ces conditions, il est naturel de penser à un pneumo-
thorax, etsi, dans la suite, on voit l'état général s'améliorer et les signes
cavitaires s'atténuer et disparaître, on est autorisé à persister dans ce
diagnostic et à écarter le soupçon d'une caverne tuberculeuse (Moutard-
Martin, Noël Guéneau de Mussy).
Certaines pleurésies accompagnées de souffle amphorique et la phthisie
PLÈVRE.
PNEUMOTHORAX. TRAITEMENT.
285
pulmonaire avec cavernes volumineuses sont les deux maladies qu'on est
le plus exposé à confondre avec le pneumothorax.
C'est surtout l'existence du souffle amphorique qui peut faire croire à
un pneumothorax dans certains cas de pleurésie, notamment de pleurésie
purulente; mais dans ces cas où l'épanchement est déjà abondant, on
trouvera de la matité au lieu du tympanismc à la percussion, on ne
rencontrera ni bruit d'airain ni bruit de succussion, on aura d'ail-
leurs les signes antérieurs d'une pleurésie purulente ; s'il s'agissait,
au contraire, d'un pneumothorax consécutif à une pleurésie puru-
lente, on aurait, avant l'épanchement gazeux, observé les symptômes
d'une vomique.
Les grandes cavernes pulmonaires superficiellement placées peuvent
donner lieu à plusieurs des signes du pneumothorax, notamment aux
bruits ampboriques et même au tintement métallique ; mais on remar-
quera que le bruit de succussion y est absolument exceptionnel, que la
percussion donne à leur niveau le bruit de pot fêlé en même temps que
le tympanisme, que les vibrations thoraciques sont exagérées, qu'il y a
du rétrécissement du thorax, etc. On aura surtout égard à l'évolution
toute différente des phénomènes dans les deux maladies : au lieu du
début brusque et de l'apparition presque soudaine des symptômes qu'on
trouve dans le pneumothorax, on a dans la tuberculose des accidents
successifs dont on peut suivre les progrès. Malgré tout, dans les cas où
un pneumothorax circonscrit vient compliquer une phthisie pulmonaire
déjà avancée, il est certain que le diagnostic peut présenter de très-
grandes difficultés et qu'il reposera uniquement sur les signes physiques
que nous venons d'indiquer.
Quant au diagnostic de la cause du pneumothorax et de la maladie à
laquelle il se rattache, nous n'avons pas à y insister de nouveau, après
avoir étudié séparément les principales espèces qu'il nous a paru utile de
reconnaître parmi les épanchements gazeux intra-pleuraux.
Traitement. — Quand le début du pneumothorax est brusque et mar-
qué par cette atroce douleur et cette terrible dyspnée qu'on observe dans
les circonstances que nous avons signalées, il laut chercher, sans retard,
à remédier à ces accidents. Pour calmer le point de côté, les injections
sous-cutanées de morphine loco dolenti sont le moyen le plus rapide et
le plus efficace; on pourra les répéter plusieurs fois, à intervalles conve-
nables, jusqu'à ce qu'elles aient réussi à modérer ce symptôme pénible,
dangereux même par la nouvelle entrave qu'il apporte à la respiration.
Contre la dyspnée qui tient à la brusque diminution du champ respi-
ratoire, les inhalations d'oxygène sont assurément un remède très-ration-
nel, et elles peuvent, en effet, compenser en quelque sorte, dans une
certaine mesure, l'insuffisance pulmonaire; on pourra y revenir dans le
cours de la maladie pour calmer l'oppression. On a conseillé aussi les
émissions sanguines, dans le but de combattre la fluxion qui se produit
sur le poumon sain; mais ce moyen, applicable au cas du pneumothorax
traumatique ou aux cas qui s'en rapprochent, sera souvent contre-indiqué
'2 Si
l'LÈVMï. BIBLIOGRAPHIE.
par les maladies antécédentes cl par l'état de faiblesse que ces maladies
auront amené.
Ultérieurement, les indications thérapeutiques varient suivant l'espèce
de pneumothorax et les accidents que chacune d'elles peut entraîner.
Si le pneumothorax est pur, sans complication d'épanchement liquide,
on doit se borner à l'expectation, puisqu'on sait que l'air atmosphérique
n'a pas ou guères d'influence nocive sur la plèvre, et que le gaz pourra
être résorbé dès que la perforation qui en a déterminé l'épanchement
sera fermée. S'il y a hydro-pneumothorax, on peut employer quelques
révulsifs pour combattre la pleurésie subaiguë dont l'épanchement séreux
est l'indice; et, dans le cas où la quantité du liquide serait assez consi-
dérable pour constituer un danger, il ne faudrait, pas hésiter à recourir
à la thoracentèse et à la répéter suivant les circonstances.
Parmi les cas de pyopneumothorax, il faut distinguer ceux où l'on est
en présence d'une pleurésie purulente ouverte dans les bronches ou par
la paroi thoracique, et ceux où l'on a affaire à la rupture d'un foyer pul-
monaire dans la plèvre.
Dans le cas de pleurésie purulente, il ue faut pas trop se hâter de pra-
tiquer la thoracentèse ou l'empyème, puisqu'on sait que ces cas peuvent
quelquefois guérir sans opération, par évacuation successive du contenu
de l'abcès pleural. Mais, si la formation du pus persiste indéfiniment et
surtout si l'on voit survenir des accidents de putridité, il faut alors recou-
rir à l'empyème et faire de grands lavages désinfectants de la plèvre.
L'opération serait pourtant conlre-indiquée, si le malade est tuberculeux,
car elle n'aurait alors aucune chance de succès.
Enfin, si le pyopneumothorax résulte de la rupture dans la plèvre
d'un foyer pulmonaire, les indications sont subordonnées à la nature de
la maladie initiale : si c'est une phlhisie pulmonaire et si c'est un foyer
tuberculeux ramolli ou une caverne qui se sont ouverts dans la cavité
pleurale, on devra s'abstenir. Mais s'il s'agit d'un foyer gangréneux du
poumon ou d'un abcès qui ont fait irruption dans la plèvre, on pourra
trouver dans l'empyème quelques chances de guérison, ainsi que nous
l'avons dit plus haut à propos de la gangrène de la plèvre.
Dans les circonstances malheureusement trop nombreuses où une
intervention curative paraît impossible, la thoracentèse peut quel-
quefois rendre de grands services à titre de moyen palliatif, pour remé-
dier aux accidents produits par l'abondance de l'épanchement. Yoy. art.
Poitiïlne : thoracentèse.
Laennec, Traité de l'auscultation médiate, 5e éd., Paris, 1851, t. II, p. 282-550.
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méd., novembre 1879, p. 520).
Charles Fernet.
PLOMB. — Ail. Blet, angl. lead, ital. piombo, esp. plomo. Symbole
Pb. — Equivalent 103,3. Un corps dont l'importance est de premier
ordre en hygiène, en thérapeutique, en toxicologie, en pharmacologie,
etc., ne saurait demeurer indifférent ou peu connu. Heureusement
286 PLO.MIÎ. CHIMIE. ÉTAT NATUIIEI-. EXTRACTION DU PLOMU.
d'ailleurs, la monographie du plomb est l'une des plus simples et des
moins chargées d'hypothèses. Et nous allons la résumer rapidement.
Historique — La facilité avec laquelle s'opère la réduction des
principaux minerais (galène ou carbonate) explique a priori pourquoi la
découverte du plomb se perd dans la nuit des temps. Elle a vraisembla-
blement apparu en Europe, en même temps que les peuplades aryennes,
auxquelles est due la connaissance des métaux (âge de bronze, etc.).
Les anciens connaissaient en effet, non-seulement le plomb métallique
dont ils se servaient principalement pour la fabrication des conduite
d'eau, mais aussi le minium qu'ils employaient comme matière colo-
rante. Dès le temps des Romains, on n'ignorait pas que le plomb ren-
ferme souvent de l'argent.
Les mines principales étaient situées dans l'Espagne, et dans les
Gaules. Elles fournissaient, dès cette époque de la litharge, et même
de la céruse, ce qui est l'indice d'une industrie déjà fort avancée à cet
égard.
État naturel. — Rarement on rencontre le plomb à Vélat natif ' (Ma-
jerus). — 11 est alors en lamelles appartenant au système cubique; on l'a
aussi observé sous forme de paillettes dans un échantillon de fer météori-
que (Gray).
C'est presque toujours à l'état de sulfure {galène), seul ou mélangé
aux sulfures des autres métaux (argent et cuivre principalement), que
l'on trouve le plomb dans la nature.
Le carbonate est moins fréquent.
Quant aux molijbdale, lungstate, cliromate, il sont relativement rares,
et il en est de même des sulfate, phosphate, lellurure et séléniure de
plomb naturels.
Les seuls véritables minerais de plomb sont donc la galène et le car-
bonate. Ils sont assez souvent mélangés, et le carbonate paraît, dans
ce cas, provenir de l'action, sur la galène, des agents atmosphériques.
La galène se présente en amas ou en filons de puissance parfois très-
considérable. On l'a trouvée à presque tous les étages géologiques, depuis
les roches plutoniennes jusqu'aux terrains tertiaires. Quand elle contient
une proportion d'argent notable, elle devient plus friable : caractère
précieux au point de vue métallurgique.
Extraction du plomb. — La métallurgie du plomb est depuis
longtemps tombée dans le domaine de l'industrie. Dans les laboratoires,
on se contente de procéder, quand il y a lieu, à la purification de ce métal.
1° L'opération préliminaire consiste à essayer le minerai. Le procède'
varie suivant qu'il s'agit d'une galène ou d'un minerai oxydé.
Sans entrer dans le détail, nous dirons que ces essais sont destinés
à fournir seulement des indications approximatives.
Tels qu'on les exécute dans les usines, et même dans les laboratoires,
c'est-à-dire par voie sèche, ces essais sont toujours entachés d'erreur par
défaut. Le titrage est donc toujours faible, ce qui est d'ailleurs surabon-
damment démontré par le rendement industriel, invariablement supérieur
PLOMB. EXTIUCTION DU PLOJ111. 287
à la quantité indiquée par l'essai préliminaire. La volatilisation relati-
vement facile du plomb et même de quelques-uns de ses composés binai-
res rend compte très-naturellement de ce déficit qui varie de 5,5 à 4 du
cent (Rivot), la moyenne étant comprise entre 5 et 10 pour 100.
La richesse des galènes varie beaucoup suivant la nature et l'abondance
de la gangue.
Le sulfure de plomb pur, contenant 80,0 100 de plomb, on trouve
des galènes qui fournissent 50, 40, 50 pour 100 de plomb ou davantage.
A partir de 50 pour 100, une galène est dite riche ; les plus riches
atteignent à peine 85 pour 100.
Au point de vue théorique, la métallurgie du plomb relève d'un petit
nombre de principes et peut être représentée par des équations très-sim-
ples. Nous supposerons toujours la galène pure, nous verrons que les
matières étrangères ou les impuretés sont à cet égard sans importance
notable.
Le sulfure de plomb est fusible au rouge. En vase clos, il y a perte de
soufre qui se sublime et production d'un sous-sulfure plus fusible. Mais
quand l'opération se fait en présence de l'air, il est possible, en ménageant
l'accès de l'oxygène, de brûler le soufre sans oxyder le plomb.
Pb_S +J3^= Pb -f- SO2
Galène. Oxygène. Plomb Aciile
métallique, sulfureux.
Pour que la réaction s'opère bien nettement, on ajoute ordinairement un
peu de charbon, c'est alors la méthode dite du bas foyer.
Mais ii arrive plus ordinairement qu'on ne cherche pas à régler de près
l'oxydation, et la réaction précédente se complique un peu.
En grillant la galène on obtient alors, suivant la température et les
proportions relatives de minerai et d'oxygène, de l'oxyde de plomb, de
l'acide sulfureux et même du sulfate de plomb.
1° Pj^S -+- 05 = Pb O -f- SO5
Galène. Oxygène. Oxyde Acide
de plomb, sulfureux.
2° PbS + 0» = Pb S0l
Galène. Oxygène. Sulfate
de plomb.
Mais en élevant la température après avoir amené par un grillage
bien exécuté (ce que l'habitude apprend à connaître), la composition de
la masse à des proportions convenables des différents corps ci-dessus, l'é-
quation définitive devient,
(Pb S) -+- 2 Pb 0 -f- Pb SCP = 5 Pb + 5 (S0S)
c'est-à-dire, en somme, que la galène, l'oxyde et le sulfate de plomb
réagissant à haute température, et à l'abri du contact de l'air, 6e résol-
vent en acide sulfureux, qui se dégage, et en plomb métallique.
Tel est le principe de la méthode dite par réaction.
D'autres méthodes, dites par réduction au charbon, ou encore par pré-
cipitation au moyen d'un autre métal tel que le fer ou le zinc, sont aussi
288 PLOMB. — luiri.NAGR du plomb.
employées. Nous ne les décrirons pas en détail, non plus que la méthode
mixte. Ces diverses méthodes ne sont en définitive que des modifications
des deux premières et le principe est toujours le même.
Il importe cependant de faire remarquer que dans la méthode parpre-
cipitation on peut supprimer le grillage, ce qui est important toutes les
l'ois que le combustible est rare.
On, est même arrivé à remplacer, dans ce procédé, le fer métallique par
ses minerais, par des malles ferrugineuses, ou encore des scories, qui
sont réduites dans le four lui-même où elles effectuent ensuite la préci-
pitation du plomb.
Toutes ces méthodes, basées comme on vient de le dire sur des opéra-
tions effectuées à haute température, s'accompagnent de pertes [considé-
rables de plomb volatilisé, inconvénient doublement fâcheux au point de
vue du rendement d'abord, mais surtout au point de vue hygiénique.
La méthode du bas foyer est aujourd'hui presque abandonnée, principa-
lement à cause des graves et nombreuses maladies dont elle a été le
point de départ parmi les ouvriers employés à ces travaux insalubres. En
outre la perte en métal peut s'élever à 15 pour 100 et même davantage.
On s'est donc préoccupé dans tous les procédés et appareils destinés à la
métallurgie du plomb, de la condensation des fumées, qui entraînent le
plomb à l'état de vapeurs, ou en tout cas, de division extrême.
Cette condensation offre de grandes difficultés. On a essayé dans ce but
premièrement des chambres, dites de condensation, à cubage énorme,
puis du barboltage des fumées dans de l'eau présentée à l'état liquide
ou même pulvérisée. Mais la substance qu'il s'agit d'arrêter, étant inso-
luble et non susceptible d'être mouillée, l'eau, dans ce cas, est inef-
ficace.
Le proeédé adopté dans les usines les plus importantes consiste à faire
passer les fumées plombeuses dans des canaux à parois rugueuses dont la
longueur est parfois très-considérable. Au Bleiberg, en Belgique, cette
longueur atteint un kilomètre. En Angleterre, on a même été jusqu'à
3 et même 4 kilomètres, comme à Allendale. Et malgré tout, les pertes
sont encore très-notables.
2° raffinage du plomb. — Le plomb, tel qu'on l'obtient par l'une des
méthodes précédentes, est loin d'être pur.
Il contient une certaine quantité de matières étrangères (soufre, arse-
nic, antimoine, zinc, cuivre, fer, argent, etc.).
Il doit donc être raffiné avant d'être livré au commerce. Cette purifica-
tion doit être considérée à deux points de vue bien distincts, qui conduisent
à deux méthodes radicalement différentes.
S'il s'agit de se débarrasser du soufre, de l'arsenic, de l'antimoine, du
zinc, on procède par oxydation incomplète dans des fours à réverbères.
Les impuretés sont oxydées tout d'abord, le plomb restant en dernier
lieu à l'état presque pur désigné couramment sous le nom de plomb
(Vœuvre.
Si c'e^t seulement du cuivre et même du fer qu'il faut éliminer, la
PLOMU. — TRAITEMENT DES PLOJUls ARGENTIFÈRES. 289
simple fusion suffît pour purifier le mêlai par Uqualion, en ayant soin
d'enlever les crasses qui se forment.
5° Traitement des plosius argentifères. — Mais quand le plomb contient
Je l'argent, et c'est le cas le plus général, la matière étrangère, loin d'être
considérée comme une impureté, devient le but principal de l'opération el
la séparation du plomb d'avec l'argent, successivement perfectionnée,
permet actuellement l'exploitation avantageuse de galènes relativement
très-pauvres en argent.
1° Coupellation. — Anciennement on opérait uniquement par coupel-
lation. Celte opération, connue des alchimistes, si ce n'est inventée par
eux, est basée sur l'inoxydabililé de l'argent fondu, tandis que tous
les métaux ordinaires (non nobles comme on disait alors), le plomb
en particulier, s'oxydent facilement à celte température en fournissant la
litharge PbO qui présente en outre la propriété de dissoudre en quantité,
notable les oxydes des autres métaux.
L'opération s'effectue au moyen d'une coupelle poreuse dans laquelle
on chauffe le plomb argentifère, en le soumettant à l'action d'un cou-
rant d'air réglé suivant la quantité de plomb qu'il s'agit d'oxyder.
La coupellation en grand, celle qui se pratique dans l'industrie, a lieu
dans de vastes coupelles en cendre d'os et autres matières poreuses,
comprimées sur la sole d'un fourneau, et façonnées de manière à offrir
une cavité peu profonde dans laquelle on chauffe à la fois plusieurs mil-
liers de kilogrammes d'alliage argentifère. Un couvercle manœuvré au
moyen d'un contre-poids vient fermer le fourneau et l'air arrive en
grand excès à la surface du bain métallique, au moyen de tuyères.
On chauffe, le plomb s'oxyde el la litharge fondue se rassemble dans
l'espace compris entre la coupelle et le ménisque formé par la masse
métallique. On fait écouler cette litharge fondue au fur cl à mesure de
sa production, en échancrant la coupelle de manière à livrer passage
à l'oxyde fondu. Les premiers produits de l'oxydation sont gris ou même
noirâtres, ce sont des litbarges impures (abzurjs et abslrichts). La li-
tharge normale doit être brune, jaune ou rougeâtre.
On voit donc que la coupellation donne lieu en même temps et acces-
soirement à la fabrication de la litharge.
Lorsque l'opération tire à sa fin, le bain d'alliage offre de place en
place des points brillants dont le nombre augmente sans cesse, la pro-
duction de la litharge devient de plus en plus difficile, puis la masse
devient terne et se voile bientôt d'une couche irisée due à une très-mince
pellicule d'oxyde de plomb (phénomène connu des physiciens sous le
nom de coloration des lames minces). Presque aussitôt celle pellicule se
déchire et le bain d'argent apparaît instantanément dans tout son éclat.
C'est ce qu'on appelle Véclair; l'opération est terminée.
Pas complètement toutefois, car si les dernières portions de litharge
sont absorbées par la coupelle poreuse, il csl bon de dire que l'argent
dissout à cette température une quantité notable d'oxygène, en sorlc que
si l'on ne prend pas de précautions au moment du refroidissement, cet
KOOV. DICT. MÉD. ET Cllll». |X XVI II Ifl
290 PLOMB. TKAITEMK.NT DES l'I.OMHS AIK.IC.M 11 i.l;KS.
oxygène dissous se projette brusquement, au dehors, entraînant avec lui
une portion du métal précieux (S. Lucas). C'est là ce qu'on désigne sous
le nom de rochage,. On termine généralement par des allusions d'eau
bouillante.
Quoi qu'il en soit, on trouve sur la sole du lburneau la totalité de l'ar-
gent en un gâteau brillant à la l'ace supérieure, mat cl même un peu terne
sur la lace qui reposait sur la coupelle.
Cet argent d'une première coupcllation n'est pas toujours parfaitement
pur, et relient même parfois jusqu'à un vingtième de matières étrangères
dont il faut le débarrasser par une nouvelle opération.
Par ce même terme de coupellalion, on désigne également un mode
d'essai par la voie sèche des alliages des métaux précieux. Le principe-
est toujours le même, mais naturellement l'opération et l'appareil unie -
Fig. 23. — Founieau de coupelle.
A. Chambre mobile à minces parois, appelée mon/le. 15. Poiie du fourneau; S, support; (Haligoti.
Leçons (le chimie, t. III.)
diffèrent sensiblement des fourneaux industriels. Il est bien évident que
dans ce cas on ajoute du plomb pur, c'est-à-dire exempt d'argent, par
exemple, du plomb pauvre, en quantité suffisante pour que la litharge
puisse dissoudre et entraîner la totalité des oxydes des métaux étrangers.
La coupelle absorbe la totalité de la litharge, on l'introduit avec le
plomb dans le moufle du fourneau de coupelle, et l'on chauffe.
Les figures ci-dessus donnent une idée suffisante des diverses parties
de l'appareil employé.
On ajoute ensuite la matière à essayer.
L'opération se conduit sensiblement comme la coupcllation décrite
plus haut. On doit surtout se tenir en garde contre le rochage, tout essai
roebé devant être rejeté.
Dans ces temps derniers, deux méthodes de dés;<rgcnlalion des plus
PLOMB. T1UITKMK.NT DES PLOMBS ARGENTIFÈRES. 39
remarquables à tous égards, ont été introduites dans l'industrie. La pre-
mière est connue sous le nom de PaUinsonage à cause de son inven-
teur.
La seconde, plus avantageuse encore, est basée sur l'emploi du zinc.
Disons eu quelques mots le principe de ces deux procédés :
i° PaUinsonage. — Un plomb argentifère étant fondu, si on laisse
la température s'abaisser lentement, le plomb cristallise le premier. la
totalité de l'argent restant dans l'alliage liquide.
Tel est le point de départ. Le procédé s'effectue au moyen de grandes
ebaudières, disposées en batterie, ou encore conjuguées, suivant le
mode d'exploitation. Ces ebaudières sont capables de contenir de 10 à 15
tonnes de plomb.
Lorsque dans la masse préalablement fondue, la cristallisation va com-
mencer, des ouvriers armés d'écumoircs à manches longs et flexibles,
enlèvent, en les égoutlant, les cristaux qui se forment, et les rejettent
dans une chaudière voisine qui se remplit dès lors de plomb relativement
pauvre, lequel, fondu aussitôt, est soumis à une opération semblable,
en sorte qu'il arrive bientôt à se dépouiller complètement d'argent.
Les produits de teneur semblable étant continuellement réunis, on voit
que l'opération répartit en quelque sorte l'alliage primitif en deux cou-
rants inversas. Le plomb d'un côté, l'alliage argentifère de plus en plus
riche de l'autre. Cet enrichissement ne doit pas être poussé trop loin,
attendu que quand la teneur en argent atteint 2,25 pour 100, l'alliage
fond sensiblement à la même température que le plomb pur. Dans la
pratique on ne dépasse guère 1 ou 1,5 pour 100.
Ce plomb riche est ensuite envoyé à la coupellalion qui peut être
avantageusement et facilement effectuée. Le plomb pauvre est livré direc-
tement au commerce.
Pour donner une idée de la valeur de ce procédé, nous dirons qu'il a
permis de traiter avec fruit des plombs argentifères contenant seulement
2 à 5 cent-millièmes d'argent.
Les modifications, connues l'une sous le nom de PaUinsonage méca-
nique, l'autre sous celui de PaUinsonage à la vapeur, permettent
d'appauvrir le plomb davantage encore, c'est-à-dire d'arriver à un et
deux cent-millièmes seulement d'argent laissé dans le plomb.
2° Désargentalion par le zinc. — Quels que soient les avantages
offerts par le PaUinsonage, ils sont dépassés encore par la nouvelle mé-
thode au moyen du zinc. Le principe en est du à Karsten, mais elle a été
successivement perfectionnée par ParUes et surtout par Cordurié, auquel
est dû le procédé actuellement usité dans la majeure partie des usines de
France, d'Angleterre, d'Allemagne et même d'Espagne et d'Italie.
En substance, le procédé consiste à ajouter au plomb argentifère une
quantité de zinc calculée de manière à produire un alliage de zinc et d'ar-
gent se séparant par fusion à l'état d'écume, entraînant fort peu de
plomb.
Ces écumes argentifères sont distillées pour séparer le zinc, et il reste
292 PLOMB. — propriétés BHÏWQUBSi — propriétés CHIMIQUES.
du plomb argentifère, contenant la total i Lé de l'argent qu'on retrouve
par coupellation.
Quant au plomb désargenté, il suffit d'y l'aire passer un courant de
vapeur d'eau surcbaulïée pour oxyder le zinc et les impuretés, on laisse
refroidir, on écume cl on coule le plomb d'œuvre.
Ce procédé présente en définitive une économie de près de moitié sur
le Pattinsonage le plus parfait.
Importance industrielle du plomb. — Le plomb vient au troisième rang,
après le fer et le cuivre, comme importance métallurgique.
C'est l'Angleterre et l'Espagne qui tiennent la tète au point de vue de
la production. En Franco où l'on n'exploite plus les mines indigènes, ou
traite presque exclusivement les minerais importés de l'étranger.
Propriétés physiques — Le plomb est un métal d'un gris bleuâtre,
assez mou pour se laisser entamer par l'ongle et marquer une trace grise
sur le papier.
Sa lourdeur est proverbiale. Sa densité, d'après les déterminations des
différents observateurs, est comprise entre 11,57 et 11,445.
A l'état cristallisé elle est un peu plus faible. 11 fond vers-)- 550° et
se réduit en vapeurs à une température relativement basse (voisine du
rouge). Sa ductilité et sa malléabilité sont médiocres, et dans l'échelle
de la ténacité, c'est lui qui occupe le dernier rang.
Le plomb que l'on trouve dans le commerce renferme généralement
des traces d'autres métaux, tels que l'argent, le cuivre et le fer. De là
les légères variations que présentent ses propriétés physiques.
L'arsenic et l'antimoine le rendent plus dur.
Pour l'avoir tout à fait pur, il laut l'engager dans une combinaison
saline, telle que d'azotate, qui fournit l'oxyde pur. Il ne reste plus alors
qu'à réduire cet oxyde parle charbon.
Propriétés chimiques — L'air et l'oxygène attaquent le plomb dès
la température ordinaire, mais l'oxyde produit forme à la surface du métal
une couche protectrice qui empêche l'oxydation ultérieure. A chaud,
l'oxydation est beaucoup plus énergique, et, si l'on a soin d'enlever
l'oxyde au fur et à mesure de sa production, on peut rapidement tran-
sformer une grande masse de plomb en lilharge. (Voy. p. 289.)
L'eau distillée, froide et purgée d'air, est sans action sur le plomb.
A l'ébullition, cependant, il y a un faible dégagement d'hydrogène.
L'acide nitrique attaque énergiquement ce métal et le transforme en
azotate, quelle que soit la concentration.
L'acide chlorhydrique étendu ne l'entame pas, mais à la densité de
1,12 l'atlaquc commence, même à froid, et s'active d'autant plus que la
température s'élève davantage.
L'acide sulfurique attaque fort peu le plomb à lroid, mais à chaud l'ac-
tion commence d'autant plus vite, que l'acide est plus concentré et que
le métal est plus pur. On sait que celte limite a une importance indus-
trielle assez grande, puisque dans les fabriques on concentre l'acide sul-
furique dans des bacs en plomb, jusqu'à 55 degrés lîaumé environ.
PLOMB. — PROPRIÉTÉS CHIMIQUES.
295
Quand le plomb contient un peud'étainou d'antimoine, on peut chauf-
fer jusqu'à 140° environ de l'acide à 54° Baumé, sans que l'attaque se
produise, tandis que si le métal est chimiquement pur, dès 80° et
même 50°, il y a formation de bulles d'hydrogène sulfuré, mélangé d'hy-
drogène libre.
Quand il y a mélange de différents agents, l'attaque du plomb se fait
en général plus facilement, et cette question offre un intérêt tout spé-
cial, puisque les conduites d'eau sont presque toutes formées par ce
métal, qui se trouve dès lors soumis à l'action combinée de l'air, de
l'eau et des diverses substances tenues en dissolution par cette dernière.
Déjà les eaux pluviales (ou ce qui est la même chose, l'eau distillée
agitée avec de l'air), dissolvent des quantités notables de plomb. 11 est
plus exact de dire cependant qu'il y a attaque et non dissolution de
plomb, puisque, dans ce cas, une simple filtra lion arrête le composé
plombiquc, qui n'est autre qu'un hydro-carbonale à texture cristalline;
c'est pourquoi le métal blanchit en même temps qu'une partie du pro-
duit oxydé entre en suspension.
Quand les eaux contiennent îles matériaux organiques azotés, il y a
formation de nitrate ou de nitrites, qui se dissolvent.
Les composés susceptibles de fournir les produits nitreux seraient donc
seuls dangereux (Medlock). Toutefois, les nitrates seraient sans action
(Kersting).
Le sel ordinaire, ou chlorure de sodium, en solution étendue, attaque
également le plomb en fournissant un mélange d'hydrate, de carbonate et
de chlorure de plomb.
D'après PattinsonMuir, les nitrates favorisent la dissolution du plomb,
mais les sulfates et même les carbonates, présentent une action inverse
qui contrebalance la première s'ils se trouvent en quantité suffisante.
C'est ainsi que Bclgiaud et Le Blanc ont fait voir que les eaux de la
Seine contiennent assez de sulfates et de carbonates pour qu'on puisse
les distribuer dans des conduits en plomb, qui ne tardent pas, du reste,
à se recouvrir intérieurement d'une sorte d'enduit blanchâtre, qui dimi-
nue sensiblement le contact de l'eau avec le métal.
Toutefois, des expériences plus récentes, ducs à Pappenheim, semblent
indiquer que ces résultats n'ont rien d'absolu et varient notamment avec
la pureté du métal et l'état des surfaces.
Aussi se préoccupe-t-on beaucoup de la recherche d'un enduit protec-
teur, pour doubler les tuyaux de plomb.
On a proposé, dans ce but, le sulfure de plomb, l'étamage, le caout-
chouc, la gutta- percha , la paraffine, qui paraîtrait la moins défec-
tueuse, etc., etc.
Le plomb est facilement déplacé de ses solutions, par les métaux plus
oxydables que lui. Suivant la rapidité de la réaction, le métal se préci-
pite alors soit sous forme de poudre amorphe, soit encore à l'état cristal-
lisé. L'expérience classique de Yarbre de Saturne n'est pas autre chose.
On la réalise de la manière suivante :
294
PLOMB: USAGES. ALLIAGES.
Dans une solution parfaitement limpide et légèrement acidulée d'acé-
tate de plomb, on immerge un petit barreau de zinc portant, vers son
extrémité, plusieurs fils de laiton qui vont divergeant dans la liqueur.
Ou bouebe soigneusement, pour se mettre à l'abri de l'air, et bientôt on
voit, un dépôt gris pulvérulent se; former sur le barreau de zinc qui devient
ainsi le tronc de l'arbre. Ensuite, mais bien plus lentement, l'on
voit se former, sur les fils de laiton, des aiguilles d'abord fort minces,
mais qui grossissent, se multiplient et finissent par devenir de ma-
gnifiques lamelles de plomb cristallisé. Ceci représente les brandies
et, de la sorte, on obtient avec facilité le métal en cristaux parfaite-
ment nets.
Un courant électrique arrive au même résultat.
Usages. — On emploie presque toujours le plomb sous forme de
tuyaux, que l'on obtient sans soudure en faisant passer le métal, demi-
fondu et fortement comprimé, à travers une sorte de filière.
La mollesse du plomb est précieuse pour suivre sans difficulté des
sinuosités quelconques (eau, gaz, etc.). Les plaques de plomb sont aussi
d'un usage très répandu. Il en est de même du plomb grenaille ou grains
de plomb, qui servent pour la ebasse d'abord, mais aussi , malheureu-
sement, pour le nettoyage des bouteilles. Et la chose est d'autant plus
regrettable que, dans le cas où le vase est de teinte foncée, il reste trop
souvent des grains de plomb au fond des bouteilles , dans lesquelles on
met ensuite du vin , de la bière, etc. , qui deviennent dès lors et tout
naturellement des boissons dangereuses.
Il serait bien préférable de substituer, pour cet usage, le fer au plomb,
ainsi que cela avait été proposé notamment par Fordos.
Le plomb sert encore pour l'évaporation de l'acide sulfurique, ainsi
qu'on l'a vu plus haut, et l'on utilise sa plasticité pour obtenir, par com-
pression, des jointures et des fermetures parfaitement hermétiques, etc.
L'emploi du plomb en thérapeutique est très-répandu ; on trouvera
plus loin l'indication des principales formes pharmaceutiques.
Alliages. — Le plomb entre dans beaucoup d'alliages et plusieurs
d'entre eux sont importants.
Quelques-uns peuvent s'effectuer en proportions définies et donnent
naissance à de véritables combinaisons ; mais ordinairement ces alliages
se forment en proportions quelconques.
Le plomb présente, en effet, une aptitude toute spéciale à dissoudre les
autres métaux. Il est, à cet égard, comparable au mercure, et cette pro-
priété, connue de toute antiquité, est, selon toute vraisemblance, la rai-
son pour laquelle le plomb avait été, par les alchimistes, dédié à Saturne,
ee dieu que la fable nous présente comme condamné à dévorer ses
enfants.
Les propriétés de ces alliages sont variables ; en général le plomb leur
communique beaucoup de fusibilité.
Leur densité s'écarte parfois de la densité théorique (Riche).
Au premier rang nous trouvons les alliages de plomb et d'antimoine.
PLOMB. COMUINAISOKS DU TLOMI! AVEC LES PIUNCIPAUX ÉLÉMENTS. 295
Les caractères d'imprimerie sont formés de 80 p. .100 de plomb ,
18 p. 100 d'entimoine et environ 2 p. 100 d ctain.
Nous avons parlé, à propos de la métallurgie, des alliages de plomb et
d'argent, plomb et cuivre, plomb et fer, plomb et zinc.
Le plomb s'unit en toutes proportions au bismuth et la fusibilité du
mélange est toujours plus grande que ne l'indiquerait la théorie (Rud-
berg, Riche).
Il y a en même temps contraction notable.
Il en faut dire autant pour les alliages du plomb avec l'étain parmi
lesquels nous citerons les suivants :
Plomb. Étain.
Soudure des plombiers 66 53
— ferblantiers 50 50
Alliages pour vaisselle ou robinets 8 92
Ce dernier alliage représente, à fort peu près, la limite qu'il ne faut
jamais dépasser, pour que les ustensiles ne soient pas sensiblement atta-
qués par le vinaigre.
Combinaisons du plomb avec les principaux éléments. —
Nous venons de voir que certains alliages s'effectuent en proportions
définies et doivent être considérés comme de véritables combinaisons
chimiques.
Mais le plomb se combine aussi aux métalloïdes, pour donner nais-
sance à des combinaisons parfaitement définies et très -importantes.
Enfin ces combinaisons binaires, et principalement les oxydes se combi-
nent à d'autres corps, pour former des composés ternaires (sels de plomb
principalement), ou même quaternaires (sels doubles, combinaisons
organo-métalliqucs, etc.).
Commençons par les composés binaires.
1° Oxydes de plomb. — L'oxygène forme avec le plomb différentes com-
binaisons :
Le sous-oxyde PlrO. — Peu important;
Le proloxyde Pb 0. — Massicot et litharge ;
Le peroxyde Pb O2. — Oxyde puce ou acide plombique ;
Enfin le sesqui-oxyde (?), Pb2 O3. — Peu connu encore;
El le minium, Pb30\ — 2 PbO, PbO5.
qui peuvent servir de transition aux combinaisons salines.
Proloxyde de plomb. PbO. — Bien qu'on l'ait rencontré à l'état natu-
rel au Mexique et aux environs de Bade, il provient en général de l'oxy-
dation directe du plomb. Quand l'oxyde a été fondu, c'est la lilharye,
sinon c'est le massicot. Leur composition est la même et répond à la
formule PbO.
La litharge provient ordinairement de la coupcllation du plomb argen-
tifère. Sa couleur est variable. Elle présente, comme l'argent, la pro-
priété de dissoudre à chaud une certaine quantité d'oxygène , qu'elle
abandonne ensuite en se solidifiant. On s'en sert pour la fabrication de
l'emplâtre simple. Le massicot s'obtient par oxydation directe à basse
température, broyage et lévigation subséquente.
'296 PLOMli. COMHINAISOAS DU PI.OJIU AVEC LES l'Ul.NC I PAU X H.LSIENTS.
Il sert à la Imbrication de la céruse et du minium.
L'oxyde de plomb est à peine solublc dans l'eau, à laquelle il commu-
nique cependant la réaction alcaline. U est très-facilement réduit par Le
ebarbon.
C'est une base puissante, formant des sels parfaitement neutres, et pré-
sentant même une tendance marquée à donner naissance à des sels
basiques.
L'oxyde PbO se dissout aussi dans les liqueurs alcalines (potasse,
soude, chaux), où l'on admet qu'il se trouve à l'étal de plomb lies. L'un
d'entre eux, le plombilc de chaux, est quelquefois employé pour la tein-
ture des cheveux.
Le protoxyde de plomb peut enfin se présenter à l'état d'hydrate
PbO. 110.
Ce corps prend naissance dans l'oxydation directe du plomb en pré-
sence de l'eau. Il se produit en même temps de l'eau oxygénée (Schœn-
bien) . C'est une poudre blanche à texture cristalline.
Mais on se le procure d'ordinaire en précipitant un sel de plomb par un
alcali. L'ammoniaque est employée de préférence, attendu que la potasse
ou la soude en excès redissolvent le précipité d'hydrate plombique.
Peroxyde de plomb Pb O2, ou Oxyde puce, Acide plombique, se
rencontre parfois dans la nature, sous la forme de prismes à six pans. Il
a été découvert par Scheele.
On peut l'obtenir directement dans plusieurs réactions, et notamment
dans l'électrolyse des solutions de plomb traversées par un courant
faible. Mais on le prépare ordinairement au moyen du minium chauffé
avec de l'acide nitrique étendu. Tout le protoxyde de plomb passe à
l'état de nitrate et le bioxyde PbO2 reste sous forme d'une poudre brune,
dont la couleur lui a valu le nom A' oxyde puce.
Ce corps peut former un hydrate Pb02I10, L'acide plombique se com-
bine assez facilement aux alcalis, mais on l'utilise dans les laboratoires
pour des oxydations ménagées.
La réaction peut cependant être très-énergique, comme dans l'expé-
rience classique où le mélange d'oxyde puce et de fleur de soufre s'en-
flamme par simple trituration.
Il y a aussi incandescence, quand on soumet l'oxyde puce à l'influence
d'un courant de gaz sulfureux, et la matière blanchit par suite de la
formation du sulfate de plomb.
PbOs + S02 = PbSO\
Réaction intéressante au point de vue théorique.
Sesquioxyde Pb203? — Poudre d'un jaune rougeâtre offrant peu d'im-
portance. Peut-être n'est-ce autre chose que la combinaison PbOPbO5.
Minium. — C'est une combinaison de protoxyde de plomb PbO avec
le peroxyde ou bioxyde PbO2 avec excès de protoxyde. Le minium type
présente en effet la composition 2(PbO).PbO!, c'est-à-dire un plomhale
basique de plomb. Parfois aussi la proportion de, protoxyde est un peu
plus forte.
PLOMC COMBINAISONS DU Pl. OMB AVEC LES PMNCIPAUX ÉLÉMENTS. 297
On prépare le minium en quantités considérables, pour les besoins do
l'industrie en calcinant d'abord le plomb à l'air pour obtenir du massicot,
ce massicot est ensuite soumis à une chaleur moindre qui le transforme
en minium.
Dans beaucoup de fabriques on se sert de fourneaux à deux étages.
L'étage inférieur, qui reçoit l'action directe du feu, sert à faire le mas-
sicot, et ce massicot, porté dans l'étage supérieur, passe à l'état de minium.
La transformation est surtout rapide aux environs du rouge sombre. Sou-
vent on soumet le minium plusieurs fois de suite à l'action de la chaleur.
Il prend ainsi un éclat de plus en plus vif.
De là, les dénominations de minium deux feux, minium trois
feux, etc.
Le minium se présente sous la forme d'une poudre d'un rouge éclatant
<jui se fonce et même vire au violet sous l'influence de la chaleur.
On l'a rencontré dans la nature à l'état cristallin et on l'a trouvé
aussi quelquefois en cristaux dans les fours à minium.
On l'emploie comme matière colorante pour la peinture et la cire à
cacheter.
On s'en sert aussi pour la fabrication du cristal, du strass, et du
flinl-glass. Dans ce cas, il est nécessaire que le produit soit complétcmen
pur. si l'on veut obtenir une limpidité parfaite unie à une forte réfrin-
gence.
Le minium du commerce est souvent mélangé à des matières de cou-
leur voisine, comme le peroxyde de fer ou la brique pilée.
On reconnaît facilement la fraude, soit en calcinant le produit, qui
doit jaunir si le composé ne contient que du plomb.
Soit encore en faisant bouillir avec de l'eau sucrée aiguisée d'acide
azotique, dans laquelle le minium est entièrement soluble, tandis que
l'oxyde de fer ou la brique demeurent comme résidu (Fordos et Gélis).
2° Sulfures de tlomc. — A côté des oxydes de plomb, nous citerons
seulement pour mémoire le sous-sulfure Pb2S.
Le sulfure de plomb PbS ou galène (Voy. Métallurgie, p. 280) qui cris-
tallise dans le système cubique. Sous le nom d'alquifoux on l'emploie
pour le vernissage des poteries communes, dont l'usage n'est pas sans
danger. Enfin le séléniure PbSe, le tellurure PbTe et les sulfures
doubles, etc.
3° Chlorures. — Le chlore donne avec le plomb un composé impor-
tant : le chlorure de plomb PbCl qui s'obtient généralement par la préci-
pitation d'un sel soluble de plomb par un chlorure alcalin.
11 est peu soluble dans l'eau froide, plus soluble dans l'eau bouillante.
On peut le faire cristalliser par refroidissement. Fondu au rouge, il
porte le nom de plomb corné. Si l'on ajoute au chlorure en fusion une
certaine quantité d'oxyde de plomb, on obtient les matières colorantes
jaunes connues sous le nom de Jaune minéral, de Casse!, de Turner,
de Vérone, etc. Ce sont des oxychlorures de plomb.
— Le brome fournit des composés tout semblables.
l'UlMH. —
SELS nu IM.OMII.
4° Ioiiure de n.oMi! PbL — C'est un corps généralement pulvérulent et
d'un beau jaune citron qu'on obtient par doubla décomposition.
Mais on peut l'avoir à l'état cristallin en le faisant dissoudre dans l'eau
bouillante.
Par le refroidissement, la liqueur se remplit de lamelles hexagonales,
qui présentent l'aspect et l'éclat de L'or métaltique. Il est facile dé les
recueilli ensuite sur des filtres.
On connaît encore des iodures doubles, des cliloroiodures et des oxyio-
diires de plomb parmi lesquels on peut citer le singulier iodure de plomb
bleu (décrit par Donol, Filhol et d'autres observateurs), lequel n'est, en
définitive, qu'un oxyiodure dont la formule et la composition seraient
voisines de celles du chlorure de chaux.
Sels de plomb — Azotate AzO°Pb. — Cristallise en octaèdres régu-
liers anhydres; Calciné, il fournit d'abord de l'acide hypoazolique, puis
de l'oxyde de plomb. Il forme aussi des sels doubles parmi lesquels on
peut signaler le formioazotatc de plomb qui contient trois équivalents
décide formique pour un d'acide azotique. L'azotate de plomb, ordinaire
ou azotate neutre, offre également, à un degré très-marqué, une tendance
à donner des sels basiques.
On connaît, parmi ces derniers, des azotates bibasique et tribasique d«
plomb Az052Pb0 et AzOâPbO que l'on a envisagés comme correspondant
aux acides azotiques à trois et deux molécules d'eau. L'acide à trois molé-
cules d'eau AzOs5I10 correspondrait à l'acide phosphorique ordinaire
Pb03.5II0 tribasique, on lui a donné le nom d'acide orthoazotique. 11 n'a
pas été isolé encore.
Dans cet ordre d'idées, l'acide Az0521I0 devient l'acide parazolique et
correspond à l'acide Ph052II0 ou pyrophosphorique. L'acide ordinaire,
monobasique, prendrait alors le nom d'acide métazotique Az05H0.
Il existe aussi des azotates basiques (à quatre, cinq et même six molé-
cules d'oxyde de plomb (Az0\6Pb0).
Carbonate. — Il est isomorphe avec le carbonate de chaux (arra-
gonile).
Le carbonate de plomb offre un intérêt tout spécial parce qu'il faut
y rattacher la matière colorante blanche si fréquemment employée par
les peintres en bâtiment sous le nom de céruse ou blanc de plomb. Ce
n'est autre chose, en effet, qn'un carbonate de plomb plus ou moins
mélangé d'hydrate plombique, suivant le procédé de fabrication dont on
a fait usage.
La céruse présente au plus haut degré la propriété de couvrir les sur
faces sur lesquelles on l'élend, et c'est pour cela qu'en dépit des inconvé-
nients si prononcés qui s'attachent à son emploi, on continue toujours à
s'en servir bien que les émanations sulfurées la noircissent assez rapide-
ment : ce qui n'arrive pas notamment avec le blanc de zinc.
Le carbonate de plomb PbO.CO1 est insoluble dans l'eau pure, mais
l'eau ebargéé d'acide carbonique en dissout des proportions notables.
11 est entièrement soluble dans l'acide nitrique étendu.
VUmW. — SEI.S DE IT.0M1). 299
Chauffé aux environs de 550°, le carbonate de plomb perd son acide
carbonique et se décompose en donnant comme résidu du massicot.
La céruse, quand elle est pure, partage les propriétés ci-dessus, mais
elle est le plus ordinairement mélangée à d'autres substances et principa-
lement au sulfate de baryte ou blanc fixe, lequel, bien entendu, masque
ou complique les réactions.
Fabrication industrielle de la céruse. — Plusieurs méthodes sont
employées et les produits varient un peu suivant le procédé auquel on
donne la préférence.
Le procédé le plus ancien, connu sous le nom de procédé hollandais,
est encore celui qui donne la meilleure céruse; c'est-à-dire celle qui couvre le
mieux, si ce n'est la plus blanche. Mais il est tellement insalubre qu'une
foule de modifications ont surgi, dont le but principal est d'éviter les
dangers que présente, pour la santé des ouvriers, la fabrication hollandaise,
tout en se rapprochant, autant que possible, du produit qu'elle fournit.
Donnons d'abord une idée de ce procédé ancien.
Procédé hollandais. — En substance, il consiste à disposer au sein de
tas de fumier en fermentation, des séries de pots en terre contenant du vi-
naigre et des lames de plomb.
Le fumier (qui ne doit pas dégager d'hydrogène sulfuré en quantité
notable, sans quoi la céruse serait noircie) fournit la chaleur et l'acide
carbonique nécessaires à la réaction.
On ménage, d'autre part, des espaces vides destinés à assurer l'accès de
l'air en quantité convenable.
En Angleterre, on donne la préférence au tan sur le fumier, attendu
qu'il n'y apasàse préoccuper de l'acide sulfhydrique, et que, si d'un côté,
la chaleur dégagée est plus faible, de l'autre, il est plus facile de diriger
l'opération.
Au bout de six semaines environ on défait ces tas et on relire des pots les
lames de plomb couvertes d'un enduit de céruse qu'il faut détacher du
plomb métallique. Anciennement on battait les plaques à la main ou au
marteau et c'était l'une des manipulations les plus insalubres, ainsi qu'il
est facile de le prévoir. Aujourd'hui, la séparation se l'ait mécaniquement
dans une pièce hermétiquement close.
On obtient de la sorte un mélange d'écaillés et de poudre de céruse,
on broie ensuite à la meule en arrosant d'eau, on sèche le produit, et on
le livre au commerce.
La théorie de l'opération est des plus simples. Sous l'influence de la
chaleur, l'acide acétique se réduit en vapeur et vient attaquer le plomb
que l'accès de l'air humide oxyde d'autre part. Il y a formation d'acétate
basique de plomb lequel est précipité lentement par l'acide carbonique
provenant du fumier.
Le produit est cristallin,.
L'oxyde de plomb n'est pas tout entier engagé dans la combinaisou avec
l'acide carbonique : une partie échappe à la réaction en sorte que le pro-
duit définitif n'est pas le carbonate PbO. C02mais bien un hydrocarbo-
500 PLOMIi. — SELS DE l'LOill..
natc mélangé de carbonate de plomb, o (l'bO. CO'). PbO. 110. sensi-
blement.
Le procédé hollandais a été modifié par les fabricants des environs de
Vieillie (Autriche) où l'on obtient de très-beaux produits : 1" en employant
le plomb pur deBIcibcrg; '2° en substituant la chaleur artificielle d'éluves
très-vastes à celle du fumier; 5° en se servant d'un mélange de vinaigre
et de marc de raisin qui fournit à la fois l'acide acétique et l'acide carbo-
nique.
Les céruses de Vienne et de la Garinthie, préparées par ce procédé,
sont remarquables par leur blancheur.
Pro'cédé de Clichy. — .La modification la plus importante qu'on ait
apportée au procédé hollandais est, sans contredit, la méthode inventée
par Tbénard, en 1801, et qui porte le nom de procédé de Clichy.
On commence par préparer, au moyen d'acide acétique et de litharge, une
solution d'acétate tribasique de plomb, à travers laquelle on dirige un
courant d'acide carbonique provenant, soit de la combustion du charbon,
soit encore de la calcinalion du carbonate de chaux dans un véritable four
à chaux (Dumas).
On obtient un précipité dont la composition est seulement2 (PbO. COa)
-f-'PbOHO.
La liqueur surnageante n'est autre chose que de l'acétate neutre qu'on
sature à nouveau par la litharge et l'opération peut se continuer indéfini-
ment par addition de litharge et production d'acide carbonique sans perte
d'acide acétique, du moins en théorie.
Le dépôt de céruse (qui n'a nul besoin d'être broyé) est lavé, séché,
embarillé mécaniquement dans des appareils entièrement fermés, ce qui
évite les accidents d'intoxication saturnine.
Cette céruse, dite par le procédé de Clichy, est très-blanche et se mé-
lange parfaitement à l'huile; mais en raison même de son extrême ténuité
et de la structure du précipité, elle couvre moins bien que la céruse laite
par le procédé hollandais, laquelle contient d'ailleurs plus de carbonate
de plomb pour une même quantité d'hydrate plombique.
En modifiant le procédé au point de vue des appareils et aussi de la
production d'acide carbonique qu'on emploie à l'état pur, Ozouf est
parvenu à préparer industriellement une céruse dont les propriétés cou-
vrantes sont tout à fait comparables à celles des céruses de Hollande.
Elle en a d'ailleurs sensiblement la composition puisqu'elle répond à la
formule 5 (PbO. CO2). PbO. 110.
Sulfate. — S2Pb208 — Le sulfate de plomb existe à l'état naturel,
c'est Vanglésile. Mais dans le commerce, c'est un corps pulvérulent pré-
paré en attaquant le plomb par l'acide snlfurique concentré et bouillant, ou
encore par double décomposition. Il est a peu près insoluble dans l'eau,
soluble dans les acides surtout concentrés et bouillants.
Il se dissout aussi dans les sels ammoniacaux (surtout le tarlrate) dans
l'acétate d'alumine, dans l'acétate de chaux, dans l'hyposullUe de
soude, etc.
PLOMIt. — SELS DE PLOMB.
501
On a décrit également un sulfate acide et un sulfate basique de plomb.
Chromâtes de plomb. — Kn dehors du ehromate neutre, on conrinaît
des chromâtes basiques de plomb designés sous le nom de jaunes de
chrome.
On les prépare pardouble décomposition, et leur nuance varie avec la'oon-
centration, la température et l'alcalinité de la liqueur.
On connaît aussi plusieurs phosphates, borates et silicates de plomb,
curieux au point de vue théorique, mais nous nous contenterons de rap-
peler simplement ici le nom de ces composés, qui n'offrent pour le médecin
qu'une importance très-limitée.
Les acides organiques fournissent à leur tour des sels plombiques et
plusieurs d'entre eux sont importants à tous égards.
C'est ainsi qu'il arrive souvent dans les laboratoires, quand on veut
isoler à l'état de pureté un acide organique soluble, de l'engager d'abord
dans un sel de plomb (ils sont pour la plupart insolubles) dont la purifi-
cation devient facile. Et pour régénérer l'acide à l'état libre, il suffit de
mettre en suspension dans l'eau le précipité plombique lavé avec soin et
d'éliminer le plomb au moyen de l'hydrogène sulfuré. C'est là une mé-
thode générale en quelque sorte.
Mais, en outre, on connaît quelques sels de plomb, à acides organiques,
d'un emploi très-répandu, soit dans l'industrie, soit dans la thérapeu-
tique.
Acétates de plomb. — H y a plusieurs acétates de plomb : L'acétate
neutre CMPPbO1, 5IIO, ou acétate de plomb cristallisé;
Et une série nombreuse d'acétates basiques que nous ne ferons que
nommer (Voyez Extrait de Saturne, t. XII, p. 225), pour ce qui est re-
latif à l'acétate basique de plomb employé en pharmacie.
La série des acétates basiques du plomb comprend :
l'acétate bibasique de plomb
— tribasique —
— sexbasique —
contenant, deux, trois, six molécules de plomb.
Quant à l'acétate neutre de plomb, c'est un beau sel aiguillé, de saveur
sucrée (ce qui lui a valu le nom de sucre de Saturne sous lequel il était
désigné par les alchimistes), connu depuis fort longtemps, qui se préparc
actuellement en grand au moyen de la litharge et de l'acide pyroligneux.
Parfois aussi on le prépare en mettant en présence le sulfate de plomb
et une solution d'acétate de chaux. La double décomposition se l'ait même
à froid.
L'acétate de plomb est soluble dans une partie et demie d'eau froide. Il
rougit un peu le tournesol. Il fond à 75" dans son eau de cristallisation,
qu'il perd d'ailleurs assez facilement, par effloresccnce, dès la température
ordinaire.
Quand on le chauffe, il perd son eau de cristallisation, puis de l'acide
acétique et passe à l'état de sel tribasique, avant de se décomposer défini-
tivement, vers 300°, en acétone et acide carbonique.
Ô02 PLOMB. — CAIUC'ràlKS DES COMPOSÉS l'LOMIlIQUBS.
On l'utilise en médecine comme astringent el résolutif.
Les sels des autres acides organiques sont, connue nous l'avons d'il,
insolubles pour la plupart.
Il en est ainsi pour le malate, succinate, l'oxalalc, tarlratc, citrate, etc. ;
ces corps offrent pou d'intérêt pour le médecin.
Les stéarate, margaratc, oléatc de plomb, constituent l'emplâtre pro-
prement dit, ou emplâtre simple {Voy. arl. Empi.athe, t. .VII, p. 1 40.)
Co.MiiiNAisoNs oitG.vNO-.MÉTAUiQUKs. — Avec les alliages, les sels haloïdes
du plomb et autres combinaisons binaires, ainsi que les sels proprement
dits, nous n'avons pas encore épuisé complètement la liste des combi-
naisons de ce métal.
On est, en effet, parvenu à fixer sur le plomb un certain nombre de rési-
dus alcooliques, éthyliques métbyliqiics, etc., de manière ù obtenir des
composés d'ordre spécial, qu'on ne peut séparer des autres corps organo-
métalliques, tels que les combinaisons analogues du mercure, le zinc
étbyle, les différents stannélbyles, etc., lesquels, en passant par les sti-
bines, pbospbincs, etc., conduisent aux ammoniaques composées.
C'est donc un groupe de corps très-important pour la théorie, que
celui auquel appartient le plombétbyle PbC4ll5, le plombo diélbyle Pb
(CH15)2 (qui correspond au bichlorure de plomb PbCl2 dont l'existence est
admise par beaucoup de chimistes).
De même, les composés mélhylés du plomb PIjC3!^ et Pb (C2Iï3)2. Nous
ne nous y arrêterons pas plus longtemps.
Ces combinaisons qu'on peut facilement réduire en vapeur, servent sur-
tout à fixer la valeur de la molécule pondérale, ou de l'équivalent du
plomb.
Reste à dire, en deux mots, la place occupée par le plomb dans la série
métallique.
Bien que, par son importance et ses propriétés tranchées, le plomb
constitue un type à part, on a vu déjà qu'il présente des analogies nom-
breuses avec l'argent d'abord (les propriétés physiques des deux sulfures
sont presque identiques, ils sont presque toujours mélangés à l'état natu-
rel) ; avec le bismuth ensuite : on sait que les caractères chimiques de
ces deux métaux sont assez voisins pour rendre leur séparation difficile.
On doit enfin et surtout le rapprocher du groupe chimique si homogène
qui comprend le calcium, le strontium et le baryum. Le sulfate de plomb,
en effet, présente un ensemble de propriétés très-voisines de celles du
sulfate de chaux.
Les carbonates de chaux et de plomb sont isophormes, dans plusieurs
minéraux du groupe apatite le calcium est remplacé par le plomb, etc.
Dans une classification méthodique, le plomb devrait donc figurer non
loin des métaux alcalino-terreux.
Caractères des composés plomï»iqucs. — On les reconnaît
tout d'abord à leur poids considérable. Cet indice, qui n'est pas absolu,
est cependant très-précieux pour mettre sur la voie.
Les combinaisons insolubles sont le plus souvent examinées par voie
PLOMB. — CVIUCTÈRES DES COMPOSÉS PLOMBIQUKS. 505
sèche; ou transformées en sels solublcs qu'on peut analyser aussi par
voie humide.
Il y a donc deux ordres de caractères. Parlons d'abord de ceux que
fournit la voie sèche, qui s'applique à tous les dérivés du plomb sans
exception.
Chauffés au chalumeau sur le charbon, avec du carbonate de soude ou
du cyanure, tous les composés plombiques sont réduits et fournissent un
"lobule de plomb métallique rcconnaissable à sa mollesse, et offrant la
propriété de s'aplatir sous le marteau.
Ce caractère spécifique s'obtient en employant la flamme de réduction
ou flamme intérieure.
Avec la flamme extérieure ou d'oxydation, on voit se produire une au-
réole jaune ou rougeâtre d'oxyde de plomb.
On peut encore obtenir des enduits présentant des propriétés assez
tranchées pour devenir caractéristiques.
Avec le borax ou le sel de phosphore, la perle est incolore ou simple-
ment jaunâtre, si la proportion de plomb est très-forte.
On peut enfin doser le plomb par voie sèche, dans les combinaisons in-
solubles. Nous renvoyons, à cet égard, à ce que nous avons dit à propos
de la galène et de la métallurgie (voy. p. 286 et 287.)
Voie humide. — Les sels solubles de plomb ont une saveur douceâtre,
puis astringente. Ils sont Irès-vénéneux.
Généralement fixes et incolores quand l'acide n'est pas lui-même coloré,
ceux qui sont neutres chimiquement, rougissent la teinture de tournesol.
Cette propriété disparaît naturellement dans les sels basiques.
En solution, les sels de plomb présentent les réactions suivantes :
1° Le fer, le zinc, le cadmium, le déplacent à l'état métallique.
2° V hydrogène sulfuré donne un précipité noir ou brun noir, inso-
luble à froid dans les acides, dans les sulfures alcalins, les alcalis et le
cyanure de potassium.
En liqueur chlorhydriquc concentrée, la couleur du précipité est d'abord
d'un rouge brun (chlorosulfure), qui ne devient tout à l'ait noir que si
l'on a soin de diluer largement.
Ce sulfure se dissout à chaud dans l'acide azotique, mais le résultat varie
avec la concentration de l'acide. S'il est étendu, le soufre se dépose et le
plomb se dissout à l'état d'azotate.
Si l'acide est fumant, les deux éléments de sulfure s'oxydent simultané-
ment et tout passe à l'état de sulfate de plomb insoluble.
Pour une concentration moyenne, on obtient à la l'ois du soufre, de l'azo-
tate et du sulfate.
5" Les sulfures alcalins donnent le même précipité de sulfure noir
PbS, insoluble dans un excès.
4° La potasse et la soude précipitent en blanc les sels basiques. Ce
précipité d'hydrate de plomb est soluble dans un excès du réactif. Et la
solution additionnée de chlore donne un précipité de peroxyde de plomb
PbO\
504 PLOMB. — MÔI'.UIATIO.N DU PliOMB d'aVIX LES ALTIIKS MÉTAl'.V.
5° L'ammoniaque précipite aussi les sels de plomb, mais le précipité
n'est pas soluble dans un excès. La réaction se complique parfois de la
formation de sels basiques ou doubles, qui se précipitent avec l'hydrate.
G0 Les carbonates alcalins donnent un précipité de carbonate basi-
que (Voy. Cëvuse) très-peu soluble dans un excès du précipitant.
7° L'acide cklorhydrique et les chlorures solubles précipitent les
sels de plomb en blanc. Ce précipité soluble dans l'eau, surtout à chaud,
ne change pas de couleur en présence de l'ammoniaque, bien qu'il passe
à l'état d'oxychlorurePbCloPbO 4- HO, lequel est moins soluble dans l'eau
que le chlorure.
8° Avec l'acide bromhydrîque et les bromures, précipité blanc.
9° L'acide iodhydvique et les iodures solubles donnent un précipité
d'un beau jaune, légèrement soluble dans l'eau bouillante, soluble dans
un excès d'iodurc de potassium.
10" Avec Y acide sulfurique et les sulfates, on a un précipité blanc de
sulfate de plomb, qui se forme lentement dans les solutions étendues.
Sa séparation est facilitée par l'addition d'un peu d'acide sulfurique, ou
mieux encore par celle de l'alcool.
Ce précipité est soluble dans les acides concentrés et bouillants, solu-
ble aussi dans la lessive de potasse et dans les sels ammoniacaux, acé-
tate, tartrate, etc.).
11° Le chromale de potasse fournit un précipité jaune de chromate
de plomb, facilement soluble dans la potasse, difficilement dans l'acide
nitrique faible.
12° Le cyanure jaune et Y acide oxalique donnent un précipité blanc,
de môme que l'acide tartrique.
La noix de galle un précipite jaune paille, etc.
Sont caractéristiques pour les sels de plomb :
1° La production au chalumeau, sur le charbon, du globule métalli-
que s'aplatissant sous le marteau ;
2° La réaction de l'acide cblorhydrique qui classe le plomb à côté de
l'argent et du mercure. Mais la distinction s'effectue facilement au
moyen de l'ammoniaque, qui dissout le chlorure d'argent et noircit le
protochlorure de mercure ;
5° Celle du sulfure PbS ;
4° Enfin, celles de l'acide sulfurique, des chromâtes et des iodures.
Séparation du plomb d'avec les autres métaux — Nous
venons de voir comment, dans un essai qualitatif, on distingue le plomb
de l'argent et du mercure, précipita bles comme lui à l'état de chlo-
rures.
Pour effectuer la séparation du plomb et de l'argent, on étend la
liqueur, additionnée d'acétate de soude, d'une quantité d'eau suffisante
pour que le chlorure de plomb reste en solution, puis on précipite l'ar-
gent par une quantité ménagée d'acide cblorhydrique. On filtre, et dans
la liqueur l'hydrogène sulfuré précipite le plomb.
On peut aussi, en solution nitrique, éliminer l'argent à l'étal de rya-
PLOMB. — DOSAGE.
505
mire, et précipiter par l'acide sulfhydriquc le plomb resté dans la
liqueur filtrée.
Ou encore, en liqueur neutre, réduire à chaud l'argent par un for-
miate qui laisse le plomb en solution.
Le mercure, grâce à sa volatilité, est facile à séparer du plomb qui
est à peu près fixe.
On peut également traiter par le carbonate et le cyanure de potassium
à une douce chaleur; par liltration, on sépare le carbonate de plomb.
Le mercure reste en solution dans la liqueur.
Le cuivre se sépare du plomb en profitant de la solubilité du sulfate
de cuivre et de l'insolubilité du sulfate de plomb. Cette séparation est
très nette.
La suivante est plus délicate, bien que le principe soit le même.
Plomb et bismiUh. — Pour séparer le plomb du bismuth, on peut
opérer de la manière suivante :
L'alliage est attaqué par de l'acide azotique étendu de deux fois son
volume d'eau ; on ajoute ensuite un léger excès d'acide sulfurique et on
évapore lentement à la capsule. Quand la matière est asséchée, on cal-
cine légèrement de façon à chasser presque tout l'acide sulfurique.
On laisse refroidir, puis on broie la substance avec de l'acide sulfuri-
que faible (1 dixième environ pour 9 dixièmes d'eau). On réitère ce trai-
tement 5 ou 6 fois.
Dans ces conditions, le bismuth seul est dissous; le sulfate de plomb
reste sur le filtre, on le recueille et on le pèse (Voy. p. 506).
La séparation du plomb d'avec le fer, le zinc, le manganèse, le cobalt
et le nickel, n'offre aucune difficulté, puisque ces métaux, en solution
acide, ne sont pas précipités par l'hydrogène sulfuré.
Celle du chrome, un peu moins nette peut-être, s'effectue pourtant
assez facilement, soit par l'hydrogène sulfuré, soit par le chlorure, soit
encore en faisant digérer avec de l'acide sulfurique étendu.
La séparation d'avec les métaux terreux ou alcalins se fuit très aisé-
ment au moyen de l'hydrogène sulfuré principalement.
Quant à Vanlimoine, Varsenic et Yétain, on les sépare du plomb en
les transformant en sulfures qu'on fait dissoudre par digestion en pré-
sence de sulfhydratc d'ammoniaque jaune. Le sulfure de plomb reste
comme résidu.
Dosage. — Le plomb peut être dosé sous différents états : oxyde,
sulfure, chlorure, sulfate, chromate. Suivant les circonstances, on don-
nera la préférence à l'une ou l'autre des méthodes :
1° On dose le plomb à L'état d'oxyde en précipitant d'abord le plomb
par les carbonates ou les oxalates, séchant le précipité soigneusement
lavé, et calcinant au creuset de porcelaine. Le résidu est de l'oxyde
qu'on pèse. L'azotate le fournit directement.
Il y a toujours une perte légère dont on tient compte.
2° Sulfure. — Étant donné le précipité de sulfure de plomb, on le
lave avec une dissolution d'acide sulfbydrique, on le sèche à basse tem-
HOCT. DICT. MED. ET CUIR. XXVIII — 20
306 PLOMH. KMPI.OI ET FORMES PHAItMACKl TIQUES.
pérature. On l'introduit ensuite avec les cendres du fdtre, et un excès de
soufre dans un creuset de porcelaine, puis on calcine jusqu'à poids con-
stant :
3° Chlorure. — La liqueur plombique, additionnée d'un léger excès
d'acide chlorhydrique, est évaporée à siccité au bain-marie. Le résidu
épuisé par l'alcool éthéré est desséché, puis calcine avec ménagement
pour éviter de volatiliser le chlorure de plomb.
4° Sulfate. — On dose assez facilement le plomb à l'état de sulfate,
en ajoutant à la liqueur contenant le plomb un léger excès d'acide sul-
furique, puis un volume double d'alcool. On abandonne au repos et on
filtre après quelques heures, on lave à l'alcool faible et on calcine le
sulfate de plomb.
Quant au filtre, on le traite à part en ajoutant de l'acide nitrique au
résidu de la calcination, puis un peu d'acide sulfurique en calcinant de
nouveau.
5° Chronicité. — Pour doser le plomb à l'état de chromate, on opère
en liqueur légèrement acidulée par la présence de l'acide acétique, et on
précipite parle bichromate de potasse. On recueille le précipité sur un.
filtre taré, et il suffit ensuite de sécher à l'étuve Gay-Lussac et de peser
quand le poids est devenu invariable ;
6° Différents procédés de dosage du plomb par la méthode volumétri-
que ont été également proposés.
Ils sont basés sur la réaction du protochlorure de fer en quantité connue
sur le chromate de plomb, l'excès de sel ferreux étant dosé par le per-
manganate.
Ou encore sur la redissolution du carbonate de plomb lavé dans une
quantité donnée d'acide nitrique titré qu'en dose ensuite alcalimétri-
quement.
Emploi et formes pharmaceutiques. — Les préparations à base de plomb
sont très rarement usitées à l'intérieur, et les propriétés toxiques du
métal en fournissent une explication plus que suffisante.
On administre à l'intérieur l'acétate neutre de plomb directement en
solution ou sous forme de pilules.
L'ingestion du plomb à l'état métallique est aujourd'hui abandonnée,
on peut dire par tous les praticiens. (Voy. Effets toxiques).
En revanche, la médication externe compte un très grand nombre de
formules où les composés plomhiques figurent seuls ou associés à d'autres
substances.
Disons, toutefois, que cette variété considérable de préparations satur-
nées tend graduellement vers une simplification rationnelle. (Voy. plus
loin thérapeutique) .
Voy. pour les emplâtres à base de plomb, tome XII, p. 746 et suiv.;
pour les papiers chimiques, tome XXV, p. 767 et suivantes.
Le plomb figure dans la forme de certaines préparations tels que fards,
cosméliques, tome IX, p. 440.
L. Prunier.
PLOMB. — EFFETS TOXIQUES. EMPOISONNEMENT AIGU. ÉTIOLOGIi:. 507
Effets toxiques. — Le plomb est, sans contredit, le métal avec
lequel l'homme civilisé se trouve le plus en contact, par cette raison
que, outre les divers usages qui lui sont communs avec les autres mé-
taux, il entre dans la composition de la plupart des revêtements des
objets environnants ; d'ailleurs, sa faible résistance aux agents physiques
et chimiques favorise son absorption, et contribue par là à lui assurer
une influence prépondérante sur la santé publique.
Ses effets sur l'organisme, bien différents suivant qu'ils résultent de
l'absorption en bloc et rapide d'une forte dose (empoisonnement aigu),
ou de l'imprégnation lente par de faibles doses réitérées (intoxication
chronique), doivent être étudiés séparément.
La forme aiguë, assez rare, bien qu'utile à connaître au point de vue
toxicologique, est loin de présenter le même intérêt que la forme chroni-
que, extrêmement fréquente, par laquelle seulement se manifeste toute
l'originalité d'action du poison.
Empoisonnement aigu. — Etiologie. — L'empoisonnement aigu, ou
empoisonnement proprement dit par le plomb, consiste en accidents
graves succédant rapidement à l'absorption, presque toujours par inges-
tion en une, deux ou trois fois au plus, d'une haute dose de métal ou d'un
de ses sels, soit en nature, soit à l'état de mélange. Tous les composés
saturnins, y compris, contrairement à l'opinion de Dupasquier, les sels
insolubles et le métal lui-même (obs. de Ruva), peuvent produire, par
ingestion, un empoisonnement aigu, dont les symptômes sont d'une pré-
cocité et d'une intensité directement proportionnelles à la solubilité ou à
la facilité de décomposition de ces substances par les sucs digestifs. Les
sels solubles se transformeraient dans l'estomac en chlorures (Rabuteau)
et en albuminates peu solubles ; le plus dangereux de tous est le chlorure,
dissous dans le chlorure de sodium (Miahle), probablement parce que,
sous cette forme, le plomb n'a plus à subir de transformation.
La dose minimum nécessaire à la production d'accidents sérieux est
difficile à préciser ; souvent, en effet, l'ingestion de quantités relative-
ment considérables de poison a été suivie de symptômes moins graves
qu'on n'était en droit de le redouter; et d'autres fois des doses même assez
faibles ont eu des conséquences funestes. Un jeune homme éprouva des
accidents graves pour avoir pris, en trois jours, 15 centigr. seule-
ment d'acétate de plomb, et un adulte mourut après avoir bu à peine un
demi-verre de vin d'une bouteille contenant des grains de plomb avec
lesquels elle avait été rincée. Celte discordance apparente résulte de ce
qu'on connaît seulement la dose de poison ingérée, et non celle qui est
absorbée; or, l'absorption doit être entravée par la précipitation du sel
dans l'estomac, par son astringence agissant sur la muqueuse stomacale ;
cette astriclion, plus marquée pour certains sels, sous-acétate par exem-
ple, se fait peut-être moins sentir dans le cas d'une dose modérée. Enfin,
la proportion de métal dans chaque combinaison saline (près de deux fois
plus forte dans les unes que dans d'autres), le degré de concentration
de la dissolution ou du mélange, ne doivent pas être non plus sans exer-
Ô08 PLOMB. EMPOISONNEMENT AIGU. SYMPTÔMES.
ccr une certaine influence. D'après les expériences d'Oriila, de Gasparl el
de R. Mo'rcau, l'ac'étate, injecté dans les veines, tue un chien rapidement,
en 24 heures au plus, à la dose de 30 centigr., et dans la huitaine à la
seule dose de 20 et môme 10 centigr. Les divers composés saturnins ont
tous la même action, sauf le chromatc et l'arséniale, qui empruntent à
leurs acides une partie de leurs propriétés spéciales ; au premier, par
exemple, paraît liée la prédominance d'accidents nerveux.
Les circonstances de l'empoisonnement aigu par le plomb sont varia-
bles. Très-rarement ce poison a été administré dans un but criminel
(acétate mélangé aux aliments et aux boissons): affaire Ponchon, 1842, cl
les deux cas en Angleterre, Central Criminal Court, 1844, et Chclus Ford,
Summer Assises, 1847, rapportés par Taylor. Quelquefois c'est dans une
intention de suicide que le sel de plomb (ordinairement une verrée ou
deux d'extrait de saturne) est ingéré, presque toujours par des femmes.
Mais lu plus souvent, l'ingestion est le résultat d'une erreur, d'une
imprudence ou d'un accident. Tantôt c'est un ivrogne vidant précipi-
tamment et à la dérobée une fiole d'eau de Goulard ; tantôt un verre
d'eau végéto-minéralc est pris, par une ressemblance trompeuse, pour du
sirop d'orgeat, ou bien du carbonate de plomb pour de la magnésie ;
ailleurs, c'est un enfant, qui, par ignorance, avale soit de l'extrait de
Goulard, soit même une boulette de mastic à la céruse ; plus fréquem-
ment enfin, de l'extrait de saturne est pris au lieu d'une potion, d'un
purgatif ou d'un vomitif, par erreur de flacon, commise par le malade
et même par le pharmacien.
D'ordinaire l'empoisonnement a lieu par l'intermédiaire des aliments ou
des boissons (acétate et carbonate, dans le vin, le cidre, le vinaigre,
oxyde et carbonate dans l'eau), soit que ces substances alimentaires aient
été en contact avec du plomb dans leurs récipients, soit qu'il y ait eu
falsilication ou sophistification ; il peut aussi être produit par l'ingestion
de pains à cacheter, ou de couleurs, comme sur les jouets d'enfants. Dans
certains cas, assez rares il est vrai, Y empoisonnement professionnel aigu
a été observé.
Enfin, les sels de plomb, principalement l'acétate, ont aussi donné
lieu à des accidents aigus par Vemploi thérapeutique rationnel ou em-
pirique : acétate dans du lait contre la diarrhée, ou en pilules dans la
phthisie (Fouquier, Léridon), et grains de plomb administrés par un
charlatan contre la dyspepsie (Ruva).
Expérimentalement, l'empoisonnement aigu a pu être, on l'a vu, dé-
terminé par l'injection intra-veineuse d'acétate de plomb. Pour ce^ qui
est des accidents aigus résultant de l'introduction des composés plombi-
ques dans les voies respiratoires, il est difficile de faire la part du satur-
nisme et de l'asphyxie par obstacle mécanique (Moreau).
Symptômes. — Au moment de l'ingestion, il y a perception immédiate
d'une saveur douceâtre, sucrée, puis styptique et parfois comme métalli-
que; souvent, bientôt après se manifeste dans la bouche une sensation
de brûlure, plus ou moins prononcée dans l'arrière-gorgc, et se prolon-
PLOMB. —
EMPOISONNEMENT AIGU. TRAITEMENT .
309
géant le long de l'œsophage jusqu'à l'estomac, où est ordinairement son
maximum ; d'autres fois, il y a seulement de la pesanteur au creux épi-
gastrique. La langue, parfois légèrement gonflée, est, en général, blan-
châtre et couverte de petits points blancs saillants.
Presque en même temps apparaissent des nausées et des vomissements,
d'abord de liquide souvent incolore et limpide, quelquefois présentant
l'aspect de l'eau blanche, et pouvant contenir du plomb ; plus tard, les
matières vomies deviennent muqueuses et sont parsemées de taches ou
de points blancs dus à des sels de plomb. Seul, le chromate donne lieu
à des vomissements colorés en jaune. Puis, coliques gastro-inteslinales
très-aiguës, avec rétraction et dureté ou quelquefois ballonnement de
l'abdomen, s'accompagnant tantôt de constipation, tantôt de selles diar-
rhéiques colorées en noir par du sulfure de plomb. On a vu, avec le
météorisme, de la rétention d'urine par propagation de l'inflammation
intestinale. Engourdissement des membres abdominaux, abattement gé-
néral ; pâleur du visage, lèvres livides.
Le liséré gingival bleuâtre peut se faire longtemps attendre, et même
manquer complètement ; mais dans certains cas, il apparaît dès les
premiers moments ; les dents sont noircies ; fétidité de l'haleine. La
respiration devient stertoreuse ; il se produit de l'asphyxie et un hoquet
pénible ; des vertiges, des syncopes, du trismus et des convulsions épi-
leptiformes précèdent un état comateux (véritable encéphalopalhie), qui
se termine par la mort après deux ou trois jours. Les facultés intellec-
tuelles restent quelquefois intactes jusqu'au dernier moment.
Dans le cas de guérison, après des symptômes d'excitation et de dé-
pression moins intenses, il se déclare de la fièvre. Des taches noirâtres
de sulfure de plomb se développent sur la peau par suite de l'élimination
du poison ; la douleur épigastrique diminue graduellement, et l'amélio-
ration s'effectue avec lenteur. Il reste longtemps de l'hébétude, des
troubles digestifs, de la faiblesse, de l'anémie et même un état cachec-
tique.
Anatomie pathologique. — Les lésions anatomiques ne sont ni cons-
tantes, ni caractéristiques. Tout se borne le plus souvent à une inflamma-
tion légère et superlicielle de la muqueuse de l'estomac, qu'on a parfois
trouvée épaissie, grisâtre, ramollie et même érodée. Taylor, contraire-
ment à l'opinion qu'on lui a prêtée, pense que l'action corrosive appartient
au sel neutre et non au poison combiné avec un acide. Les traînées de
points blancs, adbérents à la muqueuse stomacale, données par Orfila,
comme propres à l'empoisonnement par l'acétate de plomb, ne sont pas
constantes ou sont difficiles à reconnaître.
Dans deux cas où il s'était produit des symptômes cérébraux graves,
G. Bergeron et Tardicu ont constaté les lésions de l'encéphalopathie
saturnine : coloration blanc-mat du cerveau, consistance dure, aplatisse-
ment et effacement des circonvolutions.
7 railemenl. — S'il n'y a pas de vomissements, on les provoquera, ou
s'ils sont pénibles, on les facilitera par des boissons ; dans le cas de
510 PLOMB. INTOXICATION CHRONIQUE.
parésie de l'estomac, on pourrait recourir à l'usage de la pompe stoma-
cale.
Les antidotes chimiques capables de neutraliser le poison plombiquc
en le rendant insoluble sont, d'une part, le soufre en électuaire, la
limonade sulfurique, l'acide sulfliydrique, les sulfures solublcs, et d'autre
pari les sulfates alcalins, en particulier le sulfate.de magnésie, qui peu-
vent continuer leur action jusque dans le torrent circulatoire. On a encore
recommandé les protosulfure (Miahle) et persulfure de fer hydratés (Bou-
chardat), l'eau alburnincuse prise en très-grande quantité, pour former
un alburninatc qui est insoluble, mais qui se redissout dans un excès
d'albumine. La noix de galle a bien réussi entre les mains de Chansarel.
Plus tard, des purgatifs débarrasseront les intestins du plomb qu'ils
pourraient encore contenir, et l'on facilitera l'élimination du poison par
l'iodure et le bromure de potassium.
Intoxication cnitoNiQUE. — Nous étudierons d'abord les symptômes
et les lésions du saturnisme avec leur pathogénie et leur étiologie spé-
ciales, puis successivement l'étiologie générale, la prophylaxie et le trai-
tement de cetle intoxication.
I. Symptômes et lésions; patliogénie et étiologie spéciales.
A. Troubles digestifs. — 1° Stomatite. — Les saturnins présentent
du côté de la bouche de véritables lésions anatomiques, presque cons-
tantes, et en tout cas caractéristiques, dont la facile constatation sur le
vivant fournit un des éléments diagnostiques les plus importants ; nous
voulons spécialement parler des colorations plombiques de la muqueuse
buccale : liséré gingival (Burton) et plaques de la face interne des lèvres
et des joues.
Un liséré ardoisé, noirâtre quand il est intense, large de 2 à 5 mil-
limètres, siège à la sertissure des gencives, particulièrement des incisives
et des canines inférieures. Il consiste en une imprégnation de la muqueuse
par du sulfure de plomb formé en présence de l'hydrogène sulfuré pro-
venant, soit de la décomposition des parcelles alimentaires retenues entre
les dents (Tanquerel), soit des sulfures alcalins de la salive (Schebach),
soit enfin du sang (Gubler). L'apport du plomb se fait, tantôt directe-
ment par dépôt des particules métalliques à leur passage dans la bou-
che (tatouage) : contact immédiat ou intermédiaire de l'atmosphère, des
instruments et des doigts souillés (L. direct, primitif) ; tantôt indirecte-
ment par les voies circulatoires et par élimination à travers les glandes
buccales et les gencives. La preuve de l'existence de ce liséré secondaire,
indirect, a été établie en 1869 par Frank-Smith : chez un saturnin para-
lytique, sans la moindre trace de liséré, il se développa, après une ou
deux semaines de traitement ioduré, un liséré bleu bien marqué, qui
persista six semaines environ. Semblable observation a été faite ultérieu-
rement par Hilton Faggc. Dans le cas de Schoënbrod (1875), le liséré
n'apparut que quatre semaines après que le malade eut cessé de faire
usage d'un vinaigre plombifère qui lui avait occasionné des coliques.
Les gencives, quelquefois boursoufflées et saignantes, s'amincissent
PLOMB. INTOXICATION CIIUONIQUE. TROUBLES DIGESTIFS. 511
d'ordinaire et se résorbent à leur ourlet (gingivite), laissant les dents
•déchaussées, de teinte brun-clair, encroûtées de tartre et souvent cariées.
Sur 50 cas de saturnisme professionnel, nous avons vu le liséré man-
quer à fois sans qu'il parût avoir jamais existé (Edelmann vient de pu-
blier un cas semblable), et une fois chez un ancien ouvrier qui avait pu
■en être porteur antérieurement ; il est vrai qu'alors les sujets n'avaient
pas un métier à poussières.
Parfois, avec le liséré, et même en son absence, on trouve sur la mu-
queuse des lèvres et des joues, des plaques ardoisées (Gubler), sous forme
d'un fin pointillé, presque toujours par tatouage au niveau d'ulcérations
correspondant aux saillies des dents.
Ces diverses colorations buccales sont pathognomoniques du satur-
nisme. Si, en effet, des lisérés plus ou moins analogues peuvent se mon-
trer en dehors de cette intoxication, ceux dus à l'imprégnation profes-
sionnelle par le cuivre, ou thérapeutique par le nitrate d'argent (Du-
guet) et par le fer, et même, selon Gubler à l'emploi prolongé du charbon
porphyrisé, comme dentifrice, ou à une simple exhalation scorbutique,
il sera toujours possible d'en distinguer le liséré saturnin par des réac-
tions chimiques faciles à déterminer. L'eau oxygénée, mise en contact
avec le liséré ou les plaques, donne naissance à une traînée blanchâtre
de sulfate de plomb (D'Àrcet, Tanquerel et Grébant) ; la solution d'hydro-
gène sulfuré restaure la coloration noire, plus intense môme que primi-
tivement. Dans un autre procédé d'analyse, on recueille le dépôt recou-
vrant le collet des dents, et on le traite par l'acide nitrique et de l'eau
distillée, pour transformer le sel de plomb en azotate soluble ; le liquide,
repris par une solution d'iodure de potassium au ^5, donne la coloration
jaune caractéristique de l'iodure de plomb (Pauvert).-
Comme troubles fonctionnels accompagnant les colorations buccales,
et légitimant la dénomination de stomatite : outre la gingivite, l'haleine
•est fétide, saburrale ; la réaction de la salive se montre extrêmement
acide ; il y a un léger ptyalisme, et le malade éprouve une saveur per-
sistante, sucrée et styptique à la fois.
2° Dyspepsie. — Les sujets soumis à l'action lente et prolongée du
plomb présentent bientôt les symptômes d'un léger embarras gastrique
permanent : bouche pâteuse et arrière, « empoisonnée », suivant l'expres-
sion même des malades, langue jamais nette, appétit émoussé ou capri-
cieux, parfois état nauséeux avec vomissements pituileux le matiu.
A un degré un peu plus avancé, la langue devient blanche et sèche,
l'inappétence plus complète ; il y a même du dégoût pour les aliments
et quelquefois des vomissements; pesanteur et sensibilité à la pression
au creux de l'estomac. L'intestin est aussi intéressé dans une certaine
mesure : constipation, dureté et sensibilité morbide de l'abdomen spon-
tanément et à la pression, avec douleurs lombaires, et, par moments,
quelques légers élancements passagers; fréquemment alors on observe
«n même temps de la céphalalgie.
Tout peut se borner à ces sortes de poussées subaiguës dans le cours
512
PLOMB. INTOXICATION CHRONIQUE. TROUBLES DIGESTIFS.
de la dys|)cpsie chronique; mais d'ordinaire celles-ci se répètent plusieurs
l'ois avant l'explosion d'accidents plus graves, et leur série est close par
un dernier accès bien caractérisé, prémonitoire de la colique.
On ne peut nier que ces troubles gastro-inlcstinaux, préexistant à la
colique, reconnaissent dans certains cas une origine indirecte, et qu'ils
résultent alors d'une élimination du poison par la muqueuse digestiVe,
surtout par celle de l'estomac, spécialement chez les alcooliques où
celle-ci sécrète d'une manière exagérée; d'autre part néanmoins, ils
peuvent légitimement être considérés comme manifestations d'entrée,
lorsque le métal est évidemment introduit avec les ingesta, ou quand des
ouvriers travaillent dans une atmosphère chargée de poussières toxiques,
dont le transport jusque dans l'estomac s'effectue par l'intermédiaire des
aliments et de la salive sans cesse déglutie. Quoi qu'il en soit, l'action
du poison plombique se traduit là comme ailleurs par de la parésie dou-
loureuse.
La dyspepsie observée dans l'intervalle des attaques de colique par-
ticipe des caractères de la dyspepsie préparatoire et de celle essen-
tiellement chronique des saturnins cachectiques que nous décrirons
plus loin.
3° Colique. — Sur 45 ouvriers saturnins réclamant les soins de la
médecine, 56 étaient ou avaient déjà été atteints de colique; parmi les
10 autres (plus d'un cinquième des sujets) qui n'en avaient jamais
éprouvé, 5 souffraient alors d'embarras gastro-intestinal simple.
La colique, qui ne se développe généralement chez les peintres qu'après
un certain nombre d'années, peut se montrer dans les premiers mois et
même les premières semaines du travail chez les ouvriers en céruse et
minium.
Bien que susceptible d'éclater soudain, elle est ordinairement annon-
cée par les prodromes dyspeptiques déjà connus , auxquels se joignent
du malaise , une expression de souffrance , de l'endolorissement et de
l'engourdissement des extrémités, et des urines uratiques ou albumi-
neuses. Alors se déclarent des douleurs abdominales, faibles d'abord,
plus tard intolérables, siégeant, au niveau de l'ombilic, à l'épigastre,
aux flancs ou à l'hypogastre , et s'irradiant jusque vers les lombes , la
vessie, les parties génitales et les cuisses. Ces douleurs continues,
obtuses et gravatives, affectent, par intervalles, la forme d'accès paroxys-
tiques avec élancements atroces , causant l'insomnie ; el'.es sont calmées
par une pression lentement progressive et méthodique sur une large
surface (Fernel), et elles s'exaspèrent, au contraire, sous l'influence d'une
pression brusque et par soubresauts avec l'extrémité des doigts. L'abdo-
men est rarement météorisé; on le trouve, en général , inégalement dur
et rétracté par suite d'une contracture des muscles abdominaux, compri-
mant et immobilisant les intestins dont les douleurs sont ainsi modérées;
ces mêmes muscles, surtout les droits, sont quelquefois atteints d'hyper-
algésie au pincement ou au grattage (Briquet) , manœuvres qui peut-
être aussi déterminent des contractions désordonnées, réveillant les dou-
PLOMB. INTOXICATION CHRONIQUE. TROUBLES DIGESTIFS.
313
leurs intestinales. A un haut degré d'intensité, il y a rétraction de
l'ombilic et de l'anus.
Dans environ un septième de nos cas, les coliques du début ont été
suivies d'une débâcle diarrbéique ; puis la constipation s'établissait
désormais opiniâtre, comme elle l'est d'emblée chez la plupart des
malades. Cette diarrhée initiale, commune dans l'intoxication aiguë par
ingestion, s'observe plus particulièrement sur les ouvriers en céruse et
minium, exposés à absorber rapidement une grande quantité de poison.
La constipation s'accompagne d'un certain développement de gaz intesti-
naux; l'inappétence est absolue, la soit' plus ou moins vive; vomisse-
ments fréquents de matières glaireuses ou bilieuses, éructations et par-
fois hoquet. Chez quelques sujets , un état ictérique ou seulement
subictérique coïncide avec une sensibilité à la pression et une rétraction
temporaire du l'oie (Potain), soit par anémie ou défaut d'apport sanguin,
soit plutôt par contraction de la tunique musculaire des vaisseaux (isché-
mie). Les troubles urinaires seront étudiés en leur lieu.
On remarque de plus quelques signes de faible réaction sur les autres
organes ; céphalalgie fronto-temporale, avec éblouissemenls, tintements
d'oreilles, subdélirium nocturne et prostration générale; courbature,
douleurs et crampes dans les membres, constriction thoracique, etc.
L'apyréxie est si fréquente, que Grisolle la donnait comme la règle;
dans certains cas, le pouls se ralentit jusqu'à 40 pulsations par minute,
et la température s'abaisse au-dessous de la normale; mais, par contre,
on observe quelquefois, comme l'avait noté Blachc, pendant les premiers
jours, une fièvre pouvant se traduire par une accélération du pouls,
124 pulsations, et par une élévation de la température rectale à 59°,4
(Lorain). Le pouls est en outre dur et vibrant; nous examinerons les
caractères de son tracé à propos des troubles circulatoires.
La durée de l'attaque de colique varie de quelques jours à plusieurs
semaines. La guérison se' fait par le retour des selles et de l'appétit; les
récidives sont extrêmement fréquentes, quelquefois nombreuses.
Sans parler des divers symptômes d'intoxication chronique (troubles
sensitifs et moteurs) , qui coexistent presque toujours, même avec la
première atteinte de colique, à laquelle ils préexistent souvent, les véri-
tables complications, telles que l'encéphalopathie et la paralysie confir-
mée, ne surviennent guère que dans le cours des premières récidives.
La dyspepsie cachectique, consécutive à de nombreuses atteintes de
colique ou d'autres manifestations toxiques graves , revêt différentes
lormes liées d'ordinaire à un catarrhe gastrique ; l'anorexie en est le
principal symptôme.
Des nécropsies empruntées à diverses sources et analysées parTanquerel,
et de celle de Kussmaul et Maier, il ressort que le plomb, agissant dès le
début sur le tube digestif, y produit d'abord des lésions hypertrophiques
des éléments glandulaires et musculaires, mais, qu'à la longue, son
aclion mène à l'atrophie. Les lésions atrophiques sont les suivantes : du
côté de la muqueuse de l'estomac et de l'intestin jusqu'à la partie infé-
.-,14 PLOMB. INTOWCVMUN CIIHOMQUE.
rieure du colon, atrophie du stroina et des éléments glandulaires frappés
de dégénérescence graisseuse ; la tunique celluleuse, surtout celle de
l'intestin, offre un épaississement scléreux rétrécissant le calibre des
vaisseaux ; dégénération graisseuse de la tunique musculaire, spéciale-
ment au niveau du pylore et dans l'intestin grêle. Enfin, les ganglions
sympathiques , dont la lésion avait déjà été signalée par Tanquerel et
Segond, sont indurés, ischémiés, et présentent une diminution de leurs
cellules nerveuses (Kussmaul etMaier).
La théorie pathogénique qui s'accorde le mieux avec les faits connus
jusqu'aujourd'hui, est celle dans laquelle on considère la colique satur-
nine comme résultant d'une sorte de crampe douloureuse avec parésie et
névralgie intestinales. Le plomb se fixe sur les éléments de l'intestin dans
lesquels il s'accumule en réserve, sous forme d'une poussière noirâtre de
sulfure (GubJcr et Quévenne), soit directement par ingestion, soit indi-
rectement par élimination.
Les causes déterminantes de la colique sont diverses : ingestion
d'une suffisante quantité de plomb en un temps donné ; tendance active
à l'élimination digestive du poison introduit par les diverses voies, et
suppression de son élimination rénale ou cutanée; solubilisation, mise
«n circulation et élimination digestive d'une réserve métallique emma-
gasinée, soit à la surface du canal alimentaire, soit dans le foie, soit enfin
en certains points de l'organisme, par exemple, dans les extrémités
atteintes d'intoxication locale par absorption cutanée (Frank-Smith).
La solubilisation du plomb est facilitée par les acides (vins acidulés,
•vinaigre) et par l'iodure de potassium. Les excès alcooliques favorisent le
développement de la colique, non que l'alcool entrave, par son passage à
travers le rein, l'élimination régulière du métal, mais plutôt parce que,
activant les échanges organiques élémentaires, il déplace le métal fixé
dans les tissus et le réintroduit dans le sang (Rosenthal).
4° Ictère. — L'ictère hépatique, plus rare que ne le pensait Tanque-
rel, n'est pas nécessairement sous la dépendance de la colique, car il
peut se rencontrer chez des sujets qui n'ont jamais eu de colique, et on
l'a vu disparaître dans le paroxysme des douleurs. Il semble devoir être
rattaché à la sensibilité morbide et à la rétraction du foie, qui, si elles
accompagnent quelquefois la colique, peuvent aussi exister en dehors
d'elle, d'une façon plus ou moins permanente, notamment à la période
cachectique ; le canal cholédoque présente alors les lésions du catarrhe
chronique (Kussmaul et Maier). Dans un cas d'embarras gastro-intestinal,
nous avons constaté une légère hypertrophie avec sensibilité morbide du
foie. La cirrhose hépatique a d'ailleurs été observée une fois par Coute-
not. Les recherches chimiques d'Heubel ont prouvé que le foie esL un des
organes dans lesquels le plomb s'accumule le plus. Enfin , ce métal s'éli-
mine par la sécrétion biliaire qui en contient des proportions faibles
(Ilermann), mais cependant appréciables. On ne devra point confondre
«et ictère vrai avec la teinte icléroïde hématique de l'anémie saturnine.
Deux autres glandes annexes de l'appareil digestif, le pancréas surtout
PLOMB. INTOXICATION CHRONIQUE. TROUBLES CIRCULATOIRES. 515
et la rate, ne paraissent pas avoir suffisamment fixé l'attention des
observateurs. Pourtant, Mayençon et Bergeret ont trouvé la rate impré-
gnée d'une forte proportion de plomb ingéré ; et dans un certain nombre
de nécropsies, en particulier dans celle due à Négrié et rapportée par
Tafforin, cet organe était hypertrophié et ramolli. Aussi n'est-il pas éton-
nant que plusieurs fois nous ayons rencontré de la sensibilité morbide à
la région splénique.
B. Troubles circulatoires. — Quelle que soit sa voie d'absorption, le
plomb pénètre vite dans le sang, et consécutivement agit sur les parois
du système circulatoire, d'où une anémie spéciale et des troubles cardio-
vasculaires.
Le sang des saturnins renferme en permanence, mais en très-petite
quantité en debors des épiphénomènes aigus, ce métal, à l'état libre, ou
à l'état d'albuminatcs (Buekheim, Clams, Lewald) ; il existe en moins
grande abondance dans les vaisseaux (Lacnnec!, et présente une légère
augmentation de la fibrine (Pope) ; ses globules rouges sont moins nom-
breux (Àndral et Gavarret, Malassez), deux fois moins qu'à l'état sain, et
ils ont subi une augmentation de volume ne compensant pas leur dimi-
nution de nombre ; ils sont devenus moins ducLiles et ebimiquement plus
fixes (Bécbamp). L'bypoglobulie, se produisant rapidement, s'effaçanl
avec lenteur, et susceptible de s'aggraver après l'écartcmcnt de la cause,
semble par conséquent être un symptôme d'empoisonnement chronique;
elle se montre en raison directe avec l'âge du sujet, l'intensité et la durée
de l'intoxication et la riebesse du milieu professionnel en poussières
plombiques. Il est probable qu'elle résulte d'une diminution dans la
production des globules par altération de leurs organes formateurs
(Malassez) .
Le plomb détermine, d'après Kussmaul, de la rigidité spasmodique des
fibres musculaires du cœur, qui est un peu plus gros que normalement
(Beau et Duroziez) ; contrairement à cette hypertrophie, Leudet a, dans
deux cas, trouvé une véritable atrophie cardiaque. V endocardite, la
dégénérescence graisseuse du myocarde, et des lésions valvidaires alhé-
romateuscs ont été signalées par Duroziez. Les artériolcs de la plupart
des organes ont leur calibre diminué et leur tunique celluleuse épaissie
(Kussmaul et Maicr), ce qui rend leur paroi plus rigide (Malassez).
La résultante complexe de ces divers états pathologiques constitue
l'anémie saturnine, dont la notion clinique remonte à Stoll et à de Haën.
Outre le ton grisâtre, dépendant d'un dépôt de sulfure de plomb à la
surface de la peau, les téguments, spécialement à la face, prennent urie
teinte jaune-pâle fixe, non modifiable par les émotions, en rapport non-
seulement avec l'appauvrissement du sang, mais encore avec la rigidité et
le rétrécissement des arlérioles cutanées. Dans quelques cas, la coloration
jaune devient plus marquée et s'étend aux conjonctives oculaires; très-
probablemerut produite par un des dérivés de riiématoïdinesous l'influence
«hromogène des sels biliaires (J. Simon), elle doit être considérée comme
symptomalique d'une profonde altération du sang. Celte teinte ictéroïdt
31G PLOMIi. — INTOXICATION CHRONIQUi:. TMOUlil.ES CIIICUI.ATOIRES.
htfmatique est plus fauve, moins franche que dans l'ictère hépatique,
dont elle diffère d'ailleurs par les caractères de l'urine.
En dehors de la période aiguë de certains cas exceptionnels de colique,
le pouls, petit, mou, facilement dépressihle, parfois irrégulier, tomhe à
50 et 40 pulsations par minute. Ce ralentissement reconnaît des causes
diverses. D'une manière générale, l'affaiblissement de vitalité des élé-
ments anatomiques n'est plus compatible avec une circulation active ;
d'autre part, la rigidité des vaisseaux apporte un retard au cours du sang,
car la rigidité des canaux diminue le débit d'un courant intermittent
(Marey). La macrocythémic elle-même rend le sang moins fluide, par la
difficulté que les globules plus volumineux et moins malléables éprouvent
à circuler dans les capillaires (Malassez). Il n'est pas jusqu'à la présence du
plomb dans le sang qui ne contribue pour sa part à ce ralentissement du
pouls, puisque Potain et Malassez ont constaté que du sérum contenant
1 millième d'acétate de plomb passe plus lentement dans un tube capil-
laire que du sérum pur. Nous citerons enfin l'ictère dont l'action modé-
ratrice du pouls esl si énergique.
Le tracé sphygmique des saturnins chroniques est pathognomonique
(Marey, Bondet, Lorain). 11 offre un plateau ondulé par des ressauts, qui
donnent à la pulsation un caractère tricrote et même polycrole, dû, selon
Fig. 24. — Tracé sphjgmiquo. Colique au deuxième jour (OIjs. XXIX de notre thèse).
Marey, à une anomalie dans la contraction ventticulaire cardiaque. La
ligne de descente est tremblée par une suite de brèves ondulations
isochrones, résultant d'une légère trémulation musculaire ordinairement
invisible. Il apparaît constamment dans la période aiguë de la colique un
tracé analogue, ayant une ligne ascensionnelle courte et inclinée, avec
plateau à rebondissements, mais dont la ligne de descente est rectiligne.
Teissier fils, de Lyon, attribue ces caractères du pouls à un état spasmo-
dique musculaire des artères.
Hitzig a remarqué sur les veines superficielles du dos des mains et des
avant-bras, surtout aux points d'abouchement, des zones de contraction
leur donnant une apparence moniliforme; cette contracture annulaire
des fibres transversales était temporaire et s'exagérait par les efforts. Les
veines n'étaient d'ailleurs ni variqueuses, ni indurées. Nous reviendrons
sur le rôle important que cet auteur fait jouer au système circulatoire,
surtout veineux, dans la pathogénie de la paralysie.
Les troubles cardiaques manquent parfois au début ; mais on observe
assez souvent, en particulier dans la période de cachexie, des pal pi talions
et un impulsion exagérée. Nous avons vu un peintre gaucher, atteint de
troubles sensitifs de la moitié gauche du corps, surtout au membre supé-
rieur, ressentira plusieurs reprises une violente douleur canliahjHpw
PLOMB. — INTOXICATION CHRONIQUE. TROUBLES RESPIRATOIRES. 517
s'irradiant dans le bras et le cou de ce côté. L'auscultation révèle en outre
des bruits de souffle cardiaques el vasculaires de cause anémique el
même organique (Duroziez). Avec le stéthoscope déprimant légèrement
les gros vaisseaux du cou et du pli du coude, nous avons perçu des bruits
de souffle, quelquefois doubles, même en l'absence du souffle cardiaque;
il s'en est parfois produit dans les vaisseaux du pli du coude, sans qu'il
y en eût à ceux du cou. Bien plus, chez un peintre droitier, paralysé de
la sensibilité aux membres supérieurs, surtout à droite, présentant un
souffle exclusivement au pli du coude, ce bruit se montra plus intense à
droite, où il était en tout comparable au bruit d'un générateur à vapeur.
On a trouvé, en dehors de l'insuffisance aortique, un double souffle
crural artériel, encore inexpliqué. Le frémissement des veines jugulaires
se rencontre rarement. Le saturnisme produit encore des péricardites
(Andral), le plus souvent chroniques, affectant quelquefois une forme
aiguë.
Il est regrettable qu'on ne connaisse rieu de l'état du système lympha-
tique (vaisseaux et ganglions); ses altérations que rend probables la fré-
quence de l'érysipèlc et de la lymphangite, seraient pourtant très-intéres-
santes à connaître au point de vue pathogénique.
C. Ti^oubles respiratoires . — Les expériences de Rosenthal sur les
animaux ont prouvé que les particules de blanc de plomb pénètrent par
inhalation jusque dans les petites bronches. Chez des chevaux employés
dans les fabriques de céruse et morts saturnins, on a constaté, entre autres
désordres graves de l'appareil respiratoire, une atrophie du nerf récurrent
et une dégénérescence graisseuse des muscles dilatateurs de la glotte
(Gùnther, Gurlt et Ilertwig). Vaphonie s'observe d'ailleurs quelquefois
chez l'homme (Pariset, Tanquerel).
Les troubles respiratoires se montrent sous deux formes bien différentes.
L'asthme aigu, de cause externe, est cliniquement caractérisé par une
dyspnée paroxystique et des quintes de toux pénibles, avec rares crachats
muqueux, grisâtres, et un abondant écoulement de mucus nasal, cons-
tamment plombifère ; l'auscultation fait percevoir de simples râles
vibrants de bronchite. Cette forme dure de quelques heures à huit et douze
jours ; la réaction fébrile est faible ou nulle. Lewy a trouvé les plus petits
rameaux bronchiques remplis et partiellement obstrués de parcelles
saturnines. La muqueuse bronchique, recouverte d'un exsudât grisâtre,
visqueux, plombifère, est rouge, gonflée, ecchymosée et même parsemée
de plaques blanches et grises, au niveau desquelles le tissu pulmonaire
est cirrhosé. Sur les animaux, la muqueuse des grosses bronches a pré-
senté des ulcérations arrondies, isolées, de la dimension d'une tète
d'épingle.
Vasthme chronique, déjà mentionné par Sauvages, succède à de nom-
breuses attaques de la forme aiguë, ou apparaît chez des ouvriers cachec-
tiques ou des convalescents d'affections thoraciques graves, qui ont repris
trop tôt le travail; nous l'avons rencontré affectant des ouvriers exposés à
l'inspiration dépoussières ou de vapeurs plombiques. Là, plus qu'ailleurs,
318 PLOMB. INTOXICATION I IIISONIQUE. TROUBLES GÉNITO-UIII.NAIRES.
il est nécessaire de tenir compte de la prédisposition individuelle. La
toux est sèche, par accès paroxystiques prolongés; expectoration peu
abondante de mucosités toujours plombières ; oppression extrême; les
hydropisies surviennent; les râles vibrants du début sont remplacés par
il* fines bulles humides, éclatant à la base des poumons œdématiés. Cet
asthme conduit à l'emphysème; à la pneumoconiose saturnine, avec
complication de pneumonie caséeuse chronique.
L'antagonisme entre le saturnisme et la phlhisie tuberculeuse, admis
par Tanquerel, Beau et Pidoux, était journellement démenti par les faits,
lorsque Hirt démontra par sa statistique que la tuberculose est près de
deux fois plus fréquente chez les ouvriers qui manient le plomb que chez
ceux qui travaillent le fer ou le cuivre.
D. Troubles génilo-urinaires. — 1° Troubles urinaires . — Les reins
sont le pr incipal émonctoire du plomb, dont l'analyse chimique décèle la
présence dans les urines (Orlila). L'élimination de ce métal, variable et
intermittente, est favorisée et rendue continue par l'administration de
l'iodure (Guillot et Melsens, Parkes) et peut-être du bromure de potassium
(Rabuteau, Bucquoy, Banzolini, Gueneau de Mussy et Gubler), qui le
transforment en sel double soluble. Chez les albuminuriques, le plomb
s'éliminerait à l'état d'albuminate (Lewald).
Pendant la période d'anémie initiale, l'urine est souvent peu acide, et
dans certains cas, neutre ou alcaline (A. Robin). A un degré un peu plus
avancé, elle prend une couleur rappelant celle du vieux vin du Rhin; et
plus tard, quand la cachexie est confirmée, elle ressemble à l'urine icté-
rique, mais n'a pas de reflet verdàtre : l'acide nitrique lui donne une colo-
ration acajou, sans produire la réaction spectrale de la matière colorante
biliaire; elle tache le linge en rose-saumon. Sa quantité diminue; l'acide
urique paraît souvent un peu augmenté, probablement par concentration.
En général, cette urine coexiste avec l'ictère hématique ; on suppose
qu'elle doit alors sa teinte à un dérivé de l'hématoïdine en excès dans le
sang, par suite tout à la fois d'une déglobulisation rapide et d'une insuffi-
sance hépatique [urine hémaphéique de Gubler). Dans les cas rares d'ic-
tère vrai, l'urine donne les réactions caractéristiques des acides et de la
matière colorante de la bile.
Que la cachexie toxique arrive à un haut degré, ou que des épiphéno-
mènes variables (coliques, accidents cérébro-spinaux) viennent à se dé-
clarer, X albumine du sérum, en excès dans le sang par rapport aux glo-
bules détruits, tend à s'éliminer par les urines; et d'autre part, les
principes de désassimilation, ne subissant plus une combustion suffisante
pour évoluer en urée, s'éliminent à l'état d'acide urique. C'est ainsi que
de l'albumine et des dépôts uratiques, colorés par l'acide rosacique, et
ayant l'aspect de la brique pilée ou du minium, apparaissent dans l'urine,
temporairement pendant un épiphénomène aigu, définitivement quand la
cachexie poursuit sa marche progressive. Un de nos malades, en proie à
des coliques depuis huit jours, et émettant une urine uratique et mu-
queuse, avait les reins très douloureux à la pression. Chez un aulrc. au
PLOMB. INTOXICATION CHRONIQUE. TROUM.ES GÉNITO-URINAIRES. 51'.»
septième jour d'une récidive de coliques, nous avons trouvé un peu de
sucre dans les urines, légèrement muqueuses, mais non albumineuses;
la douleur au foie, ressentie par ce dernier, pouvait faire penser à une
glycosurie de cause hépatique.
Enfin, les urines des saturnins arrivés à la période terminale de cachexie
anémique sont pâles, de faible densité, parfois alcalines; elles se colorent
très-peu sous l'influence de l'acide nitrique; l'albuminurie se produit,
dans quelques cas, avec des œdèmes, et trahit alors une profonde allé-
ration rénale.
Le plomb se trouve en assez forte proportion dans le rein. Les lésions
atrophiques de cet organe, que Rayer et d'autres avaient signalées chez
les saturnins, ont été rattachées par Ollivier à l'élimination urinaire pro-
longée du métal; mais on est aujourd'hui conduit à admettre que ces lé-
sions, quand elles existent, sont seulement consécutives à l'albuminurie
d'origine humorale et cachectique. Les descriptions de Garrod, Lance-
reaux, Grainger-Stewart, Dickinson et Robert, ont été complétées par les
constatations microscopiques de Charcot, Gombault et Kelsch. Le rein
est petit, dur à la coupe; sa substance corticale, réduile à une couche
mince, présente quelquefois à sa surface des granulations jaunâtres ou
rosées, plus ou moins dures. La seule portion à peu près intacte est celle
qui correspond à tous les tubes collecteurs. La substance corticale est
très-altérée; entre les tubes contournés et dans leur épitbélium se mon-
trent des cellules embryonnaires, qui plus tard s'organisent par place en
tissu fibreux. Modifications analogues des glomérules, qui, le plus sou-
vent, subissent la transformation colloïde. Cette néphrite interstitielle
atrophique s'accompagne d'une albuminurie, avec lésions oculaires, or-
dinairement non compliquée d'oedème, mais susceptible d'exposer à l'en-
céphalopalhie urémique (Danjoy).
Dans la colique, l'émission des urines peut se faire avec difficulté et
même avec douleur (strangurie).
2° Troubles génitaux. — Le plomb fait sentir son action jusque sur la
vie de l'espèce. D'après Pallas, la céruse a souvent servi, en Russie, à
rendre les filles stériles. Le saturnisme chronique, môme du côté du père,
prédispose aux avortemenls (C. Paul). Le passage du métal de la mère
dans les organes du fœtus a été démontré chimiquement. La grande mor-
talité des enfants d'ouvriers saturnins, par maladies nerveuses, notée
d'abord en Angleterre au sujet des potiers du Straffordshire, a été con-
firmée par la statistique de Roque, qui a montré de plus que les survivants
étaient fréquemments atteints d'idiotie, d'imbécillité et d'épilepsie (sa-
turnisme héréditaire) .
Il eût été étrange qu'agissant sur le produit de la conception, par le
père et la mère, le plomb restât sans influence sur les fonctions génitales,
comme l'ont avancé les auteurs (fui se sont occupés de la question. Nous
avons en effet signalé, dans notre thèse (1873), chez deux peintres de
trente -deux et trente -quatre ans et un cérusier de vingt-huit ans, de
Vanaphrodisie, allant, pour le premier, jusqu'à Vimpuissanee; et der-
520 PLOMB. INTOXICATION CHRONIQUE. TROUBLES NERVEUX ET LOCOMOTEURS.
nièrement, l'anapbrodisie a été observée sur la femme elle-même (Ducamp).
Ainsi se trouve justifié l'emploi des ceintures antiaphrodisiaqiies en plomb
chez les anciens. Lieutaud prescrivait l'acétate de plomb à l'intérieur
contre la nymphomanie.
E. Troubles nerveux el locomoteurs. — 1° Encéphalopathie. — L'en-
céphalopathie est beaucoup plus rare (un quart des cas) et plus tardive
que la colique; elle n'apparaît guère qu'après dix et même vingt ans de
travail à la peinture, et dans la première année, parfois dès le quatrième
mois chez les ouvriers en céruse et minium. Elle se développe d'ordinaire
à l'occasion d'une violente récidive de colique, le plus souvent à titre de
complication initiale ou terminale; quelquefois néanmoins les coliques et
l'encéphalopatliie débutent simultanément, el ont une importance à peu
près égale, de sorte qu'elles doivent cire considérées comme simplement
concomitantes ; plus rarement enfin, les accidents cérébraux prédominent,
et les coliques semblent en être une complication; mais celles-ci ne font
presque jamais complètement défaut.
Dans la moitié des cas, l'encéphalopatliie est annoncée par des pro-
dromes, un jour ou quelques heures à l'avance. Ce sont des symptômes
cérébraux: céphalalgie, vertiges, assoupissement pendant le jour, insom-
nie ou tout au moins agitation la nuit ; hébétude du regard, éblouisse-
ments, diplopie, strabisme, modifications pupillaires, amblyopie, altéra-
tions du goût, parfois dysphagie ou sensation de constriction au pharynx ;
engourdissement, fourmillements et prostration. On observe, en outre,
de l'agitation, de la crainte, de la tristesse, de l'inquiétude ou, au con-
traire, une indifférence absolue. Du côté de l'état général, il y a accélé-
ration du pouls, et l'urine, on l'a vu, devient fréquemment albumineuse
et uratique. Quand les coliques préexistent, presque toujours avec des
troubles cérébraux concomitants plus ou moins marqués, le pronostic
de complication encéphalopathique, beaucoup plus difficile, ne pourra
se baser que sur la multiplicité et l'intensité croissantes de ces symptômes
nerveux centraux, l'insomnie absolue, l'accélération du pouls et les alté-
rations possibles des urines. Chez les autres malades, le saturnisme cé-
rébral éclate d'emblée par une attaque épileptiforme ou un état comateux
apoplectique avec ou sans paralysie.
L'encéphalopatliie revêt des formes délirante, convulsive, comateuse et
paralytique.
Forme délirante. — Le délire, qui survient dans un quart des cas. ésl
irrégulier et variable, partiel ou général, quelquefois tranquille, avec
une simple divagation dans les idées, pouvant se traduire par des paroles
et des actes étranges, et se compliquer d'hallucinations de la vue et de
l'ouïe ; le plus souvent, il est d'emblée ou devient agité et furieux, avec
incohérence des idées. Le malade se croit malheureux, rarement heu-
reux (variété raisonnante de Grisolle) ; mais toujours il y a désaccord
entre la nature du délire et la physionomie qui reste impassible (Tanque-
rel). Chez les trois quarts des sujets, le délire est paroxystique ou tout à
fait intermittent. Il y a parfois abolition complète de la sensibilité: le
PLOMB. INTOXICATION CHItONIQUE. TliOUBLES XEftVEUX ET LOCOMOTEUUS. 521
pouls est constamment petit. Quelques malades meurent sidérés par
l'aggravation du mal; d'autres se tuent dans un accès de fureur. Quand
le retour à la santé doit avoir lieu, d'ordinaire, après un ou deux jours
de durée, le calme survient; le patient s'endort et se réveille guéri, sans
se rappeler ce qui s'est passé pendant l'accès. En général, la forme déli-
rante est suivie de convulsions ou de coma.
Forme convulsive. — Cette forme, la plus fréquente de toutes, est
quelquefois représentée seulement par des convulsions sans perte de
connaissance, mais avec un certain degré de stupeur. Celles-ci sont
générales, débutant alors ordinairement par un tremblement généralisé
(Compendium), ou partielles, siégeant à la face, dans un ou plusieurs
membres ou dans un groupe de muscles. Le plus souvent cloniques, elles
peuvent être toniques et donner lieu à un état semi-tétanique avec
opisthotonos (Nivet).
A un degré de plus, l'encéphalopathie épileptiforme consiste, excep-
tionnellement, en un simple vertige, avec perte de connaissance et de
sensibilité, ou presque toujours en une attaque convulsive complète,
comme dans l'accès épileptique véritable, dont elle diffère pourtant. En
effet, il n'y a point d'aura précurseur (Grisolle, Tanquerel), mais quel-
quefois une sensation de tournoiement et rarement un cri initial; en
outre, le vertige simple se prolonge beaucoup plus (quelques heures) que
dans l'épilcpsie, et la stupeur consécutive est plus marquée. Enfin, Tan-
querel donne l'intensité de la raideur tétanique, comme un caractère
important de l'accès convulsif épileptiforme. Jaccoud a observé dans
cette forme des symptômes médullaires : mouvements automatiques, con-
tractures,, parésie sensitive et motrice des membres inférieurs et, moins
fréquemment, mouvements involontaires de déglutition et rétention
d'urine; c'est a(in de tenir compte de ces phénomènes afférents à la
moelle que ce clinicien a proposé pour l'encéphalopathie la dénomina-
tion de saturnisme cérébro-spinal. L'attaque de convulsion épileptiforme
se termine par de la sterteur, qui se dissipe peu à peu, ou parfois par un
état apoplectique souvent fatal (Stoll). La mort survient, soit à la fin
d'un premier accès, soit après plusieurs accès s'étant succédé coup sur
coup, séparés dans certains cas par du délire furieux, et devenant bien-
tôt subintrants. Les accès calaleptiformes (Tanquerel) sont très rares.
Lewis a observé des accès hystériques chez de jeunes ouvrières. Selon
Auguste Voisin, Yépilepsie vraie serait une des conséquences éloignées du
saturnisme.
Les animaux : chiens, chats, oiseaux, qui hantent les ateliers, meu-
rent presque tous de convulsions.
Forme comateuse. — Le coma n'existe guère à l'état isolé ; d'ordi-
naire, il s'établit après un accès convulsif ou de délire, avec lequel on
le voit aussi alterner.
Forme paralytique, — Dans la moitié des cas, la série dos accidents
cérébraux débute soudain par une paralysie absolue, sensitive et motrice,
rarement des deux membres supérieurs ou inférieurs, le plus souvent.
KOUV. MCT. MLD. £T CHIR. XXVIII. 21
522 PLOMB. — intoxication chronique. tuoubi.es nerveux et locomoteurs.
hémiplégique, parfois limitée à une moitié de la face et au membre-
supérieur correspondant. Cette même paralysie peut n'apparaître que
dans le cours ou au stade terminal de l'encéplialopalbie; elle s'associe
également bien au coma, au délire et aux accès épileptiformes. Bien
qu'elle soit accompagnée de troubles de la parole et d'altération des sens,
indices de l'atteinte portée à l'encéphale, elle offre néanmoins, chez les
ouvriers saturnins, cette particularité intéressante de siéger généralement
sur la moitié à laquelle appartient le membre supérieur le plus en rap-
port avec le poison plombique; ce qui semble indiquer, parfois du moins,
une certaine relation d'origine avec la paralysie locale par absorption cuta-
née, qui dans ce cas lui préexiste probablement toujours. En dehors de
toute explication, ces faits constituent une véritable forme paralytique de
l'eaacéphalopathie qui méritait d'être classée à part. Cette paralysie,
d'ailleurs curable, marchant même assez vite vers l'amélioration, ne
devra pas être confondue avec celle qui s'établit lentement dans la con-
valescence et se montre progressivement croissante,
Vamblyopie et Mamaurose ont été observées dans les divers stades des
accidents cérébraux, auxquels elles peuvent même survivre quelque temps.
Les récidives de l'encéplialopalbie sont fréquentes.
Enfin, comme modalités rares du saturnisme cérébral, nous devons
encore mentionner la paralysie générale (Delasiauve, Devouges, Bour-
desol, Marcé, Falret et Bucquoy), et une forme hydrophobique (Mon-
tault).
Lecerveau des saturnins contient incontestablement du plomb (Devergie.
Tanquerel, Empis et Robinet, Guillot et Melsens, Vulpian et Personne) ;
il est peu probable que le dépôt métallique se localise dans les tuniques
artérielles (Rosenslein) à l'exclusion de la substance cérébrale, comme
on a cru l'avoir démontré par l'analyse du cerveau d'un malade mort
d'encéphalopathie dans le service de Moutard-Martin ; il ne suffisait pas,
dans ce cas, de constater l'absence du plomb dans l'encéphale dépouillé
de ses enveloppes et étanche de sang ; il eut, de plus, fallu démontrer
directement la présence du métal dans les méninges.
Chez les sujets ayant succombé à l'encéphalopatbie, le cerveau offre
un aspect caractéristique. Il est ischémié, d'où pâleur de la substance
grise, et quelquefois œdémateux; souvent jaunâtre, icléroi'Je, il est
ferme, résistant, donnant, sous le doigt qui l'écrase, la sensation molle
et collante de la pâte de guimauve (Martin-Solon) ; ses circonvolutions,
aplaties et serrées les unes contre les autres, le font paraître hypertro-
phié (Tanquerel et Grisolle). Nous ne rejeterons pas absolument les
constatations analomicjues de Thomas, de Canuet et d'Amiral, rela-
tives à un ramollissement des centres nerveux, car une nécropsie de
Négrié a montré un peu de ramollissement, des congestions et des noyaux
apoplcctilbrmcs dans l'encéphale d'un sujet mort d'encéphalopathie
mixte (Tafforin).
Les méthodes hislologiques actuelles ont été jusqu'ici impuissantes à
révéler aucune lésion appréciable.
l'LOMB. — LNTom.vnuJi chronique, troubles nerveux et locomoteurs. ô2ô
que les accidents cérébraux saturnins aient pu, dans des cas excep-
tionnels, reconnailre une origine uréiniqne, ce qui ne parait pas rigou
rcusenient établi, on ne doit point considérer l'urémie comme leur cause
générale. La théorie palhogénique la plus communément acceptée est
celle île l'anémie cérébrale résultant du spasme musculaire des petits vais-
seaux (Rosenstein), ou de la compression par l'œdème interstitiel (lleubel).
Nous rapprochant plutôt de l'opinion de llermann, nous croyons à une
action primitive du plomb sur le système nerveux central, qui se mani-
festerait lorsque ce métal s'y sciait accumulé en quantité suffisante.
2° Douleurs rhumatoïdes. — Goulle. — Ostéo-arlhriles. — Les dou-
leurs rhumatoïdes mobiles, si fréquentes chez les saturnins, siègent
principalement dans les muscles (myalgie), les articulations et les tissus
libreux et tendineux qui les avoisinent (arlbralgie), et par exception
dans la substance même des os. Variables dans leur nature, elles affectent
toutes les formes et tous les degrés, depuis les simples sensations de las-
situde, de courbature et de raideur pénible, jusqu'aux véritables dou-
leurs contusives, constrictives, lancinantes et dilacérantcs. Elles sont
tantôt spontanées, fréquemment avec exacerbations nocturnes, tantôt, et
plus rarement, accrues ou provoquées par les mouvements et la pression
brusque (endolorisscment), bien qu'il survienne d'ordinaire de sensibles
rémissions sous l'influence d'une compression méthodique ; la chaleur
les calme quelquefois, les exaspère souvent. Enfin nous avons vu, dans
le cours de la cachexie, des cas rares, le hasard néanmoins vient encore
de nous en fournir deux, avec rougeur et gonflement limités à de grandes
articulations et même diffus, à évolution rapide, mais toujours sans appa-
reil fébrile. Ce sont probablement des faits semblables que les anciens
auteurs, Sauvages en particulier, entendaient désigner sous le nom de
rh umalisme métallique.
Ces duulcurs se font sentir à peu près également dans les membres
supérieurs et inférieurs, avec une légère prédominance pour les derniers.
Les muscles le plus souvent atteints sont ceux du côté de la flexion : aux
membres supérieurs, les muscles des bras, surtout le biceps, et aux infé-
rieurs, ceux des jambes, spécialement des mollets. Leur siège de prédi-
lection dans les parties les plus rapprochées du point d'absorption cuta-
née du plomb, chez les ouvriers, doit souvent les faire classer parmi les
accidents directs.
Les douleurs rhumatoïdes peuvent coïncider en une même région avec
l'analgésie proprement dite (analgésie douloureuse) ; mais nous avons
prouvé qu'elles cessent de se produire dès qu'il y a anodynie (a priv., et
Sôûvï), soulfrauce), c'est-à-dire si, à la suite d'une brûlure, par exemple,
il ne se développe pas ultérieuremnt de douleurs liées au processus in-
flammatoire. Un membre analgésie n'est donc susceptible de douleurs
spontanées qu'autant qu'il a conservé son odynie intacte. Comme l'odyuie
parait avoir pour conducteurs les fileis nerveux du grand sympathique,
il en résulte (pic ces derniers sont très vraisemblablement le siège unato-
mique des douleurs rhumatoïdes.
324 PLOMB. — INTOXICATION CHIIOK1QUE. TBOIBLKS NEllVEUX KT LOCOMOTEURS.
De ces douleurs, nous rapprocherons les névralgies, parfois intercos-
tales (Rosenlhal), qui semblent, liées à la dyserasie anémique.
Quant à la goutle saturnine, mentionnée dès 1752 en Angleterre par
Musgrave, au sujet de la colique du Dcvonshire, et nettement indiquée
par 11. Parry (1808), sa notion lut introduite en France en 1854, avec
la traduction de l'ouvrage de Gan od, où se trouvait formulée la tendance
des ouvriers saturnins anglais à contracter cette affection. En France la
goutte, rare d'ailleurs dans la classe ouvrière, s'est retrouvée, mais peu
fréquente, chez les saturnins. La plupart des observateurs n'accordent à
l'intoxication qu'une influence adjuvante dans la production de cette
maladie. Il existe pourtant des cas dans lesquels, en l'absence de prédis-
position héréditaire et avec un genre de vie opposé à celui des goutteux,
on ne découvre d'autre cause appréciable que le saturnisme (Cbarcot,
Ollivier, Bailley, bucquoy, Lancereaux, Brouardel, Pinel et Ilalmagrand).
On a remarqué que la goutte provient en général de l'intoxication lente
et à petite dose ; les attaques alternent d'ordinaire avec les coliques; son
évolution serait plus rapide que celle de la goutte vraie. Notons enfin la
coexistence fréquente des altérations rénales, dites rein goutteux de Todd,
rein contracté, néphrite interstitielle, déjà étudiées plus haut.
Le lissu osseux, dans lequel le plomb s'accumule en la plus grande
proportion, 2 à 3 p. 100 (Ileubel et Lévvy), est sujet, dans la période
de cachexie ultime, chez 2 saturnins p. 100, à des affections diverses :
caries, nécroses, périoslites alvéolaires avec carie dentaire, siégeant
à la mâchoire supérieure dans plus de la moitié des cas (Léwy, Binon,
et ostéo-arlhriles (Yerneuil et Sabatier) ; leur pronostic est ordinaire-
ment favorable.
5" Crampes et contractures. — Tremblement. — He'michorèe. — Alaxie.
— Les crampes douloureuses, communes dans le saturnisme, sont plus
précoces chez les ouvriers en céruse et minium que chez les peintres;
elles se manifestent surtout lors d'une attaque de colique, ou dans la
première période de la paralysie motrice. Rarement généralisées, elles
siègent à peu près aussi fréquemment aux membres inférieurs qu'aux
supérieurs. Les crampes des membres inférieurs, plus souvent liées à la
colique, seraient de cause générale, tandis que celles des membres supé-
rieurs, compagnes habituelles de la paralysie, affectent de préférence les
parties les plus rapprochées des points de contact du plomb et auraient
plutôt une origine locale par absorption cutanée. Elles sont spontanées
ou provoquées par de fausses positions, par l'extension forcée dans le
décubitus au lit, pour les membres inférieurs, et dans quelques cas rares,
par le moindre attouchement. Si d'ordinaire les crampes sont espacées,
elles deviennent par exception presque continuelles et fatiguent ainsi
le patient. La douleur qu'elles déterminent est parfois très-violente.
Un de nos malades, peintre droitier, atteint de paralysie prédominant
à droite, était sujet à des spasmes musculai7*es du globe oculaire de ce
côté.
Nous avons rencontré, chez un plombier, de la contracture inlcrmit-
PLOMB. INTOXICATION" CHRONIQUE. TROUBLES NERVEUX ET LOCOMOTEURS. 325
tente des extrémités inférieures, tout à fait semblable à la tétanie. Presque
chaque jour, il se produisait, durant 5 à 10 minutes, une contracture
douloureuse dans l'extension du pied, dont le gros orteil, fléchi sous la
plante, y était recouvert par les autres orteils ; elle débutait aux extré-
trémités, et était accompagnée d'engourdissement et d'une coloration
violacée des téguments. La ligature du membre est restée impuissante à
la provoquer. Comme transition entre les crampes et cette lëtanie satur-
nine, un peintre paralytique présentait de la contracture intermittente
partielle des extrémités supérieures dans la flexion, tantôt à droite, tan-
tôt à gauche, avec cette particularité qu'elle atteignait seulement les trois
derniers doigts droits et les deux premiers doigts gauches ; la contracture
cessait par l'extension forcée.
Rappelons que pendant les coliques, les muscles abdominaux sont
contracturés (Spring) ; cette contracture douloureuse constituerait même,
pour Briquet et Giacomini, un facteur important de la colique.
Tremblement. — Loin d'avoir dans le saturnisme la même impor-
tance que dans l'hydrargyrisme, le tremblement existe néanmoins sou-
vent dans le cours dè cette intoxication, sans en général, il est vrai, ac-
quérir une grande intensité. Signalé par Arétée, Paul d'Egine, Le Pois,
Percival, Tanquerel et Spring, il a été étudié à part, dans ces dernières
années, par Hoilis, Lafont et Charles Fernet.
Presque tous les saturnins offrent une légère Irémulation musculaire
régulière, révélée seulement par le tracé sphygmique. Sur les muscles
superficiels, on constate quelquefois des contractions fibrillaires invo-
lontaires.
Le tremblement proprement dit, à oscillations visibles des memhres,
augmentant, à l'inverse de celui des alcooliques (Lafont), par la fatigue
et vers la fin de la journée, apparaît ordinairement après un travail de
quelques mois (ouvriers en céruse et minium et compositeurs typo-
graphes), ou de plusieurs années (peintres). Il est souvent associé à un
certain degré de parésie motrice, parfois si peu intense que celle-ci n'est
pas accusée spontanément par le malade. Quelques sujets pourtant, les
compositeurs par exemple, peuvent présenter du tremblement avec inté-
grité de la puissance motrice; mais d'autre part, nous avons exception-
nellement observé la parésie motrice sans tremblement, de sorte que ces
deux troubles fonctionnels semblent concomitants et même corrélatifs en
tant qu'émanant d'une même cause ; mais ils ne dépendent pas directement
l'un de l'autre. Tant que le tremblement ne s'est pas encore montré, il
n'y a guère de crampes ni de fourmillements; mais avant lui, se mani-
feste fréquemment une légère parésie sensitive. Presque toujours il est
en rapport de siège et d'intensité avec la paralysie, et d'une manière
générale avec les autres accidents locaux; c'est dire qu'il siège le plus
souvent aux membres supérieurs, exclusivement ou surtout à la main
le plus en contact avec le plomb, la droite chez les droitiers, la gauche
chez les gauchers. Cette origine périphérique est de plus démontrée rigou-
reusement par ce fait que nous avons observé sur un compositeur d'im-
r»26 PLOMB. — intoxication ciihomqim:. tmmWB NF.nVF.UX ET LOr.OMOTEUnS.
primoric, un tremblement marqué des mains, en l'absence de liséré gin-
gival. Nous avons d'ailleurs retrouvé semblable localisation de ce symptôme
au point de contact du mercure chez un doreur sur métaux. Le tremble-
ment saturnin peut aussi, comme la paralysie, résulter indirectement d'un
empoisonnement général par absorption digestivc et respiratoire. Il doit
en être ainsi pour le tremblement passager des membres, surtout des
supérieurs, que Grisolle a noté immédiatement après l'accès de vertige
épileptiformc. À un léger degré, le, tremblement disparaît parfois assez
vite sous l'influence du repos et du traitement; mais chez les anciens
ouvriers qui ont subi une forte atteinte, il peut persister avec la paralysie
plusieurs années après la cessation du travail.
Le tremblementrcste le plus souvent partiel. Cbez les mineurs de mine-
rai plornbifère, outre les membres supérieurs, il affecte l'orhiculaire de*
lèvres et les zygomaliques ; il suit alors d'ordinaire les grandes attaque-
de colique. Plus rarement enfin, ces ouvriers sont pris d'un tremblement
généralisé, analogue à la paralysie agitante : trémulation des lèvres, cla-
quement des mâchoires, braillement de la tète, etc.. Cette dernière forme
ne résulterait jamais que d'une intoxication profonde (Wilson, mines de
Lead-IIills; Brockmann, mines de l'OberHarz).
On est en droit do supposer que le tremblement et la paralysie motrice
reconnaissent une môme cause anatomo-pathologique.
A côté du tremblement, se placent : a les soubresauts involonlairc-
de Vhëmichorée, étudiée par Lewis (1872) et Raymond (-1876); b une
forme peu fréquente d'incoordination des mouvements volontaires, se
produisant avec ou sans le secours de la vue ; le malade éprouve de la peine
à porter une cuiller à la bouche, spécialement en tenant les yeux fermés,
ou bien une gêne et presque une impossibilité de la marche et de la sta-
tion verticale, par lilubation plutôt que par parésie. Celte alaxie, dont
nous avions incidemment rapporté des cas légers aux membres supérieurs,
dans notre thèse (1873), peut se présenter à un degré intense, qui a été
décrit par Raymond (1874), siégeant dans les memlu-cs, surtout les infé-
rieurs, et donnant lieu à un ensemble analogue aux manifestations locales
de l'ataxic locomotrice ; mais elle se montre bénigne et passagère. Ella
nous paraît due à une désharmonie des antagonistes et à une désassocia-
tion musculaire, sous la dépendance de la paralysie motrice; car les ma-
lades continuent à se rendre compte de la position occupée par leur?
membres.
4° Paralysie motrice. — Tumeur dorsale de la main. — La paralysie
motrice saturnine, que Nicandre avait mentionnée dès le premier siècle
de notre ère, a été décrite assez complètement par Van Swieten, et bien
observée par Tanquercl ; enfin les recherches originales de Duchenne
(de Boulogne), à l'aide de l'éleclrisation localisée, sont venues l'éclairer
d'un nouveau jour.
La plupart des ouvriers saturnins qui réclament les soins de la méde-
cine sont atteints de paralysie motrice, ne serait-ce qu'à un léger degré;
les rares sujets que nous en avons trouvés exempts n'étaient entrés à l'Im-
PLOAILS- INTOXICATION CHRONIQUE. TROIBLES NERVEUX ET LOCOMOTEURS. 527
pilai que pour de faibles manifestations toxiques : dyspepsie gastro-
intestinale ou légères coliques seulement; ils présentaient, comme
symptômes locaux, de la parésie seusilive, des douleurs et des crampes.
Dans environ la moitié des cas, il est vrai, celte parésie motrice, rare-
ment accusée spontanément par le malade qui l'ignore ou n'y attache
que peu d'importance, n'est pas l'affection qui a déterminé l'cnfréc à
l'hôpital. Presque toujours elle siège aux mains et aux avant-bras, sur-
tout et même d'une manière exclusive au membre le plus en contact avec
le plomb ; il s'agit là d'une forme essentiellement chronique d'emblée.
Les ouvriers non malades, encore au travail, et qui ne sont qu'au pre-
mier stade de l'intoxication, conservent d'ordinaire leur puissance muscu-
laire intacte ; ils ne sont guère affectés que de parésie sensitive, de dou-
leurs, de crampes et tout au plus d'un léger tremblement.
Dans un quart des cas, la paralysie, subaigue, du moins au début,
atteint en quelques jours son summum, bien qu'elle doive prendre une
allure chronique dans les périodes d'état et de déclin ; ce sont encore
les membres supérieurs qu'elle frappe ordinairement. Elle est en général
annoncée par des prodromes locaux signilicatifs, de courte durée : lassi-
tudes, sensations de fourmillements, de pesanteur et d'engourdissement,
crampes et tremblement ; enfin l'apparition des symptômes paralytiques
peut s'accompagner de douleurs représentées souvent par des élancements
allant de l'épaule au pli du coude, parfois sur le trajet du radial, avec
cndolorissemcnt par les mouvements ou la pression, comme dans la né-
vrite. 11 est probable que la forme chronique lui préexiste presque tou-
jours plus ou moins marquée. Cette paralysie affecte d'abord les extré-
mités qu'elle touche plus fortement, et dans lesquelles elle persiste en
dernier lieu ; constamment sur les ouvriers saturnins, elle prédomine ou
siège uniquement au membre supérieur le plus en rapport avec le métal.
Chez un capsulcur de flacons, la paralysie était strictement limitée à la
moitié interne de la paume et aux deux derniers doigts de la main droite,
avec lesquels il lissait la calotte de plomb ; il n'y avait d'ailleurs jamais
eu aucun symptôme d'intoxication générale : ni colique, ni constipation,
ni trace de liséré gingival. D'ordinaire cependant, pour les cas intenses,
la paralysie subaiguë n'est survenue qu'après plusieurs attaques de
colique, compliquées parfois d'encéphalopatliie. Elle apparaît beaucoup
plus tôt chez les eérusiers que chez les peintres.
Sur un quart des sujets, la paralysie frappe tout-à-coup une assez
grande étendue du corps, dans le cours de vives coliques avec accidents
cérébro-spinaux (paralysie subite): nous en avons déjà parlé à propos
de l'encéphalopalhie, dont elle constitue la forme paralytique. Assez
diffuse au début, elle se limite ensuite, ou prédomine dans certaines par-
ties, soit aux membres supérieurs ou inférieurs, soit dans une. moitié du
corps, soit enfin à un membre supérieur en même temps qu'à la moitié
correspondante de la face, simulant une paraplégie (Jaccoud), une hémi-
plégie ou une monoplégie brachiale et faciale. Mais lors même qu'il pa-
raît y avoir une véritable hémiplégie avec altération de la parole et des
PLOMB. — INTOXICATION CHRONIQUE. TROUBLES NERVEUX ET LOCOMOTEURS.
sens, il est toujours possible de constater : d'une part, qu'elle prédomine
au membre supérieur, plus particulièrement vers sou extrémité, et,
d'autre part que la moitié du corps censée intacte, est en réalité plus
ou moins intéressée elle-même, de sorte que ce serait plutôt une forme
pseudo-hémiplégique ; cette dernière peut exceptionnellement se déve-
lopper en dehors de tout autre épiphénomène aigu. L'hémiplégie satur-
nine, signalée par Stoll, Andral et Tanquerel, a été étudiée à nouveau
dans notre thèse en 1875, et l'année suivante par Vulpian et Raymond.
La paralysie atteint enfin quelquefois les muscles de l'œil, du larynx
(aphonie), et du tronc, voire même la diaphragme.
La paralysie saturnine est caractérisée par une perte ou une diminu-
tion des coulractilités volontaire et électro-musculaire , inégalement
répartie dans les régions affectés, intéressant plus particulièrement cer-
tains muscles, surtout les extenseurs (Stockusen), respectant certain-
autres, et pouvant même se limiter à quelques faisceaux musculaires.
La prédominance dans les extenseurs entraîne une attitude caractéris-
tique des membres en flexion, par défaut d'antagonisme; aux membres
supérieurs, il en résulte une déformation de la main en griffe et la chute
du poignet. Les muscles du membre supérieur sont d'ordinaire suecessi-
ment affectés dans l'ordre suivant : extenseur commun des doigts, exten-
seurs propres de l'index et du petit doigt, long extenseur du pouce,
deuxième et premier radiaux, cubital postérieur, long abducteur et court
extenseur du pouce. Chez la plupart des peintres, l'annulaire et spéciale-
ment le médius sont paralysés les premiers, peut-être parce qu'ils n'ont
point d'extenseurs propres pouvant suppléer à la paralysie précoce de
l'extenseur commun ; mais nous avons tu, surtout dans d'autres profes-
sions, différents doigts être primitivement frappés, c'étaient alors ceux
qui se trouvaient le plus en contact avec le poison. Le long supinateur et
l'anconé sont généralement intacts ; mais, pour le supinateur en parti-
culier, cette intégrité, donnée par Duchenne (de Boulogne), comme signe
diagnostique dilférentiel d'avec la paralysie a frigore, n'est pas cons-
tante, témoin les cas d'Elgnowski, de Piedra et de Proust ; dans Pavant-
dernier, et probablement aussi dans le dernier, il s'agissait d'une paralysie
directe, localisée aux membres supérieurs. Puis viennent les muscles de
la région antibrachiale antérieure, de la paume de la main, surtout de
l'éminence thénar, les interosseux palmaires ; le deltoïde a parfois été
atteint primitivement sans que les muscles du bras le fussent ; au bras,
le triceps est en général plus intéressé que le biceps.
Bien qu'elle puisse rester intacte (Jaccoud, Morilz Meyer), la contrac-
libilité électro-musculaire se montre d'ordinaire rapidement affaiblie ou
abolie, tantôt avant, tantôt et plutôt après la contractilité volontaire. Le
caractère quasi-expérimental de l'exploration de celle contractilité
électrique rend l'inégale distribution de celle-ci plus évidente encore
que celle de la contractilité volontaire. La recherche de l'état de la con-
tractilité électrique ne peut remplacer celle de la contractilité volontaire,
surtout au début; mais à une certaine époque elle devient très utile au
PLOMB. INTOXICATION CHRONIQUE. TROUBLES NERVEUX ET LOCOMOTEURS. 529
pronostic, parce que l'abolition de celte contractilité dénonce une tendance
àl'atrophie. Les résultats varient avec les courants induits eteoutinus aux
différentes périodes. Au début, les courants induits cessent les premiers
de faire contracter les muscles ; la contractilité par les courants continus
peut alors persister seule, puis elle disparaît elle-même. A une période
plus avancée, dans les formes graves, les muscles se contractent à nou-
veau sous l'influence de courants continus, plus faibles même que nor-
malement (Legros et Onimus). Enfin, les courants électriques continus et
induits passent très-facilement des extenseurs aux iléchissseurs qu'ils font
contracter, ce qui ne se produit jamais à l'état normal (Vulpian et
Raymond).
Quand la paralysie est intense ou de longue durée, il survient, dans
les parties intéressées, divers troubles circulatoires, sécrétoires et nutri-
tifs : pâleur, refroidissement, sécheresse et amincissement de la peau ;
souvent sudorèse abondante (Tanquerel), quelquefois tumeur dorsale de
la main, dont il sera question plus loin, et enfin de l'atrophie.
La forme parétique chronique des membres supérieurs, à début insi-
dieux, évolue avec lenteur durant des années, et reste généralement
limitée aux extrémités, n'entravant guère le travail. La forme à période
d'augment subaiguë s'établit progressivement en quelques jours, puis
reste stationnaire de un à plusieurs mois, pour ensuite décroître peu à
peu. Il n'en est pas de même pour la paralysie subite, qui se montre
d'emblée à son maximum, et va bientôt s'améliorant, quelquefois assez
rapidement en quelques mois.
Les récidives sont fréquentes, si le malade s'expose de nouveau à l'ac-
tion du poison.
Rappelons la terminaison possible par la paralysie générale, chez les
sujets qui ont éprouvé des attaques répétées d'encéphalopathie.
Les lésions anatomiques de la paralysie saturnine sont encore assez
peu connues.
Les muscles paralysés présentent trois sortes d'altérations (Gombault),
qui peuvent se rencontrer associées : 1° léger amincissement; 2° dimi-
nution considérable de volume, teinte jaune-brun et même décoloration,
comme dans le stade ultime de l'atrophie ; 3° ailleurs, aspect de jambon
fumé, augmentation considérable de volume, dureté, rigidité, déjà notée
par Kussmaul et Maier, et sécheresse ; développement et épaississement
des gaines des faisceaux primitifs. Sous le microscope, on trouve dans
les muscles décolorés et diminués de volume, sauf la dégénérescence
cireuse, toutes les formes d'atrophie chronique. La dégénérescence gra-
nulo-graisseuse proprement dite est rare (Ollivier et Lancereaux). Il y a
le plus souvent simple diminution de la substance contractile, parfois
avec fissure et même excavation au centre ou à la périphérie du faisceau
primitif, plus rarement, développement de vésicules adipeuses entre les
faisceaux primitifs, d'où coloration jaune et pâleur. Dans les muscles
durs et épaissis, la fibre musculaire est augmentée de volume; le tissu
conjonclif interfasciculairc a proliféré ; les noyaux du sarcolemme multi-
Ô50 TLOMB. INTOXICATION CHRONIQUE. TIIOUM.ES NEIIVRUX ET LOCOMOTEURS.
plies s'accumulent en certains points, au niveau desquels ils refoulent la
substance conlractile, qui est ainsi fragmentée, et ils donnent à la fihru
un aspect moniliforme.
La présence du plomb dans les muscles a été démontrée par Dcvergic.
Contrairement à Gusscrow, qui croyait à une accumulation prépondérante
de ce métal dans le système musculaire, Heubel pense que c'est ce même
système qui en contient le moins.
D'accord sur les lésions des muscles, les observateurs sont d'avis dilfé-
rents pour les lésions nerveuses.
Les nerfs périphériques desservant les muscles paralysés sont presque
constamment altérés, quelquefois à l'exclusion de la moelle et de ses
racines (OUivier, Gombault et Westpbal), toujours d'ailleurs beaucoup
plus que les racines et à plus forte raison, que la moelle (Lancereaux),
mais relativement moins que les muscles correspondants (OUivier). Leur
altération, de plus en plus marquée vers la périphérie, se limite aux filets
innervant les muscles atteints; elle consiste d'ordinaire en une atrophie
évidente du tronc nerveux, avec pâleur, amincissement, dégénérescence
granuleuse, plus tard graisseuse, et même aplatissement de ces tubes.
Parfois le nerf paraît sain à l'œil nu; le microscope y révèle une proli-
fération exagérée des noyaux du tissu conjonctif qui entoure les tubes
nerveux, surtout au voisinage des vaisseaux, dont les parois sont épais-
sies ; la myéline, pour ainsi dire étouffée, est diminuée de volume,
presque disparue, revêtant à peine le cylindre d'axe, qui le plus somcnl
persiste.
Quand la moelle est intéressée, il s'agit soit d'une coloration grisâtre
sans altération microscopique, soit d'un léger degré d'atrophie et de ra-
mollissement au niveau des renflements cervical et lomhaire, plus spéciale-
ment à leur partie antéro-externe. Les racines racliidienncs eoircspon-
dantes, surtout les antérieures, sont elles-mêmes un peu atrophiées,
avec ou sans altération granulo -graisseuse de quelques-uns de leurs
tubes.
Dans un seul cas, on a rencontré les nerfs musculaires sains, et les
racines antérieures offrant tout au plus une hyperplasie du tissu con-
jonctif séparant leurs tubes nerveux; la région externe des cornes anté-
rieures de la moelle cervicale avait un certain nombre de cellules atro-
phiées, ratatinées, dépourvues de noyaux et de prolongements, pigmentées,
parfois creusées de vacuoles (Vulpian).
Le plomb se trouve dans la moelle, mais en moindre proportion que
dans le cerveau (Heubel) ; il n'a pas encore été décèle dans les nerfs.
La pathogenie de la paralysie est encore très obscure, et nous ne
devons point nous dissiniuler.rinsuffisance des éléments, jusqu'ici à notre
disposition, susceptibles de l'éclairer. On s'accorde généralement aujour-
d'hui à considérer celte paralysie comme périphérique; c'est en effet ce
que semblent prouver ses symptômes : siège initial ex-lusif ou au moiiu
de prédominance aux extrémités, abolition des mouvements réflexes :
perle rapide de" la contractilité électrique, amyotropbie, et ses lésion-
PLOMB. INTOXICATION CHRONIQUE. TROUIILES NERVEUX ET LOCOMOTEURS. 5ÔJ
(sauf le cas de Vulpian el Raymond) exclusivement périphériques ou de
moins en moins marquées vers le centre.
Gusserow admettait une action directe du plomb sur les muscles, qu'on
a . peut-être tort de rejeter complélcment, au moins pour la forme paréti-
que chronique; elle expliquerait la perle rapide de la contraclilité gal-
vanique, qui, dans le cas de lésion exclusive des nerfs, ne devrait périr
que lentement ; et d'autre part, elle s'accorderait avec la nécropsie faite
par Ollivier, dans laquelle les lésions musculaires étaient relativement
plus considérables que celles des nerfs correspondants. D'après une
ingénieuse hypothèse de Ilitzig, le plomb agirait sur les muscles par l'in-
termédiaire du sang et des vaisseaux, et l'inégalité de distribution de la
paralysie, notamment sa prédominance dans les extenseurs, résulterait
de ce que, pendant la contraction des fléchisseurs, il se formerait un
diverticule vasculaire, surtout veineux, du côté de l'extension; l'imperméa-
bilité des artérioles cutanées et la contraclilité annulaire des veines
favoriseraient la stagnation dans le réseau sanguin musculaire.
L'invasion et la marche de la forme à début subaigu, analogues à
celles de la névrite, l'existence de divers symptômes prodromiques el
concomitants, en particulier de l'anestliésie, et les constatations nécropsi-
ques plaident en faveur d'une altération primitive des nerfs périphéri-
ques, des rameaux inlra-musculaires (Ileubel), et d'abord même, selon
nous, de leurs plaques motrices terminales, plutôt que de leur tronc lui-
même (Weslphal et Charcot) ; car les lésions musculaires ne correspon-
dent pas à des groupes de muscles sous la dépendance d'un même nerf,
et elles sont de plus en plus prononcées vers la périphérie.
Celle paralysie périphérique doit évidemment, dans uu certain nombre
de cas, être l'elfe», d'un apport indirect du plomb par le sang dans les
voies circulatoires, puisqu'on l'a observée chez des sujets avant absorbé
le métal uniquement par le tube digestif.
Quant à la paralysie saturnine professionnelle, nous croyons avoir
prouvé par la clinique, qu'elle est 1res fréquemment le résultat direct
de l'absorption culanée ; elle atteint en effet le plus souvent les membres
supérieurs dans leurs derniers articles, siégeant exclusivement ou d'une
façon prédominante, du côté droit chez les droitiers, du côté gauche chez
les gauchers. La preuve que cette prédilection n'est pas due à un apport
métallique plus considérable, résultant d'un afflux sanguin dans les par-
ties qui travaillent le plus (Delaunay), c'est que chez les ouvriers droitiers,
mais exposant plus souvent leur main gauche à la contamination du
plomb, par le lait de leur genre de travail (gauchers professionnels),
celle dernière main a élé le siège de prédilection de la paralysie, lors
même qu'elle exécutait un moindre travail musculaire que la droite. Chez
quelques sujets qui n'avaient jamais éprouvé aucun accident d'inloxica-
tion générale, et qui ne présentaient même pas de liséré gingival, il nous
a été possible d'étudier dans toute sa pureté la paralysie d'origine
directe. Le métal est alors emmagasiné dans le membre paralysé ; remis
en circulation par un traitement ioduré, il peut donner •lieu à un liséré
352 PLOMB. l.NTOXICATIO.S CHRONIQUE. TROUBLES NERVEUX ET LOCOMOTEURS.
secondaire, comme dans les cas de Frank-Smith et de Faggc, dont nous
avons déjà parlé.
La paralysie saturnine locale et directe, entrevue par Pariset (1820),
avait été signalée en Angleterre par Frank-Smith, en i 809. Nos premières
observations sur ce sujet furent recueillies, la même année, quelques mois
après la publication du mémoire de Frank-Smith, dont nous ignorions
l'existence jusqu'en 1875, époque à laquelle nous l'avons fait connaître en
France. Depuis lors, outre nos nouvelles observations (in thèse d'agrég.
de Renaut et de doctorat de Drouet), il a été publié des cas confirmatil's
par Malherbe, Vulpian, Picdra, Proust et Edelmann. Le Dr Drouet a bien
voulu se charger d'éclairer la question par l'expérimentation sur les ani-
maux, dans le laboratoire et sous les yeux du professeur Vulpian. Des
frictions avec une pommade à l'acétate de plomb ont, en peu de temps,
suffi à déterminer chez des lapins, la paralysie de tel ou tel membre à
volonté, surtout des extenseurs, caractérisée par l'affaiblissement des con-
tractilités volontaire et électrique, la déformation, la boiterie et l'atro-
phie. A la nécropsie, les muscles étaient pâles, mais encore sans altéra-
tion microscopique (Déjerine).
Les symptômes de la paralysie progressive à début subaigu et de la
l'orme subite ainsi que les lésions anatomiques du système nerveux, ten-
dent à faire admettre qu'il se produit, à une certaine période, une
névrite ascendante, analogue à celle qui résulte de quelques lésions du
bout périphérique des nerfs. Quelle est la pathogénie exacte delà para-
lysie pseudo-hémiplégique paraissant intéresser plus particulièrement une
moitié latérale des centres nerveux? Y a-t-il là un phénomène d'irradiation
nerveuse réflexe? Nous l'ignorons, mais nous pouvons affirmer la saisis-
sante relation du siège unilatéral et de la prédominance périphérique de
cette paralysie avec les points d'absorption cutanée du poison.
La paralysie peut elle être exceptionnellement de cause médullaire?
Un examen nécropsique du à Vulpian et Raymond, permet de le croire;
de plus, Vulpian a réussi à produire artificiellement une myélite chez un
chien en l'empoisonnant par le plomb.
L'irrégularité de distribution de la paralysie saturnine constitue le
principal élément du diagnostic différentiel d'avec les paralysies a frigore
et par compression et la paralysie générale spinale subaiguë ; si, en effet,
l'affaiblissement de la contractilité électrique, quand il existe, permet
d'en séparer la paralysie radiale a frigore, dans laquelle celle contrac-
tilité est conservée, il n'en est plus de même pour les paralysies par
compression ; et d'ailleurs la contractilité électrique peut rester intacte
dans la paralysie saturnine. On ne peut cependant se baser sur l'atteinte
portée au long supinateur pour nier la nature saturnine de l'affection,
puisque ce muscle n'est pas toujours respecté, notamment dans les
cas de paralysie directe, où précisément l'absence de liséré peut venir
accroître encore la difficulté du diagnostic. La coloration localisée de
sulfure de plomb par un bain sulfureux pourrait seule alors tirer d'em-
barras.
PLOMB. IMOX1CATION CHRONIQUE. TROUBLES .NERVEUX ET LOCOMOTEURS. 5f>5
Tumeur dorsale de la main. — On voit fréquemment,, chez les
saturnins affectés de paralysie des extenseurs, une tuméfaction siégeant
sur le dos de La main, au niveau du métacarpe. Remarquée dès 1602 par
Plater, et depuis lors étudiée par de Haën et les auteurs classiques, la
tumeur dorsale de la main a été l'objet de travaux récents de la part de
Gubler, Hérard, Nicaise, Bouchard, Daviot et Huc-Mazelcl. Il peut y avoir
au début un œdème plus ou moins marqué et une douleur quelquefois
vive ; mais bientôt la tumeur est constituée par une ou plusieurs nodo-
sités indolentes, ordinairement sans rougeur, ayant une consistance car-
tilagineuse, une forme allongée, et participant aux déplacements qu'on
imprime aux tendons ; ces nodosités donnent sous le doigt explo-
rateur la sensation de l'épaississemcnl des tendons extenseurs ou de
leur synoviale, et peuvent être compliquées de ténosite crépitante à
l'avant-bras. Elles sont rarement plus grosses qu'un œuf de pigeon, et
elles varient plusieurs fois de volume dans une même journée. Anato-
miquement, la tumeur dorsale est caractérisée à un degré avancé, par
un état fongueux des tendons et de leur gaine synoviale, qui est d'ordi-
naire injectée (Nicaise, Charcot). Elle se développe peu après le début
de la paralysie, et disparait en général avec elle, sans laisser de trace.
Attribuée par Tanquerel à la saillie des extrémilés osseuses, ou ratta-
chée à la goutte (Mérat), elle fut, avec raison, rapportée à l'appareil ten-
dino-synovial par Plater, de Haën, Desbois, Pariset. On a cru devoir la
rapprocher des artrhopalhies et des ténosites que le repos amène chez les
fracturés (Gosselin). Son siège spécial ne peut s'expliquer, comme le
veut Gubler, par le frottement des tendons extenseurs contre les saillies
osseuses, résultant de la chute du poignet, cardans un cas de Landrieux,
la tumeur existait sans paralysie des extenseurs. On doit plutôt, avec
Charcot, la considérer comme une lésion trophique consécutive aux alté-
rations du système nerveux. Les observations de Gubler, Charcot et
Vulpian ont du reste montré que la tumeur dorsale se rencontre aussi
en dehors du saturnisme, dans les paralysies d'oriyine cérébrale, l'atro-
phie musculaire, etc.
5° Paralysie sensitive. — Dans le saturnisme professionnel la paralysie
de sensibilité est un des accidents les plus précoces, qu'on peut observer
longtemps avant la paralysie motrice, surtout chez les ouvriers bien
portants, qui ne se doutent pas en être atteints. Toujours elle coexiste
avec la paralysie motrice, qu'elle dépasse en intensité et en étendue;
c'est seulement sur les ouvriers ayant depuis longtemps cessé de tra-
vailler, ou qui ont suivi un long traitement, qu'il est possible de trouver
de la parésie motrice survivant aux troubles sensitifs, dont le siège super-
ficiel explique la plus rapide disparition, Il est présumable qu'il n'en est
pas de même dans l'intoxication ab ingestis, mais les observations à ce
sujet laissent encore à désirer. Nous avons vu, d'une manière plus évi-
dente encore que pour la paralysie motrice, la paralysie sensitive exister
exclusivement ou prédominer au point de contact du métal : chez les
cérusiers, soit au pli du coude gauche sur lequel glisse le saumon de
r>")4 PLOMB. INTOXICATrON CIIIIO.MQUK. THOl ■BI.F.S MEItVEl'X ET LOCOMOTEUR.*.
plomb pondant PenfovjrjtteûîôntJ soit à l'extrémité du incmijre supérieur
droit jusqu'au milieu de l'avant-bras, niveau d'aiflcurcment du bain de
lait de céruse pendant les manipulations \ ou liieu à la main gauche
soutenant la cuiller pleine de céruse ; à l'épaule droite sur laquelle
un gazier portait fréquemment des tuyaux de plomb enroulés circulai-
rcmcnl ; aux deux derniers doigts et à la partie correspondante de la
paume de la main, servant à capsuler les llacous; au médius droit
accolé au pinceau d'un peintre. L'influence des vêlements, comme obs-
tacle à la pénétration des particules métalliques a été mise en évident e
chez une poudreuse de porcelaine, dont les poignets et les avant-bras
furent protégés par des manchettes de laine, ainsi que dans quatre autres
observations, où les surfaces laissées à nu par le devant de la chemise
entr'ouverlc et au-dessous des pans ou des manches retroussées plus ou
moins haut , ont été frappées de paralysie sensilive.
Des faits analogues avaient déjà été signalés dubitativement par
Ladreit et d'une manière affirmative par Frank-Smith; après nous, ils
ont été confirmés par les observateurs cités à l'occasion de la paralysie
motrice, cl dernièrement par Proust. Dans ses expériences sur les ani-
maux, Drouet a trouvé un affaiblissement de la sensibilité électrique
aux membres intoxiqués localement par des frictions, saturnines.
Si la paralysie de sensibilité est un des accidents directs qui se loca-
lisent le mieux, c'est aussi un de ceux qui se diffusent le plus vite,
s'irradiant, pour s'atténuer il est vrai, dans toute la moitié correspon-
dante du corps. 11 s'ensuit alors une apparence d'hémianeslhésîe, que
nous avons décrite le premier dès 1870, mais il n'y a pas, à propre-
ment parler, hérnianesthésic comparable à celle des hystériques, car,
d'une part, on observe toujours dans l'autre moitié du corps un certain
degré de paralysie sensitive, parfois assez considérable; et d'autre part,
elle prédomine constamment au point d'absorption cutanée, qui est le
plus souvent à la périphérie, tandis que dans l'hémianesthésie, elle est
de plus en plus prononcée vers le centre, plus, par exemple, à la face
qu'aux membres. Dans quelques cas, nous avons rencontré un croise-
ment de la paralysie à la face par rapport au reste du corps. On trou-
vera, à propos des altérations des sens, les curieuses relations de siège
que chacune de celles-ci présente alors avec la paralysie sensitive de la
face et du reste du corps. Cette fausse hérnianesthésic accompagne tou-
jours la pseudo-hémiplégie, mais elle peut exister en dehors d'elle.
L'apparence paraplégique de l'anesthésie est plus rare ; elle peut se
combiner avec la forme précédente,
Dans les quelques cas où la paralysie sensitive paraît généralisée, on
la retrouve toujours plus marquée dans ses sièges de prédilection ordi-
naires.
La prédominance à la face dorsale des mains et des avant-bras est
fréquente, mais non absolue ; nous avons vu tantôt précisément le con-
traire, tantôt sur le même sujet, la main et l'avant-bras plus atteints,
l'une sur son dos et l'autre à sa face palmaire. 11 n'existe aucune relation
PLOMB. INTOXICATION C1IR0MQUE. TROUBLES NERVEUX ET LOCOMOTEURS. 555
outre l'anestliésio dorsale et la paralysie des extenseurs, puisque dans
les cas d'anesthésie prédominant à la l'ace palmaire, les extenseurs
étaient beaucoup plus atteints que leurs antagonistes,
La paralysie de sensibilité est d'abord superficielle ou légumentaire, et
plus tard profonde, siégeant dans les parties sous-jacentes, muscles,
articulations, etc.
La peau et les muqueuses sont frappées dans leurs diverses espèces de
sensibilité.
Il y a rarement perte absolue de la sensibilité tactile (aneslliésie pro-
prement dite), ou du moins celle-ci reste confinée dans un siège très-
limité. En revanche, la diminution de cette sensibilité, que nous avons
désignée sous le nom d'hypesthésie, se trouve toujours plus ou moins
marquée, quand la sensibilité à la douleur est affaiblie; de sorte que,
dans le saturnisme, l'anesthésie n'existe pas telle que Llcau la concevait,
c'est-à-dire comme perte de la sensibilité douloureuse, avec conservation
intégrale du tact; c'est ce que l'emploi de l'aesthésiomètre nous permet
d'affirmer. Quand l'hypesthésie est légère et également répartie dans
chaque moitié du corps, auquel cas il manque par conséquent un terme
de comparaison, elle ne peut être révélée que par l'exploration aesthésio-
métrique. L'aesthésiomètre nous a servi à démontrer avec une précision
pour ainsi dire mathématique, le siège de prédilection de l'hypesthésie
d'origine locale. Sans son aide, enfin, nous n'aurions pu discerner
l'hyperesthésie (nous voulons dire l'exaltation du tact seulement) d'un
côté du corps d'avec l'hypesthésie du côté opposé; nous avons de plus
ainsi trouvé dès 1870, (Arch. de pkysiol., et thèse, 1873) que souvent
il y a hyperesthésic, soit dans les parties homologues de la moitié latérale
du corps opposée aux parties hypesthésiées, soit sur la face d'un membre
opposée à sa face hvpeslhésiée, soit enfin à la face et aux membres infé-
rieurs, dans le cas d'hypesthésie des membres supérieurs, comme s'il y
avait une sorte d'hypéreslhe'sie compensatrice, par un mécanisme ana-
logue au curieux phénomène du transfert, que les expériences mélallo-
théra piques ont, depuis lors, l'ait découvrir chez les hystériques.
L'analgésie, perte complète de la sensibilité à la douleur, est beaucoup
plus fréquente et plus étendue que l'anesthésie. L'hypalgésie serait aussi
plus facile à constater que l'hypesthésie, si l'on ne s'aidait de l'aesthésio-
mètre. La paralysie de la sensibilité à la brûlure est plus tardive, moins
intense et d'un siège plus limité que celle de la sensibilité à la piqûre et
au pincement. A un premier degré d'analgésie à la brûlure, cette dernière
n'est plus perçue que comme chaleur, pour ne plus déterminer ensuite
qu'une sensation de contact; elle peut même ne plus être sentie du tout.
La sensibilité électrique est abolie ou diminuée.
Parmi les saturnins analgésiques, un grand nombre éprouvent des dou-
leurs superficielles et profondes, précisément dans les parties analgésiées
{analgésie douloureuse) ; nous pouvions impunément déterminer sur
eux des brûlures à divers degrés; mais quelques heures plus tard, lors de
l'établissement du travail inflammatoire, il se développait sur place des
336 PLOMB. INTOXICATION CHRONIQUE. TltOUUUiS NBBV8UX W I.OCOMOTEDIIS.
douleurs persistantes, absolument comme s'il n'y avait pas eu analgésie;
et pourtant celle-ci persistait encore, ainsi que nous nous en sommes as-
suré.Des éruptions cutanées, la plaie d'un vésicatoirc, étaient douloureuses
sur une partie analgésiée. Cliez d'autres sujets plus rares, profondément
intoxiqués, les douleurs de la brûlure ne se sont jamais montrées consécu-
tivement, malgré le développement du processus inflammatoire aboutis-
sant à la formation de fortes esebarres; or, il est remarquable que ces
malades ne ressentaient aucune douleur spontanée dans les parties anal-
gesiées. En somme, la brûlure, non perçue en tant que traumatisme, peut
être ou ne pas être sentie consécutivement en tant que processus patho-
logique.Ces faits nouveaux et inattendus, susceptibles d'éclairer la nature
même de la sensibilité à la douleur, ont été retrouvés par nous analogues
dans d'autres maladies, spécialement dans la tétanie. Aussi avons-nous
cru pouvoir dédoubler cliniquement l'analgésie en analgésie proprement
dite (a piïv., et àXycç, douleur), ou perte de la sensibilité à la douleur
physiologique, immédiate, provoquée, et en anodrjnie (a priv., et
o2ôvy), souffrance), ou perte de la sensibilité à la douleur pathologique,
consécutive, spontanée; la première appartiendrait à la peau consi-
dérée comme organe du sens du toucher, tandis que la seconde serait
une propriété de tissu. Le paradoxe de l'analgésie douloureuse s'ex-
plique par ce fait qu'alors il y a analgésie sans anodynic. La raison
physiologico-pathologique de ces constatations cliniques sera recherchée
plus loin.
Presque toujours, à côté de l'analgésie se rencontrent une diminution
ou même assez souvent une perte de la sensibilité au chatouillement
(hypopallesthésie et apalleslhésie), et une diminution notable delà sensi-
bilité thermique (hypothermesthésie), allant rarement jusqu'à une insen-
sibilité absolue (athermeslbésie). La faculté de rapporter la sensation
d'une impression au point où l'excitation a eu lieu (sensibilité à la région)
est parfois affaiblie.
Dans certains cas, il y a erreur de sensation, de sorte qu'un simple
contact donne lieu à une sensation douloureuse ou à des fourmillements
et des picotements; un léger frôlement n'est plus perçu comme cha-
touillement, mais comme simple attouchement; une piqûre est sentie
seulement comme contact, un pincement comme pression, une brûlure
comme chaleur ou contact.
La perception des impressions peut éprouver un retard d'une demi-
minute à près de cinq minutes, au lieu du retard physiologique d'un
quinzième à une demi-seconde (Brouardel).
La sensibilité musculaire des contractions volontaire et électrique est
abolie ou diminuée proportionnellement à l'altération delà conli aetililé
volontaire et de la contractilité .électrique. La paralysie de la sensibilité
articulaire, qui, en s'ajoulant à celle des sensibilités musculaire et
cutanée, enlève la notion de la position occupée par les différents articles
des membres, ne s'observe que rarement, et dans les doigts seulement.
On a vu que l'alaxie est due à une incoordination des mouvements volon-
PLOMB. INTOXICATION CHRONIQUE. TROUBLES NERVEUX ET LOCOMOTEURS. 7)57
taip.es par désharrnonie des antagonistes et dcsassocialion musculaire dé-
pendant de la paralysie motrice.
La paralysie sensitive est-elle sous la dépendance d'une anémie de la
peau par contracture des artérioles du derme (Gubler, Rosënsteih,
Hitïig)? H est possible que cette sorte d'anémie active soit intervenue
jusqu'à un certain point, comme cause, dans les cas où l'on aurait fait
cesser temporairement l'anesthésie par la rubéfaction de la peau (Gubler) ;
mais il est loin d'en être toujours ainsi. Nous la croyons généralement
due, comme la paralysie motrice, à une altération des nerfs périphériques,
d'abord et plus particulièrement à leurs extrémités terminales : corpus-
cules du tact et réseau nerveux épidermique de Langerbans, avec ses
corpuscules étoilés. L'heureuse influence de la sudation (A. Robin) résul-
leraitde l'élimination du métal fixé sur cet appareil nerveux superficiel. Les
nécropsics analysées au sujet de la paralysie motrice montrent d'ailleurs
qu'à une certaine période, les nerfs eux-mêmes sont gravement altérés.
L'analgésie douloureuse, avec conservation de l'odynie, semble d'abord
pouvoir s'expliquer par la seule altération des extrémités nerveuses ter-
minales périphériques, qui ne peuvent plus Iransmettre l'impression dou-
loureuse de la superficie de la peau, tandis que les filets nerveux sous-
jacents non encore paralysés participeraient au processus pathologique
consécutif, ou en subiraient les effets indirects par compression, et
transmettraient ainsi la douleur tardive, ce qui n'aurait plus lieu dès
qu'ils seraient atteints eux-mêmes. L'examen attentif de cet ordre de faits
dans le saturnisme et dans d'autres maladies nous porte à croire que
l'algésie a pour conducteurs les filets nerveux du système cérébro-spinal,
et l'odynie les filets du grand sympathique; ainsi s'expliqueraient la
lente apparition des manifestations odyniques, leur longue durée, leur
coïncidence avec les douleurs spontanées des tissus, et enfin la paralysie
tardive de l'odynie à une période avancée de l'intoxication, longtemps
après la disparition de l'algésie.
Ce que nous avons dit sur l'origine de la paralysie motrice s'applique
mieux encore à la paralysie sensitive; de sorte que, sans nier qu'il existe
une anesthésie de cause indirecte par élimination cutanée, on peut af-
firmer que, dans l'intoxication professionnelle, la paralysie sensitive est
en général localisée aux points d'absorption tégumentaire.
6° Troubles des se?is. — Vue. Les saturnins présentent souvent divers
troubles de la vision, qui sont, du côté du système névro-musculaire :
la parésie de la paupière supérieure, le nystagmus, le strabisme, la di-
plopie et la polyopie, le rétrécissement et plus tard la dilatation pupil-
laire, et des troubles dans l'accommodation (Stclwag) ; du côté de la sen-
sibilité spéciale, les éblouissements, l'amblyopie et même l'amaurose,
avec dyschromatopsie (Rose et Hufner). Nous avons observé une fois le
tarissement de la sécrétion lacrymale. Les conjonctives participent
d'ailleurs à la teinte subictérique, et, ainsi que la cornée, à l'insensibilité
des téguments. Les éblouissements accompagnent d'ordinaire la céphalal-
gie. Le nystagmus et le rétrécissement delà pupille peuvent se manifester
KOUT. DICT. MÉD. ET CIIIB. XXVIII — 22
T>38 PLOMB. — intox. ciinoN. rappohts nu satwinisme avec le traumatisme.
avant l'amblyopie. Il semble que la dilatation pupillnirc parétique dépend
d'une amaurose à un degré plus avancé.
L'amblyopie et l'arnaurosc sont le plus souvent liées à la paralysie
de sensibilité cutanée; elles sont alors ordinairement dues à une névrite
optique spéciale (Hirscbler) : injection et opacité des papilles, dont les
bords sont obscurcis par un voile rougcàlre (Schneller). A l'inflammation
peut succéder l'atrophie (Ilutcliinson), qui dans certains cas serait essen-
tielle et primitive (Ilorncr). Cette amblyopic s'établit lentement, affec-
tant, tantôt les deux yeux, tantôt plus particulièrement ou même exclusi-
vement l'œil correspondant à la moitié du corps dans laquelle la paralysie
sensilive prédomine ou siège uniquement (hémianestbésie). D'ailleurs,
d'une manière générale, nous avons constaté la prédominance des divers
troubles visuels dans la moitié du corps à laquelle apparlenaient les
parties atteintes de saturnisme direct. Dans le cas d'hémianesthésie
croisée à la face et au reste du corps, nous avons toujours vu l'anesthésie
faciale entraîner une altération de la vue du même côté, tandis que la
surdité siégeait du côté de l'anesthésie des membres. Weiss avait déjà
signalé l'amblyopie unilatérale dans l'hémiplégie saturnine. Nous rela-
terons dans la thérapeutique un cas de névrite optique locale et directe,
par absorption oculaire médicamenteuse. A la période hypérémique, la
guérison s'effectue graduellement en un ou deux mois, ou même brusque-
ment en quatre ou six jours; le pronostic devient beaucoup plus grave,
quand il y a atrophie prononcée de la papille.
Dans l'amaurose qui précède, accompagne ou plutôt suit l'encéphalopa-
thie, il y a ordinairement œdème de la papille, dépendant d'un étrangle-
ment du nerf optique par accumulation de liquide dans l'espace inter-
vaginal par suite d'une augmentation de pression intra-cranienne (Meyer).
L'atrophie totale des nerfs optiques peut en être la conséquence ; d'autres
fois, la vue est presque rétablie après plusieurs semaines.
Rarement enfin, s'observerait la cécité moins grave, parrétinite albumi-
nurique (Danjoy, Després) ; plus exceptionnelle encore est l'amaurose urémi-
que, passagère, bénigne, sans signe ophthalmoscopique notable (Duplay).
Ouïe. — Les troubles de l'ouïe se rencontrent en général associés aux
altérations de la vue : les bourdonnements et le tintement d'oreille, avec
les éblouissements, accompagnent la céphalalgie; et la surdité s'allie à
l'amaurose. Les altérations de l'ouïe siègent aussi uniquement ou prédo-
minent du côté le plus anesthésié; mais, nous l'avons dit, quand il y a
croisement de l'hémianesthésic, la surdité siège du même côté que
l'anesthésie des membres. La surdité, complète ou incomplète, est tantôt
passagère, tantôt, mais plus rarement, permanente.
Goût el odorat. — Outre la sensation sucrée ou amère qu'éprouvent
souvent les malades, on observe un affaiblissement et une perte du goût
et de l'odorat, sous la dépendance de l'hémiancsthésie.
F. Rapports du saturnisme avec le traumatisme. — Les plaies des
saturnins se compliquent facilement de lymphangite el d'drysipcle. qui
en compromettent ou tout au moins en retardent la guérison.
PLOMB. — INTOXICATION CHRONIQUE. ÉTIOEOGIE GÉNÉRALE J
539
Le traumatisme peut réveiller et même provoquer pour la première
fois des manifestations toxiques (coliques, encéphalopathie, albuminurie)
chez des sujets en puissance de plomb (Verneuil ctSabalier).
II. Éliologie générale. — Le plomb pénètre par les diverses voies
cutanée et muqueuse, digestive et respiratoire. L'absorption par la peau,
même intacte, en quelque [joint que ce soit, a été sulïisainment établie,
à propos de la paralysie, pour que nous n'y revenions pas ici ; les acci-
dents locaux résultant de ce mode d'absorption ont été étudiés chacun
en leur lieu.
Les causes de l'intoxication saturnine chronique peuvent être groupées
en deux classes, suivant qu'elles sont accidentelles ou professionnelles.
A Causes accidentelles. — Dans le premier cas, l'absorption a lieu
soit par le tube digestif, soit par la surface tégumentaire, soit enfin par
les voies respiratoires.
1° Par le lube digestif. — Le métal est dégluti avec les boissons et les
aliments, avec les médicaments internes ou la salive souillée par divers
objets portés à la bouche.
a) Boissons. — L'eau se charge de plomb au contact des terrasses,
des toitures, des gouttières, des réservoirs, des tuyaux, des robinets, des
pompes et des appareils distillatoires (navires et pharmacies) en plomb,
en étain pauvre, en fer ou cuivre étamé, en zinc plombifèrc soudé avec l'al-
liage d'étain et plomb, ou en tôle galvanisée avec du zinc plombifère (char-
niers des vaisseaux) ; elle en dissout d'autant plus qu'elle est plus pure (eau
distillée) et plus aérée, comme l'eau de pluie (Bobierre), et qu'elle ren-
ferme des matières organiques (Medlock) et certains sels : azotates, azo-
tites et chlorures (eau de mer). Riche en acide carbonique, et surtout en
carbonate, sulfate et phosphate de chaux, telle que la plupart des eaux
potables (Fraukland), l'eau, en rapport avec le plomb, donne lieu à des
dépôts insolubles, nuisibles quand elle est trouble (eau de Scltz) mais sus-
ceptibles d'être séparés par repos, décantation naturelle ou fillration. Le
plomb se dissout mieux en présence d'un autre métal qui. complète les-
éléments d'une pile galvanique : ce qui rend si dangereux les récipients
faits de divers métaux plombifères, de zinc par exemple.
Dans le vin, le poison peut provenir des vases en plomb dans lesquels
on les cuisait à la méthode antique, des pièces de plomb des pressoirs,
des plats de plomb dans les tonneaux contre la fermentation acide, et
actuellement des grains de plomb restés dans les bouteilles, ou du séjour
des égoutturcs sur les comptoircs en étain pauvre (Leroux) ; on l'a parfois,
à une certaine époque, frelaté avec la litharge (colique végétale du
Poitou-Citois).
Le cidre contenu dans des brocs de plomb, adouci avec la litharge, ou
clarifié avec l'acétate et le sous-acétate de plomb, a donné lieu aux co-
liques végétales du Devonshirc (Iluxham) et de Normandie (Le Pecq de la
Clôture). Leudet a insisté sur la nocuité des égouttures de comptoirs en
étain pauvre.
A propos des coliques dites végétales, il est indispensable d'ajouter
540
PLOMB.
INTOXICATION UlitOMQUK. ÉTIOLOC1E G1.NLHA1.L.
i|iio , si l;i majorité d'entre elles sont saturnines, il parait réellement un
exister d'antres, épidémiqucs, ressemblant beaucoup à la colique de
plomb (constipation, encéphalopathie, paralysie des extenseurs), mais
reconnaissant une cause toute différente. Bouckacrl, qui les a longuement
observées en Belgique, dès 1853, les attribue à une constitution morbide
particulière (Arcb. méd. milit. belges, t. XXX) ; celte affection, très-proba-
blement la même que la colique nerveuse endémique des pays chauds, a
été rencontrée aussi dans le Midi de la France par Castan, en 1872 (Mont-
pellier méd., 1875).
Les autres boissons contenant du plomb sont : la bière clarifiée par
l'acétate et le sous-acétate de plomb, falsifiée avec lalilbarge (llounnann),
ou pompée avec des tuyaux en plomb (Gosselet); — le vinaigre et Veau
de Sellz en rapport avec des robinets d'étain pauvre; Veau de fleurs d'o-
ranger en contact avec des serpentins en plomb, l'élamage pauvre des
eslagnous et les plaques de plomb mises au fond des vases; — le rhum
distillé dans des appareils plombifères, ou contenu dans des vases vernis;
— les eaux-de-vie et les sirops de miel et de raisin, clarifiés par l'acé-
tate de plomb (Cadel-Gassicourt, Boudct) ; — le thé fait avec les déchets
restés au fond de boîtes doublées en plomb (Potain), — et le lait aspiré
avec des biberons à bouts en plomb (Flemming), en caoutchouc vulcanisé
plombifère (15,5 p. 100 de carbonate de plomb, Eulenberg), ou donne
par une nourrice, sur les mamelons de laquelle ont été appliquées des
préparations plombiques contre des gerçures (solution d'acétate de plomb
de Mme. Delacour, cas de Bouchut).
b) Aliments. — Le pain peut être toxique parce que la farine a été, soit
frauduleusement additionnée de céruse (Gmelin), soit accidentellement
mélangée avec de l'acétate de plomb (BancUs) ou avec des parcelles déta-
chées du plomb servant à boucher les éveillures des meules, comme
dans les épidémies de Saint-Georges-sur-Eure (Maunoury et Salmon), de
Fresnay-le-Gilbcrt, de Laval, et dans celle observée par Brillât-Savarin, soit
enfin parce qu'il a été cuit avec des bois peints ou vernis; la croûte est alors
presque exclusivement toxique : épidémies de Montrouge (Combalusier>.
de Marly, et récemment de Paris, VIIe et XVIIe arrondissements (Ducampi.
Lebewre a été falsifié avec la litharge et la céruse (Gaubius), colore
avec le chromate de plomb (Poggiale), ou enfin salé avec un mélange
accidentel de sel et d'acétate de plomb (G. Bergeron et Lhôte).
Mentionnons encore le sucre fabriqué par le procédé de Scoffern, ou
coulé dans des formes peintes intérieurement à la céruse ; — les gâ-
teaux colorés avec le chromate de plomb (Galippc) ; — les pastillages co-
lorés aux sels de plomb : massicot, minium, carbonate et chromate, et les
bonbons, soit colorés de la même façon, soit enveloppés de papiers peints
à la céruse et au chromate (Tanqucre!) ; — le chocolat, les fruits et les
conserves, entourés de papier d'étain plombifère, ou contenus dans des
boiles-cn fer-blanc (Armand Gautier), — et les jambons de Cincinnati
enveloppés de toile teinte au chromate (Bouchardat).
D'une manière générale, les aliments et les boissons peuvent s'impré-
PI.OMB. INTOXICATION CHRONIQUE. CAUSES PROFESSIONNELLES. 341
"lier de plomb au contact de leurs divers récipients : vases en plomb,
saloir des ebarcutiers par exemple, en éta in pauvre (plats et gobelets),
ustensiles mal élamés, réparés avec un mastic à la céruse (Mabier), pote-
ries de terre vernissées communes, rôtissoires à gaz émaillées, cuillers
d'étain à 50, 40, et même 50 p. 400 de plomb, que nous avons parfois
vues entre les mains des ouvriers.
c) Médicaments internes. — On connaît l'intoxication chronique
causée par l'administration interne de médicaments plombiques : carbo-
nate dans la phthisie, acétate contre la pneumonie caséeuse, les
meurs et les hémoptysies des phthisiques, les névralgies, les maladies
de cœur, les fièvres intermittentes, les gonorrbées et les pollutions,
sous-nitrate de bismuth impur contenant de la céruse (Millard), ca-
chou de Bologne plombifère (Gibert), contre la diarrhée, et eau de gou-
dron macérée dans des cruchons vernissés à l'oxyde de plomb (Caries).
d) Objets p.ortés à la bouche. — Dans certains cas enfin, le poison
a pour véhicule la salive souillée par divers objets portés à la bouche :
pains à cacheter colorés avec des sels plombiques (Lombard), grains de
plomb d'encrier mâchés par passe-temps (Trousseau), jouets tels que
couleurs à l'aquarelle à base de plomb, trompettes peintes avec la cé-
ruse, le minium et le chromate fixés par un simple encollage, et non
vernies (Chevallier), poupées d'Allemagne à la céruse, et cartes de visites
glacées1.
2° Par la surface légumentaire : peau et muqueuse voisines des ori-
fices externes, le plomb pénètre, par l'intermédiaire des médicaments
externes : bandelettes de sparadrap diachylon, emplâtres et cataplasmes
plombiques (Boerhaavc, Hoeberl. Widekind), eau de Goulard contre les
brûlures, frictions d'onguent de litharge contre la gale (Conring), céruse
saupoudrée sur des excoriations, collyres (voir notre observation à la
thérapeutique) et injections vaginales et uréthrales à l'acétate de plomb,
— sous forme de topiques pour la toilette : fards, poudre de riz impure
(Kriiner, Fievée), litharge contre les rougeurs du visage (Zellcr), eau de
Cologne préparée avec essence de thym et acétate de plomb, cosmétiques
h la litharge (Brambilla) et teintures, — par le maniement du linge de
cérusiers (Depuis) — et par l'usage du tabac à priser contenu dans des
boîtes de plomb ou des sacs doublés de ce métal (Otto).
5° C'est enfin à l'absorption par les voies respiratoires qu'il faut
rapporter les cas d'intoxication dus à la combustion de cire à cacheter
et de bougies colorées au minium et de vieilles boiseries peintes, dans
les foyers (Marmisse de Bordeaux), et à l'habitation d'appartements
fraîchement peints.
B. Causes professionnelles. — Les professions qui exposent au
saturnisme sont si nombreuses, si complexes et hétérogènes, que nous
avons cru plus profitable de les classer par ordre alphabétique.
Tableau des professions qui exposent au saturnisme.
Acétate de P. (Fabricants d').
Acteurs ; fard à la céruse (Fiévée) .
fttâ PLOMB. — INTOXICATION C1II10NIQUE. CAUSES PROFESSIONNELLES.
Affincnrs de métaux précieux, par coupellation : \" du P. d'oeuvre
argentifère et aurifère, 2° des balayures d'or et d'argent provenant d'ale-
liers d'orfèvrerie et de bijouterie, traitées par le P.
Ajusteurs; mâchoires en P. pour assujettir les pièces délicates. Voy.
Mon leurs.
Bâches (Fabric. de), rendues inaltérables par le sulfate de P. (Trous-
seau).
Balles de P. {Fabric. de) (Proust).
Bijoutiers, voy. Affineurs, Émailleurs, Lapidaires.
Brossiers; apprêtage des soies de porc avec litharge et chaux (Tardieu).
Broyeurs de couleurs plombiques.
Câbles en fils de fer 'galvanisés (Fabric. de), avec zinc plombifère
(Rouxeau).
Cahiers de papier à cigarettes (Ouvrièies fabriquant les enveloppes
de). (Gallard), voy. Papiers peints.
Camées (Polisseurs de), voy. Lapidaires.
Capsuleurs de flacons, lissant les capsules en alliage d'étain et P. sut
le col des flacons (Manouvriez).
Caractères d'imprimerie (Ouvriers maniant l 'alliage des) : P '. 67 ,
antimoine 25, étain 5, cuivre 5.
Cardeurs de crins colorés en noir par le sulfure de P. (Hitzig).
Carreliers, vernisscurs de carreaux à paver avec sulfure de P. et sable
broyé, à parties égales.
Carrossiers, caissiers ajustant les joints des panneaux avec la céruse
(Wiltshire).
cartes à jouer d'Allemagne,
cartes de visite glacées à la céruse.
Ceinturonniers , voy. Cuirs vernis.
Cérusiers; céruse, blanc de céruse, blanc de P., carbonate de P. hydraté.
Chaudronniers; soudure de cuivre (P. et zinc).
Chauffeurs, voy. Marins.
Chemins de fer (Employés de) et douaniers, plombant les wagons de
marchandises et portant à la bouche les flans de P. (Mannkopff).
Chromate de P. (Fabric. de), jaune de chrome.
Coiffeurs, voy. Parfumeurs.
Coloristes, portant à la bouche les pinceaux chargés de couleurs plom-
biques (Charles Bernard).
Compositeurs d'imprimerie, voy. Caractères, Encre d'imprimerie.
Conserve (Fabric. déboîtes de), pour la marine (Quesnel).
Conlre-oxijdation du fer (Ouvrières travaillant à la) (Ladreit de
la Charrière), voy. Emailleurs.
Coton (Tissews de) apprêté à la céruse (Aube).
Couturières, voy. Soie.
Crinicrs, voy. Brossiers, Cardeurs.
Cristalleries (Ouvriers des); silicate double de potasse et de P.; sur-
tout tailleurs el polisseurs.
Cartiers
PLOMB. INTOXICATION CHltONIQUE. CAUSES PROFESSIONNELLES. 547)
Cuillers (Fondeurs de) d'élain à 50 p. 100 de P.
Cuirs vernis (Fabric. de) à la lilhargc et à la céruse.
Dentellières ; blanchiment à la céruse, et pose des fleurs d'applica-
tions de Bruxelles (Blanchet).
Dessinateurs en broderies sur étoffes noires, par décalquage avec
poncif de céruse et résine (Thibault).
Dëvideuses, voy. Laine.
Diamaiitcurs de /leurs artificielles avec poudre de cristal plombifère.
Doreurs sur bois et sur laque; vernis préalable de céruse, litharge et
térébenthine.
Douaniers, voy. Chemins de fer.
Ébénistes fabriquant les vieux meubles ; ponecurs et polisseurs. En-
duits plombiques à 45 p. 100 de P., pour donner la teinte de vieux bois
(Du Mesnil).
Émailleurs d'objets divers : poteries, faïences, porcelaine, verre mous-
seline (Ilillairet), étiquettes sur flacons et bocaux de chimie (Beaugrand),
feuilles de tôle, poêles, crochets de fils télégraphiques, bijoux, avec la
poudre d'émaux plombifères, de cristal par exemple.
Encre d imprimerie (Fabric. d') dans laquelle entrede la litharge.
Étameurs de cuivre et de fer, avec étain allié à 1/5 ou 1/4 de P.
Étiquettes (ouvriers vitrifiant les), voy. Emailleurs.
Faïenciers, voy. Émailleurs.
Ferblantiers, voy. Étameurs, Plombiers.
Fleuristes; fleurs artificielles blanches (céruse), jaunes (chromate),
rouges (oxyde) ; voy. Diamantcurs.
Fondeurs de P.; — d'élain plombifère, de 8 à 20 p. 100 et plus,
voy. Cuillers; — de caractères d'imprimerie , voy. ce mot; — de cui-
vre, de bronze et de laiton plombifères.
Gantiers.
Glaces (Fabric. de) , surtout polisseurs ; cristal plombiquc.
Glaciers maniant des vases en étain plombifère [Edelmaim].
Imprimeurs sur étoffes; chromate, nitrate et surtout acétate de P.,
comme mordants et couleurs. — Typographes, voy. Caractères, Encre
d'imprimerie ; employés maniant les bandes de journal timbrées au
minium : colleurs de bandes et vérificateurs des adresses [Layet].
Journalistes maniant les épreuves sur papier humecté d'eau plom-
bifère, imprimées à l'encre lythargyrée et souillées par les caractères
[Marmisse].
Laine orange (Dëvideuses de) apprêtée au chromate de P..
Lapidaires ; particules se détachant d'une roue en P., garnie d'émeri
[Requin], d'un cylindre en P., humecté d'un mélange de tripoli et d'eau
ou de vinaigre pour le polissage des camées [Proust] ; tirets en P. entre
lesquels sont montés les objets à travailler.
Limes (Tailleurs de); enclumes de P. sur laquelle est maintenue la
lime pendant la taille [Frank-Smith].
Litharge et massicot (Fabric. de), protoxydes de P. anhydres.
r> 'li PLOMB. — INTOXICATION CHRONIQUE. CAUSES PROFESSIONNELLES.
Marins, surtout des bateaux à vapeur, spécialement mécaniciens et
chauffeurs. Peinture au minium et à la céruse ; eau contaminée par le
P. entrant dans les diverses pièces des appareils distillatoires et par réta-
mage des syphons en fer des charniers; aliments cuits dans les boites à
conserves [Lefèvrc]. Yoy. Colique sèche : p. 340.
Marleleurs de P. [Malherbe].
Mécaniciens, voy. Marins.
Mèches à briquets {Passementiers en) ; coton imprégné de chromate
de P.; surtout les dévideurs préparant l'àme des mèches [Lancereaux,
Chenet].
Menuisiers, marchands de vieilles boiseries peintes [Marmisse] .
Mineurs de P., mineurs proprement dits, trieurs, bocardeurs, gril-
leurs de galène ou sulfure de P. et de carbonate de P.; — de minerais
métalliques, d'or, d'argent (anémie des mineurs de Schomnitz, en Hon-
grie), de cuivre, d'étain et de zinc, plombifères.
Minium et Mine-orange (Fabric. de) ; oxyde de P. intermédiaire.
Monteurs de machines à vapeur ; soudure de cuivre jaune dans
laquelle entre du zinc et du P; mastic à la céruse et au minium pour
les ajutages de tuyaux.
Mouleurs de P., — en cuivre plombifère, — en fonte, maniant et
nettoyant les modèles d'ornements en alliage d'étain et dé P. ou en P.,
pour produire leur empreinte en creux dans les moules [Manouvriez].
Oxijchlorures de P. (Fabric. d'), jaune minéral, de Turner, de Cassel.
Pains à cacheter (Fabric. de) colorés par des sels de P. [Veruois].
Papiers peints (Ouvriers en) à fond blanc (céruse), rouge (minium)
et jaune (chromate, oxyde, oxychlorure, iodure.)
Parfumeurs; préparation et application (coiffeurs) de fards et de
poudre de riz à la céruse, de cosmétiques et teintures plombiques, d'eau
de Cologne avec essence de thym et acétate de P.
Passementiers; voy. Mèches à briquet.
Peintres en bâtiment; en équipages, de décors, lettres et attributs, sur
porcelaine et sur métaux.
Plomb de chasse (Fabric. de) arsenical.
Plombiers; P. ; soudure de P. 2 et étain 1.
Plombeurs, voy. Chemins de fer, Potiers de terre.
Ponceurs, voy. Ebénistes.
Polisseurs de caractères d'imprimerie, de cristaux, de glaces, yoy.
ces mots; — de camées, voy. Lapidaires; — de vieux meubles, voy. Ebé-
nistes.
Porcelainiers . Poudreuses de porcelaine à camaïeux gris, avec poudre,
à la céruse, voy. Emailleurs.
Potée d'étain (Fabric. de), alliage d'étain et P.
Potiers d'étain plombifère; - je terre vernissée : plombeurs saupou-
drant les poteries humides avec du minium ou de l'alquifoux, sulfure
de P. ; vernisseurs avec mélange d'alquifoux, de bouse de vache et d'eau.
Poudreuses, voy. Porcelainiers.
PLOMB. INTOXICATION. COLIQUE SÈCIII-:.
545
Soldais de P. (Fabric. de).
Soie (Ouvriers en) chargée avec lithargc ou acétate de P. (17 p. 100);
couturières portant à la bouche les fils de cette soie [Chevallier].
Tailleurs maniant l'alpaga anglais apprêté au sulfure de P. [Réveil |.
— de cristaux, de limes, voy. ces mots.
Teinturiers employant l'acétate de P.
Tisserands ; poussières dues au frottement des fuseaux des métiers à
la Jacquart, voy. Coton.
Toile-Cuir (Ouvriers en) américaine, pour couvrir les voitures d'en-
fants.
Tuiliers, vernisseurs de tuiles, voy. Carreliers.
Tuyaux à gaz (Poseurs de). Maniement des tuyaux; soudure des
plombiers , mastic à la cérusc; ramollissement et décrassage des vieux
tuyaux encroûtés de mastic par le chauffage sur des fourneaux. [Ma-
nouvriez].
Valises (Ouvriers en) se servant d'un tissu lustré noir « ovcrland-
cloth » plombifère [Johnson].
l'émis (Fabric. de) à la lîtharge.
Vernisseurs sur métaux; vernis plombique ; — de cuirs, de pote-
ries , voy. ces mots.
Verriers, voy. Émailleurs.
Vitriers ; mastic contenant de la céruse.
Zingueurs; zinc plombifère, soudure plombique.
Colique sèche. — La colique sèche, colique végétale, nerveuse, du
l'oitou, du Devonshire, des pays chauds, de Cayenne, du Gabon, du
Surinam, etc., offre, on le sait, au point de vue symptomatique, l'ana-
logie la plus étroite avec le saturnisme. Comme dans celui-ci, il y a
constipation, vomissements, coliques exacerbantes, crampes, subictère ;
dans les cas graves, on note le délire, les convulsions, l'amaurosc, le coma
et autres phénomènes encéphalopathiques, parfois suivis de mort; la
parajysie des extenseurs du poignet, avec les caractères propres à la pa-
ralysie saturnine, a été maintes fois observée.
La colique sèche des pays chauds s'observe, ou plutôt s'observait sur-
tout chez b.s marins à bord des navires, presque exclusivement des
bateaux à vapeur (Fonssagrives, Le Roy de Méricourt). On connaît les
controverses fameuses dont la véritable nature de celte maladie a été
l'objet. Un grand nombre de médecins de marine, Guépratte et Segond
notamment, la considéraient comme une maladie survenant sous l'in-
fluence de conditions climatériques spéciales, et surtout des brusques
variations de température. Le professeur Fonssagrives, dans ses premières
publications, l'envisageait comme une sorte de maladie miasmatique; il
rapprocha cette affection des névralgies larvées si fréquentes dans les
contrées paludéennes et se mit franchement à la tète des partisans de la
uon-idenlilé de la colique sèche et de la colique de plomb.
Les travaux si remarquables d'Amédée Lefèvre tranchèrent la question
d'une façon décisive. Dans son ouvrage (Recherches sur les causes de la
7>Î6 PLOMB. — INTOXICATION. PIIOI'IIYLAXIK.
colique sèche, Paris, 1859), d'où date une véritable révolution dans
l'hygiène des bateaux à vapeur, Lefèvre montre que, cliniquement, la
colique sèche des marins est identique à la colique saturnine. Au point
<le vue de l'éliologie, il entreprit une enquête qui établit que le plomb,
sous différentes formes, existe à profusion à bord des navire- à vapeur.
11 résulte de celte enquête, qu'avant les améliorations qu'elle provo-
qua, «un vaisseau de 90 canons contenait 15,226 kilogr. de plomb,
sous forme de tuyaux, de récipients, de lames servant au revêtement
de certaines soutes, des écoulilles, de la galle, etc.... qu'à ce plomb
architectural, il faut joindre le plomb de préservation ou d'ornement
qui, sous forme de peinture au minium ou à la céruse, recouvre les
bois et le fer de la machine; le plomb qui sert aux joints et qui, pour
un moteur de 600 chevaux, consomme 860 kilog. de ce métal sous
forme de minium, de litharge, de céruse; le plomb qui esl contenu dans
les vases et ustensiles d'étain, dans les étamages à l'élain impur, etc. »
(Fonssagrivcs, ïlyg. nav., p. 22).
Les travaux d'Amédée Lefèvre sont, ainsi que le fait remarquer Le Roy
de Méricourt, un bel exemple de ce que peuvent la persévérance et la
perspicacité scientifiques mises au service de l'hygiène prophylactique. Ils
ont entraîné la conviction de tous les médecins compétents, celle de
J. Rochard, de Le Roy de Méricourt, de Fonssagrives lui-même qui dans
ses nouvelles publications, se montre partisan convaincu de l'identité
du saturnisme et de la colique sèche. Sous l'impulsion des travaux de
Lefèvre, l'administration de la marine a procédé à des réformes profondes,
tendant à réduire au minimum la quantité de plomb employée à bord
des navires de l'État; et depuis l'application de ces mesures, le nombre
des cas de colique signalés dans les rapports des médecins de marine,
s'est singulièrement restreint; ces chiffres apportent aussi une nouvelle
preuve, s'il en était besoin, de la vérité de l'opinion défendue par Lefèvre,
et de la grandeur du service que ce savant a rendu à l'hygiène navale.
Existe-t-il cependant, dans les pays chauds, à Cayenne, au Sénégal, des
coliques sèches relevant d'influences uniquement atmosphériques ou
telluriques, sans l'intervention du saturnisme? C'est là une question
encore litigieuse (Rufz de Lavison, Le Roy de Méricourt). Mais il est cer-
tain que dans l'immense majorité des cas décrits sous ce nom, il s'agit
simplement d'une intoxication plombique.
C. Circonstances et conditions prédisposantes. — La saison chaude
(Tanqucrel), l'alcoolisme, l'abus du sel marin comme condiment et,
pour les ouvriers, la malpropreté, favorisent le développement du satur-
nisme.
111. Prophylaxie. — Le plomb, vu sa grande diffusion autour de nous,
sa subtilité insidieuse et sa difficile élimination, est un poison si redou-
table, qu'il faut s'appliquer à en restreindre l'emploi le plus possible.
Chaque fois qu'on réussira à le bannir d'un produit, non-seulement ou
préservera ainsi les consommateurs et les fabricants de ce produit, mais
encore, en fermant par là un des débouchés commerciaux du métal, on
PLOMB. INTOXICATION. pnonm.Ax 1 1: . 347
diminuera le nembrc des ouvriers exposés au saturnisme pendant son
extraction, son traitement métallurgique et la préparation de ses sels.
11 suffit de connaître les falsifications et les altérations des aliments et
des topiques de parfumerie (t. IX, p. 440), par addition volontaire de
préparations saturnines, et l'abus des médicaments à base de plomb
(t. XII, p. 746 et suiv.), pour les éviter ou les prohiber.
Le plomb ne doit absolument pas entrer dans la confection des usten-
siles servant de récipients aux aliments et aux boissons. L'étain fin, ren-
fermant seulement 1 à 2 p. 100 de métaux étrangers, est seul convenable
pour le papier métallique d'enveloppe, et pour l'étamage, qui est aussi
facile à effectuer que celui à l'étain plombifère, légalement probibé par
une circulaire ministérielle de 1861 (Girardin, Rivière et Clouet). La
vaisselle d'étain à 5 p. 100 de plomb, proportion nécessaire pour qu'elle
soit d'une solidité suffisante, esta peine attaquable par les liquides salés
et par le vinaigre (Roussin) ; mais .les vases en porcelaine et en cristal,
épais et solides, adoptés par l'administration de la guerre, pour les hôpi-
taux de Paris, lui sont encore préférables. Dans les appareils distillatoires
des navires et des pharmacies, la cucurbite peut être en cuivre bien
étamé, mais les autres pièces seront : le chapiteau tout en étain fin, et le
serpentin en plomb doublé de ce même étain. Les meilleurs tuyaux de
conduite pour l'eau potable sont ceux en fonte, intérieurement revêtus
d'un enduit vitreux ; le zinc le plus pur possible, en feuilles ou recouvrant
la tôle galvanisée, devrait servira la confection des petits réservoirs d'eau
de pluie. On ne saurait trop blâmer les pompes en fer, dont les tuyaux
d'alimentation généralement en plomb, sont attaqués avec d'autant plus
d'énergie, que l'accouplement des deux métaux donne naissance à un
courant galvanique ; il serait facile aux constructeurs de les remplacer
par des tuyaux en fonte analogues aux conduites d'eau, mais revêtu d'un
enduit vitreux extérieurement aussi bien qu'intérieurement. Constantin
(de Brest) a proposé, pour les poteries communes, des vernis vitreux non
ploinbiféres : l'un incolore à base de soude et de chaux, l'autre brun et
très-brillant à base de soude et de peroxyde de manganèse. (YVurlz,
Rec. des Irav. de coin, consult. dln/g. publ., t. Y, p. 42 7) . Delloye-
Masson (de Bruxelles) emploie un émail non plombifère, dont malheu-
reusement la composition reste secrète (de Freycinet). Des émaux ana-
logues devraient remplacer les émaux plombifèrcs, surtout pour les
ustensiles culinaires, spécialement les rôtissoires à gaz ; dans leurs autres
applications industrielles, l'intérêt hygiénique des ouvriers les rendrait
précieux aussi. La gravure sur verre au moyen de l'électricité, imaginée
par Planté, pourrait être substituée aux procédés actuels de fabrication
du verre mousseline.
La couche des tailleurs de limes, la roue à l'émeri et les tirets des
lapidaires et des polisseurs de camées seront aisément laits d'un métal
autre que le plomb, en cuivre ou mieux en étain par exemple. Il est à
désirer que les nouveaux caractères d'imprimerie inusables en verre
opaque répondent à l'attente de leur inventeur.
548
PLOMB. — INTOXICATION. PROPHYLAXIE.
L'heureux emploi én peinture de l'oxyde de zinc (Courtois) et du sul-
fate de baryte au lieu de céruse, réalise déjà un immense progrès; on
pourrait y ajouter l'oxyde blanc d'antimoine ; Lcclaire est arrivé à rem-
placer dans les huiles siccatives la litharge par le manganèse. En tein-
ture, les couleurs dérivées du goudron de houille, moins nocives que celles
de plomb, tendent à se généraliser de plus en plus. Signalons encore les
couleurs jaunes à base de cauline, principe retiré de certaines malvacées
et crucifères, applicables à la teinture des papiers et étoffes (Collineau et
Savigny), et les laques rouges, oranges et jaunes, inoffensives (combinai-
sons d'éosine et de fluorcscine avec le zinc) récemment découvertes par
Turpin, et appliquées à la décoration des jouets en caoutchouc, en place
du minium, de la mine orange et du ebromate de plomb. En tous cas,
les simples encollages sont insuffisants à fixer sur les jouets les cou-
leurs de plomb ; celles-ci devront toujours être couvertes d'un bon
vernis à l'alcool, ou mieux d'un vernis gras (Chevallier). Dans l'apprêt
du coton, le sulfate de baryte a été suhstitué à la céruse ; pour celui de
l'alpaga anglais, le sulfure de cuivre présente les mêmes avantages que le
sulfure de plomb; enfin la combustion du coton des mèches à briquet
serait à peu près aussi bien régularisée par le nitrate de potasse que par
le ebromate de plomb.
Dans les opérations industrielles où se manipulent le plomb et ses
préparations, la prophylaxie la plus efficace consistera à substituer, le
plus possible, les machines à la main-d'œuvre.
On amoindrira la dissémination des particules saturnines par les me-
sures suivantes : emploi d'appareils clos, broyeurs à couvercles, tamis
clos, appareils de Corduant pour la fabrication de la céruse,- supprimant
le broyage et le blutage ; large intervention d'un liquide approprié, hu-
înectation de la matière première par l'eau, l'huile (broyage de la céruse),
l'eau seconde (avant le grattage des peintures, Chevreul); pluie intermit-
tente d'eau pulvérisée pour abattre la poussière, au moyen de pommes
d'arrosoir à trous périphériques, comme ceux que nous avons fait in-
staller avec avantage à la voûte des caves à brai d'Anzin ; arrosage du
sol; maintien d'une température peu élevée, (peinture), et établis-
sement d'une bonne ventilation des ateliers, qui doivent être spacieux ;
aérat;on naturelle, cheminées à hottes pour l'enlèvement des vapeurs,
bonne position de l'ouvrier, qui ne restera jamais sous le courant
d'air chargé de particules toxiques après être passé sur les matières en
œuvre.
Les divers engins prolecteurs, appliqués devant les orifices de la face
et, en raison de l'absorption cutanée, sur les parties exposées au contact
du poison, peuvent être utiles, chacun dans certains cas spéciaux : vête-
ments imperméables, voiles, masques, respirateurs, tampons d'ouate
dans les oreilles, contre les poussières et les vapeurs, et gants pour
les peintres. L'importance de l'absorption par la peau légitime les plus
grands soins de propreté : lavages fréquents et minutieux de la face, du
[a bouche et des mains, avec une brosse pour les ongles, bains sulfu-
PLOMB. —
INTOXICATION. TRAITEMENT-
5*11
reux et savonneux, changement de vêtement après le travail ; des ves-
tiaires-lavoirs avec baignoires seront par conséquent installés dans les
fabriques même.
11 importe que les ouvriers ne travaillent jamais à jeun, et qu'ils pren-
nent leurs repas hors de l'atelier ; les aliments gras, tels que le lait,
le lard (De Haën, Chrislison), le sel comme condiment (Melsens), doi-
vent entrer pour une large part dans leur régime habituel; ils use-
ront de laxatifs de temps à autre. On s'efforcera de leur faire com-
prendre combien les excès alcooliques leur sont préjudiciables. L'usage
du tabac à fumer et à chiquer passe pour leur être avantageux (Ilenckel,
Hoffmann) .
Les femmes entrant dans la seconde moitié de la grossesse doivent être
exclues du travail, jusque six semaines après l'accouchement (Ilirt el
Gôttisheim).
En tous cas, l'alternance des ouvriers dans les postes dangereux sera
rigoureusement praticpiée, et on leur interdira le travail dès l'apparition
des premiers symptômes de saturation.
IV. Traitement. — Le traitement de l'intoxication saturnine com-
prend un certain nombre d'indications, dont l'une s'adresse à l'intoxi-
cation chronique elle-même, à la dyscrasie el à la cachexie qu'elle en-
gendre; outre cette indication générale, il en est d'autres plus spéciales,
visant les accidents saturnins en particulier, les épiphénomènes aigus ou
chroniques : colique, constipation , encéphalopathie, paralysie satur-
nine, etc.
A. Traitement de l'intoxication saturnine chronique en général. —
L'indication primordiale a pour but d'éliminer le poison ou bien encore,
l'élimination étant jugée impossible ou trop lente, de rendre, à l'aide
de l'administration de certains médicaments , le plomb insoluble, par-
tant inoffensif. De là deux méthodes principales, d'une valeur bien dif-
férente, la méthode par élimination et celle par immobilisation ou, si l'on
peut ainsi parler, par insolubilisation.
Méthode par élimination. — C'est la plus rationnelle, celle d'ailleurs
qui s'attaque le mieux à l'intoxication ; elle consiste à favoriser l'élimi-
nation du plomb par les divers émonctoires naturels. Elle vient en aide à
l'organisme qui tend à se débarrasser spontanément des poisons qu'il ren-
ferme. Le saturnisme peut, en effet, guérir par les seules ressources
de la nature; Tanquerel des Planches en rapporte un certain nombre
d'exemples.
En tète des moyens de cet ordre se place la méthode évacuante , soit
seule, soit associée (surtout pendant les crises de colique) à l'emploi
des sédatifs, des opiacés et de quelques boissons sudorifiques ; c'est
ce. traitement complexe qui forme la base du fameux traitement de la
Charité, importé en France par des religieux italiens, en 1602. H se
compose de formules très-compliquées , un peu vieillies aujourd'hui ,
mais d'une grande efficacité, et que quelques médecins suivent encore à
la lettre.
350
l'LOMU. —
I NTOX ICATION . TUAlTi; M E \ T .
Voici, dans sa l'orme actuelle, la composition du traitement dit de la
Charité, d'après Grisolle :
Premier jour. — Eau de casse avec les grains (décoction de 04 gr. de tamarin
dans 1000 gr. d'eau, ajoutez : émitique 0«,15). Pour boisson, tisane sudorifique ximple
(décoction de gaïac). Le matin, un lavement purgatif (infusion de séné, 8 jjr, pour 500 gr.
d'eau; sulfate de soude, 70 gi\; élecluairc diaphcciiix, 32 gr.; jalap pulvérisé, 1 gr. 5 déci-
grammes). Lfi soir, lavement anodin [huile de noix, 125 gr.; vin rouge, 314 gr.) ; bol calmant
(thériaque 1 gr., opium, 0',05).
Deuxième jour. — Eau cuite (eau, 500 gr.; émétiquc, 5S,25) ; tisane sudorifique simple ;
lavement purgatif, pour le matin. Le soir, lavement anodin, thériaque et opium, ut suprà.
Troisième jour. — Tisane sudorifique laxatirc, 2 verres (infusion de séné cl décoction
de gaïac. parties égales, 1000 gr.); tisane sudorifique simple; lavement purgatif ; lavement
anodin; bol calmant, ut supra.
Quatrième jour. — Potion purgative des peintres, le matin (séné 8 gr., infusé dans 250 gr.
d'eau; électuaire diaphœnix et sirop de nerprun, 52 gr., de chaque ; jalap en poudre, 1 gr.
3 décigr.) ; tisane sudorifique simple. Le soir, bol de thériaque cl opium.
Cinquième jour. — Tisane sudorifique laxativc, 2 verres : tisane sudorifique simple;
lavement purgatif; le soir, lavement anodin ; thériaque el opium.
Sixième jour. — Potion purgative, le matin; tisane sudorifique simple; lavement pur-
gatif ; lavement anodin; bol calmant.
' Septième jour. — Tisane sudorifique laxalive; tisane sudorifique simple; lavement pur-
qalif ; lavement anodin; bol calmant.
Pendant le traitement de la Charité, les malades sont à la diète; en général, on commence à
donner du bouillon le 4e ou le 6e jour; on augmente ensuite graduellement.
Nous avons tenu à reproduire cette formule, ne fût-ce qu'à cause de son
importance historique. On voit que ce traitement satisfait à deux indications
principales : il agit comme purgatif et diaphorétique, dans le but de provo-
quer l'élimination du toxique ; d'autre part, grâce aux préparations opia-
cées qui entrent dans sa composition, il calme les douleurs si vives des co-
liques de plomb.
Les purgatifs salins (sulfates de soude et de magnésie, eau de Sedlitz)
peuvent également être employés ; mais la plupart des médecins recom-
mandent de préférence les drastiques. Pendant la colique, l'eau-de-vie
allemande à la dose de 50 à 40 gr., associée à une même quantité de
sirop de nerprun, est d'une administration utile (Jaccoud) ; Tanquerel et
Grisolle préconisent, dans les cas de constipation opiniâtre. Mutile de
croton à la dose de 2 à 5 gouttes, en une ou deux pilules ou dans une
cuillerée de tisane. Si l'huile agit comme vomitif, ou si elle ne produit
aucun résultat quelques heures après son ingestion, on donnera une
nouvelle pilule d'une goutte. L'usage de ce purgatif sera continué pendant
deux ou trois jours de suite, même si les coliques ont entièrement cessé ; il
suffit alors le plus souvent de donner une demi-goutte le matin, avec un
lavement purgatif administré le soir comme adjuvant. Mais, pour peu
que le soulagement se fasse attendre, mieux vaut « suivie à la lettre le
traitement si efficace de la Charité » (Grisolle). Il ne faut pas craindre,
d'après le môme auteur, d'insister sur les purgatifs, surtout sur les dras-
tiques ; et Grisolle signale, avec raison, la singulière tolérance que les
saturnins présentent à cet égard. « Ce n'est pas — fait-il remarquer —
un des points les moins curieux de la colique de plomb, que de voir les
malades qui succombent après avoir pris des doses, souvent considérables,
PLOMB. INTOXICATION. TRAITEMENT.
551
de drasticraeSj ne présentant néanmoins pas môme de la rougeur dans le
tube gastro-intestinal. »
On a vu la part considérable que prennent les sudorifiques, dans le
traitement de la Cliarilé. Les bains de vapeur el d'étuve, l'administration
du jaborandi ou de son alcaloïde, la pilocarpine favorisent l'élimination
des molécules de métal. Les expériences d'après lesquelles A. Robin a cru
pouvoir nier l'élimination sudorale du plomb, trop peu nombreuses pour
être concluantes, sont du reste formellement contredites par ce fait d'ob-
servation que des plaques cutanées de sulfure de plomb se sont montrées
sur des sujets qui avaient absorbé le poison parle tube digestif seulement.
C'est surtout comme diurétique que doit agir l'eau administrée en abon-
dance intus et extra (Marlin-Solon, Monncrct, Reislaml).
La médication par Viodure de potassium contre le saturnisme chro-
nique a été introduite dans la pratique par N. Guillot et Melsens en
France, par Parkas et Williamson en Angleterre. Elle répond à une indi-
cation éminemment rationnelle : selon ces auteurs, ce médicament aurait
pour résultat de solubiliser le plomb, qui, sous leur influence, est remis
en circulation et s'élimine d'une façon continue et en plus grande abon-
dance par les urines. 11 y a lieu de croire que ce résultat est dû à une
véritable action chimique par formation d'un sel double dinlysable (Guillot
et Melsens), plutôt <|u'à une simple surexcitation de la désassimilation
(Guider et Œttinger). La médication iodurée est tellement efficace qu'elle
nécessite de grandes précautions ; si, en effet, par suite de l'administra-
tion d'une dose massive d'iodure, le plomb en réserve est remis en cir-
culation en trop grande quantité à la fois, il peut en résulter de graves
accidents : coliques, et surtout cncéphalopathie ; d'où la nécessité de tou-
jours commencer par de faibles doses.
La dose de 50 centigr. à 1 et rarement 2 gram. nous a toujours
semblé bien suffisante. L'altération profonde du filtre rénal est une contre-
indication formelle de l'iodure. Melsens croit de plus que pour éviter
les iodites et les iodates, qui sont toxiques, il est indispensable de calci-
ner l'iodure avec de la limaille de fer et de le faire dissoudre dans l'eau,
en le maintenant au contact du fer; celte solution ferrée, préparée
d'avance en suffisante quantité, serait filtrée au fur el à mesure du be-
soin. Ajoutons enfin que ce chimiste conseille d'administrer l'iodure
pur comme condiment avec les aliments.
L'association du bromure à l'iodure de potassium a élé préconisée par
Gubler, surtout, comme nous le verrons plus loin, quand il y a menace
d'accidents encéphalopathiques.
Semmola a imaginé d'appliquer sur les centres nerveux ganglion-
naires un courant électrique continu, qui, activant les échanges nutri-
tifs et par suite la désassimilation, déterminerait l'élimination du plomb
par la voie des excrétions naturelles, surtout par les reins.
Pour nettoyer la peau, nous nous sommes bien trouvé des lotions d'hy-
pochlorite de soude, donnant naissance à un chlorure de plomb soluble
dans l'eau (Méhu).
352 I'LUMB. — i.m'oxicatio.n. tiiahkhent.
Méthode par insolubilisalion. — Rendre le plomb insoluble, par con-
séquent inactif et inollcnsif, tel est le but que se propose la mélbode chi-
mique de traitement par insolubilisalion ou par neutralisation. Cette mé-
thode compte, parmi ses moyens d'action, quelques-uns de ceux dont i|
a déjà été l'ait mention au paragraphe delà prophylaxie ; et en effet le prin-
cipe est le même : neutraliser le plomb à mesure qu'il entre dans l'organisme,
ou neutraliser celui qui est entré cl qui s'est fixé dans l'économie.
De temps immémorial le soufre a été employé comme un antidote du
plomb, sous forme de fleurs de soufre ou d'eaux sulfureuses. Royer
l'administrait sous forme de limonade hydro-sulfurique, espérant fournir
du sulfure de plomb, sans action sur l'organisme; le médecin de la Charilé
n'a pas lardé à en reconnaître l'inutilité el à l'abandonner complètement.
L'acide sulfurique a été administré, sous forme de limonade sulfuri-
que, par Gendrin, dans le but de former un sulfate de plomb inoffensif.
En supposant même que les réactions se passent dans l'économie comme
elles se font in vitro, cette médication ne justifie pas les éloges que lui
décerne Gendrin; Nalalis Guillot et Melsens ont montré, en effet, què
le sulfate de plomb, loin d'être un composé inerte, est « un poison lent,
mais sûr. » Du reste, il est plus que douteux que l'acide sulfurique
ingéré par la bouche, soit absorbé sous forme d'acide sulfurique, et puisse-
aller, dans l'intimité des tissus, se combiner avec les bases plombiques.
Les bains sulfureux transforment en sulfure de plomb les molécules
plombiques fixées à la surface de la peau, ou éliminées par les couches
superficielles de l'épiderme. Le malade d'ailleurs se trouvera toujours
bien de leur action stimulante générale. Rrémond présente les douche- de
vapeur d'eau sulfhydrique comme beaucoup plus efficaces.
D'une façon générale, la méthode par neutralisation, appliquée à la
peau aussi bien qu'au tube digestif, peut rendre des services, surtout au
début, pourvu qu'on lui associe, d'une part, les lotions et frictions sa-
vonneuses et alcalines, et d'autre part, les purgatifs, afin d'entraîner
mécaniquement le sulfure qui, autrement, pourrait se redissoudre dans
les liquides sudoraux ou digestifs. Mais la méthode par insolubilisa-
tion proprement dite, par laquelle on cherche à insolubiliser le plomb
dans la trame même des tissus, est inutile et même dangereuse (Guillot
et Melsens) ; car, pour être insoluble, le sulfure et le sulfate de plomb
n'en sont pas moins toxiques. Son seul résultat est de fixer le poison, et
par suite de provoquer le développement de certains accidents chroni-
ques, comme la paralysie ; c'est en effet ce qu'on a observé.
Nous ne ferons que mentionner le traitement par Valun (à la dose de
8 à iO gr.), que Montanceix a voulu opposer au traitement de la Charité
(sous le nom de traitement de Saint- Antoine), et qui n'appartient plus
qu'à l'histoire des erreurs en thérapeutique.
Tels sont les principaux moyens dont nous disposons pour activer le
mouvement de désassimilation du plomb (îxé dans les tissus, ou pour en
neutraliser, dans la mesure du possible, l'action délétère. Mais cette action,
PLOMB INTOXICATION CHItONIQUE. TRAITEMENT.
7,:,7,
est complexe; elle aboutit rapidement à la dénutrition du sujet, à une
véritable cachexie, s'accusant par la pâleur des téguments, l'amaigrisse-
ment, l'anorexie, l'albuminurie, la céphalalgie, les vertiges, etc. De là des
indications qui, quoique ne ressortissant pas à la cause même du mal,
n'en sont pas moins importantes. Les toniques, les préparations martiales,
les amers répareront les globules rouges usés et détruits, rendront à la
libre musculaire son ressort et combattront l'anorexie et la dyspesie. Les
pratiques bydrothérapiques peuvent aussi être employées avec fruit tant
pour stimuler le système nerveux, que pour activer la circulation languis-
sante des téguments. Gubler préconisait l'usage interne de l'opium, non-
seulement comme propre à endormir les douleurs de la colique, mais
comme stimulant général et médicament vaso-dilatateur.
B. Traitement des principaux accidents saturnins. — Colique. — Au
début, l'électuaire de miel et Heurs de soufre à parties égales, puis les
purgatifs, en particulier les drastiques (eau-de-vic allemande de 20 à
40 gram. ; sené, 15 à 20 gram. ; huile de croton, 5 gouttes dans l'huile
de ricin 15 gram.; lavements purgatifs au sené et au sulfate de soude),
associés aux opiacés ou à la belladone (Malherbe), et les boissons sudori-
fiques constituent la base du traitement de la colique. Les cataplasmes
laudanisés sur le ventre, serviront à calmer les douleurs extrêmement
violentes.
Les révulsifs, au dire de Grisolle, sont parfois utiles, surtout la rubé-
faction vive de la peau du ventre, obtenue à l'aide d'un sinapisme ou
bien avec du chloroforme.
Briquet recommande la faradisation de la peau du ventre et des mus-
cles droits de l'abdomen (à l'aide de pinceau électrique) ; au bout de deux
à quatre minutes d'application, la colique cesse généralement pour un
temps variable ; mais cette pratique est excessivement douloureuse
« plus vive que celle du fer rouge » (Grisolle). « L'électrisation cutanée
— observe judicieusement le même auteur — guérit ici par révulsion;
en effet, elle réussit de la même manière que dans les autres névralgies.
Ce qui prouve d'ailleurs que tel est son mode d'action, c'est qu'on a pu
guérir des coliques saturnines en portant le courant sur des parties
éloignées, mais très-sensibles, comme les doigts, les orteils, le nez. Cette
méthode a l'inconvénient d'être excessivement douloureuse, au point
que des malades torturés par la colique saturnine, refusent cependant de
s'y soumettre. »
Lorsque ces douleurs sont trop violentes , il est bon de recourir à
l'opium, avant d'employer la méthode évacuante (Stoll). Dans ce cas, il
faut l'administrer larga manu, à la dose de 10, 15, jusqu'à 40 centigr.
dans les 24 heures. Parfois, la constipation cède par le fait seul de la
suppression de la douleur.
Les injections hypodermiques de chlorhydrate de morphine, à la dose
d'un centigr., répétées plusieurs fois par jour, constituent un moyen
éminemment commode et efficace, et dont l'emploi tend de plus en plus
à se substituer à l'administration de l'opium par la bouche. Les anesthé-
NOCV. DICT. SIÉD. El CUIB. XXYIII — 25
554 l'LO.MU. KMPLOI TIIKIIAPKUTIQIE.
siques proprement dits, le chloroforme donné en lavement ou en potion
de 50 à 60 gouttes, jusqu'à 10 ou 12 gram. dans les vingt quatre heures
(Aran), ou le cldoral à la dose de 2 à 4 gram., paraissent d'une efficacité
moindre que l'emploi des opiacés et surtout de la morphine en injec-
tions sous-cutanées.
Encéphalopalhie. — La saignée générale a été, avec raison, abandon-
née dans le traitement des accidents cérébraux du saturnisme; mais lès
saignées locales, surtout au moyen de ventouses scarifiées appliquées à
la nuque, peuvent être utiles. Grisolle se loue, contre le coma, de l'ap-
plication d'un large vésicatoire sur toute la surface du cuir chevelu préa-
lablement rasé. Dans les formes convulsives et délirantes, il s'est bien
trouvé des affusions froides. Dans ces mêmes cas, et spécialement dans
la forme maniaque, le laudanum administré à la dose de 15 à 20 gouttes,
dans un quart de lavement, réussit parfois à calmer l'agitation et à pro-
curer un sommeil tranquille. Le bromure de potassium a été employé avec
succès, par Gubler, contre l'encéphalopathie convulsive ou délirante,
à doses élevées (6 à 10 gram.) L'emploi de ce médicament est rationnel,
vu son action dépressive sur la réflectivité des centres nerveux. Rayer
et Tanquerel recommandaient l'expectation pure et simple; mais cette
pratique n'a guère trouvé d'imitateurs.
Paralysies. — Nous traitons la paralysie d'origine directe, ainsi d'ail-
leurs que les autres accidents saturnins locaux : à l'extérieur, par des
bains sulfureux, suivis de bains alcalins ou savonneux et, plus tard, par
des frictions locales avec la pommade à l'iodure; et à l'intérieur, par le
traitement ioduré, sans préjudice des autres moyens, spécialement l'élec-
tricité, employés contre la paralysie de cause générale.
Gueneau de Mussy regarde le phosphure de zinc, de 1 à 5 et 4
centigr., comme très-actif contre la paralysie et le tremblement. La
strychnine, de 1 à 5 milligr. au plus, a la propriété d'augmenter
le pouvoir excito-moteur du centre spinal, et d'agir plus particulière-
ment sur les extenseurs du tronc et des membres (Martin-Magron et
Cayrade). Les courants électriques induits sont ceux qui, mettant le
moins enjeu la sensibilité musculaire, constituent le mode de traitement
le plus rapide; ils doivent être appliqués localement de façon à détermi-
ner des sensations douloureuses, et par séances éloignées.
L'application d'un électro-aimant a guéri presque complètement un
saturnin hémiplégique et hémianesthésique (Debove).
L'iodure de potassium inlus el extra nous a bien réussi dans les ar-
Ihralgies tenaces et localisées, tandis que le tremblement passe pour
mieux se modifier sous l'influence du bromure.
Emploi thérapeutique. — L'emploi thérapeutique du plomb,
longtemps très répandu, jusque dans le siècle dernier, est, de nos jours}
considérablement restreint et presque exclusivement limité aux appli-
cations externes.
I. Usage interne. — A l'intérieur, on a administré rarement le car-
bonate et l'iodure, el d'ordinair.e les acétates, surtout le neutre (se
PLOMB. EMPLOI THÉIUPKUTIQUE. 35;*)
de saturne), à la dose de 5 à 80 centigr., et même jusqu'à 4 gram. par
jour!
Il peut paraître étonnant qu'on ait songé à utiliser la prétendue vertu
Sédative du plomb contre les névralgies, l'hystérie, l'épilepsie (Ruysch),
la mélancolie (Morgagni), la toux convulsive (Tachenius) et les névroses
cardiaques (Levrat-Pcrotton), puisque la plupart de ces affections sont
susceptibles de se développer sous l'influence de ce métal ; mais celui-ci
n'a-t-il pas été prescrit pour calmer la colique saturnine elle-même?
Dans la nymphomanie (Lieutaud), la spermatorrhée et les accidents can-
tharidiens, le plomb a dû agir comme anaphrodisiaque .
L'action de ce métal sur le système circulatoire explique ses effets
contre les bémorrhagies du poumon (Léridon, Sirus-Pirondi) et de l'uté-
rus (Reynolds, Shaw et Baker), la dysenterie, l'hypertrophie cardiaque
(Brachct), les anévrysmes des grosses artères (Korelï, Dupuytren) et les
diverses inflammations parenchymateuscs (Crollius), en particulier la
métrile (Lisfranc) et la pneumonie aiguë (Strohl, Leudet).
Vu leurs propriétés anticatarrhàles et astringentes, les préparations
saturnines auraient été administrées avec un certain succès dans les
affections suivantes : l'uréthrite (Goulard), la blennorrhagie, la blennor-
rhée, (J. Hunier, Girlanner, Michaëlis) et la néphrite (llermann) ; les
sueurs profuses, la diarrhée et le catarrhe bronchique, spécialement des
phthisiques (Etmùller, Pringle, Jahn, Amelung, Fouquier) et le choléra
(Baudin). On sait que Beau et après luiPidoux, se basant sur le prétendu
antagonisme entre le saturnisme et la plilhisie, ont même considéré le
plomb comme un spécifique contre la diathèse tuberculeuse.
Pour être complet, rappelons encore l'emploi du plomb dans la lèpre
et la peste (Galien) et, enfin, les balles de ce métal que les anciens fai-
saient avaler dans l'espoir d'opérer mécaniquement le dénouement de
l'invagination intestinale.
A notre époque, on ne prescrit guère plus l'acétate neulrc de plomb
que pour modérer les sueurs colliqualives des phthisiques (pilules de
1 décigr. quatre à cinq par jour) ; et pourtant le tannin, l'agaric blanc,
la macération de quinquina gris, voire même le sulfate d'atropine, lui
seraient bien préférables.
Comme d'une part les préparations saturnines administrées à l'inté-
rieur ont souvent occasionné de graves accidents, et que, d'autre part
elles sont inutiles, à cause de leur inefficacité ou de la possibilité de les
remplacer par des succédanés inoffensifs, il y aurait une véritable témé-
rité, indigne de l'art de guérir, à faire ingérer un tel poison à longue
portée et dont l'élimination est si difficile.
II. Usage exteiike. — 11 n'y a pas plus d'un siècle, le plomb entrait
dans la composition de trois ou quatre cérats, de trente sept onguents et
de quatre-vingt-un emplâtres (Murrny) ! De nos jours, les topiques à base
de ce métal sont encore journellement employés en chirurgie; mais la
confection en est considérablement simplifiée et leur application se borne
presque aux affections aiguës. Leur usage externe est d'ailleurs légitimé
7)[)Ù PLUfflB. EMPLOI THKItAPEUTIQUK.
par les effets du plomb se manifestant non-seulement sur les muqueuses,
les points de la peau dépouillés de leur revêtement épilhélial, sur les
éruptions et les plaies, mais aussi, ainsi que nous l'avons prouvé, à tra-
vers la peau intacte elle-même, jusque sur les parties sous jacenles ; il y
a alors imprégnation locale, tout à là fois par pénétration interstitielle et
par absorption ihtra-élémèn'làirë et intra-vasculairc.
Le plomb est ou a été utilisé à l'extérieur comme astringent et, par
conséquent, anlicatarrbnl, anlisudorifique , cicatrisant et désinfectant,
comme résolutif et maluratif, calmant et même anapbrodisiaquc.
Parmi les préparations saturnines, les plus usitées sont : Vexlrail de
salurne ou sous-acélale de jptômb liquide, solution aqueuse coh'c'éritree
d'un mélange d'acétate neutre et surtout de sous-acétate et, en particu-
lier, son dérivé, Veau blanche ou de Goulard, résultant de l'addition
d'un cinquantième d'extrait de saturne à de l'eau de rivière alcoolisée ;
c'est une solution aqueuse d'acétaLes basiques et neutre et même d'une
certaine proportion de chlorure, tenant en suspension du carbonate, du
sulfate et un excès de chlorure. Les pommades, onguents, emplâtres et
sparadraps sont constitués par un mélange de savons (oléates, marga-
rates, stéarates, etc.), d'autres sels (acétates, iodure, tannate) et d'oxydes
de plomb.
L'eau blanche est le topique astringent et résolutif généralement
appliqué, au début, sur les contusions avec ou surtout sans solution de
continuité à la peau, sur les entorses, les luxations réduites, les téno-
sites et les fractures, soit qu'on en imbibe des compresses, ou qu'on en
arrose des cataplasmes de farine de lin ; elle est souvent alors avantageu-
sement associée à partie égale d'alcool camphré et à une petite proportion
de teinture d'arnica. Les effets directs de l'application du plomb, savoir :
l'anémie active locale par contraction des muscles vasculaires, l'affaiblis-
sement de la vitalité des éléments anatomiques et l'analgésie, luttent
avec succès contre la congestion, la suractivité fonctionnelle et la douleur
qui accompagnent l'inflammation. Les brûlures peu étendues sont quel-
quefois aussi traitées, à leur début, par l'huile et le céral saturné au 1/10
d'extrait de saturne, ou les compresses d'eau blanche.
Les ulcères chroniques, atoniques, scrofuleux, variqueux ou cardia-
ques des membres inférieurs, spécialement chez les vieillards et les
alcooliques, se dessèchent et se cicatrisent parfois assez rapidement au
contact du plomb : lames de métal (Réveillé-l'arisoi, céruse (Dioscoride),
eau blanche, cérat saturné, tannate en bouillie (Leclerc), glycérole ou
pommade au 1/6 (Yott, Yan den Corput), sparadrap diachylon (Boycr)
et emplâtre de Canet. Les lames nous ont réussi contre de tels ulcères,
mais leur emploi a dû être intermittent!, afin d'éviter que l'excitation
déterminée par elles cessât d'être curative. Quant au sparadrap dia-
chylon, confectionné avec l'emplâtre simple, mélange de divers savons
plombiques, nous avons vu dans un hôpital de Paris, son application
en cuirasse sur un ulcère variqueux de la jambe, chez un homme
âgé, déterminer un érysipèle gangreneux mortel; souvent d'ailleurs
J
PLOMB. — EMPLOI THÉRAPEUTIQUE,. 357
i cet agglutinatif nous a paru rendre blafardes les parties des plaies en
rapport avec lui.
Comme remède vulgaire, il faut mentionner l'onguent de la Mère, à
base de litharge, pour bâter la maturation et la suppuration des abcès
froids, bubons, panaris et furoncles; sur ces derniers on applique fré-
quemment aussi une simple rondelle de sparadrap diacbylon.
Certaines éruptions cutanées, telles que les érytbèmcs des membres
inférieurs œdemaliés chez les asystoliques, sont heureusement modifiées
par l'eau blanche. L'onguent nutrilum, au 1/5 de litharge, a donné d'ex-
cellents résultats aux anciens médecins des houillères d'Anzin, contre les
éruptions (eczéma et urticaire tubéreuse) spéciales aux mineurs des fosses
à anémie; dernièrement nous guérissions rapidement par l'eau blanche
un eczéma houillcr rebelle du dos de la main chez un mineur. Dans la
mentagre, Bouchardat recommande la crème à l'acétate de plomb au 1/6.
On sait enfin que ce dernier sel entre dans la composition de la plupart
des lotions antéphéliques.
L'azotate de plomb, en solution aqueuse au 1/100, a été préconisé
comme désinfectant des plaies; à ce propos, signalons, pour qu'on puisse
s'en méfier, l'eau inodore désinfectante de Lcdoyen au 1/91 et le remède
de Licbert contre les gerçures du sein, au 1/60 de ce sel.
En raison de ses puissantes propriétés fondantes, le plomb a souvent été
prescrit à l'extérieur contre les tumeurs enflammées, les orebites
(Etinuller, Bell), les cancers douloureux (lames de métal), les tumeurs
de la mamelle (emplâtre au minium, pommade iodurée au 1/10), les
loupes et les anévrijsines des grosses artères (plaque agissant par com-
pression et résolution, compresses d'eau blanche (Dupuytren).
Longtemps on a combattu les névralyies faciales avec l'onguent de
Rhazes au 1/5 de céruse, et les douleurs des cancers par le contact de
lames de plomb; ce métal a même été appliqué, non sans quelque rai-
son, par les anciens, en ceintures antiaphrodisiaques chez les nympho-
manes (Avicenne, Paracelse).
On ne pourrait trop blâmer l'emploi des topiques saturnins : céruse
(Dioscoridc) et eau blanche, pour supprimer les sueurs profuses des
pieds ; aux inconvénients pouvant résulter de la brusque suppression
d'une sécrétion habituelle, viendraient encore s'ajouter les dangers d'une
intoxication dont xMoënch a signalé des exemples.
L'acétate de plomb, neutre ou basique, est un puissant résolutif, anti-
catarrhal des muqueuses oculaire, uréthrale et vaginale. Il est souvent
employé en injections au 1/100 dans la blcnnorrhée et surtout au 1/50
contre la leucorrhée chronique; son usage prolongé dans ce dernier cas,
ne serait pas sans inconvénients. On a espéré faire rétrocéder le ptérygion
par des applications d'acétate neutre porphyrisé ; la solution de ce sel au
1/200 constitue un collyre résolutif de la conjonctivite catarrhale. Le
sous -acétate liquide est également prescrit dans cette conjonctivite,
comme astringent à la dose de 5 gouttes pour 100 gram., et résolutif en
solution au 5/100, mais surtout contre les granulations chroniques, à
558 PLOMB. — !■ EMPLOI THERAPEUTIQUE.
parties égales avec l'eau (Wecker). Les oculistes l'ont un assez fréquent
usage de ces collyres, ne formulant de contre-indication que pour les cas
compliques d'ulcérations de la cornée, au niveau desquelles on doit
redouter des taies par tatouage de carbonate de plomb. Bien autrement
graves pourtant peuvent être les conséquences de celle médication. Nous
avons en effet observé, en avril 1878, un cas de cacbexic saturnine avec
vomissements, coliques, léger liséré cl mouvements eboréiformes cbez une
petite fille de sept ans, qu'un des plus célèbres oculistes de la capitale et
un bon spécialiste de province traitaient depuis trois ans et demi par un
collyre de sous-acétate de plomb liquide pour moitié et des fomentations
oculaires d'eau blanche, pour une conjonctivite granuleuse chronique.
Les premiers accidents toxiques, dont l'apparition remontait à environ dix
mois, étaient ceux localisés aux yeux et au pourtour de l'orbite : troubles
étranges de l'accommodation nécessitant des verres convexes, mydriase,
notable diminution de l'acuité visuelle, surtout du côté droit, par névrite
optique à la période congestive, constatée avec roplithalmoscope, aspect
terne de la cornée, parcsie sensitive des paupières (à la paupière infé-
rieure les deux pointes isolantes en ivoire de notre œsthésiomètre, dis-
tantes de 7 mm., n'étaient plus perçues que comme une seule), ptosis
des paupières supérieures, manque d'expression de la physionomie,
spasmes convulsifs du nez et de la bouche, tarissement des larmes et de
la sécrétion nasale, céphalalgie etc.. La peau de la région orbitaire, de
ton grisâtre, put être tachée en noir par une solution sulfureuse, en jaune
par une solution d'iodure de potassium ; le fond grisâtre et les taches
ainsi déterminées se nettoyèrent sous l'influence de lotions avec une
solution d hypochloritc de soude (eau additionnée de 1/10 de liqueur
de Labarraquc). Ce diagnostic étiologique fut d'ailleurs confirmé par
notre confrère de province. Aujourd'hui, après la suppression de la mé-
dication saturnine et l'institution d'un traitement par l'iodure de po-
tassium et les bains sulfureux, aidé d'une hygiène convenable, l'enfant,
à peu près complètement guérie, a repris un développement régulier et
a récupéré son jeu de physionomie; sa vue est considérablement amélio-
rée et les lunettes sont devenues désormais inutiles.
Enfin, le plomb métallique, pour lequel l'organisme montre une tolé-
rance si grande que des balles peuvent parfois séjourner longtemps sans
danger dans les tissus, devait tout naturellement servir à la fabrication
des instrumente à demeure : bougies, tubes, tentes, pour maintenir les
fistules, perforations et séparations, après les opérations de rhinoplastie
ou de fistule lacrymale par exemple, et à la confection des fils destinés à
opérer lentement la section des fistules à l'anus (Foubert, Desault) ; l'argent
tend de plus en plus à lui être substitué dans ces diflérents cas.
En somme, sans qu'il soit nécessaire de revenir sur les accidents dus
à l'usage externe des diverses préparations plombiques, qui se trouvent
relatés à propos de l'étiologic, on peut conclure que, même à l'extérieur,
le plomb doit être employé exclusivement d'une manière temporaire, par
conséquent contre les affections aiguës seulement, à la période initiale
PLOMB.
EMPLOI TIIÉIUPEUTIQUE.
BIBLIOGRAPHIE.
559
desquelles il rend d'incontestables services, avec une certaine réserve
toutefois, lorsque le revêtement épitbélial manque sur une assez grande
surface, ou qu'il s'agit de muqueuses, spécialement de celles de l'œil,
en raison de ses puissantes propriétés d'absorption et de la grande sus-
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l'Acatl. des se, 5 sept., 1855. Annales d'hygiène publique et de médecine légale, nombreux
articles passim. Nous citerons : sur la nécessité de proscrire : I" les vases de plomb ou
d'alliage de ce métal pour la préparation et la conservation des matières alimentaires solides
ou liquides ; 2" de défendre l'usage des tuyaux de plomb pour la conduite des liquides destinés
à servir de boissons; 5* d'interdire la clarification des liquides destinés à servir de boissons par
des sels de plomb [Ann. d'hyg. publ. , Paris, 1853, t. L, p. 514). — Mém. sur les accidents
déterminés par le plomb (Ann. d'hyg. publ. et de méd. lég., 2* série, Paris, 1859, t. XI,
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A. Manouvmez (de Valencicnnes).
Chimie médico-légale. — Il reste à traiter les questions médico-
légales relatives à la recherche chimique du poison plombtque, au sein de
matières organiques, animales ou végétales, soit dans les organes (spécia-
lement tube digestif et foie) ou les produits de sécrétion et d'excrétion de
la victime (matières des vomissements, déjections et urine), soit dans les
aliments et les boissons.
Recherche toxicologique. — Les détails consignés sur les propriétés et les
réactions du plomb, les effets toxiques, les symptômes de V empoisonne-
ment, ainsi que sur les signes anatomo-palhologiques constatés à l'au-
topsie, nous permettront d'être très-brefs.
La toxicologie du plomb n'offre pas de difficultés sérieuses, grâce à la
fixité relative du métal, et à ses propriétés tranchées.
L'empoisonnement aigu par le plomb est le cas exceptionnel. Il faut, en
effet, ingérer une dose de poison tellement élevée, et sa saveur, en défini-
tive, est si repoussante, que c'est presque uniquement à la suite de mé-
prise ou d'accident que la mort vient terminer un empoisonnement aigu
par le plomb.
L'empoisonnement chronique, au contraire, est d'une remarquable
fréquence. Ce qui s'explique facilement par les usages domestiques variés
de ce mêlai, usages déjà indiqués.
La recherche chimique qu'il s'agit d'effectuer en pareil cas a surtout en
vue de caractériser le plomb lui-même, sans trop prétendre à préciser la
nature du composé introduit dans l'économie. Celle question ne peut se
poser et se résoudre que dans le cas où les recherches préliminaires auront
permis d'isoler un composé plombique insoluble, ou bien lorsqu'on arrive
à séparer, en même temps que le plomb, des corps qui ne se rencontrent
pas normalement dans l'économie, comme l'acide chromique, l'acide
iodhydrique, etc.
Si l'expert assiste à l'autopsie, il veillera à ce qu'il n'y ait pas intro-
duction de parcelles de plomb provenant du cercueil, ou de papiers plom-
bifères, ou de grains de plomb ingérés avec le gibier par exemple.
Il évitera encore l'emploi, pour sceller ou bouclier les flacons, de cire
colorée au minium (la science a enregistré des erreurs de ce genre).
PLOMB. — nECHKItCHE toxicoi.ogio.ue.
563
De môme, pour les flacons qui lui seront remis cachetés avec une cire
suspecte, il examinera au préalable sa composition et s'assurera que l;i
moindre parcelle n'a pu se mélanger aux produits.
Examen préliminaire. — Après quoi il procédera à l'examen à la
loupe en arrosant lés matières d'eau distillée en quantité convenable,
procédant par lévigation, et inspectant soigneusement les dépôts.
Recherche chimique. — On s'occupe de la destruction des matières
organiques auxquelles la substance toxique se trouve mélangée ou com-
binée.
Les indications de la physiologie et les analogies chimiques guideront
dans le choix de la méthode à employer pour isoler le métal. On sait en
effet que, comme pour le mercure et pour l'argent, il y a formation dans
l'économie de sels doubles de plomb et d'albumine, de plomb et de chlo-
rures, etc. Pour la recherche du plomb comme pour celle de l'argent, on
pourra donc se servir :
1° De la méthode par le chlorate et Vacide chlorhydrique ; 2° de celle
qui est basée sur Y emploi de Vacide azotique; 3° de la méthode au
moyen de Vacide sulfurique; 4" de la méthode par voie sèche, au car-
bonate de soude; 5° de Vélectrohjse (proposée par Gusserow), etc., pour
ne parler que des principales.
1° Méthode par le chlorate et l'acide chlorhydrique. — Millon et
Dullos, les premiers, ont indiqué, en 1858, le principe de la méthode au
chlorate de potasse qui fournit en présence de l'acide chlorhydrique une
source de chlore au moyen duquel sont détruites les matières organiques.
Perfectionnée par différents auteurs, l'opération peut s'effectuer ainsi :
la substance, divisée mécaniquement quand il y a lieu, esi délayée dans
uu poids d'acide chlorhydrique égal à celui de la matière organique sup-
posée sèche. Quand le composé toxique n'est pas volatil (ce qui est le cas
actuel), il y a avantage à digérer pendant quelques heures au bain-marie
(Abreu). La masse rendue fluide, si besoin est, au moyen d'eau distillée
(ou mieux encore des eaux de lavages résultant du traitement mécanique
préliminaire) est introduite dans une capsule ou dans un balion dont la
contenance est telle qu'il soit seulement à moitié rempli.
On chauffe au bain-marie, et de temps en temps on ajoute une pincée
(2 grammes environ) de chlorate de potasse. Chaque fois il y a production
abondante de gaz et la matière mousse fortement. C'est pourquoi il est
nécessaire d'employer des vases d'une capacité suffisante pour que le
liquide ne déborde pas.
L'alcool, l'amidon, le sucre communiquent aux matières une grande
tendance à mousser. Aussi est-il avantageux de se débarrasser, par une
distillation préalable, de la presque totalité de l'alcool.
A chaque addition de chlorate de potasse la liqueur, sous l'influence du
chlore naissant, se décolore sensiblement, mais elle se fonce de nouveau
dès que le gaz s'est échappé. A mesure que l'attaque avance, la coloration
est de moins en moins sensible et lorsque, un quart d'heure environ après
addition de chlorate, la liqueur chauffée nu bain-marie ne se colore plus
564
PLOMB. — RECHEIICHE TOX1COLOGIQUE.
sensiblement et reste simplement jaunâtre, l'opération e.~l considérée
comme terminée.
Parfois il est nécessaire d'ajouter une nouvelle quantité d'acide chlorhy-
drique pour arriver à ce résultat. On évitera cependant un trop grand excès.
Dans ces conditions, l'attaque évidemment n'est pas poussée à fond, et
toutes les matières organiques ne sont pas détruites, nous citerons en
particulier les graisses, les matières ligneuses, le tissu cellulaire qui
résistent bien. Cependant la désorganisation est assez profonde pour que,
en filtrant la liqueur bouillante, il ne reste sur le filtre que les substances
insolubles mentionnées pins haut. On les lave à nouveau à l'eau bouil-
lante, et le résidu est finalement examiné à part pour s'assurer qu'il est
exempt de plomb.
Le liquide filtré renferme la totalité du chlorure de plomb, soluble à
chaud dans l'eau, et dont la dissolution est encore favorisée par la pré-
sence de l'acide chloi hydrique et des chlorures alcalins.
Quand il y a beaucoup de plomb, le liquide peut cristalliser par simple
refroidissement, ou même par simple addition d'eau qui change la solubi-
lité du chlorure dans l'acide chlor hydrique.
Dans tous les cas, la liqueur plombique est traitée par l'hydrogène
sulfuré qui dénotera un cent millième ou même un deux cent millième
de plomb. On a vu plus haut les caractères et les particularités de la
précipitation du sulfure de plomb en liqueur chlorhydrique.
2° Par l'acide azotique. — Au lieu du chlorate et de l'acide chlorhy-
drique, on peut employer la méthode d'Orûla, et dont la base est la
destruction des matières par l'acide azotique.
Les liquides et les parties solides très-divisées, sont soumis, dans une
capsule de porcelaine, à une évaporation ménagée, au bain-marie, jusqu'à
réduction en pulpe. On ajoute alors peu à peu, et en agitant sans cesse,
un double volume d'acide azotique concentré, pur, et l'on chauffe pro-
gressivement pour obtenir une ébullition lente et continue, qu'on main-
tient plusieurs heures tant qu'il se dégage des vapeurs hypoazotiques. Le
liquide, réduit par évaporation en consistance sirupeuse, est étendu de
dix volumes d'eau distillée tiède. Après filtration et lavage du filtre, on
introduit la liqueur dans un flacon bouché à l'émeri, et on y fait passer un
courant continu d'hydrogène sulfuré pur et lavé, jusqu'à saturation. Le
lendemain, quand le dépôt de sulfure de plomb s'est complètement effec-
tué, le liquide est décanté au siphon et on lave le précipité sur un liltic
de papier Berzélius pour épuiser les matières solubles. Le filtre est des-
séché et divisé par moitié. On chauffe la première moitié dans une cap-
sule de porcelaine, au bain-marie, avec de l'acide azotique concentré,
pur, jusqu'à disparition de sa couleur noire. Le liquide est étendu de
quelques centimètres cubes d'eau distillée tiède, puis filtré et soigneuse-
ment évaporé à siccité. Redissous dans quelques gouttes d'eau, le résidu
doit offrir les caractères du plomb indiqués à la partie chimique de l'article.
L'autre moitié du filtre, divisée en petits morceaux, est triturée dans
un mortier d'agate avec un peu de carbonate de soude desséché et quel-
PLOMB. — RECIIKIICIIE TOXITOI.OGIQUE. 365
ques gouttes d'eau, de façon à former une pâte ferme que l'on tasse dans
la cavité d'un charbon léger de peuplier on de tilleul. Après que ce mé-
lange a été lentement desséché à la flamme du chalumeau, on projette
d'une manière continue, à sa surface, le dard aigu de la flamme de
réduction (cône intérieur). Le sel plomhiquc se réduit peu à peu ; la petite
masse entre en fusion et s'absorbe dans les pores du charbon, laissant à
nu quelques petits globules brillants épars. Ces globules métalliques,
soigneusement recueillis, sont triturés avec un peu d'eau dans un mortier
d'agate; par décantation on enlève les parcelles de charbon qui pouvaient
adhérer, et le métal reste seul, reconnaissable à sa couleur et sa malléa-
bilité, et, après dissolution dans quelques gouttes d'acide azotique, à ses
caractères chimiques.
5° — Par V acide sulfurique — Au lieu d'acide azotique pour détruire
les matières organiques, on pourrait se servir d'acide sulfurique, comme
dans le procédé général; le sulfate de plomb imprégnant le charbon qui en
résulterait, serait transformé en carbonate par ébullition avec une solu-
tion de carbonate de soude ou de potasse, puis en azotate soluble par l'eau
acidulée d'acide azotique. On traiterait ensuite la liqueur par l'hydrogène
sulfuré, poursuivant les opérations comme dans le procédé précédent. _
4° — Par la chaleur, en présence du carbonate de soude, procédé
avantageux pour une petite quantité de matières, en majeure partie
solides. — Les portions solides, très divisées, sont intimement mélangées
dans un mortier avec la moitié de leur poids de carbonate de soude pur
et sec; ce mélange, préalablement desséché au bain-marie, est introduit
dans un creuset de porcelaine à couvercle, de dimensions telles qu'il ne
soit qu'à moitié rempli. On chauffe alors dans un petit fourneau ou à la
lampe deBcrzélius, graduellement, alin d'éviter tout boursouflement de
la matière, mais jusqu'à une température suffisante pour fondre le car-
bonate de soude. Dès que ce sel est en fusion tranquille, on laisse tomber
le feu, dans la crainte de volatiliser un peu de plomb réduit. Le creuset,
refroidi et essuyé extérieurement avec soin, est placé dans une spacieuse
capsule de porcelaine, contenant de l'eau distillée bouillante. On continue
l'cbul lition jusqu'à complète dissolution de la masse vitreuse du creuset,
lequel est mis à sécher après avoir été lavé à l'intérieur et à l'extérieur,
à l'aide d'une pissette, au dessus de la capsule. Les portions métalliques,
plus lourdes, gagnent le fond et sont séparées des particules charbon-
neuses et salines en suspension par le repos du liquide et plusieurs décan-
tations et lavages ; on recueille alors facilement les petits grains métalliques
brillants qu'on dessèche sur papier buvard. On y joint les quelques glo-
bules qui auraient pu rester adhérents à l'intérieur du creuset; et si les
grains de plomb sont trop petits, on les fond au chalumeau, en présence
du carbonate de soude sec, dans la cavité d'un charbon, afin de les ras-
sembler en un ou deux globules caractéristiques. (Roussin, p. 855).
5° Electrolijse. — Dans les liqueurs provenant du traitement au chlo-
rate de potasse et à l'acide chlorhydriquc, au lieu d'employer l'hydrogène
sulfuré pour séparer le plomb, Gusserow a proposé de se servir de l'élec-
36G
PLOMB. RECHERCHIC TOXIf.OLOGIQLE.
trolyse qui l'isole à l'état métallique. Ou peut opérer au moyen d'un
dialyseur plongeant dans de l'eau acidulée à l'acide sulfurique. Deux lames
de platine servent d'électrodes, et la négative est immergée dans la solu-
tion plombique. Le courant est fourni par une pile de quatre éléments de
Grove. Le dépôt du plomb, sous l'orme d'enduit gris ou noirâtre, a lieu
lentement sur le pôle négatif, et c'est seulement au bout de douze à
quinze heures que l'opération est terminée.
Sans s'arrêter à discuter la question du plomb normal que les récents
travaux de Bai se et Chevallier semblent avoir tranchée dans le sens de la
négative, il est bien évident par ce qui précède que l'expert chimiste n'aura
guère à se préoccuper de la nature ni de la provenance du composé
ingéré, non plus que de l'intention criminelle ou non qui a présidé à
l'administration du toxique.
11 aura cependant à répondre fréquemment à diverses questions rela-
tives aux circonstances accidentelles qui peuvent avoir produit l'empoi-
sonnement. C'est pourquoi nous dirons quelques mots de l'examen d'une
eau, d'un vin ou d'un vernis, d'un papier plombifère, etc.
Eau. — On essaiera tout d'abord si cette eau, acidulée par l'acide ni-
trique, se colore de suite en présence de l'hydrogène sulfuré. Une pareille
eau est évidemment suspecte. S'il y a assez de métal pour fournir un
précipité de sulfure, on le recueille, et sa nature est facile à reconnaître.
L'essai quantitatif se fait en évaporant une dizaine de litres d'eau addi-
tionnés de 20 gouttes d'acide nitrique, de manière à rapprocher à
200 centimètres cubes. On transvase ensuite dans une petite capsule, ce
qui permet de dessécher la matière, qui brunit ordinairement par suite
de la présence de substances organiques. On les détruit par l'acide azotique
et l'azotate d'ammoniaque. Le résidu blanchâtre renferme le plomb à l'état
d'azotate ou de sulfate. On reprend par une petite quantité d'eau qui
entraîne l'azotate. Le résidu de sulfate, calciné avec de la soude, donnera
un globule métallique reconnaissable à sa malléabilité.
Vin. — Dans le vin on peut aussi parfois mettre le plomb directement
en évidence au moyen de l'hydrogène sulfuré. Mais on préfère ordinaire-
ment évaporer à siccité un volume connu de vin, détruire les matières
organiques et terminer l'essai comme précédemment.
Vernis. — Un vernis plombifère, traité par de l'eau acidulée au ving-
tième environ par l'acide acétique ou nitrique (le mieux est d'opérer au
bain-marie), donnera une solution qu'il suffit d'évaporer à sec pour que
le résidu fournisse toutes les réactions caractéristiques du plomb.
L'analyse d'une peinture à hase de céruse, d'une tenture colorée par le
plomb (minium, chromate, papiers glacés, moirés, etc.), n'olfrirait aucune
difficulté.
A. Gautier a publié une méthode pour déceler des traces de plomb
contenu par exemple dans des légumes de conserve. (Congres d'hy-
giène, 1878).
Quant au dosage, nous renvoyons à ce qui a été dit plus haut (p. 505).
PLOMBIÈRES.
567
Une des choses auxquelles on s'attachera principalement consiste à
obtenir une pièce à conviction aussi nette que possible. Le globule de
plomb malléable constitue évidemment l'une des meilleures; mais lu
chlorure cristallisé déposé par refroidissement ou encore le sulfure de
plomb peuvent encore remplir le même objet.
Devergie, Dicl. de méd. et de chir. prat. 1835, t. XIII, art. Plomb. — Plomb normal de l'Eoo-
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2* série, vol. IV, 1840, Arch. gén. de méd., 4» série, 1848, t. XVI, p. 512). — Chevallier,
(Alpb.) et Cotterf.au, Essais historiques sur les métaux que l'on rencontre dans les corps orga-
nisés, (Ami. d'hyg. publ. cl de médec, lég., 1849, t. XLII, p. 124). — Ohfila ;Louis),De l'éli-
mination des poisons, Paris, 1852. — Taylor, on Toisons in relation to med. Jurispr. Lon-
don 1859. — Bloxam, On the détection of poisons mctals hy electrolysis (Quart. Journ. of
the client. Soc. London april, 1800, n" 49). — Gusserow, Untarsuchungcu iiber Bleivcrgîf-
tung (Arch. fûr palhol. Analomie, Berlin, 1801, Band. XXI, p. 445). — Otto, Instruction
sur la recherche des poisons, traduit par Strobl, Paris 1872. — Rouciier, Rech. toxic. du
plomb dans un cas de suspic. d'empois, par les sels de ce métal (Ann. d'hyg. publique,
2e série, 1874. t. XLI, p. 161). — Elude sur la présence du plomb dans le syst. nerveux et de
la recherche de ce métal dans les cas d'empoisonnement (Ann. d'hyg. publ. et de méd. lég.,
1875, t. XLV.p. 141). — Bergeron (G.), et Luote, Empoisonnement par le plomb (Comptes
rendus de l'Acad. des se, 15 juin 1874) — Daremdekg, 29 juin 1874. — Tarmeu (Ambr.),
et Iloussi.v, Etude médico-légale et clinique sur l'empoisonnement, 2° édit. Paris, 1875. —
IIofjian.v, Médecine légale, traduit par Emiri. Levy avec comment, par Brouard< 1, 1880.
L. Prunier.
PLOMBIÈRES. — Plombières (Vosges), à 10 heures de Paris par
le chemin de fer de Mulhouse, à 4 heures de Nancy ; région nord-est de
la France; appartient au groupe vosgien riche en eaux minérales.
Plombières fut un bain gallo-romain important, si l'on en juge par les
restes des travaux de celte époque. Les Romains avaient détourné le cours
du torrent, bétonné la nappe d'eaux minérales, construit une immense
piscine et des étuves dont on a retrouvé les substruclions. Les vieilles
traditions, quelquefois interrompues, n'ont jamais été complètement
perdues, et l'histoire de cette station est assez riche en documents tels que
ceux fournis parFuchsius, J. Gonthier, médecin de François Ier, Dom Cal-
met, etc. Le roi Stanislas, et de nos jours, l'empereur Napoléon III ont
beaucoup contribué à la prospérité de cette contrée, si bien qu'aujour-
d'hui Plombières a oublié les incendies et les tremblements de terre qui
lui ont été autrefois si funestes. Peu de thermes en France ont été l'objet
d'aussi nombreux travaux dus aux médecins, aux géologues, aux ingé-
nieurs (Voy. plus bas les indications bibliographiques).
La situation actuelle de Plombières lui donne un rang très honorable
parmi les bains français. Il ne compte pas plus de 2000 baigneurs par
saison; mais la haute société n'en a jamais désappris le chemin.
L'Etat, propriétaire, en a donné la ferme à une compagnie.
T.68 PLOMBIERES. — CLIMAT. — GÉOLOGIE.
La ville, proprement bâtie, est resserrée par la configuration de la vallée.
La rue centrale, rue Stanislas, en suit le cours cl descend de l'église au bain
romain. Quelques chalets perchés sur les hauteurs ornent le paysage. Le
Parc est animé tous les jours par la musique; le Casino fournil les distrac-
tions du soir; les salons des hôtels lui font concurrence sous ce rapport.
La région des Vosges est assez connue des touristes pour qu'il soit inu-
tile d'insister sur les excursions nombreuses offertes aux hôtes de Plom-
bières. Qnatrc routes s'en détachent : celle d'Aillevilliers à l'ouest, celle
de Remiremont à l'est, celle d'Epinal vers le nord, de Luxeuil vers le
sud. Nous mentionnerons, entre autres buts de promenade, la fontaine
Stanislas perdue au milieu d'épaisses forêts, le val d'Ajol, Hérival, Pains
et Luxeuil, Remiremont et le lac de Gérardmer. Les chevaux et les voi-
tures ne font point défaut.
Climat — Plombières est à 450 m. au-dessus de la mer, 50 m. plus
élevé que Remiremont (mes mesures ne m'ont fourni que 50 m. de diffé-
rence en prenant le niveau des grands hôtels qui est au bas de la ville).
D'une fenêtre nord, si l'on pointe la lunette vers le clocher de l'église,
on voit que la direction de la vallée est N. E.-S.O. La ville est dans une
gorge profonde, comme Wildbad en Wurtemberg; c'est le sort des eaux
chaudes en général; cependant Luxeuil est plus ouvert. Cette situation a
le double inconvénient d'une forte chaleur les jours de grand soleil et
d'une certaine tristesse les jours de pluie. Si les journées sont chaudes,
les matinées et les soirées apportent de la fraîcheur et le contraste en est
quelquefois saisissant. La température varie également d'une façon tran-
chée, après un orage (de 50° c. à 15° par exemple.) Avis aux rhumatisants
qni doivent prendre des précautions. Pour jouir de l'air vif et pur de la
montagne, il suffit de gravir les pentes voisines en s'élevant de quelques
centaines de pieds.
Les observations météorologiques font défaut; les tables de Lhéritier,
relatives à la température, ont été construites dans un but de comparai-
son avec celle des sources et les résultats, chiffrés une seule fois par jour,
sont insuffisants. Quant au baromètre il est en général au variable, ce qui
s'explique par un assez grand nombre de jours pluvieux, même dans les
beaux mois. La moyenne des sources froides, 8-10° c. doit représenter la
moyenne annuelle de température, plus basse que celle du bassin pari-
sien où les hivers sont moins rudes et moins longs.
Géologie. — Les observations des géologues sont, au contraire,
nombreuses et précises. Consulter les cartes de Ilogard et de Rilly, 1848
et 49, très développées.
A l'ouest de la masse granitique des Vosges est un vaste plateau de
grès bigarré que l'on traverse en partant de Plombières pour aller à Rains
ou à Luxeuil. J'ai vu sur ces routes plusieurs carrières en exploitation.
Des vallées entaillées dans ce plateau courent parallèlement de N. B. à
S. 0., telles que la vallée de l'Augronne qui nous occupe, la vallée du
Concy avec le Raignerot pour affluent (sources de Rains), la vallée de la
Scmouse (source de la Chaudeau), la vallée du Rrcuchin (sources de
l'LOM MÈNES. — souhcbs.
369
Luxeuil.) 'foules ces vallées ont pour caractères communs d'être recli-
lignes, abruptes, avec pointemenls granitiques qui donnent naissance à
des eaux thermales. Des l'ailles, dans le même sens, coupent ensuite le
département de la Haute-Saône.
La vallée de l'Augronnc doit nous occuper spécialement; sur la route
de la fontaine Stanislas se voient des amas de rochers (en langue du pays
dits Meurgers), blocs de grès bigarré des hauteurs, et de poudingues
quartzeux durs représentant le grès vosgien. Le fond de la vallée laisse à
nu le granité porphyroïde qui se continue assez loin vers Aillcvillers,
tandis qu'en remontant vers Remiremont il y a du granité à grains fins.
Le granité porphyroïde offre de gros cristaux de feldspath rose et des
points noirs de hornblende.
Les sources émergent de ce granité sur une longueur d'environ 200
mètres : les plus chaudes, du thalweg; les tempérées, au-dessus. Elles sont
en rapport avec les filons de quartz, de spath fluor et de barytine coupant
le granité. Les sources savonneuses jaillissent des parois de ces filons. Les
sources actuelles contiennent encore des traces de fluorures, mais les
actions chimiques actuelles ne sont pas à comparer à celles d'une autre
époque géologique, dont on a pour témoins et les filons et les imprégna-
tions du terrain supérieur (grès vosgien et grès bigarré). Le régime des
eaux change par les grandes commotions du sol ; les tremblements de
terre peuvent nous le faire comprendre; celui de 1682 a rendu chaude
une source froide de Plombières. Daubrée ne s'est pas contenté de
vérifier, à Plombières, la théorie d'Élie de Beaumont sur les relations des
sources thermales avec les filons ; il a encore montré comment ces eaux
ont produit, au moyen de leurs silicates, des zéolithes dans le béton romain
(apopliyllite, chabasie, harmotôme) , faits comparables aux formations épigé-
nétiques des roches trappéennes. Ce travail de l'eau thermale, offrant une
date certaine puisqu'on connaît à peu près l'âge du béton, a fourni à la
géologie des faits nouveaux et pleins d'intérêt. Nous ne parlons que pour
mémoire des pyrites cuivreuses formées sur le robinet de bronze romain.
Souuces. — Les travaux de captage de l'ingénieur Jutier ont donné
iiux sources de Plombières une fixité qui en rend l'étude plus netle. Ces
travaux longs et difficiles, 1856-1861, et la belle disposition de l'aqueduc
du Thalweg ont dévoilé bien des mystères des eaux souterraines. Les
sources anciennes les plus chaudes ont été retrouvées; au moment de la
découverte, le robinet romain montait de 75 à 74°; il est descendu à 71
et 70; . en 1875, j'ai noté 72. On trouvera, dans le grand travail de
Jutier et Jules Lefort, de nombreux tableaux sur la température et le
débit des sources. 27 sources régulières donnent au delà de 700 mètres
cubes en 24 heures.
Si l'on jette un coup d'œil rapide sur les anciennes analyses de Nicolas
et Vauquelin, sur celles de 0. Henry et Lhériticr, 1855, de Lefort, 1860,
on voit que les diverses sources ne forment qu'un ensemble, au point de
vue chimique. Leur faible minéralisation est indiquée par la densité
épassant, de quclqeus dixièmes, celle de l'eau pure. Jules Lefort n'a pas
NOUV. D1CT. MÉD. ET CUIR. XXVIII 24
570
PLOMB1KIIES. SOU IIC ES.
trouve de réaction alcaline; j'ai vu la source des Dames bleuir légère-
ment le papier. La proportion de gaz est peu considérable avec prédomi-
nance d'azote, sans intérêt.
Les deux analyses modernes ne diffèrent qu'en un point. Ossian Henry
et Lliéritier considèrent les carbonates comme résultant de la transfor-
mation des silicates, pendant l'évaporation ; en conséquence , ils ne por-
tent pas de carbonates dans leur analyse hypothétique.
Les principaux éléments signalés par Lelort sont : silicates 0,10; sulfate
de soude 0,10; bicarbonates 0,05; avec des traces d'arsenic. Minéralisa-
tion totale 0,30. Il paraît qu'on a trouvé le même chiffre il y a 150 ans.
La matière onctueuse, dite savon minéral, serait du silicate d'alumine.
Les chimistes et les hydrologues ont été assez embarrassés pour classer
ces eaux : l'Annuaire en avait fait des bicarbonatées; à ce compte, il fau-
drait nommer ainsi toutes les eaux communes. Les auteurs du Diction-
naire ont dit sulfatées sodiques, non sans hésitation et sans réserves,
ayant le sentiment du peu de valeur des 10 centigrammes de sel de Glau-
ber. Lliéritier les intitule silicatées et arsénicales. Or, jusqu'ici personne
n'a démontré que 10 à 12 centigrammes de silicates alcalins soient de
quelque usage dans un litre d'eau minérale. Bains et Luxeuil pourraient
se présenter avec le même titre, et les eaux d'Auvergne renferment
souvent deux fois plus de silice. L'expérience de Lliéritier, qui dit
avoir obtenu des silicates en traitant par l'eau chaude le granit pulvérisé,
n'a pas un intérêt très-grand. Des échantillons de ce granité ne m'ont
donné que de la matière organique par l'eau distillée bouillante. Quant
à l'arsenic, il n'y en a que des traces et, comme bon nombre d'eaux ont
fourni des traces de ce métalloïde, je ne vois pas de raison particulière
de dénommer celles-ci arsénicales, pas plus que silicatées. Le résidu
fixe ne dépassant pas le tiers d'un gramme, elles sont moins minérali-
sées que beaucoup d'eaux potables et n'ont plus que leur tliermalité pour
les distinguer. En conséquence, elles appartiennent à la classe des eaux
thermales simples, vieille dénomination encore préférable à toutes les
autres. Hâtons-nous de dire que les eaux thermales simples donnent peut-
être aux médecins hydrologues les plus brillants résultats.
L'étude de l'administration des eaux va nous conduire à quelques
détails sur les sources les plus importantes. On les emploie en boisson, en
bains, en douches, étuves, etc., et il est juste de reconnaître que les
applications sont aussi bien faites que variées. On fait boire les sources
chaudes des Dames et du Crucifix, et la source froide ferrugineuse. La
buvette de la source des Dames est un peu trop primitive, sans abri en
temps de pluie. Sa température est assez stable, 51 à 52°C; c'est la plus
facile à digérer ; son débit, au robinet, m'a paru de 25 à 50 M.C. par
24 heures. — La buvette du Crucifix est sous des arcades qui abritent
suffisamment les malades. Sa température paraît moins fixe, 48-49
(Lliéritier), 43 (Jutier), 45 (Leclère). J'ai trouvé, au robinet, 46 en
1875 et 1877. J'ai estimé son débit à 12 ou 15 M. G. en 24 heures. Au
robinet voisin coule la source savonneuse, qui a varié de 2 degrés de
PLOMBIÈRES. — bains.
571
1875 à 1877, époques où j'ai mesuré. La source ferrugineuse ne coule
plus à côté.
Cette source ferrugineuse vient de la partie supérieure de la ville (pro-
menade des Dames) ; elle a de 11 à 12°, dépassant ainsi la moyenne du
lieu; elle renferme environ 1 1/2 centig. de bicarbonate de fer très-insta-
ble. On la boit à table dans des carafes. Elle n'a pas la valeur qu'on a
voulu lui attribuer.
Il est facile de s'apercevoir que le nombre des buveurs, à Plombières,
est fort restreint. Plusieurs d'entre eux envoient chercher l'eau et ne
paraissent point aux buvettes.
Bains. — Le bain est la médication principale ; il est facile d'en juger
par le nombre et la fréquentation des établissements : plusieurs sont d'an-
cienne date. Nous allons les suivre du baut en bas de la ville.
Bain des Dames. — Reconstruit avec 14 cabinets bien éclairés, petits.
Au-dessous est le bain des pauvres; deux petites piscines rondes, 54 à
55°C; quelques baignoires autour. L'hôpital, derrière l'église, logeant une
centaine de malades.
Bain Romain. — Sur l'emplacement des anciens thermes et de la
grande piscine ; sans apparence extérieure à cause de son enfoncement
dans le sol; à l'intérieur, architecture italienne de bon goût; 24 cabi-
nets n'ayant qu'un cube d'air de 12 mètres, un peu sombres, on a
l'usage de laisser la porte ouverte en se baignant. Bains de 54 à 58°C. La
source, très-abondante, approche de 60° C.
Bain tempère'. — Voûtes à plein cintre ; 4 piscines en marbre ,
rondes, occupant un carré de 6 mètres de côté ; température 55 à 55°;
52 baignoires aux deux étages.
Bain des Capucins. — Construction ancienne à caractère; piscine
divisée en deux sections, l'une à 57°, l'autre à 40°, où l'on ne fait que
passer. Là se trouve la fameuse source des Capucins, avec un siège pour
les dames qui en reçoivent les vapeurs. J'ai trouvé dans le trou 45°; mais,
au griffon, il y a au moins 50°.
Bain national. — 4 belles piscines en marbre des Vosges; 55 à 56°;
une quarantaine de cabinets trop petits. Source d'Enfer 50 à 60°. A côté
Bains des Princes; 2 grandes baignoires.
Bain Napoléon. — Beau monument ; les deux ailes pour l'hôtel écra-
sent un peu le centre. Vaste couloir ayant plus de 50 mètres de long;
escalier grandiose ; 52 cabinets contenant 60 baignoires, les cabinets
d'en bas avec un vestiaire. Ces cabinets, offrant un cube d'air de 20 à 25
mètres, sont les plus grands et les plus commodes. Sur 4 piscines on en a
supprimé 2. Le sous-sol et le second étage restent sans emploi. Hydro-
thérapie complète : douches tivoli, écossaises, ascendantes, etc., alimen-
tées par des sources froides. Les sources chaudes sont emmagasinées dans
un réservoir sur la colline voisine et dans la partie supérieure du bâti-
ment. Le refroidissement s'opère au moyen d'un serpentin qui traverse la
rivjère.
On compte en tout 160 cabinets de bains et près de 180 baignoires ;
oT2 PLOMBIÈRES. — effets des eaux, — ihdicatioms.
une douzaine de piscines, petites, mais bien établies. Presque toutes les
maisons ont des douches variées ; les douches ascendantes sont organi-
sées à souhait. Ajoutez à cela les anciennes étuves romaines rétablies pur
les soins de M. Jutier, avec masseur et masseuses, les étuves d'enfer, et
vous aurez une idée des ressources balnéaires de cette station intéres-
sante. Les étuves laissent encore à désirer; ce sont des vapeurs d'eau
chaude naturelle élevant de 40 à 45° la température du milieu. On con-
serve encore ici l'habitude des bains prolongés pendant 1 à 2 heures et
plus ; autrefois ils l'étaient davantage. Les maisons de bains restent
ouvertes de 5 heures du matin à 7 heures du soir.
Effets des eaux. — Ces eaux produisent sur l'organisme sain ou malade
des effets puissants, dûs au liquide lui-même, avant tout à la façon de
l'administrer.
Suivant quelques médecins, Liétard entre autres , la boisson aurait peu
d'importance ; manière de voir en désaccord avec la théorie de Lhérilier
sur l'arsenic, puisqu'il suppose à cet agent, même à l'état de traces, une
action altérante sur le système nerveux. Hutin a fait de nombreuses expé-
riences sur les effets du bain. Ses résultats sont conformes à ce qui a été
observé sur les bains froids, tempérés et chauds. J'ai constaté, sur moi-
même, le sentiment de bien-être éprouvé au sortir du bain et l'absence
de la fatigue ressentie après un bain d'eau commune de même chaleur.
La stimulation exagérée et l'agitation nerveuse sont dues, le plus sou-
vent, à des immersions trop longues, trop fréquentes, trop chaudes. La
direction du médecin est donc indispensable pour toutes ces nuances.
D'une manière générale, disons que le traitement est à la fois tonique et
sédatif, et qu'il relève les fonctions du tube intestinal avec une certaine
tendance à la constipation.
Indications. — Le rhumatisme, d'une part, les maladies du système
nerveux et du tube digestif de l'autre, représentent le fond de la clini-
que thermale en question.
Le travail de Lhéritier, sur le rhumatisme chronique, est appuyé d'une
cinquantaine d'observations variées. Me permettrai-je d'avancer que les
indications n'y sont pas assez nettes? Le mémoire de Leclère nous l'ait
entrer plus avant dans la médication thermale. Elle convient aux rhuma-
tismes subaigus ou chroniques musculaires, articulaires et surtout vis-
céraux, mais à la condition que la forme névropathique domine, qu'il y
ait plus de phénomènes douloureux que de lésions de tissu. Elle devient
un agent puissant pour l'apaisement des crises douloureuses, un véritable
sédatif. Les étuves et l'hydrothérapie froide sont des adjuvants précieux.
Le nom de bain des goutteux, donné aux Capucins, montre que ces der-
niers ont aussi quelque chose à gagner aux eaux de Plombières.
Les maladies du système nerveux se rencontrent en assez grand
nombre; des hystéries, quelques chorées, des névralgies rhumatismales
ou non, des paralysies de beaucoup d'espèces comme nous le montre le
mémoire étendu de Lhéritier. 11 est à remarquer, tout d'abord, que .les
succès sont relatifs à des affections d'origine rhumatismale; un cas de
PLOMBIÈRES. -
INDICATIONS.
guérison d'une anesthésie de la partie inférieure du corps, due au froid et
datant de deux ans, mérite de fixer notre attention. Deux cas de guérison
de paraplégie rhumatismale sont dus à Martinet. Dans les paralysies
dépendantes d'une lésion probable ou constatée, ces guérisons complètes
ne se montrent plus. Les hémiplégies disparaissant en quelques semaines,
lorsque le traitement thermal suit de près l'accident, soulèvent toujours la
question de l'influence attribuable à la marche naturelle des choses dans
les foyers apoplectiques. Les névralgies avec névrites demandent des mé-
nagements particuliers.
La réputation de Plombières est parfaitement établie dans les maladies
du système abdominal, non-seulement par les nombreux écrits des mé-
decins, mais aussi par le courant des anciens clients qui vont répandant
autour d'eux les vertus des sources bienfaisantes. Le fait est connu,
accepté, non discuté, mais les indications ne sont pas encore tracées avec
une netteté suffisante.
La gastralgie, qui est pourtant à la fois une maladie de l'estomac et une
névrose, double recommandation pour Plombières, nous offre un exemple
de cette hésitation. Dans une note sur ce point (Annales d'hydrologie,
t. XI), Lhéritier, qui trouve le travail de Liétard peu concluant, ne con-
clut pas lui-même. Je suis loin de blâmer l'esprit de réserve chez un
praticien qui a beaucoup vu et qui doute. Les médecins de Plombières ne
sont pas désarmés contre la gastralgie. La gastro-entéralgie douloureuse
leur a procuré de nombreux succès. La boisson vient ici en aide aux bains.
Consultera ce sujet le mémoire de Bottentuit sur les dyspepsies flatulentes
à forme douloureuse (Annales, t. XVI).
Les diarrhées chroniques, désignées sous le nom de catarrhes ou d'en-
térites, suivant leurs symptômes et en même temps suivant le système de
nomenclature, sont peut-être les maladies dominantes à Plombières ; j'ai
connu, pour ma part, un grand nombre de ces maladies que la thérapeu-
tique avait peu soulagés et qui étaient très-satisfaits de cette cure ther-
male. En présence de ces données, on s'étonne de trouver un mémoire
pu DrLeclère sur le traitement de la constipation (Annales d'hydrologie
t. XVI). Il prescrit l'eau des Dames en boisson à la dose de 1/2 verre à
2 verres; des bains tièdes de 32 à 54°; des douches tivoli sur l'abdomen,
des douches ascendantes, etc. Il pense, en agissant de cette façon, régler
l'innervation abdominale et en même temps, la défécation. Il est vrai
que la constipation, aussi bien que la diarrhée, ne sont pas toujours
des maladies, mais des états dépendant d'un équilibre instable de
l'innervation du grand sympathique.
Un certain nombre de dyspepsies stomacales ou intestinales avec irré-
gularité des fonctions, diarrhées, phénomènes douloureux névralgiques,
ont été signalées comme relevant du traitement de Plombières, lorsque le
rhumatisme ou la goutte en étaient le principe. C'est là un point délicat,
mais intéressant, de l'application de l'agent thermal.
Les maladies des femmes ne sont pas rares à Plombières; elles sont
intimement liées aux états névropathiuues; aussi les névroses utérines
PNEUMATOSE.
fournissent les meilleurs résultats. Les bains tempérés, suffisamment pro-
longés, agissent comme sédatifs. La sédalion s'exerce également sur l'étal
douloureux dépendant d'un catarrhe et même d'un engorgement. La
douche de vapeur des capucins, ayant pour résultat immédiat de conges-
tionner les organes génitaux, doit être prescrite et maniée avec prudence
bien qu'elle ne présente pas les mêmes dangers que le jet de la Buben-
quelle à Ems. Par ce bain de vapeur local il est possible de réveiller
l'inertie de la fonction menstruelle et de ramener les régies. Le Dr Bot-
tentuit m'a assuré qu'il avait constaté le t'ait de la congestion de l'u-
térus se traduisant par une augmentation notable de volume dans l'organe.
La même douche est un bon moyen de rappeler le flux hémorrhoïdal, s'il
y a nécessité de le faire. Je ne dis rien de la question de stérilité que les
médecins actuels comprennent dans son sens véritable.
Plombières est donc un bain de premier ordre par l'abondance de ses
eaux thermales, par ses vieilles traditions, par sa bonne installation.
C'est une eau thermale simple comme Néris, comme Wildbad, Teplitz ou
Ragatz. Elle participe à l'action commune des eaux de montagne à la
fois toniques et sédatives. Ces rapprochements nous conduisent à consi-
dérer les eaux à un point de vue plus large et plus philosophique, et à ne
pas tomber dans les petites théories chimiques qui veulent tout expliquer
par quelques centigrammes de silice, matière inerte par excellence, ou
par des traces d'arsenic. Il est un raisonnement bien simple à opposer à
ces théories; beaucoup d'eaux thermales ont les vertus de Plombières
sans renfermer d'arsenic et beaucoup d'autres renferment de l'arsenic
sans avoir les vertus de Plombières.
Lhéritier, Du rhumatisme et de son traitement par les eaux de Plombières, 1855. — Des para-
lysies et de leur traitement par les eaux de Plombières, 1854.
Henry, Lhéritier, Hydrologie de Plombières, 1855.
Dadbrée, Mémoire sur la relation des sources thermales de Plombières avec les filons métalli-
fères (Annales des mines, 1858, 5° série, t. XIII).
Verjom, Maladies chroniques des voies digestives. — Clinique de l'hôpital de Plombières, 1869.
Leclère, Des eaux de Plombières dans les maladies chroniques du tube digestif, 1869. — Du
rhumatisme et de ses manifestations diathétiques par les eaux de Plombières, 1875.
Bottentuit, Guide des baigneurs aux eaux de Plombières, 1875.
Jutier et Lefort, Étude sur les eaux de Plombières (Annales d'hydrologie, t. VII, 1860, et
tirage à part).
Labat.
PXEOMÈTRE. Voij. Respiration.
PWEUMATOSE. — Pris dans son acception la plus large, le terme
de pneumatose s'applique atout état morbide produit, par la présence de
gaz ou d'air atmosphérique, soit dans des parties qui, normalement, ne
doivent point en contenir, soit dans des cavités qui, à l'état physiologique,
n'en renferment qu'une quantité limitée. On devine aisément toute
l'étendue de cette classe de maladies, qui ne tendrait à rien moins qu'à
englober la pathologie entière, si réellement nous devions réserver li1
nom de maladies à ces troubles divers, qui résultent en effet de l'appa-
rition de gaz dans quelques points de l'économie, mais qui sont loin de
PNEUMATOSE.
575
présenter, et la même importance, et surtout la même gravité. Aux yeux
des auteurs du siècle dernier, un grand nombre de nos maladies trou-
vait sa cause dans ces fluides anormaux ou anormalement distribués. Les
ouvrages de « pneumato-pathologie», les traités «des maladies venteuses»
écrits sous l'inspiration de ces idées, en sont le meilleur vestige, St si
la médecine moderne a fait justice de ces exagérations, elles n'en ont
pas moins survécu en partie dans les croyances populaires.
Nous savons aujourd'hui que cette accumulation insolite de fluides
élastiques n"est jamais un fait spontané, mais dérive elle-même d'un
état morbide antérieur, ou d'une cause accidentelle. Ainsi envisagé, le
nom de pneumatose ne désigne plus qu'un symptôme, mais un symptôme
essentiellement variable quant à ses manifestations extérieures, et surtout
d'une importance très-diverse. Tantôt simple épiphénomène, pouvant
passer presque inaperçu, il domine ailleurs toute la scène morbide, au
point de constituer presque toute la maladie. Une description générale ne
peut donc être donnée, et nous sommes forcés de passer succinctement
en revue les pneumaloses des principaux appareils. Il va de soi que cet
aperçu devra être tout à fait sommaire : on trouvera dans les autres parties
de ce Dictionnaire, à l'article consacré spécialement à chaque organe,
une étude plus complète de quelques points de la question. (Voir les ar-
ticles Dyspepsie, Emphysème, Estomac, Intestins, Tympanite.)
Les pneumatoses peuvent être divisées en spontanées et traumatiques,
qu'on a encore appelées essentielles ou symptomatiques. Pour les pre-
mières, il s'agit presque toujours d'une véritable sécrétion ou exhalation
de gaz ; les autres trouvent leur explication habituelle dans la pénétration
de l'air atmosphérique à travers une plaie.
Cette variété d'origine, qui est vraie dans la grande majorité des faits, ne
saurait cependant être généralisée d'une façon absolue. Certaines pneu-
matoses qui s'observent après des traumatismes violents, peuvent exister
indépendamment de toute plaie. D'ailleurs, tout ce qui se rapporte au
mécanisme intime de la production des gaz, est encore entouré pour
certains cas d'une grande obscurité : il en est de même de la composition
chimique de ces gaz, sur la nature desquels nous sommes loin d'être
fixés.
Dans les pneumatoses traumatiques, c'est presque toujours de l'air
atmosphérique à peu près pur, que l'on a trouvé infiltré dans les tissus, à
moins que ces tissus n'aient subi eux-mêmes quelque altération. Dans les
pneumatoses spontanées, au contraire, l'air a subi quelques modifications,
l'oxygène a généralement diminué, l'azote et l'hydrogène peuvent être
augmentés, et l'on trouve des fluides nouveaux, tels que de l'acide car-
bonique, de l'hydrogène carboné, ou de l'hydrogène sulfuré, facilement
reconnaissable à son odeur.
Pneumatose de l'appareil cutané. — La présence de l'air dans le
tissu cellulaire sous-cutané, autrement dit l'emphysème traumatique, mé-
riterait de nous arrêter longuement, si cette question n'avait été l'objet
d'une étude approfondie dans un article précédent (Voir Emphysème). Ce
57G
I'NKUMATOSK.
que nous devons noter cependant, c'est que l'infiltration aérienne quj
suit un grand traumatisme, n'est pas toujours le résultat d'une eflraction
à la peau. Quel en est le mécanisme dans ces circonstances? Jusqu'ici on
a formule beaucoup d'hypothèses, mais une démonstration évidente reste
encore à donner. On a invoqué la perturbation nerveuse, la sidération
profonde de l'économie, la stupeur organique, etc., mais on est loin
d'avoir résolu le problème.
A côté de ces emphysèmes traumatises, en quelque sorte spontanés,
on peut ranger l'emphysème qui suit la pénétration de certains virus ou
venins, l'emphysème de la gangrène : ici l'interprétation du phénomène
ne saurait être douteuse, les altérations physiques et chimiques des tissus
en rendent suffisamment compte.
Pneumatose de l'appareil respiratoire. — Le rôle de l'appareil res-
piratoire où l'air extérieur est en rapport constant avec des tissus fine-
ment organisés, pouvait faire préjuger de la possibilité de certaines
lésions, liées à ce conflit incessant. Elles existent en effet, mais nous
n'avons à nous occuper ici que de celle, généralement connue depuis
Laënnec, sous le nom d'emphysème interlobulaire.
11 s'agit ici d'une véritable lésion traumatique : l'emphysème interlo-
bulaire succède toujours à une rupture des voies aériennes. Fréquent
surtout dans le jeune âge, il survient chez les enfants atteints de maladies
diverses des organes pulmonaires, pendant les quintes de toux violente ;
et même en dehors de tout état morbide des poumons et des bronches, par
suite des cris aigus, d'un accès de colère, d'une douleur vive, c'est-à-dire
dans des circonstances où de grands efforts sont produits.
L'air s'infiltre dans le tissu cellulaire intervésiculaire et sous-pleural,
et forme à la surface des poumons des saillies irrégulières, dont le vo-
lume varie depuis celui d'un grain de chènevis, jusqu'à celui d'une noix,
d'un œuf, et plus. En pressant ces saillies avec les doigts, on les déplace,
et l'on peut aisément les faire cheminer sous la plèvre. Le poumon ne
s'affaisse plus, il est crépitant. L'infiltration gazeuse suit les conduits
bronchiques, les gaines des vaisseaux, et après avoir gagné l'une et
l'autre médiastin. peut envahir le cou, la face, et de là s'étendre à une
grande partie du corps. Il ne s'agit plus alors d'un simple emphysème
interlobulaire, mais bien d'un véritable emphysème traumatique plus ou
moins généralisé et avec toutes ses conséquences.
L'emphysème limité au tissu cellulaire interlobulaire est assez difficile
à diagnostiquer. La voussure thoracique n'existe pas comme dans l'emphy-
sème vésiculaire, la sonorité peut ne pas être augmentée. Quant au râle
crépitant à grosses bulles, que Laënnec avait assigné à cette lésion, il
n'est autre que le râle sous-crépitant ordinaire, se liant à une bron-
chite concomitante. 11 en est de même du bruit de frottement, in-
diqué également par Laënnec, et qui est bien plus le résultat de
quelque fausses membranes pleurétiques, que celui de l'infiltration
i ntcrlohulaire.
Quand l'emphysème se propage à l'extérieur, il se révèle par les signes
PNEUMATOSE. 011
ordinaires de L'emphya'ème teaupatique : tuméfaction, crépitation, etc., sur
lesquels nous n'avons pas à insister.
L'emphysème, bien que borné au tissu cellulaire interlobulaire ,
peut être une complication grave et môme mortelle, si la lésion s'étend
à une grande partie du poumon. Une gêne croissante de la respiration
amène bientôt l'asphyxie. Ailleurs la mort peut être plus prompte, parfois
même subite. Dans ces conditions, eu égard surtout à l'incertitude du dia-
gnostic, on conçoit que l'intervention thérapeutique soit à peu près nulle.
On a longtemps admis une autre forme de pneumatose pulmonaire,
véritable exhalation gazeuse dans l'intérieur de la plèvre, que Laënncc,
Graves, et Stokes ont décrit sous le nom de pneumothorax essentiel.
Cette sécrétion gazeuse venant compliquer des pleurésies simples, en
dehors de toute altération de liquide, était toujours envisagée comme un
fait rare. Elle est niée aujourd'hui par les auteurs les plus compétents,
Béhier, Jaccoud, Proust, qui rapportent les observations citées, soit à des
pleurésies avec bruit skodique et souffle amphorique, soit à des pneu-
monies avec son tympanique.
Pneumatose de l'appareil digestif. — On peut se demander à quel
moment la présence de gaz dans le tube gastro-intestinal mérite réellement
le nom de pneumatose, car à l'état physiologique, l'estomac, comme l'in-
testin, renferme une certaine quantité de gaz, qui semblent nécessaires
et sont destinés à favoriser le cours des matières alimentaires. Ces gaz vien-
nent-ils à augmenter, le fonctionnement régulier de l'appareil digestif est
entravé, il y a tympanite. Sont-ils simplement dilatés ou retenus dans un
point du tube digestif, il y a pneumatose alors que la quantité n'en est
nullement augmentée.
Normalement, et alors qu'aucun élément pathologique n'entre enjeu,
on conçoit que la proportion des gaz du tube digestif doive varier dans
des limites assez étendues. La déglutition de la salive amène constamment
l'introduction d'une certaine quantité d'air dans l'estomac. D'autre part,
les métamorphoses chimiques des aliments s'accompagnent de produits
gazeux qui varient non-seulement d'après la nature des aliments, mais
encore d'après la qualité des sucs digestifs. Tout le monde sait que cer-
tains aliments, les farineux par exemple, prédisposent au développement
de gaz. Enfin la membrane muqueuse elle-même peut produire une véri-
table exhalation de gaz. On sait en effet que, si chez un animal vivant,
comme le fit Magendie, on tire par une pluie du ventre une anse intestinale,
et si, après l'avoir exactement vidée et l'avoir comprimée entre deux liga-
tures, on la replace dans l'abdomen, au bout de peu de temps on la
trouve de nouveau plus ou moins distendue par des gaz.
Toute perturbation dans les fonctions digestives peut s'accompagner
d'une augmentation dans la production des gaz. Une constipation opiniâtre
amène de la tympanite, non-seulement parce qu'elle met obstacle au
départ d'une certaine quantité de gaz, mais parce qu'elle favorise la dé-
composition des matières. La même chose arrive dans les cas d'ictère
chronique, quand la bile n'étant plus versée à la surface de l'intestin,
578
PNKÏJMATOSK.
les matières s'altèrent avant leur complète élaboration. Nous pourrions
nous appesantir longuement sur toutes les causes qui entrent ici en jeu,
ce serait sans intérêt. Qu'il nous suffise de dire que la pneumatose du tube
digestif peut être réalisée soit par une altération de son contenu soit
par une altération de l'organe, et que presque toujours ces deux causes
viennent se surajouter l'une à l'autre. Ainsi s'explique la pneumatose qui
complique certaines affections de l'estomac, et particulièrement ces
troubles fonctionnels, englobés sous le nom de dyspepsies; ainsi s'expli-
quent encore ces pneumatoses intestinales souvent énormes, qui accom-
pagnent certaines indigestions. Tout le monde connaît le météorisme des
bêtes à corne, qui suit dans certaines conditions l'ingestion trop abondante
de fourrages verts. Le même phénomène aurait été constaté pendant le
blocus de Gênes et de Mayence chez des soldats qui avaient avalé une
grande quantité de feuilles vertes.
Cependant il est des cas où la pneumatose ne saurait être attribuée à
aucune lésion du tube digestif. Celle que l'on observe dans le cours des
névroses, dans l'hypocondrie, et spécialement pendant les accès d'hystérie,
ou simplement à la suite d'une émotion morale un peu vive, reconnaît
évidemment une cause plus éloignée. Chez les femmes nerveuses, on voit
souvent un accès de colère, une frayeur un peu vive, être suivis au bout
d'un certain temps du rejet bruyant de gaz par la bouche. D'autre fois,
le ballonnnement du ventre, après s'être montré pour ainsi dire subite-
ment, disparaît presque aussitôt, sans que rien ne soit rejeté au dehors.
Il ne peut être question ici que d'une sécrétion presque instantanée, et
d'une résorption rapide par les mêmes voies. Or, si nous songeons à la
suractivité du système nerveux chez cette classe de malades, rien ne nous
répugne d'admettre ici une action vaso-motrice ; c'est elle qui commande
les urines nerveuses chez les hystériques, et nous croyons la comparaison
légitime pour ces deux ordres de sécrétions.
C'est aussi à une influence du système nerveux que nous croyons devoir
attribuer en grande partie la pneumatose des fièvres graves, et principa-
lement celle que l'on observe au début de la fièvre typhoïde. L'intestin
est à ce moment presque intact, et cependant le ballonnement est quel-
quefois plus prononcé qu'au moment où les lésions se seront produites.
Le tympanisme de la péritonite s'explique tout naturellement, si l'on
songe que les anses intestinales sont paralysées dans leur élément mus-
culaire, et se laissent distendre outre mesure.
La pneumatose du tube digestif peut être générale : elle est limitée
parfois soit à l'estomac, soit à certaines portions de l'intestin, et dans ce
cas on trouve les gaz spécialement accumulés dans le cœcum, les colons
ascendant et transverse, et l'S iliaque. Ils dilatent les organes dans les-
quels ils sont accumulés, et leur donnent parfois un volume monstrueux :
on a vu le colon aussi gros que la cuisse, et Hallcr a rencontré un cœcum
aussi volumineux que la tête d'un adulte.
La composition des gaz varie suivant les points où on les recueille. Dans
l'estomac, c'est de l'air atmosphérique renfermant seulement une plus
PNEUMATOSE.
579
forte proportion d'acide carbonique ; dans l'intestin grêle, c'est un mé-
lange d'azote, d'hydrogène et d'acide carbonique ; dans le gros intestin
on trouve encore de l'hydrogène sulfuré ou carboné ; il n'y a jamais
d'oxygène. La proportion d'acide carbonique augmente toujours à
mesure qu'on se rapproche du rectum.
Nous ne pouvons exposer ici la symptomatologie des diverses affections
qui se compliquent de pneumatose du tube digestif. Un mot cependant
sur ses conséquences immédiates. La première et la plus constante, c'est
le malaise qui résulte de la distension gazeuse : le malaise peut devenir
une véritable douleur, une colique, si les gaz deviennent trop abondants.
L'estomac trop distendu remplit l'hypocondre, soulève le cœur dont il
gène les mouvements et détermine ainsi des palpitations et une dyspnée
parfois considérable. Il y a de l'anxiété, des bâillements; l'épigastre est
tendu et sonore. Tous ces symptômes s'apaisent sitôt que des gaz sont
expulsés soit par la bouche, soit par l'anus.
La distension de l'intestin à un certain dégré amène la tympanite intes-
tinale. Le ventre acquiert un volume considérable. Il est dur, très-sonore
à la percussion, sensible au toucher. Des bruits se font entendre quand
des gaz se déplacent (borborygmes) et des douleurs extrêmement violentes
peuvent se déclarer (coliques venteuses). Pour peu que la distension gazeuse
acquière un certain volume, tous les organes abdominaux sont gênés dans
leur fonctionnement : l'estomac est comprimé, le diaphragme est refoulé,
il y a de la dyspnée et quelquefois des vomissements. La compression de
la vessie produit la dysurie et rend les excrétions de l'urine plus fréquentes.
Si la pneumatose est limitée au cœcum, ou n'occupe qu'une ou deux anses
intestinales, on voit se dessiner à travers les parois du ventre une tumeur
arrondie, sonore, élastique, sensible à la pression et plus ou moins mobile.
La durée de ces phénomènes est entièrement liée à la cause originellè,
et nous ne pouvons rien en dire sans entrer dans le détail des faits, ce
que ne comporte point cet article.
Le diagnostic du symptôme ne présente aucune difficulté : la sonorité
exagérée du ventre distingue suffisamment une pneumatose d'une ascite,
sans compter les autres signes. L'inspection, aidée de la palpation et delà
percussion, permet de déterminer quels sont les points des organes
digestifs où les gaz se sont spécialement accumulés ; et ce diagnostic
topographique a sa grande importance, au point de vue chirurgical sur-
tout, quand dans un cas d'étranglement ou d'occlusion intestinale, l'indi-
cation d'une opération vient à se présenter.
La valeur séméiologique des pneumatoses du tube digestif est considé-
rable, tant au point de vue des affections de l'organe lui-même, qu'à
celui des maladies générales, fièvres continues, etc. C'est la pneumatose
intestinale qui souvent, au début d'un état fébrile, permet de distinguer
une dothiénentérie d'un simple embarras gastrique. C'est le ballonnement
du ventre qui, chez une femme en couches, éveille les premières craintes,
et fait redouter une affection puerpérale. Nous n'avons pas besoin de
rappeler toute l'importance qu'acquiert le symptôme dans le cours d'une
r.so
IWKIJMATOSE.
obstruction intestinale, soit pour faire connaître lu nature du mal, soit
pour permettre d'en déterminer le siège précis.
L'indication thérapeutique se pose rarement en face du seul symptôme
pneumatose, à moins que celui-ci ne vienne à prédominer, comme dans
certaines formes de dyspepsies. Il comporte alors une médication com-
plexe et variée, qui a été exposée ailleurs (Voir Dyspepsies).
Pneumatose de 1} appareil circulatoire. — Les auteurs anciens jus-
qu'à Morgagni et plus récemment encore, frappés de certains laits qu'ils
avaient bien observés, mais mal interprétés, croyaient à la possibilité
d'un dégagement gazeux dans l'intérieur des vaisseaux et surtout dans le
cœur. L'observation semblait donner raison à leur manière de voir, car
dans un grand nombre d'autopsies, le cœur et particulièrement le ven-
tricule droit, renfermaient en effet des gaz et du sang écumeux. Les chi-
rurgiens connaissaient depuis longtemps les dangers d'une opération au
voisinage de gros troncs veineux, et avaient justement attribué la mort
subite qu'on peut observer en pareille circonstance, à l'introduction de
l'air dans les veines. La doctrine de l'embolie est venue confirmer leur
interprétation, et montrer le mécanisme intime de ces accidents. C'est en
effet à titre de corps étranger, d'embolus dans les vaisseaux pulmonaires,
que l'air devient pernicieux et non par ses propriétés particulières; et
c'est toujours à la pénétration de l'air extérieur qu'il faut attribuer la pré-
sence des fluides gazeux dans les voies circulatoires. Le dégagement spon-
tané de gaz ne saurait être admis, et c'est sans doute à une rupture pul-
monaire et à une absorption par cette voie qu'il faut attribuer ces faits où
l'existence de gaz aurait été constatée en dehors d'une plaie extérieure.
C'est toujours en effet à la suite d'hémoptysies considérables, que les faits
cités ont été observés.
Nous ne dirons rien de la présence de l'air dans le péricarde (pneumo-
péricarde). On n'en connaît aucun exemple authenlique, en dehors des
cas où l'air a pénétré pendant une ponction.
Pneumatose de l 'appareil génito-urinaire. — En raison de la longueur,
de l'obliquité et de l'étroitesse du canal de l'urèthre chez l'homme, la
pénétrationde l'air extérieur est impossible, en dehors du cathétérisme. Il
ne saurait être question non plus d'exhalation spontanée, et la sortie de
gaz par l'urèthre indique presque toujours une communication anormale
de la vessie avec un des organes abdominaux, ou une décomposition ra-
pide des urines.
Chez la femme, il arrive quelquefois que la cavité du col étant obstruée,
des portions de fœtus ou de délivre, ou bien encore des caillots sanguins,
retenus dans la matrice, viennent à subir la fermentation putride, et
déterminent une production de gaz qui distend considérablement l'utérus.
Cette affection, connue sous le nom de physométrie, ou tympanite utérine,
survient généralement peu après l'accouchement. L'utérus forme une tu-
meur volumineuse, élastique, sonore à la percussion : des -a/ fétides
s'échappent spontanément, ou bien leur expulsion peut être provoquée
artificiellement. Il s'agit ici d'une affection grave.
PNEUMONIE LOBAIRE A.IGUË. 381
Mais il existe dans la science quelques cas, plus rares que les précédent^
de physométrie essentielle, où les gaz semblent exhalés par les parois
utérines elles-mêmes, en dehors de toute lésion appréciable. C'est généra-
lement dans des utérus non l'écondés, chez des femmes hystériques, que
cette sécrétion a été observée. L'accroissement progressif de l'utérus, le
malaise et la pesanteur que la malade éprouve en même temps qu'elle
voit ses règles se supprimer, ont fait naître souvent l'idée d'une grossesse,
jusqu'au jour où le brusque départ d'une grande quantité de gaz inodores
vient subitement faire disparaître la tumeur utérine.
Voy. la bibliographie des articles : Dyspepsie, Emphysème, Estomac, In-
testin, Tympanite.
HlPPOLYTE HlRTZ.
PNEUMONIE L.OBAIRE AIGUË, pneumonie fibrineuse,
pneumonie croupale, pneumonite, peripneumonie, etc. — Les
deux dernières dénominations sont un peu tombées en désuétude; la
troisième (p. croupale) est vicieuse, non-seulement parce qu'elle peut,
à la rigueur, prêter à l'équivoque en faisant songer à une pneumonie
compliquant le croup, mais surtout parce que le processus anatomique,
ainsi que le remarque Virchow, est différent dans l'alvéole, siège de la
pneumonie fibrineuse, et sur les muqueuses atteintes de croup : sur ces
dernières, l'exsudat se complique d'altérations épilhéliales et n'est jamais
hémorrhagique, tandis que dans la pneumonie l'épithélium est intact et
l'exsudat toujours hémorrhagique au début. — Quant aux deux premières
dénominations, on a l'habitude de les employer indifféremment, bien
que l'exsudat pneumonique, ainsi qu'on le verra plus loin, ne soit pas
toujours franchement fibrineux. Pour cette raison, il y aurait avantage
à ne plus considérer ces deux mots connue synonymes : à désigner du
nom de pneumonie fibrineuse, seulement la pneumonie franche et à
nommer pneumonie lobaire toutes les pneumonies occupant un lobe ou
une partie notable d'un lobe. En d'autres termes, on réunirait sous celte
désignation générique de lobaire et l'espèce légitime (p. librineuse) et
les espèces un peu bâtardes de pneumonie qui ne ressortissent cepen-
dant ni à la broncho-pneumonie, ni à la pneumonie dite hyposta tique,
ni à la pneumonie consécutive aux embolies. Dans le cours de cet article
je me conformerai à la terminologie que je propose.
Sous la dénomination de péripneumonie, les anciens et les médecins mo-
dernes, antérieurs à Laennec, confondaient beaucoup de maladies aiguës
des organes thoraciques. L'auteur du Traité de l' auscultation conserva
ce mot respectable, puisqu'il date du temps d'IIippocrate ; mais il l'ap-
pliqua strictement à l'inflammation aiguë du poumon, caractérisée sur le
cadavre par l'un des trois états qu'il apprit à bien distinguer : engouement,
hépatisation rouge, bépatisation grise; — et sur le vivant, par certains
signes sthétoscopiques qu'il eut la gloire de découvrir. Sa description,. tant
anatomique que clinique, est faite de main de maître; le temps l'a respectée,
et ses successeur? immédiats, qui, grâce à uu labeur immense guidé par
382 PNEUMONIE LOBAIUE AHUIÉ. — A NATu M 110 PATHOLOGIQUE.
une méthode d'observation rigoureuse, ont jeté tant d'éclat sur la méde-
cine française, n'y ont rien ajouté d'essentiel.
Les seules modilications considérables qu'on y ait apportées ontconsisté
à disjoindre la pneumonie hypostatique et la broncho-pneumonie de la
pneumonie; l'histoire de ces découvertes, auxquelles les noms de l'uni y
et des médecins de l'hôpital des Enfants doivent rester attachés, sera
exposée par Balzer dans l'article suivant.
Plus tard. Virchow, par sa découverte de l'embolie, a fait connaître une
nouvelle espèce de pneumonie.
Nous devons à Wundcrlich et à son élève Thomas l'étude précise, à
l'aide du thermomètre, de la marche cyclique de la fièvre, dans la pneu-
monie.
Mais ces progrès, malgré leur importance, n'ont pas entamé l'œuvre
de Laennec. La base anatomique sur laquelle elle repose demeure intacte;
, et à lire les traités actuels de pathologie, il ne semble pas qu'elle doive
être de sitôt modifiée. Ses inconvénients cependant ne peuvent être com-
plètement passés sous silence. Quelle ressemblance y a-t-il (si ce n'est
peut-être à un point de vue macroscopique grossier) entre la pneumonie
primitive et certaines pneumonies secondaires? Réunir des types aussi
divers sous la même étiquette, en constituer une espèce unique, n'est-ce
pas subir, sans grand profit et en pure perte pour la clinique, le joug
d'une anatomie qui n'est pas encore sûre d'elle-même et dont les notions
imparfaites ne sont rien moins que définitives ?
J'en suis, pour ma part, si convaincu, que si j'étais libre de restreindre
à mon gré mon cadre, je ne m'occuperais ici que de la pneumonie
fibrineuse, c'est-à-dire de Vespèce légitime seule, mais je crois qu'il ne
m'appartient d'innover qu'avec réserve dans un article de dictionnaire.
Je dois traiter et traiterai donc de la pneumonie lobaire aiguë, telle que
l'anatomie pathologique s'est cru en état de la délimiter. J'essaierai seu-
lement de montrer que ce qu'elle englobe n'est pas un tout bien homo-
gène et peut déjà être subdivisé en espèces distinctes.
Même en me bornant aux modernes, un historique exigerait des déve-
loppements assez étendus. Je crois devoir m'en abstenir, et j'y supplée
par la distribution méthodique des indications bibliographiques placées
à la fin de cet article.
Voici l'ordre que je suivrai dans mon exposition : je commencerai par
l'anatomie pathologique, puisque c'est sur des caractères anatomiques
qu'est fondé le genre pneumonie lobaire; puis, j'étudierai successive-
ment Yétiologie, la marche générale, la symptomatologic spéciale, les
anomalies que la marche et les symptômes peuvent présenter, les dif-
férentes espèces de pneumonie lobaire, la nature de l'espèce légitime,
les complications, le diagnostic, le pronostic et le traitement.
Anatomie pathologique. — La lésion que nous appelons pneu-
monie lobaire peut se rencontrer sur le cadavre sous trois aspects diffé-
rents bien décrits pour la première fois par Laennec.
i"' degré {engouement de Laennec). A ce degré, l'infiammation n'est
PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — anatomie pathologique.
383
pas nettement caractérisée, eu égard au moins à nos moyens d'investiga-
tion. La surface du poumon est de couleur violacée, livide, l'organe est
plus pesant : sous la pression du doigt, il crépite à peine et conserve
l'impression comme une partie œdématiée. A la section, il s'écoule un
liquide rougeàtre, trouble et spumeux. Le tissu pulmonaire, de couleur
violacée, n'est pas modifié en apparence dans sa texture; mais il est plus
friable qu'à l'état normal. Sur une coupe mince, on constate, à l'aide du
microscope, que les capillaires des alvéoles et des bronchioles sont énor-
mément dilatés, et que les alvéoles sont en partie remplis par des glo-
bules rouges et par de grosses cellules renfermant de un à trois noyaux
volumineux. Ces cellules sont évidemment des cellules endothélialcs mo-
difiées; on en voit quelques-unes adhérer encore à la paroi à côté de cel-
lules endothéliales intactes. Cette altération n'est d'ailleurs pas caracté-
ristique du processus inflammatoire : ainsi que Friedlànder l'a bien indi-
qué, on la rencontre dans diverses conditions qui n'ont rien à voir avec
lui, notamment dans l'œdème du poumon.
2e degré (hépatisalion rouge). — La portion de poumon atteinte d'hé-
patisation ne présente pas la moindre
crépitation sous le doigt qui la presse ;
elle acquiert une certaine ressemblance
avec la limite du foie quant à la cou-
leur et surtout sous le rapport de la
consistance. Elle n'est plus susceptible
' d'être insufflée, et une parcelle du tissu
malade, déposée à la surface de l'eau,
se précipite au fond du vase. Ces carac-
tères macroscopiques distinguent cet
état de la congestion ; mais ils ne suffi-
x'aient pas pour différencier la pneumo-
nie vraie de la broncho-pneumonie; il
faut y ajouter l'homogénéité de l'appa-
rence de la section sur une grande
surface (Charcot) et surtout l'aspect granuleux. Cet aspect granuleux se
distingue bien à contre-jour ; on le rend encore plus apparent quand,
après avoir incisé superliciellement une portion hépatisée, on achève
de la diviser par déchirure. Il est dû au relief formé par les infundibula
remplis de fibrine, formant des grains bosselés de un millimètre environ
de diamètre chez l'adulte, beaucoup plus petits chez l'enfant. En raclant la
surface de section, on recueille un bon nombre de ces grains bosselés, et
il est facile, en les examinant à la loupe, de constater que chacun repré-
sente exactement le moule d'un infundibulum avec ses alvéoles (fig. 25).
Les bosselures correspondent aux alvéoles. Ce sont elles qui constituent
ce qu'on appelle les granulations de la pneumonie. D'après les mensu-
rations de Damaschino, elles ont : chez l'adulte, de O""",^ à 0mm, 17 ;
chez le vieillard, elles atteignent de 0^,11 à 0mœ,27, et chez l'enfant,
seulement de 0mm,7 à QT,il.
Fig. 2o. — Moules fibrineui des infundibula
obtenus en raclant la surface de section du
poumon atteint d'Iiépatisation rouge. Les
bosselures correspondent aux cavités al-
véolaires. Grossissement: 50. (Kiudilciseh)
384 PNEUMONIE LGBMRE AIGUË. - asatomie pathologique.
Sur une section line, à un Tort grossissement, on reconnaît que les
alvéoles sont remplis par un exsudât librineux sous forme de fibrille,
retenant dans leurs mail-
les des globules rouges,
des globules blancs en
beaucoup plus grand
nombre, et souvent quel-
ques cellules plus gran-
des, bien figurées dans
le Manuel de Corn il et
Ranvier, et qui sont des
cellules d'endotbélium
altérées, plus ou inoins
identiques avec celles
que j'ai signalées au pre-
mier stade. A cause de
cela , leur desquanimaliun
Fig. 2G. — Section fine d'une hepatisation rouge. ne peut être attribuée à
a, cloisons alvéolaires dont les vaisseaux capillaires sont injectés; l'pY«iiHnf inn (ilirinmicn
b, exsudât librineux englobant dans ses inailles, des globules 1 exsuclall0n "UnneUsC.
rouges et blancs du sang. Grossissement : 300. (Rindficisch) Actuellement la plu-
part des bistologisles
sont d'accord pour refuser à cet endothélium toute participation active
à l'inflammation fibrineuse. liubl
a autrefois vu des globules blancs
dans une cellule endothéliale ( Virck.
Arch. Bd. XVI, p. 1(58) et en avait
conclu que ces globules y avaient
pris naissance ; mais celte conclu-
sion n'est pas forcée, attendu que
des globules blancs après leur sor-
tie des vaisseaux , peuvent avoir
pénétré par effraction dans la cel-
lule. Ce qui confirme cette inter-
prétation, c'est que l'on trouve
parfois non des globules blancs,
mais des globules rouges dans
l' endothélium; or, il est contraire
à toutes nos idées que ceux-ci
puissent naître par formation en-
dogène.
F.o. 27. - Section fine dans un cas d'hèpatisation à De 1710,110 <iUe l'cudothélilim, les ;
une période plus avancée. On remarque la des- travées alvéolaires SOIlt intactes dans
ipiainmation partielle de la paroi alvéolaire. Gros- i • />i • i
sissement : 300. (Rindlleiscb) la pUCUmOUlC hbl'llieUSe, OU du
moins on ne voit que quelques
globules blancs dans les fentes lymphatiques.
5e degré [hépaUsation grisé). Atteint d'hèpatisation grise, le poumon
PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — variétks anatomiques. .185
«si moins consistant que dans l'état d'hépatisation rouge. Sur la surface
de section, qui laisse suinter un liquide purulent, il présente un aspect
marbré qui tient à ce que dans certaines portions du lobe le processus
«st plus avancé que dans d'autres. Il y a des degrés de transition entre
l'Iiépatisation rouge et l'Iiépatisation grise ; le plus souvent ils présentent
une coloration jaune, ce qui fait que certains analomistes (notamment
Rindfleiscb) ont décrit l'Iiépatisation jaune au même titre que la rouge et
la grise. En plusieurs points la surface de section a franebement l'aspect
purulent, et le tissu peut être si friable qu'il suffit de la pression avec le
doigt pour y produire une petite cavité irrégulière qu'un observateur non
prévenu prendrait pour la cavité préexistante d'un abcès; parfois la coupe
a un aspect gris plutôt que purulent, cela dépend de : l'abondance plus
ou moins grande du pigment pulmonaire, qui varie, comme on sait, avec
l'âge des individus.
A l'examen histologique d'une coupe mince, on'constate qu'à la place
du réseau fibrineux inter-alvéolaire il n'y a plus que des globules blancs
plus ou moins serrés les uns contre les autres, suivant l'abondance de
la matière amorphe granuleuse interposée. On y voit aussi des grandes
cellules pleines de granulations graisseuses et de pigment noir. Les vais-
seaux de la paroi ne sont plus dilatés.
D'où proviennent ces globules blancs? D'après la théorie de Cohnheim,
ils sont sortis des vaisseaux, comme la fibrine exsudée, dans le stade
précédent et comme les globules rouges et blancs (ces derniers en beau-
coup moindre abondance) qui se trouvent dans l'alvéole au stade de
l'Iiépatisation rouge. Tout le monde est à peu près d'accord à cet égard.
Cependant tout récemment le professeur Buhl (MUtheilungen aus dem
path. Inslitule zu Miïnchen 1878) a soutenu encore que les globules
blancs dans l'Iiépatisation grise, comme dans les autres cas pathologi-
ques, peuvent provenir non -seulement du sang, par le [mécanisme que
Cohnheim a fait connaître mais aussi de la lymphe et des cellules du
tissu conjonctif.
11 résulte des analyses chimiques déjà anciennes de Natalis Guillot qu'à
cettejpériode, ainsi qu'on pouvait s'y attendre, le parenchyme pulmo-
naire renferme beaucoup de graisse (dix fois plus qu'à l'état normal).
Variétés anatomiques. — Les lésions que je viens de décrire sont
celles qui s'observent le plus ordinairement; mais il y a des cas, assez
nombreux, où les lésions des 2e et 5e degrés présentent quelques particu-
larités dignes d'intérêt parce qu'elles commandent jusqu'à un certain
point la symptomatologie. Le professeur Schùlzcnberger est, à ma connais-
• sance, celui qui a le plus insisté sur ces variétés anatomiques et sur leur
' corrélation avec la clinique.
1° Variété héinorrhagique (hématoïde de Schùtzeuberger). Le pou-
i mon est rouge à la coupe qui peut être grenue comme dans la variété eom-
i munc ; seulement les alvéoles, au lieu de. renfermer de petites masses de
I fibrine, contiennent un petit caillot formé par des globules rouges pressés
I les uns contre les autres sans interposition de fibrine visible. Ces cas con-
NOUV. DICT. M ÉD. ET CHIR. XXVIII — 25
58G IWil .MOMK LOI! A ME AIGUË» —
stitucnt une smto d'intermédiaire outre l'inflammation et la conges-
tion.
2° Variété séreuse (Schùlzcnberger). Même pauvreté en fibrine ; seu-
lement c'est de la sérosité qui remplit l'alvéole, et non du sang : c'est
l'intermédiaire entre l'œdème et l'inflammation du poumon. Je n'ai pas
eu personnellement l'occasion d'observer de ces cas qui doivent être beau-
coup plus communs à Strasbourg qu'à Paris ou qu'à Lyon.
5° Variété avec moules fibrineux des bronches (fibrineuse de Schiit-
zenberger, épithète qui ne me paraît pas suffisamment désigner cette va-
riété puisqu'on l'applique à toute l'espèce ; au degré extrême, elle constitue
la pneumonie massive de Grancher). Cette variété fort intéressante au
point de vue anatomique et clinique a été, paraît-il, entrevue depuis long-
temps; mais dans la plupart des cas anciens, il y a doute sur la question
de savoir s'il s'agit d'une pneumonie ou d'une bronebite fibrineuse. Cette
incertitude n'existe pas pour une observation de Morgagni (édition de
Destouet et Desormeaux, t. 111, p. 416), relative à un bouclier âgé de
78 ans, atteint manifestement de pneumonie et dont les crachats « pré-
sentaient de petites parties blancbes comme polypeuscs » ; malheureuse-
ment, il n'est pas question de l'état des bronches dans la relation de
l'autopsie. Dans l'épicrise (p. 422), Morgagni donne l'indication de plu-
sieurs cas du même genre, mais également sans renseignements anato-
miques.
Pour arriver aux modernes, Puchelt a vu de grosses bronches du
volume du doigt dans un cas de pneumonie, remplies par un cylindre
fibrineux solide ; Lobstein a trouvé la même lésion chez des enfants;
Reynaud, Nonnt (épidémie de grippe de 1857), l'ont aussi signalée.
Remak l'a rencontrée (mais en petit), à la clinique de Schônlcin en 181')
ainsi que plus tard Gubler (1868). Rokitansky et Wyts (London med.
Gazette, 1847) ont noté la présence de cylindres, pleins dans les petites
bronches, et creux dans les grosses. Les auteurs anglais citent aussi
Peacock, mais sans fournir d'indication exacte. J'ai trouvé dans le sixième
volume des Transactions de la Société pathologique de Londres, plu-
sieurs cas de ce genre; les quatre premiers (p. 59) sont rapportés par le
docteur Bristowe : il s'agit dans le premier d'une femme de 35 ans
admise à Saint-Thomas, pas d'observation clinique ; dans le second, il
s'agit d'un homme de 28 ans; le troisième, d'un homme de 55 ans;
dans le quatrième, d'un sujet de 2!) ans; le cinquième appartient au
docteur Wilks, il s'agit d'un maçon de 47 ans : le poumon droit offrait une
matité absolue et on n'y entendait aucun bruit pathologique ni respira-
toire. À l'autopsie, ce poumon est trouvé en état d'hépatisation grise et
les bronches entièrement remplies d'une concrétion solide qui peut être
suivie jusque dans les petites divisions et au delà desquelles elle se conti-
nuait sans doute dans les cellules aériennes (p. 68).
Bien qu'elle ait pour titre de la Bronchite fibrineuse, la thèse de Wied-
mann (Strasbourg 1854) traite en partie de la pneumonie fibrineuse et
renferme une bonne planche, relative à un cas du service de Sclnilzcn-
PNEUMONIE LOBAfRÈ AIGUË. — vametés anatomiqoes. 587
berger, avec examen par Kùss. Je dois encore citer la thèse de Cadiot
inspirée également par Schulzenberger, bien qu'elle ait été soutenue
à Paris, et la thèse de Renou (Paris, 1872) qui rapporte quelques obser-
vations.
Tout récemment, l'attention a été appelée de nouveau sur cette question
par une belle observation de mon collègue, Grancher, qui, au cinquième
jour d'une pneumonie ayant présenté des symptômes particuliers sur
lesquels j'aurai à revenir, a trouvé les bronches remplies jusqu'au hile,
d'un moule fibrineux, de couleur jaune sucre d'orge, élastique et fibril-
laire se détachant des bronches avec la plus grande facilité et non mêlée
de stries de sang. Sa surface, au niveau des grosses bronches, garde l'em-
preiute des plis longitudinaux dus aux fibres élastiques de la muqueuse
bronchique qui a conservé son état lisse, et sauf une petite injection,
paraît normale. Ce moule fibrineux solide ne ressemble donc en rien aux
pseudo-membranes de la bronchite pseudo-membraneuse. C'est que
celles-ci sont constituées par du mucus concret, formant des productions
lubuleuses et feuilletées englobant de petits blocs de mucus produit de
sécrétion des glandes bronchiques, et aux fausses membranes de la diph-
thérie sous-fibrino-épithéliale, celle des formes de fibrine à lobe fibril-
laire ou plutôt granuleux contenant des globules blancs et des globules
rouges de sang avec des cellules épithéliales gonflées. Dans le cas de
i moule fibrineux pneumonique, l'épithélium de la muqueuse bronchique
est intact : de cela suit qu'on a pu y reconnaître les cils vibratiles (Kuss).
IDans le cas de Grancher, la fibrine était de couleur jaune, mais lorsque
Ile malade succombe plus tôt on peut trouver les moules de couleur blan-
cche, ressemblant à du vermicelle cuit. Une coupe transversale d'un gros
cylindre offre quelquefois des couches concentriques ou bien il ressemble
iià de la moelle de sureau, s'il est creusé de petites cavités pleines d'air.
(On dit avoir trouvé parfois la partie centrale rougeàtrc par suite de la
| présence des globules rouges du sang.
D'après Schutzenberger, dans cette variété le sang serait toujours
rremarquablement couenneux ; parfois il a rencontré en même temps des
^coagulations fibrineuscs dans l'artère pulmonaire. Les auteurs que je
wiens de citer sont muets sur cette coexistence, j'ai moi-même observé
Ides caillots multiples dans les petites veines pulmonaires ; l'observa-
tion en a été publiée à la Société analoinlque par Golay, alors mon
unterne; dans ce cas, il n'y avait pas de moule fibrineux dans les bron-
bhes.
4° Variété purulente d'emblée. J'ai pu, grâce à la bienveillance du
professeur Ranvier, examiner une préparation histologique de cette variété,
fort rare dans les conditions ordinaires, mais dont il a rencontré quelques
Jas pendant le siège de Paris. Dans celui qu'il m'a montré, la mort avait
'h lieu au troisième jour de la maladie ; les alvéoles ne renfermaient que
•eu ou pas de fibrine, et étaient exclusivement remplies de globules de
ms. La distribution de la lésion était lobairc, et les bronches étaient
naines.
388 PNEUMONIE LOBA1RE AIGUË. — localisation des LÉSIOHS.
5° Variété plane. Par celte épithète, je n'entends pas dire seulement que
la surface des sections n'est pas granuleuse ; je désigne par ce mot la variété
qui établit une transition entre la pneumonie lobaire et la pneumonie
iobulairc. Je ne fais d'ailleurs que la signaler ici, dans La pensée qu'elle
sera étudiée complètement par mon collaborateur lialzer qui, ayant
fait une étude approfondie de là broncho-pneumonie a dù en rencontrer
quelques cas. Celui qu'il a publié l'an dernier dans la Gazette médicale
avec Cadet de Gassicourt ne me parait pas rentrer dans ce groupe,
parce que dans un des poumons malades les lésions étaient réellement
celles de la broncho-pneumonie. Mais il est des cas véritablement mixtes
et il est à noter que ce sont les médecins d'enfants qui les ont particu-
lièrement signalés. Le professeur Thomas, dans son remarquable article de
l'encyclopédie de Gerhardt, le docteur Raulenberg insistent tous deux sur
ce fait que souvent la pneumonie Gbrineuse chez l'enfant n'est pas aussi
franche que chez l'adulte, de sorte qu'il est beaucoup de cas où l'examen
microscopique laisse en suspens. Chez les sujets cachectiques, on observe
aussi fort souvent une pneumonie plane, bilatérale, confinant à la pneu-
monie hypostatique et il ne faut pas s'imaginer que l'examen histologique
sera capable, dans tous les cas, de lever les doutes. Mais ce n'est pas seu-
lement avec la broncho-pneumonie et avec la pneumonie hypostatique
qu'il y a des degrés de transition. Voici, par exemple, un cas bien observé
histologiquement et qu'il n'est pas facile de classer : chez un sujet mort
dans le service du professeur Lœbcl, dont la maladie, au point de vue cli-
nique, avait paru ne s'écarter en rien du type ordinaire de la pneumonie
hanche, Ilcitler trouva à l'autopsie une hépatisation grise, présentant
au point de vue histologique cette particularité que le nombre des
globules de pus était relativement très peu considérable et que les
alvéoles étaient presque remplis de cellules provenant évidemment de
l'endothélium alvéolaire , anguleuses ou arrondies et renfermant
deux à trois noyaux. L'abondance des éléments aurait justifié le nom
de pneumonie desquamative si celte dénomination n'était réservée à un
autre processus plus chronique, qui aboutit, comme on sait, à la caséifi-
cation.
Je pourrais multiplier ces exemples; mais je m'arrête en faisant obser-
ver que l'anatomie pathologique, notre, seule base dans l'étude de la
pneumonie, n'est pas en état de nous dire nettement où elle commence et
où elle finit : ce qui fait d'autant plus regretter que le caractère analomi-
que soit notre seul guide.
Localisation des lésions. — Le plus souvent on trouve un lobe pres-
qu'entier hépatisé; plusieurs Ibis l'hépatisation envahit un poumon dans
ta plus grande partie de son étendue, toutes les statistiques s'accordent
sur la fréquence de l'hépatisation adroite. On a, par exemple, à cet égard,
les résultats de la grande statistique que vient de publier le docteur Aloïs
Biacb et qui porto sur plus de 10,000 pneumonies observées dans les trois
hôpitaux de Vienne de 180(1 à 1870 : sur 100 pneumonies, le poumon
droit seul est pris 49 à 50 fois; le gauche seul 54 ou 55 fois; les deux
PNEUMONIE LOBA1RE AIGUË. — lésion^ coscomitaktks. 389
ensemble 14 ou 15 l'ois ; dans quelques statistiques moins considérables
le chiffre des pneumonies doubles est plus élevé encore ; chez l'enfant,
elles seraient, au contraire, moins fréquentes (d'après la statistique de
Zienssen). Quant à la prédilection qu'elle manifeste pour les différents
lobes, voici les résultats d'une statistique des hôpitaux de Vienne, portant
sur 6,660 cas, je l'emprunte à Jurgcnsen :
Lolie supérieur 12,15
,. - -, \ — m»yen ...
Poumon dro,t _ .^J» 22. 1 1
JJ' 7 °° / — supérieur et moyen 2,05
» — inférieur et moyvn 5,04
l Le poumon en entier ty55
Poumon gauche Lobe supél,ie,ir m
38, 2o V, | _ iptètwt 22,75
— moyen 8,54
Les deux lobes supérieurs 1,09
l7 — inférieurs 5,34
/ Lobes supérieur droit et inférieur g.iucliocl vice versa 1,09
Eic >| .......... 2,55
Les deux poumons
Laennec a nié qu'un poumon hépatisé même en entier lut plus volu-
mineux qu'à l'état normal. — Celle assertion a été justement contestée.
Uu poumon hépatisé est certainement plus volumineux; il est surtout
beaucoup plus lourd : cette augmentation de poids tient pour une petite
part à la congestion et pour la plus grande au poids de l'exsudat, qui esl
parfois énorme. Grisolle dit avoir observé un poumon pesant 2,500 gram-
mes; j'ai vu moi-même, dans un cas de pneumonie double chez une
vieille femme, l'un des poumons peser 1,700 grammes et l'autre plus
de 500, chiffres considérables, si l'on tient compte du poids normal
des deux poumons chez le vieillard.
Dans le cas de pneumonie unilatérale la différence de poids des deux
poumons nous fournit approximativement une donnée importante, le
poids de l'exsudat, en tenant compte du fait qu'à l'état physiologique le
poumon droit pèse de 60 à 90 grammes de plus que le poumon gauche.
Dans le cas de pneumonie gauche, il faut donc augmenter la différence
et la diminuer dans le cas de pneumonie droite. Je sais bien qu'on peut
objecter que le poumon hépatisé renferme plus de sang, mais Ham-
burger remarque avec raison que d'autre part le poumon du côté opposé
non hépatisé, est souvent le siège d'une fluxion collatérale et d'oedème,
qui augmente aussi son poids. On peut donc, je crois, ne pas s'arrêter à
cette objection et apprécier le poids de l'exsudat, comme je viens de le
dire, par la différence de poids des deux poumons.
Cela étant, il résulte des recherches que j'ai autrefois publiées et de
celles toutes récentes de Hamburger à la clinique du professeur
Kussmaul, que le poids de l'exsudat a toujours été trouvé à l'autopsie
supérieur à 400 grammes (sauf chez les sujets très âgés), qu'il peut
dépasser 1,000 à 1,200 grammes, et que la moyenne est supérieure à
600 grammes.
Lésions concomitantes. — La coexistence d'un certain degré de
590 PNEUMONIE LOHAIUE A1GUE. — lésions concomitante.
pleurésie, correspondant à l'étendue du la portion hépatisée est la règle:
« La plèvre viscérale, disent Cornil et Ranvier, est recouverte d'une
mince couche pseudo-membraneuse, peu adhérente, qui donne à cette
membrane un aspect chagriné et tomenteux. Celle membrane est com-
posée de cellules de pus, de grandes cellules endothéliales plates ou tu-
méfiées et proliférées et de fibrine disposée en réseau ; les fausses mem-
branes se vasculariscnt très rapidement, et lorsqu'on les examine après
les avoir laissées macérer dans le liquide deMùller, on y voit un réseau
vasculaire compliqué. Très rarement on observe un épanchement liquide
notable dans la plèvre; le peu d'épaisseur de la plèvre viscérale qui a à
peine 0,05 mill. et la circulation qui est sous la dépendance de celle
des alvéoles contigus expliquent parfaitement cette complication. »
Les ganglions bronchiques, dans tous les cas où ils ont été examinés,
ont été trouvés plus ou moins tuméfiés.
Parmi les organes plus éloignés, mais susceptibles d'être altérés secon-
dairement par le fait de la pneumonie, il faut, en première ligne, citer
le cœur, d'auiant plus qu'un clinicien fort recommandable a prétendu,
dans ces dernières années, qne les pneumoniques meurent par l'épuise-
ment du cœur, Or, à l'autopsie on trouve, comme dans beaucoup d'au-
tres maladies, le cœur droit rempli de caillots et le ventricule gauche
vide. Quant au myocarde, il est bien rare qu'on le trouve sensiblement
altéré. Je parle de ce que nous voyons dans notre pays ; mais il n'en est
certainement pas de même dans certaines localités, puisque le professeur
Jurgensen, chez 19 pneumoniques ayant succombé de mai J 875 à la lin de
1875 à la policlinique de Tubingue, a trouvé 19 fois une dégénérescence
du myocarde (article Pneumonie de l'encyclopédie de Ziemssen, 2e édit.,
p. 199). Il est vrai que, dans ces cas, cette altération ne paraît pas
secondaire à la pneumonie. Nous savons en effet par le professeur Jur-
gensen et par son élève le docteur Mûnziger [Deulsches Archiv. XIX),
que la population de Tubingue est affectée de dégénérescence du cœur
par suite de conditions particulières sur lesquelles je n'ai pas à insister
ici, qui ont héréditairement développé cet état morbide. Les faits de
Jurgensen sont donc tout à fait spéciaux. Le docteur Hamburger qui a
récemment, sous l'inspiration du professeur Kussmaul, consacré une
partie de sa thèse à l'étude particulière de l'état du cœur, dit l'avoir
trouvé parfaitement sain dans les 7 cas qu'il publie.
La raie, d'après Grisolle, serait toujours assez consistante et d'un
volume peu considérable ; mais il est probable que Gri.-olle ne l'a pas
examinée avec toute l'attcntio:i désirable ; en tout cas, il lie serait pas
exact de croire qu'elle n'est pas influencée par la pneumonie ; souvent
elle m'a paru manifestement un peu ramollie ; probablement elle devait
être plus grosse qu'à l'état normal ; mais on sait quelle difficulté il y a à
affirmer une légère augmentation de volume de cet organe.
Quant au foie et aux reins, il est moins facile encore d'y apprécier
une modification notable.
D'après Louis et Grisolle, la muqueuse gastrique et intestinale pré-
PNEUMONIE LOBAIIIE AIGUË. — causes prédisposantes. 391
porterait souvent un certain degré de ramollissement. Ces auteurs disent
s'être assurés qu'il ne devait pas être mis sur le compte de la médication.
]es recherches n'ont pas été reprises ; il serait cependant intéressant de
es vérifier.
Les muscles ont leur coloration normale. La maladie ayant d'habitude
une courte durée, il est difficile d'apprécier une diminution quelconque
de leur volume, qui cependant est certaine.
Quant au peu que nous savons sur les modifications du sang, j'en par-
lerai à la symptomatologie.
Étiologie. — Fréquence. — Dans la plupart des grands hôpitaux
de l'Europe, il y a de 20 à 50 pneumoniques sur 1,000 admissions. Ce
chiffre peut sembler trop élevé si l'on songe que beaucoup de maladies
légères ne sont pas admises dans les hôpitaux ; mais cette cause d'erreur
est, dit-on, plus que compensée par la proportion vraiment énorme de
eumonies dans les hospices et asiles consacrés à la vieillesse. •
Causes prédisposantes intrinsèques. — Age. — Malgré l'autorité de Cru-
veilhier et de Grisolle, je n'hésite pas à dire que la pneumonie fibrineuse
ne se rencontre pas chez le fœtus. Après la naissance, tous les âges y sont
sujets, quoique d'une manière inégale : dans les premiers mois de la vie
celle est tout à fait exceptionnelle (Trousseau, Thomas); après, elle devient
relativement fréquente. Toutefois, maintenant qu'on sait distinguer la
broncho-pneumonie de la pneumonie fibrineuse, on est d'accord pour ad-
mettre que les enfants y sont moins exposés que les adultes ; de com-
bien est la différence ? c'est ce qu'il est difficile de dire vu le petit nombre
•de statistiques sérieuses relatives aux maladies du jeune âge.
D'après celle de II. v. Ziemsscn portant sur 186 pneumonies fibri-
ncuses chez dé jeunes sujets, cette affection serait plus commune chez les
eenfanls au-dessous de G ans que chez les enfants plus âgés : il y en a 1 17
ipour les G premières années de la vie et G9 seulement pour les dix
tannées suivantes. Le tableau suivant montre aussi un chiffre très peu élevé
de pneumonies entre 11 et 15 ans, et surtout entre G et 10 ans. Mais
j'ignore si ces chiffres sont l'expression exacte d'une loi générale.
Les G premières colonnes de ce tableau sont empruntées à la thèse de
SSchapira, élève du professeur Gerhardt; j'ai composé la 7e à l'aide de la
statistique d'Aloïs Biach portant sur G, 712 pneumoniques traités au grand
hôpital de Vienne de 1SG0 à 187G. Quant aux six colonnes de Schapira,
een voici l'explication :
A. Pneumonies observées au grand hôpital Julius de Wûrzburg de
iinoveinbre 1872 à novembre 1876.
B. Pneumonies observées dans le même hôpital de mai 1857 à mai
11860 (Statistique publiée par Rolh : Beitrag zur Slatislik (1er Pneu-
monie. Wûrzburg, 1860).
C. Pneumonies observées dans le même hôpital par le professeur
I Bainbergcr de mai 1854 à mai 1857.
. Les trois colonnes suivantes donnent la statistique du grand hôpital de
\ Vienne pendant les années 1856-58.
302
PNEUMONIE LGBA'IRE AIGUË
— CAUSES l'HÉDIKPOSAYJf s.
Age
WQuzburg
Vienne
A
11
l.
! 856
1857
1 858
U-10
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1U
5
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17
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01
19
101
70
1 \x
1356
21-25
PC A
■40
zU
61
85
1 24
1 184
20-30
ttrf
20
35
53
(il
57
8o
915
51-35
10
CM
il
19
41
58
• 61
624
36-40
17
OQ
10
41
27
01
421
41-45
14
15
15
45
32
55
418
'iv uu
J u
15
15
24
-<>
48
51-5^
13
17
12
19
20
18
274
56-00
15
17
ii
18
16
57
280
61-65
12
11
15
13
29
169
00-70
15
4
3
16
0
10
155
71-75
4
7
6
6
9
8
73
76-80
4
5
4
9
5
31
au delà
1
2
6
9
Ce tableau montre une brusque augmentation du nombre des pneu-
monies à partir de 11 ans et surtout à partir de 16, de telle sorte que la
période quinquennale de 16 à 20 est la plus chargée. La statistique
d'Aloïs Biaeh qui est faite année par année, nous apprend qu'à Vienne le
maximum des pneumonies tombe à l'âge de 18 ans, qu'il y en a encore
beaucoup jusqu'à 25 ans et qu'ensuite leur fréquence diminue. Grisolle
se fondant sur une statistique de quelques hôpitaux de Paris recule jus-
qu'à l'âge de 50 ans la période où les pneumonies sont très communes;
s'il en est réellement ainsi, Paris diffère, sous ce rapport, des autres
grandes villes de l'Europe.
A priori, la chose n'a rien d'impossible : car je suis frappé de voir qu'à
Wiïrzburg, à Vienne et à Munich, ce n'est pas au même âge qu'on ren-
contre le plus de pneumonies. Voici en effet une statistique récente de
l'hôpital de Munich, j'y vois que :
De 1 à 15 ans il y a . . 1.57 pour cent.
16 à 30 ans — .. : 18.52 —
31 à 60 ans — 40.02 —
Au-dessus de 00 ans — 8.09 —
100.00
Or, sans parler de la proportion par trop invraisemblable des pneumo-
nies au-dessous de 16 ans, et qui ne peut s'expliquer sans doute que
par des règlements hospitaliers particuliers, je trouve que, de 16 à 50,
il y a un sixième de pneumonies en plus que dans la période de 51 à
60 : or, si, je fais, à l'aide des chiffres du grand tableau ci-de?sus,
le môme calcul pour W wr/.burg et pour Vienne, j'olitiens des résultats
bien différents : à Wiïrzburg (A, B, C) il y a 514 pneumonies de 1li à
50 ans et 285 de 51 à 60 ans : différence ; à Vienne (statistique de
PNEUMONIE LONAIHE AIGUË* — œwrsÉs imioisposa.ntes. 59,"
Scliàpira 1856-1858) il y a 788 pneumonies de 16 à 30 et 506 de 51 à
60 : différence -\ ; enfin dans la statistique d'Aloïs Biach pour la même
ville, la différence est encore plus forte : il y a en effet d'un côté 5,455,
de l'autre 2,311. La différence est de près de {. Ainsi, à Wùrzburg, il y a
entre 16 et 50 ans, relativement beaucoup plus de pneumonies qu'à
Vienne.
Les tableaux précédents ne peuvent d'ailleurs avoir qu'une valeur
limitée ; car pour apprécier l'influence de l'âge sur le développement de
la pneumonie, il ne suffit pas de ces chiffres absolus ; il faut tenir
compte du chiffre de la population aux différents Ages. En procédant
ainsi on trouve, ce que ne montre pas le tableau précédent, qu'il y a entre
55 et 60 ans une légère recrudescence de la fréquence de la pneumonie,
suivie d'une nouvelle rémission d'ailleurs fort légère. Marc d'Espine
prétend (qu'a Genève au moins) la pneumonie serait rare dans l'ex-
trême vieillesse; mais cette assertion aurait besoin d'être confirmée.
Ce n'est pas tout, il faut avoir égard au fait que les prolétaires qui
constituent la clientèle des hôpitaux ne fréquentent pas ces établisse-
ments également à toutes les périodes de leur existence ; que de 20 à
30 ans, où ils n'ont en général pas de ménage, ils se font le moins
soigner en ville, que plus tard ils sont admis non plus dans les hôpitaux
mais dans les bospices. Ces circonslances et d'autres encore motivent
la réserve avec laquelle il faut conclure.
Sexe. — La femme est moins souvent atteinte de pneumonie que
l'homme ; les auteurs sont entièrement d'accord à cet égard. Grisolle
en acceptant le fait, pense que la différence tient à la différence des
occupations dans l'un et l'autre sexe, attendu que dans les pays où
les deux sexes travaillent de même, ils sont également frappés ; il pa-
raît en être de même dans les prisons. L'explication de Grisolle est
donc, au moins en partie, fondée. En tout cas, il est peu probable que la
moindre prédilection de la pneumonie pour le sexe féminin soit due
à sa débilité relative.
Constitution. — En effet, une constitution débile, ou bien détériorée
par des maladies intérieures, des excès, etc., offre un terrain incontesta-
blement favorable au développement de la pneumonie. Celte proposition
est vraie pour tous les âges. D'après Luzsinsky, les enfants des parents
atteints d'affections chroniques de la poitrine (?) y seraient prédisposés.
Race. — Il serait fort intéressant d'avoir à ce sujet des documents
positifs. De la statistique citée par Grisolle, il résulte de la manière la
plus certaine que les soldats nègres sont beaucoup plus souvent atteints
de pneumonie que les soldats blancs; mais, ainsi qu'il le remarque, les
deux catégories de soldats ne sont pas dans des conditions hygiéniques
exactement les mêmes, de sorte que l'influence de la race n'est pas seule
à agir ; néanmoins la prédisposition des nègres à contracter la pneumo-
nie me paraît incontestable.
Prédisposition individuelle. — Je fais allusion ici à la prédispo-
sition organique naturelle ou acquise que le poumon peut avoir à
394
PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË —
CAUSES PRÉDISPOSANTES.
être affecté de pneumonie. Il est incontestable que sons l'influence d'un
refroidissement tel individu contractera plutôt une pneumonie, tel
autre plutôt une angine. Ce qui prouve mieux encore celle prédispo-
sition, c'est le fait que certains individus ont eu dans leur vie un nombre
de pneumonies tout à l'ait insolite. Rush parle d'un individu qui aurait
été 28 fois atteint de pneumonie. Chorncl a soigné un malade affecté
de pneumonie pour la dixième fois. Un certain nombre des malades de
Grisolle ont eu aussi plusieurs pneumonies (jusqu'à 8). D'après Cbarcot
« le Dr Weil, sur 78 cas de pneumonie franche observés chez les
enfants de 1 à/6 ans, note 51 récidives. Sur ces 51 malades, '21 ont eu
une pneumonie antérieure; 4 en ont eu 2; 2 en ont eu 4; enfin 4 en
ont eu un nombre plus grand. Ziemssen, sur 204 cas également ob-
servés chez des enfants, relève dans 19 cas l'existence de pneumonies
antérieures. Sur ces 19 malades, 14 en ont eu 2 ; 2 en ont eu 5 ; 2 en
ont eu 4. Andral a constaté chez un sujet 10 pneumonies en 11 ans, etc. »
Il faut ici distinguer les cas où les pneumonies successives occupent le
même siège que la première pneumonie ou bien un siège différent. Dans
le premier cas, la prédisposition peut résulter de modifications orga-
niques produites par la première pneumonie, car souvent alors il existe
un état pathologique appréciable à l'œil, un certain degré de pneumonie
interstitielle. Charcot a insisté récemment sur les faits de ce genre.
Il a pu observer lui-même à la Salpètrière deux malades dont l'une a eu
deux attaques de pneumonie dans le lobe inférieur gauche. A l'autopsie
on a trouvé dans ce lobe (qui n'avait pas été le siège de la pneumonie
ultime qui a emporté le malade) les lésions de l'induration rouge. (Leçon
recueillie par Oulmont. Progrès 1878.)
Professions. — Jusqu'ici j'ai passé en revue les causes prédisposantes,
inhérentes au sujet lui-même. L'examen de l'influence des professions
nous servira de transition pour arriver aux conditions extrinsèques.
C'est qu'en effet, si l'on veut bien y réfléchir, la profession agit à la fois
en modifiant le sujet lui-même quand il l'a exercée un temps suffisant,
et aussi en l'exposant à certaines conditions extérieures inhérentes à
l'exercice de cette profession.
Malheureusement celte analyse parfois délicate n'a guère été faite, et c'est
sans distinguer ce qui tient à l'individu ou au milieu ambiant, que
les auteurs traitent confusément de l'influence des professions sur le
développement de la pneumonie et ont émis les assertions parfois les
plus contradictoires. Ainsi, d'après Stoll, la pneumonie affecte de préfé-
rence les individus exerçant des professions sédentaires, les tailleurs
d'habits; tandis queJ. Frank, qui combat l'assertion de Stoll, signale au
contraire les boulangers, les verriers, les forgerons, les cochers, les
courriers, les portefaix comme étant prédisposés. Ces affirmations op-
posées s'expliquent en partie par le fait que les auteurs ont très-peu
tenu compte de la statistique des professions et surtout de la question
de savoir quel est le chiffre comparatif des individus de cette profession
qui, devenant malades se sont soignés chez eux et de ceux qui vont re-
PNEUMONIE LOBAI RE AIGUË-
CAUSES l'IllilllSi'OSA.NTES.
595
clamer leur admission dans un hôpital ; les maçons, par exemple, qui,
de tous les ouvriers des grandes villes, sont ceux qui ont le moins sou-
vent une famille, se font transporter à l'hôpital relativement heaucoup
plus que les individus appartenant à d'autres professions.
D'une manière générale on peut cependant affirmer que les hommes
exposés à l'intempérie des saisons, s'ils sont alternativement condamnés à
l'immobilité après un exercice violent, par exemple, les conducteurs de
trains de chemins de fer sont particulièrement frappés. On serait a priori
porté à croire que les marins rentrent dans cette catégorie. Mais les faits
démentent cette supposition. 11 résulte d'un relevé de Leroy de Méri-
court qu'un effectif de 24,000 marins étant resté sur les côtes ou en
cours de navigation pendant un temps qui a varié de trois mois à quatre
ans, n'a fourni que 175 cas de pneumonie. En recherchant, dit Grisolle,
dans quelles conditions ces pneumonies se sont développées à bord, on
voit que près de 100 sur les 175, survinrent quand les navires étaient sur
rade on sur les côtes, » ce qui peut dépendre ou de ce que le service des
hommes était alors plus pénible, ou de ce que les variations de la tempé-
rature étaient plus prononcées qu'en pleine mer.
Climats. Pour expliquer l'immunité dont paraissent jouir à un certain
degré les marins, on doit sans doute invoquer le fait qu'ils sont sin-
gulièrement endurcis aux intempéries ; mais il semble nécessaire d'a-
jouter à cette cause l'influence du climat maritime, c'est-à-dire d'un
ensemble de conditions météorologiques dans lequel la constance rela-
tive de. la température au large joue sans doute un grand rôle. 11 est à
noter qu'en certaines parties du littoral, môme à notre latitude, la
pneumonie parait aussi fort rare; je puis citer, par exemple, le Havre
sur lequel j'ai, grâce à l'obligeance d'un médecin des plus distingués
de celte ville, le docteur Gibcrt, quelques renseignements précis.
Des observations du docteur Gibert , il résulte que la pneumonie franche
est très-rare au Havre (sauf cet hiver 1878-79), qu'elle est particulière-
ment exceptionnelle à la côte d'Ingouville bien qu'elle soit exposée aux
vents d'ouest et du nord-ouest. Aux chantiers de construction de la
Seine qui occupent habituellement 500 ouvriers, le docteur Piasccki
n'a eu à constater en 12 ans que 8 cas de pneumonie franche. Chez les
ouvriers raffincurs la même immunité relative a été constatée par le
docteur Gibert. La pleurésie est aussi plus rarement observée au Havre
qu'à Paris; au contraire la bronchopneumonie y exerce de grands ravages.
L'influence des climats est donc fort grande ; elle est même toute-puis-
sante si l'on envisage certains d'entre eux qui assurent, dit-on, vis-à-vis
de la pneumonie une immunité absolue; tels seraient les tropiques et
le pôle et quelques autres encore ; malheureusement des renseignements
Ues-positils nous font défaut sur l'analoiuie pathologique des affections
de poitrine dans les différentes parties du globe. Aussi dans l'incertitude
où nous sommes sur la vraie nature des affections que l'on nous dit èlre
des fluxions de poitrine, je crois prudent de m abstenir d'en dire da-
vantage.
r.96 PNEUMONIE U>UAIP.K AIGUË. — CAUSES OCCASIO.V.NKI.I.ES.
Saisons. La pneumonie a sur le continent européen son maximum de
fréquence de mais à mai, et son minimum de septembre à novembre. On
a noté que la bronclnte est plus précoce : son maximum est de janvier à
mais, son minimum de juillet à septembre.
Ces chiffres sont empruntés à la statistique du grand hôpital de Vienne
citée par Jurgensen. A mon grand regret, je n'ai pu utiliser les remar-
quables statistiques noscomialcs publiées chaque trimestre par E. Besnier,
dans le Bulletin de la Société médicale des hôpitaux de Paris, parce
que la broncho-pneumonie n'y est pas séparée de la pneumonie.
J'ai souligné le mot continent : c'est qu'en effet dans les climats voi-
sins du littoral, la distribution mensuelle de la pneumonie est différente
et se confond avec celle de la bronchite. Cela s'explique en partie par le
fait que le long des côtes la pneumonie est plus souvent secondaire à une
bronchite.
Altitudes. L'influence des altitudes est certaine; à Chamouny, il y a,
dit-on, 1 pneumonique sur 5 malades; au Pérou dans une vallée à la hau-
teur de 12,000 pieds, Tschudi indique aussi la fréquence insolite des
pneumonies ; même sous les tropiques la pneumonie cesse d'être incon-
nue à une certaine altitude.
Influence des vents. — D'après 0. Sturges, le chiffre des pneumo-
nies est à son minimum quand le vent est presque nul, de quelque côlé
qu'il souffle. S'il est un peu intense, le chiffre des pneumonies est sen-
siblement modifié, suivant l'espèce de vent : avec un vent du nord ou
du nord-est (pour l'Angleterre), les pneumonies atteignent leur maximum
de fréquence; elle est au minimum avec les vents du sud-ouest peu
intenses, alors même que la température est plus froide.
Causes occasionnelles. — 1° En première ligne, il faut mentionner le
refroidissement, qui était autrefois considéré comme la seule cause de
la pneumonie, ainsi que le prouve l'adage frigus unica pneumonies
causa est. Chomel et Grisolle ont, ajuste litre, combattu celte erreur.
D'après Chomel, sur 79 pneumoniques, 14 seulement avaient éprouvé un
refroidissement quelconque.
La statistique de Grisolle est plus étendue : elle porte sur 205 pneu-
moniques qu'il a interrogés avec soin à cet égard, Or, dit-il . ce n'est
que chez le quart des malades qu'on pourrait invoquer un refroidisse-
ment comme cause occasionnelle évidente de la pneumonie. Sur
106 cas de pneumonie, Ziemssen n'a pu que 10 fois seulement prouver
l'existence d'un refroidissement. Celte proportion est déjà très faible.
Mais elle est. encore élevée en comparaison de celle qu'indique Griesingcr :
moins de 2 pour cent (4 fois sur 212 cas. Clinique de Zurich, thèse de
Blculer. Clin. Beobachtungen iiber Pneumonie. Zurich 1865.)
C'est influencé sans doute par de pareils chiffres que le professeur
•Iiirgenscn en arrive à dire que « le refroidissement n'est nullement une
cause occasionnelle fréquente de la pneumonie. » Or, pris à la lettre,
cette assertion me partit légèrement exagérée. Aux chiffres véritablement
exceptionnels de Griesingcr, on peut opposer ceux du professeur Ger-
PNEUMONIE LOBA1KE AIGUË. — caosbs occasion«edlbs . 597
hardi (thèse de Schapira) qui, sur 100 piieuinoiiiques, en a trouvé 53 dont
la maladie ne reconnaissait d'autre cause occasionnelle qu'un refroidis-
sement, ce qui nous ramène à la proportion de Cliomcl et Grisolle. Mais
il y a certainement plus : je mets en fait que les malades que nous soi-
gnons dans les hôpitaux sont peu capahles de nous renseigner exacte-
ment. Les refroidissements sont habituels et journaliers chez la plupart
d'entre eux; ils arrivent à n'y pas prendre garde, d'autant plus que sui-
vant les idées populaires qui reproduisent, comme un écho attardé, les
doctrines médicales, le refroidissement a perdu beaucoup de l'influence
nocive qu'il passait pour exercer autrefois ; d'ailleurs le mot refroidis-
sement est certainement mal compris par beaucoup de personnes étran-
gères à la médecine, qui se figurent, sans doute, qu'un abaissement sen-
sible de la température ambiante est nécessaire pour amener un
refroidissement,. Or, il est évident qu'il n'en est rien et que l'état du
sujet y contribue plus que le milieu. Pour ma part, je conçois parfaite-
ment que des navigateurs au pôle, exposés à des températures exception-
nellement bases, précisément par cette raison, ne se trouvent pas, pen-
dant de longs mois, dans les conditions favorables à la production du
refroidissement. Au contraire, l'observation journalière montre qu'on se
refroidit, même dans la saison chaude, si la peau couverte de sueur est
exposée, pendant un certain temps, à l'action d'un air dont la tempéra-
ture est relativement abaissée, ou d'un courant d'air, etc., clc.
Nous disons la peau et non la muqueuse bronchique, car l'action
pathologique du froid, sur cette dernière, n'est pas prouvée; son inno-
cuité serait même démontrée, si l'on pouvait appliquer à l'homme les
résultats des expériences de B. Heidenhain, qui a fait respirer à des
chiens, alternativement de l'air chaud et froid, sans provoquer chez eux de
pneumonie. (Virckow's Archiv. Bd. LXX.)
Il est vrai que l'on n'a pas réussi davantage par d'autres moyens,
notamment par des refroidissements de la peau. Mais, à cet égard, il faut
remarquer que le tégument externe du chien diffère beaucoup de celui
de l'homme. Le chien ne sue pas; il est donc difficile de mettre sa peau
dans des conditions d'impressionnabilité très-favorables.
D'après Grisolle, c'est aux deux extrêmes de la vie que le refroidisse-
ment produit le mieux ses effets, parce que, dit-il : « dans l'enfance et
dans la vieillesse l'homme produit moins de chaleur qu'aux autres
âges. » En acceptant le fait, il est impossible de ne pas remarquer, en
ce qui touche l'enfant, que, relativement au poids de son corps, loin de
produire moins de chaleur que l'adulte, il en produit davantage, et que,
si néanmoins il se refroidit, toutes choses égales, plus facilement que
l'adulte, c'est à cause de son petit volume.
Quant au mode d'action du refroidissement, nous ne pouvons faire
que des hypothèses. Des médecins anglais ont pensé qu'antérieurement
à la pneumonie, il peut exister un certain degré d'hyperinose (Parkes).
Ce serait donc par suite de la suppression des fonctions de la peau que
cet état dyscrasique serait créé. Mais jusqu'ici, c'est une hypothèse sans
598 PNEUMONIE LOKAIRE AIGUË. — causes occasionnelles.
fondement scientifique. Une action réflexe s'exerça ni sur les vaisseaux du
poumon , est assurément plus vraisemblable, dans l'état actuel de la
science. Je ne dis pas que cette seconde hypothèse soit parfaitement
satisfaisante, mais on verra plus loin qu'il y a d'autres faits qui peuvent
lui prêter un certain appui.
Le peu de temps qui s'écoule en général, entre le refroidissement et le
début de la maladie, plaide dans le même sens. Grisolle l'a noté avec soin
dans 5 \ observations et a trouvé que «chez 18 sujets, les symptômes locaux
ou tout au moins le malaise, et les autres troubles prodromiques s'étaient
déclarés pendant l'impression même du froid ou auelques minutes après.
Chez 11, l'effet Muisible du refroidissement ne s'est fait sentir qu'après
une, deux ou trois heures. Enfin, chez 4 malades, il y a eu un intervalle
de un à deux jours entre l'action de la cause et le début des premiers
symptômes. » Grisolle pense que chez ces derniers, le refroidissement n'a
en réalité pas eu d'action et qu'il a du y avoir simple coïncidence.
Je comprends cette réserve, mais je dois faire remarquer que c'est pré-
cisément pour les cas de ce genre que l'hypothèse des médecins anglais
pourrait être soutenue.
2° Surmènement. — Les auteurs ne me paraissent pas apprécier à sa
valeur cette cause qui, selon moi, agit non-seulement comme prédispo-
sant mais encore comme occasionnelle. La fatigue jette l'économie dans
des conditions non-seulement d'imminence morbide, mais elle réalise
même un état anormal dans lequel l'organe minoris resislenliœ peut
être affecté. Le seul surmènement dont parle Grisolle c'est celui des
organes de la respiration, qui, d'après lui, est sans importance patho-
génique, ce que j'accorde volontiers.
5° Agents toxiques et irritants. — Quant aux excès alcooliques, Gri-
solle est très affirmatif : « Chez plusieurs malades il était impossible de
trouver d'autres causes occasionnelles comme un refroidissement par
exemple, parce que ces individus avaient été placés dans des conditions
telles que le froid n'avait pu agir sur eux. Chez tous, l'influence de la
cause s'est fait rapidement sentir. Chez deux, les symptômes de la pneu-
monie se déclarèrent dans les premières heures qui suivirent l'ivresse. »
D'autres agents toxiques peuvent vraisemblablement jouer aussi le rôle
de cause occasionnelle ; mais il est douteux que leur introduction par la
vuie bronchique puisse être suivie du même résultat :
Les anciens auteurs, Van Swieten ctJ. Frank ont rapporte l'histoire de
plusieurs individus qui furent affectés d'hémoptysie et de pneumonie à
la suite de l'inhalation d'ammoniaque, d'acides chlorhydrique et sulfureux.
Grisolle objecte, avec raison, qu'il s'agissait probablement chez eux
de bronchite capillaire plutôt que de pneumonie. Dinstl dit avoir vu
plusieurs fois cl Eppinger trois fois une pneumonie consécutive à l'inha-
lation de gaz irritants. Ils ne disent pas si c'est une pneumonie fibrinëuse.
Je liens du docteur l'oubert, médecin-inspecteur à Villers-sur Mer.
que la pénétration de l'eau de mer dans les poumons peut être suivie de
congestion pulmonaire fébrile, mais non d'une vraie pneumonie.
PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — causes occasiohnbu&es. 399
4° Traumalismes. — Au nombre des causes occasionnelles, rares
d'ailleurs, de pneumonie, on a aussi cité les causes traumatiqucs, mais la
plupart d'entre elles provoquent une pneumonie locale, différente au
point de vue de la nosologie de la maladie que nous étudions ici. Les plus
fréquentes de ces causes sont les contusions du thorax compliquées ou
non de fracture des côtes dont les fragments peuvent blesser le poumon.
Lieutaud et Portai ont prétendu que la pneumonie peut succéder à des
traumalismes des parties éloignées. Grisolle dit ne connaître aucun
exemple authentique qui prouve qu'une pneumonie ait jamais succédé
à une pareille cause. Le fait suivant, qui a récemment donné lieu en An-
gleterre (Lancet, 27 avril 1878), à une instance en dommages et intérêts
de la part des héritiers, pourrait peut-être passer pour un cas de pneu-
monie suite de shoc. Il s'agit d'un voyageur qui au moment d'un tam-
ponnement n'éprouva, dit-il, aucune contusion thoracique ni d'un côté
ni de l'autre, mais ressentit un ébranlement général, puis se sentit faible
et revint au bout de quelques heures chez lui ; il se plaignait de douleurs
dans le côté droit et dans le dos. Le médecin le même jour trouva la res-
piration accélérée. Le jour suivant il se manifesta des signes de pneu-
monie du côté droit. Sept jours plus tard on constata de plus une pleu-
résie du même côté. La mort arriva huit jours plus tard. L'autopsie fut
faite conjointement avec le docteur Clitford Albutt qui, ainsi que le mé-
decin traitant considéra la maladie comme consécutive au cflbc. Malheu-
reusement l'absence d'ecchymose interne de la paroi thoracique n'est pas
explicitement affirmée.
5° Actions neweuses. — Il convient de rapprocher des pneumonies dues
au choc celles qui seraient, dit-on, consécutives à une vive émotion
morale, si tant est qu'elles en soient le résultat : Grisolle en rapporte un
exemple. Il s'agit d'une femme qui « apprenant qu'elle avait été victime
d'un vol, éprouva un saisissement violent qui fut promplcment suivi d'un
frisson, d'un point de côté et de crachats rouillés. »
Les pneumonies succédant à une lésion du système nerveux central
passent pour être communes.
On voit en effet souvent chez les apoplectiques se développer uni!
pneumonie quelques jours après l'attaque, alors que le malade, confiné au
lit, ne peut guère avoir éprouvé l'influence d'un refroidissement ni d'au-
cune autre cause occasionnelle appréciable ; de plus cette pneumonie
siège d'ordinaire du côté opposé à la lésion cérébrale, c'est-à-dire du
même côté que l'hémiplégie des membres. Il paraissait donc extrême-
ment vraisemblable de placer cette pneumonie sous la dépendance de la
lésion encéphalique au môme titre que les hémorrhagies pulmonaires,
gastriques ou autres qui surviennent si souvent dans les mêmes condi-
tions, soit chez l'homme, soit chez les animaux qui ont subi un trau-
matisme de l'encéphale. (Voir Brown Séquard, Soc. de Biol., 1870.)
Mais il résulte des recherches de Charcot que ces pneumonies n'ont de
la pneumonie lobairc que l'apparence et qu'au fond elles ressortissent
aux broncho-pneumonies. Ce sont des pneumonies pseudo-lobaires, à
400 PNEUMONIE LOUAIlif] A.1GUË. — causes occasionkeu.es.
rapprocher par conséquent des broncho-pneumonies sous la dépendance
de lésions du pneunio-gastrique qui depuis Traube ont fait le sujet dé
tant de recherches expérimentales et que l'on a parfois l'occasion de ren-
contrer chez l'homme (surtout sous la l'orme de pneumonie pseudo-lobaire
dans diverses circonstances où les pneumo-gastriques sont lésés, par
exemple, dans le cas d'épilhéliomo de l'œsophage.
Ainsi, jusqu'à ce jour, nous ne connaissons en fait de pneumonie
dépendant manifestement de lésions nerveuses, que des broncho-pneu-
monies. Est-ce là le dernier mot de la science?
Mon savant collègue, Fernet, ne le pense point. D'après lui, la pneu-
monie franche, dite fibrineuse, est le résultat d'un «trouble trophique
placé sous la dépendance d'une névrose du pneumo-gastrique ». A l'appui
de cette idée, il rapporte trois cas où il a trouvé du même côté que la
pneumonie, le pneumo-gastrique plus gros et injecté; dans un cas (le 2e),
il y avait en même temps une pleurésie avec épanchement; le nerf phé-
nique du même côté différait aussi de celui du côté opposé. Dans le troi-
sième cas, la lésion du pneumo-gastrique du côté correspondant à la
pneumonie « commençait au quart inférieur du trajet du nerf au cou : li
ce niveau se montre une injection vasculaire et les fibres nerveuses offrent
une teinte grisâtre rosée et terne au lieu de la coloration blanche et
nacrée. Cette apparence se prolonge en bas jusqu'à la division du nerf.
Le volumefdu nerf n'est pas augmenté. Dans deux cas, l'examen histo-
logique a été fait avec soin et n'a rien révélé d'anormal. »
Quant à la nature de la lésion pulmonaire consécutive à la névrite
qu'il admet, Fernet pense que c'est un herpès. Je reviendrai sur ce
dernier point quand je discuterai la nature de la pneumonie et je nie
bornerai à faire remarquer ici que, vu les résultats négatifs de l'examen
microscopique, le terme de névrite n'est peut-être pas suffisamment jus-
tifié. De plus, la rougeur du nerf était localisée dans sa partie inférieure,
ce qui plaiderait plutôt en faveur d'une altération consécutive à la pneu-
monie. Je dois enfin ajouter que j'ai cette année recherché, dans quatre
cas de pneumonie, la lésion indiquée par Fernet et qu'à l'œil nu je
n'ai rien remarqué d'anormal dans le pneumo-gaslrique. Dans un dos
cas, le nerf traité à l'état frais par l'acide osmique a été examiné au mi-
croscope et l'examen contrôlé par mou collègue Pierrot, dont la com-
pétence en cette matière est si grande ; or, le nerf a paru parfaitement
sain. Je n'ignore pas que des résullats négatifs n'infirment pas les faits
positifs; aussi je me contenterai de dire que les conclusions de Fernet
demandent à être contrôlées par de nouvelles observations.
Un médecin qui a observé dans l'Inde un bon nombre de cas de
coups de chaleur, le docteur Jcssop, a supposé que certaines pneumonies
consécutives à des insolations peuvent dépendre d'une action réflexe.
D'après lui les nerfs sensoriels optique et olfactif, trop vivement impres-
sionnés, en seraient le point de départ. Celte hypothèse ne peut s'ap-
puyer sur aucune base expérimentale; et d'ailleurs dans le coup de
chaleur bien d'autres influences qu'une influence réflexe peuvent, ce
PNEUMONIE LOBMftE AIGUË. — causes oooasJonnbm,b?. 401
semble, produire une pneumonie. Reste de plus à savoir si ce sont des
pneumonies fibrineuses qu'à observées Jessop. Or, rien n'est plus douteux.
6° Causes extrinsèques de nature inconnue. — Dans la majorité des
cas, il faut bien l'avouer, la cause déterminante de la pneumonie n'est pas
facile à trouver; mais ce qui prouve qu'un certain nombre d'entre elles
ont pour cause réelle une influence extrinsèque, c'est le fait qu'à certains
moments de l'année, dans certaines localités, les pneumonies deviennent
beaucoup plus nombreuses, fait établi pour beaucoup de localités et
constaté à Paris par nombre d'observateurs, notamment par le professeur
Cbarcot qui, sur un même terrain, la Salpètrière, voit le nombre des
pneumonies lobaires varier suivant les années. Au grand hôpital de
Vienne en 1856, il y avait '18 pneumonies sur 1000 malades; en 1858,
55. A l'hôpital Julius, à Wûrzburg, la proportion a été tantôt de 27,
tantôt de 47. Certaines localités restent pendant des années tout à fait
indemnes de la pneumonie et sont ensuite frappées d'une manière meur-
trière (Fuckel).
On a accusé l'ozone sous prétexte que c'est un gaz irritant, niais je
crois que c'est bien à tort: mieux vaut avouer notre ignorance;
Il serait possible, à la rigueur, que les pneumonies dont on vient de
parler, résultant de constations médicales fussent produites par une cause
spécifique, analogue, mais atténuée, de celle qui engendre les pneumonies
miasmatique et contagieuse. YV. Zieinsscn a signalé un certain parallé-
lisme entre les maxima et les minima de la pneumonie et de la lièvre
typhoïde. Les années ou la pneumonie est peu commune sont aussi
marquables par le nombre de lièvres typhoïdes; et ce qu'il ya de curieux,
c'est que ces maxima et ces minima seraient souvent les mêmes pour
tout notre hémisphère, c'est à-dire pour l'Amérique septentrionale aussi
bien que pour l'Europe. Mais dans cette coïncidence, Ziemssen voit la
preuve d'une cause simplement prédisposante cl non d'une cause
efficiente.
7° Causes miasmatiques. — Un médecin belge, le docteur Barclla
donne de la coïncidence découverte par Ziemssen et qu'il a de son
côté trouvé exacte pour Bruxelles, une explication qui paraîtra sans doute
entachée de paradoxe : pour lui, beaucoup de pneumonies sont pro-
fites par le poison typhique lui-même, et constituent une détermination
pulmonaire de l'intoxication typhique. Je crois fermement, pour ma part,
non-seulement à la possibilité, mais même à l'existence incontestable de
la pneumo-typhoïde (Gerhardt), c'est-à-dire d'une détermination typhique
se laisant d'emblée sur le poumon, ainsi que l'ont admis Dietl, Gricsinger,
Gerhardt et plusieurs autres auteurs : des exemples, selon moi, irréprocha-
bles en ont été publiés par ces deux derniers auteurs (thèse de Garbagni)
( par Gauchet (service d'Ilérard) par moi même, etc. Mais je diffère de
Barella, quant à la fréquence de ces pneumo-typhoïdes : il les croit com-
munes; je les tiens pour rares dans notre pays. Il parait en être de
même eu Allemagne. Elles seraient, d'après le professeur Gerhardt, plus
1 communes en Suède et surtout dans le nord de l'Amérique. On ne peut
KOUV. D1CT. MÉD. ET CH1H. XXVIII 20
402 PNEUMONIE LOliAlIîE AIGUË. CALSES OCCASIONNELLES.
mettre un doute qu'il existe une grande analogie entre la cause de ces
pneumonies nées sous l'influence d'une constitution médicale et le miasme
typhique, mais il n'y a pas je crois identité.
C'est ici le lieu de dire quelques mots des remarquables recherches
qu'à publiées récemment le professeur Klebs et qui, venant d'un observa-
teur aussi consciencieux, ne peuvent manquer d'être prises en sérieuse
considération.
Sur des cadavres de pneumoniques, pendant la saison froide, Klebs
a trouvé d'une manière à peu près constante, non-seulement dans le
liquide bronchique , mais dans des parties profondes de l'organisme,
notamment dans la sérosité ventriculaire du cerveau et en grande quantité,
des organismes (monadines) dont il décrit longuement les caractères
différentiels d'avec les miscrosporines (autre groupe des schistomycètes),
lesquelles s'observent dans les affections septiques, dans le typhus et
dans la diphthéric. Les monadines se rencontrent d'ailleurs d'une ma-
nière un peu banale dans les voies aériennes de cadavres d'individus
ayant succombé à des maladies fort diverses; mais ce n'est pas, d'après
Klebs, une raison suffisante pour nier leur action pathogénique : elles
peuvent exister dans toutes les parties accessibles à l'air ; ce n'est que
si elles pénétrent dans l'organisme qu'elles déterminent leurs effets
fâcheux. Dans quelques cas, Klebs pense qu'elles pénètrent par la voie
intestinale. Les monadines causent non-seulement des pneumonies, mais
des néphrites, des hépatites, des endocardites, ainsi que semblent le
prouver d'une part l'autopsie de sujets cbez lesquels une de ces mala-
dies coexistait avec la pneumonie, et d'autre part qnelques inoculations
pratiquées dans la chambre antérieure de l'œil chez le lapin. A la
seconde génération obtenue par culture dans le blanc d'œuf, les monadines
ont une action encore plus énergique, de même que les micrococci de la
septicémie, ainsi que l'a découvert Davainc.
Telle est la séduisante synthèse du professeur Klebs. Je ferai seulement
remarquer que nos pneumonies diffèrent de celles de Prague au moins
en un point : nous ne rencontrons pas en effet aussi souvent qu'on le voit
dans cette ville, la coexistence de néphrites, d'hépatites, etc.
En tous cas, les pneumonies de Prague nous serviront de transition pour
parler des pneumonies contagieuses, dites zymoliques, pythogéniques, sur
lesquelles on a beaucoup insisté en Angleterre dans ces derniers temps
et qui constituent de petits foyers très-circonscrits, de village ou de mai-
son (A. Millier, Courvoisier, Hœgler, Tborensen), dans lesquels la conta-
gion peut être parfois sûrement établie, ou de plus grandes épidémies
Alpenstich (Lcbert). Celle d'Islande, relatée par le docteur Hjaltelin, et
mainte fois citée, paraît n'avoir été qu'une épidémie d'influema com-
pliquée de pneumonie : la mortalité a été médiocre puisque sur 80 pneu-
monies il n'y eut que 5 morts. L'épidémie qui sévit sur le 22e régi-
ment de Ne\v-13runswick, rapportée par le docteur Welsh, et celle de
pleuro-pneumonie qui régna en 1860 sur quelques vaisseaux de la Hotte
dans la méditerranée furent plus sérieuses.
PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — p.neumonies secondaires. 405
Le docteur Dabi, à Christiania, a décrit une épidémie de prison ; plus
récemment, le docteur Rodmann a publié le relation de deux épidémies
survenues dans la prison de Francfort (Kontucki). Dans l'une d'elles, sur
08 malades il y eut 25 morts, presque tous nègres. La ville était, pen-
dant ce temps, dans de bonnes conditions de santé.
Eu 1874, le docteur Kubn a observé dans la prison de Moringen une
épidémie du morne genre.
En l'absence d'épidémies, Scbroter, llennig, Wynler Blylli, Hardwich
et Giornclli ont publié des cas où la pneumonie a paru manifestement
produite par la contagion.
A cet égard, le fait rapporté par Brunner est fort instructif :
On pratiquait chez un pbtbisiquc l'opération de la trachéotomie en
raison d'accidents avec œdème de la glotte (dû au développement de gra-
nulations dans le larynx). Le médecin, à cause de sa myopie, se tint
fort rapproché de la plaie trachéale, pendant une heure. Deux heures
après, il eut un frisson qui dura vingt minutes, se mit à tousser et res-
sentit un point de coté. L'expectoration était visqueuse. Vingt minutes
après, nouveaux frissons d'une durée encore plus grande, délire. Le qua-
trième jour, on constate une hépatisation de la base droite qui se tend
progressivement et envahit tout le poumon, Mort le septième jour.
A l'autopsie, hépatisation grise du poumon avec résolution commen-
çant à la base, dans le centre du foyer, de la grosseur d'une fève (com-
mencement d'abcès); à gauche, hépatisation du lobe inférieur. Augmen-
tation de volume du foie et de la rate.
Pneumonies secoindviiies. — « La pneumonie, dit Grisolle, peut se
développer dans le cours de toutes les maladies aiguës et chroniques e
certaines d'entre elles se compliquent si fréquemmént d'inflammation pul
monaire qu'il est impossible de nier leur influence, soit comme causes
prépondérantes, soit même comme causes excitantes de la maladie
intercurrente.» (Grisolle, p. 100.)
En première ligne, Grisolle cite la rougeole; mais il confond ici la pneu-
monie et la broncho-pneumonie. En fait, rien n'est plus rare que la
pneumonie fibrineuse rubéolique, si tant est qu'elle ait été réellement
observée. Taube a décrit un cas de pneumonie qu'il appelle croupale,
mais qui se distinguait, dit-il, de la pneumonie fibrineuse par l'abondance
des globules blancs dans les alvéoles. De plus la lésion était diffuse; aussi
paraît-elle avoir beaucoup de rapports avec la broncho-pneumonie.
Il en est à peu près de même pour la coqueluche; la véritable pneu-
monie fibrineuse y est exceptionnelle si vraiment elle s'y rencontre.
Damascbino dans sa thèse en rapporte cependant un exemple, et je ne
demanderais pas mieux que de l'accepter, mais il le considère lui-même
comme douteux.
Parmi les maladies aiguës autres que les fièvres éruptives, il faut, en
première ligne citer la fièvre typhoïde, J'ai mentionné plus haut la pneu-
monie primitive, si l'on peut s'exprimer ainsi, de la fièvre typhoïde, autre-
ment dit la piieumo-typhoïde. Je n'y reviens pas, mats je dois marquer la
404 PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — p-veumonies secondai n es.
place des pneumonies du deuxième et du troisième septénaires, s'il est
vrai qu'on puisse quelquefois rencontrer parmi elles des pneumonies
(ihrincuses, et non exclusivement des pneumonies pseudo-lohaires (voir
la thèse de Deslais-, Paris, 1877.
On prétend que. la pneumonie fibrineuse a aussi été observée dans le
typhus, la fièvre récurrente, la malaria, la méningite cérébro-spinale,
la diphthérie, etc., etc. Relativement à cette dernière, Billicl et Barthez
croient que la pneumonie y est toujours lobulaire. Par contre, Jules
Simon (article Group, t. X de ce Dictionnaire) el Satiné [Traité de la
diphthérie, J 877, p, 85), auraient vu des pneumonies lobaircs dans des
cas de croup; mais c'étaient peut-être des pneumonies pseudo-lohaires.
Mon collègue et ami le docteur Straus a fait paraître l'an dernier une
remarquable observation de pneumonie érysipélateuse. J'y renvoie le
lecteur (Revue mensuelle de Médecine, 1879).
La pneumonie fibrineuse, en Angleterre du inoins, n'est pas rare dans
le rhumatisme articulaire aigu (Fuller, Latham). Chez nous, c'est une
complication beaucoup plus rare, un peu moins rare cependant que ne le
pense Grisolle, car j'en ai vu pour ma part quelques exemples dans ces
dernières années.
Parmi les affections chroniques, ce sont, je crois, les affections rénales
qui donnent le plus souvent naissance à la pneumonie fibrineuse.
Rayer l'a rencontrée dans un douzième des cas de maladies de reins.
Le professeur Jaccoud se fondant sur la statistique de Frerichs et de
Rosenstehi, estime sa fréquence à 12,8 °/0. John Taylor va jusqu'à 24 70.
Becquerel (sur 127 cas) l'a vue dans la proportion de 20 l'/0-
Grainger Stewart (Bright's Diseascs of Mie Kidney) l'a rencontrée dans le
rapport suivant avec les différentes formes de maladie de Brighl.
Dans la néphrite aiguë 21 0'0
Dans le rein contracté ' */•
Dans le rein amyloide -4 %>
Selon 0. Sturges, la pneumonie serait plus commune dans le rein
amyloide que dans les autres formes de maladies de Bright. Rappelant l'opi-
nion de Dickinson, il ajoute que dans la néphrite parenchymateuse, on
observerait des péricardites cl des pleurésies plulôt que des pneumonies et
que dans la néphrite interstitielle il y aurait peu de tendance aux inflam-
mations parenchymateuses. Ces assertions demandent à èlre contrôlées.
On a dit que la pneumonie est commune dans les affections du cœur,
mais cette proposition ne me paraît pas parfaitement exacte. Ce qu'il est
fréquent de trouver chez les cardiaques, c'est la carhiGcation; la pneu-
monie elle-même est assez rare.
Pour la tuberculose la question est controversée Bernheim. notam-
ment soutient» à cet égard, l'opinion, un peu absolue, selon moi, qu'un
phthisique ne peut cire pris de pneumonie fibrineuse. (Leçons de cli-
nique médicale, p. 59) Enfait, j'avoue n'en avoir pas observé moi-même.
Ln pneumonie n'est point rare riiez les diabétiques. Après la phthisier
PNEUMONIE LOHAIRE AIGUË. — tableau et mauchb dk la maladie. 405
c'est la complication à 'laquelle ils succombent je crois le plus souvent.
Les cancéreux, les cirfhotiques et généralement tous les cachectiques
sont fort exposés à la pneumonie. C'est chez un sixième, au moins, la
cause de la mort.
On l'observe aussi à la suite de brûlures et d'autres affections chirurgi-
cales dans une proportion que je ne suis pas en état de déterminer. J'ai
■déjà parlé plus haut des pneumonies qui succèdent au shoc.
En résumé, les causes déterminantes des pneumonies primitives ou
secondaires envisagées d'une manière générale, se réduisent à deux :
extrinsèques ou intrinsèques, mais il n'est pas facile de faire la part de
chacune d'elles.
Aux premières assortissent évidemment les pneumonies contagieuses,
manifestement miasmatiques; et les pneumonies souy la dépendance d'une
constitution médicale, qu'on admette ou non pour elles une influence
miasmatique mitigée. Aux secondes appartiennent les pneumonies qui
sont le résultat d'un trouble nerveux ou d'une dyscrasie. Mais outre les
pneumonies évidemment de cause, soit extrinsèque, soit intrinsèque, il
en reste un certain nombre dont la cause, probablement extrinsèque est
encore obscure et réclame la lumière de l'avenir.
Tableau et marche de la maladie. — Née sous l'une quel-
conque des influences que nous venons de passer en revue, la pneumonie
évolue de différentes manières. Elle débute en tous les cas par une con-
gestion à laquelle succède une exsudation intra-alvéolaire qui, au bout
de quelque jours se résorbe si la terminaison doit être favorable. Yoilà le
processus de la pneumonie. Mais, autant il est simple et régulier, autant
sont complexes et variables les phénomènes par lesquels il se révèle :
tantôt les symptômes de début sont solennels; tantôt ils sont insidieux;
tantôt la flèvre est intense ; tantôt, elle paraît manquer ; tantôt des
signes physiques d'auscultation et une expectoration caractéristique
décèlent clairement la lésion ; tantôt ils font défaut ainsi que l'expectora-
tion; tantôt l'affection pulmonaire reste jusqu'à la lin seule maladie; tantôt
elle se complique des affections les plus variées et les plus graves. Bief, je
n'en finirais pas si je voulais rappeler les contrastes qui abondent dans
l'histoire de la pneumonie et qui la rendent, de toutes les grandes mala-
dies internes, l'une des plus intéressantes et des plus difficiles à exposer.
Eu décrivant une espèce morbide, et afin que leur description s'appli-
que bien à toute l'espèce, les pathologistes empruntent à chacun des dif-
férents types dont elle se compose quelques particularités, de même que,
dit-on, les statuaires grecs copiaient sur différents individus les traits qui
leur paraissaient les plus parfaits. Mais cette méthode n'csL pas applicable
quand l'espèce est disparate ou, en d'autres termes, quand les individus
qui la composent sont fort dissemblables entre eux. Elle aboutirait à pro-
duire un tableau qui non-"seulement ne ressemblerait à rien de réel, mais
qui serait môme une véritable monstruosité. Voilà ce qui arriverait si je
décrivais la pneumonie en mélangeant les traits de ses différentes varié-
tés. Pour ne pas tomber dans ce défaut, je retracerai le type commun,
406 PNEUMONIE LOBA IRE AIGUË. - tableau et habohb de u malabik.
régulier, de la pneumonie primitive, celui que nous avons habituellement
sous les yeux dans les hôpitaux de noire pays; puis quand j'aurai succes-
sivement passé en revue tous les symptômes dont le groupement constitue
ce type, je donnerai un aperçu des autres formes, mais d'une manière
brève, afin de ne pas tomber dans trop de redites.
Tableau du type commun régulier. — Chez le quart des malades il y
a des prodromes, consistant, dit Grisolle, en malaise général avec ou sans
perte de l'appétit et des forces, et sensibilité au froid; puis survient un
frisson violent, presque constant chez l'adulte et aussi chez le vieillard
(Charcot). Ce frisson, dans les trois quarts des cas, est le symptôme
initial de l'invasion de la pneumonie.
Après le frisson qui est parfois suivi d'un vomissement, le malade
ressent un point douloureux siégeant sur l'un des mamelons ou latérale-
ment à la base de la poitrine; puis il éprouve de l'oppression et com-
mence à tousser. En même temps il se sent accablé et souffre de cépha-
lalgie ; beaucoup éprouvent le besoin immédiat de s'aliter.
C'est qu'en effet le frisson n'est que la première manifestation d'une fièvre
intense. Au moment où il a lieu, la température des cavités naturelles
est déjà un peu au-dessus de la normale. A partir du frisson, elle s'élève
très rapidement. Chez une vieille femme, Quinquaud (thèse de Monthus
Paris 1868) a noté les chiffres suivants : au moment du frisson 58°, 5;
un quart d'heure après 59°, 5 ; une heure après 41° C. Ce dernier
chiffre est à la vérité un peu exceptionnel et chez cette malade l'ascen-
sion thermique a été beaucoup plus rapide que d'habitude. La règle est
de trouver 40° C. environ, quelques heures après le frisson.
Un amendement, momentané peut succéder au frisson initial; la
température s'abaisse quelquefois de plus d'un degré et le malade éprouve
un bien être relatif. Mais c'est là un calme trompeur, et au bout de quel-
ques heures, la maladie reprend sa marche. La température remonte à
40° et s'y maintient ou dépasse ce chiffre.
Dès le lendemain divers signes physiques viennent affirmer l'existence
de la pneumonie et nous renseigner sur son siège. C'est en premier lieu
une expectoration spéciale, caractéristique et ce sont des signes de percus-
sion et d'auscultation, dont les râles crépitants, signe d'engouement
pulmonaire, sont les plus décisifs.
Le surlendemain du frisson et même le jour suivant, on observe dans le
plus grand nombre des cas une extension de la phlegmasre, à en juger par
les signes physiques : les râles crépitants d'abord concentrés en un
foyer restreint, par exemple dans l'aisselle, occupent une plus large sur-
face, tandis qu'un nouveau signe d'auscultation, du souille, signe habituel
de l'hépatisation confirmée, occupe le point primitivement envahi psi
!es râles crépitants. Pendant plusieurs jours la pneumonie peut s'étendre
proche en proche ; parfois, mais fort rarement, elle envahit même le
poumon du côté opposé.
Pendant ce temps la fièvre persiste, continue, sauf des rémissions sur
lesquelles nous reviendrons plus loin, et des exacerbalions dont la cause
PNEUMONIE LOBA IRE AIGUË, symptomatologie spécule. 407
parfois nous échappe, mais le plus souvent peut être rapportée à une
extension de la phlcgmasie. L'état général, la dépression des forces,
l'anorexie, etc., vont en s'aggravant pendant plusieurs jours.
Puis, à un moment qui varie entre le sixième et le neuvième jour,
à partir du début, rarement plus tôt ou plus tard, il y a dans le tableau
svmptomatique un changement assez brusque, dans le cas où la maladie
doit guérir: la fièvre tombe; il se produit parfois quelques phénomènes
dits critiques : des sueurs, un sédiment urinaire, et chez le vieillard, sou-
vent de la diarrhée; les signes locaux se modifient, l'hépatisatjon se-
résout, à en juger par la disparition du souffle et les râles de retour, et
le malade entre en convalescence.
Si la défervescence n'a pas lieu, la suppuration de la partie hépatisée
s'établit; la fièvre persiste et le malade meurt au bout d'un temps va-
riable, soit de la pneumonie elle-même, soit par le fait d'une complication.
Etudions avec quelques détails les différents symptômes:
Symptomatologîe spéciale. — Habitus extérieur. — Bien qu'il
ne soit nullement caractéristique, il suffit souvent à un médecin expéri-
menté pour lui faire soupçonner l'existence d'une pneumonie : la face est
altérée dans presque tous les cas ; non qu'elle présente cette animation
banale que l'on observe dans tout malade fébrile, ou qu'elle soit uniformé-
ment rouge et vultueuse : d'habitude le front et le sillon naso-labial
sont pâles tandis que les pommettes sont fortement colorées, surtout l'une
d'elles et souvent une seule exclusivement; les yeux sont un peu in-
jectés; quelquefois les lèvres sont légèrement cyanosées; puis le long du
sillon naso-labial ou autour de la bouche, existent parfois quelques vési-
cules d'herpès. Quant à son expression, le visage accuse la souffrance,
l'accablement, et surtout la dyspnée, qui, lorsqu'elle est très-prononcée,
se manifeste, surtout chez les enfants par des mouvements inspiratoires
des narines. S'il y a tendance à l'asphyxie, les muscles auxiliaires du cou
entrent en action ; on remarque une cyanose générale des extrémités ;
le malade est anxieux ; il s'assied à moitié sur son lit, la tête élevée.
D'habitude le décubitus se fait sur le dos; du côté malade, il est péni-
ble et même douloureux si le point de côté est intense ; cependant les
enfants choisissent souvent ce côté, mais alors se tiennent immobiles, en
courbant instinctivement la colonnne vertébrale du côté sain. C'est par
cet ensemble de symptômes extérieurs que l'attention du médecin est
attirée vers l'appareil respiratoire.
symptômes fournis par i, 'appareil respiratoire. — 1° Point de côté. —
Il siège du côté de la pneumonie, le plus souvent au niveau du mamelon,
ou bien un peu en bas et en dehors, exceptionnellement en dedans du
mamelon et plus rarement encore dans l'aisselle, dans le liane, ou dans la
fosse sous-épineuse.
La douleurest vive et lancinante chez la moitié des sujets; quelquefois elle
est fort peu accusée et il faut pour la réveiller un certain degré de pres-
sion. Elle peut manquer, surtout dans le cas où la pneumonie est cen-
trale ; quant à sa pathogenie, l'explication la plus satisfaisante me paraît
•408
PNEUMFNIE LOBA IRE AIGUË. — dïpsméb.
celle de Jurgensen qui, comparant la douleur du point de côté à
celle du panaris, pense qu'elle est le résultat de la pression exercée sur
la plèvre par le poumon augmenté de volume, Dans quelques cas lout à
l'ait exceptionnels, elle s'esl, dit-on, manifestée du côté opposé au pou-
mon malade (Lacnnec, Gerliardl). Selon ce dernier, cette anomalie
s'expliquerait par les anastomoses qui existent entre les nerls intercostaux
de l'un et de l'autre côlé.
2° Dyspnée. — Elle est non-seulement objective, mais subjective,
quelques malades se plaignant soit d'un sentiment de gène au moment de
l'entrée tie l'air dans la poitrine, soit éprouvant le sentiment angoissant
du besoin d'air', mais c'est seulement la dyspnée objective qui doit nous
occuper ici.
A. L'accélération de la respiration, qui est le caractère principal de la
dyspnée objective, est constante et souvent considérable, surtout chez les
enfants en bas âge qni peuvent avoir soixante-dix à quatre-vingts respi-
rations par minule. Elle survient peu d'heures après le début de la mala-
die, quelquefois tout à fait au début, avant tout autre symptôme physique.
Non-seulement le chiffre absolu des respirations est beaucoup aug-
menté, mais ce qui a plus d'importance pour mettre sur la voie d'une
affection thoracique, le rapport entre la fréquence du pouls et de la res-
piration est notablement modifié. Tandis que dans les maladies fébriles
qui n'intéressent pas l'appareil respiratoire, il est comme à l'état normal
représenté par les chiffres : 2 :: 9, il devient : 4, 5 ou 6 :: 9, ce qui
tient probablement â un excès d'acide carbonique dans le sang.
Sauf dans quelques cas de pneumonies où l'on voit une dyspnée
extrême due selon toute vraisemblance à une congestion concomitante
du poumon, la dyspnée n'est très-grande en général qu'au bout de quel-
ques jours, et alors elle se lie souvent à l'existence d'une pneumonie
très-étendue ou bi-latérale.
Néanmoins il est impossible de préjuger à l'aide de ce seul signe l'éten-
due de la phlegmasie ; car il y a à cet égard de nombreuses excep-
tions : plusieurs malades, au rapport de Grisolle lui-même, « ont succombé
a des pneumonies doubles ou avec une hépatisation de tout un poumon,
et cepcndanL chez eux l'on n'avait jamais compté que 24, 28 ou 50 respi-
rations par minute, tandis que chez d'autres malades, qui n'avaient que
des pneumonies très-circonscriles, le nombre de respirations dépassait
50 ou 60. Plusieurs faits^de ce genre ont été vus par nous pendant l'épi-
démie de grippe qui régna à Paris en 1857. Le plus ordinairement il n'y
avait vers la plèvre, le poumon et le cœur aucune complication. Doit-on
ilors attribuer, avec les pathologisles anglais la dyspnée et l'accéléra-
tion de la respiration à une excitation inflammatoire de tout le pou-
mon? Ce serait faire une supposition qu'il nous serait impossible de
justifier par aucune preuve analomiquc ou symptonialiquc; il faut ne
voir ici que des différences résultant de dispositions individuelles tenant
à une impressiomiabilité qui n'est pas la même chez ions, à une idiosyn-
crasie dont la cause reste toujours inexplicable pour nous. »
PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — expectoiution.
409
Cette opinion de Grisolle ne me parait juste qu'en partie : il est certain,
pour traduire sa pensée dans le langage actuel, que la dyspnée dépend du
degré d'excitabilité du bulbe. Or, une excitabilité faible n'est pas le résul-
tat d'une idiosyncrasie, c'est-à-dire d'une disposition individuelle. Un
médecin comme lui n'aurait pas dû oublier que l'excitabilité varie avec
l'état des malades. Dans le collapsus, dans la période terminale, elle tombe
au minimum ; dans la phase sthénique de la maladie, elle est exaltée, de
sorte qu'il suffit de transporter du poumon au bulbe Vinflammatory ex-
citement de Slokes pour que la vue du médecin anglais exprime une
réalité au lieu d'une cireur.
Ce n'est pas seulement un sang anormal par sa température ou sa
teneur en gaz qui est susceptible d'exciter le centre respiratoire du
bulbe ; on sait qu'on arrive encore au même résultat par l'excitaton des
nerfs. Tout porte à croire qu'il peut en être ainsi dans la pneumonie.
Bouillaud croit que, toutes choses égales, la pneumonie du sommet
donne lieu à une dyspnée plus forte que la pneumonie de la base. Si le
fait est exact, l'exagération de la dyspnée s'expliquerait par une action
réllexe, car, ainsi que nous le verrons plus loin, les pneumonies qui occu-
pent le sommet excitent certainement plus de troubles réflexes que celle
de la base.
B. Le type respiratoire peut n'éprouver dans la pneumonie, d'autre
modification que celle qui résulte de la douleur du côté affecté ; mais si
la dypsnée est forte, les muscles accessoires entrent en action. Chez l'en-
fant, les contractions énergiques du diaphragme rétrécissent la base de
la poitrine et projettent à chaque inspiration l'épigastre et les viscères
abdominaux. Lorsqu'il y a un état aspbyxique et une accélération extrême
des mouvements respiratoires, ils sont naturellement très-superficiels.
5° Toux. — La toux, est constante, sauf exception des plus rares;
mais elle est beaucoup moins intense que dans la bronchite. 9 fois sur
10 elle débute dans les douze premières heures à partir du frisson. C'est
donc un symptôme précoce. En général, le point de côté et la toux s'ex-
citent l'un l'autre. En effet on conçoit facilement que la secousse de la
toux augmente le point de côté. Et quant à l'influence inverse, on la
comprend aussi aisément si l'on réfléchit que le malade éprouvant, à cause
de la dyspnée, le besoin de respirer plus profondément est arrêté par la
douleur, ce qui augmente la sensation de dyspnée et provoque immédia-
tement la loux.
On a noté que lorsque la pneumonie marche vers une issue fatale, la
fréquence de la toux diminue ; ebez les vieillards elle est en général plus
discrète que chez l'adulte.
Expectoration — Elle est caractéristique dans la pneumonie fran-
che, à cause de la couleur et de la consistance spéciales des crachats. On
sait qu'elle fait défaut chez les enfants. Ce qui suit a donc exclu-
sivement Irait aux pneumonies franches primitives de l'adulte et du
vieillard.
Bans le tiers des cas, les crachats sont sanguinolents dès le premier
410
PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — bxwhjtohatwh.
jour de la maladie; mais bien qtie colorés fortement par le sang, au
point de présenter une coloration de brique pilée, ds ne sont jamais alors
constitués par du sang pur. Une expectoration exclusivement sanglante
devrait faire supposer l'existence de tubercules ; en général d'ailleurs
ils ne gardent pas longtemps, quand 'ils le possèdent, le caractère san-
guinolent et ils prennent l'apparence de gelée d'abricot, qui parfois sur-
vient dès le début, ou même une coloration plus pâle encore; ils peu-
vent ensuite, mais plus rarement, offrir une teinte verdâtre ou même
porracée ; puis ils deviennent blancs opaques ou bien, beaucoup moins
fréquemment, ils revêtent la couleur du cbocolat au lait ou du jus de
réglisse, ce qui est en général un signe de mauvais augure.
On sait que ces diverses colorations des crachats pneumoniques, sauf
dans certains cas la coloration verte, sont simplement produites par la
matière colorante du sang épanché dans les voies aériennes en proportion
variable. Des crachats couleur brique doivent se rencontrer dans le cas
où la fluxion est intense, des crachats gelés d'abricots, lorsqu'elle est
minime , à moins que l'abondance de l'hémorrhagie soit plutôt en
rapport avec un degré de fragilité des capillaires particulièr à l'in-
dividu ; mais je penche plutôt pour la première hypothèse, attendu
que l'expectoration rouilléc manque dans certaines épidémies.
Quant à la coloration verdâtre, elle tient quelquefois à la présence de
la biliverdine, ainsi qu'on peut s'en assurer par la réaction de Gmelin,
et alors, c'est une complication, sur laquelle nous aurons occasion de-
revenir; mais dans un certain nombre de cas les crachats peuvent pré-
senter une coloration parfaitement verte, en l'absence de la biliver-
dine, ce qui peut s'expliquer, ainsi que me l'a fait remarquer mon ami
Cazeneuve, si les crachats ont une réaction franchement alcaline, par
le dédoublement de la matière colorante du sang en matières albumi-
noides et en hématine, laquelle en présence des alcalis a une coloration
verdâtre. Quelquefois enfin la coloration verte des crachats dépend de
la présence de productions parasitaires.
En 1868, Cornil a montré à la Société de biologie des « crachats ver-
dâtres recueillis dans un cas de pneumonie aiguë très intense. » (Il n'est
pas dit à quelle période de la pneumonie). «A l'examen microscopiques
cette coloration parait due à la présence de petits corpuscules à doubles
contours, offrant entre ces deux contours une couleur verte très brillante.
Ces corpuscules déposés en amas quadrilatères ressemblent à ceux de la
sarcine, mais sont d'un diamètre beaucoup moins grand que ces derniers.
On trouve de plus dans les préparations des corpuscules plus gros, à
double contour, remplis de granulations, ayant une couleur jaune ou<
verte, et enfin des corps volumineux remplis de grosses granulations de
la même couleur. Ces éléments ne se modifient pas sous l'influence des
réactifs tels que la potasse, l'acide sulfurique, qui agissent habituelle-
ment sur les matières organiques. Cornil pense qu'il s'agit ici de pro-
ductions végétales. » (4° série, tome V, p. 59).
En 1875, sans connaître la découverte de Cornil, Rosenbacha, de son
PNEUMONIE LOBAIRK AIGUË. — expectoration.
411
côte, signalé la nalure végétale de crachats verts, mais il ne s'agissait
pas dans son cas d'un pneumonie, mais d'un asthme.
Après leur couleur, le caractère le plus frappant des crachats pneu-
moniques est leur viscosité, qui leur permet d'adhérer fortement au fond
du vase.
Leur quantité diurne est variable, et il faut faire ici une remarque :
tous les crachats qu'expectore une pneumonique, ne sont pas néces-
sairement pneumoniques ; tous ne sont pas visqueux et colorés ; il en
est de purement muqueux provenant des parties non enflammées du pou-
mon. Si l'on ne tient compte que des crachats vraiment pneumoni-
ques, leur quantité est en général minime ; elle est parfois presque
nulle, ce que Buhl explique en disant que l'inflammation est exactement
limitée aux alvéoles et n'a pas envahi les fines bronches. Bien rarement
la quantité de 70 à 80 grammes par jour est dépassée. Dans un travail
de Ricsell-Huppert, que j'aurai plusieurs fois l'occasion de citer, il est
dit que dans un cas de pneumonie de tout le poumon gauche à la pé-
riode d'état, les crachats s'élevaient, au maximum, à 07 grammes par
jour; le minimum était de 55 grammes. Dans le premier cas ils renfer-
maient 5 grammes et dans le second 1,9 de substance sèche. Comme la
proportion de substance sèche était moindre à mesure que la quantité
totale diminuait, il ne s'agissait pas d'une simple concentration, ainsi
qu'on eût pu le supposer a priori. Il est intéressant de noter qu'à la
période de résolution la diminution fut plus accusée encore : la quantité
des crachats ne dépassa pas 8,8 par jour, avec un gramme seulement de
matières lixes.
De tels faits, et ils constituent la règle, sont absolument opposés à
l'idée de Rindfleisch, que la masse principale de l'exsudat est reje-
tée par l'expectoration, opinion qui parait d'ailleurs peu vraisemblable,
quand on songe à l'étroitesse des canal iculcs respirateurs aboutissant
à l'alvéole et à la facilité avec laquelle du sang injecté dans les voies
aériennes, chez le lapin, est résorbé par la paroi alvéolaire, puisqu'au
bout de peu de minutes on trouve beaucoup de globules rouges dans le
tissu interstitiel (Nolhnagel, Virchow's Archiv, Bd. LXXI).
C'est exceptionnellement que l'expectoration devient fort abondante
lors de la résolution ; et encore, dans ces cas, il est possible qu'il s'a-
gisse d'un flux bronchique. Biermer a sans doute commis cette confu-
sion, en évaluant à 550 grammes le poids journalier de l'expectoration,
à ce moment.
Par V examen microscopique, outre du mucus, reconnaissable à sa réac-
tion microchimique et des globules du sang rouges et blancs, on trouve,
dans un bon nombre de cas, quand on prend la peine de les rechercher,
des petits cylindres pleins, ramifiés, moules des bronches les plus fines.
Remak, le premier, les a découverts, en 1845, à la clinique de Schon-
lein, à Berlin, et les observa dans un grand nombre de cas de pneumo-
nie (50). II y avait alors une constitution médicale particulière. Remak
les considéra comme un produit d'exsudation; Gublcr , qui étudia avec
•il 2
PNEUMONIE LOBÀ1RE AIGUË. — mknsuhaho.n.
soin, quelques aimées après, des concrétions semblables dit, qu'à l'exa-
men microscopique, il a retrouvé à leur surface des cellules à cils vibra*
tiles, et la même observation a été laite par le professeur Kïiss. Gublcr
et Grisolle ont tiré de ce fait la conclusion que la concrétion lihiineuse
ne peut être due qu'à la fibrine du sang; mais cette conclusion n'est pas
justifiée, car un exsudât peut se l'aire à la surface de l'épilhélium, sans
entraîner sa chute.
On doit à Renk l'analyse chimique de l'expectoration dans deux cas
de pneumonie, (le second était compliqué de bronchite). Dans le premier,
voici la moyenne de 11 jours (en grammes).
Quantité. Tau. Mucus. Albumine. Graisse. Sels.
26 25,66 0,32 0,8 0.015 0,17
Dans le second , je rapporte les analyses de trois jours. La seconde
ligne correspond au jour de la défervescenec qui est arrivée le cinquième
jour.
Quantité, Eau. Mucus. Graisse. Sels.
45 45,7 0,56 0,609 0,57
145 159 1,51 0,028 1,41
155 147 1,68 0,056 Iy5i
Ici l'albumine n'a pas été dosée.
Le chlorure de sodium constitue la moitié environ des sels. Beale, dans
trois cas, a trouvé :
Dans 100 parties de matières solides. I" 2* 5*
Sels fixes 24,78 52,8 20,67
Chlorure de sodium 10 18 12,6
D'après Bamberger, les sels des crachats pneumoniques, comparés à
ceux des crachats de bronchite, présentent les particularités suivantes :
1° Ils ne renferment pas de phosphates alcalins, tandis que les sels des
crachats de bronchite en contiennent 10 à 14 pour cent ;
2° Ils sont plus'riches en soude qu'en potasse, contrairement à ce qui
a lieu pour les crachats de bronchite ;
5e Ils renferment 8 pour cent d'acide sulfurique, tandis que les crachats
de bronchite n'en ont que 5 pour cent.
Au moment de la résolution, la composition chimique des crachats
pneumoniques se rapproche de celle des crachats de bronchite , et la
proportion de graisse y est plus élevée.
Ajoutons enfin que le sucre y a été signalé par Walshe et par Beale et
la tyrosine par Griesinger, dans un cas où il n'y avait pas d'ictère et qui
se termina par la guérison (thèse déjà citée de Bleuler).
5° Inspection et mensuration de la poitrine. — J'ai déjà signalé que,
parle fait de la douleur, le côté malade peut se dilater un peu moins
que le côté sain. Parfois l'inspection a révélé, dans des cas de pneumonie
très-étendue, une légère voussure sous-claviculaire. indépendante de
toute pleurésie et ne durant que pendant la période la plus aigue de la
maladie.
PNEUMONIE LOUAI P. E AIGUË. —
PEBCUSSION.
413
D'une manière générale, dit AYoillez, « la mensuration, employée
dans le cours de la pneumonie, révèle une amplialion et une rétrocession
eu rapport avec les progrès croissants et décroissants de la maladie
La ligne de descente correspondant à la résolution de la pneumonie, n'est
pas aussi accusée que dans l'bypérémie simple et se prolonge plus tardive-
ment... Cela se comprend par l'existence de l'hépatisation. Ces données
n'ont pas de valeur diagnostique , mais elles jettent un jour nouveau
sur la marche et le traitement de la pneumonie , en y montrant la part
respective de l'inflammation et de la congestion. » Wintrich et Ziemssen
qui ont, au lieu de mesurer, comme Woillez, la périphérie générale
du thorax, pratiqué la mensuration comparative de chacune de ses
moitiés, ont aussi trouvé une augmentation de volume du côté malade ;
mais vu les différences individuelles qui existent, comme on sait, entre
les deux moitiés du thorax, les résultats acquis par la mensuration n'ont
de valeur que si on peut continuer celle-ci après la guérison de la
maladie.
6° Percussion. — Elle fournit des signes d'une toute autre valeur;
cependant il ne faut pas croire qu'ils soient toujours positifs. Ainsi on
eût pu s'imaginer a priori qu'il doit exister toujours de la matité dès
que l'hépatisation a envahi la surface du poumon dans une certaine éten-
due. Or, chez les emphysmateux la matité fait généralement défaut.
Cependant, par une percussion extrêmement faible, on peut éviter l'er-
reur résultant de la consonnance des parties emphysémateuses; mais une
percussion légère ne donne des résultats positifs que si le sujet n'est pas
chargé d'embonpoint.
Laissant de côté le cas particulier des sujets emphysémateux, voyons
ce que, dans les conditions ordinaires, la percussion nous révèle.
A, dans le ■premier stade de la pneumonie, on a quelquefois l'occasion
de constater du tyinpanisme au niveau même des parties qui seront ulté-
rieuremeut atteintes (l'hépatisation. Ce fait a été bien établi par
Woillez et Wintrich. Ce dernier assure que l'élévation de la tonalité n'est
pas modifiée, que la bouche soit ouverte ou fermée.
B, à la période d'hépalisalion, si celle-ci est superficielle, comme
c'est la règle, elle est décelée par une matité qui varie de la sub-niatité
à la matité presque absolue.
En même temps, cesl à dire à la période d'hépatîsation, on rencon-
tre dans un assez grand nombre de pneumonies, une exagération de
l'intensité de la sonorité qui a beaucoup frappé les premiers cliniciens
qui la constatèrent, lludson, Graves, Williams etc., et les induisit en
erreur. On sait aujoud'bui qu'elle ne doit pas être rapportée à un
pneumothorax, mais à la congestion pulmonaire concomitante. C'est
un symptôme commun qui s'observe, si on le cherche suffisamment,
dans plus de la moitié des cas.
Thomas fait d'ailleurs remarquer avec justesse qu'au niveau môme
de la matité, le son est toujours à un certain degré tympanique. sur-
tout chez l'enfant, et qu'il est modifié par l'ouverture et la fermeture de
414
PNEUMONIE LOBAIRÊ AIGUË. — ausculta™».
la bouche : ce qui prouve la consonnance de l'air contenu dans les grosses
bronches.
Exceptionnellement, la percussion fait constater un bruit de pot fêlé,
ce qui n'est d'ailleurs pas fort extraordinaire, puisqu'on le trouve,
comme on sait, à l'état normal, de chaque côté du sternum chez un cer-
tain nombre d'enfants, surtout du côté gauche. On peut donc le consi-
dérer dans la pneumonie comme une exagération du son trachéal de
Williams, autrement dit, comme une variété de son tympanique. C'est
aussi l'opinion de Woillez qui, a toujours vu le bruit de pot fêlé pneumo-
nique coïncider avec le tympanisme.
Quatre fois sur six il s'agissait de pneumonies droites; le bruit de pot
fêlé a été perçu dans la région susclaviculaire, au niveau des deuxième
et troisième côtes et des espaces intercostaux voisins, l'hépatisation occu-
ltant la base du poumon. Dans ces quatre pneumonies droites, il a offert
cette particularité qu'il n'a été constaté qu'un seul jour, du o" au 10'' de
la maladie, au moment où elle était dans sa plus grande acuité. Dans une
pneumonie gauche, ce symptôme insolite a duré jusqu'au 26e jour.
Il importe d'ajouter, ce qui n'est pas indifférent au point de vue de la
théorie de sa production, qu'il est influencé à un haut degré par l'ouver-
ture ou la fermeture de la bouche.
C. Si la résolution de la pneumonie a lieu, elle se manifeste, d'après le
professeur Thomas par un caractère un peu tympanique de la matilé ;
puis le lendemain et les jours suivants la matité diminue progressive-
ment.
Si, au contraire, la pneumonie passe à l'hépatisation grise il n'y a pas
de signe de percussion particulier.
7° Auscultation de la respiration: A. Dans le 1er stade. — On
sait, depuis la découverte de Laënnec, qu'au premier stade, la pneu-
monie se révèle par des râles crépitants. Au dire de Stokes, une respi-
ration puérile précéderait la crépitation d'une ou de plusieurs heures.
Grisolle, qui n'a « jamais constaté la respiration puérile comme signe
initial ou précurseur de la crépitation », dit que celle-ci peut être pré-
cédée, pendant un temps plus ou moins long, par un affaiblissement du
bruit respiratoire, qui souvent aussi avait perdu sa pureté et son moel-
leux; ces symptômes seraient sous la dépendance de la fluxion sanguine.
Plus récemment, Stephenson Smith, chez reniant [Edité, mal. dourn.
1800, nov.) et Waters de Liverpool (Brilisli med. dourn. 1870) ont de
nouveau insisté sur l'exagération du murmure, comme symptôme initial,
qu'ils expliquent, comme Stokes, par une congestion avec sécheresse du
tissu pulmonaire. Il est assez curieux que les auteurs anglais soient
les seuls à parler de ce symptôme.
Le râle crépitant n'a pas d'ailleurs la valeur palhognomonique que lui
avait attribuée Laënnec ; malgré cela, c'est un signe si important que l'on
peut dire sans exagération avec Grisolle que « lorsque la pneumonie se
révèle par quelques signes slhéloscopiqucs, la crépitation en est le phéno-
mène le plus constant. » (page 235.)
PNEI MONIE LOUAI RI-] AIGUË.
AUSCULTATION.
415
C'est une erreur de dire que les râles crépitants sont égaux entre eux;
le plus souvent on perçoit une bouffée de bulles nombreuses et fines,
parmi lesquelles une auscultation attentive permet de reconnaître des
bulles plus grosses. Un caractère fort important est qu'on les perçoit
exclusivement pendant V inspiration.
Quoi qu'en ait dit Laënnec, les râles crépitants ne sont pas constants
au début de la pneumonie. Grisolle a vu quatre pneumonies « dans les-
quelles il est certain que le ràlc crépitant n'a existé à aucune époque de la
maladie. » De son côté, Woillcz dit avoir constaté que sur soixante-
treize pneumonies, dix-buit fois, c'est-à-dire dans le quart des cas, le râle
crépitant n'a élé perçu que tardivement, c'est-à-dire un certain temps
après que dans d'autres points Vhépatisalion était franchement déclarée.
Sur ces dix-buit cas, il en compte quatre dans lesquels il n'y a pas eu
trace de râle humide pendant toute la durée de la maladie, et trois au-
tres dans lesquels le râle crépitant, survenu après le souffle et la bron-
chopbonie, n'apparaissait que par la toux. Chez tous les autres, le râle
crépitant n'est survenu qu'après les autres signes de la pneumonie, et
chez quelques-uns bien tardivement, puisqu'il n'est apparu que le trei-
zième, le seizième et le dix-septième jour.
B Dans le 2e stade. — L'hépatisation se manifeste à l'auscultation
par la respiration ou souffle bronchique et tubaire, qui consiste, comme
on sait, en ce que le murmure normal est remplacé par un bruit soufflant
et rude. A son degré le plus faible, il s'entend seulement à l'expiration,
et à son degré le plus accentué, ressemble, soit pendant l'inspiration,
soit pendant l'expiration, au bruit que l'on produirait en soufflant avec
force dans un tube de métal. Entre les deux degrés extrêmes, il existe
tous les intermédiaires possibles. Cependant il y a, et au point de vue
acoustique et au point de vue spécial qui nous intéresse ici particuliè-
rement, c'est-à-dire au point de vue de la séinéiotique de la pneumonie,
une si grande différence entre la respiration bronchique faible, unique-
ment ou presque uniquement expiratrice, et le souffle tubaire, métallique
à l'inspiration et à l'expiration, qu'il est nécessaire de les distinguer par
un nom différent. Afin de ne pas faire de néologisme, j'ai l'habitude,
dans mon enseignement, de me servir seulement des épithètes bron-
chique et tubaire, mais en prévenant que je ne les fais pas synonymes :
j'appelle respiration ou souffle bronchique la respiration peu modifiée
ou à peine modifiée à l'inspiration, rude à l'expiration, et dont le type
est le souffle pleurétiquc quand il nesl pas aigre; je réserve le nom de
tubaire à la respiration qui est métallique môme à l'inspiration.
La respiration bronchique et la respiration tubaire, définies comme
je viens de le faire, peuvent toutes deux s'entendre dans la pneumonie à
la période de l'hépatisation. S'il existe, je suppose, une hépalisation
limitée au lobe inférieur du poumon droit, on pourra entendre de la respi-
ration tubaire à la base de ce poumon dans une étendue variable, puis
plus haut, dans une étendue également variable, la respiration aura sim-
plement le timbre bronchique. Quelquefois c'est cette dernière qu'on
m PNEUMONIE LOBA1RE AIGUË, — vibbawoks,
entend seule au niveau de la portion liépatisée, à l'exclusion de la respi-
ration tubaire.
Souvent, je suppose toujours qu'il existe une pneumonie limitée à la
base droite, outre le souffle bronchique qui y est perçu, on entend, au
niveau de la racine de la bronche droite, un souffle bronchique; ce n'est
pas qu'il existe à ce niveau un autre point d'hépatisation ; ce signe est
symptomatique d'une congestion pulmonaire concomitante.
Ainsi la respiration bronchique, même dans le cas où existe une
pneumonie, n'est pas nécessairement produite par l'hépatisation. J'ajoute
qu'une hépatisation, même étendue, n'est pas nécessairement accompa-
gnée de souffle. Je reviendrai plus loin sur ce l'ait si important pour le
diagnostic.
A la période de résolution de la pneumonie, le souffle diminue pro-
gressivement. On entend beaucoup de râles humides lins et gros. Aux
premiers, on a donné le nom de râles crépitants de retour, dénomination
impropre, car ces râles n'ont de commun avec le vrai râle crépitant que
le nom. Outre les râles bullaires, il existe en quantité variable des râles
vibrants.
Si la pneumonie passe à l'hépatisation grise, le souffle persiste, mais
il est quelquefois passagèrement masqué par de gros râles vibrants. De
plus on entend beaucoup de râles bullaires assez semblables à ceux de
la résolution.
8° Auscultation de la voix. — En général, la bronchophonie c'est
à-dire la résonnanec exagérée diffuse et soufflante de la voix est en rap-
port avec l'intensité de la respiration bronchique et tubaire. On comprend
cependant qu'il n'en soit pas toujours ainsi, j'aurai occasion de revenir
sur ce point. (Voy. le ehapitre formes de la pneumonie).
9° Vibrations thoraciques. — D'après Monncret qui a attaché le plus
d'importance à ce symptôme comme signe de solidification du tissu pul-
monaire, elles sont toujours augmentées ; mais cette opinion, fort exclu-
sive, a été avec raison contredite par les meilleurs observateurs. Grisolle
dit n'avoir remarqué une augmentation des vibrations au niveau de la
partie liépatisée que dans sept cas sur seize; chez cinq malades il était,
dit-il, incontestable que les vibrations étaient diminuées; dans les quatre
autre cas, il n'existait entre les deux côtés aucune différence sensible.
Woillez arrive presque à la même conclusion. Les résultats de mon
observation personnelle s'écartent un peu moins de ceux de Monneret.
Néanmoins on comprend que l'augmentation des vibrations thoraciques ne
puisse avoir dans la séméiologie de la pneumonie l'importance du souffle
tubaire ou de la bronchophonie, puisqu'elle manque fort souvent,
alors même que ces deux symptômes existent. La plupart des cliniciens
sont, en pareil cas, disposés à admettre la coexistence d'une certaine
quantité de liquide dans la plèvre. .Mais celle conclusion n'est pas tou-
jours exacte, car une mince couche de liquide n'arrête pas les vibrations
thoraciques. Le plus ou moins de perméabilité des grosses bronches a
beaucoup plus d'importance à cet égard (Voy. le chapitré Fùrmes).
PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — ventilation pulmonaire. 417
10° Ventilation pulmonaire; température de l 'air expiré. — C'est un
sujet à peine ébauché, bien qu'on ait depuis longtemps songé à l'explorer.
Ainsi Nysten et Hervier Saint-Léger ont trouvé la proportion d'acide car-
bonique diminuée dans l'air expiré; mais comme ils n'ont pas tenu
compte de la quantité d'air qui a passé par les voies aériennes pendant un
temps donné, ce résultat n'a qu'une valeur médiocre. Tout récemment,
P.'iiil Ilcgnard a, sur trois pneumoniques, mesuré la quantité absolue
d'oxygène absorbé et d'acide carbonique exhalé en une heure ; il a
trouvé d'une manière générale une grande augmentation de la quantité
d'oxygène absorbé et une faible augmentation de la quantité d'acide
carbonique exhalé, par rapport à l'état physiologique; d'où il suit que
chez ces malades, il y a une quantité d'oxygène beaucoup plus grande
qu'à l'état normal, servant à faire autre chose que de l'acide carbonique.
Chez l'homme sain, on retrouve dans l'acide carbonique expiré les 9/10
de l'oxygène absorbé; c'est ce qu'on exprime en physiologie en disant que
CO2
le rapport — = 0,9. Or, dans beaucoup d'états pathologiques, et c'est
le cas pour la pneumonie, ce rapport est plus ou moins diminué.
Voici les résultats de Regnard :
1° Homme de 25 ans pesant 62 kilogrammes, double pneumonie.
T=59°,8.
Oxygène absorbé par lieure 3011,-,4
Acide carbonique exhalé 18
Rapport — =0,59.
~ô z
Chez ce malade, l'air expiré renfermait une forte proportion d'oxygène (18,4).
2° Homme de 55 ans, pneumonie gauche aiguë. T = 59°,8.
Oxygène absorbé par heure 29m,,87
Acide carbonique exhalé par heure '21 ,56
COa
Rapport -- — 0,1-2. (Regnard écrit 0,75 par erreur.)
Teneur en oxygène de l'air expiré 17 ,7
5° Homme de 40 ans, 40 kilogrammes, pneumonie gauche au troisième
jour. T = 40°.
Oxygène absorbé par heure 29lu*
Acide carbonique exhalé par heure 18 ,24
Rapport ^ = 0,63.
Teneur en oxygène de l'air expiré 17 ,2
Il y aurait lieu de poursuivre ces recherches qui sont tout à fait au
début. Il serait fort important d'y joindre l'élude de la température de
l'air expiré, que l'on dit avoir trouvé abaissée. Connaissant la quantité
d'air expiré, on en déduirait la proportion de chaleur dégagée par les
poumons.
NOUV. DICT. JIÉD. ET CUIR. XXVIII — 27
\ I s
l'NliUMONIK LOUAI h K AlliUË. — kièviik.
SiÊYiie. — La lièvre de la pneumonie fibrineuse est continue. Ce
caractère thermique distingue nettement celle-ci de la broncho-pneu-
mouie où la lièvre a un type rémittent très-marqué. Ce n'est pas à dire
cependant que dans la pneumonie lihriiieuse il n'y ail nulle rémission le
malin; ce serait une erreur, mais la rémission matutinale n'est pas, en
général, considérable; elle ne dépasse guère chez l'adulte qnalre dixièmes
de degré, cl elle n'est pas régulière.
C'est chez l'enfant surtout qu'on a signalé la possibilité de rémissions
survenant surtout le matin, irrégulièrement d'ailleurs, et bellement
prononcées que lorsqu'une d'elles survient le malin du quatrième ou du
cinquième jour, par exemple, on peut croire à une défervescence précoce.
On leur a donné le nom de rémissions pseudo-critiques.
Habituellement la température (dans le rectum) est comprise entre
59°, 8 et 40°4 centigrades. Une température constamment au-dessus de
40°, 5 est rare et ne s'observe que dans les cas très-grave-.
Je viens de parler de rémissions, mais il y a aussi des exacerbations
qui reconnaissent souvent pour cause une extension de la lésion pulmo-
naire. Cela est surtout manifeste quand la pneumonie envahit l'autre
poumon; il y a aussi des exacerbations dont la cause échappe; on en a
signalé une de ce genre le jour qui précède la crise {perturbatio prsecri-
tica) (Wutiderlich).
Chez le vieillard on pourrait, si l'on n'y prenait garde, méconnaîtra
l'existence d'une fièvre même intense, tant ses caractères extérieurs sont
parfois peu marqués. Cbarcot a insisté sur les faits de ce genre et
montré qu'il ne suffit pas de compter le pouls et d'explorer la tempéra-
ture de la peau ; il faut avoir recours à la Ibermomélrie et à la therino-
métric dans une cavité naturelle, telle que le rectum, plutôt que dans
l'aisselle : souvent alors on est étonné de lire une température de 40° cen-
tigrades, alors que la peau .ne paraît pas chaude et que les extrémités
sont froides. Ce phénomène, si bizarre en apparence, est, en réalité, bien
simple à expliquer. En général, les vieillards ne peuvent produire que
très-peu de chaleur. Ils ne sont donc en état d'élever leur température
centrale au degré fébrile qu'en limitant au minimum leur dépense en
calorique, tandis que l'enfant et l'adulte, qui sont capables de produire
surabondamment de la chaleur, en perdent, sauf à certains moments (par
exemple pendant le frisson), beaucoup par la peau, ainsi que le prouve
la chaleur périphérique exagérée qu'ils présentent. On voit par là l'in-
térêt de l'étude exacte de la température des parties périphériques; elle
nous permet d'apprécier jusqu'à un certain point l'énergie de la pro-
duction de chaleur. Le traité de diagnostic de Piorry (t. 111) renferme
quelques mensurations de température périphérique dans la pneumonie.
Ou a ensuite complètement abandonné ces recherches dont on a méconnu
la portée; elles n'ont été reprises que tout récemment (Lorain, Couty,
Torio, Schùlein).
Le fait qui s'en dégage, c'est la haute température de la périphérie,
dans lu pneumonie: d'après Schùlein (Virch. Arcli. Bl. LX.V1. p. 109,
PNKUMONIK LOUAI HE AIGUË. — èiëm. 419
187<î). la pneumonie, ainsi que la scarlatine et peut-être la rougeole se.
. Fie. 28. — Courbes de lu température du rectum (ligne supérieure), Je lu bouche (ligne moyenne), et
fourbe de la fréquence du pouls (ligne inférieure^, ebez un homme de 51 ans atteint de pneumonie
lobaire droite, entré à l'hripilal le troisième jour de sa maladie (G juillet). Le 7 et surtout le 8,
rémission matutiuale portant sur les 3 courbes; déïervcscence le 12. (Lorais. De la température du
corps humain, t. II, flg. 154.)
i distinguerait de la dotliicnentéric, du rhumatisme articulaire, de l'éry-
420
PNEUMONIE LOBAI RE AIGUË. — fièvre.
sipèlc, etc., en ce que la courbe de la température des extrémités (me-
surée tous les quarts d'heure) est parallèle à la courbe de l'aisselle. Ainsi
non-seulement le pneumonique perd relativement beaucoup de chaleur
par la peau, mais il la perd d'une manière égale et uniforme, ce qui n'a
pas lieu avec autant de régularité dans d'autres maladies fébriles. Celte as-
sertion fort intéressante demanderait à être vérifiée, car les recherches
de Schùlein ont été fort peu multipliées. Elle n'est, en tous cas, pas
d'accord avec les résultats antérieurs de Jacobson ; mais ce dernier
(Virch, Arch. LXV, 520), n'a examiné qu'un seul cas de pneumonie et
(p. 524) 2 jours seulement avant la crise; encore le premier de ces
deux jours plusieurs des résultais sont douteux d'après lui-même : (ce
jour il aurait trouvé une différence de 8 degrés entre l'aisselle et la paume
de la main ; plus tard, après la crise, il n'y avait plus qu'une différence
de 1 degré à 2, 9 entre l'aisselle et les divers points de la peau. Ce
sont donc des recherches à poursuivre, et encore, pour quelles aient une
portée incontestable, il faudra y joindre la mesure de la chaleur dégagée
par l'air expiré, étude pleine de difficulté, attendu qu'elle réclame qu'on
mesure le volume de l'air expiré en 24 heures. Ce n'est donc pas de
sitôt que seront recueillies et coordonnées toutes ces données indispen-
sables pour établir le bilan de la chaleur produite dans la pneumonie.
En attendant nous savons déjà que la pneumonie est, en général plus,
pyrétique que d'autres maladies, par exemple que la pleurésie ; qu'elle
l'est moins que la fièvre typhoïde, non que la moyenne des chiffres de
température relevés chez un pneumonique n'égale ou ne puisse même
dépasser celle que l'on obtiendrait chez un typhique à la deuxième se-
maine, mais il ne faut pas oublier que chez ce dernier la période fébrile
est beaucoup plus longue ; de plus il est un autre élément de compa-
raison fort important que signale Jurgensen, c'est que l'on pourrait beau-
coup plus facilement abaisser la température d'un pneumonique que celle
d'un typhique roit au moyen de la quinine, soit par les bains froids, la
température des deux malades étant supposée la même.
Nous avons vu plus haut que dans presque tous les cas qui se termi-
nent d'une manière favorable, il se fait au bout de quelques jours une dé-
fervescence plus ou moins critique. Les chiffres suivants nous renseignent
exactement sur la date précise de cette défervescence :
D'après la statistique de Jurgensen comprenant 721 observations ther-
mométriques empruntées à Griesinger, Lcbert, Naunyn. Thomas, Wun-
derlich et Zicmssen, ce serait :
Au bout de
2 jours
•i fois.
Au lioul de
10 jouis
5 —
57 —
Il ' —
4 —
30 —
12 —
5 —
120 —
15 —
(> —
87 —
L4 —
7 —
105 —
15 —
8 —
!)l —
16 —
0 —
72 —
La défervescence commence d'habitude dans la nuit, au momen
PNEUMONIE LOBAIRf] AIGUË. — pouls.
421
la rémission matutinalc, très-rarement au milieu du jour. En quelques
heures, la température tombe à la normale ou au-dessous. D'après la sta-
tisque de Lebert ce résultat a été obtenu :
En
12 heures
24 —
56 —
45 fois.
25 —
40 —
En
48 heures
00 —
72 —
12 lois.
2 —
1 —
■■1
Février
ïami
15
17
18
160 42
150\U1
13039
«0 3 8
110 37
wmwm
■■■■■
■■■Cil
En résumé, on peut dire que, dans les deux tiers des cas, la fièvre tombe
entre le cinquième et le sixème jour, et que sept fois, sur huit, elle
a lieu par crise et non par lysis.
Les jours qui suivent la défer-
vescence, on peut observer de pe-
tites élévations de température sur-
venant sous des influences variées.
. Je trouve dans le Médical Times
.and Gazette (12 mars 1877,) un
cas où à la suite d'une pneumonie
du sommet il y eut pendant plu-
: sieurs jours une élévation de tem-
] pérature, et il est dit que selon
IRinger, dans le service duquel se
l trouvait le malade, à University
i Collège, cette fièvre devait recon-
naître pour cause une résorption
des produits inflammatoires. J'i-
gnore si Ringer accepte la respon-
sabilité de cette assertion, qui ne
paraît guère fondée vu l'extrême
rareté de cette fièvre à laquelle je
ne vois point d'analogue, si ce
n'est la fièvre post-typhoïde sur
laquelle a beaucoup insisté le pro-
fesseur Bernheim [Clinique mé-
'dicale, p. 519 et suivantes).
Dans le cas de terminaison fatale, on peut (mais pas d'une manière
■'.nécessaire) observer l'une des deux alternatives : ou bien la température
-s'élève au-dessus de 40° 5, et dans le stade praiagonal, au-dessus de
141°, 5 (Wunderlich a observé 45° C), ou bien la mort arrive dans le col-
dapsus, la température tombant à un degré sub-fébrile. Ce dernier cas
s'observe, de préférence, chez les vieillards, les sujets affaiblis et présen-
tant des lésions cardiaques; mais il ne faut pas oublier que la termi-
miison par le collapsus est de beaucoup plus rare.
Je dois me borner ici aux faits précédents, mais on trouvera aux
chapitres diagnostic et pronostic quelques autres indications sur la
[(température fébrile dans la pneumonie.
Pouls. — Il doil être examiné: 1° quant à sa fréquence ; 2° quant à sa
i forme.
Fig. il). — Courbe île la température tin rectum
(ligne supérieure) , et île la fréquence du pouls
(ligne intérieure), dans un cas de pneumonie de
tout le poumon droit, ayant débuté le S février et
terminé par la mort le 11) malin. (Ces deux lobs
élant en état d'bépattsalion grise commençante).
L'observation de la température et du pouls s'ar-
rête 9 heures avant la mon. (Loiunr. Ile la tem-
pérature du corps humain, t. 11,11g. 165).
IW'KUMOiNIE LOBAIHE AIGUË. — poui.s.
1° Dans les maladies aiguës, la fréquence du pouls peut être étudiée
absolument, et dans ses rapports avec le degré de température et la fré-
quence de la respiration. La fréquence absolue du pouls augmente beau-
coup dans la pneumonie. Sur 108 pneumoniques ayant guéri, Grisolle a
trouvé (pie, chez près des trois quarts, le pouls avail dépassé L00 : chez
plus de la moitié, il a varié de 100 à 116; il ne s'est élevé au delà de 1 10
que chez moins du cinquième. Dans une autre série de pneumoniques dont
la maladie a eu une issue funeste, le pouls a présenté en moyenne 10 pul-
sations de plus. 11 est donc vrai de dire que la fréquence du pouls est,
d'une manière générale, en rapport avec la gravité de la maladie.
Les séries précédentes ne comprennent que des adultes — et aussi, sans
doute, quelques sujets un peu avancés en âge. Chez l'enfant, les chiffres
moyens sont tout différents : de 1 à 2 ans, on constate souvent 1 70 à 100,
quelquefois 200, presque jamais moins de 160 pulsations. Ce n'est que
dans la deuxième enfance que l'on en compte que 120 à 140.
11 existe, comme on sait, une certaine relation entre le pouls et la tem-
pérature clans toutes les maladies aiguës consistant d'abord dans le l'ait
bien connu que les courbes de la température et de la fréquence du
pouls chez le même sujet sont sensiblement parallèles ; mais il y a en-
core entre elles un autre rapport, moins étroit à la vérité mais plus
remarquable et en vertu duquel à une température de 40° C, par exem-
ple, correspondra chez deux pneumoniques, du même âge, à peu près le
même chiffre de pulsations. Or ce chiffre est toujours plus élevé que si
les sujeLs ayant 40° étaient atteints de fièvre typhoïde.
Quant au rapport de la fréquence du pouls et de la respiration, j'en
ai traité au paragraphe dyspnée.
2° Passons à l'examen des principales qualités du pouls; (a) la forme;
(b) l'amplitude ; (c) la force.
a) Règle générale: dans la pneumonie, comme dans toute affection fé-
brile, le pouls est plus ou moins dicrote ; ainsi que l'a bien dit Wolff,
c'est principalement la température qui influe sur l'intensité du dicrotisme;
mais elle n'est pas le facteur exclusif, car mes observations person-
nelles me permettent d'affirmer qu'à température égale, le pouls est
moins dicrote. dans la pneumonie franche que dans la fièvre typhoïde.
J'ai été heureux de trouver la même opinion exprimée par Galabin qui
ajoute, relativement au pouls de la pneumonie franche comparé à celui
de la dotbiénentéric les deux caractères suivants : lu « 11 supporte sans
être déformé une plus forte pression au moins dans les premiers jours de
la maladie; 2° les angles sont plus aigus et le sommet plus vertical. » Je
puis aussi confirmer l'exactitude de cette dernière remarque. Enfin
Galabin pense que des deux causes de dicrotisme, la faible tension et la
brusquerie de l'ondée lancée par le cœur, la dernière joue dans la pneu-
monie un plus grand rôle que dans la fièvre typhoïde, de sorte que le
pouls a plutôt le type dicrote sthénique.
Pendant le cours de la maladie, la forme du pouls subit de profondes
modifications. Les tracés suivants que j'emprunte à Lorain, le montrent
PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — pouls. 825
i d'iinr manière saississante fig. 50. Dans un cas d'effervescence il a eu lieu
i entre le 4e et le 5° tracé.
b) Quant a l'amplitude, on en juge, soit par la palpation, soit mieux
. encore par le tracé sphyginographique. On sait qu'elle n'est pas en relation
; avec la force, et qu'un pouls ample peut être en même temps 1res mou
Fit». ôU. — Tracés spliymographiqu.es, dans un cas de pneumonie fibrineuse franche, chez un homme
de 50 ans, ayant débuté le 25 mars.
Il" tracé, 29 mars matin. T. II. 40°, 4.
: 2* 50 mars matin. T. R. 10», 45, dicrotisme plus accusé (à cause sans doute de la faiblesse plus grande
du malade),
r 3* tracé, 1" avril. T. R. 39°,7, pouls faible.
14* tracé, 2 avril. T. R. 59",5, le pouls présente les mêmes caractères.
55" tracé (le lendemain de la défervcsccnce). T. R . 37°, 2, le pouls n'a plus les caractères du pouls fébrile.
— Deui jours après la convalescenec étant établie, plateau avec polycrotisme. (boiut*. De la tem-
pérature du corps humain, t. Il, fi;;. 157).
au doigt, c'est-à-dire présenter peu de tension. Ce n'est pas rare dans la
| pneumonie.
c) La force ou la dureté du pouls indique l'état de la tension artérielle.
1 La sphygmographie ne permet pas de l'apprécier. Avec de l'habitude, le
doigt donne des indications assez sûres. Mieux vaudrait sans doute un ins-
i trument récemment inventé par le professeur Marey [Comptes rendus
11878, 2e semestre) mais qui n'a point encore, à ma connaissance, été
utilisé dans la clinique des maladies fébriles.
PNEUMONIE LOBAIUE AIGUË. - sang.
D'après le professeur Jaccoud, le phénomène de la récurrence palmaire
peut fournir d'utiles indications sur l'état de la tension artérielle.
« A l'état de santé, dit-il, lorsqu'après avoir comprimé l'artère radiale,
l'on appuie dessus avec un doigt de l'autre main, on constate que la
pulsation rétrograde apparaît, pour ainsi dire, instantanément, et
qu'elle a les mêmes qualités de force et d'amplitude que le battement
normal. 11 n'en est plus ainsi dans la maladie. Dès que la puissance
contractile du cœur faiblit, la pulsation récurrente palmaire retarde dans
son apparition, et elle est notablement moins forte que la pulsation nor-
male directe ; à mesure que l'impulsion cardiaque diminue, le battement
se ralentit notablement, jusqu'à ce qu'il ne soit plus perceptible qu'à
de rares intervalles, ce qui est de fâcheux augure. »
Pouls paradoxal. — On sait qu'à l'état physiologique pendant une
inspiration modérée, la tension artérielle augmente, ainsi qu'on en peut
facilement juger par une légère ascensiondes maxima des pulsations, sur
un tracé sphygmographique. Au contraire, quand un sujet vigoureux, ayant
des muscles inspirateurs puissants, fait une inspiration énergique en fer-
mant la bouche et en pinçant le nez, la tension artérielle baisse, à cause
de la tension négative qui se produit dans le thorax. C'est ce qu'on appelle
le pouls paradoxal. On l'observe parfois dans la pneumonie, alors que
le malade, loin de mettre obstacle à l'entrée de l'air de la poitrine,
dilate ses narines à chaque effort inspiratoire. Cela tient-il à ce que le
poumon, solidifié dans une grande étendue, n'augmente pas assez de
volume au moment de l'inspiration pour combler le vide produit par la
dilatation du thorax? Est-il un signe d'affaiblissement du cœur? Je ne
puis faire autre chose que signaler ces interprétations.
Irrégularités du pouls. — On a parfois l'occasion de constater
des irrégularités du pouls dans la pneumonie. Tantôt ce symptôme se
présente chez un malade âgé, athéromateux, ou chez un sujet dont les
battements cardiaques sont sourds et précipités ; il s'agit alors évidem-
ment d'un trouble grave de l'innervation cardiaque; tantôt le malade
ne présente jusque-là rien d'anormal du côté du cœur; l'état général est
bon et la pneumonie est arrivée au sixième ou septième jour. Dans ce
cas, l'irrégularité du cœur, si elle survient, ce qui est d'ailleurs peu
commun (Nothnagel), a une toute autre signification : c'est un signe de
crise prochaine, par conséquent de terminaison favorable (Grisolle, Jur-
gensen).
§ANG. _ C'est au moyen de saignées, de ventouses ou de piqûres au
doigt qu'on peut l'étudier. Mais ce sont seulement les saignées copieuses
qui°en fournissent une quantité suffisante pour l'analyse chimique. C'esl
ainsi qu'Andral et Gavanct ont pu établir quelques laits importants.
.Malheureusement, il n'existe pas de méthode pour apprécier la modifi-
cation capitale qu'éprouve le sang: la diminution de sa masse.
Globules rouges. — Nous avons cependant un moyen de la démon-
trer, sinon d'apprécier à combien elle s'élève : en effet, la matière colo-
rante de l'urine éliminée dans les vingt-quatre heures est, dit-on, en quan-
PNEUMONIE LOBA IRE AIGUË. — sang.
425
tité quadruple de ce qu'elle est à l'état normal. Or, la proportion des glo-
bules rouges diminue, mais pas de moitié, ainsi que le montre la mé-
thode de la numération, et les analyses d'Andral et Gavarrel. D'après ces
auteurs le poids des glohules secs s'abaisse dans l'espace de trois à cinq
jours jours de moins d'un quart ; encore faut-il remarquer que les sujets
d'Andral et Gavarret avaient subi l'influence de deux ou trois saignées
qui avaient dû contribuer à l'hypoglobulie. Nous sommes, par consé-
quent, en droit de conclure que la proportion des globules rouges ne di-
minue pas de la moitié. Si cependant la matière colorante de l'urine est
en quantité quadruple ou même seulement double, n'est-ce pas un motif
pour admettre une diminution de la masse totale?
Je ne donne d'ailleurs cette preuve que pour ce qu'elle vaut, et ne me
fais pas d'illusion sur sa rigueur. Heureusement, il y a d'autres preuves
également indirectes, par exemple la diminution de la tension arté-
rielle, etc., qui plaident dans le même sens.
Au moment de la crise il peut se produire, si les sueurs sont très abon-
dantes, une concentration passagère du sang bientôt suivie d'un élat in-
verse, si le malade boit beaucoup.
D'après uno analyse faite par P. Regnard, le pouvoir qu'a le sang
d'absorber de l'oxygène ne serait pas diminué dans la pneumonie. Malheu-
reusement P. Regnard n'a fait qu'une seule fois cette recherche :
« Un homme de quarante-cinq ans, très-fort, est pris de pneumonie
sur presque tout le poumon gauche. Il meurt avec une température
élevée de 41°, 4, le quatrième jour, sans autre complication. La capa-
cité respective du sang recueilli après la mort est de 27 p. 100; c'est,
dit Regnard, le chiffre normal. »
Si cet intéressant résultat était confirmé, il serait une nouvelle preuve
à l'appui de ce que je disais tout à l'heure, à savoir que l'hémoglobine
n'est certainement pas (dans une quantité donnée de sang) diminuée de
moitié. Donc la pneumonie — et cela est d'accord avec l'observation clinique
journalière — n'est pas une maladie qui détermine l'hypoglobulie autant
que le rhumatisme articulaire aigu. Cette conclusion est d'autant plus
remarquable que, dans la pneumonie, il y a un exsudât considérable de
600 grammes. (Voy. plus haut).
Globules blancs. — La numération des globules blancs, parallèlement
à celle des globules rouges, est une recherche qui me paraît avoir
beaucoup d'utilité dans certain cas. J'y reviendrai plus loin. (Voy. ter-
minaisons et diagnostic) .
Fibrine. — On doit sur ce sujet de précieux documents à Andral
■ et Gavarret : « Sur quatre-vingt-quatre saignées pratiquées dans le cours
1 de pneumonies non caractérisées, il y en eut sept seulement où le chiffre
i de la fibrine oscilla entre 4 et 5 (c'est-à-dire fut peu augmenté) ; dans les
: soixante-dix autres, il dépassa ce dernier chiffre, se maintenant onze
I fois entre 5 et 6 ; dix-neuf l'ois entre 0 et 7, quinze fois entre 7 et 8; dix-
• sept fois entre 8 et 9, neuf l'ois entre 9 et 10 ou dépassant même un peu
( ce dernier chiffre. » D'où il suit que, d'après ces auteurs, l'augmentation
426 PNEUMONIE COBAIRE AIGUË. — ciu.ne.
de la (ibrinc est un fait constant et que la pneumonie est une des phleg-
masies où ce caractère est le plus accusé.
Je n'insisterais pas sur l'importance de ces résultats, si, vu leur
date déjà éloignée de nous, ils n'étaient un peu Irop oubliés aujonrd'bui
par les auteurs qui veulent distraire la pneumonie de la classe des
phlegmasies. Je reviendrai d'ailleurs sur ce point.
Matériaux solides du sérum. — Voici comment se comportent, dans
les sept cas d'Andral et Cavarret, les matériaux solides du sérum : une l'ois
état stationnaire avec oscillations, une fois abaissement insignifiant de
84 à 80 ; une fois ils tombent de 85 à 75 ; trois fois ils s'élèvent, à savoir :
de 07 à 75, de 85 à 01 et de 85 à 01. On voit donc qu'en somme, le
chiffre des matériaux solides du sérum ne s'abaisse pas, comme on aurait
pu le croire, au-dessous du chiffre normal, malgré l'énorme soustraction
que fait au sang l'exsudat pneumoiiique. Ceci me paraît prouver qu'en
définitive, les matériaux de l'exsudat sont fournis pour la majeure part,
non par le sang lui-même, mais par les tissus de l'économie, le sang ne
jouant que le rôle de véhicule.
Des sels du sérum. — Les matériaux sont très peu nombreux sur celle
question. Je ne connais que les analyses de Jarisch qui, dans un cas
de pneumonie, a trouvé : 1° une forte augmentation de l'acide sulfu-
rique (11 gr. 4, au lieu de 7); 2° une légère augmentation de la soude
(2Ggr.au lieu de 24); 5° par contre une légère diminution de l'acide
phosphorique, du chlore, de la potasse et du fer. (Med. Jahrb. 1877, p. 60).
On a parfois noté un aspect laiteux du sérum, dû à des granulations de
graisse.
Chez plusieurs malades de mon service, j'ai remarqué que le sang re-
tiré au moyen de ventouses et traité par le procédé de Cl. Bernard, rédui-
sait une quantité de liqueur de Fehling beaucoup plus abondante qu'à
l'état normal. D'après Cazeneuve qui a poursuivi ces recherches, la
réduction ne saurait être rapportée uniquement à de la glycose, car elle
ne se produit pas de la même manière que lorsqu'on opère avec de la
glycose, et il est très-difficile de bien apprécier la limite de la réduction.
Urine. 1° pendant la période fébrile. — La quantité est en général,
notablement diminuée, et peut ne pas dépasser 500 et même 500 dans
les vingt-quatre heures.
La densité est plus élevée que d'habitude; la coloration beaucoup plus,
prononcée qu'à l'état normal. D'après Yogel, on pourrait approximative-
ment évaluer la proportion de matière colorante au quadruple de l'étal
physiologique.
L'urine pneumonique est presque toujours Irès-acidc; si l'on s'en te-
nait à cette vue superficielle, on en conclurait que le pneumonique excrète
plus d'acide par le rein que l'homme sain. En fait, cette supposition ne
paraît pas exacte, car il faut tenir compte de la diminution de la quantité
d'urine.
Les matériaux fixes de l'urine sont notablement augmentés dans la pé-
riode fébrile de la pneumonie. Sur ce point, il n'y a pas de contestation,
PNEUMOMK LOBAI RE AIGUË. — urine.
427
mais à quel moment cette augmentation est-elle la plus considérable? .
A cet égard, les auteurs sont divisés : les uns l'auraient constatée au com-
mencement, les autres à la fin; j'avoue que je doute fort de l'exactitude
de cette dernière assertion. Au bout de plusieurs jours de diète, le pneu-
monique se trouve dans un état assez semblable à l'animal à l'inanition.
Or, chez celui-ci, les matériaux fixes, à partir du premier jour de l'ina-
nition, diminuent chaque jour fort rapidement; en d'autres termes, leur
courbe se rapproche beaucoup de la verticale, puis, au bout de quelques
jours, ils ne diminuent plus, il est vrai, pendant une période d'une cer-
taine durée, mais jamais ils ne remontent au niveau primitif. Je ne mé-
connais pas les différences profondes qu'il y a entre un fcbricitnnt à la
dièle et un animal à l'inanition, et je suis loin de nier qu'une poussée
fébrile intense, au deuxième ou au troisième jour, ne puisse produire
une quantité de déchets supérieure à celle du premier jour ; mais je crois
cependant qu'au bout de quelques jours de consomption fébrile, l'éco-
nomie est assez appauvrie pour ne pouvoir dépenser autant que les pre-
miers jours. Les auteurs qui ont cru le contraire se sont trompés : ou bien
parce qu'ils n'ont pas assisté au premier jour de la lièvre, et qu'ils ont
comparé, par exemple, le sixième jour et le troisième ; ou bien parce
qu'ils ont confondu la fin de la période fébrile avec le commencement de
la période critique, où il peut y avoir, en effet, une excrétion momenta-
nément fort exagérée, comme nous allons voir.
Mais étudions en particulier quelques-uns des matériaux solides de
l'urine.
Urée. — La quantité journalière d'urée est le plus souvent beaucoup
au-dessus de la normale, surtout les deux ou trois premiers jours; puis
elle décroît, malgré la persistance de la lièvre, à cause de la diminution
progressive de « l'albumine de circulation. » D'après les auteurs, l'urée
pourrait s'élever au quintuple de l'état normal et même au-dessus (Parkes),
quantité qui me semble fort étrange, et qui est, en tous cas, fort au-dessus
de ce que j'ai personnellement observé. Dans l'impossibilité où je suis de
critiquer de telles assertions, je me borne à les mentionner.
L'acide uriqne, dans l'urine pneumonique, est en proportion beaucoup
plus considérable qu'à l'état normal ; mais il ne faut pas en juger par les
dépôts, caria formation d'un dépôt est en rapport, non avec la quantité
d'acide uriqne excrété dans les vingt-quatre heures, mais avec la propor-
tion relative de l'acide urique dans l'urine, autrement dit. avec la concen-
tration de celle-ci et surtout avec sa teneur en phosphate acide de soude.
L'acide urique semble aussi augmenté par rapport à l'urée, mais d'une
quantité qu'il est difficile de fixer, vu l'incertitude où l'on est sur les li-
mites du rapport normal entre l'acide urique et l'urée. D'après Scheube,
les premiers jours, il serait, dans le rapport de 1 à 60 (ce qui ne con-
stituerait pas une bien grande augmentation). Les jours suivants, il
y aurait relativement un peu plus d'acide urique; le rapport serait:
1 à 52, et même 1 à 52 (moyenne des 8e, 9U et d0c jours chez un jeune
homme). Je n'ai pas, je l'avoue, une bien grande confiance à ces
428 PNIîUMONIK LOBA1RK AIGUË. - „hink.
moyennes, vu les variétés individuelles et le petit nomlire de cas qu'a étu-
diés M. Schoube (4 cas). Ce qui justifie mes doutes, c'est que sa troisième
observation prouverait précisément le contraire de ce qu'il avance. Voici,
en effet, ses chilTres :
5" jour, rapport 1 ; .j[
* — — ? •* t 0 , S ,!.'••.' ; . i : 53,8
, .' 8* - nmrf. , t. -N-m «- ...., . 1 : 50,8
9" — — 1 : 58,8
io« — » vï. v . r: '.'.V M' r : '63,3
Ainsi, dans ce cas, c'est précisément les derniers jours qu'il y a pro-
portionnellement moins d'acide urique.
Je le répète, il y a de très-grandes différences individuelles, ainsi que
le montrent les chiffres publiés par d'autres auteurs. Si je consulte, par
exemple à cet égard, les thèses de Charvot et d'Uœpffner, je trouve qu'au
moment de l'élimination critique qui suit d'un jour ou deux la défer-
vescence, le rapport de l'acide urique à l'urée, comparé à ce qu'il était
pendant l'acmé, tantôt diminue et tantôt augmente. La seule conclusion
que je serais porté à tirer de l'ensemble des travaux relatifs à cette ques-
tion, c'est que les jours qui suivent l'élimination critique, c'est-à-dire les
premiers jours de la convalescence, le rapport de l'acide urique à l'urée
tombe bas.
Dans l'étude du rapport de l'acide urique de l'urée, il faut tenir compte
non-seulement des différences individuelles qui sont considérables, mais
surtout du procédé employépour le dosage de l'acide urique. Ainsi Charvot
et Hœpffner ont trouvé, en général, beaucoup moins d'acide urique que les
auteurs allemands, de sorte que ce n'est qu'avec la plus grande réserve
qu'on peut comparer les résultats d'un observateur à ceux d'un autre.
Acide hippurique. — Ce principe n'a malheureusement pas encore
été le sujet de recherches suflisantes. Weissmann dit l'avoir trouvé di-
minué dans un cas de pneumonie ; mais il est fort possible qu'il soit,
au contraire, augmenté dans certains cas. C'est une recherche à pour-
suivre.
Matières extractives. — Nos connaissances sur ce sujet si obscur sont
presque nulles. Il semble toutefois résulter de quelques analyses d'Hœpff-
ner qu'elles sont parfois notablement augmentées dans la pneumonie, et
que d'autres fois elles ne présentent pas de modification sensible. En tous
cas, elles ne marchent point parallèment avec l'urée.
Quelle est, en somme, la quantité d'azote excrétée par l'urine (qui est,
comme on sait, la voie presque unique de l'excrétion de l'azote) pendant
a période fébrile de la pneumonie? Il est difficile de le dire, vu le petit
nombre d'analyses d'azote total qui ont été faites et les différences
énormes (du simple au quadruple) que présentent les différents malades.
Dans un cas malheureusement unique jusqu'ici, où les excréta, ainsi que
les ingesta, ont été chez un pneumonique déterminés avec la plus minu-
tieuse attention, à partir de la quarantième heure après le frisson, pen-
dant vingt-huit jours consécutifs, le malade a excrété pendant la période
PNEUMONIE LOBA IRE A1CUË. — urine.
d'acmé, qui a été de cinq jours (en ne tenant pas compte des quarante
premières heures), plus de 85 grammes d'azote correspondant à 2 kilo-
grammes et demi environ de muscles (environ la dixième partie de la
quantité de chair musculaire qu'il possédait au moment de sa maladie
(Riesell et Huppert, Archiv der Heilkunde. 1869).
L'acide phosphorique total n'est, en général, pas sensiblement aug-
menté. Cependant, d'après J. Vogel, on eu aurait trouvé jusqu'à 8Br,4
dans un cas de pneumonie; mais nous ignorons dans quelles conditions.
Il n'est même pas explicitement dit si ce chiffre indique la quantité des
vingt-quatre heures ou la quantité pour 1000, auquel cas il n'aurait rien
d'extraordinaire. En tous cas et eu égard à l'état normal, on le trouve
diminué par rapport à l'azote, ainsi que dans toutes les maladies fébriles
(Zuelzer, Lépine et Jacquin). Nous avons trouvé que c'est surtout
l'acide phosphorique combine aux lerres qui est diminué, ainsi que l'ont
vu Bcneke et Schulte pour d'autres maladies aiguës (Schulte, Dissertât.
Marbourg 1825); ce qui, comme le fait très-bien remarquer Beneke, est
en rapport avec l'augmentation de la potasse signalée par Salkowski.
Quant à Y acide sulfurique, il a été trouvé fort augmenté dans la pneu-
monie (2ïr,9, 5gr,l, 58r,7 par jour; J. Vogel). C'est près de dix lois la
quantité que cet auteur a trouvée dans d'autres maladies aiguës. 11 y a donc
là une augmentation remarquable, résultat conforme à celui de Parkes.
Le chlorure de sodium diminue brusquement à partir du premier
jour de la lièvre, de telle sorte que, dès le deuxième ou le troisième
jour, il n'y en a plus que des traces dans l'urine ; puis il disparait plus
ou moins complètement. Ce fait remarquable, signalé par Bedtenbacher,
a beaucoup préoccupé les médecins de la Grande-Bretagne, Bennett (d'E-
dimbourg) et surtout Beale qui a fondé sur lui beaucoup de spéculations.
Cette disparition plus ou moins complète du chlorure de sodium de
l'urine se rencontre d'ailleurs, à peu près au même degré, ainsi que l'a
démontré J. Vogel, dans les autres états fébriles. Elle s'explique alors
par le manque d'alimentation. Pour le cas particulier de la pneumonie,
il convient d'ajouter pour une part l'élimination d'un peu de ce sel par
les crachats et son emmagasinement dans l'exsudat. Les expériences
d'IIowitz, à supposer qu'elles soient exactes, prouveraient que les deux
dernières causes que j'ai indiquées ne sont pas sans influence. En effet,
il prétend que du chlorure de sodium administré à un piieumonique n'ap-
paraît pas dans l'urine; d'autre part, Bigler aurait également trouvé
que l'iodure de potassium administré à un pneumonique, est retenu pen-
dant l'acmé et n'est excrété qu'au moment de la résolution. Ces expé-
riences mériteraient d'être reprises. En tous cas, il ne faut pas exagérer la
quantité de chlorure de sodium que l'exsudat peut emmagasiner. Hoppc*
Seyler a fait la remarque très juste, qu'il faudrait un exsudât quotidien
de 700 grammes pour absorber le chlorure de sodium {Deutsche Klinik,
1854). Or, nous avons vu précédemment que le poids moyen de l'exsudat,
qui d'ailleurs met plusieurs jours à se faire, n'atteint pas ce chiffre.
Potasse et soude. — Les seuls travaux sur cette question sont ceux
430
PNEUMOMl-; LOBAIMi ÀIGUÈ. — ubime.
de Salkowski, qui a publié, il y a quelques années, un mémoire sur l'éli-
mination de ces bases dans les maladies fébriles. Ce mémoire renferme
l'analyse de l'urine à ce point de vue dans quatre cas de pneumonie, mal-
heureusement sans observations cliniques, ce qui enlève à ses chiffres
beaucoup d'importauce, puisque nous ne pouvons les interpréter en
connaissance de cause; j'y remarque quant à la soude, sa diminution
pendant la lièvre et son accroissement tellement rapide à partir de la dé-
fervescence, que, dans l'espace de deux jours, celte base peut sextupler
et même décupler; quant à la potasse, elle augmente notablement pen-
dant la période fébrile, de telle sorte que, pendant cette période, le
rapport de ces deux bases entre elles est beaucoup modifié à l'avantage
de la potasse ; elle diminue pendant la défervescence.
Éléments étrangers. — Je n'ai parlé jusqu'ici que des variations
quantitatives des matériaux normaux de l'urine; mais il faut savoir que la
présence de l'albumine dans l'urine de la période fébrile de la pneumonie
n'est rien moins que rare. On peut même dire que celle-ci est une des
maladies aiguës qui fournit le plus grand nombre de ces albumineries
spéciales à la période fébrile. D'après Parkes, on la rencontrerait 46 fois
pour 100. Becquerel donne un chiffre analogue : 42 pour 100. Dans les
hôpitaux de Vienne, on a trouvé 45 pour 100. Sauf complication, l'albu-
mine est toujours en petite quantité dans l'urine, et elle disparaît à peu
près au moment de la résolution de la pneumonie, contrairement à ce
qu'avaient pensé Martin-Solon, Begbie et Abeille, qui attribuaient l'albu-
minurie à l'élimination des produits albumineux résorbés. Si par basant
elle persiste à la résolution, elle cesse avec l'établissement de la conva-
lescence.
La cause de cette albuminurie fébrile est obscure. On a fait remarquer
avec raison qu'elle pouvait être produite par les vésicatoires ; mais cette
explication, à supposer qu'elle soit exacte pour quelques cas, ne saurait
être généralisée ; car dans la pleurésie, où on les prodigue davantage,
l'albuminurie est rare.
La leucine et la tyrosine n'ont jamais été rencontrées dans l'urine
pneumonique ; je parlerai plus loin de la matière colorante de la bde.
2° Urine critique — L'urine de la défervescence, si celle-ci se fait par
crise, comme c'est le cas le plus commun, présente des caractères parti-
culiers : sa quantité augmente au point de dépasser notablement la nor-
male (polyurie temporaire) ; en même temps, fait fort remarquable, sa
densité reste élevée au moins au début ; de plus, il se dépose presque tou-
jours un sédiment plus ou moins abondant, de couleur rosée (urate de
soude et acide rosacique), ce qui, comme nous l'avons dit plus liant,
prouve qu'au début de la crise l'urine est fortement acide à cause de M
présence d'une grande quantité do phosphate acide de soude, et quelle
renferme en même temps, dans certains cas, beaucoup d'acide inique.
Quant au chlorure de sodium, il est toujours en quantité insignifiante.
Quelle est la cause de cette élimination critique ?
Comme au moment où elle a lieu, le pneumonique est encore à la dielc,
PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — urike.
451
il n'y a pas à songer à l'influence de l'alimentation ; d'ailleurs, après quel-
ques joui s de fièvre, l'organisme conserve pour se réparer, la plus grande
pari des matériaux de la première alimentation. Mais celte considération
n'a même pas besoin d'être invoquée, puisque, je le répète, le pneumoni-
que, au momenl do l'excrétion critique n'a pas encore pris d'aliments.
La plupart des auteurs ont pensé que cette élimination était due à la
combustion des matériaux provenant de la résorption de l'exsudat. Seule-
ment il faut bien savoir qu'au moment de la crise, en général, la résolu-
tion est encore peu avancée, et la résorption certainement fort incomplète.
De plus, Scheube, raisonnant comme si la composition de l'exsudat était
identique avec celle des crachats, calcule qu'il faudrait un exsudât de
5 kilog. pour suffire à l'élimination critique. Or, nous avons vu qu'il ne
dépasse pas 000 grammes en moyenne. J'avoue que l'on peut contester la
rigueur du calcul de Scheube ; mais l'argument chronologique que j'ai
indiqué en premier lieu conserve toute sa valeur : la résorption de l'exsu-
dat n'est qu'au début au moment de l'excrétion critique.
lluppert a pensé que, pendant la période fébrile, l'albumine est dédou-
blée, que les produits non azotés de ce dédoublement sont brûlés tout de
suite, tandis qne les produits azotés ne le sont qu'à la crise.
Celte vue, d'ailleurs hypothétique, se rapproche de l'opinion soutenue
par plusieurs pathologistes (Riesenfeld, Naunyn, Unruh,) qui, sans ad-
mettre la sélection dont je viens de parler, pensent qu'il y a une rétention
des matériaux de déchet pendant la lièvre, rétention qui ne cesse qu'au
moment de la crise. Dans un récent travail, Frànkel a beaucoup
insisté sur cette idée et a essayé d'étayer l'hypothèse de la rétention en
faisant remarquer que l'excrétion critique est plus abondante quand il y
a eu, pendant l'acmé, de l'albuminurie. D'après lui, cette albuminiurc
prouverait l'existence d'une lésion rénale temporaire, capable de retenir
les matériaux de déchet tant qu'elle dure, c'est-à-dire tant que persiste
l'albuminurie, et qui .cesserait avec cette dernière au moment de la crise.
Celte vue d'ailleurs ingénieuse n'a pas été généralement adoptée. Selon
moi, il est peu probable qu'une albuminurie fébrile soit symptomalique
d'une lésion rénale, suffisante pour mettre obstacle à l'excrétion des
matériaux de déchet. En supposant qu'il en existe une, ce doit être une
lésion fort minime des glomcruli ; or, il semble qu'une lésion plus pro-
fonde soit nécessaire pour empêcher l'excrétion de ces matériaux. La
raison de l'élimination critique est donc encore à l'étude.
Dans les cas où il y a une excrétion relativement considérable d'acide
urique (par rapport à l'urée), au moment de la crise, Bartels l'explique
en disant que pendant la période fébrile, l'urée et l'acide urique, aug-
mentés tous deux sont, à peu près, dans leur rapport normal, parce
(pie la circulation et la respiration se sont activées, pour se mettre au
niveau de leur tâche. Mais lorsque la période fébrile cesse brusquement,
la circulation et la respiration revenues au taux normal ne suffisent plus à
oxyder complètement la grande quantité de matériaux de déchet; d'où
l'excès relatif d'acide urique. Je donne cette explication pour ce qu'elle
452
PNEUMONIE LOBA1RE AIGUË. — étaï des forces.
vaut, en faisant remarquer qu'en réalité nous connaissons bien moins
que ne le croyait Barlels les conditions de formation de l'acide urique.
La période d'élimination critique n'est pas nécessairement limitée à un
jour, comme on pourrait croire : il y a des crises moins brusques qui
durent deux ou trois jours. J'ai déjà dit que quand il n'y a pas crise
mais lysis, l'élimination exagérée dont il vient d'élrc question n'a pas
lieu et c'est progressivement et par transition que l'urine de la période
fébrile prend le caractère de l'urine de la convalescence.
En tous cas il y a avantage pour l'analyse des conditions pbysiologiques
où on trouve le malade à étendre la durée de la période critique jusqu'au
commencement de la convalescence.
Dans le cas de Riesell et lluppert, dont j'ai cité plus haut les résultats
pour la période fébrile, le malade a absorbé 45 grammes d'azote, et en a
perdu 135 pendant cette période critique qu'ils ont fait durer U jours, soit
un déficit de 92 grammes. Eu somme, pendant ces deux périodes réunies,
ce malade a perdu 85 -+- 92 = 175 gr. d'azote, correspondant au cin-
quième peut-être de la quantité d'albumine qu'il possédait au début de la
maladie.
Urine de la convalescence. — La polyurie diminue ou disparait ; l'u-
rine est plutôL pâle ; sa densité est diminuée et les matériaux solides y sont
à un chiffre plus ou moins bas, sauf le chlorure de sodium dont l'excré-
tion redevient assez promplemeut presque aussi abondante qu'à l'état
normal.
Pour terminer avec le cas d'Huppertet Riesell, je dirai que pendant les
7 premiers jours delà convalescence, l'organisme a encore perdu 15 gram-
mes d'azote. Pour les 7 jours suivants (les derniers de l'observation), il a
au contraire regagné 3 grammes.
Etat des forces. — Les forces sont constamment diminuées dans la
pneumonie et, en général, elles sont très-promptement abattues à partir
du début de la maladie. Cependant bon nombre de pneumoniques viennent
à pied se présenter au bureau d'admission des hôpitaux, alors que
l'altération des traits dénote la gravité de l'affection dont ils sont atteints;
d'après Grisolle, il n'y aurait guère qu'un quinzième des sujets qui serait
dans l'incapacité de marcher. Ce chiffre, on le voit, me paraît un peu
faible.
Il est naturel que chez les vieillards la prostration des forces soit, toute?
choses égales, plus accentuée. Et cependant, par exception à cette règle,
on voit des vieillards dontlcs forces paraissent davantage conservées que
ce n'est l'habitude chez l'adulte* Ainsi il n'est pas très-rare de voir, à la
Salpètrière, de vieilles femmes rester dans leur dortoir, assises près de
leur lit plusieurs jours après le début de la maladie et résister énergique-
ment si on les veut transporter à l'infirmerie. On ne pourrait objecter qu'il
y a erreur sur le début de leur pneumonie. Mais cette objection tombe à
1 examen de la marche de la maladie et en présence des résultats de l'au-
topsie. Pour être extraordinaires, les faits dont je parle sont cependant
authentiques.
PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — troubles nerveux. 433
Perte de poids. — Ce sujet a été malheureusement peu exploré, vu la
difficulté qu'il y a à peser des fébricitants qui ne peuvent quitter le lit.
Le sujet de Riesell et Huppcrt, pendant la première période d'observation
(de la 41° heure de maladie à la crise), a perdu 680 gr. en cinq jours.
Pendant la 2e période (critique) qu'ils ont fixée à 0 jours, le malade a
perdu 1500 grammes; pendant les 7 premiers jours de la convalescence,
900 grammes. Pendant les sept jours suivants, il a au contraire gagné
570 grammes. Le docteur Thaon, quia fait sur des enfants pneumoniques
une série de recherches, a constaté aussi qu'ils perdent encore pendant le
commencement de la convalescence. Mais je ne crains pas de dire que ce
n'est pas un résultat constant, au moins chez l'adulte, ainsi que le prouve
la première des trois observations suivantes de pneumonie recueillies
cette année dans mon service, où les malades ont été pesés dès le jour
de la défervescence. Voici les résultats :
Obs. I. — Homme de 40 ans. Pneumonie bilieuse ; commencement de
la défervescence le 20 (T. 59°,4C.j; défervescence achevée le 25 seulement
(T. 37°C).
Ce jour le malade pèse 55k,960; le surlendemain 56\500; le 26,
56\500 ; le 27, 56\700 ; le 28, 56\800.
Qu'on construise la courbe et on verra que l'ascension a été fort régu-
lière, en forme de parabole, à partir de la défervescence achevée.
Obs. II. — Homme de 55 ans. Pneumonie franche; défervescence com-
mencée le 8, achevée le 9. Le poids est pris pour la première fois le 12 et
est de 72 kilos , le lendemain le malade avait perdu 500 grammes ; mais
le surlendemain il était remonté à 72k,500 et le 26, il atteignait près de
74 kilos. C'est là une augmentation do poids vraiment extraordinaire.
Obs. 111. — Homme de 55 ans. Pneumonie franche, la défervescence a
eu lieu le 10. Depuis lors le poids, suivi jour par jour, a montré une dimi-
nution fort régulière de 2 kilos en 10 jours; puis une augmentation de
1200 grammes également très-régulière pendant les dix jours suivants.
On voit combien il y a de variétés individuelles quant à l'accroisse-
ment du poids pendant la convalescence.
Troubles nerveux. — La céphalalgie est presque constante; d'après
Grisolle, Louis, etc., elle ne manque pas dans un sixième des cas; c'est
un symptôme du début; elle est habituellement frontale et consiste
en élancements ou en un sentiment de constriction pénible; elle est
aggravée par la toux.
L'insomnie est en rapport avec l'état fébrile ; jamais elle n'est complète.
Troubles sensoriels. — Ils sont peu notables; ce n'est que rarement
que les malades accusent des éblouisscincnls, que l'on a attribués à une
congestion rétinienne (Sichcl père, Seidel). — Mais il y a aussi des
phénomènes manifestement réllexes : Galezowski a noté que la conges-
tion des veines rétiniennes peut être plus accusée d'un côté. Roques a
signalé l'inégalité des pupilles ; j'ai indiqué autrefois que des injections
irritantes, faites dans un des poumons, sont suivies de phénomènes du
côté de l'œil , chez des chiens ou des cobayes.
KOUT. DICT. «ÉD. ET CUIR. XX VIII — 28
454 PNEUMONIE LOBA1KE AIGUË. — troubles nerveux.
Je me borne à ces indications fort sommaires, vu le peu d'importance
des phénomènes en question ; quant aux troubles plus graves, l'amblyopie
la surdité, etc., j'en traiterai au chapitre Complications.
h'dpislaxis n'est pas un symptôme très-commun; elle apparaît dans le
premier septénaire, chez un huitième à peine des malades âgés de moins
de trente ans (Grisolle).
Généralement l'hémorrhagie a lieu par la narine, du côté correspon-
dant à la pneumonie (Perroud), ce qui est d'accord avec la prédilection
pour le même côté des troubles oculaires et des trouble vaso-rnoteurs
cutanés dont je vais maintenant parler.
Troublés vaso-moteurs. — Le plus anciennement connu est la rougeur de
l'une des pommettes. Andral ayant soutenu qu'elle était un pur effet du
décubitus, ce symptôme avait perdu presque toute valeur, quand Gubler
vint rappeler l'attention sur lui, en l'interprétant d'une manière scienti-
fique. D'après Gubler, il s'agit d'une congestion active, d'origine réflexe,
et qui s'accompagne d'une notable élévation de la température, fait par-
faitement exact et souvent confirmé depuis. Dans le plus grand nombre
de cas, elle occupe le côté correspondant à la pneumonie; mais il y a des
exceptions qui ne sont pas fort rares. Quelquefois cette exception peut
s'expliquer par l'influence du décubitus : un malade peut, en restant cou-
ché plusieurs heures sur le visage, du côté opposé à la pneumonie, se
congestionner la joue qui repose sur l'oreiller; mais, le plus souvent,
cette explication ne peut être invoquée, par exemple dans le fait suivant,
dont le professeur Jaccoud a été lui-même le sujet et le narrateur :
« Il y a deux ans, dit-il, j'ai été moi-même atteint d'une pneumonie
franche : elle siégeait à droite, et, durant les deux premiers jours, la rou-
geur de ma joue gauche a contrasté, d'une manière choquante, avec la
coloration de la droite ; de plus, cette rougeur coïncidait avec une sensa-
tion désagréable de chaleur dans tout le côté gauche de la face ; mais ce
n'est pas tout : cette pneumonie m'a saisi brusquement, brutalement ;
j'étais venu bien portant au service, lorsqu'au quatrième ou cinquième
lit de ma première salle, je suis pris d'un frisson des plus intenses, avec
tremblement et claquement de dents; ce frisson dura jusqu'au milieu du
jour; alors seulement je ressentis le point de côté. Or, la veille de ce jour,
le dimanche, vers le soir, occupé à travailler, j'avais ressenti une chaleur
insolite dans le côté gauche de la figure. Impatienté, j'y regardais au
bout de quelque temps : j'avais la joue d'un rouge vif. Ce phénomène per-
sista jusqu'à la fin de la journée ; il durait encore quand je me mis au
lit, et le lendemain seulement j'en eus l'explication. Mais, tandis que, en
raison du siège de ce symptôme, j'attendais une pneumonie à gauche,
l'inflammation pulmonaire était à droite. La rougeur de la pommette, qui
est évidemment le résultat de la perturbation des nerfs vasculaires, a
donc précédé de quinze heures le frisson révélateur de la phlegmasie, et
celui-ci a devancé de dix heures la douleur thoracique. »
Cette observation est peut-être la seule où la précocité du trouble vaso-
moteur ait été aussi nettement observée. Mais en raison même de ce fait
PNEUMONIE LOMIRE AIGUË. — symptômes cutanés. 455
que la rougeur malaire, dans ce cas, a précédé toute localisation pulmo-
naire appréciable, on peut se demander si dès ce moment, c'est-à-dire
dès le dimanche, il ne s'était pas fait déjà, à l'insu du malade, une
poussée congestive au poumon gauche, laquelle s'est évanouie le lende-
main et s'est définitivement fixée sur le poumon droit. Dans cette hypo-
thèse, le trouble vaso-moteur se serait produit non du côté opposé, mais
dn côté correspondant à l'hyperhémie pulmonaire.
Je crois devoir signaler cette objection, mais je ne la crois pas très-
valable, et je suis loin de contester la réalité des exceptions à la loi formulée
par Gubler. J'y crois d'autant plus que j'ai moi-même constaté expérimen-
talement que l'excitation des bronches peut produire, exceptionnelle-
ment, il est vrai, une action réflexe sur l'œil du côté opposé (j'ai cité ce
fait dans ma thèse, p. 26). Vraisemblablement cette anomalie trouve son
explication, ainsi que l'indique Jaccoud, dans la décussation variable des
filets nerveux qui entrent dans la composition du plexus pulmonaire.
D'après Bouillaud, la rougeur et la chaleur des pommettes sont, toutes
choses égales d'ailleurs, plus prononcées dans la pneumonie du sommet
que dans celles des lobes inférieurs; celte opinion est confirmée par
Grisolle.
Non-seulement les pommettes, mais les membres, surtout le membre
supérieur du côté correspondant à la pneumonie, ainsi que la paroi tho-
. racique du même côté, peuvent présenter un excès de chaleur mani-
feste. C'est à la partie interne du bras que la différence de température
. est, en général, le plus accusée. Exceptionnellement ce n'est pas un excès
i de chaleur, mais au contraire un refroidissement relatif que l'on observe.
, Je n'insiste pas sur ces détails, que j'ai longuement étudiés autrefois et
i qu'a confirmés récemment Hamburger, auteur d'un bon travail inspiré
| par le professeur Kussmaul.
Autres symptômes cutanés. — Outre les troubles vaso-moteurs de la
I pommette et des membres, je dois mentionner les sueurs qui se ren-
i contrent souvent ehez les jeunes sujets à j la période fébrile, et qui
I donnent lieu parfois à diverses éruptions sudoralcs, dont l'importance
m'est pas fort grande. Les sueurs profuses qui s'observent au moment
ide la défervescence sont beaucoup plus intéressantes, parce qu'elles
I peuvent être considérées comme un phénomène critique. À coup sûr
celles ont au moins pour résultat de contribuer à rabaissement de la tem-
I pérature, qui, comme on l'a vu, peut alors tomber fort au-dessous de
I la normale.
On a aussi considéré comme critiques certaines éruptions cutanées ;
mais c'est peut-être sans fondement suffisant, aussi ne nous y arrêtons-
i nous pas. Nous n'examinerons ici que l'herpès qui, comme on sait,
est assez commun dans la pneumonie et survient avant la crise .
L'herpès se montre surtout au visage : autour des lèvres ou des ailes
Idu nez, aux paupières, aux oreilles; parfois il a un siège insolite et
'peu apparent, de telle sorte que. vu sa quasi-indolence, on est exposé à
een méconnaître l'existence. C'est ainsi qu'on l'a trouvé à l'anus (Thomas),
450
PNEUMONIE LODAIUE AIGUË. —
VARIÉTÉS.
et à ce môme siège dans plusieurs attaques de pneumonie chez le même
enfant. Sa fréquence est estimée différemment par les auteurs : Bleuler
l'a en effet noté 43 fois sur 100. Son relevé porle sur 421 observations
du service de Wunderlich; d'autres auteurs ont été beaucoup moins favo-
risés : Lebcrt ne l'a rencontré que 13 fois sur 100 à Brcslau, et moins
souvent à Zurich. Si je me fiais à mes souvenirs, je dirais que je ne l'ai
pas rencontré plus souvent que Lebcrt.
Les chiffres précédents se rapportent à l'adulte. D'après Ziemssen, on
l'observerait chez l'enfant dans la moitié des cas. Thomas croit au con-
traire que, malgré la fréquence de l'herpès chez l'enfant, il est plus rare
dans la pneumonie de l'enfant que dans celle de l'adulte ; il serait sur-
tout rare cbez les tout jeunes enfants.
J'ai dit tout à l'heure que l'apparition de l'herpès est toujours anté-
rieure à la crise. Exceptionnellement, cependant, on l'a vu survenir au
moment de la défervescence et même, dans un cas, six jours après elle
(Thomas).
Troubles digestifs. — 1° Vomissement. — Nous avons déjà vu que c'est
un symptôme de début commun chez l'enfant (dans la moitié des cas, dit-
on), plus rare chez le vieillard et surtout chez l'adulte. Magnus Huss le
rapporte à une excitation du pneumogastrique, ce qui n'est pas impossible;
mais il faut se rappeler qu'il survient d'habitude dans toutes les maladies
où l'élévation de la température est brusque, dans la scarlatine, par exem-
ple. Si elle surprend le malade dont l'estomac est plein, l'indigestion est
inévitable.
Dans le cours de la pneumonie, le vomissement est rare ; il peut re-
connaître des causes diverses que Jurgcnsen a bien analysées :
a) Vomissement cérébral, particulier en quelque sorte à la pneumo-
nie du sommet ; il peut se prolonger plusieurs jours sans aggraver l'état
du malade.
b) Vomissement sollicité par la toux, par le mucus qui recouvre l'épi-
glotte, par la tuméfaction de la luette.
c) Vomissement par action médicamenteuse.
2° La constipation est la règle pour les malades chez lesquels on ne
provoque pas de diarrhée et qui ne sont pas soumis à une influence théra-
peutique. Il y a cependant des pneumoniques qui, en dehors de cette in-
fluence, présentent non au début, mais au bout de quelques jours, de la
diarrhée dépendant sans doute d'un catarrhe intestinal. Cette diarrhée
serait plus commune dans certains pays : à Breslau, par exemple. Lebcrt
l'a rencontrée chez le tiers des pneumoniques de l'hôpital.
La langue prend un enduit blanchâtre chez presque tous les sujets,
mais sans jamais offrir rien de spécial ; rarement elle est sèche chez
l'adulte, tandis que chez le vieillard elle est presque toujours sèche, râ-
peuse et couverte d'un enduit brunâtre. Chez l'enfant, au contraire, la
langue reste presque toujours humide.
L'inappétence en tous cas est constante.
Variétés de marche et variétés syinptoniatiqucs. — Ainsi
PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — variétés anormales par la marche. 437
que je l'ai dit plus haut, la pneumonie est une maladie Tort variable
dans ses aspects. On pourrait donc multiplier beaucoup ses variétés; mais
je me bornerai au nécessaire. Je décrirai d'abord les anomalies que peut
présenter sa marche ; elles sont importantes, car la pneumonie est une
maladie aussi caractérisée, sinon plus, par sa marche que par ses sym-
ptômes.
I. Variétés anormales par la marche. — J'étudierai : 1° celles qui présen-
tent une durée exceptionnellement courte ; 2° celles dont la durée est
longue; 5° celles dont la marche est périodique; 4e celles dont la mar-
che est alternante.
1° Pneumonie à durée courte : A. Pneumonies abortives. — Ce sont
des pneumonies qui évoluent en moins de cinq jours. Elles peuvent se
rencontrera tout âge. Charcot les a signalées chez lej vieillards (Comptes
rendus de la Société des Hôpitaux, 1864). Chez l'adulte, elles ont été
étudiées par AVunderlich, Woillez, Lebert, Leube, Bcrnhcim, etc. Une
des observations que Marcotte a publiées sous le nom de synoque péri-
pneumonique ressortit à celle variété.
Wuhderlich leur distingue deux modes de début : l'un, brusque, ne
différant en rien de celui de la pneumonie commune ; l'autre, plus lent :
la température fébrile monte progressivement jusqu'au troisième jour ;
mais à peine a-t-elle atteint 40° qu'elle redescend. Celle dernière variété
paraît d'ailleurs fort rare.
La défervescence ne s'accompagne pas d'une crise aussi accentuée qu'on
la voit dans la pneumonie commune.
Quant aux symptômes physiques, on observe des crachats visqueux
blancs ou tout au plus safranés, mais jamais rouilles ; il y a de la sub-
matité, mais pas d'augmentation des vibrations thoraciques; à l'ausculta-
tion on entend des râles crépitants ou sous-crépitants plus ou moins fins
> et un souffle doux, avant son maximum à la racine des bronches, ce qui
prouve qu'il est symptomatique d'une congestion pulmonaire et non
i d'une hépatisation. En fait, ces pneumonies ne paraissent pas aboutir à
' un hépatisation véritable ; anatomiquement, ce sont surtout des pneu-
monies congestives.
B. Pneumonies à marche foudroyante. — Outre la pneumonie dont
! la durée est abrégée par la bénignité de l'affection, il en est d'autres chez
I lesquelles l'issue fatale survient d'une manière tellement rapide que l'épi-
I thète de foudroyante ne me paraît pas exagérée. Il en est de plusieurs
f espèces et je ne prétends pas les indiquer toutes.
a) Une d'elles se rencontre chez les diabétiques. J'ai, pour ma part,
' vu, avec mon collègue le docteur Rigal, un diabétique jeune encore, non
; arrivé à la période consomptive, car il était resté fort obèse, et chez lequel
I la pneumonie ne parait pas avoir duré plus de 56 heures. L'autopsie
n'a pas été faite et l'on peut sans doute se demander si le début brusque,
la lièvre, les râles crépitants que nous avons constatés prouvent suffisam-
ment l'existence d'une pneumonie; nous l'avons cru, et malgré l'absence
Ide vérification, le diagnostic me semble encore dans ce cas avoir été bien
438 PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — variétés anoumai.ks par u marche.
établi. — Bien que mal connue, la pneumonie foudroyante .des diabétiques
n'est pas absolument ignorée des praticiens. Il serait à désirer que
chacun publiât les faits de ce genre qu'il a pu observer.
b) Sous le nom de pneumonie séreuse, Traube rapporte deux obser-
vations, d'ailleurs fort incomplètes, qui peuvent être citées ici : dans la
première, il s'agit d'un malade atteint d'une insuffisance aortique très-
prononcée et qui fut pris d'une fièvre typhoïde. Pendant le cours de celle-ci,
— Traube ne dit pas à quelle période — il se développa des sjmptômes pul-
monaires qui, au bout de 24 heures, revêtirent un caractère très-sérieux.
L'expectoration consistait en un liquide visqueux et spumeux, rouge brun,
transparent en couche mince, et ne coagulant pas. La mort arriva 5G heures
après le début des accidents pulmonaires. Le second malade était un
homme de 40 ans, atteint de fièvre récurrente. Pendant la rémission, la
température tomba à 55°, 4. Tout à coup, il fut pris de dyspnée avec
sterteur. On constata de la matilé et des râles crépitants dans la moitié
inférieure droite de la poitrine; la toux était rare et courte; la tempéra-
ture, 57°, 5 ; les extrémités froides. Mort quinze heures après l'apparition
des symptômes pulmonaires.
Il ne s'agit pas là d'une pneumonie compliquée d'oedème pulmonaire,
mais d'un proressus rapide, pouvant ou non s'accompagner d'une expec-
toration spéciale. A vrai dire, je doute beaucoup que ces cas rassortissent
à la pneumonie lobaire. L'autopsie du premier malade n'est rien moins
que démonstrative, car il est question de plusieurs foyers, et il n'y a pas
eu d'autopsie pour le second. Ce n'est pas une raison pour contester
l'existence de la pneumonie lobaire séreuse .dont j'ai parlé à propos de
l'anatomie pathologique, d'après Schùlzenberger. Mais, bien que ce der-
nier n'en rapporte point d'observation, il me paraît certain que les faits
qu'il a désignés du nom de pneumonie séreuse sont essentiellement dif-
lérents de ceux de Traube.
c) Il est des cas où l'on trouve à l'autopsie un lobe entier à l'étal
d'hépatisation grise non douteuse, quoique le début de la pneumonie ne
date que de très-peu de jours. 11 faut donc admettre, ou bien qu'elle a
évolué avec une rapidité extraordinaire, ou bien qu'elle a été purulente
d'emblée, sans passer par le stade d'hépatisation rouge, ce qui me paraît
plus vraisemblable. J'en ai déjà dit un mot au chapitre de l'anatomie pa-
thologique d'après un cas de Ranvier; j'en marque aussi la place ici,
mais je ne peux faire plus, car leur symptomatologie m'est inconnue. Je
sais seulement que, dans les cas observés par Ranvier, la maladie n'a duré
que trois jours : il s'agissait de jeunes soldats non habitués aux fati-
gues, aux privations et au froid et qui abusaient peut-être de l'alcool.
En somme, toutes ces pneumonies à marche plus ou moins foudroyan-
te se développent sur un mauvais terrain, soit que le sujet soit affecté
depuis longtemps d'une maladie chronique, soit qu'il soit placé dans les
conditions toutes spéciales de non-résistance que réalisent les fatigues
excessives, le shoc, etc.
2° Pneumonies à durée prolongée. — J'ai dit plus haut (Yoy. Marche)
PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — variiîtés anormales par la marche. 439
que la défervescence a lieu entre le 6e et le 9° jour, mais exception-
nellement elle peut se faire attendre jusqu'au 14° jour et môme au delà
sa?is queVhépalisalion grise soil nécessairement établie. La cause la plus
ordinaire de cette durée insolite de la maladie est dans l'envahissement
de l'autre poumon, ou bien dans la formation successive de plusieurs
foyers isolés (l'orme particulière de pneumonie à laquelle on donne le
nom de pneumonie migratrice). Étudions d'abord la pneumonie double,
qui est beaucoup moins rare.
A. Pneumonie double. — Elle s'observerait, d'après Grisolle, 1 fois sur
16 ebez l'adulte; chez reniant, elle est peut-être plus commune. Jamais
elle ne débute à la fois dans les deux poumons. C'est entre le 4e et le
15e jour (Grisolle), en moyenne le 8e jour, que le second poumon est
envahi. Grisolle en conclut « que, si une pneumonie devient double, cela
ne dépend pas d'une même cause qui aurait agi à la fois sur les deux pou-
mons, puisqu'il y a eu un trop long intervalle entre la provocation et
l'explosion de la deuxième pneumonie ; il faut plutôt admettre une in-
fluence pathologique qu'exerce le poumon primitivement malade sur son
congénère resté sain, en vertu de cette loi de souffrance mutuelle et
réciproque des organes pairs dont on trouve de si fréquents exemples
dans la pratique. »
En d'autres termes, et pour traduire sa pensée en langage moderne,
Grisolle admet une action réflexe du poumon malade sur le poumon sain,
qui se prendrait au même titre que le second œil dans le cas d'ophthal-
mie sympathique. Je laisse â Grisolle la responsabilité de cette théorie
d'ailleurs ingénieuse, qui est applicable à certains cas, mais non à ceux
où le second poumon paraît s'enflammer par suite de la continuation de
l'action, de la cause, comme dans les cas de pneumonie migratrice dont
je vais parler tout à l'heure et qui expliqueront suffisamment ma pensée
pour qu'il soit inutile de la développer ici.
L'envahissement du second poumon est accompagné d'une recrudes-
cence de la fièvre, presque toujours, et non dans un dixième des cas seu-
lement, comme le prétend Grisolle, qui, privé du thermomètre, a pu
facilement la méconnaître. Mais il est tout à l'ait exceptionnel qu'il soit
marqué par un nouveau frisson et par l'ensemble symptomatique
plus ou moins solennel qui caractérise le début de la maladie. Cela
• est tout naturel si l'on admet, comme je viens de le dire, qu'une pneu-
: monie double n'équivaut pas à deux pneumonies, et qu'il s'agit seulc-
. ment d'une recrudescence delà maladie. Grisolle, qui s'étonne du début
plus ou moins latent de ce qu'il appelle la seconde pneumonie, se l'ex-
plique cependant par les deux raisons suivantes qui ont bien leur valeur
• €t dont il faut par conséquent tenir compte : 1° parce que, dit-il, elle se
déclare à l'époque où la première continue encore à s'aggraver ou bien
lorsqu'elle est parvenue à la période la plus aigué; — k2° parce que le
poumon affecté en dernier lieu l'est à un degré moindre que le premier et
1 dans une étendue moins considérable.
H résulte de cette quasi-latence que, si une élévation de la température
AAO PNEUMONIE LOBAlMi AIGUË. — variétés anomales pab la manche.
peut faire présumer l'envahissement de l'autre poumon, c'est l'ausculta-
tion seule qui peut donner une certitude.
B. Pneumonie à foyers successifs. — Il est une forme de pneu-
monie dont peu d'exemples ont été publiés, mais sur laquelle il importe
de fixer l'attention, vu son allure tout étrange. Voyons en quoi elle
consiste.
On a dit, mais à tort, qu'elle sévit particulièrement sur les femmes. Il
y a un frisson initial, une fièvre d'intensité moyenne, d'une durée très-
courte, ou qui fort rarement atteint la durée ordinaire; puis la déferves-
cence. — Jusqu'ici on a donc l'image de la pneumonie abortive; — mais
après une période d'apyrexie de quelques heures à un ou deux jours, il se
développe un nouveau foyer dans le même poumon ou plus rarement dans
le poumon du cùié opposé. Dans un cas il y eut dix foyers successifs; dans
chacun d'eux la pneumonie ne parut pas dépasser la période d'engoue-
ment. Il paraîtrait que la durée totale de la maladie pourrait atteindre
deux mois! Dans le cas de Kelemen, il y eut quatre foyers : le premier
dura quatre jours et atteignit l'hépatisation : les deuxième et troisième ne
durèrent qu'un jour et ne présentèrent que les signes de l'engouement, le
premier persista pendant leur durée; le quatrième, à l'autopsie, fut trouvé
à l'état d'hépatisation. Quand un nouveau foyer se déclare avant que le
précédent ait achevé son évolution, il n'y a pas de période d'apyrexie,
Si les foyers ne dépassent pas la période d'engouement, il n'y a pas
d'expectoration colorée.
Dans le cas de Kelemen, la pneumonie s'est développée dans le cours
d'un typhus ; mais dans les cas précédemment publiés par Waldenburg
et Fischl, la maladie parait avoir été primitive. Quant au cas de Weigand,
il est douteux qu'il se rapporte à une pneumonie fibrineusc.
En terminant le peu que j'avais à dire sur celte forme, je tiens à dégager
ma responsabilité. Je l'ai décrite d'après des observations en fort petit
nombre, qui ne sont d'ailleurs pas irréprochables en tous points; aussi
m'ont-elles laissé dans le doute à quelques égards. Une particularité cu-
rieuse, c'est l'apparition tardive des râles crépitants dans les faits jusqu'ici
publiés : ainsi dans deux cas (Waldenburg, Weigand), on ne perçut de
râles crépitants qu'au cinquième jour de la maladie, et dans l'autre cas
di Weigand, qu'au quatorzième jour ! Plusieurs foyers n'ont donc été
caractérisés que par de la matité, et par un souffle (de congestion?).
C. Pneumonie migratrice . — La variété que je viens d'indiquer sous
la rubrique de Pneumonie à foyers successifs est désignée en Allemagne
par l'épithète de migratrice ou érysipélateuse. Celle dernière d< nomi-
nation est parfaitement impropre et ne peut se défendre; car clic parait
sous-entendre une relation étiologique avec l'érysipèle qui, en supposant
qu'elle fût vraie pour quelques cas, ainsi que le pense Friedreich (da
acute Milzlumor), n'est certainement pas exacte pour la plupart des cas
jusqu'ici connus. La pneumonie de nature vraiment érysipélateuse, dont
mon collègue Straus vient de publier une remarquable observation, n'af-
fecte pas celte marche ; en tous cas elle ne s'est pas présentée ainsi dan
PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — variétés anormales par la marche. 441
son observation, qui est certainement la plus régulière de toutes celles
qui ont clé publiées sous le nom d'érysipèlc du poumon.
Quant à l'épithète de migratrice, elle me parait ne bien s'appliquer
qu'à la variété que je vais maintenant faire connaître, et qui établit en
quelque sorte une transition entre la variété précédente et la forme com-
mune.
Dans cette variété, la maladie n'évolue pas par étapes comme dans la
variété précédente. Ce qui la distingue seulement de la forme commune
de la pneumonie, c'est que les parties primitivement atteintes entrent
déjà en résolution au moment où de nouvelles portions sont atteintes.
Fischl a défini la pneumonie migratrice en disant que c'est une pneumo-
nie qui envahit la plus grande partie de l'un ou des deux poumons et
qui dure longtemps; mais cette définition est trop large: car on englobe-
rait ainsi, et bien à tort, parmi les pneumonies migratrices toutes les
pneumonies extensives, c'est-à-dire celles des pneumonies communes qui
gagnent du terrain pendant quelques jours, mais sans quitter le foyer
primitif, c'est-à-dire sans émiqrer.
Tout récemment, le docteur Hamburger a publié plusieurs cas de pneu-
monie migratrice recueillis à la clinique du professeur Kussmaul ; dans
la plupart des cas la maladie devait envahir les deux poumons; malgré
cela, la gravité de ces cas n'était pas fort grande, presque tous se sont
terminés par la guérison dans un espace de temps variant entre dix et
dix-sept jours. Il semble donc que la marche migratrice d'une pneumo-
nie indique une lésion pulmonaire plus superficielle et par conséquent
moins grave.
5° Pneumonie périodique. — Les seules pneumonies dont l'évolution se
fasse d'une manière périodique sont les pneumonies développées sous
l'influence de l'intoxication paludéenne; je n'ai que peu à dire de nouveau
sur cette question, qui a été magistralement traitée par Grisolle.
11 décrit une forme intermittente et une forme rémittente; la première
est de beaucoup la plus intéressante.
Comme la plupart des accidents pernicieux, la pneumonie peut ne se
développer que consécutivement à un ou plusieurs accès de fièvre inter-
mittente simple ; mais, dans la plupart des cas, il y a dès le premier accès
fébrile quelques symptômes tlioraciques, par exemple une douleur au côté,
puis, aux accès suivants, la maladie se caractérise.
Le frisson par lequel débute l'accèsestplus violentet pluslong que celui
de la pneumonie ordinaire ; tout aussitôt surviennent un point de côté et de
l'oppression ; bientôt les malades rejettent une expectoration caractéris-
tique, et l'auscultation fait entendre une crépitation fine et sèche, mêlée
parfois à du souille. Quant à la fièvre, elle a l'allure de la fièvre intermit-
tente : au frisson succède une chaleur ardente et après six à douze heures
: une détente complète avec diaphorèse. Les accidents tlioraciques dimi-
nuent parallèlement à la fièvre. L'intermission peut être complète du
1 côté du thorax pendant l'intermission fébrile ; d'autres fois il reste une cré-
I pitation grasse, humide, de la faiblesse ou de la rudesse du murmure,
143 PNEUMONIE LOUAIMi AIGUË. — variétés anormals TAU I.A JIAHCIIE.
ou bien des symptômes plus accentués, si la lésion pulmonaire est plus
avancée. Dans une des observations de Catteloup, la lièvre cessa deux
jours ; pendant ce temps, il persista du souille bronchique et de la matilé
dans les deux tiers inférieurs de la poitrine à gauche , symptomatiques
d'une hépatisation rouge prouvée par l'autopsie.
Eu général la fièvre pernicieuse pncurnonique revêt le type tierce ou
quotidien ; en se renouvelant, les accès deviennent plus graves et plus
longs, et l'intermîssion est d'autant plus courte et moins complète que les
accès se reproduisent un plus grand nombre de fois : la pneumonie de-
vient alors rémittente. En l'absence de traitement, la lésion pulmonaire
s'aggrave; souvent les deux poumons sont pris, il se joint des troubles
cérébraux, et les malades succombent.
Grisolle fait particulièrement remarquer : 1° le délaul de proportion
lors du premier accès entre la fièvre et la lésion locale, encore minime et
qui grandit rapidement à chaque accès; 2° le caractère mou et dépres-
siblc et la fréquence extrême du pouls, même chez les sujets robustes;
puis il insiste beaucoup sur l'inlcrprétation qu'il convient de donner aux
faits dont il vient de présenter l'analyse « et qui prouvent, dit-il, sura-
bondamment que la pneumonie intermittente n'est pas une pblegmasie
pulmonaire compliquée d'une fièvre d'accès, mais deux états connexes
liés intimement l'un à l'autre et procédant de la même cause miasma-
tique. » Cette manière de voir est d'autant plus importante à enregistrer,
que l'éducation médicale de Grisolle ne le portait pas certainement de ce
côté ; elle s'est imposée à lui, comme s'impose la vérité à tout esprit
droit.
Postérieurement à la 2? édition de Grisolle, le docteur Armaingaud a
publié deux observations de pneumonie intermittente à type tierce qu'il a
recueillies lui-même dans le canton de Saint-Ciers-Lalande, localité palu-
déenne. 11 y a joint les tracés thermiques. Nous y voyons pour le pre-
mier malade, âgé de 50 ans, que le premier jour la température était à
59°,9 le matin et 59°, 8 le soir ; le lendemain à 57%8 et le surlendemain
au même degré que le premier jour. Guérison après ces deux accès par
le sulfate 'de quinine. La pneumonie était caractérisée par un point de
côté, des crachats sanglants, de la matité et des raies crépitants. — Dans
son second cas, qui concerne un jeune homme de 28 ans, la température
était à 40° le premier et le troisième jour, et à 56°, 9, le deuxième. Mêmes
symptômes locaux. Guérison par la quinine.
Un médecin militaire allemand a aussi publié un cas de pneumonie
intermittente avec température. Voici quelques traits de son observation
{Deutsche med. Wochcnsclirifl, 1876, n°49).
Il s'agit d'un soldat qui, le 15 soir, est pris de fièvre : température 59°, 5,
respiration 24. A la base droite, râles crépitants dans une étendue de
4 centimètres carrés, crachats muqueux touillés; pas de matilé, mais il
existe un point douloureux.
14 matin, T. 57°, 5; pas de toux, même au moment des respirations
profondes ; pas de point de côté.
PNEUMONIE LOBAI RE AIGUË. — variétés anormales par la marche. 445
A 5 heures, frisson ; le soir, T. 40°,5 ; crachats rouilles ; coloration
ictérique des conjonctives ; respiration 56, râles crépitants.
15 matin, 57°, 5, état général bon, mais crachats rouilles, mêles à du
mucus purulent ; pas de râles crépitants ; à 11 heures, quinine 2 gram-
mes ; le soir pas d'accès.
16 malin, 56°, 5; guérison ultérieure.
Dans la forme rémittente, le mouvement fébrile, une fois établi, con-
tinue sans interruption, mais en éprouvant de temps en temps, et à des
intervalles réguliers, des exacerbations et des rémissions : je ne crois pas
devoir entrer dans aucun détail, Grisolle avouant lui-même qu'on a réuni
sur ce nom des faits disparates.
4° Pneumonie à marche alternante. — Je désire faire entendre par
celte dénomination, peu claire je l'avoue et que je suis prêt à changer pour
une meilleure, la pneumonie dont l'évolution est momentanément sus-
pendue par le développement d'autres accidents, conformément à l'apho-
risme duobus laboribus ; puis qui reprend quand ces accidents diminuent
et réciproquement; bref, la pneumonie dans laquelle on observe un ba-
lancement entre la lésion pulmonaire et une autre lésion. C'est à peu
près exclusivement dans le cours du rhumatisme articulaire aigu qu'on
a observé cette marche singulière de pneumonie ; néanmoins je me suis
gardé de désigner ce paragraphe du nom de pneumonie rhumatismale:
car il s'en faut que toute pneumonie née sous l'influence du rhumatisme
présente cette marche, qui est fort rare. D'ailleurs, je ne traite pas dans
ce chapitre des espèces de pneumonie, mais uniquement des anomalies
i de marche, quelle que soit la nature de la pneumonie. Je ne devais
• donc pas employer la désignation de rhumatismale, bien que les cas que
j'ai vus soient en effet sous la dépendance du rhumatisme.
Je ne trouve cette forme suffisamment décrite dans aucun auteur clas-
: sique. Grisolle, qui met les pneumonies rhumatismales sur le même
rang que les pneumonies vermineuses, ce qui n'est pas, je pense, leur
faire beaucoup d'honneur, dit que ces pneumonies, qu'il tient pour
extrêmement rares, « peuvent, une fois déclarées, ne pas différer par leur
marche de celles qui ont une autre origine ; » mais, continue-t-il, « le
i contraire peut avoir lieu », et il cite, à l'appui de son dire, un cas fort
i remarquable qu'il a observé avec Louis, et qui est un exemple de pneu-
i monie à marche alternante ; Grisolle a été plus frappé par le peu de
I fixité des symptômes physiques de la pneumonie que par leur alternance
avec les douleurs articulaires ; cependant il la signale. « Du matin au
;soir, dit-il, on voyait le souffle être remplacé par la crépitation et réci-
| proquement; jamais pourtant dans l'intervalle de ces sortes de crises le
| poumon ne recouvrait sa perméabilité : il restait toujours un son obscur
et un bruit respiratoire affaibli ; mais de temps en temps, et presque
•' toujours pendant une recrudescence des douleurs articulaires, on
l voyait le lobe inférieur se prendre à son tour. C'était d'abord une cré-
|>itation fine; puis au bout de quelques heures survenait du souffle et de
1 la bronchophonie. Ces crises, qui duraient chaque fois trois à quatre jours,
■iU PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — formes ; variétés symptomatiqdes.
se sont reproduites en trois mois dix à douze fois. A aucune des crises il
n'y eut d'expectoration caractéristique. »
La thèse de mon collègue Fcrnct sur le rhumatisme aigu, (Paris, 1805)
renferme une ohscrvation d'alternance remarquable entre la pneumonie
et les douleurs articulaires, communiquée par Desnier (p. 09).
Le docteur Kobryner vient de publier dans le Bulletin de thérapeutique
l'observation d'un enfant de 11 ans qui, le 8 décembre, eut des petits
frissons erratiques et de la fièvre le soir; à partir du 12, la fièvre fut
continue « avec de forts redoublements de 5 à 4 heures de durée. » En
même temps les signes locaux (râles crépitants et souffle) deviennent
perceptibles et la douleur de côté intolérable.
A partir du 14 décembre, douleurs articulaires dans les genoux, les
hanches, et pendant la durée de ces douleurs le point de coté, l'oppres-
sion et les signes stéthoscopiques disparurent complètement. — Une bas-
cule en sens inverse éclaira définitivement le médecin, puis une autre. —
Bref, la pneumonie l'emporta le 18 et ne cessa que le 24, époque à la-
quelle l'application de sinapismes aux genoux ramena la fluxion aux
membres inférieurs pendant 5 jours; à partir de ce moment le malade
fut guéri.
Voilà bien un type de la forme alternante. Encore une fois, el j'y
reviendrai plus loin, quand je traiterai des espèces de pneumonie, toute
pneumonie rhumatismale n'évolue pas de cette manière, tant s'en faut.
Cette forme est d'une excessive rareté.
Je crois avoir terminé ce que l'on peut dire des anomalies de marche.
Je passe maintenant aux variétés symptomaliques de la pneumonie.
II. Formes; variétés symptomatiques. — Je traiterai d'abord des variétés
qui se distinguent surtout par un état général dépendant du génie de
la maladie ou du sujet lui-même; ces -variétés sont désignées d'habitude
sous le nom de formes. Viendront ensuite celles qui tiennent à des
conditions anatomiqnes particulières delà pneumonie.
A. Forme inflammatoire ou slhénique. — En \ 862, Gairdner (d'Edin-
burg) écrivait : « Les pneumonies observées autrefois dans cette ville par
Cullen et Gregory sont devenues excessivement rares; les pneumonies
actuellement ne réclament qu'un traitement antiphlogistique peu éner-
gique et même guérissent sans traitement. » Sauf le dernier membre de
phrase, je crois qu'il n'est guère de médecins de grande ville qui ne
partagent l'opinion de Gairdner; il est certain que la forme sthénique, là
forme qui, paraît-il, était la plus commune au commencement de notre
siècle, a disparu. Je n'ai pas les éléments pour la décrire ; son élude n'a
d'ailleurs pas actuellement un grand intérêt pratique ; je devais au moins
rappeler son existence.
B. Pneumonie bilieuse. — Cette forme paraît avoir été observée par
Sydenham en 1675, par Baglivi en 1691, parlluxhain en 1755 et 1757,
par Zinimermann et par Tissot (1755), la même année par Sauvages, et
en 1765-68 par Lepecq de la Clôture. En 1775, elle sévit dans plusieurs
contrées de l'Europe. Quelques années plus tard, elle fut décrite par Stoll.
PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — formes; variétés symptomatiques. 445
Grâce à ces médecins illustres, la pneumonie bilieuse a joui d'une
grande célébrité. Aujourd'bui son importance est bien diminuée. Elle
naît sous l'influence de constitutions épidémiques , soit temporaire, d'où
; sa fréquence à certaines époques, sa rareté dans d'autres, soit surtout
. stationnaire, c'est pourquoi elle est relativement commune dans le midi
, de l'Europe. Je n'en ai jamais, pour ma part, observé que deux cas, encore
! mal caractérisés. Aussi j'en emprunte la description aux médecins de
Montpellier et à Grisolle :
Je rappelle ici que Vétal bilieux, dans le sens traditionnel, n'a rien de
, commun avec l'ictère, ou du moins que l'ictère n'en est pas un des élé-
ments essentiels : souvent il manque absolument ; il n'y a pas de bile
dans l'urine, pas de ralentissement du pouls, pas de coloration jaune
nécessaire de la peau ou des muqueuses. Dès lors il serait préférable de
i dénommer par une autre épithète l'état que, depuis Stoll, on appelle
l'état bilieux. Celle de gastrique mériterait la préférence.
En effet, dans l'état dit bilieux il existe une céphalalgie gravative; les
i malades éprouvent souvent de la douleur à l'épigastre et y rapportent un
: sentiment de plénitude. Ils ressentent une saveur le plus souvent
;amère, un dégoût pour tous les aliments: ils ont des envies de vomir. La
I langue est très-sale.
Or, c'est là ce que nous appelons aujourd'bui l'état gastrique.
La pneumonie dite bilieuse survient souvent après dus prodromes de
Igastricité, à l'occasion d'un excès, d'une fatigue quelconque, quelquefois
; après un refroidissement que Grisolle dit avoir noté chez les trois quarts
i de ces malades ; mais en cela il n'est pas d'accord avec les observateurs
ide Montpellier. Son début n'est pas solennel : quelquefois il ne parait
i constitué que par une aggravation des prodromes; le plus souvent il est
i marqué par une série de petits frissons. La température est élevée au
i début et va en s' abaissant les jours suivants; la peau sèche et parfois
îmordicante, le pouls faible et dépressible, fréquent, parfois irrégulier :
i cbez un tiers des sujets, il y a de l'accablement et de la prostration
i qui n'est pas en rapport avec l'étendue et le degré de la phlegmasie put-
imonaire; de la constipation chez les trois quarts des malades ou bien des
: selles verdàtrcs. rarement des vomissements bilieux, mais presque tou-
j jours de la douleur épigastrique ; bref tous les symptômes de l'état gastri-
que auxquels il faut joindre des symptômes nerveux plus accentués que
idans le simple état gastrique : une céphalalgie souvent déchirante et des
i étourdissements, des éblouissements, des vertiges, le tout avec exaeerba-
l lion le soir. Les symptômes thoraciques ne diffèrent de ceux de la pneu-
i monie franche que par quelques nuances : un point de côté moins intense,
i des crachats dilfluents, séreux, jaunâtres, dans lesquels nagent des
crachats rouilles. Le sang, dit-on, n'est pas couenneux ; l'urine ne ren-
f ferme pas nécessairement des pigments biliaires; le visage et en parti-
culier les conjonctives ne présentent qu'exceptionnellement une colora-
i tion ictérique. Ce qui, d'après -les auteurs, caractérise la pneumonie
bilieuse, plus encore que les symptômes précédents, c'est l'efficacité
440 PNEUMONIE L01JA1IIE AIGUË. — roiuiEs; vamétés bYMPTOMATiQUES.
« merveilleuse » de la médication évacuante. Si cette indication n'est pas
saisie, la maladie, disent-ils, suit sa marche, et même des accidents
sérieux se déclarent. « Chez deux malades, dit Grisolle, des symptômes
typhoïdes graves succédèrent aux phénomènes hilieux, parce qu'on avait
négligé le traitement rationnel. » A cet égard le tableau n'est-il pas un
peu assombri?
C. Pneumonie asthénique, — dite aussi pestilentielle, nerveuse,
putride ataxique, adynamique, maligne, érysipélateuse, typhoïde. Toutes
ces épithètes laissent beaucoup à désirer ; la dernière prête à l'équivoque.
Je préfère celle d'aslhénique. Pour prévenir toute erreur, je rappelle
qu'il s'agit seulement de pneumonies primitives, et non pas de pneu-
monies secondaires développées dans le cours de maladies graves, d'une
dothiénentérie, par exemple. Ce qui constitue la forme de pneumonie
dont je vais rappeler les principaux caractères, ce n'est donc pas seule-
ment l'apparence plus ou moins typhoïde, asthénique ou adynamique ;
il y faut joindre la condition essentielle que la maladie s'est dévelop-
pée comme affection primitive. C'est ainsi que l'ont comprise Grisolle et,
plus récemment, Leichtenslern, dont je vais résumer les descriptions.
Ainsi comprises, les pneumonies asthéniques se rencontrent à l'état
sporadique et épidémique. Cette dernière circonstance révèle l'indivi-
dualité de cette variété de pneumonie et lui donne son cachet : elle nous
montre, en effet, qu'elle ne dépend pas tant des prédispositions indivi-
duelles mauvaises que d'une influence générale frappant, à un moment
et dans un même lieu, des individus dans des conditions les plus oppo-
sés, jeunes et vieux, faibles et forts, etc.
Née sous l'influence de causes générales, l'affection ne se révèle pas
tout d'abord par les signes locaux de la pneumonie; le plus souvent, il
y a des prodromes bien accusés pendant plusieurs jours. Grisolle, che/.
plus des deux tiers de ses malades, a noté « de la céphalalgie, un malaise
général, surtout un anéantissement des forces. » D'après lui, la fièvre
était nulle ou peu considérable , assertion qui ne mérite , d'ailleurs,
qu'une créance limitée, en l'absence d'observations thermométriques
régulières ; parfois il y avait des épistaxis et de la diarrhée ; mais alors
même que ces symptômes, d'ailleurs rares, faisaient défaut, on était tenté
de soupçonner le début d'une fièvre typhoïde. Dans l'épidémie qu'a
décrite Torchet, il y avait en outre de la céphalalgie sus-orbitaire.
Relativement aux symptômes locaux, le point de côté est plus diffus et
moins violent que dans la pneumonie franche; les signes physiques
locaux moins précoces et moins nets que dans celte dernière. Souvent on
ne perçoit qu'un affaiblissement du murmure vésiculaire; ou bien les raies
crépitants sont plus gros ; partois il semble que l'hépatisation reste tout
d'abord centrale; en tout cas, elle est lente à se manifester; au contraire,
le passage de l'hépatisation rouge à l'hépatisation grise est rapide. Quant
à la portion du poumon où siège l'affection, dans quelques épidémies ç a
été de préférence le sommet plutôt que la base, contrairement à ce qui a
lieu dans le cas de pneumonie primitive, et plutôt le sommet droit que le
PNEUMONIE LÛDA1RE AIGUË. — formes; variétés symptohatiques. 447
o-auche, quelquefois les deux sommets, l'affection étant beaucoup plus
souvent bilatérale que cela n'a lieu dans le cas de pneumonie franche.
L'oppression est en général fort marquée. Le plus souvent, la pneumonie
est compliquée d'épanchement pleurétique , d'où la fréquence de la
rétraction thoracique consécutive, signalée par Stokes, dans les cas où
Je malade guérit, ce qui est rare; car le plus souvent l'épanchement tho-
racique est purulent.
Quant aux symptômes généraux, il faut distinguer deux sortes de
variétés : 1° la forme alaxique, avec délire précoce, soit violent, soit
j paisible, ou simplement subdélirium, soubresaut des tendons, et par-
: Ibis raideur tétanique des membres ;
2° La forme adynamique, plus fréquente, dans laquelle L'adynamie
: survient, ou bien avant l'apparition de signes physiques locaux, ou quel-
iques jours après eux : « la face porle l'empreinte de la stupeur; les
i malades restent constamment couchés sur le dos, leur faiblesse est
i extrême, la contractilité musculaire tellement altérée qu'ils ne peuvent
i rester assis, à moins d'être soutenus par des aides; si on les abandonne
ù eux-mêmes, ils perdent aussitôt l'équilibre et retombent sur leur oreil-
1 1er comme une masse inerte. Le ventre n'est pas ballonné, mais il existe
[parfois, dès le début, une diarrhée fétide sans coliques. »
La température est habituellement fort élevée ; cependant ce caractère
m'est pas constant, au contraire, la tuméfaction de la rate ne manque
[point; parfois elle est fort prononcée; il peut s'y joindre la tuméfaction
idu foie. L'albuminurie est aussi la règle. L'ictère n'est pas une complica-
tion rare, le sang a été trouvé sirupeux (Rodmann) ; en tout cas, il ne
i renferme pas, à beauconp près, la proportion de fibrine que l'on y ren-
c contre dans la pneumonie franche.
Les pneumonies miasmatiques, dont on a tant parlé dans ces dernières
uannées, revêtent presque toutes la forme asthénique.
D. Pneumonie de slarvation. — Voilà une forme qui pourrait bien aussi
ss'appeler asthénique, si cette épithète n'avait déjà son emploi: car l'asthénie
vy est profonde ; seulement au lieu d'un état général fébrile, c'est pendant
[ipresque toute la durée de la maladie Vapyrexie ou un état à peu près
lapyrétique qui accompagne cette forme de pneumonie particulière aux
i individus profondément cachectiques, notamment aux cancéreux arrivés
àà la période ultime. Elle peut débuter insidieusement, sans symptômes
'.capables d'éveiller l'attention et avoir une durée plus longue que celle'de
Ida pneumonie ordinaire.
Wunderlich a rapporté l'observation d'une pneumonie chez un hé-
nmophilique ; pendant tout son cours, la température est restée sub-
licbrile.
Dans quelques cas, que j'ai eu l'occasion d'observer, l'apyrexie n'a pas
été complète : la température centrale s'est élevée à 58" et momenlané-
nment à quelques dixièmes au-dessus, élévation d'ailleurs tout à fait
[insuffisante pour faire à elle seule soupçonner une pneumonie.
La pneumonie que j'indique ici est, comme je viens de le dire, au
448 PNEUMONIE LOBAIUE AIGUË, — formes; variétés syuitouatiques.
premier chef une pneumonie secondaire, la pneumonie des cachectiques.
II est, je crois, assez légitime de l'aire rentrer dans cette forme les pneu-
monies plus ou moins latentes , mais primitives, qui se rencontrent par-
fois dans les hospices consacrés à la vieillesse. Grisolle parle d'individus
qui « après quelques jours de simple maladie, d'u i peu d'inappétence,
s'affaissent tout à coup, et meurent subitement; à l'ouverture du cadavre
on est étonné de trouver une hépalisation grise d'un ou de plusieurs
lohes. » Prus a même vu à Bicétre « un vieillard que l'on ne croyait pas
malade et qui tomba mort dans la cour. » À l'autopsie, on reconnut
qu'il n'existait plus qu'un quart des poumons qui fût perméable; tout le
reste était frappé d'hépatisalion grise.
Quoique la fièvre n'ait pas été constatée chez les malades, il ne m'est
pas démontré qu'elle n'ait pas existé, au moins au début de la maladie.
Ce que j'ai vu à la Salpétrière, lorsque j'avais l'honneur d'être interne
du professeur Charcot, me porte à le croire. Ainsi que je l'ai rappelé plus
haut, en traitant de la fièvre et particulièrement de la température péri-
phérique, les apparences de la fièvre sont parfois absentes chez un vieil-
lard; il faut, pour avoir une certitude à cet égard, prendre la température
centrale.
Dans la véritable pneumonie de starvation, au contraire, — et c'est ce qui
la distingue des pneumonies séniles dont je viens de parler, — non-seu-
lement les apparences de la fièvre manquent, mais même l'élévation de
la température centrale paraît faire défaut pendant la plus grande partie
de la durée de la maladie. Cette anomalie tient peut-être à ce que la pro-
duction de chaleur chez les sujets profondément cachectiques, est trop
minime, ou bien à ce que la pneumonie est chez eux d'une nature diffé-
rente, d'une essence moins fébrile.
E. Pneumonie entée sur une bronchite. — Je n'entends ici ni la
broncho-pneumonie ni la pneumonie fibrineuse ordinaire compliquée de
bronchite ; je veux parler de la pneumonie entée sur une bronchite
antérieure, et qui est une complication de cette bronchite, loin d'être
compliquée par elle. Il est donc question ici d'une pneumonie secon-
daire, qui reste au second plan derrière la bronchite qui domine la
scène. Voilà l'affection que j'ai en vue. C'est une forme symptomalique
un peu bâtarde, qui, à certains égards, établit une transition entre la
pneumonie fibrineuse ordinaire et la broncho-pneumonie, en se rappro-
chant assez de cette dernière au point de vue des symptômes, puisque
beaucoup de praticiens la confondent avec la vraie broncho pneumonie,
en raison de la similitude des symptômes physiques, et aussi, jusqu'à un
certain point, des symptômes généraux.
Cette l'orme est plus commune chez les enfants que chez les adultes;
chez ces derniers on l'observe dans certaines contrées du midi de la
France, dans les lieux bas et humides, tandis que la pneumonie à forme
franche sévit sur les hauteurs voisines. On la rencontre aussi sur
quelques parties du littoral (c'est particulièrement la pneumonie des gens
des côtes), enfin dans certaines constitutions médicales. Ainsi les pneumo-
PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — formes, variétés symptomatiques. -Ud
nies qui ont compliqué l'épidémie de grippe de 1857 ont, je crois, revêtu
cet aspect symptomalique.
Ce qui lui donne sa physionomie, c'est la subordination des signes
locaux de la pneumonie vis-à-vis de ceux de la bronchite généralisée : les
râles crépitants sont masqués par les râles sous-crépitants ou sibilants, le
souffle par de gros râles ronflants, l'expectoration caractéristique peut faire
défaut ; car elle est habituellement dans ce cas simplement visqueuse et
légèrement colorée ; en tous cas, elle peut passer inaperçue, à cause de
l'abondance de l'expectoration bronchique. La dyspnée est intense.
Voilà pour les symptômes locaux de la période d'état. Quant aux
symptômes du début, le point de côté est moindre, mais il existe; il y a
un frisson ; bref, bien que ce soit une pneumonie secondaire, le début
n'est pas tout à fait insidieux. Hourmann et Dechambre ont dans cer-
tains cas noté un fait paradoxal en apparence, et qui cependant s'explique :
des vieillards catarrheux ont cessé, disent-ils, de tousser au moment où
ds ont été pris de pneumonie. Evidemment la toux ne s'est pas arrêtée
d'une manière durable, mais elle a été momentanément suspendue parce
que, pour un temps, les symptômes du catarrhe ont cédé le pas à ceux
de la nouvelle phlegmasie plus grave qui entrait en scène, conformé-
ment à l'adage : duobus laboribus, etc.
Dans cette forme, les symptômes généraux, plus encore que les signes
locaux, éprouvent d'importantes modifications : la température est moins
élevée, les exacerbations vespérales plus marquées, et il y a, mais moins
que dans la broncho-pneumonie, une tendance à la rémiltence. Alors
même que la pneumonie s'accompagnant de bronchite est franchement
fibrineusc, dit Jurgensen, elle perd sa marche cyclique au moment de la
crise : au lieu de l'apyrexie, il y a une simple rémission, commencement
d'une période amphibole de durée indéterminée. La résolution du foyer
pneumonique est traînante ; les forces sont lentes à revenir ; parfois même
il s'établit une fièvre hectique dont la terminaison est fatale. D'autres
fois, surtout chez les emphysémateux, la mort arrive par insuffisance
cardiaque, complication qui sera étudiée plus loin.
Je me borne à ces indications fort sommaires. Pour une description
complète de cette forme de pneumonie que je n'ai fait qu'indiquer ici je
renvoie aux remarquables publications des médecins de Montpellier qui,
plus favorisés que nous à cet égard, ont eu souvent l'occasion de l'observer,
surtout sous sa forme bénigne, et l'ont englobée parmi les fluxions de
\ poitrine de nature catarrhale, lesquelles comprennent aussi les cas
(pie j'ai indiqués plus haut sous le nom de pneumonie abortive.
Je passe aux variétés dépendant des conditions anatomiques de la
pneumonie. Après celles qui tiennent à son siège (p. du sommet, p. cen-
l traie) je me bornerai à en signaler une seule, où avec une inatité absolue
I le seul signe d'auscultation est le silence respiratoire, soit en raison de
I l'existence de moules fibrineux dans les bronches, soit [par un méca-
i nisme indiqué par Stokes. Par abréviation, on pourrait désigner du nom de
[iscudopleurétique la singulière anomalie symptomatique qui en résulte,
«uv. dict. Mi n. et cnm. XX VU I 29
450 PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — formes, variétés symi>iomatiques.
A. Pneumonie du sommet. — Ce n'est pas constamment, tant s'en faut,
que la pneumonie siégeant au sommet du poumon prend une physionomie
particulière: aussi plusieurs auteurs, et des plus autorisés, se refusent à la
considérer comme une variété à part. Je n'y contredirais point, si dans
un bon nombre de cas, surtout chez l'enfant, elle ne présentait des par-
ticularités symptomatiques intéressantes et presque toujours une marche
un peu plus lente que les pneumonies de la partie moyenne ou de la
base du poumon.
Indépendamment de toute action causale; et par cela seul que la pneu-
monie occupe le sommet du poumon, elle a une tendance à éveiller davan-
tage les sympathies, ou, pour parler le langage moderne, à exciter les
actions morbides réflexes plus facilement que celle qui a un autre siège.
Chez l'enfant notamment, où ces actions sont le plus facilement mises en
jeu, la pneumonie dite cérébrale , que nous étudierons quelques pages
plus loin au chapitre des complications, est le plus souvent une pneu-
monie du sommet.
On a cru remarquer que la température est généralement plus élevée
dans la pneumonie du sommet. Si le fait est exact, on s'en rendrait compte
de même en disant que l'irritation du sommet du poumon amène dans les
centres nerveux qui président à la régulation de la chaleur une per-
turbation plus profonde que ne le font les excitations d'autres parties de
cet organe. Cette explication serait aussi valable pour l'exagération de la
rougeur malaire dans la pneumonie du sommet.
C'est certainement à une action réflexe qu'est due l'intensité de la
dyspnée dans cette variété de pneumonie (Bouillaud, Andral, Hourmann
et Dechambre. — D'après ces deux derniers elle est surtout marquée
quand la pneumonie occupe le sommet gauche). On ne peut l'expliquer
autrement, car dans l'acte respiratoire le sommet, recevant peu d'air,
sert relativement peu à l'échange des gaz.
Voilà pour les particularités qui reconnaissent pour cause l'énergie des
actions réflexes. Les suivantes ne sont plus du même ordre, mais elles
tiennent toujours à la localisation de la pneumonie.
Beaucoup plus souvent que dans les pneumonies ayant un autre siège,
l'expectoration est presque nulle, dit le professeur Bouillaud, à cause du
peu de prise que les mouvements d'expiration et les secousses de la toux
exercent sur le sommet du poumon. Cette interprétation me paraît par-
faitement exacte et n'est certainement pas ébranlée par l'objection de Gri-
solle, qui prétend que les mucosités devraient être entraînées par la pesan-
teur (!) et que toute secousse de toux agit sur la totalité du poumon. Gri-
solle oublie que la pression exercée par le thorax doit s'exercer plus faci-
lement là où la mobilité de la paroi thoracique est le plus considérable.
Est-ce la même cause qui peut rendre compte de la lenteur de la réso-
lution de la pneumonie du sommet signalée par plusieurs auteurs, notam-
ment par M. Moutard-Martin ? J'avoue que je doute qu'une raison d'ordiv
mécanique en soit la cause, d'autant plus que ce n'est pas seulement la
résolution qui est lente, mais le processus entier. Les signes physique
PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — formes, variétés symptoma.tiques. 451
sont plus lents à apparaître, les râles crépitants, le souille, retardent en
moyenne de plusieurs heures et même d'un jour. Tandis que dans les
pneumonies des lobes inférieurs la crise a lieu dans la seconde moitié de
le première semaine, elle n'arrive dans celles des lobes supérieurs qu'à
la fin de la première semaine ou au commencement de la seconde
(Thomas). Tout est donc en retard quand c'est le sommet qui est le siège
de la pneumonie, de telle sorte que je serais tenté d'admettre avec le
professeur Peter que cette partie du poumon est douée d'une vitalité
moindre que les autres parties plus expansibles. Ce qui me porterait aussi
à croire que dans le lobe supérieur les conditions organiques sont réel-
lement un peu différentes, c'est que la pneumonie paraît s'y terminer plus
souvent par abcès, ainsi que j'aurai l'occasion de le dire plus loin.
Pneumonie centrale. — « La pneumonie est latente, dit Grisolle,
.lorsque les symptômes propres à déceler la maladie sont tellement obscurs
qu'ils peuvent échappera l'attention du médecin. Avant Laennec, toute
pneumonie qui ne provoquait ni douleur de côté ni expectoration sangui-
nolente ou rouillée était regardée comme latente : elle était donc presque
nécessairement méconnue. Aujourd'hui, pour qu'une pneumonie soit
véritablement latente, il faut non-seulement que la douleur et que les
caractères de l'expectoration manquent, mais il doit y avoir aussi absence
complète de tous les symptômes fournis par l'auscultation et par la per-
cussion . »
Cela étant, il est fort rare qu'une pneumonie, pourvu qu'elle soit
recherchée avec soin, reste latente pendant toute sa durée, mais elle
peut l'être pendant quelques jours. A l'appui de cette proposition, jé
puis citer la pneumonie centrale. On nomme ainsi une pneumonie qui,
par une anomalie assez rare, naît dans une portion centrale du pneu-
mon, inaccessible par conséquent à l'auscultation la plus minutieuse.
Dans ce cas, on a un début plus ou moins brusque avec frisson et
un appareil fébrile exactement semblable à celui de la pneumonie com-
mune; seulement, il n'y a jamais de point de côté les premiers jours,
tant que la pneumonie n'a pas gagné la partie superficielle de l'organe.
Si les crachats caractéristiques l'ont défaut, ce qui arrive parfois, il
sera impossible d'affirmer l'existence d'une pneumonie; on ne pourra
que la soupçonner, et souvent, pour une raison ou une autre, le dia-
gnostic s'égare pendant quelques jours ; mais que l'on continue néan-
moins à explorer chaque jour la poitrine du malade, et il viendra un
moment (avant le cinquième ou le sixième jour de la maladie) où l'on
percevra par l'auscultation les signes caractéristiques de la pneumonie.
L'affection n'a donc été latente que pendant un temps limité.
C. Variété pseudo-pleurélique . — Elle se rencontre surtout dans la
variété de pneumonie que mon collègue Grancher a proposé de nom-
mer inassive et que j'ai déjà eu l'occasion d'indiquer à propos de
l'anatomie pathologique. Dans cette variété, ainsi qu'on l'a vu, les
bronches, y compris les gros tuyaux, sont oblitérées complètement par
i un moule tibrineux. Il en résulte une modification essentielle des signes
452 PNEUMONIE UOI1AIKE AIGUË. FOHMES. VAMÉCDÊS SYMPTOMAT1QUES.
d'auscultation : absence complète de la respiration, ni râles, ni souille
dans toute la portion du poumon correspondant à la distribution de la
bronche oblitérée; déplus, absence delà bronchoplionie et des vibrations
Ihoraciques dans la même étendue. Quant à l'expectoration, elle peut
avoir existé avec ses caractères les premiers jours ; mais, pendant la
période d'oblitération des bronches, elle est naturellement absente;
puis, à un moment donné, il peut arriver que le malade expectore
une partie du moule; si un fragment suffisant est expulsé, il y a retour
immédiat des signes ordinaires d'auscultation. Une l'ois, lien rot dit
avoir entendu un bruit de drapeau produit sans doute par la mobilité
du bouchon dans la bronche (?). Enfin, il y a eu dans quelques cas
de pneumonie massive une dyspnée intense, que l'on a expliquée en
supposant que le moule oblitérant avait remonté jusqu'à la bronche
principale et enlevait ainsi tout un poumon à la respiration. La planche,
de la thèse de Wiedmann que j'ai citée à propos de l'anatomie patholo-
gique représente un cas de ce genre.
Tels sont les signes de la pneumonie massive dans laquelle, à une
certaine période, les signes physiques de la pneumonie font défaut.
C'est donc aussi une pneumonie temporairement latente.
11 est des cas où l'autopsie a montré une vaste hépatisalion sans
oblitération des bronches, et dans lesquels cependant le bruit de souille
tubaire avait été constaté pendant la vie. La raison de ce fait paradoxal,
dit Grisolle, est souvent fort difficile à donner. Stokes a dit que pour
qu'il se produise du souffle il faut qu'il y ait au moins un peu d'expan-
sion pulmonaire, et que, si tout le poumon est hépatisé, l'air ne pénètre
pas dans les tuyaux bronchiques. Grisolle oppose à l'interprétation de
Stokes une double série de faits, l'une comprenant cinq cas d'hépatisa-
tion complète de tout un poumon, avec persistance du souffle jusqu'à ta
mort; l'autre de neuf malades tous affectés d'une hépatisalion limitée à
un seul lobe ou bornée à un espace encore plus petit, et chez lesquels
cependant l'auscultation n'a fait entendre pendant plusieurs jours ni
crépitation, ni souffle, ni aucune espèce de bruit pathologique ou nor-
mal. A l'autopsie, les bronches fendues « dans toutes les ramifications
où des ciseaux déliés ont pu pénétrer n'ont montré aucune oblitéra-
tion » J'ai vu moi-même autrefois un fait semblable à ceux de la
deuxième série de Grisolle.
On ne peut se rendre compte de l'anomalie qu'en admettant soit un
défaut de dilatation des parties correspondantes du thorax, ce qui revient
en somme à l'interprétation de Stokes, — soit une accumulation tempo-
raire de crachats dans les bronches suivie de leur expulsion avant la
mort.
L'interprétation de Stokes est-elle légitime, en d'autres termes, le
souffle qui, comme on sait, est produit à la glotte (Beau, Chauveau),
peut-il ne pas se propager dans un lobe pulmonaire dont les bronches
sont perméables, parce qu'il est tout à fait inexpansible? — A priori.
cela est peu problable, mais c'est à l'observation clinique de tranefew
PNEUMONIE LOBAI HE AIGUË. —
ESPÈCES.
455
celte question, el voici, je crois, de quelle manière elle pourra y
arriver :
Dans le cas où, les bronches étant perméables, la respiration bron-
chique fait défaut, il semble évident qu'il doit exister de la bronchopho-
nie et qu'on doit percevoir par l'application de la main les vibrations
vocales. L'absence de ces deux symptômes serait en effet incompréhen-
sible : on conçoit, à la rigueur, le silence de la respiration dans un pou-
mon inexpansible, mais, que le poumon se dilate ou non, les vibrations
vocales doivent se transmettre, pourvu que les bronches soientperméables.
Il y aura donc à étudier soigneusement désormais les cas de ce genre.
Telles sont les principales variétés de la peumonie lobaire. Il eût été
facile d'en augmenter beaucoup le nombre, mais alors elles se seraient
confondues les unes dans les autres, inconvénient que je n'ai d'ailleurs
pu complètement éviter, malgré le nombre restreint auquel je me suis
arrêté. Par exemple, la pneumonie massive est souvent une pneumonie
sthénique. Les variétés précédentes ne sont donc pas rigoureusement
exclusives les unes des autres.
Espèces. — Nature fie la pneumonie légitime. — I. Déter-
mination de plusieurs espèces. — J'ai déjà laissé pressentir au début de
cet article qu'il était impossible de considérer comme formant une seule
espèce toute les variétés de pneumonies actuellement comprises sous le
nom de pneumonie lobaire. Le moment est venu de justifier cette pro-
position.
Il est malheureusement difficile, dans l'état confus de la pathologie
actuelle, de savoir ce qu'il faut entendre par espèce. Si l'on était resté
fidèle au principe qui a inspiré les fondateurs de la nosologie moderne
depuis Laennec, l'anatomie pathologique aurait continué à en être la
base exclusive, mais il a bientôt fallu admettre l'étiologie, concurremment
avec l'anatomie pathologique, à constituer des espèces. Ce n'est pas tout :
on en a fait d'exclusivement symptomatiques : un groupe de symptômes
sans liens anatomiques connus, sans étiologie particulière, a été mainte
fois érigé en espèce.
Il suit de là que si, une espèce nosologique possède à la fois une étiologie
spéciale, des caractères anatomiques particuliers et une marche ou un
complexus symptomatique propres, sa légitimité sera hors de contestation.
Voyons à l'aide de ce critérium si, parmi les variétés de pneumonie con-
fondues aujourd'hui en une espèce unique, il y a en réalité plusieurs espèces
abusivement méconnues.
Il semble tout d'abord que la pneumonie périodique soit clans ce cas : sa
cause estspécifique, sa marche tout à faitspéciale et ses lésions anatomiques
certainement lort différentes de celles de la pneumonie commune : car,
ainsi que les esprits les moins prévenus l'ont parfaitement reconnu (voir
plus haut l'opinion de Grisolle), il ne s'agit pas là d'une fièvre inlermit
tente compliquée de pneumonie, ou, ce qui revient au môme, d'une pneu-
monie compliquée d'accès intermittents, mais d'une pneumonie dont le
processus est intermittent, puisque dans l'intervalle des accès il s'arrête
454 PNEUMONIE LOUAI II E AIGUË. — espèces.
ou rétrograde, et reprend périodiquement son activité. L'admission d'une
pneumonie périodique est donc aussi légitime que celle de la fièvre inter-
mittente.
J'en dirai à peu près autant de la pneumonie alternant avec une arlhro-
pathie rhumatismale. Ici aussi la cause est spéciale. La pneumonie n'est
pas périodique, mais, comme elle cesse brusquement quand se développe
une arthropathie, pour reprendre quand cette dernière s'est amendée,
elle est, bien que sans régularité, intermittente au même titre que la
pneumonie périodique. 11 y a donc, pour faire de la pneumonie rhuma-
tismale alternante une espèce, les mômes raisons que celles qui nous ont
déterminé à l'égard de la pneumonie périodique paludéenne.
Parfois l'alternance, loin d'être complète, esta peine ébauchée; elle
manque même complètement lorsque la pneumonie et les arthropalhies
coexistent ensemble sans s'influencer réciproquement. Dans ce cas la
pneumonie a bien une étiologie spéciale : elle est née chez un sujet en
puissance de rhumatisme aigu, de même que la péricardite ou l'endocar-
dite, dont personne ne conteste en ce cas la nature rhumatismale. Elle
a même souvent une marche particulière. Ainsi, d'après M. 0. Sturges,
brusquement, sans que l'engouement ait été nettement caractérisé par des
râles crépitants, une bépatisation plus ou moins étendue envahit un, puis
les deux poumons. — Je ne dis pas que ce soit la règle : car les cas de
pneumonie rhumatismale quej'ai observés n'ont pas présenté celte allure;
mais il suffit qu'un médecin aussi sérieux que M. 0. Sturges la décrive
pour que je sois tenu de la relater à mon tour. Ce n'est pas tout : cette
pneumonie double se distingue par sa bénignité; il semble que le pro-
cessus d'hépatisalion soit superficiel, ainsi que tend à le montrer l'expec-
toration, qui n'est que peu colorée ou même simplement visqueuse, sans
coloration jaune ; sa résolution est remarquablement rapide. Bref, certaines
pneumonies rhumatismales, même en l'absence de toute marche alter-
nante, ont encore un cachet spécial. Je ne vois donc aucune bonne raison
pour ne pas les réunir aux autres dont la marche est alternante, de ma-
nière à constituer une espèce : la pneumonie rhumatismale ; car il me
paraîtrait puéril de fonder une distinction absolue sur un caractère aussi
peu important et le plus souvent mal tranché. L'étiologie et la bénignité
relative de la pneumonie du rhumatisme me paraissent des caractères
plus décisifs qu'un balancement plus ou moins ac«usé entre l'affection
pulmonaire elles arthropalhies.
Je ne crois pas qu'on puisse non plus refuser le titre d'espèce à la
pneumo-typhoïde. On sait que par cette dénomination on entend non
toute pneumonie survenue pendant le tours d'une dolhiénentérie, mais
seulement les pneumonies, d'ailleurs rares, qui marquent le début de la
fièvre et dont les symptômes dépassent le plus souvent en intensité les
symptômes gastro-intestinaux, si bien que la détermination principale de
la fièvre semble se faire d'emblée sur le poumon plutôt que sur le tube
intestinal. J'en ai cité quelques cas au chapitre de YÉtiologie, et on on
trouve plusieurs autres dans la littérature.
PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — espèces.
455
Parfois les symptômes de la dothiénentérie et ceux de la pneumonie
coexistent. Ainsi, dans le cas d'IIérard publié par Gauchet, il y a eu plu-
sieurs épistaxis, une céphalalgie très-intense et continue, un pouls très-
dicrote, des vertiges dans les tentatives de station assise, de la stupeur,
une langue rôtie, de la diarrhée, des taches rosées, de la sensibilité du ven-
tre, du gargouillement et une augmentation du volume de la rate ; de plus,
les signes locaux de la pneumonie. La terminaison l'ut brusquement mor-
telle. A l'autopsie : hépatisation des deux tiers inférieurs du poumon droit
augmentation du volume de la rate ; intestin (y compris les plaques de
Peyer) sain; ganglions mésentériques normaux. {Union méd., 1860.)
D'ordinaire les symptômes delà dothiénentérie sont tout à fait surl'ar-
rière-plan. Us peuvent même être assez équivoques pour que la véritable
nature de la maladie soit méconnue. Cela est arrivé souvent, par
exemple', dans deux cas publiés par Lorain sous la rubrique Pneumonie
(ouvr. cité, t. II, p. 412-416). L'erreur est parfaitement excusable, car le
tracé thermique est bien celui de la pneumonie ; mais il est facile de
rectifier le diagnostic, quand on lit que les deux malades ont présenté
tout l'ensemble symptomalique de la lièvre typhoïde (à l'exception seule-
ment des taches rosées), phénomène qui manque le plus souvent, vu le
peu d'intensité des lésions abdominales, dans la pneumo-typboïde.
Qu'il y ait ou non immixtion de symptômes de dothiénentérie, la pneu-
monie typhoïde est bien une espèce distincte de la pneumonie franche,
par son étiologie spéciale et vraisemblablement aussi par les lésions pul-
monaires intimes. C'est'' du moins l'opinion du professeur Buhl, qui croit
devoir les rattacher à celles qui caractérisent sa pneumonie desquama-
tive. J'avoue cependant que je n'accepte pas sans plus ample informé
i cette manière de voir, contre laquelle plaide la clinique : la pneumonie
i typhoïde, en effet, ne se résout pas moins vite que la pneumonie franche
i ordinaire. Comment comprendre une telle résolution, si la lésion intra-
; alvéolaire était identique avec celle de la pneumonie desquamative?
Je ne prétends pas d'ailleurs que les lésions pulmonaires de la pneu-
imonie typhoïde soient identiques avec celles de la pneumonie franche ; je
une contente de dire que j'ignore ce qu'elles sont.
On peut aussi chercher dans le sang une différence d'ordre anatomique
> entre la pneumo-typboïde et la pneumonie commune. Il me paraît infini-
i ment probable que l'augmentation de la fibrine ne doit pas être aussi
i considérable que dans la pneumonie franche. La tuméfaction de la rate, etc. ,
i indique trop l'existence de la dyscrasic typhoïde pour que cette hypothèse
i ne mérite pas d'être prise en considération.
Ce que je viens de dire de la pneumo-typboïde, je pourrais le répéter
I pour les divers pneumo-typhus, c'est-à-dire pour les pneumonies primi-
1 tives des fièvres : en supposant même que leurs caractères anatomiques
^soient les mêmes que ceux de la pneumonie légitime, — et il y a de fortes
raisons pour en douter, — elles en sont cependant essentiellement dis-
tinctes, en raison de leur cause spécifique, au même titre que la pneu-:
1 mo-typhoïde.
45G
PNEUMONIE LOBAI RE AIGLE. — ÇBfl&Kfc
11 faut aussi faire une espèce des pneumonies miasmatiques dont j'ai
parlé à propos de l'étiologie. Quelle est la nature du miasme ?0n l'ignoie,
à moins qu'il soit constitué par les monadines, de Klebs. En tous cas,
il paraît avoir beaucoup d'analogie avec ceux de la lièvre typhoïde ou du
typhus, qu'on ne connaît également que par leurs effets. Comme eux il
produit la tuméfaction de la rate, la coloration feuille morte du myocarde
et la dégénéralion vitreuse des muscles droits de l'abdomen, les plaques
de Peyer étant d'ailleurs saines (G. Banti). Quant aux lésions pulmonaires,
à en juger par les descriptions, elles diffèrent beaucoup de celles de la
pneumonie commune. Pour la pneumo-typhoïde j'émettais un doute ; ici
c'est une certitude : il s'agit certainement de lésions bâtardes. Le docteur
Banti, qui les a récemment étudiées avec soin, a une prolifération des
cellules de revêtement de l'alvéole ainsi que des cellules de tissu con-
jonctif des espaces interalvéolaires et interlobulnii es. La coexistence d'unie
pleurésie purulente est très-fréquente. (Sperimenlale, Luglio, 1879). Après
cela, personne, je pense, ne mettra en doute que ces pneumonies miasma-
tiques ne constituent une espèce particulière.
On voit qu'il n'est pas difficile de dégager un certain nombre d'espèces
incontestables du genre, évidemment très-compréhensif, qui porte le nom
de pneumonie lobaire . On est parvenu à distinguer de la manière la plus
tranchée la broncho-pneumonie de ce qu'on appelait la pneumonie. Il faut
maintenant faire un pas analogue, et ne pas hésiter à séparer de la pneu-
monie fibrineuse, légitime, toutes les pneumonies qui lui ressemblent
plus ou moins, au point de vue macroscopique, mais qu'une saine nosologie
doit en écarter, vu les différences étiologiques, cliniques, et sans doute
histologïques, qui les distinguent.
En cherchant à établir la légitimité des espèces que j'ai admises, je
suis, je crois, resté plutôt en deçà que je n'ai été au delà de la réalité ; j'ai
montré la voie, mais n'ai point voulu la poursuivre, laissant à chacun
le soin d'y cheminer à son gré, et dans la mesure où l'y invitent ses con-
victions médicales. Il est certain que, vu l'ignorance où nous sommes de
la cause de cerlaines pneumonies, le champ de la dispute est ouvert, et
que si l'on veut à toute force prendre parti, on n'échappera pas facilement
à l'arbitraire. Voici, par exemple, la pneumonie bilieuse : est-elle une
espèce ?
Je me sens, je l'avoue, incapable de répondre à une pareille question :
car je ne me fais pas une idée fort nette de sa pathogénie. L'état gastri-
que tantôt paraît être contemporain de la pneumonie; tantôt il survient
manifestement le premier. Dans ce cas, est-ce lui qui est la cause de la
pneumonie , soit, comme le croyait Stoll, en agissant directement sur le
poumon par une action humorale irritante, soit en le prédisposant sim-
plement à s'enflammer sous une influence occasionnelle minime? Que su
vons-nous de précis à cet égard? et combien les meilleurs esprits ont
raison de douter et d'hésiter à conclure ! C'est ce que fait Grisolle qui,
après avoir dit que l'état bilieux n'est peut-être qu'une complication ,
ajoute qu'en « considérant les résultats heureux et, pour ainsi dire, mer-
PNEUMONIE LOBA IRE AIGUË. — native.
457
veilleux de la méthode évacuante, il semblerait naturel de supposer qu'il
existe un rapport plus intime entre l'état bilieux et la phlegmasie du
poumon. »
II. Nature de la pneumonie légitime. — Après avoir déblayé le terrain
en écartant les espèces étrangères à la pneumonie commune ou légitime,
essayons de pénétrer, s'il se peut, sa nature.
Pour les médecins de l'École de Paris, la pneumonie est le type des in-
llammations franches : tous ses symptômes, y compris les symptômes
généraux, sont sous la dépendance exclusive de la phlegmasie pulmonaire.
Au contraire, d'après une doctrine médicale plus ancienne, soutenue par-
ticulièrement par Huxham et par Fr. Hoffmann, dont la tradition a été
fidèlement gardée par l'École de Montpellier, l'essence de la maladie con-
siste en une fièvre qui se localise sur le poumon.
Plusieurs pathologisfes fort autorisés de l'École allemande moderne,
Cohnheim, Jurgensen, Klebs, se sont récemment prononcés contre la
doctrine organicienne. Les arguments qu'ils lui opposent ont été résumés
par Jurgensen de la manière suivante :
1° « La pneumonie croupale (fibrineuse) et la bronchite ont une
distribution géographique tout à fait différente. La première échappe aux
lois qui règlent le développement de la seconde ;
2° 11 y a, dans les différentes saisons de l'année, de frappantes
différences entre la fréquence de la pneumonie, d'une part, et celle de
la pleurésie et de la bronchite, d'autre part ;
3° Si l'on compare la courbe de la mortalité par maladies inflam-
matoires (péricardite, pleurésie, laryngite, céphalite, hépatite, péritonite,
gastrite, entérite), celle de la mortalité par maladies des organes respi-
ratoires (à l'exception de la pneumonie, de la tuberculose, de la coque-
luche et du croup), et celle de la mortalité par pneumonie dans une série
d'années — (ce travail a été fait pour Londres, années 1540-1856), —
on ne trouve pas de parallélisme entre ces courbes, surtout entre celle
des phlegmasies et celle de la pneumonie ;
4° Les agents extérieurs, et particulièrement le froid, ne peuvent être
regardés que si rarement comme la cause de la pneumonie, qu'il est
impossible de les considérer comme causes déterminantes (veranlas-
sende Ursache) ;
5° Les irritants ordinaires, faibles ou forts, sont dans l'impuissance de
produire une pneumonie; il faut, de môme que pour la fièvre typhoïde,
un agent doué de propriétés spéciales;
6° Pendant toute la durée de la pneumonie il n'y a aucun rapport
constant entre les symptômes locaux et la fièvre : par conséquent,
celle-ci ne peut dépendre de l'état local ;
7° Aucune maladie locale ne présente, à un aussi haut degré que la
pneumonie, une marche typique. »
Si l'on se bornait à dire que la pneumonie lobaire légitime est une
inflammation sui generis, je n'aurais garde d'y contredire, car cela
me paraît évident ; mais je demande à examiner les arguments sur les-
m* PNEUMONIE LOBMRE AIGLE. — kature.
quels Jurgensen se fonde pour la considérer comme une fièvre à loca-
lisation pulmonaire.
Parmi eux, il en est un, le troisième, dont je ne parviens pas à saisir
la portée. Le premier, le deuxième et le quatrième, n'ont pas la prétention
de témoigner en laveur de l'esscntialilé de la pneumonie; ils prouvent
seulement l'opinion, que je partage pleinement, à savoir que cette affec-
tion n'a pas la même étiologie que d'autres phlegmasies. Pour le qua-
trième, il renferme une exagération et une inexactitude; je renvoie au
chapitre éliologie.
Arrivons aux arguments qui tendent à démontrer que la pneumonie
est une fièvre :
A cet égard, l'argument 5 n'est pas si décisif qu'on pourrait le croire au
premier abord : il y a nombre de maladies inflammatoires spécifiques ou
non, que nous sommes dans l'impossibilité de provoquer expérimentale-
ment, telles que les réalise la nature : par exemple, parmi ces dernières,
le zona et la pleurésie elle-même ; car il n'est point vrai qu'on pro-
duise chez l'animal une pleurésie semblable à la pleurésie fibriaeuse
de l'homme; ce que l'on fait chez lui, c'est surtout une pleurésie pu-
rulente.
Quant à l'argument 7, il me paraît plus spécieux que solide. Nous né
connaissons pas, il est vrai, de phlegmasie franche, à marche aussi
cyclique que la pneumonie, mais pourquoi le poumon n'aurait-il pas
le privilège, en raison de conditions anatomiques particulières, de réglei
la marche de sa phlegmasie et de la faire évoluer en 0-8 jours? Cétte
supposition trouve un appui dans le fait que la pneumonie a une durée
plus longue quand elle siège au sommet; que non-seulement dans ce cas
la résolution est plus lente, mais que la défervescence se fait attendre.
Rien ne prouve d'ailleurs que la marche cyclique de la fièvre typhoïde
tienne à l'essence de la fièvre et non à sa localisation anatomique habi-
tuelle, car la pneumo-typhoïde ne dure pas 21 jours, niais 8 jouis,
comme la pneumonie franche.
L'argument 6 me paraît plus considérable. Selon moi, c'est le véri-
table cheval de bataille de l'essentialité de la pneumonie: aussi je vais,
pour cette raison, le discuter plus longuement. Seulement, loin que je
me permette de trancher une question aussi délicate, et qui partagera
longtemps, sans doute, les médecins les plus éclairés, je me contenterai
de présenter quelques remarques dont le seul but est de montrer la
difficulté extrême du sujet :
« Pendant toute la durée de la fièvre, il n'y a aucun rapport constant
entre la fièvre et l'état local. » Telle est la proposition de Jurgensen.
Voyons si elle est rigoureusement exacte dans les divers stades de la
maladie :
A la période initiale, je ne vois rien d'irrationnel à supposer que la
fièvre est indépendante du processus local. On peut parfaitement conce-
voir qu'elle précède toute localisation morbide. Celte hypothèse trouve-
rait même une hase solide, s'il était exact, comme l'ont cru quelques
PNEUMONIE LOBAIP.E AIGI Ë. — nature.
459
médecins anglais, qu'un état d'hypérinose précède toute pneumonie.
Malheureusement pour la théorie, ce l'ait si important n'est pas prouvé.
Les symptômes prodromiques que l'on observe dans un certain nombre
, de cas de pneumonies primitives peuvent être considérés comme la
i manifestation d'une maladie générale non encore localisée. C'est du
i moins de cette manière que Grisolle les interprète. Voici comment il
: s'exprime à son article prodromes ; « Dans quelques cas, j'observai
I pendant quatre jours un mouvement fébrile intense, san<= que j'aie pu
i découvrir du côté d'aucun organe, et surtout du côté des poumons, une
1 lésion capable de l'expliquer. Ce ne fut qu'à la fin de plusieurs jours
(qu'un point de côté survint; la toux lui succéda, et je constatai bientôt
lies crachats et les phénomènes d'auscultation caractéristiques de la pneu-
imonie. Andral a observé plusieurs cas semblables: il n'y a alors, dit-il,
; aucun travail inflammatoire local bien dessiné, mais partout il y a ten-
dance à sa production et, pour peu que cet état se prolonge, on verra
i naître diverses phlegmasies suivant les prédispositions individuelles et la
■susceptibilité variable des organes. Il est donc vrai de dire que dans
i quelques cas, fort rares d'ailleurs, la fièvre précède d'un ou de plusieurs
j jours la phlegmasie locale, comme si celle-ci n'en était que la consé-
quence o (Pneumonie, 1864, p. 187). Au lieu d'admettre que pendant
ces prodromes les sujets étaient sous le coup d'une maladie pyrétique
(demandant à se localiser, on pourrait supposer qu'ils présentaient sim-
iplement un état d'indisposition pendant lequel, étant plus susceptibles,
iils avaient contracté une pneumonie; mais Grisolle, comme prévoyant
cette objection, ajoute plus loin : « Ces pneumonies avec prodromes se
ddéclarent peu à peu et, dans la presque totalité des cas, sans qu'on
[puisse saisir aucune cause déterminante appréciable. »
J'accepte donc entièrement l'interprétation de Grisolle et d'Andral ;
^seulement, il ne faut pas perdre de vue que ces cas, avec prodromes
dd'une certaine durée, sont une exception: aussi ne peuvent-ils pas, je
(pense, servir à édifier une doctrine générale.
L'indépendance de la lièvre initiale trouve plutôt un appui dans le fait
iqu'elle est d'emblée très-intense. Quelques heures après que la cause oc^
casionnclle a agi, la température, avons-nous dit, peut déjà atteindre 40°
centigrades. Or, à ce moment, il n'y a qu'une hyperémie pulmonaire que
souvent même nous ne sommes pas en état de reconnaître avec certitude
asur le vivant. Ne serait-il pas étrange que cette hypérémie donnât nais-
sanceà une fièvre aussi vive qu'une lésion plus avancée?
Ces divers arguments ne sont pas irréfutables. Ainsi, loin que la fièvre ap-
paraisse toujours avant qu'aucune lésion du poumon se manifeste, il y a des
xas où elle n'est venue que postérieurement (Kaulich de Prague) ; et quand
»nn songe à la difficulté extrême qu'il y a à s'assurer de l'exi.-tence de l'en-
gouement pulmonaire, il ne faut pas être surpris que ces cas ne soient pas
iblus nombreux. Il y aurait peut être aussi quelques réserves à faire sur l'in-
tensité de la fièvre dès le début. Néanmoins j'accepte en bloc l'argument,
Ut j'admets que la fièvre initiale de la pneumonie est probablement, dans
460 PNEUMONIE LOBAI RE AIGUË. — fàttà .
une certaine mesure, tout à l'ait indépendante du processus local. Est-ce à
dire qu'il en soit de même pendant toute la durée de la maladie ?
Dans beaucoup de cas, on peut constater pendant sa durée que les exa-
cerbations de la fièvre sont manifestement liées à une extension de la
lésion. Il est vrai qu'on pourrait soutenir que ces poussées du processus
local sont elles-mêmes sous la dépendance de la fièvre essentielle ; mais
rien n'est en faveur d'une interprétation aussi risquée, et le cas de la
pneumonie du sommet que j'ai cité plus haut en prouve l'invraisemblance.
Comment, en effet, se rendre compte de la plus lon»ue durée de la fièvre
dans ce cas, si ce n'est parce que les actes organiques sont plus lents au
sommet? Toute autre interprétation ne pourra satisfaire un esprit non pré-
venu. De même, la longue durée de la fièvre, lorsque les deux poumons
sont pris, ne me paraît s'expliquer d'une manière naturelle que parce
qu'elle est entretenue par la phlegmasie locale.
Si la défervescence ne coïncidait en aucune façon avec la terminaison
de la phlegmasie, ce serait uu argument en faveur de l'essentialité de
la fièvre. Mais il y a au contraire, entre ces deux phénomènes, une coïn-
cidence remarquable, du moins autant que nous pouvons en juger; car
nous n'avons pas de signe qui nous permette d'affirmer que le processus
inflammatoire est éteint, sauf, peut-être, la diminution de la chaleur de
la paroi thoracique au niveau du foyer. Ce que nous pouvons seulement
apprécier par la percussion et l'auscultation, c'est la resolution; or celle-
ci est sans doute séparée de la terminaison de la phlegmasie par un cer-
tain laps de temps (?).
Quant au rapport de la résolution et de la défervescence, Grisolle dit
que, « sur 192 malades, 94 fois une diminution considérable de l'appareil
fébrile a coïncidé avec une amélioration du côté ces phénomènes stétho-
scopiques ; l'amendement de ces deux ordres de symptômes a paru être
dans ces cas tout à fait simultané. Chez 72 malades, une diminution
notable dans l'appareil fébrile a précédé de un ou plusieurs jours. Enfin,
chez 26 malades, les phénomènes d'auscultation se sont amendés d'une
manière sensible, tandis que la fièvre conservait à peu près toute son
intensité ». (Grisolle, Traité de la Pneumonie.)
Malgré Je talent d'observation que possédait Grisolle à un si haut
degré, ses résultats ne pouvaient être acceptés que sous bénéfice d'in-
ventaire, car il ne voyait ses malades que le matin, et n'avait pas comme
nous la possibilité, à l'aide de mensurations tliermométriques, failèâ
plusieurs fois dans la journée, de connaître l'instant exact où la défer-
vescence débute. Mais, bien qu'obtenus dans des conditions relativement I
défavoraldes, ils sont confirmés par les observateurs modernes, qui ont
apporté à l'étude de cette question tout le soin qu'elle mérite. Je m'en suis
moi-même particulièrement préoccupé et je puis dire à cet égard que,
dans la grande majorité des cas, la défervescence précède très nettement
les signes positifs de la résolution, mais que, chez plusieurs malades, j'ai
pu annoncer celle-ci quelques heures avant que le thermomètre eut décelé
la défervescence.
PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — katurk.
461
Il est probable que, sinous disposions de moyens délicats pour apprécier
l'état physique du poumon, nous ne croirions pas si souvent que la réso-
lution retarde sur la défervescence. Pour juger le degré de la fièvre,
i nous possédons un instrument d'une finesse exquise, le thermomètre.
Mais quel moyen avons-nous de déterminer si le travail de désagrégation
ide l'exsudat commence? Evidemment l'auscultation n'est ici d'aucune
i ressource; elle ne peut rendre de services qu'au moment où la liquéfac-
Ition de l'exsudat est assez avancée pour que l'infundibulum renferme à
lia fois de l'air et du liquide. Or il est facile de comprendre que plu-
; sieurs heures, à la rigueur peut-être plusieurs jours auparavant, sa désagré-
gation a pu commencer. A priori, et bien que je n'ignore pas que nous
ne devons avoir dans les résultats fournis par la percussion qu'une con-
liance limitée, je suppose qu'elle peut mieux nous renseigner sur le
début de la résolution. A l'appui de cette idée, j'invoquerais volontiers
U'autorité du professeur Thomas qui, après avoir dit qu'il n'est pas très-
rrare de voir la résolution précéder la crise, ajoute que, dans ce cas la
weille de la défervescence la matilé prend un caractère tympanique. Tel
t'est, pour lui, le premier signe de la résolution.
En tenant compte de l'incertitude où nous sommes touchant la fin du
ttravail phlegmasique et le début de la résolution, on voit qu'il est impos-
>sible de dire qu'à cette période la fièvre est indépendante de l'état local.
SSi l'on admet au contraire qu'elle y est subordonnée, on s'explique d'une
nmanière naturelle tous les phénomènes de cette période, même l'exaccr-
Ibation praîcritique. En effet, au lieu de l'attribuer, comme fait la théorie
witaliste, à un effort de la nature avant la crise, je serais plutôt tenté d'y
noir simplement le résultat de la résorption commençante de l'exsudat,
c'est-à-dire le premier effet général de la résolution à son début.
Mais toute pneumonie n'a pas une terminaison critique; c'est çequ'ou-
lljlient trop peut-être les partisans de l'essentialité de la fièvre. Quand il
m'y a pas de crise, la persistance de la fièvre tient évidemment à la per-
sistance de la phlegmasie locale et trouve une cause amplement suffi-
>sante dans le travail de la suppuration. A ce moment, et sous le rap-
port de son retentissement sur l'économie, la pneumonie est semblable
i tout vaste phlegmon.
En résumé, et sans prétendre rien affirmer en des matières aussi déli-
icates, je suis porté à croire que la fièvre de la pneumonie est fort com-
plexe. Au début j'admets, comme pour beaucoup d'autres phlegmasies,
'pour l'angine, la pleurésie, etc., que la fièvre est produite par un trouble
Idu système nerveux qui peut être indépendant de l'état local ; mais dans
Je cours de la maladie et surtout à la fin je vois de plus en plus s'accuser
Tinfluence de l'état phlegmasique, influence directe ou éloignée : directe
iquand l'accroissement du foyer phlegmasique ou sa suppuration détermine
mn accroissement de la fièvre, — indirecte quand la résorption des maté-
riaux exsudés entretient à son tour l'état pyrétique. Ces explications, bien
.que théoriques, satisfont plus mon esprit que ne le font les hypothèses
ivitalistes.
PNEUMONIE LOltAIHE AIGLE. — katurk.
Ces lignes étaient écrites quand a paru une Hevue critique l'oi t intéres-
sante de mon collègue Hallopeau sur la doctrine de la fièvre pneumo-
nique. J'ai été tort heureux de me trouver en communauté d'idées avec
lui sur la plupart des points et j'aurais beaucoup à emprunter à son re-
marquable travail, mais je préfère y renvoyer le lecteur. Comme lui, je
suis d'avis qu'il faut entièrement séparer la pneumonie légitime des
pneumonies miasmatiques et contagieuses. Comme lui aussi je rattache
la pneumonie non aux fièvres, mais aux phlegmasies, parce que c'est
avec cette classe de maladies qu'elle a le plus d'affinités naturelles, et
parce qu'il n'y a, jusqu'à présent, pas de motif pour rayer d'un trait de
plume la distinction entre les fièvres et les phlegmasies établie par
Andral et Gavjrret. Je ne diffère d'opinion avec mon savant ami que sur
des points secondaires : je crois que la pneumonie est une phlegmasie spé-
ciale et j'admets dans une certaine mesure l'essentialité de la fièvre du
début.
J'ai dit plus haut que, d'après Fernet, la phlegmasie pulmonaire est
sous la dépendance d'une névrite du pneumogastrique. Laissons le mot
névrite, qui n'est pas suffisamment justifié pour le moment par l'anato-
mie pathologique, et mettons à la place trouble fonctionnel, du genre de
celui qui dans un nerf produit le zona. C'est assurément une hypothèse
fort séduisante que de faire de la pneumonie le zona du poumon ; mal-
heureusement, ce n'est qu'une hypothèse. Toutes les inflammations sont,
dans une certaine mesure, sous la dépendance d'un trouble des nerfs qui se
rendent à la partie qui s'enflamme. Dans le zona, il y a quelque chose de
plus : il y a un trouble primordial et d'ordre spécial dans le nerf. — En
est-il ainsi pour la pneumonie? Nous l'ignorons, mais à coup sûr la ques-
tion méritait d'être posée.
Quant aux faits eux-mêmes de Fernet, j'ai déjà dit, à propos de Vétio-
logie, qu'ils ne permettent pas de formuler une loi générale : de plus,
en supposant que la pneumonie soit réellement ce que, par abréviation,
j'appelle un zona du poumon, il n'est pas certain que les nerfs malades
soient nécessairement les pneumogastriques.
Mais Fernet va encore plus loin : il n'hésite pas à considérer, avec le
professeur Parrot et Lagout, la pneumonie en général comme un herpès
du poumon : « La cause habituelle de la pneumonie, dit-il, comme celle
de la fièvre .herpétique non localisée au poumon, c'est le refroidisse^
ment; les signes généraux sont les mêmes. Les signes physiques de la
pneumonie précédent, il est vrai, l'éruption labiale, mais, ainsi que l'a
déjà fait remarquer Lagout, cela ne saurait nous surprendre, car les
lésions des muqueuses sont plus précoces que celles de la peau.
En admettant que l'herpès pneumonique prouve, comme le pensent
ces pathologistes distingués, qu'il y a identité d'origine entre la fièvre
herpétique et certaines pneumonies, il me semble évident qu'on ne pour-
rait étendre cette conclusion à toutes les pneumonies légitimes, car nous
avons vu que l'herpès ne se rencontre que dans la minorité des cas.
L'étiologie d'ailleurs proteste contre l'origine exclusivement à frujorc
PKMÔNÏE LOBAIHE AIGUË. — terminaisons. 463
de la pneumonie commune. Mais il y a plus : on pourrait à la rigueur
i contester la valeur de la preuve même pour les cas de pneumonie avec
I herpès et rappeler que l'herpès, loin d'être exclusivement l'apanage des
affections à frigore, est un symptôme commun dans la méningite céré-
I bro-spinale, et qu'il n'est pas très-rare dans certaines épidémies de fièvre
! typhoïde; à Bàle, par exemple, sur 1420 cas de dothiénentérie on l'a
observé 56 fois, soit 4 p. 100; et, ce qui montre que la gravité de la
imaladie ne fut pas très-atlénuée, sur ces 56 cas il y eut 10 morts, soit
118 p. 100.
Cependant je n'élèverai pas cette objection; j'accepte que l'herpès dans
lia pneumonie donne la signature de son origine à frigore, ce qui est
d ailleurs d'accord avec la bénignité relative des pneumonies accompa-
gnées d'herpès (voir le pronostic) ; mais je demande qu'on ne généralise
ipas outre mesure et qu'on ne prétende pas que toutes les pneumonies
ssont identiques quant à leur nature.
Terminaisons. — La pneumonie pent se terminer :
1° par résolution franche,
2° — lente (rare).
— id. avec passage à la pneumonie chronique inter-
stitielle (très-rare.
3° par la mort à la période d'hépatisation rouge.
4" par l'hépatisation grise, se terminant elle-même :
(A) par la mort.
(B) par guérison (très rare).
(C) par formation d'abcès pulmonaire (très-rare).
5° par gangrène (très rare).
Je terminerai ce chapitre par quelques mots sur les rechutes et sur les
maladies consécutives.
1° Résolution franche. — On appelle ainsi la résolution qui coïncide à
ioeu près avec le moment de la défervescence.
La révolution se fait avec la plus grande facilité pour les pneumonies
Ijui ne dépassent pas la première période (engouement) ; l'auscultation
wemble nous indiquer qu'en moins d'un jour cet état peut disparaître et
ii'aire place à un état du poumon très-voisin de l'état normal. Il n'en est pas
Ide même, on le comprend, s'il existe une hépatisation ; il faut que les
iklvéoles se débarrassent de l'exsudat qui les oblitère : un certain temps est
iindispensable.
Le premier phénomène doit être évidemment le ramollissement et la
Idésagrégation de l'exsudat, car pour disparaître de l'alvéole il n'a que
Ideux voies : la voie lymphatique et la voie bronchique. Même en admettant
Hiue l'évacuation se fasse par cette dernière, sa désagrégation préalable est
nécessaire, vu le faible diamètre du canalicule respirateur qui fait communi-
iquer l'infundibulum avec la bronchiole; mais, ainsi que j'ai eu précédem-
iment l'occasion de le dire, selon toute vraisemblance, la majeure partie
du contenu de l'alvéole est résorbée par les lymphatiques: or, pour pé-
nétrer dans les fentes étroites des lymphatiques, il ne suffit pas d'une
m PNEUMONIE LOBAIlit, AlGUE. — tkhminaisoks.
désagrégation partielle: il faut sans doute qu'elle aille jusqu'à la quasi-
liquéfaction de l'exsudat.
Tel est, autant que nous pouvons le supposer, le processus. J'ai déjà
indiqué par quels symptômes il se. manifeste; j'en rappelle quelques-uns :
La matité prend, d'après Thomas, un caractère plus tympanique, la
respiration bronchique perd peu à peu son caractère métallique pendant
l'inspiration et ne se perçoit plus que pendant l'expiration ; la crépitation
reparaît, mais grosse et humide; les bulles ne s'entendent d'abord que
dans les grandes inspirations, mais un peu plus tard, le lendemain, par
exemple, lorsquelles sont devenues plus abondantes, elles sont perçues
dans toutes les inspirations et dans quelques-unes des expirations. D'après
Grisolle, le râle crépitant de retour pourrait quelquefois être « plus /in »
que la crépitation qui avait existé dans le premier degré de la maladie.
J'avoue que je n'ai jamais rien observé de semblable.
La résolution ne s'opère pas en même temps et avec une égale rapi-
dité sur tous les points affectés. Laennec a fort bien remarqué que les
parties prises les dernières sont généralement celles dans lesquelles la
résolution se fait tout d'abord. Ce serait, d'après Grisolle, la règle seulement
pour les deux tiers des cas; de même dans la pneumonie double la réso-
lution commence presque toujours par le poumon envahi le dernier.
La résolution de la pneumonie demande un certain nombre de joui s,
un peu moins chez l'enfant que chez l'adulte. Exceptionnellement, une
pneumonie au deuxième degré paraît avoir très-brusquement rétrocédé
sous l'influence d'une affection grave intercurrente. Andral a rapporté dans
sa clinique un cas de ce genre, et Graves en a publié un autre. L'affection
intercurrente a été, dans le premier cas, une variole, et, dans le second,
une attaque de choléra indien.
2° Résolution lente. A. Complète. Dans quelques cas, alors que la défer-
vescence s'est faite d'une manière légitime, et à son jour normal, la réso-
lution ne s'effectue que d'une manière fort imparfaite : dans une portion
du poumon, la matité reste absolue, et pendant des semaines on perçoit, au
moins dans une petite étendue, du souffle et des raies. Pour être pou
communs, de tels faits ont été remarqués par tous les cliniciens, et j'en ai
vu moi-même plusieurs exemples. A un degré moindre, la résolution im-
parfaite n'est point rare; je veux dire qu'un certain degré de matité et
des râles sans souffle s'observent fort souvent. « Ce sont, dit Grisolle, des
reliquats ayant en général peu d'importance, qui disparaissent peu à
peu et spontanément.... Souvent les malades ne toussent plus, et on
croirait que l'organe est revenu à l'état le plus physiologique, si l'explo-
ration par les moyens physiques ne révélait pas qu'il existe encore une
modification dans la perméabilité du tissu. »
Grisolle, sur 105 cas, a noté 66 fois cette résolution lente du vingtième
au cinquante-cinquième jour. Fox, sur 26 cas. l'a vue cinq fois du ving-
tième au vingt-cinquième jour et dans un cas au trentième; le professeur
E. Wagner a rapporté récemment un cas de pneumonie grave du lobe
supérieur du poumon gauche dans lequel après la défervcsccncc survenue
PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — terminaisons. 465
au neuvième jour, les râles crépitants de retour durèrent six semaines,
d'après lui, il y euUnêmc ralalincment de volume de ce sommet et em-
physème compensateur du poumon droit. Ce n'est que quatre semaines
plus tard que le sommet gauclic, à en juger par les signes physiques
de percussion et d'auscultation , revint à l'état normal. La resolution
lente peut être observée non-seulement chez le vieillard et l'adulte, mais
aussi, quoique plus rarement, chez l'enfant. E. Barthez dit que les pneu-
monies occupant tout un poumon et que les pneumonies doubles ont en
général une résolution lente. Damaschino rapporte l'observation d'un
enfant de 7 ans et demi chez lequel la résolution ne se fit que six se-
maines après la défervescence ; la guérison fut complète.
Ainsi que l'ont fait remarquer Grisolle et Charcot (iliôse d'agrég.) ces
cas ne assortissent pas à la pneumonie chronique, car si l'exsudat per-
siste, en raison de conditions encore mal connues, rien ne prouve qu'il y
ait coexistence d'un travail de pneumonie interstitielle. Voici comment
s'exprime Charcot (De la pneumonie chronique, p. 53).
« La persistance des phénomènes locaux, qui révèle l'existence d'une
induration pulmonaire après la disparition plus ou moins absolue des
symptômes rationnels, se trouve signalée dans des observations de pneu-
monie chronique où l'on a pu assister aux débuts de l'affection. Mais ce
ne serait pas là un caractère d'une valeur absolue et propre à l'aire pré-
sager que la pneumonie menace de se continuer à l'état chronique. L'on
sait en effet par les observations du professeur Grisolle qu'un lent re-
tour des poumons à l'état normal est un fait commun à la suite des
pneumonies les mieux guéries. La faiblesse des mouvements respiratoires,
une respiration rude mêlée de râles sous-crépitants, tels sont les seuls
indices de celte résolution imparfaite. Mais on a vu cependant des cas où
le souffle tubaire, la bronchophonie et une matité des plus prononcées ont
pu persister pendant deux ou trois mois après la guérison complète d'une
pneumonie sans qu'il y eût pour cela la moindre tendance à la récidive. »
On trouve des cas de ce genre dans la thèse de Raimond (Paris, 1842); un
autre est rapporté par Rayer (Gaz. méd, ,1846).
Plus récemment, Achard (th. Paris, 1875), dans une thèse faite sous
l'inspiration de Charcot, a rapporté quatre faits analogues : pendant six
semaines à deux mois on a noté la persistance du souille bronchique.
Achard pense que c'est un état de misère physiologique qui est la
i cause de la lenteur de la résolution. Je n'y contredis pas pour certain cas,
au contraire, mais il est probable que les conditions de celte résolution
I lente sont complexes. S'il est vrai, comme je le pense, que la résorption
i de l'exsudat se fasse en majeure partie par les lymphatiques, la parfaite
I perméabilité de ceux-ci est une condition sine qua non de rapide résolu-
l tion. Or, il se peut qu'ils aient subi une oblitération partielle. Voilà donc
une condition locale, indépendante de l'état général, qui doit exercer une
inlluence considérable. Il en est certainement bien d'autres parmi les-
quelles le professeur Leyden, qui a récemment publié plusieurs cas de réso-
lution lente, place la densité (Derbheit) de l'hépatisation, et c'est parce
HOCV. DICT. «ÉD. ET CI1IB. XXVIII — 30
400 PNEUMONIE LOBAI HIC AlGl.K. — tei.sjinaim»..
qu'une hépatisation de ce genre n'est, dit-il, pas très- rare chez les jeunes
sujets qu'on ohserve chez ceux-ci la résolution lente, je ne sais si je
m'abuse, mais il rne semble que les cas de résolution lente seraient plus
communs parmi les pneumonies non traitées.
B. Avec passade à la pneumonie interstitielle. — Dans certains cas,
cette résolution lente, au lieu de se terminer par la rèstitulîo àd integrum
ahoutit à une modification indélébile du poumon qui, suivant l'époque
à laquelle on est appelé à la constater de visu, se présente sous l'aspect
d'induration rouge ou d'induration ardoisée. Dans l'induration rouge, dont I
j'ai vu récemment un remarquable exemple qui a été examiné bistologique-
ment par le professeur Renaut et sera prochainement publié, « le tissu
pulmonaire, d'après Charcot, est rouge, compact, dur, mais plus friable
qu'à l'état normal. Sur une coupe, les granulations pneumoniques appa-
raissent encore, mais plus petites que dans l'état aigu. Le microscope
révèle un épaississemont des parois alvéolaires, qui sont le siège d'une
néoplasie embryonnaire, tandis que les cavités alvéolaires contiennent des
éléments en voie de métamorphose graisseuse. » Dans notre cas, les cavi-
tés alvéolaires étaient en grande partie comblées par un bourgeonnement
du tissu embryonnaire.
Quant à l'induration ardoisée, je n'ai pas à m'en occuper ici. (Voyez
Pneumonie chronique par Balzer).
Les symptômes par lesquels se révèle l'induration rouge sont locaux et
généraux. Les premiers sont les mêmes qu'à la période d'jiépatisition :
matité, souffle, bronchophonie, et, s'il n'y a pas de pleurésie, exagé-
ration des vibrations thoraciques. Quant aux caractères de l'expectora-
tion, ils dépendent de la bronchite concomitante.
Les symptômes généraux consistent en une fièvre variable qui prend
bientôt le caractère de la fièvre hectique ; à la fin il se développe des
escharcs ; d'autres fois, on observe le complexus symptomatique de la
phthisie.
5° Mort a ba période d'uépatisation rouge. La mort peut survenir à cette
période soit par le fait d'une des complications dont je traiterai dans le
chapitre suivant et que par conséquent je passe ici sous silence, soit sans
complication, et par le fait de la pneumonie elle-même, ce qui est I
rare dans certaines séries, dépendant d'une même constitution mé- I
dicale, et beaucoup moins rare dans d'autres. Favorisé sans doute I
par les circonstances, depuis que je suis chef de service, il ne m'est I
pas encore arrivé de voir succomber un de mes pneumoniques à celte I
période j'entends naturellement ; parler des pneumonies primitives, sans
complications.
Quand l'hépatisation rouge occupe un poumon presque entier, on com-
prend qu'elle détermine la mort par asphyxie. Mais si elle est peu étendue i
et que les poumons ne présentent pas de lésion chronique (par exemple
de l'emphysème), les résultats de l'autopsie n'éclairent pas suffisamment
sur la cause de la mort. A défaut des lésions, les troubles observés pen- I
dant la vie permettent généralement de se rendre compte du mécanisme
PNEUMONIE L01SA1KE AIGUË. — terminaisons.
467
•de la mort; l'asphyxie par exemple peut encore èlrc mise en cause, si l'on
a constaté les signes d'une congestion pulmonaire généralisée.
4° Hépatisation grise. — Le processus qui y conduit n'est pas foncièrement
différent de celui qui n'aboutit qu'à l'hépatisation rouge puisque, dans toute
hépatisation rouge, l'alvéole renferme un certain nombre deglobulcs blancs;
l'hépatisation grise est simplement un degré plus avancé du processus in-
flammatoire évoluant sur un terrain favorable, c'est-à-dire chez des sujets
dans de mauvaises conditions (débilité, âge avancé, etc.) ; elle est à l'hé-
patisation rouge ce qu'est la vésicule de varioloïde à la pustule de variole.
A. Hépatisation grise suivie de mort. — Mais dans l'alvéole pulmo-
naire plus encore qu'à la peau, la suppuration, pour être simplement un
stade plus avancé de la phlegmasie, n'en est pas moins la source de dan-
gers très grands dépendant soit de la lièvre de suppuration, soit plus
lard de la résorption du pus. La mort est la règle dans toute hépatisa-
tion grise étendue.
Habituellement elle survient rapidement, pendant le travail même de
la suppuration : « Chez tous les individus qui ont présenté à l'autopsie
une hépatisation grise, dit Grisolle, le début de la maladie datait de 8 à
1 jours, terme moyen 12 jours, tandis que ceux dont la pneumonie n'avait
pas encore franchi le deuxième degré, quand ils ont succombé, étaient
malades depuis 5 à 17 jours, terme moyen 9 jours. Enfin, ebez ceux qui
ont offert un mélange des deuxième et troisième degrés, la maladie datait
de 7 à 19 jours, terme moyen 10 jours. » On sait que l'économie sup-
porte beaucoup plus longtemps une pleurésie purulente.
Lès globules blancs seraient-ils plus facilement résorbés s'ils se trouvent
dans les alvéoles que s'ils sont accumulés dans la plèvre? La chose est
possible •, elle est même probable ; mais il n'est pas pas facile d'en don-
ner un commencement de démonstration ; car il ne suffirait pas de prali
■ quer à plusieurs reprises, pendant la durée d'une pneumonie suppurée
lia numération comparée des globules blancs et des globules rouges; il
faudrait avoir un moyen de distinguer la leucocytose primitive, corres-
pondant à l'époque de la suppuration, de la leucocytose secondaire onde
i résorption. Or cela me parait impossible.
D'après Grisolle, la pneumonie du sommet passerait plus vile à l'hépa-
Itisation grise. Ce serait une exception à la règle que j'ai précédemment
i indiquée, et d'après laquelle les actes morbides sont plus lents dans le
lobe supérieur du poumon. En tous cas, ce n'est pas un indice de vitalité
;plus active puisque la même précocité relative de l'hépatisation grise
ss'observe, d'après Grisolle, chez les sujets faibles et âgés.
Si l'hépatisation n'est pas trop étendue, ou si le sujet est doué d'une
rrésistanec particulière, la fièvre peut diminuer, une fois que le travail de
-suppuration est accompli, et ce n'est qu'au bout d'un certain nombre de
jours que le malade succombe par épuisement. Cette prolongation de la
wie est d'ailleurs assez rare.
B. Hépatisation grise suivie de guérison. — La guérison passe pour
être infiniment plus rare; mais il se pourrait que l'opinion classique lut
468
PNEUMONIE LOliAlKI-; AIGUË. TEHMI.NAISO.NS.
sur ce point un peu exagérée dans le sens pessimiste et qu'un certain
nombre d'hépatisations grises, naturellement peu étendues, fussent suscep-
tibles deguérison. Grisolle, qui sous ce rapport n'est pas suspect de s'être
abandonné à des illusions, dit avoir vu trois malades chez lesquels il a
diagnostiqué le 3e degré de la pneumonie et qui ont guéri après un lent
travail de résolution pendant lequel le souffle tubaire a fait place, sans
intermédiaire, à une crépitation humide et grasse qui a persisté plusieurs
semaines. D'ailleurs, ainsi que nous allons le voir, les abcès pulmonaires
peuvent guérir. Cela démontre la possibilité de la guérison d'une hépati-
«alion grise. La seule question est de savoir s'il faut nécessairement qu'elle
soit préalablement collectée; or, c'est une question accessoire.
C. Terminaison de V hépalisat ion grise par abcès, — Dans ce cas,
suivant la remarque du professeur Jaccoud, il ne s'agit plus d'une simple
altération de surface : il y a destruction partielle du parenchyme pulmo-
naire : c:ir le pus ne peut se réunir en foyer qu'après la disparition dos
cloisons. Celle-ci n'a pas lieu par suite d'un travail ulcératif, mais plutôt
par un processus nécrobrotique suivi d'élimination des parties mortifiées.
Ce qui le prouve, c'est que dans les crachats, ainsi que Traube l'a montré,
on trouve de petits lambeaux de parenchyme pulmonaire parfaitement
reconnaissables au microscope.
Très rares chez l'enfant, rares chez les jeunes gens, moins rares passé
l'âge de 50 ans, les abcès ne se produisent jamais chez des individus anté-
rieurement bien portants; d'autre part si les sujets sont fort affaiblis, ils
succombent avant que le pus soit collecté. — J'ai déjà eu occasion de dire
que les abcès sont plus communs dans la pneumonie du sommet.
Les abcès pulmonaires — je ne parle naturellement que de ceux qui
sont consécutifs à la pneumonie fibrineuse — offrent entie eux de grandes
différences sur le rapport du siège, de l'étendue, etc. Dans les trois quarts
des cas, ils sont superficiels.
S'ils sont multiples, ils peuvent être forts petits. Les petites collections
(de quelques millimètres de diamètre) seraient, d'après Grisolle plus com-
munes chez le vieillard. Habituellement les abcès sont plus volumineux
et présentent deux ou trois centimètres de surface à la coupe. On en a cité
de beaucoup plus considérables.
La cavité de l'abcès est anfractucuse, parfois sillonnée par des brides
flottant dans l'intérieur du foyer. D'autres fois, on a trouvé la surface
interne tapissée d'une fausse membrane grisâtre qui, si l'on en juge par
quelques observations, pourrait se produire en peu de jours. Beaucoup plus
rarement on a constaté une mortification des parois de l'abcès, qui sont
formées par un détritus noir ou brun, exhalant l'odeur propre à la gan-
grène pulmonaire.
La nature du pus varie. Dans la moitié des cas on a signalé que le
pus était blanc, épais, inodore ; on le trouve aussi gris rougcàlre et fétide ;
parfois un des lambeaux ou même une masse volumineuse, fragment du
parenchyme pulmonaire mortifié, ont été rencontrés dans le contenu
de la caverne.
PNEUMONIE LOUA IRE AIGUË. — terminaisons. 469
La symptomatologie de l'iilicès pulmonaire est obscure ; il ne faut
i compter sur aucun signe physique tant que son contenu n'est pas en
libre communication avec une branche d'un certain calibre. Alors, il y a
(deux ordres de signes: I" les signes stéthoscopiques qui prouvent l'exis-
tence d'une cavité (souffle caverneux et gargouillement) ; 2° les signes bien
autrement précis tirés du caractère de l'expectoration, à savoir l'apparition
plus ou moins brusque d'une quantité plus abondante de pus et surtout
l'examen microscopique de ce pus dans lequel on rencontre des lambeaux
(de tissu pulmonaire (Traube).
Quant aux signes généraux, ils sont fort équivoques : il ne faut pas
l trop compter sur les frissons, sur l'exacerba lion de la lièvre, celle-ci peut
imême manquer.
Malgré sa gravité, cette terminaison n'est pas fatalement mortelle : on
i.cile un assez grand nombre de cas de guérison ; mais je n'ai pas à traiter ici
(du mode suivant lequel elle peut survenir (résorption, ouverture dans les
bronches, dans la plèvre ou au dehors, dans le péricarde etc. Voy. :
;article Poumon (abcès).
5° Gangrène. — C'est une suite tellement insolite de la pneumonie
ifibreuse, qu'on a même nié quelle en fût une terminaison dans le
-sens propre du mot. Pour moi, je serais assez de cet avis et la consi-
ddérerais plutôt comme un accident ou une complication : c'est pour me
■ conformer à l'usage que j'en parle ici.
Dans l'Inde, sur la côte de Coromandel, sur celle de Malabar, la gan-
îgrène est une suilc commune de la pneumonie, mais de quelle pneumonie
<s'agit-il ?
Les pneumonies du lobe supérieur, celles qui surviennent chez les
iindividus. à constitution détériorée y seraient prédisposées, (Iluss) ; mais
'•cette dernière opinion n'est pas généralement partagée. Bien plus impor-
tantes que ces causes prédisposantes, à supposer même qu'elles soient
iréelles, sont les causes accidentelles inconnues.
La gangrène consécutive à la pneumonie est chez nous si rare que
lïlrisolle, sur plus de douze cents pneumonies qu'il aurait observées (!),
iprctend ne l'avoir jamais rencontrée. Cependant Andral en a cité trois
us; Monneretun, terminé par pneumothorax (Archives, 1851) et Béhier
?en rapporte deux dans sa Clinique.
La gangrène serait-elle plus commune en Angleterre? on serait tenté
Me le croire si l'on se fiait au dire, de Hughes qui sur 200 autopsies
Me pneumoniques aurait trouvé 28 cas de gangrène. De ce résultat un peu
surprenant il faut au moins retenir que plusieurs de ces cas sont sur-
venus pendant une épidémie de grippe, (six notamment en une seule
(semaine : Guys llospit. Reports, 1848.)
En dehors de toute influence épidémique, le professeur Leyden tient
aussi pour réelle la terminaison de la pneumonie par gangrène ; tout récem-
ment il vient d'en publier une nouvelle observation (Berl. kl. Wochens.
4879 n° 20) il s'agit d'un homme de quarante-sept ans entré à l'hôpital
nu cinquième jour d'une pneumonie caractérisée par un point de côté,
470 l'NKUMOME LOBAlIlli AICIK. — iewiikaisow.
des râles sous-crépilants à fines bulles ; les jours suivants l'hépatisation
envahit presque tout le poumon gauche, expectoration rouillée caractéris-
tique. Du sixième au septième jour la fièvre commença à tomber, mais
sans crise régulière ; les jours suivants elle eut des retours, accompagnés
d'expectoration rouillée et le malade s'affaiblit de plus en plus. Du trei-
zième au quatorzième jour, apyréxic, collapsus ; puis l'expectoration prend
une couleur de chocolat sale ; au quinzième jour on trouve dans les cra-
chats de petits débris de parenchyme pulmonaire ; leur odeur devient fé-
tide; la température remonte à 40°, retombe et remonte : mort au vingt-
troisième jour. A l'autopsie le lobe supérieur du poumon était atteint de
gangrène diffuse dans toute son étendue ; dans le lobe inférieur en état
d'hépatisation grisa il y avait des points présentant une coloration jaune
et évidemment motifiés, mais non véritablement atteints de gangrène:
c'en était probablement le premier stade.
Naturellement je renvoie, pour l'anatomie pathologique, à l'article
poumon {gangrène). Je rappellerai seulement ici que la gangrène qui, dans
nos pays, se rencon tre à la suite d'une pneumonie est le plus souvent
circonscrite.
Les symptômes du développement de la gangrène sont fort insidieux. Ce
n'est que lorsqu'elle est bien déclarée qu'ils peuvent donner la certitude.
L'odeur de l'haleine et de l'expectoration, au contraire, qui est presque
pathognomonique, est de beaucoup le principal signe. Les crachats sont
de couleur variable : jamais ils ne sont constitués par du sang pur : ils
sont gris pâle, brun ou verdâlre (sans matières colorant de la bile).
Traube a surtout insisté sur celte dernière espèce de crachats dont La
coloration tient peut-être à la présence du parasite découvert par Cornil et
dont il a été question plus haut. > , ,
Les signes stéthocospiques sont peu importants, parce qu en gênerai
les malades succombent avant qu'une excavation se soit produite. Quant
aux symptômes généraux ce sont ceux de la gangrène : la face est altérée,
les joues sont prostrées, le pouls fréquent, dépressible, il y a une diarrhée
fétide, colliquative. D'après Grisolle ces symptômes ne se rencontrent que
lorsque l'altération occupe une assez grande étendue du poumon
Quant à la terminaison de la pneumonie Gbrineuse par caseificat.on,
on sait quelle a été, dans ces dernières années, fort discutée L est une
question qui n'est peut-être pas entièrement tranchée. Le fait que cer-
taines pneumonies peuvent se résoudre incomplètement et laisser un îlot
caséeux n'est pas niable et je renvoie à l'observation i • de ma thèse, d a-
grégation (De là pneumonie caséeuse, p. 24) qui en offre un exemple J
qui est seulement discutable, c'est la nature de la pneumonie sus pti ble
d'une telle terminaison. D'après Buhl, elle ressortirait W^"^<j
s& pneumonie desqmmalwe. A cela je n'a. rien à du e, sinon que c ini-
quement rien ne le prouve; c'est une question a de battre entre es lu lo
gistes. Or non-seulement il n'y a pas unanimité entre eux, mais I jn«ff
de Buhl ne me paraît pas réunir la majorité des su ffrages J n .ca ce
sujetàun travail récent du docteur lèvy (Arcl, . fur Halkumh, 1877),M
PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — complications. 471
: soutient que toute pneumonie, dans certaines circonstances, peut devenir
i caséeusc.
Rechute. — Thomas désigne sous le nom de récidive « une nouvelle
pqeumonie commençant avant que la première ait atteint la fin de sa réso-
lution normale. » C'est ce que nous appelons rechute; aussi, pour ne pas
i introduire de contusion dans notre langage habituel j'emploierai seulement
(Cette dernière dénomination. Pour que l'on puisse admettre qu'il y a
i réellement rechute et non simple aggravation d'une pneumonie, il faut
que la défervescence se soit laite depuis un laps de temps tel qu'on puisse
i exclure à coup sûr une pseudo-crise; il Tant de plus que les signes d'aus-
tcultalion prouvent que la résolution avait réellement commencé; aulrc-
imenl, on a affaire à une de ces pneumonies qui accomplissent leur évolu-
ttion en plusieurs actes.
Ilinz a publié le cas d'un enfant de 5 ans qui eut ; dans l'espace de
14 jours, deux pneumonies du lobe inférieur droit. Mais je ne connais pas
id'une manière suffisante les détails de ce fait. — Jurgcnsen (2° Aufl..
p. 154) a rapporté le cas suivant :
Homme de 59 ans ; pneumonie de la base droite. Malgré une tempé-
rature de 41°, il supporte bien sa maladie ; crise au 7" jour ; chute delà
I température à 58°, 5. Pendant les cinq jours suivants, il y a encore un peu
Ide fièvre et la résolution ne se fait que d'une manière fort incomplète.
.'Au 12e jour, (à partir du début), nouveau frisson; température à 40°, 9.
Localement rien d'appréciable à l'auscultation ; mais l'expectoration qui
tétait muco-purulcntc depuis le 7e jour, redevient visqueuse et colorée.
Entre la 40e et la 60e heure à partir du nouveau frisson, la température
iretombe à 57°.
Friedlehen, Witticli, llenoch et Tordœus ont aussi rapporté des obser-
vations de prétondue rechute. Mais le professeur Thomas croit qu'il s'agis-
sait de nouvelles pneumonies, ceque nousappellerions j'c'cù/jucs. Dans les
ccasd'Hcnoch et de Witlichune autre partie de poumon lut prise le '2e jour.
(Dans celui de Tordœus, ç'a été deux fois la même. Quant aux récidives.
jj.'en ai dit quelque mots au chapitre de l'étiologie.
Maladies consécutives. — Sauf la pneumonie elle-même, je ne vois pas
dde maladies qu'un pneumonique convalescent ou guéri soit spécialement
prédisposé à contracter. Mais il est certain qu'il garde, pendant plusieurs
nmois, une disposition aux récidives.
J'ai vu récemment un cas de thrombose de la fémorale pendant la
(.convalescence d'une pneumonie librincuse. Ledien a cité un cas de throm-
Lbose de la veine porte. On a cité des exemples de noma chez l'enfant
i (peut-être en partie à cause du traitement mercuriel). On a aussi rap-
iporté certains cas de paralysie infantile à une pneumonie antérieure.
IBeaucoup de maladies du système nerveux central peuvent sans doute
avoir la même cause occasionnelle. L'ébranlement qu'une maladie aussi
:grave cause à l'organisme l'explique amplement.
Complications. — La formation d'abcès , le développement d'une
-gangrène, peuvent être considérés non-seulement comme une terminaison,
472 l'NKI MOME LOIS.UHE AICUK. — COMPLICATIONS.
mais aussi, à la rigueur, comme une complication de la pneumonie. Mais
ce ne sont pas les seules, ce ne sont même pas les plus fréquentes;
Complications 'iuohackjues. — Pleurésie. — Nous avons vu.au chapitre
de l'anatomie pathologique-, que l'hépatisation de la surface du poumon
s'accompagne nécessairement de la production d'une fausse membrane
molle qui peut sécréter quelques cuillerées d'un liquide séro-purulent.
Ce n'est pas là ce qu'on doit appeler en clinique une pleuro-pneumonie.
four qu'on dise que la pneumonie est compliquée d'une pleurésie, il
laut que l'épanchemcnt soit assez considérable pour modifier les sym-
ptômes de la maladie principale.
D'après tous les auteurs, la pleurésie, entendue comme nous venons
de le faire, c'est-à-dire ayant causé un épanchement notable, est, de toute
les complications de la pneumonie, la plus commune; mais les statis-
tiques varient sur le chiffre de sa fréquence. Fismer (à Bàle) la porte à
15 pour 100, tandis que la plupart des aulres donnent un chiffre moins
élevé. Grisolle se rapproche d'ailleurs singulièrement de Fismer, car,
dit-il, « sur 247 malades, 31 ont offert pendant la vie les signes évidents
d'un épanchement plus ou moins considérable... En général, la quantité
de liquide était en raison inverse de la pneumonie et du degré auquel
celle-ci était parvenue ; je n'ai trouvé qu'une exception : c'était dans un
cas où tout le poumon droit était envahi ; les lobes supérieurs et moyens
étaient frappés d'hépatisation rouge et grise, tandis que le lobe inférieur
ne présentait que de l'engouement et un commencement d'induration
rouge ; et cependant, malgré une lésion si étendue et si profonde du
parenchyme pulmonaire, il s'était formé dans la plèvre un épanchement
de 4 à 500 gr. environ. Dans les pneumonies qui occupent l'organe en
totalité ou dans sa plus grande étendue, surtout si la phlcgmasie, ayant
d'abord envahi le centre du poumon, s'étend ensuite à la périphérie, on
voit que l'épanchement est presque toujours peu considérable et qu'il
n'est, en général, formé que de fausses membranes. »
D'après le même auteur, l'épanchement occuperait toujours la partie
déclive delà cavité pleurale. Cette assertion me parait trop absolue ; car,
quelques observations, entre autres une de Woillez, la contredisent for-
mellement. Dans le cas rapporté par ce dernier, il y avait une pleurésie
purulente partielle circonscrite par des adhérences en avant, en haut et
à droite; le lobe supérieur du poumon droit était hepatisé etc. (Traité
des maladies aiguës des voies respiratoires, p. 258).
Dans le quart des cas de pleuro-pneumonie observés par Grisolle,
l'épanchement et la pneumonie occupaient des parties de la poitrine
éloignées l'une de l'autre, la pneumonie siégeant au sommet ou à la
partie moyenne. Les symptômes propres à chacune des maladies se mon-
trent alors, dit-il, dans leur étendue respective, et leur diagnostic ne
présente aucune difficulté. Je ne saurais, pour ma part, souscrire à cette
dernière proposition, car, ainsi que nous l'avons vu, l'abolition des vibra-
tions thoraciques, l'absence de bronchophonic et du murmure respiratoire
peuvent se rencontrer dans la pneumonie exempte de tout épanchemcnl ;
l'.NKI MON II- LOBAIISE AICl'Ë. — complications.
475
i dételle sorte que si, chez un malade présentant au sommet les signes com-
plets de la pneumonie, on trouve à la base de la matité, du silence respi-
ratoire et l'abolition des vibrations thoraciques, on n'est pas en droit
. d'affirmer par cela seul l'existence d'une pleurésie à là base, à l'excep-
tion d'une liépatisalion pscudo-plcurétiquc. Il n'y a, selon moi, que les
signes suivants qui, en pareil cas, si on les rencontre, permettront d'af-
i iîrmer l'existence d'un épanebement ; ce sont :
1° L'égophpnie quand elle bien caractérisée; 2° le déplacement des
i organes, du cœur notamment si l'épanchement siégea gauche ; 5' les mo-
difications apportées aux signes physiques parles changements de position
■ du malade. En l'absence de ces signes, qui témoignent d'une manière
t positive en faveur de l'épanchcmcnt, il faut savoir rester sur la réserve.
Lorsque la pneumonie et l'épanchcmcnt siègent tous deux à la base,
ides phénomènes d'auscultation peuvent être modifiés de deux maniè-
res différentes : ou bien les bruits respiratoires sont très affaiblis et on
me perçoit de .la crépitation et du souffle tubaire qu'en faisant tousser ou
irespirer très fortement le malade, ou bien l'épanchcmcnt renforce les
I bruits bronchiques et leur donne un timbre amphorique. Cette dernière
i modification peut induire en erreur et l'aire croire à la production d'une
excavation ; on l'évitera cependant en tenant compte des vibrations, qui
•sont nécessairement diminuées tandis qu'elles seraient plutôt exagérées
idans le cas d'excavation véritable. — Quant au premier cas, celui où les
Ibruits sont affaiblis, il peut aussi être fort embarrassant. Mais la coexis-
ttenec d'un épanchement sera prouvée si l'on a l'un des trois signes que
jj'ai précédemment indiqués. Grisolle cite des cas de ce genre où il a fait
ccesser toute incertitude en faisant incliner les malades sur le côté sain
■ou mieux '« en les plaçant à quatre pattes » afin de forcer l'épanchement
ià s'étaler sur une plus large surface.
Tantôt l'épanchement disparaît de bonne heure et semble n'être qu'un
éjiiphénomcnc, tantôt il reste plus ou moins stationnairc et ne diminue
f|ue lorsque la résolution de la pneumonie est plus ou moins avancée,
liantôt enfin il survit à la pneumonie , devient purulent et nécessite une
intervention particulière. Woillez qui a appelé l'attention sur ces derniers
llaits et leur consacre un chapitre de son ouvrage les désigne sous le
iiuom de pnèumo-pleurésie.
Nous n'avons pas à nous occuper de la première catégorie, puisque, vu
«on peu de durée, la pleurésie ne peut évidemment exercer sur la pneu-
nmonic une influence fâcheuse. Bien plus, d'après Laenncc, son action
serait même favorable : . la compression exercée sur le poumon devant,
Uit-il, modérer l'orgasme inflammatoire et empêcher le passage de la
pneumonie au troisième degré. Grisolle contredit assez vivement Laennec
ia cet égard. Quant aux pleurésies de la deuxième catégorie, celles qui
persistent après le commencement de la résolution, elles exercent d'après
Laennec une influence fâcheuse sur cette dernière: il dit avoir observé la
persistance d'un certain degré d'induration du parenchyme après plus de
deux mois. Mais, ainsi que nous l'avons vu plus haut, il y a des pneumo-
474 PNEUMONIE LORAIRE AIGUË. — complications.
nies dégagées de toutes complications d'épanchemcnl qui sont très-lentes
à se résoudre, de sorte que l'aflinnalion de Laennec me semble avoir
besoin d'être étayée par de nouvelles preuves.
Les pmumOnpleu'résie», pour employer la terminologie de Woilléz,
se distinguent, en général, par leur gravité, parce que répanebement est
purulent, au moins dans le plus grand nombre des cas. On trouve dans la
littérature quelques faits de ce genre et j'en ai aussi observé.
Bronchite, Congestion pulmonaire. — J'ai traité plus baut de la
pneumonie qui survient chez un malade atteint préalablejaent de bron-
chite; il me faudrait ici parler de la bronebite consécutive à une pneu-
monie ; mais le cas est si rare que je ne possède pas les matériaux suffi-
sants pour eu parler.
Quanta la congestion pulmonaire envisagée comme complication, c'eM .
ainsi que je l'ai déjà dit, la cause probable de la mort dans un certain
nombre d'bépatisations rouges. Relativement aux signes par lesquels elie
se révèle, soit dans les parties non bépalisées du poumon malade, soit dans
le poumon sain, je ne crois pouvoir mieux faire que de renvoyer à l'ar-
ticle de Woillez, (Traité cité p. 221 et suivantes).
ArrAiiEiL circulatoiiie. — Péricardite. — Bouillaud la croit commune
dans l,a pneumonie grave. Grisolle conteste cette assertion. En fait, à
Vienne, dans une statistique portant sur près de 6,000 pneumonies, on
ne l'a notée qu'une fois sur 200. A Stockholm, sur près de 5.000 pneumo-
nies, elle a été près de deux fois plus fréquente qu'à Vienne. A baie, elle
a été beaucoup plus commune, car elle y a été observée près de 4 fois
sur 100. Je suis porté à croire qu'elle est moins rare que ne l'indiquent
les deux premières statistiques, car n'étant pas facile à reconnaître sur
le vivant, elle doit passer souvent inaperçue.
Il importe de distinguer les péricardiles assez accentuées pour donner
lieu à des symptômes et constituer une complication de celles qui ne
^'accompagnent pas d'épanebement et ne sont par conséquent qu'un in-
cident de peu d'importance pendant l'évolution de la pneumonie. Je ne
dirai rien des dernières. Quant aux premières, véritable complication,
et des plus graves, elles agissent en mettant obstacle à l'activité cardiaque.
Leur effet le plus facilement appréciable est l'abaissement de la tempéra-
ture du malade. Naturellement le pouls devient faible et petit; mais j'in-
siste surtout sur l'abaissement de la température, car n'étant pas une
conséquence aussi directe de l'affaiblissement du cœur que la faiblesse du
pouls, on est a priori moins disposé, si l'on n'est pas prévenu, à lui attri-
buer sa véritable signilication. Voici un exemple de péricardite avec
abaissement de la température, je l'emprunte à Lorain (ouv. cil. p. 408-
411). Il s'agit d'un jeune homme de 17 ans atteint de pleuro-pneumonie.
dont la température, après une élévation assez forte au début, subit, cinq
jours après l'entrée du malade à l'hôpital, et 15 jours après les premiers
symptômes en même temps qu'on percevait des frottements péricardiques,
un abaissement considérable et se maintint dès lors constamment à 57°5,
sauf le dernier jour que la température remonta d'un degré. Le pouls
PNEUMONIE LOBAIRÈ AIGUË. — cotïpmcatiohs. 475
régulier reste pendant ce temps cuire 80 et 90". sauf le dernier jour où il
remonte brusquement à 100°. Le péricarde, à l'autopsie, renfermait 000 gr.
de liquide sanguinolent.
Sauf dans le cas où existe, en même temps que la pneumonie, une
pleurésie qui se propage au péricarde — tout récemment le docteur Colrat
m'a montré plusieurs cas de cette propagation — , les rapports de la péri-
cardite avec la pneumonie ne sont pas toujours très-faciles à expliquer:
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! Kio. 51. — Courbes de la température du rectum (ligne supérieure), èt de la fréquence du pouls (ligne
inférieure), dans mu cas de pneumonie compliquée de pericardite.
quelquefois le rhumatisme paraît être leur lien étiologique commun.
Dans la pneumonie des buveurs et des Brightiques, la péricardile e.-t
aussi plus commune.
Endocardite: — Elle est iieaucoup plus rare que la péricardile. à moins
que l'on considère les souffles passagers qu'on rencontre si fréqucmmenl
au cœur pendant le cours d'une pneumonie, comme symptomaliques de
cette complication, ce que, depuis les travaux du professeur Potain, l'on
ne peut admettre.
i7G
PNEUMONIE LOBAIRE AIGOfi. — coHfbrcÂTioKs.
Los embolies qui surviennent parfois diins le cours de la pneumonie ne
sont pas une preuve péremptoire de l'existence d'une endocardite; car les
coagulations peuvent s'être laites dans les veines pulmonaires, ainsi que
j'en ai vu trois exemples dont l'un a été cité à propos de Y Analomie pa-
thologique : à la vérité, elles sont plus rares, je crois, que les concrétions
intra- cardiaques.
Concrétions sanguines. — Si elles siègent dans le cœur, elles peuvent
gêner plus ou moins la circulation. Si elles sont projetées dans les artères,
elles causent des infarctus, complication d'ailleurs rare, sauf dans les
relevés de l'hôpital de Cale. ■
Insuffisance cardiaque (asyslolie) avec ou sans altération du myo-
carde. — J'ai déjà dit un mot de la complication dont je veux parler ici
en parlant de la péricardite. C'est en effet le propre de celte maladie,
lorsqu'elle atteint une certaine intensité, d'altérer plus ou moins grave-
ment les fonctions du cœur. Ce que fait la péricardite, la lièvre seule
peut parfois le réaliser : on sait que dans les fièvres graves ir se déve-
loppe une altération du myocarde. Théoriquement, on eût donc pu
supposer que dans les pneumonies graves se terminant par suppuration,
où la fièvre dure plus d'un septénaire, il se produit aussi une dégéné-
rescence aiguë du moycarde; mais nous avons vu, au chapitre de l'ana-
tomie pathologique, que les faits ne confirment pas cette supposition et
qu'il est extrêmement rare de trouver, à l'autopsie d'une pneumonie, une
altération quelconque récente du myocarde. L'insuffisance cardiaque dont
je vais parler ici résulte des circonstances particulières où se trouve le
cœur, par suite de l'affection pulmonaire, du travail exagéré qu'il est
obligé d'effectuer; elle peut se développer d'une manière aiguë dans un
cœur prédisposé, alors même que le myocarde est parfaitement sain ;
mais naturellement elle survient plus facilement encore dans un cœur
préalablement altéré soit par suite de la sénilité, soit par une influence hé-
réditaire. Il est des pays, notamment Tubingue, où cette dernière circon-
stance se rencontre communément : de là vient que le professeur Jùr-
gensen a tant insisté sur cette complication et la considère comme la
cause principale de la mort chez les pneumoniques.
A pridri on ne voit pas que le ventricule gauche soit particulièrement
affecté par le fait de la pneumonie. Il doit se trouver dans les mêmes
conditions que dans toute fièvre. Il n'en est pas de même du ventricule
droit; car une quantité de sang tout à fait insolite est accumulée dans
les poumons ; il doit donc développer plus de force, et ce qui prouve que
la circulation pulmonaire se fait moins facilement qu'à l'état normal , c'est
qu'on a observé parfois pendant la vie, la dilatation du cœur droit, et ce
qui est d'une constatation plus facile, la réplétion exagérée des veines
du cou. On pourrait, au premier abord, s'en étonner en songeant que,
d'après les expériences de Lichthcim, les voies de communication à
travers le poumon sont d'un calihre surabondant, puisqu'il a pu obstruer
les trois quarts des branches artérielles pulmonaires sans amener de
troubles dans la tension artérielle générale. Mais je ferai remarquer
PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — complications.
477
crue les expériences de cet auteur ont été faites seulement chez le chien,
. animal disposé pour la course et chez lequel, par conséquent, la circula-
i lion pulmonaire doit disposer de voies très-larges. Rien ne prouve qu'il
i en soit absolument de même chez l'homme.
Chez l'enfant, le cœur droit a une musculature relativement beaucoup
I plus puissante que chez l'adulte. Il résulte en effet des recherches bien
i diinues de Bizot que la musculature à la base des ventricules gauche
• ci droit chez les enfants de 1 à 4 ans a une épaisseur moyenne de 6,5
>et de 6,2 millimètres; c'est-à-dire qu'elle est à peu près la même,
tandis que, comme on sait, elle diffère du simple au double chez l'a-
■ dulte. L'enfant, toutes choses égales, serait donc moins exposé à l'insuffi-
sance du cœur droit. Cette particularité, pour le professeur Tbomas,
i expliquerait en partie la léthalité moindre de la pneumonie lobaire dans
le jeune âge.
Je n'ai pas besoin, je pense, de rappeler longuement à quels signes
i on reconnaît l'asystolie : la petitesse et l'irrégularité du pouls, l'abaisse-
! ment de la température centrale et périphérique, la cyanose, la dilatation
i des veines jugulaires, etc.
Outre la petitesse du pouls et son irrégularité, Bardenhewer, assistant
de Ric^el, dit avoir, dans quelques cas. observé un caractère sphygmo-
. grapbique fort rare dans les états fébriles, à savoir un pouls monocrole.
Lorain l'a signalé dans la variole. Dans ce cas le monocrotisme était
Ile résultat d'une accélération extrême du cœur; les pulsations artérielles
:se succédaient si rapidement qu'il y en avait une nouvelle avant que le
idicrotisme de la précédente eût eu le temps de se produire. Au contraire
idans le cas de Bardenhewer, il n'est pas dit que le cœur lut accéléré;
ic'élaitune pneumonie à défervescence tardive; la faiblesse du cœur était
extrême; telle est selon lui la cause du phénomène qu'il a observé (Berl.
kl. Wochenschrift 1875). D'après M. Galabin, chez un sujet ayant dé-
lassé la jeunesse, l'absence de dicrotisme pourrait tenir non à l'état du
cœur, mais à la dégénérescence du système artériel. J'ai déjà mentionne
I plus haut l'abaissement nécessaire de la température centrale dans les
cas d'insuffisance cardiaque. Je n'y reviens pas. Quant au diagnostic sur
I le vivant de la dilatation des cavités droites du cœur, au moyen de la
| percussion, on ne saurait être trop réservé avant de l'affirmer.
Complications cérébrales. — Délire. — Méningite. De toutes les com-
I plicalions cérébrales, le délire est la plus commune. D'après Grisolle il se
i rencontre une fois sur deux ; d'après Louis et Andral, une fois sur cinq,
| proportion qui dépasse de beaucoup ce que j'ai moi-même observé. Très-
i rare chez les jeunes sujets, il est assez fréquent chez les hommes dans un
âge un peu avancé, mais non chez les femmes, ce qui montre l'influence
ide l'alcoolisme qui est, dit-on, avéré chez le tiers des déliranls.
Le délire peut consister seulement en un peu de divagation le soir ;
i mais le plus souvent les malades sont véritablement agités et veulent se
I lever. A un degré de plus, ils crient et repoussent les personnes qui les
o entourent; enfin le délire peut présenter tous les caractères symptoma-
m
PNEUMONIE LOBAIRE AlliUK — complications.
II
Janvier
5
tiijues du véritable delirium tremeus; mais cela est fort rare eu notre
pays. . * ,
C'est qu'en effet — Grisolle le remarque fort justement — tous ces
délires qui éclatenL chez des sujets ayant abusé de l'alcool ne sont pas
des deliriuni treineus ; chez la plupart d'entre eux l'intoxication alcoo-
lique n'agit qu'à litre de cause prédisposante, et le délire n'a rien de
spécifique.
On sait d'ailleurs qu'il y a bien d'autres formes de délire alcoolique
que le delirium tremens. Je renvoie, à cet égard, à l'intéressant mémoire
publié en 18(30 dans les Archives
de médecine par le professeur
Lasèguc.
Chez un alcoolique confirmé,
une pneumonie provoque presque
fatalement du délire, mais il est
non moins exact de dire que ce
dernier à son tour influence la
marche de la pneumonie. J'au-
rais pu, a propos des formes de
la pneumonie, consacrer un pa-
ragraphe spécial à h marche de
la maladie chez les alcooliques ;
il m'a paru mieux à sa place ici,
puisque c'est une complication,
le délire, qui domine La scène.
Une particularité importante
de ces pneumonies, c'est la faible
élévation de la température. Rien
n'est commun comme de voir
chez u;i alcoolique délirant la
pneumonie n'élever la tempéra-
I1111UO >IÇ OU UU<7f 1 1*1» J ■
yant débuté le lure que d un degré ou un degré
31 décembre, et pris de délire le S janvier. Ce délire j ■ | - Je pQUls
a persisté jusqu'à la mort qui est arrivée le G janvier cl> uo£" p t. T • î i tl
à "2 heures. A partir du début du délire, la tempe- cst très-fréqueilt. LoiMUl avait déjà
sst ni élevée, ni abaissé-
pouls a graduellement monté jusqu'!
I1E1HMH
Kig. 32. = Courbes de la lompéralur.e du rectum ot
de la fréquence du pouls chez un homme de 50 ans,
atteint de pneumonie: lobaire
^iSîteï remarqué la discordance en pa
reil cas du pouls et de la tem-
pérature et il croyait, si je ne me trompe, que le délire était une cause
d'abaissement de la température, ou plutôt qu'il y avait une sorte «1 équi-
valence entre le délire et la production de chaleur.
Une autre particularité de ces pneumonies, c'est la tendance qu'elles
ont à se terminer par suppuration. i • i
Une troisième particularité, mais non constante, c'est l'irrégularité de
leur marche, oscillante comme le délire lui-même, dont l'intensité, d une
manière générale, augmente parallèlement aux poussées de la pneumonie.
Le délire dans la pneumonie, d'origine alcoolique ou non, survient dans
l'acmé, quelquefois dès le début ; s'il a une grande intensité, il dure
PNEUMONIE LOBAI RE AIGUË. — complications.
479
i rSrcment plus de quatre ou cinq jours; au bout de ce temps, il est rem-
I placé par le retour au moins partiel de l'intelligence, ou par le coma, pré-
sage d'une terminaison fatale.
A l'autopsie, Grisolle dit n'avoir pas trouvé de lésion appréciable dans
Il les deux tiers des cas (comprenant la presque totalité des alcooliques,)
limais cbez un tiers il a constaté les caractères d'une méningite purulente
Il de la convexité. — Comme presque toujours la pneumonie est déjà
lià une période avancée quand se développe la méningite, le professeur
llllugenin suppose qu'elle peut être le résultat de petits caillots embob-
ines purulents nés dans les veines pulmonaires. Mais si cette pathogénie
(était commune, il devrait coexister souvent des abcès dans d'autres
(Organes, car il est impossible d'admettre que les méninges aient le pri-
vilège de recevoir des embolies. Or, je ne sache pas qu'il en soit ainsi.
En fait, la pathogénie de la méningite cérébrale ainsi (pie celle de In
iméningile cérébro-spinale sporadique que je mentionne plus bas, est fort
(.obscure.
Est-il possible, chez un pneumonique délirant, de diagnostiquer celte
(.'complication, en d'autres termes de reconnaître qu'il ne s'agit pas d'un
ddélire sans lésions? Les signes tirés de la température sont ici de peu de
waleur. Il faut se baser sur les symptômes propres de la méningite,
iinotamment sur la raideur du cou qui a été signalée dans plusieurs obser-
vations récentes, (obs. 1 2 et 5 de Barlh et Poulin et obs. de Savart.) Le
(Caractère du pouls, les troubles pupillaires, la complication possible
(Id'aphasie, (obs. 1 de Barlh et Poulin,) constitueront aussi de très-fortes
iprésomptions en faveur d'une méningite.
Parfois la méningite purulente développée dans le cours de la pneu-
îmonie s'accompagne d'hémiplégie comme peut le l'aire toute méningite.
D'en ai observé un cas. Le cerveau coupé en tranches très-lines m'a paru
Itout à l'ait sain. Je trouve aussi dans la Lancet, relaté brièvement, un cas
die pneumonie avec hémiplégie, observé dans le service du professeur
Uaccoud. A l'autopsie, on a constaté une pleurésie purulente et une
uméningite purulente (G juin 1878).
La pneumonie se complique de méningite cérébro-spinale suppurée
?.antôt pendant le règne d'un épidémie de méningite — l'on a expliqué
'.'association des deux maladies en disant que les pneumoniques opposent
moins de résistance à l'infection — tantôt indépendamment de toute épi-
llémie; c'est alors à une méningite cérébro-spinale sporadique que l'on
U affaire. Oudin en a récemment publié une observation intéressante.
■ Accidents cérébraux de la pneumonie chez l'enfant. — Ils revêtent
kleux formes particulières bien décrites par Rillict et Bailliez sous le
iaom de pneumonie cérébrale, l'une éclamptique, l'autre méningée
[comateuse ou délirante) . La première est spéciale aux tout jeunes
'enfants, surtout à ceux qui ont une dentition laborieuse; la seconde se
voit de 2 à 5 ans (la pneumonie délirante, au-dessus de cinq ans). C'est
'presque toujours dans la pneumonie du sommet que l'on observe les
«ymplômes convulsifs ou comateux.
480
PNEUMONIE LOBAIBE AK.I Ë. COMI'MCATIO.NS.
A. Forme éclamplUjue. — Les convulsions accompagnées ou précédées
d'une rapide élévation de la température marquent souvent le début;
tantôt elles sont épilcptiformes, tantôt partielles, et dans ce cas elles sur-
viennent plus fréquemment dans le courant de la journée.
B. Dans la forme méningée, l'assoupissement, le délire, la céphalalgie,
les vomissements et même la constipation peuvent se rencontrer ensemble,
complexus d'autant plus trompeur que parfois l'œil est affecté de stra-
bisme. Cependant Billiet et BarLhez remarquent que la somnolence n'est
jamais aussi caractérisée que celle des maladies encéphaliques et qu'elle
n'est pas accompagnée de cris automatiques, de grincements de dents et
de changements fréquents de coloration de la peau du visage.
Les symptômes cérébraux, par leur intensité, effacent ceux de la pneu-
monie; mais la température, qui est plus élevée et plus constante dans la
pneumonie que dans la méningite (Ziemssen). l'accélération delà respi-
ration et les signes d'auscultation (au moins au bout de quelques jours)
servent au diagnostic.
La pathogénic des accidents que je viens de relater est encore mal
connue : on a supposé que les gros troncs veineux, à la base du cou, pou-
vaient être comprimés par le sommet du poumon hépatisé. Cela ne
me paraît pas soutenable. — On a aussi admis une hypérérnie active; pour
certains cas, on a accusé la haute température du sang, et son état dyscra-
sique. Il est probable qu'il s'agit souvent de symptômes réflexes. Enfin il
est des cas où l'on trouve à l'autopsie des lésions des méninges (œdème,
hémorrhagies), avec des apoplexies capillaires du cerveau ou une véri-
table méningite). Dans ce dernier cas, les symptômes sont généralement
plus accusés : la céphalalgie est plus intense, ainsi que la pholophobie, etc. ;
il y a des paralysies sensorielles, de l'opislhotonos, du trismus; les pupilles
sont larges et inégales, et à l'examen ophthalmoscopique on trouve les
signes d'un névrite optique, etc., bref, tous les signes de la méningite
que je n'ai pas à décrire ici. Seulement il cslbon de savoir, que chez leslrès-
jeunes enfants, tous ces signes peuvent manquer et qu'on peut même trouver
àl'autopsieun méningite survenue comme complication d'une pneumonie
sans qu'il y ait eu de symptômes cérébraux.
Forme apoplectique de la pneumonie des vieillards, coma et hémi-
plégie. — Quelques vieillards atteints de pneumonie, après un état d'ob-
nubilation des idées, ou bien d'emblée, tombent plus ou moins brusquer
ment dans un état comateux qui revêt le plus souvent l'apparence d'une
apoplexie dépendant de lésions de l'encéphale.: la perte de connaissance
est complète ; il y a quelquefois de la rotation de la tête et delà déviation
conjuguée des yeux ; les membres, d'un côté, sont le siège d'un excès de
chaleur et perdent la molililé volontaire plus ou moins complètement :
au bout de quelques jours, pendant lesquels cet étal apoplectique peut
offrir de grandes oscillations dans son intensité, la mort arrive, cl à
l'autopsie il est possible que par l'exploration la plus minutieuse et la plus
méthodique on ne trouve pas de lésions qui expliquent les accidents
hémiplégiques des derniers jours; tçl est le complexus symptomatiquo
PNEUMONIE LOBA IRE AIGUË. — complications.
m
qui a fixé souvent l'attention des médecins des asiles consacrés à la
vieillesse.
On désigne ordinairement sous ce nom d'hémiplégie pneumonique les
cas dont je viens d'esquisser le tableau, et c'est ce terme qu'à l'exemple
; du professeur Charcot j'ai cru autrefois devoir employer; mais il faut
bien se rappeler que cette expression indique simplement que L'hé-
miplégie est survenue pendant le cours d'une pneumonie. J'ai en effet
dit d'une manière fort explicite, dans ma thèse, que les hémiplégies
pneumoniques ne constituaient pas un groupe de faits homogènes.
Un petit nombre d'entre elles résultent du ramollissement du cerveau.
, Telle est la quatrième des observations que j'ai publiées dans ma thèse
inaugurale; telle est encore la belle observation de mon collègue et ami
Straus (Revue mensuelle 1877). Si le nombre des hémiplégies pneumo-
niques, dues à un ramollissement, n'est pas considérable, cela tient
| vraisemblablement à ce que les pneumoniques succombent avant que
l'ischémie artérielle, première étape du ramollissement, ait abouti au
ramollissement lui-même. Diverses autres lésions peuvent encore produire
une hémiplégie pneumonique.
Quant aux cas où l'on ne trouve rien qui rende compte de l'hémiplégie,
je ne suis pas porté à les expliquer par une action réflexe, parce que.
I dans les cas au moins qu'il m'a été donné de voir, la physionomie de
l'hémiplégie n'était pas la même que dans les hémiplégies incontcstable-
! nient réflexes, d'origine pleurétique, que j'ai observées (Mëm.de la Société
< des hôpitaux de Paris 1876).
Macario a rapporté deux cas de pneumonie pendant la convalescence
desquelles on observa de la faiblesse musculaire et des fourmillements
ayant débuté par la paume des mains et la plante des pieds. Puis survint
une paralysie du mouvement, complète dans les membres inférieurs, in-
complète dans les membres supérieurs. L'intelligence était intacte. Un
des malades guérit, l'autre mourut, mais l'autopsie ne fut pas faite.
Complications du côté des organes des sens. — Elles ne sont pas fort
importantes. — Appareil de la vision. — On a noté parfois de l'exoph-
thalmie; probablement elle dépendait d'un méningite concomitante.
Seidel à observé chez un garçon de treize ans, au premier jour d'une
pneumonie du sommet gauche, de l'amblyopie. Le malade appréciait les
couleurs d'une manière inexacte et ne pouvait voir à une certaine distance.
Les globes oculaires étaient douloureux, les pupilles étaient très-dilatées,
la pupille des deux côtés rouge et mal limitée; les veines rétiniennes étaient
très dilatées, les artères peu. Les symptômes disparurent en l'espace de
quatre à cinq semaines. Siebel père avait, comme on sait, déjà insisté
sur la dilatation par stase des veines rétiniennes.
Y. Grade et Ileuoch ont aussi noté des troubles visuels transitoires, sur-
venant surtout dans la convalescence, et les ont rapportés à une anémie
1 rétinienne.
Appareil de l'ouïe. — Hillier a publié un cas où existait de la surdité.
Sleiner a observé chez seize enfants atteints de pneumonia du sommet
NOUV. D1CT. MED. ET CUIR. XXVIII — ~>i
482 PNEUMONIE liOBALHE AHJUË. — cowtorcimmB:
dos symptômes cérébraux graves, à savoir : vomissements, alternatives
de somnolence et d'agitation, céphalalgie, délire et perte de connaissance,
qui, reconnaissaient pour cause une otite purulente. Ces symptômes dis-
parurent lorsque l'écoulement se fit au dehors. Ces enfants, âgés de cinq
à dix ans, n'étaient pas scrofuleux et n'avaient jamais eu de maux d'o-
reilles. Dix Ibis L'otite était unilatérale, et surtout à droite.
L'otite passa à l'état chronique dans la plupart des cas et aboutit à la
surdité et à la carie du rocher.
Steiner pense qu'elle a été,, comme la pneumonie et au même titre
qu'elle, l'effet d'un refroidissement et qu'elle n'était pas sous sa dé-
pendance.
Complications du côté du tube digestif et de ses annexes. — A. Catarrhe
aigu de l'intestin. — C'est une complication qui, sur l'adulte, ne se
rencontre guère que dans certaines localités, à Breslau, par exemple
(Lfiberl). On ne peut donc la mettre au compte de la pneumonie.
Chez les jeunes enfants on a vu parfois les symptômes d'un catarrhe
gastro-intestinal survenir dès le début d'une pneumonie. Quand les vomis-
sements, la diarrhée, la douleur de ventre, ont une grande intensité, ils
masquent les signes de la phlegmasie pulmonaire : non seulement un
catarrhe gastro-intestinal est capable de modifier la fièvre et de retarder
la défervescence, mais il peut même entraîner la mort.
Ulcérations du gros intestin. — Le docteur Bristowe est, à ma connais-
sance, le seul qui ait insisté sur cette complication qu'il paraît avoir ren-
contrée assez souvent : ce qui est assez surprenant, vu le silence des autres
médecins anglais à ce sujet.
Bristowe se défend de la supposition qu'elles puissent être le résultat
du traitement. 11 croit même qu'elles ne sont pas secondaires à la pneu-
monie, car, dit-il, il n'y a pas de sympathies entre le poumon et le gros
intestin, — ce qui n'est d'ailleurs pas une preuve, — mais qu'elles sont
une conséquence de la même cause que la pneumonie (froid, etc.). Il y
aurait entre celle-ci et elles la même relation qu'entre la pneumonie et
l'herpès labial, ou bien qu'entre la pneumonie est l'ictère (je dois faire
remarquer que Bristowe est seul de son avis en admettant que l'ictère
pneumonique ait la même cause que la pneumonie).
J'ai rapporté ces idées, bien qu'elles soient de nature â nous étonner ;
j'ajouterai seulement qu'en France du moins ou ne voit jamais de sym-
ptômes de dysenterie coexister avec la pneumonie.
Ictère. — D'après Grisolle, l'ictère à un degré plus ou moins prononcé
se rencontrerait dans la proportion de 7 pour 10(1 pneumoniques. Mais ce
chiffre ne saurait être considéré que comme exprimant la fréquence
moyenne de l'ictère à Paris: ailleurs les statistiques ont fourni des résul-
tats bien différents. Chwostelt a trouvé plus de 21 pour 100 sur 147 cas;
Kismer à Baie 28 pour 100, tandis que les statistiques de Both. du grand
hôpital de Vienne et de Stockholm, les deux dernières portant sur plus
de 8,000 pneumonies, ne fournissent pas une proportion de 1 pour 100.
Lajstatistique qui se rapproche le plus de celle de Grisolle sous ce rap-
PNEUMONIE LOBAIBS AICUË. — .•...jii'i.icAi-in.Ns.
483
port est celle du professeur Gerhardtdc Wiïrzburg (thèse de Sehapira), qui
indique 5, 7 pour 100 |>our l'ictère vrai..
L'ictère est excessivemeut rare chez les enfants. 11 parait plus commun
dans les pneumonies du côté droit et peut-être dans celles de la base
droite.
C'est dans les premiers jours de la pneumonie que se manifeste généra-
lement l'ictère. La coloration jaune se montre d'abord aux conjonctives,
ou bien c'est la coloration des crachats qui révèle l'ictère; ce peut être
enfin la mu l.mii de la matière colorante de la bile dans l'urine additionnée
d'acide nitrique qui eu est l,i première manifestation. Puis l'ictère se des-
sine les jours suivants et parfois acquiert une grande intensité. Alors
même qu'il reste modéré, il est la source d'accidents qui sont générale-
ment attribués à l'intoxication du sang par les acides biliaires et qui
sont en première ligne des symptômes nerveux, savoir une remarquable
tendance au eollapsuset du météorisme, contribuant, à cause de la gène
de la respiration, à la terminaison fatale.
La pathogénie de l'ictère dans la pneumonie est multiple : il. peut
tenir à la propagation aux canaux biliaires d'un catarrhe du duodénum :
Si l'ictère pneumonique est à Stockholm beaucoup plus commun, cela ne
serait-il pas dû au fait que le catarrhe gastro-duodénal, d'origine alcooli-
que, y est beaucoup plus fréquent que dans la plupart des autres grandes
villes du continent ?
D'ailleurs, il y a des résultats précis d'autopsies qui ne peuvent à ce
sujet laisser de doute ; ji'ai, vu moi-même plusieurs lois chez des pneu-
moniques ictériques de la rougeur avec gonflement de la muqueuse du
duodénum et de la rougeur des gros canaux biliaires. J'ai observé récem-
ment un fait remarquable sous ce rapport : la muqueuse du cholédoque et
surtout celle de la vésicule biliaire étaient d'iui rouge vif. Il est vrai que
je n'ai pu découvrir dans les gros conduits biliaires aucun bouchon mu-
queux ; mais l'étude histologique de ce cas, faite à mon instigation par
Bonnet {Revue mensuelle, 1878), a révélé un catarrhe des plus fins ca-
nalicules biliaires. Je crois donc que. même lorsque le catarrhe des canaux
biliaires ne semble pas fort apparent à l'autopsie, l'examen histologique
des fins canaux ne doit pas être négligé.
Mais l'obstruction des voies biliaires ne peut expliquer, tant s'en faut,
tous les cas d'ictère dans la pneumonie, d'autant plus qu'elle s'accorde-
rait mal avec un fait clinique parfois constate, à savoir: la persistance de
la coloration normale des selles, lïouillaud a soutenu que, dans les cas
où la pneumonie occupe la hase du poumon droit, l'inflammation peul
se propager par contiguïté de tissu à travers le diaphragme et le péritoine
jusqu'au foie. Mais cette opinion n'est étayée jusqu'ici par aucune
autopsie, bien qu'on ait beaucoup, sourtout dans ces derniers temps, re-
cherché la propagation de diverses lésions à travers le diaphragme. Si
la propagation de l'inflammation pulmonaire au péritoine était chose fré-
quente, elle aurait été sans doute explicitement signalée.
D'ailleurs, qu'on le remarque bien, cette propagation rendrait bien
PNEUMONIE LOBAIllE AK.UË. COMPLICATIONS.
compte d'une périhépalite, mais elle n'expliquerait p;is facilement l'ictère.
Enfin, et ce dernier argument est sans réplique, l'ictère est presque aussi
fréquent, dit-on, quand la pneumonie occupe le sommet, que lorsqu'elle
siège à la base droite.
Je trouve dans la thèse de Schapira une théorie qui peut être vraie en
partie, mais à laquelle il me parait faire jouer un rôle un peu exagéré :
se fondant sur les expériences des physiologistes qui ont démontré que la
liile s'écoule sous une pression très faible, il pense que, si la compression du
l'oie pendant l'inspiration devient moindre qu'à l'état normal, cette di-
minution d'un des principaux facteurs de l'excrétion biliaire peut suffire
pour amener l'ictère, non qu'il y ait obstruction des voies biliaires, mais
simplement parce qu'il s'y fait une stase. Or, dit-il, le pneumonique
respire superficiellement à cause de la douleur. Je n'ai à ceci qu'une
chose à répondre, c'est que, si cette explication était exacte, l'ictère ne
devrait jamais faire défaut dans la pleurésie diaphragmatique droite.
Or, on sait que l'ictère ne figure pas parmi ses symptômes.
Murchison, tout en restant sur la réserve, semble attribuer certains cas
d'ictère à une congestion hépatique réflexe qui aurait pour cause l'irrita-
tion du poumon. Cette action réflexe serait la réciproque de celle que
il. le prolesseur Potain, qui se fonde sur des faits cliniques incontestables,
croit exister entre le foie et l'appareil cardio-pulmonaire.
On sait que pour Bence Jones l'ictère de la pneumonie serait le résultat
d'un arrêt de l'oxydation de la bile dans le sang. Murchison, qui rapporte
cette opinion et qui semble la partager, reconnaît toutefois quelle ne
saurait s'appliquer à tous les cas.
Parotidite. — Cette complication est fort rare. Sans être spéciale à la
pneumonie du vieillard, dit Grisolle, elle se rencontre surtout après
soixante ans ; dans l'enfance et la jeunesse, elle est à peu près inconnue.
C'est souvent lorsque la maladie est déjà entrée en résolution qu'elle se
déclare. Presque jamais la parotidite n'est double ; son évolution est fort
rapide : en moins de deux jours, elle atteint le volume du poing et sa
terminaison habituelle est la suppuration, rarement la gangrène. Elle est
à juste titre considérée comme une complication des plus graves et
entraînant très-souvent la mort.
Complications du coté de l'appareil irinaire. — Il ne s'agit pas ici de
l'albuminurie si commune dans l'acmé de la maladie. Ce n'est que lors-
qu'elle est persistante ou s'accompagne d'hématurie qu'on peut songer
à la complication d'une néphrite parenchymateuse. En fait, le développe-
ment de cette dernière, comme affection secondaire de la pneumonie, est
fort rare ; il n'en serait plus de même, si l'on envisageait la coexistence des
deux affections : néphrite et pneumonie, cette dernière étant l'affection
secondaire. Bartels a vu chez un officier une néphrite aiguë dans le cours
d'une pneumonie; il y eut une hydropisie considérableet guérison en deux
mois ; le docteur Giovanni en a publié trois cas. mais dont je ne connais pas
les détails.
Amtiies complications. — On a signalé ['infection purulente dans le
PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — diagnostic.
485
cours d'une pneumonie suppurée. Bœckel en a vu un cas à la clinique du
professeur Schùtzenberger, et il y en a quelques autres dans la litté-
rature.
Une pneumonie peut solliciter le retour d'accès intermittents chez un
sujet ayant eu antérieurement des accès de fièvre: j'en ai vu un cas cette
année, et l'observation lxxxi de la clinique de Vulpian en offre un
exemple.
Diagnostic. — 11 comprend la solution de plusieurs questions que
j'examinerai successivement :
Existe-t-il une pneijmonie ? — Le plus souvent, il est très aisé de ré- "
pondre à cette question, mais il est des circonstances où elle présente des
difficultés très sérieuses.
I. — Il est rare qu'on soit tenté de diagnostiquer une pneumonie qui
n'existe point. Cela peut cependant arriver dans quelques cas :
A. — Le plus commun est celui où existe un des symptômes réputés
pathognomoniques et qui, en réalité, ne méritent pas la confiance que
leur accordent encore certains auteurs classiques. Je n'ai pas à m'arrêter
ici sur celte question ; je renvoie aux traités récents de séméiologie, on y
verra que ni les râles crépitants ni même les crachats rouillés ne sont
vraiment pathognomoniques, et que le diagnostic de la pneumonie, comme
celui de toutes les maladies, ne peut être basé que sur la réunion de plu-
sieurs symptômes. Pour la pneumonie en particulier, la coexistence de
symptômes généraux et locaux est à peu près indispensable.
Or, même dans le cas où plusieurs sont réunis, une erreur est possible
chez les jeunes enfants surtout: car chez eux le nombre des signes de la
pneumonie est beaucoup plus restreint : par conséquent, il suffit de
se tromper sur la signification de deux ou trois symptômes pour qu'on
tombe dans l'erreur.
Par exemple, chez un jeune enfant, une péritonite a pu être prise pour
une pneumonie, dans des cas où elle s'accompagnait de fièvre intense
avec respiration fréquente et douloureuse. L'erreur est venue de ces
deux derniers symptômes. On eût pu sans doute l'éviter, si l'on avait tenu
davantage compte des signes de la péritonite, du tympanisme, et de l'ag-
gravation de la douleur par la pression abdominale, du refoulement du
diaphragme en haut, du decubitus du petit malade qui met les muscles
abdominaux dans le relâchement et les cuisses fléchies, de l'intégrité du
cri, la respiration étant seule gênée, enfin de l'absence des signes de la
pneumonie.
Voici un autre cas où l'erreur peut provenir de la prétendue constata-
tion de symptômes d'auscultation : qu'un enfant soit pris de fièvre,
laquelle entraîne nécessairement l'accélération de la respiration, un
médecin peu familiarisé avec l'étendue de la respiration bronchique qui,
1 comme on sait, existe normalement à la racine des bronches, et qui
; s'exagère encore, si la respiration, pour une raison quelconque, est
\ accélérée, pourra admettre un souffle de pneumonie, surtout si, en même
: temps, il s'imagine percevoir un peu de matité : une altitude vicieuse de
480
l'NliUMONlE LdliAlUi; Allii K. — dwkwwwc.
l'enfant peut eh donner l'apparence — cl il tombera dans une méprise
(jui ne lui apparaîtra que par la marche ultérieure de la maladie.
Chez l'adulte et chez le vieillard, une erreur du même genre peut
aussi, bien que moins facilement, être commise ; car ce n'est pas seule-
ment chez l'enfant qu'il existe, à la racine des bronches, une zone où l'on
entend normalement de la respiration bronchique ; mais la méprise, à
cause de diverses circonstances, est moins facile que chez l'entant. Pour
qu'on admette chez un adulte une pneumonie absente, il faut en général
le concours de conditions particulières : il faut, par eeemple, qu'un
sujet qui devient fébricitant à l'occasion de quelque refroidissement
soit atteint d'une lésion pulmonaire chronique dont les symptômes de
percussion et d'auscultation soient capables de simuler ceux d'une pneu-
monie. Encore est-il impossible que la discordance entre les phénomènes
locaux et généraux, la marche de la maladie, etc., ne redressent pas
promptement l'erreur.
De toutes les maladies de l'adulte, celle qui peut le mieux en impo-
ser pour une pneumonie franche, c'est la pneumonie caséeuse, ce qui
n'est d'ailleurs pas étonnant, car celle-ci ne se distingue de la première
que par des nuances :
Un homme jeune prend une pneumonie du sommet : la maladie suit
son cours sans allure inquiétante ; on croit à une pneumonie franche.
Cependant la défervescence n'a pas lieu et l'évolution ultérieure prouve
qu'on avait affaire à une pneumonie caséeuse. Élait-il possible de la
soupçonner dès les premiers jours ? Dans quelques cas, la chose est possi-
ble : si le sujet a des antécédents héréditaires suspects, si, au lieu d'un
frisson unique, il y a eu une série de petits frissons, si l'expectoration
a été plus hémoptoïque que ce n'est l'habitude, il y aura de fortes pré-
somptions en faveur de la pneumonie tuberculeuse. D'après Louis, il
faudrait conclure de même, si la pneumonie du sommet siégeait exclusive-
ment en avant.
II. — Il est beaucoup plus ordinaire de méconnaître une pneumonie que
d'admettre à tort son existence ; l'erreur peut provenir de ce que soit les
symptômes généraux, soit les symptômes locaux, manquent ou ne sont pas
constatés. — Voyons d'abord le cas où ce sont ces derniers qui, à tort ou
à raison, paraissent faire défaut.
A. Pneumonie centrale. — Un malade est pris de fièvre, d'oppression
médiocre, mais il n'a pas de point de côté et on n'entend aucun signe
d'auscultation; c'est à peine si, dans quelques cas, on perçoit par la
percussion quelques légères différences dans la sonorité. Si les crachats
manquent, peut-on affirmer l'existence d'une pneumonie?
Évidemment cela est impossible ; et même, vu la rareté de tels faits,
on pensera de préférence à toute autre affection fébrile, telle (prune
lièvre éruptive, une phlliisie r.iguë, etc., suivant que l'âge ou quelque
épiphénomène rendra telle ou telle affection plus vraisemblable. La
lumière ne se fera que lorsque la partie superficielle du poumon i-era
envahie.
PxNKUMONIE LOBAI H li AIGUË. — diagnostic.
487
Je viens de supposer le cas où les signes physiques loflWra illuminent et
où il n'existe que des symptômes généraux, lesquels permettent de :soup-
ronner, mais non d'affirmer l'existence d'une pneumonie. Une au tre évcntua-;
lité est celle-ci : par le fait d'une complication ou d'une maladie pi '('exis-
tante, les symptômes généraux trouvent une explication satisfaisante ;
l'exploration de la poitrine est négligée ou faite d'une manière insuffi-
sante ; on ne prend pas garde à l'expectoration : la pneumonie est
méconnue. Tel malade est envoyé dans un asile comme atteint dedeliriiini
tremens et qui a en outre une pneumonie. Comme \cdelirium Iremens
est fébrile dans les cas graves, il n'y a que les signes locaux qui peuvent
faire trouver la pneumonie. Or, l'expectoration peut passer inaperçue,
l'auscultation et la percussion rendues fort difficiles, vu l'agitation du
malade. 11 n'y a que l'oppression, si elle existe, qui puisse facile-
ment mettre sur la voie : chez un enfant, on diagnostique une méningite,
c'est une pneumonie centrale ; chez un vieillard on croit à un ramol-
lissement : à l'autopsie, on trouve ou non des lésions de l'encéphale,
mais on constate une pneumonie.
Comment éviter des erreurs si regrettables ? En explorant avec soin
tous les points de la surface thoracique à l'aide de la percussion et de
l'auscultation, et aussi en tenant compte des données therniométriques.
C'est surtout dans le dernier cas que j'ai supposé que l'exploration ther-
mométrique donnerait un résultat, décisif en décelant ipso fado la pneu-
monie. Dans le second, elle serait aussi fort utile, car la méningite soit
de la base, soit de la convexité, soit cérébro-rachidienne , ne s'accompa-
gne point de la fièvre continue de la pneumonie.
B. Dans les cas que je viens de supposer, l'erreur provient de ce que des
symptômes surajoutés détournent, par leur gravité, l'attention de l'obser-
vateur, et comme ils rendent suffisamment compte des symptômes géné-
raux, on n'a pas la pensée de chercher d'un autre côté. Une pneumonie
peut aussi être méconnue parce que la fièvre semble manquer. Tel est le
cas pour beaucoup de pneumonies séniles ; elle sera évitée, si, ne se fiant
pas aux apparences, on a recours à la thermométrie des cavités contrales.
La constatation de Ja fièvre met sur la voie, car la pneumonie est une
des rares affections fébriles du vieillard. Si l'emphysème ou la bronchite
masquent en partie les signes locaux, la constatation d'une fièvre intense
suffit souvent pour fixer le diagnostic.
11 est des cas de pneumonie de starvalion où c'est non seulement la
température périphérique qui est basse, mais même la température cen-
trale, où la fièvre, en un mot, fait défaut, au moins à une certaine période.
J'en ai vu, cette année même, un exemple chez un individu profondé-
ment anémique. Dans ce cas, il ne reste que les symptômes locaux. Or,
en l'absence de l'expectoration, ils peuvent paraître fort équivoques.
Grisolle pense que, si l'on examine la poitrine, « on ne peut méconnaître
l'affection », affirmation téméraire et qui étonne, venant d'un clinicien
aussi expérimenté.
Le plus souvent, quand on méconnaît une pneumonie, les symptômes
m PWM0N1E LOBAIRE AKiUK. — diacnostic.
généraux et plusieurs des symptômes locaux de la pneumonie ne man-
quent cependant pas, mais il est des cas où on hésite à conclure, parce
que le tableau syinplomalique n'est pas complet ou présente quelque
particularité insolite. C'est surtout ce qui a lieu quand la pneumonie est
compliquée d'une autre affection de poitrine : d'une bronchite, d'une
pleurésie, etc. — 11 est donc utile de consacrer quelques développements
au diagnostic différentiel de la pneumonie d'avec les affections qui peuvent
la faire méconnaître.
Pleurésie. — Dans la pneumonie et dans la pleurésie, il y a de la
fièvre, un point de côté, de l'oppression et de la toux, et quelques symp-
tômes physiques communs : de la matité au point malade, du souffle ou
des bruits secs dont le lieu de production à la surface de la plèvre ou à
l'origine des infundibula est souvent difficile à établir. Cette ressem-
blance symptomatique rend la confusion possible dans les cas où man-
quent les signes propres de chacune : l'expectoration rouillée, d'une
part: l'égophonie, d'autre part.
Pour se guider, on aura égard aux préceptes suivants : La fièvre de la
pneumonie débute, en général, d'une manière plus brusque ou, comme
on l'a dit, plus solennelle, par un frisson avec claquement de dents et
quelquefois par un vomissement. Elle s'accompagne d'un sentiment de
malaise plus profond ; la température centrale est plus élevée et les
rémissions plus rares ; les phénomènes sympathiques sont plus prononcés.
Quant aux signes physiques, les premiers jours, une large zone tympani-
que à la base remplacée, les jours suivants, par un son de plus en plus
mat; la conservation habituelle de l'espace semi-lunaire (Traube a cepen-
dant rapporté un fait contraire), un souffle tubaire, ayant son maximum
dans l'aisselle, sont des signes de pneumonie.
Au contraire, une zone de matité à la base surmontée d'une zone de
son tympanique, la première augmentant en hauteur les jours suivants
et refoulant par son progrès la zone tympanique, est un bon caractère de
pleurésie ; plus tard : une matité complète, avec disparition de l'espace
semi-lunaire, l'abolition de tout bruit respiratoire et l'absence de vibra-
tions thoraciques, l'expectoration simplement muqueuse, sont des signes
de pleurésie ; ce n'est que dans des conditions exceptionnelles (pneumo-
nie massive) que ces symptômes existenl dans les pneumonies. Dans ce
cas, il n'y a, pour éviter l'erreur, indépendamment de la ponction avec le
trocart capillaire, que les symptômes généraux et la marche de la mala-
die. Comme elle est beaucoup plus lente dans la pleurésie, il serait fort
extraordinaire que les signes physiques que je viens de rappeler existas-
sent déjà dans les premiers jours d'une pleurésie.
Dans certains cas, on a ces mêmes symptômes physiques, mais, de
plus, des crachats rouilles ; l'existence d'une pneumonie est certaine et la
question réside dans l'alternative suivante : ou bien une pleurésie abon-
dante compliquée d'un petit foyci de pneumonie, ou bien une pneumonie
sans pleurésie. En réalité, c'est le diagnostic de la pleurésie qu'il y a à
poser, non celui de la pneumonie : aussi, je renvoie à l'article Pleurésie de
PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — diagnostic. i89
ce Dictionnaire et au paragraphe complications du présent article où j'ai
déjà dit un mot du diagnostic de la pleuro-pneumonic.
Je reviens au diagnostic différentiel de la pneumonie non massive et
de la pleurésie dans le cas où il n'y a pas d'expectoration et où les signes
généraux ne sont pas suffisamment tranchés pour qu'on puisse conclure
à la pneumonie. C'est avec la pleurésie s'accompagnant de congestion pul-
monaire que l'erreur peut être faite. En effet, dans cette variété de pleu-
résie il n'y a pas de matité ahsolue, mais une submatité occupant d'un côté
les deux tiers inférieurs de la poitrine ; pas d'abolition, ni même de dimi-
nution appréciable des vibrations thoraciques dans la plus grande partie de
l'espace correspondant à la submatité; on entend un souffle dans une
grande étendue, jusqu'à la base du poumon, et souvent des râles sous-cré-
pitants fins et même crépitants, symptomatiques, comme le souffle, de la
congestion pulmonaire. Voilà bien des signes communs avec la pleu-
résie.
Voici maintenant les caractères physiques distinctifs : la submatité sou-
vent se déplace, elle devient presque nulle latéralement quand on fait
coucher le malade sur le côté opposé ; de plus, dans le cas de pleurésie, il
y a toujours, à la base,' une petite zone de matité véritable — difficile à
distinguer de la matité hépatique, si l'affection siège à droite, mais fa-
cile à reconnaître, s'il s'agit d'une pleurésie gauche — le souffle est doux ;
il a son maximum d'intensité au niveau de la racine des bronches — il
est peu étendu ; par conséquent il ne peut être syinptomatique d'une
pneumonie, car un souffle pneumonique si étendu aurait quelque part, en
dehors de la racine des bronches, un caractère tubaire et métallique que
ce souffle ne présente point: de plus, en cherchant avec soin, on trouvera
toujours un peu d'égophonie vers la partie supérieure de la submatité,
signe qui manque dans la pneumonie.
La pleurésie diaphragmatique peut aussi causer quelque embarras.
Grisolle remarque judicieusement qu'une dyspnée extrême, une toux
fréquente et pénible, comme on les voit dans cette maladie, ne pourraient
appartenir qu'à une pneumonie assez étendue pour se révéler par des
signes physiques fort nets. J'ai vu cependant un cas de ce genre où le
diagnostic dut rester en suspens. Le lendemain, la pneumonie, qui
probablement était localisée à la face inférieure du lobe iuféi ieur, gagna
la partie postérieure et put dès lors être affirmée.
Je pourrais m'étendre davantage, mais je crois devoir pour plus de dé-
tails renvoyer à l'article Pleurésie de ce Dictionnaire.
Broncho-pneumonie. — Elle est rarement unilatérale; elle occupe de
préférence les basesetlaisseintactcsles parties moyenne et surtout supérieu-
l ses des poumons. Dans les cas où existe une pneumonie libnneuse des deux
I bases avec bronchite, on se fondera, pour établir la diagnostic, sur la
i marche de la maladie, particulièrement sur la fièvre, qui offre dans la
i broncho-pneumonie des rémissions matutinales et des exacerbations vespé-
i raies très prononcées. Ce n'est que dans les cas de transition que le dia-
: gnostic sera impossible, par exemple, dans un cas analogue à celui
m PNEUMONIE LOBAIHE AIGUË. - diagnostic
d'Ilenoch, qui dit avoir trouvé de la pneumonie fibrincuscà l'une des buses
et de la broncho-pneumonie à l'autre.
L'expectoration dans la broncho-pneumonie n'est pus caractéristique
comme dans la pneumonie. Malheureusement, ce dernier caractère peut
bien rarement être utilisé, vu l'absence de toute expectoration chez les
très jeunes enfants.
PlUliisie pulmonaire. — Ce n'est pas pendant la période d'acmé de
la pneumonie, c'est lorsqu'on voit pour la première fois le malade après
la défervescense, que l'erreur peut être commise. Elle l'est même assez
fréquemment dans les hôpitaux, parce que souvent les malades rensei-
gnent mal sur les symptômes qu'ils ont éprouvés avant leur entrée à
l'hôpital. On sait que le lendemain de la défervescence le pneuinonique
est fort abattu et que souvent le faciès présente quelque analogie avec
celui qu'il offre dans les maladies chroniques. Or, si la percussion et
l'auscultation décèlent l'existence d'une induration de l'un des sommets
et que le malade ne soit pas assez intelligent pour raconter qu'il a eu
pendant plusieurs jours une lièvre intense, on commet fort naturellement
la méprise de considérer cette induration comme symptomatique d'une
phthisie. L'erreur peut à la rigueur se prolonger deux ou trois jours, car
on sait que la résolution est plus lente dans la pneumonie du sommet.
Cependant, si les signes de la convalescence s'établissent franchement,
alors même que l'induration persiste, on pourra reconnaître la vérité, qui
deviendra tout à fait évidente à mesure que la résolution s'accomplira.
J'ai dit, à propos de l'expectoration, qu'une hémoptysie, au début de la
pneumonie, doit faire craindre le début d'une pneumonie caséeuse. Telle
est la règle. Mais elle n'est pas sans exceptions, comme le prouve l'obser-
vation lxxxi de la clinique de Vulpian. Il s'agit d'un homme de 27 ans
qui cinq jours après une chute sur le côté gauche dans un escalier, temps
pendant lequel il ne ressentit aucun effet de la chute, eut un frisson intense
avec point de côté à droite; le lendemain, il se mit à tousser, et le même
jour il eut une hémoptysie. Il rendit un crachoir de sang environ. A son
entrée le lendemain, on constata les signes classiques d'une pleuro-pneu-
monie. Le mois suivant le malade sortit parfaitement guéri.
Méningite. — Il n'est pas rare que chez un enfant on méconnaisse une
pneumonie cérébrale. C'est une erreur fort regrettable, car elle entraine
un pronostic fatal qui est démenti par l'événement. 11 est donc de la plus
grande importance de rechercher avec soin s'il n'y a pas de pneumonie
du sommet chez un enfant atteint d'accidents cérébraux. On sait que les
signes physiques de cette pneumonie sont plus lents à paraître : il faudra
donc ne pas se contenter d'un seul examen.
Après les symptômes locaux, la température est le critérium le plus
important: les accidents cérébraux non symptomatiques de lésions ménin-
gées se produisent presque toujours dans lecas où la pneumonie est accompa-
gnée d'une haute température. Or, dans la méningite, la température n'est
pas fort élevée: elle atteint rarement 40°C.,et, en admettant qu'elle at-
teigne ce chiffre quelques heures, elle ne s'y maintient jamais.
PNEUMONIE LOBAI11E AIGUË. — diagnostic.
491
Le pouls doniicaussi des renseignements utiles : le pouls de lu pneumonie
infantile est fréquent et régulier; dans la méningite, il peut devenir peu
fréquent et il présente des irrégularités.
Dans celle-ci, il y a des contractures ou des paralysies de certains
muscles; ces symptômes ne se rencontrent jamais parmi les accidents
cérébraux de la pneumonie, sauf peut-être la raideur de la nuque (Da-
maschino), mais, encore une fois, les signes les plus importants sont natu-
rellement les signes locaux de la pneumonie.
Le diagnostic de la pneumonie une fois bien établi, reste la grave ques-
tion de savoir si elle est ou non compliquée de méningite ; mais, à cet
égard, je n'ai qu'à renvoyer au paragraphe complications cérébrales, et
surtout à l'article Méningite, t. XXII.
Fièvre typhoïde. — Il est assez rare qu'un clinicien tant soit peu expé-
rimenté, en présence d'une pneumonie, la méconnaisse et suppose une
fièvre typhoïde qui n'existe pas. Cette éventualité n'est cependant pas
impossible, s'il s'agit de la forme de pneumonie que j'ai indiquée plus
haut, sous le nom de pneumonie asthénique. Dans cette l'orme, eu effet,
l'aspect du malade est celui d'un typhique : la prostration, l'indifférence
profonde, les fuliginosités de la bouche, la céphalalgie, les vertiges, les
épistaxis, font penser à la dothiénenterie, d'autant plus que souvent la
dyspnée est peu marquée et que Le malade, ne se plaignant pas de point
de côté, n'attire pas l'attention sur l'appareil thoracique; mais on évi-
tera l'erreur en pratiquant l'examen de l'appareil respiratoire: on décou-
vrira ainsi la pneumonie, qui se révélera par ses symptômes physiques,
et on n'aura plus alors qu'une question à trancher, celle de savoir s'il
s'agit d'une pneumonie développée secondairement à une fièvre
typhoïde ou d'une pneumo-typhoïde primitive ; en d'autres termes, ce
n'est plus l'existence de la pneumonie qui est en question, mais la signi-
fication de cette pneumonie.
Diagnostic du siège et de l'étendue de la pneumonie. — Il est bien rare
qu'en faisant le diagnostic d'une pneumonie on reste dans le doute sur
son siège. Cela peut arriver cependant, si, en même temps qu'existent les
symptômes généraux et les crachats caractéristiques, les signes physiques
locaux sont masqués. Quant au diagnostic de l'étendue de la portion en-
vahie, il est fort difficile dans quelques cas, surtout si la pneumonie est
compliquée de pleurésie ; il a cependant son utilité, si l'on veut appré-
cier en parfaite connaissance de cause la marche de la pneumonie. C'est
par une analyse attentive des divers signes physiques locaux qu'on par-
viendra à l'établir»
Pneumonie double. — Le diagnostic de l'envahissement de l'autre
poumon a une certaine importance pronostique: il est donc indispensable
-'■'•'de le faire d'une manière exacte. Or, cela présente souvent des diffi-
cultés. On sait qu'il n'y a pas un second point de côté, et que. c'est d'une
manière en général fort insidieuse que le second poumon se prend. D<'
la matité, quelques râles crépitants, même l'apparition d'un souffle du
côté opposé à la pneumonie, s'il siège à la racine des bronches, ne sut-
m PNEUMONIE LOBAIRE MM. — diagnostic.
fisent pas pour affirmer l'existence d'un nouveau foyer; car ces symptômes
peuvent dépendre d'une simple congestion de l'autre poumon. Kn l'ab-
sence de cette dernière, un souffle d'intensité moyenne, s'étendant le
long de la colonne vertébrale, du côté opposé à une pneumonie, peut
être un pur retentissement du souffle produit dans la partie hépatisée, si
ce dernier souffle se propage lui-même jusqu'à la ligne médiane. Au
contraire, l'apparition d'un second souffle séparé du premier par une
zone où l'on perçoit le murmure permet, en général, d'affirmer qu'il est
né sur place.
Outre la recrudescence de la fièvre et les signes physiques d'auscultation
et de percussion, on a encore, pour porter son jugement, un signe local
qui, dans certains cas, sera fort utile, à savoir : l'élévation de la tempéra-
ture locale (du côté opposé au poumon primitivement envahi) sur la paroi
thoracique ou dans l'aisselle (Landrieux). Je crois que ce symptôme, au
point de vue du diagnostic de la pneumonie double, a une valeur
très supérieure à celle de la rougeur de la seconde pommette.
Diagnostic du degré delà pneumonie. — Vers le dixième jour, s'il n'y
a pas eu de défervescence, ce diagnostic a une importance capitale, car
il entraîne presque nécessairement le pronostic; mais, avant cette date, il
peut déjà présenter un grand intérêt.
J'ai dit, à propos de la fièvre, qu'il y a parfois des rémissions qui
simulent la crise; il faut savoir les distinguer de celle-ci , afin de ne pas
affirmer à tort la terminaison prématurée de la maladie.
En premier lieu, on se fondera sur la température. Il est difficile
d'admettre qu'une pseudo-crise donne un abaissement de trois degrés,
à moins d'influence médicamenteuse particulièrement énergique, telle que
serait, par exemple, celle du tartre stibié.
En deuxième lieu, on tiendra compte de la date de la rémission fébrile
et de sa corrélation avec l'état local. Soit, par exemple, dans un cas où la
pneumonie est fort étendue, une rémission le matin du quatrième jour,
il est bien peu probable qu'elle soit le début de la crise ; car, en général,
il n'y a que les pneumonies peu étendues qui entrent sitôt en défer-
vescence.
L'expectoration, en pareil cas, a aussi sa signification : Traube rapporte
(Gesammelte Abhandl.,t. III, p. 281) qu'un jeune homme, au quatrième
jour d'une pneumonie, eut une rémission qui lit tomber la température
à la normale. Néanmoins il ne crut pas à une crise véritable , parce que
le malade, après cette pseudo-crise, commença à expectorer des crachats
couleur brique. Or, si une semblable expectoration peut continuer après
la crise, il est impossible, dit Traube, qu'elle débute postérieurement à
celle-ci. Telle est la raison qui a motivé son diagnostic.
Vers le sixième ou septième jour, survient, dans bon nombre de cas,''
Vexacerbation prsecrilique qui peut singulièrement tromper un médecin
peu expérimenté, en lui faisant croire, à tort, à l'imminence de la suppu-
ration. 11 n'y a malheureusement pas de signe positif qui permette d'affir-
mer à laquelle des deux alternatives on a affaire, et pour asseoir ce dia-
PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — diagnostic.
497,
gnostic si important il n'y a guère que des probabilités : l'âge du sujet,
les conditions générales dans lesquelles il se trouvait, la gravité de la
maladie jusqu'à ce moment, etc. — En tous cas, il est prudent, même
lorsque les chances ne paraissent pas favorables, de ne pas affirmer un
pronostic funeste; car on voit assez souvent la défervescence se faire
régulièrement chez des sujets dont l'état, la veille, excitait les craintes
les plus vives et en apparence les mieux justifiées.
J'ai dit précédemment que, chez les vieillards, une terminaison funeste
par collapsus est beaucoup moins rare que chez l'adulte. Il importe de
ne pas se méprendre sur la signification d'un abaissement de tempéra-
ture qui survient chez un vieillard vers le septième ou le huitième jour.
A cet égard, le professeur Charcot nous fournit, en quelques traits, les
éléments du diagnostic : « Si le collapsus, dit-il, n'est que l'exagération
des symptômes ordinaires d'une défervescence rapide de bon aloi, en
même temps que la température centrale s'abaisse , les mouvements de
la respiration et les pulsations artérielles se ralentissent. Le pronostic est
favorable en pareil cas, alors même qu'il serait survenu quelque symp-
tôme inquiétant, tel qu'un délire intense. Si, au contraire, la tempéra-
ture centrale s'abaissant, la fréquence du pouls et des mouvements
respiratoires persiste ou même s'accroît , la situation est des plus
graves. Bientôt, quoi qu'on fasse, l'agonie va s'établir. Et, tandis que
I tout à l'heure nous avons été conduits à porter un pronostic favorable,
i malgré l'apparition d'un délire violent, ici nous devons maintenir le
| pronostic le plus grave, alors même que la défervescence aurait produit
i chez le malade un sentiment de bien-être. »
Vers le dixième jour, si la défervescence n'a pas encore lieu, les chances
ssont, au contraire, pour le passage au troisième degré; mais, si l'on veut
tessayer de faire autre chose qu'un diagnostic de probabilités, et le fonder
ssur des signes positifs, on éprouve souvent un grand embarras.
Les crachats puriformes ou couleur jus de pruneaux n'ont pas, quoi
qqu'on ait dit, la signification absolue qu'on a voulu leur accorder, et un
cclinicien prudent ne fondera jamais sur ce signe seul le diagnostic d'une
hhépatisation grise. Inversement leur absence et la persistance des cra-
cchats visqueux et rouillés, pouvant s'expliquer par la persistance, en
'•certains points, d'une hépalisation rouge, ne sauraient exclure la possibi-
lité d'une hépatisation grise limitée.
Les signes d'auscultation sont aussi sans valeur.
11 n'eu est pas de môme des symptômes généraux : Au dixième jour,
l'altération des traits de la face, le subdélirium, l'état typhoïde, sont des
«ignés qui, par leur réunion, doivent faire penser à la suppuration, surtout,
Idit Grisolle, s'ils se déclarent brusquement, auquel cas ils ont une plus
tgramle valeur. Une série de petits frissons est aussi très-significative, soit
qu'il s'en produise un chaque jour pendant plusieurs jours consécutifs,
Mit qu'ils se répètent seulement deux ou trois fois dans l'espace de
quelques jours. Chaque frisson est suivi d'une élévation plus ou inoins
rrramle de la température; dans l'intervalle, celle-ci n'est pas, en gêné-
PNEUMONIE LOBA-IRE AIGUË.
ral, très-élevée. Quant à l'oppression, quelquefois elle augmente, mais
on la voit diminuer, en même temps que la toux devient moins fatigante,
ou même cesser tout à fait. 11' y a comme une sorte de détente de certains
symptômes; et cependant l'état général devient plus mauvais; les forces
subissent une atteinte grave ; il y a entre l'état local et l'état général une
discordance bien frappante sur laquelle on ne saurait trop attirer l'at-
tention.
L'examen du sang jusqu'ici si négligé me paraît, en pareil cas, utile ; on
sait depuis quelques années, surtout depuis les travaux de Brouardel,
qu'il y a dans le sang un excès relatif de globules blancs au moment de la
suppuration, résultat d'ailleurs en harmonie avec la doctrine de Gohnheim
sur l'origine hématique des globules du pus. Gelait, qui parait établi pour les
suppurations en général, je le crois également vrai dans le cas de suppu-
ration du poumon ; cela me semble du moins résulter de- quelques observa-
tions. Si cela est confirmé, on pourra, grâce à la numération des globules
blancs du sang faite jour par jour, prévoir dès le septième ou le huitième
jour l'imminence de la suppuration. Seulement, pour avoir des résultats
de quelque valeur, il ne suffit pas de compter séparément les globules
blancs : il est nécessaire de faire parallèlement la numération dos globules
rouges. Gar c'est la courbe du rapport surtout qui a de la valeur. Si elle
baisse, il me paraît certain qu'on n'a pas à redouter le passage de la pneu-
monie à la suppuration ; si elle s'élève brusquement, cette terminaison nie
semble au contraire presque forcée.
Je n'ai pas à faire ici le diagnostic de l'abcès du poumon. J'en ai indi-
qué plus haut les signes, par son diagnostic différentiel' d'avec l'a pleuré-
sie purulente. Je renvoie à l'article Poumon ; de même pour le diagnostic
de la terminaison par gangrène.
Pour être complet, il me faudrait encore traiter du diagnostic des formes
de la pneumonie et de ses complications ; mais je ne pourrais parler des
premières sans tomber dans quelques redites; et des secondes, sans faire
double emploi avec les divers articles de ce Dictionnaire, consacrés spécia-
lement aux affections qui peuvent compliquer la pneumonie. Je crois donc
devoir m'abstenir.
Pronostic. — 11 est des circonstances où le diagnostic complet d'une
pneumonie entraine avec lui le pronostic, de telle sorte que le mé-
decin, au lit du malade, n'a guère d'effort à faire pour déterminer la
gravité du cas qui lui est soumis : par exemple, si chez un pneumonique
il a pu se convaincre de l'existence d'une hépatisation grise ou d'uni'
méningite, il sait, par cela même, que, dans le premier cas, le malade a
fort peu de chances de vie et qu'il n'en a presque point dans le second.
Ici le pronostic est aisé; toute la difficulté résidait dans le diagnostic. Mais
dans le plus grand nombre des cas il n'en est pas ainsi. Surtout au dé-
but d'une pneumonie, le médecin a besoin, pour apprécier les chances de
survie du malade, de peser doutés les conditions dans lesquelles il se trouve :
intrinsèques et extrinsèques. Il lui est alors utile de connaître les résultats
bruts de la statistique relativement à la gravité de chacune d'elles. Tes
PNEUMONIE LOBAI HE Alf.UK. — wuwôsiàcJ Hti
renseignements n'ont assurément pour lui qu'une valeur Je second ordre
parce qu'ils ne sont que des moyoïnes, et qu'en pareille matière il y a
beaucoup d'écart entre les cas extrêmes. Néanmoins, je le répète, ces
données statistiques, quelque générales qu'elles soient, ne doivent pas
être négligées, parce que, dans un certain nombre de cas, en l'absence
d'éléments particuliers tirés de l'examen du malade lui-même, elles seront
la seule base sur laquelle le médecin pourra établir un pronostic provisoire :
cette considération justilie les chiffres que je vais maintenant citer.
Influence de l'âge. — De la naissance à la puberté, la mortalité est, dit-
on, presque nulle pour les enfants jouissant d'une bonne santé jusqu'au
moment où ils ont été pris de pneumonie. Les médecins attachés aux hô-
pitaux d'enfants sont à peu près unanimes à cet égard. On a cependant
voulu excepter de ce pronostic favorable les enfants à la mamelle, mais,
d'après le professeur Thomas, ce serait à tort : ceux-ci guériraient presque
comme les autres, à moins qu'ils n'aient en même temps du coryza,
auquel cas ils ont à supporter à la fois la pneumonie et l'inanition.
l)e la puberté à l'âge de 20 ans, la pneumonie franche n'est pas une
maladie fort grave. En prenant tous les cas en bloc, sans en excepter les
complications, la mortalité ne s'élève guère au-dessus de 9 pour 100; de
20 à 50, la mortalité est inférieure à 14 pour 100. Entre 30 et 40, elle
atteint 20 pour 100. Entre 40 et 50, elle dépasse 25 pour 100, et entre
50 et 60, 50 pour 100. Au-dessus de 70 ans, la mortalité est de 80
j pour 100 environ.
On voit donc qu'à lui seul l'âge est un élément fort important du pro-
inostic. Seulement, pour qu'il eût toute sa valeur, il faudrait avoir une
; statistique pour chaque ville ou au moins pour chaque région, où les dif-
férences importantes résultent des influences de race, habitudes hygiéni-
ques, etc. Ainsi les chiffres précédents ne sont que des moyennes que
jj'ai obtenues en combinant ensemble les résultats de différentes statis-
ttiques de la France et de l'Allemagne : dans certaines localités, ainsi
i qu'on pouvait s'y attendre, la sénilité, quant à la pneumonie, si je puis
im'exprimer ainsi, est plus précoce : à Dale et à Vienne, par exemple.
A l'appui de ce que j'avance, voici les chiffres de la mortalité pour 1 00
idans les trois hôpitaux de Vienne, publiés par A. Biach. Cette, statistique
I porte sur plus de 0000 pneumoniques; j'ai marqué du signe X les chif-
fres qui dépassent notablement la moyenne générale :
W AGH.
IIÙI'ITAL KUDOLF.
H'JFITAL. m: wiedes.
10—20
9
9,0
9,0
20— 30
13,4
15,8
12,0
30-40
23
25,0
21,4
40—50
X52.9
X3-i,2
X50,9
50-00
X41,7
32
X59.8
55
00-70
18,9
55
70—80
57,5
51,5
00,8
'P! 80-90
77,7
100
100'
496 PiNEUMUME LOBAI II E AIGUË. — i-iionostic.
A Greifswald, au conlraire, la période décennale de 40 à 50 n'est
pas plus grave que l'est ailleurs celle de 50 à 40. A Paris (statistique de
Grisolle), la mortalité est aussi beaucoup moindre, de 50 à 00, qu'elle
n'est indiquée dans le tableau précédent.
Influence du sexe. — Toutes choses égales, la mortalité est notable-
ment plus forte chez la femme que chez l'homme; elle serait comme 5
est à 2 par rapport à celle du sexe masculin, si l'on s'en rapportait aux
grandes statistiques de Vienne et de Stockholm, et à celle de la policlini-
que de Breslau. Elle a même été comme 2 est à 1 à Wùrzburg (statisti-
que de Bamberger de 1854 à 1857). C'est là une différence tout à fait
exceptionnelle que les autres statistiques ne confirment point. Franque,
dans la même ville, pendant une période de quinze ans, a trouvé une mor-
talité de 17 pour 100 pour les hommes et de 25 pour 100 pour les
femmes ; Lebert, à Zurich, de 16 pour 100 pour les hommes et de 21,8
pour 100 pour les femmes. Ce sont à peu près les mêmes chiffres que
ceux de la statistique décennale de l'hôpital de Munich : 16,0 pour 100
pour les hommes et 25 pour 100 pour les femmes.
Grossesse. — L'état de grossesse aggrave notablement le pronostic.
11 résulte, en effet, des observations réunies par Châtelain, au nom-
bre de 59, que 10 fois la femme a avorté, 9 fois on a pratiqué l'accouche-
ment prématuré (sur ces 19 femmes, 10 sont mortes), et que les 10
autres sont mortes. Ce qui fait, en somme, une mortalité de près de moi-
tié. Si on songe à l'âge de ces femmes, on voit, comme on pouvait s'y
attendre, que la pneumonie est plus grave dans l'état de grossesse.
Nationalités. — Un médecin militaire autrichien, Chwostek, bien placé
pour apprécier cette influence, a donné des chiffres qui diffèrent beau-
coup les uns des autres. Je crois inutile de les reproduire, mais je si-
gnale l'influence de la race, comme fort intéressante à étudier; ce doit
être un sujet de recherches pour les médecins qui dans un même lieu
peuvent observer des individus dans les mêmes conditions et dont la race
seule diffère.
Influence de Vétat de santé antérieur. — Il y aurait beaucoup à dire
sur ce sujet, mais il est clair qu'il est en dehors de la question spéciale
de la pneumonie, et qu'il pourrait être abordé à propos de chaque ma-
lade en particulier. Cependant je n'hésiterais pas à en traiter un peu
longuement, vu son importance, si je n'étais arrêté par le manque de
données positives; même pour l'alcoolisme, il y a peu déchiffres à citer :
Grisolle, chez 17 hommes âgés de 24 à 59 ans, a noté une mortalité de
près du quart; ce résultat est médiocrement probant, vu l'âge trop dis-
parate des sujets. Cependant, il est corroboré par le chiffre de Huss,
qui est exactement le même. La pneumonie, chez les alcooliques de
Stockholm, compliquée ou non de délirium tremens, a donné une mor- j
talité de 20 à 25 pour 100.
Dans la même statistique de Huss, je vois que La pneumonie, chez les
emphysémateux, a une mortalité de 25 pour 100. C'est peu, si on songe
que généralement les emphysémateux ne sont pas jeunes: cette béni-
PNEUMONIE LOliAIltE AIGUË. — pronostic.
497
gnilé relative de la pneumonie chez les emphysémateux a été récemment
confirmée par Dusol (llièse de Paris, 1876).
Les chloroliqucs, qui sont de jeunes sujets, ont une mortalité à peu
près égale : 20 pour 100. C'est assez pour montrer l'influence fâcheuse
de l'anémie chlorotique. Les pneumonies qui affectent les sujets atteints
de maladie valvulaire du cœur ont une mortalité de 50 pour J 00 ; chez
les brightiques elle est de 50 pour 100.
Influence des constitutions médicales. — Leur action est loin d'être
sans importance, car dans un même lieu, suivant les années, la mortalité
peut varier beaucoup. À l'hôpital de Munich la mortalité a été de 14 0/0
en 1875 et de 25 0/0 en 1808; à l'hôpital de Stockholm, elle a été en
1851 de 9,8 0/0, de 16 en 1849 et en 1851 et de 18 en 1845. A Vienne,
je vois dans la statistique décennale d'Alois Biach, déjà citée, qu'il y
a, suivant les années, des variations du chiffre de la mortalité, allant
presque du simple au double. On pourrait objecter que, certaines années,
thérapeutique plus ou moins rationnelle a pu exercer une certaine in-
fluence; mais à Vienne, par l'expectation, on a eu d'abord 7 0/0 et
plus tard 20 0/0 de mortalité. Brandes (de Copenhague) prétend qu'elle
a été de 5 à 51 0,0, suivant les années, alors qu'il employait tou-
jours la même thérapeutique. Je n'ai pas lu le travail original de cet
auteur; j'ignore en quoielle consistait. A vrai dire, de telles oscilla-
tions dans la gravité de lapneumonie, en un même lieu, me semblent
extraordinaires.
Tandis que les variations annuelles de la léthalité de la pneumonie sont
irrégulières, celles qu'amènent les saisons sont remarquables par leur
constance : d'une manière générale, c'est dans les mois où les pneumo-
nies sont le plus abondantes que leur gravité est la plus grande, mais cette
règle est sujette à de fort nombreuses exceptions. Elle n'est qu'à demi
confirmée par la statistique des hôpitaux de Paris, publiée chaque tri-
mestre par E. Besnier; il est vrai que dans celte statistique les bron-
cho-pneumonies ne sont malheureusement pas distinguées des pneu-
monies lobai res ; c'est ce qui m'a empoché d'y avoir recours autant que
je l'eusse désiré. Quoi qu'il en soit, voici la moyenne (basée sur une sta-
tistique de 8 à 10 ans) des pneumonies observées pendant les quatre tri-
mestres d'une année avec la mortalité pour chaque trimestre :
Mortalité °L
580 7)6
0!'G 31
422 50
411 40
Janvier — Mars. . .
Avril — Juin . . . .
Juillet — Septembre.
Octobre — Dtken: bre
On remarquera sans doute que la mortalité générale est fort élevée ;
cela tient en partie à l'admission des broncho-pneumonies dans cette
statistique; mais cela dépend encore, ainsi que le remarque E. Besnier,
« de ce que la population nosocomiale de Paris, affaiblie par l'alcoolisme
et par mille autres causes, résiste mal aux phlegmasies pulmonaires, et
aussi de ce que cette statistique est surchargée par le fait d'un grand
KOUV. DICT. MÉB. ET CUIR. XXVHI — 32
■498
PNEUMONIE EOBAIHE AH1UË. PRONOSTIC.
nombre de vieillards atteints d'affections diverses, an cours desquelles
survient une pneumonie ultime, cl qui ne sont apportés à l'hôpital
que pour y mourir. 11 faut savoir enfin que, si un malade atteint d'une
affection chronique, même mortelle, succombe à une pneumonie, il sera
compté dans les relevés non à l'affection chronique, mais à l'affection
intercurrente qui a été la cause directe de la mort. » l'our toutes ces
raisons, Ernest Besnier estime que la mortalité générale dans les hôpitaux
est d'un tiers au-dessus de la mortalité réelle de la pneumonie.
Influence de l'étendue et du siège de la pneumonie. — L'étendue de
la phlegmasie, niais surtout l'envahissement des deux poumons, aggra-
vent singulièrement le pronostic.
Quant au siège de la maladie, la plupart des auteurs considèrent
comme plus grave la pneumonie du sommet. Cette opinion est confirmée
par Grisolle, qui chez des sujets ayant un âge moyen de 56 à 58 ans a
trouvé une mortalité d'un cinquième chez ceux dont la pneumonie sié-
geait au sommet et d'un huitième seulement chez les autres.
Gravité de la pneumonie suivant Vépoque à laquelle le traitement
a été commencé. — On a poussé si loin, il y a quelques années, le scep-
ticisme relativement à l'utilité de la thérapeutique dans les maladies
aiguës et dans la pneumonie en particulier, qu'il n'est peut-être pas inutile
de montrer par des chiffres que la mortalité est jusqu'à un certain
point en raison directe de l'entrée tardive du malade à l'hôpital. J'em-
prunte à Grisolle le tableau suivant. Malheureusement, il ne dit pas de
combien de malades il s'est servi pour le composer :
Mortalité.
Malades entrés les deux premiers jours un treizième.
— le troisième jour , . . . id.
— le quatrième jour un huitième.
— le cinquième jour un sixième.
— le sixième jour un quart.
— le septième jour un tiers.
— le hnilième jour la moitié.
— le neuvième jour un tiers.
— le dixième jour un tiers.
Si ce tableau n'est pas composé avec des chiffres trop restreints, auquel
cas il perd beaucoup de sa valeur, je suis très-frappé de la différence de
la mortalité suivant que les malades sont entrés les trois premiers jours
ou seulement les quatrième, cinquième et sixième jours. Passé cette
date, les résultats n'ont rien d'extraordinaire : il est clair que des pneu-
moniques qui ne sont pas encore convalescents au dixième jour n'ont en
leur faveur que la minorité de chances, mais, à moins d'admettre que,
par un caprice du hasard, ce sont justement les pneumonies bénignes qui
sont arrivées de bonne heure à l'hôpital, il faut reconnaître la puissance
de la thérapeutique faite les premiers jours ; l'intervention médicale
hâtive est donc un clément important du pronostic.
Indications pronostiques Urées des symptômes. — Au premier rang
il faut placer le degré de la fièvre. Si la température dépasse il°C., la
PNEUMONIE LOBAI HE AICLË. — PROHOSfric.
499
gravité est extrême. Il parait cependant que des pncumoniques ont guéri
après avoir eu 41° 4 c. (Thomas), 42° c. (Lebert et Jurgensen). Ce sont là
des exceptions à peu près uniques.
Les indications fournies par le pouls ne sont pas non plus à négliger :
selon Grisolle et Griesinger, parmi les pncumoniques adultes qui ont plus
<le 120 pulsations par inimité, il en meurt un tiers; parmi ceux qui ont
de 150 à J 40, il en meurt la moitié.
Lorain a fait la remarque très-juste (ouvr. cilc, p. 404) que parfois le
pouls marque seul le progrès ascendant de la maladie. A l'appui de cette
proposition, il donne les deux courbes de la température et du pouls chez
un homme mort le 9e jour de sa maladie (entré à l'hôpital le 5U jour). La
température n'a oscillé qu'entre 40,1 et 40,0. Le pouls, qui était le pre-
mier jour à 50, est monté à 100, puis à 120. A ce moment, la tempéra-
ture était à 40,1 et elle ne s'est pas augmentée notablement jusqu'à la
mort survenue le lendemain. Pareille remarque peut être faite à propos
de la courbe que j'ai reproduite plus haut et qui a trait au délire alcoo-
lique. Pendant qu'en 5 jours le pouls montait de 100 à 140, les tempéra-
tures du soir restaient identiques ; seules, celles du matin montraient une
rémission moindre.
Plus récemment Belugou a aussi publié quelques observations où
l'on voit la température s'abaisser, tandis que la persistance de la fré-
quence du pouls montrait qu'il ne s'agissait que d'une pseudo-rémission
de la maladie.
Je rappelle ici qu'il ne faut pas considérer comme un symptôme fâcheux
les irrégularités prœcriliques du pouls. Mais, si la défervescence n'est pas
entière à l'époque ordinaire, elles ont, au contraire, une signification
grave, mais ce sont surtout les lipothymies qui indiquent l'insuffisance
cardiaque.
Quant au chiffre de la respiration, il n'a pas une valeur absolue : des
malades ont guéri après avoir présenté 80 respirations.
Les caractères tirés de la couleur des crachats ne servent qu'indirecte-
ment au pronostic. Je renvoie à ce que j'en ai dit à l'un des paragraphes
précédents où j'ai traité du diagnostic du degré de la pneumonie.
L'absence d'expectoration est-elle un symptôme défavorable ? Andral et
i Grisolle ne le pensent pas. On comprend que cette conclusion puisse
• découler d'une statistique un peu étendue, mais il n'est pas douteux
• qu'en certaines circonstances ce symptôme ne soit grave, par exemple,
: s'il coïncide avec les autres signes d'une pneumonie massive, ou bien
; si l'absence d'expectoration tient à la faiblesse extrême du malade qui
i ne peut vider ses bronches. Par contre, une pneumonie très-bénigne et
; sans bronchite concomitante peut très-bien ne pas donner lieu à une
( expectoration notable, tant il est vrai qu'un symptôme isolé est suscep-
tible de bien des interprétations différentes et ne vaut que par son
a association à d'autres symptômes.
L'herpès a été regardé comme relativement plus commun dans les
! pneumonies peu graves; mais ce n'est pas une opinion universellement
500 PNEUMONIE LOBA IRE AIGUË. — mionostic.
acceptée. Pour Broadbent, l'herpès dans une pneumonie indiquerait
simplement qu'il y a eu un frisson. Max Waller a rencontré l'Iierpès
59 fois sur 81 cas, c'est-à-dire 47, 0 0/0 : or, aucun des cas où l'herpès
a existé ne s'est terminé d'une manière fatale. Le professeur Sée exprime
une opinion assez communément acceptée en France en disant que sa
valeur pronostique est plutôt favorable ; la mortalité serait seulement
de 9 0/0 pour les pneumonies où existe un herpès ; elle dépasserait 25 0/0
pour celles qui n'en sont pas accompagnées.
Le docteur Draschc (de Vienne) dit que, si l'on prend seulement les
pneumonies sans complication, on a, pour celles s'accompagnant d'her-
pès, une mortalité de 5 0/0 seulement, et de 19 0/0 pour celles qui n'en
sont pas accompagnées. Celte différence est bien plus prononcée que
celle que nous observons en France : car, il ne faut pas l'oublier, ce
n'est pas tout le monde, sans exception, qui chez nous croit à la béni-
gnité relative des pneumonies avec herpès. Pour ne citer qu'un exemple,
le professeur Hardy {Gazelle des Hôpitaux, 1878, 29 juin), je ne sais
pourquoi, le considère comme un signe de mauvais augure.
Importance de la forme de la pneumonie. — Le diagnostic de la
forme fournit une indication pronostique d'une tout autre valeur qu'un
symptôme isolé qui, je le répète, ne peut presque rien signifier à lui
seul. Ainsi les pneumonies bilieuses sont habituellement bénignes, les
pneumonies asthéniques d'une extrême gravité.
Influence des complications. — Plusieurs des maladies qui compli-
quent éventuellement la pneumonie ayant une mortalité fort supérieure à
celle de cette maladie, il ne s'ensuit pas que ce sont celles-là qui, seules,
dictent le pronostic. Ainsi en est-il de la méningite. D'autres, au contraire,
n'aggravent pas tant qu'on aurait pu le croire le pronostic de la pneumo-
nie : ainsi la pneumonie compliquée de pleurésie, dans la statistique de
M. Huss, n'a qu'une léthalitc de 11,5 0/0, ce qui est bien peu; dans
d'autres statistiques on trouve 52 0/0. La pneumonie avec ictère
n'aurait présenté qu'une modalité de 8,6. Ici, nous avons certainement
affaire à une série fort exceptionnelle ; la pneumonie compliquée de
péricardite une mortalité de 54 0/0, sans doute à cause de l'insuffisance
cardiaque. Quant à l'influence de l'endocardite sur la mortalité de la
pneumonie, les chiffres sont fort différents, ce qui dépend évidemment des
embolies : Huss a trouvé une mortalité. énorme de 75 0 0; Chwostek, seule-
ment 28 0/0. Mais je renonce à une plus longue énumération de chiffres
qui diffèrent beaucoup suivant les statistiques et qui, par conséquent, ne
peuvent pas donner au praticien un élément sérieux de jugement.
Pronostic des récidives. — Toutes choses égales, et contrairement à
ce qu'on eût pu supposer, les récidives de pneumonie paraissent plutôt
moins graves (Leudct, Fox); ce fait peut cependant s'expliquer quand on
réfléchit que, s'il y a une prédisposition locale morbide, une cause
légère amène une pneumonie qui autrement ne serait pas survenue, et
qui reste relativement bénigne, eu égard au peu d'intensité de la
cause.
PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. — traitement. 501
Traitement. — Si j'avais eu à écrire une monographie de la pneu-
monie, j'aurais, en abordant le chapitre du traitement de cette affection,
d'abord fait connaître les divers agents dont, à diverses époques, on a
usé et abusé dans la cure de cette maladie; et c'est seulement après avoir
successivement passé en revue ces agents thérapeutiques et m'ètre pro-
noncé sur leur valeur intrinsèque que, reprenant les diverses espèces ou
variétés de pneumonie, j'aurais choisi parmi eux les mieux appropriés
au traitement de chacun d'elles; mais aux articles Digitale, Émétique,
Saignée, etc., etc., de ce Dictionnaire, il est déjà traité de l'action
de ces divers agents, non-seuîement dans les maladies aiguës en général,
mais aussi dans la pneumonie. Pour éviter les doubles emplois, je ne
dois donc m'occuper ici que de leur valeur relative dans les différentes
variétés de la pneumonie. On ne trouvera donc point dans les brèves
indications qui suivent l'exposition complète de la thérapeutique à laquelle
on a actuellement recours et encore moins l'historique si curieux du trai-
tement de cette maladie.
Traitement de la pneumonie franche commune. — On sait que depuis une
vingtaine d'années le traitement de la pneumonie commune a subi de
profondes modifications : on a abandonné presque universellement les
méthodes énergiques — pour ne pas dire plus, — jadis presque exclusi-
vement en usage. Cette révolution dans la thérapeutique a été sans doute
encouragée dans une certaine mesure par la notion nouvelle de la marche
cyclique de la pneumonie, mise en lumière par les travaux de l'Ecole de
Leipzig; mais elle ne s'est accomplie que par suite des résultats relative-
ment favorables obtenus en Allemagne et surtout à Vienne, à l'aide de
l'expcctation pure, systématiquement employée par Skoda, qui d'ailleurs
avait été précédé dans cette voie par Biett et par Magendie. Par expec-
talion, — je me hâte de le dire pour éviter toute équivoque, — je n'entends
pas abstention thérapeutique, mais plutôt traitement diététique, puisque
le médecin ne laisse pas le malade absolument sans traitement, mais lui
accorde au moins le bénéfice d'une hygiène bien entendue. Examinons donc
si l'expcctation peut être, d'une manière générale, appliquée à la pneu-
monie commune.
Expectation. On pourrait peut-être, quelque paradoxale que soit cette
■conclusion, répondre à la question précédente par l'affirmative, si le
traitement expectant avait fourni toujours des résultats aussi favorables
que ceux que publia Dictl (élève de Skoda) en 1849 : tandis que chez
o80 malades la saignée avait donné une mortalité de 20 0/0, et le tartre
stibié chez 106 exactement autant, la mortalité chez les 189 malades
soumis à l'expcctation ne fut que de 7,4 0/0.
U faut bien croire que dans cette dernière série Skoda avait eu affaire
à une constitution médicale particulièrement bénigne, car, en 1852, la
i mortalité s'éleva à 9 0/0, et en 1854 à 20,7 0/0 (d'après le rapport
1 officiel), bien que l'expcctalion ait continué à être exclusivement em-
ployée dans son service. D'autres médecins eurent une mortalité encore
I plus élevée. Ainsi Wunderlich accuse le chiffre de 27,5, et Leudet celui
50'2 l'M:i M'i.Mi: I.DB.MIii; MCI i.. — THAITKMKNT.
de 25 à 28 0/0. Néanmoins la conclusion qui découla des tentatives
d'expectation qui se tirent de divers côtes, c'est que la pneumonie était,
plus souvent qu'on ne le croyait jusqu'alors, susceptible de guérir sans
traitement, et que ce dernier n'abrégeait pas sensiblement la durée de la
maladie.
Mais de ces deux propositions, et particulièrement de la dernière, on ne
peut sans un singulier vice de raisonnement déduire comme corollaire
l'excellence de l'expcctation, car l'observation des médecins les plus
éclairés et les moins systématiques porte à conclure qu'abandonnées à
elles-mêmes les pneumonies se terminent moins souvent par crise et plus
souvent par suppuration.
Elle semble même montrer l'utilité de commencer le traitement dès le
début. Entre autres statistiques à l'appui, je puis citer celle de Grisolle
que j'ai rapportée au chapitre du pronostic, où l'on voit que la mor-
talité a clé, pour les malades entrés à l'hôpital les trois premiers jours,
moitié moindre que pour ceux qui n'y ont été admis que les trois jours
suivants. Or, la thérapeutique de Grisolle était, comme on sait, fort active;
presque tous ses malades étaient traités par le tartre stibié, précédé le
plus souvent d'une saignée.
Quand on y réfléchit, on n'est pas surpris de l'utilité d'une thérapeu-
tique énergique et hâtive : beaucoup de pneumonies, même de celles
ressortissant à la pneumonie commune, tendent à la suppuration, et
elles y tendent jusqu'à un certain point en raison directe de l'intensité
de la phlegrnasie : de là l'utilité des agents antiphlogistiques.
Émissions sanguines générales. — Depuis longtemps la saignée, dont
on a fait d'ailleurs un déplorable abus, a passé pour exercer sur les
phlegmasies pulmonaires une action modératrice incontestable. En effet,
après une saignée un peu copieuse, la température s'abaisse ; il y a une
détente, une sensation de mieux être que le malade accuse spontanément.
Le point de côté, si pénible pour lui, a disparu; l'oppression a diminué;
et ce n'est pas seulement au point de vue des sensations subjectives que
l'on peut considérer l'effet de la saignée comme analogue aux phéno-
mènes d'une crise : l'urine en effet renferme en proportion exagérée de
l'urée (Bauer) et surtout de l'acide phosphorique (Lépine) : elle prend
donc le caractère de l'urine critique.
En tous cas, il ne s'agit que d'une pseudo-crise, car la rémission
n'est que momentanée, loin de devenir, comme dans la crise véritable,
le prélude d'une guérison définitive : au bout de quelques heures, la
température remonte à un degré égal ou supérieur à celui qu'elle attei-
gnait avant la saignée. Si l'on voulait éviter cette rechute, il faudrait,
à l'exemple du professeur Bouillaud, employer coup sur couples émissions
sanguines, c'est-à-dire les rapprocher assez pour que la recrudescence
n'ait pas le temps de se produire, méthode logique, mais d'une logique
trop implacable, et qui, comme on L'a fort^bien dit, ne vient à bout de la
maladie qu'en épuisant le malade.
La méthode des saignées coup sur coup n'a plus, pour cela, qu une
PNEUMONIE LOBA1RE AICUË. — traitement.
503
valeur historique, et ne semble pas devoir se relever jamais du discrédit
où elle est tombée. .Mais, sans imiter les excès fâcheux dont elle s'est
rendue coupable, ne doit-on pas pratiquer au moins une émission san-
guine générale à un pneumonique, si on est appelé à le traiter dès le
début de sa maladie? Les adversaires systématiques de la saignée accor-
dent qu'elle n'est pas sans utilité lanl que V exsudai n'est pas formé
(Bcnnctt). Or, l'exsudat d'une pneumonie ne se fait pas tout d'un coup; une
vaste hépatisation ne s'opère pas tout d'un bloc, mais par poussées: donc
une saignée faite le troisième, et quelquefois même le quatrième jour,
' n'arriverait pas trop tardivement pour exercer une influence sur le pro-
. cessus de l'exsudation. Malgré l'avantage probable qui, à cet égard, serait
le résultat de cette pratique, la plupart des praticiens ne saignent pas
actuellement les pneumoniques, alors même qu'ils sont appelés au début
de la maladie. On fait valoir en laveur de l'abstention des émissions
sanguines qu'elles ont le défaut d'appauvrir le sang d'une manière irré-
médiable, non-seulement en matériaux plastiques, ce qui, dit-on, nuit à
la convalescence, mais en hémoglobine, laquelle est, comme on sait,
le porteur d'oxygène, ce qui, pretend-on, accroît la menace d'asphyxie et
augmente le surmènement du cœur.
Je ne suis touché, je l'avoue, que dans une certaine mesure, par l'ar-
gument qu'on lire de l'appauvrissement du sang en matériaux plas-
tiques; car, avant d'avoir souci de la convalescence, il faut songera la
cure ; et, quant au prétendu surmènement du cœur qui doit être la consé-
quence de la diminution de l'oxygène du sang, je fais quelques réserves,
car rien ne démontre qu'après une saignée amenant la détente dont je
parlais tout à l'heure, les tissus réclament la môme quantité d'oxygène
que pendant la fièvre. — Quant à la diminution de l'oxygène du sang,
après une saignée copieuse, je la crois incontestable; elle est démontrée
directement par l'expérience suivante de Jurgensen et Hùfner; ils en-
lèvent par la fémorale à un chien à jeun le quart de son sang. 100 vo-
lumes de ce sang renfermaient 24 volumes d'oxygène. 72 heures après,
pendant lesquelles le chien avait continué de jeûner, ils font à l'animal
une deuxième saignée. 100 volumes de sang ne renferment alors que
12,8 d'oxygène. Mais c'est gratuitement qu'on suppose qu'une soustrac-
t tion d'oxygène est pernicieuse à un fébricitant. Rien ne le démontre, et
: même des idées nouvelles de Pasteur, que je lis au moment où l'on im-
prime cet article, autorisent à en douter. Les belles recherches de
P. Bert ont déjà prouvé que l'oxygène est loin d'être un agent inoffensif,
puisque des accidents d'intoxication terribles surviennent chez un animal
en santé à un certain degré de sursaturation du sang. Aussi l'idée qu'une
i certaine soustraction d'oxygène, dans le cas de phlegmasie, agisse d'une
i manière favorable, comme antiphlogistique, ne me paraît avoir, à priori,
rien d'irrationnel.
Ce qui me touche, au contraire, c'est l'argument parfaitement exposé
par Jaccoud (Clin. méd. de Lariboisière) à savoir qu'une profonde atteinte
ù l'organisme du pneumonique augmente les chances qu'a la phlegmasie
504 PNE1 MOME LOBA IRE AIGUË. TRAITEMENT.
de passer à l'état d'hepatisation grise. S'il en est ainsi chez la plupart
des sujets, la saignée va contre le but qu'on se propose.
Ainsi la saignée est une arme à deux tranchants et qui blesse mortel-
lement, si clic n'est pas bien maniée. Elle ne peut donc être considérée
comme méthode générale de traitement de la pneumonie commune, mais
seulement comme un moyen de nécessité et dont l'indication principale
est la congestion pulmonaire. Je renvoie, à ce sujet, à la clinique médi-
cale de Jaccoud, où cette indication est posée d'une manière magistrale.
Pour ma part, j'ai eu deux fois, dans ma pratique, l'occasion de sai-
gner des pneumonies suffocantes au troisième jour ; dans un cas, j'ai
fait retirer plus de 600 grammes de sang. L'effet a été merveilleux ; dans
les deux cas, la température est restée abaissée trente-six heures, puis elle
est remontée pour tomber de nouveau par crise légitime, le septième jour.
Ventouses scarifiées. — Si la saignée ne peut être considérée que
comme une mélliode d'exception, il n'en est pas de même des ventouses
scarifiées, dont l'influence sur le point de côté est généralement des plus
favorables. Un fait que j'ai observé récemment avec soin me permet
même d'affirmer qu'une application de quelques ventouses exerce une
action positive sur la phlegmasie du poumon. En effet, dans le cas auquel
je fais allusion, chacune des applications de ventouses qui ont été
répétées à plusieurs reprises soit le matin, soit le soir, a amené une dimi-
nution de la température (dans le rectum) d'un degré environ. Le
même résultat s'est reproduit constamment chaque fois : aussi ne peut-il
y avoir aucun doute sur l'action des ventouses scarifiées dans ce cas.
Vésicaloires. — Des ventouses scarifiées je rapproche les vésicatoires,
bien que leur action soit un peu différente. Ils agissent moins bien
contre la congestion, mais peut-être mieux contre la phlegmasie. Aussi
suis-je porté à les employer d'une manière générale.
Tartre siibié. — C'était, comme on sait, pour les cliniciens, il y a
■ une vingtaine d'années, l'agent thérapeutique par excellence, dans le
traitement de la pneumonie. D'après Trousseau et Pidoux, il « l'attaque
plus au fond que ne le fait la saignée. » Cette manière de voir parait fondée
sur une saine observation: le tartre stibié a réellement une action
résolutive puissante sur la pneumonie. Si cela est exact, comme je le
pense, on conçoit qu'il ait pour cette raison une indication spéciale : soit,
par exemple, une de ces pneumonies à rechute qui ne se résolvent jamais
complètement et qui laissent, après chaque attaque, une sorte d'épine,
noyau de la poussée future, je crois que le tartre stibié est indiqué ; il
me parait l'être, au même titre, dans le cas où on redoute qu'une pneu-
monie passe à l'état subaigu. Je sais bien que, d'après Buhl, il n'y a rien
de commun entre la pneumonie desquamative et la pneumonie fibrineusS
et que, par conséquent, si une pneumonie ne naît pas desquamative, il
n'y a pas à craindre la caséification. Mais, ainsi que je l'ai dit plus haut,
les idées de Buhl sont probablement trop absolues, et il est fort possible
qu'il y ait là, connue partout dans la nature, des degrés de transition*
Or, la pratique doit compter avec eux.
PNEUMONIE LOBAIKE AIGUË, — traitement.
505
Il est donc des cas où le tartre stibié doit être employé, mais ils ne
constituent pas la majorité. Chez les gens un peu avancés en âge ou débi-
lités pour une cause quelconque, il est formellement contre-indiqué ;
même chez les adultes forts il ne doit être employé qu'avec une certaine
discrétion, car il agit comme on sait, d'une manière fâcheuse sur le cœur
et sur le système nerveux, de manière à produire ce qu'on a nommé
Yadijnamie stibiée, dont le plus haut degré est un collapsusdes plus graves
qui a été maintes fois mis sur le compte de la pneumonie. La médication
stibiée est une méthode fort énergique qui doit être maniée avec pru-
dence. La méconnaissance de ce précepte est cause qu'à côté de ses nom-
breux services elle a grossi, presque" autant que l'abus de la saignée, le
nécrologe de la pneumonie.
Il est à peine besoin de rappeler, tant ils sont connus, les accidents
locaux pharyngés et œsophagiens dus à l'administration d'émétique non
suffisamment dilué. Cet accident peut toujours être conjuré, si l'on a le
soin de faire boire un peu de liquide après chaque cuillerée de la potion,
afin de tempérer par la dilution l'action irritante locale du tartre stibié.
Les moyens dont je vais m'occuper maintenant n'ont pas la prétention
de combattre le processus pneumonique ; ils ne s'adressent qu'à l'élément
fébrile. Les plus importants d'entre eux sont les bains froids, la digitale,
la vératrine, et surtout la quinine, qui mérite une place à part..
Le bain froid dans la pneumonie n'a pas encore été employé chez nous
d'une manière suffisante pour qu'il soit possible de l'apprécier. Ce n'est
que d'après les auteurs allemands que j'en parle ici.
Liebermeister est d'avis que le bain froid n'est contre-indiqué à aucun
âge, même dans l'âge avancé. Chez l'enfant, d'après Thomas, il est pru-
dent, vu les susceptibilités réflexes si développées à cet âge, d'employer
le bain graduellement refroidi de Ziemssen. Thomas ne veut pas qu'on
descende chez eux au-dessous de 25° C. Mais Jurgensen est beaucoup plus
hardi, ainsi qu'on en va juger:
«Il y a plusieurs années, dit-il, ma fille, âgée alors de 19 mois, fut atteinte
pour la troisième fois d'une pneumonie grave. La température s'élevait
au delà de 41° C, et revenait si promptement à ce chiffre après un bain
à 16r, que je me vis forcé d'abaisser la température du bain à 5-0° C, et
de le faire durer 10 minutes; mon enfant guérit. — Or, à aucune de ces
énormes soustractions de chaleur, qui ont été renouvelées plusieurs
fois dans la journée, il ne s'est produit la moindre tendance au collapsus.
J'ai eu, depuis, plusieurs fois l'occasion do traiter de même d'autres ma-
lades, et je n'ai jamais eu à le regretter. »
Ceci suffit, je pense, à prouver que M. Jurgensen n'est pas à demi con-
vaincu de l'utilité des bains froids dans le traitement de la pneumonie.
Il ne se dissimule pas, d'ailleurs, les objections théoriques que l'on peut
lui faire. « 11 est, dit-il, légitime d'admettre qu'un des effets du refroi-
dissement périphérique sera de refouler le sang dans le thorax et d'aug-
menter le travail du cœur ; l'excès de production de chaleur demande
aussi d'autre part que le cœur et les muscles respiratoires travaillent da-
r>06
l'MWMONlE LOBAIKE AIGUË. — tbaitemi.m .
vautagc. Nonobstant, l'effet, dit-il, est favorable, pourvu qu'on fournisse
au cœur le stimulant (alcool) dont il a besoin, avant cl aprè8 le bain, et
ce stimulant doit être proportionné à la durée du bain et à l'abaissement
de température de l'eau. »
Thomas est beaucoup plus modéré : non-seulement, comme je viens de le
dire, il ne refroidit pas beaucoup le bain, mais il n'y laisse le malade que
cinq minutes. Le refroidissement immédiat n'est pas considérable, mais
il y a un refroidissement consécutif, une demi-beure après le bauii
D'ailleurs il le renouvelle aussi souvent qu'il est nécessaire : dès que la
température est à 59°5, et encore dans l'intervalle, alors même que la
température n'atteint pas 59°, il conseille l'emploi décompresses froides
« pour retarder la marche ascendante de la température ».
D'après lui, chez l'enfant, le bain froid est le meilleur des antipy-
rétiques, mais il est loin de croire cependant qu'il puisse convenir à tous
les cas.
Pour ma part, et quoique l'expérience me fasse totalement défaut,
je suis porté à douter que les bains froids dans la pneumonie des adultes
réussissent aussi bien que chez l'enfant ; j'invoquerais à l'appui de celte idée
l'énergie relativement plus grande du ventricule droit dont j'ai déjà parlé
(à propos du pronostic) aussi chez l'adulte. Je leur préférerais les vessies
de glace sur le thorax, qui, d'après ce qu'on dit, n'augmenteraient pas
commeles bains froids, la dyspnée et le cyanose, ce que l'on comprend
très-bien, car, ne reproduisant qu'une très-minime portion de la surface
cutanée, elles ne peuvent pas faire refluer le sang dans le poumon ; tout
porte àcroire au contraire qu'elles y amènent une anémie relative. Je
n'ai pas jusqu'ici eu recours dans la pneumonie aux applications glacées
sur le thorax, mais j'ai dans la fièvre typhoïde employé assez souvent les
vessies de glace sur l'abdomen pour pouvoir apprécier à leur valeur les
applications réfrigérantes locales.
Digitale.— Vératrine. — Je serai bref quant à ces deux médicaments ;
pour le premier je renvoie à l'article Digitale de ce Dictionnaire, XI, p. 550
et 551 , en prévenant toutefois que je suis moins enthousiaste de la digitale
que l'auteur de cet article, et que, je l'emploie non comme méthode
générale, mais seulement dans le cas où le pouls est particulièrement
fréquent ; quant à la vératrine, je n'en vois pas les avantages : elle affai-
blit le cœur d'une manière fâcheuse ; sur la fièvre, son action n'est rien
moins que sûre ; enfin elle amène presque toujours des vomissements. Je
crois inutile d'en dire davantage.
Quinine. — Comme les médecins allemands, je crois la quinine fort
utile dans le traitement de la pneumonie. Je L'ai beaucoup employée, et
le plus souvent avec un bénéfice bien marqué.
C'est surtout comme antipyrétique qu'on recommande la quinine, mais
il est possible qu'elle agisse aussi d'une autre manière, et qu'elle mette
dans une certaine mesure obstacle à la tendance à la suppuration qui
existe, ainsi que je l'ai dit, chez beaucoup de pneumonies même com-
munes. Si celte action était bien démontrée, elle donnerait à la qui-
■
PNEUMONIE LOBA IRE AIGUË. — traitement. 507'
ninc une valeur qu'on ne saurait estimer trop lin ni. Mon expérience ac-
tuelle me porte à l'admettre comme vraisemblable. Aussi je l'administre
très-souvent dans la pneumonie.
Dans le môme but, on a conseillé la térébenthine, dont l'efficacité ne
ni 'est pas bien démontrée.
Alcool. — Pour Todd, l'alcool est utile dans toute pneumonie. Les
médecins français ne partagent pas pour la plupart un précepte aussi
absolu. Selon moi, son emploi doit être réservé aux cas suivants bien for-
mulés par Joffroy :
1° Chaque fois qu'il se montre des symptômes graves d'ataxie ou d'ady-
namie ;
2° Lorsque la température est très-élevée ;
5° Lorsque les sujets sont affaiblis par une maladie antérieure ou sont
alcooliques.
Encore, pour la seconde indication, ferai-je des réserves, non que je
pense que l'alcool dans ce cas puisse augmenter la fièvre, mais parce que
son action antipyrétique est infiniment moins certaine que celle d'autres
agents, de la quinine, par exemple.
En somme, l'expérience de ces dernières années a été favorable à
l'emploi de l'alcool dans les maladies aiguës, bien qu'il faille beaucoup
l'abattre de l'enthousiasme avec lequel la méthode de Todd a été en
France acceptée par quelques médecins, notamment par Béhier, et qu'on
ait maintes fois abusé de l'alcool faute d'avoir assez tenu compte de la
différence de race et d'habitudes qui distingue si profondément le Fran-
çais de l'Anglais.
Salicylale de sonde. — Aconit. — Ergot de seigle, etc. — Je n'ai pas
d'expérience de ces médicaments dont, on a récemment préconisé l'em-
ploi dans la pneumonie. Restent encore un certain nombre d'agents
aujourd'hui tombés dans l'oubli ; je ne vois pas d'avantage à les en
tirer.
En résumé, sauf les ventouses scarifiées, les vésicatoircs et la quinine, il
n'y a pas d'agents thérapeutiques (parmi les agents énergiques) dont
l'emploi puisse être recommandé d'une manière générale et étendu à tous
les cas de pneumonie commune ; ce n'est pas à dire que beaucoup de
ceux que je viens d'énumérer ne sont pas susceptibles de rendre d'utiles
services; au contraire : ils répondent à des indications déterminées que
j'ai indiquées en partie chemin faisant. Il importe donc de se pénétrer de
cet axiome thérapeutique qu'il n'y a pas de traitement équivoque de la
pneumonie, attendu que même l'espèce commune est encore très-mul-
tiple et susceptible de fournir, suivant les cas "et suivant les périodes d'un
même cas, un grand nombre d'indications relatives, soit à l'asphyxie,
soit à l'affaiblissement du cœur, etc.
Cette même pensée doit guider dans le traitement des variétés, dont il
me reste à dire quelques mots :
Traitement des pnitNciPAi.Es variétés. — Pneumonies cibortives. — En
supposant qu'on soit assez habile pour reconnaître qu'une pneumonie
508 PNEUMONIE LOBAIRE AIGUË. TRAITEMENT.
sera abortive, la seule chose à faire est de s'abstenir de tout traitement
actif.
Au contraire, les pneumonies à marche foudroyante réclament une
thérapeutique extrêmement énergique ; encore est-elle hien rarement
efficace.
Eu égard au terrain sur lequel se développent le plus souvent ces
pneumonies on ne peut songer à recourir à la méthode anliphlogisliquc.
C'est aux révulsifs et aux stimulants diffusibles qu'il faut exclusivement
s'adresser; un vésicatoire étendu à la plus grande partie du thorax, de
fortes doses d'alcool, sont pleinement justifiés . Dans quelques cas, l'ad-
jonction du sulfate de quinine sera utile.
Dans beaucoup de pneumonies à durée prolongée, un traitement ana-
logue sera indiqué : il ne faut pas en être surpris, car c'est pour la
plus grande part affaire de terrain, si la phlegmasie pulmonaire se pro-
longe. Plus souvent encore que dans les pneumonies à marche foudroyante
le sulfate de quinine à très-hautes doses sera indiqué, à cause de son
action antipyogénique.
Dans la pneumonie périodique ce médicament sera l'agent essentiel
du traitement; l'expérience a prouvé que dans le cas de phlegmasie
pulmonaire son efficacité n'est pas moindre que dans les cas de simple
accès fébrile.
Les pneumonies rhumatismales, à marche alternante ou non, seront
traitées par la médication générale du rhumatisme aigu et par les révul-
sifs (vésicatoires) sur la paroi thoracique. Il est rare que ces pneumonies
généralement bénignes exigent une thérapeutique plus active. Si cepen-
dant on se trouvait en présence d'une congestion fort intense des
poumons, avec tendance à l'asphyxie, il ne faudrait pas reculer devant
l'emploi de la saignée. S'il y avait des raisons particulières pour s'en
abstenir, on devrait recourir à une large application de ventouses sur le
thorax. La ventouse de Junod pourrait être aussi fort utile.
Je ne crois pas que la forme sthénique des pneumonies doive être
traitée par une médication univoque. Selon les cas et les sujets il
faudra recourir aux saignées, au tartre stibié et, plus rarement, à la di-
gitale. Si l'exsudation phlegmasique est assez abondante pour obstruer les
bronches, Schiïtzenberger recommande particulièrement le mercure,
comme anliplaslique.
La pneumonie bilieuse est traitée par les vomitifs, principalement par
l'ipéca, auquel on peut joindre un peu de tartre stibié, s'il n'y a pas de
tendance à l'adynamie. On sait que l'expérience condamne dans cette
forme les émissions sanguines : il faudra donc s'en abstenir absolument.
L'alcool est la médication la mieux appropriée à la pneumonie ast lié-
nique; souvent on se trouvera bien d'y associer la quinine et le musc. Les
vésicatoires ont aussi leur utilité, mais il conviendra de surveiller la
plaie qui en est le résultat.
Dans la pneumonie de starvalion, c'est aux mômes moyens que l'on
devra recourir, avec cette particularité que le sulfate de quinine ne devra
PNEUMONIE LOBA IRE AIGUË. — niBLiocnAPiiiE.
509
être administré qu'à dose tonique (10 centigrammes par jour, par
exemple).
Dans la pneumonie entée sur une bronchite, le kermès trouve son
emploi rationnel ; il conviendra souventd'y joindre l'alcool elles révulsifs,
puis, ;'i la période de résolution, la térébenthine.
Pour le traitement des complications, je renvoie aux articles corres-
pondants de ce Dictionnaire.
Morgagni, Recherches anatomiques sur le siège el les causes des maladies, XX" lett., traduc-
tion Desornieaux-Deslouct, 1821, t. III.
PiNKL. Nosographie philosophique, 0" édition, 1818, t. II, p. 406.
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Laennec, Traité de l'auscultation médiate, édition delà Faculté de médecine, 1879, p. 2G0.
Asdral, Clinique médicale, t. III.
Bouillaud, Clinique de l'hôpital de la Charité, Paris, 1837, t. III ; — art. Pneumonie du Die/.
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Chosiei., Dictionnaire en 30 vol., art. Pneumonie. — Clinique médicale, 1841.
Grisolle, Traité de la pneumonie, lr" édition, 1841 ; 2" édition, 1804.
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Thomas, In Handbuch der Kinderlirankcilen, herausgegehen von Gerhardt, 1878.
Consulter.de plus : les traités de Pathologie de BÉiiiEn et Hardy, Valleix, Niemeïeii, Jaccoud,
IIilliet et Bartiiez, U'Espine et Picot.
Les indications qui suivent correspondent aux différents chapitres de mon article et sont
disposées dans l'ordre de mon texte; naturellement je n'ai pas répété, afin de ne pas faire dou-
ble emploi, celles qui sont déjà données d'une manière suffisante, Ces indications portent
presque exclusivement sur des travaux que j'ai consultés: elles ne doivent donc pas être consi-
dérées comme constituant une bibliographie complète des travaux publiés sur la pneumonie.
Anatomie pathologique.
Voir ta Bibliographie de FSrster, Handbuch der path. Anatomie.
Roeitansky, Handbuch der patholog. Anatomie, Wicn, 1842-40.
Leuisusciifr, Deutsche Klinik, 1855. Il soutient l'opinion fort juste que l'hépatisation rouge n'est
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bronchio-pneumonie paraît avoir été employé pour la première fois par
Seifert (1858). Avant lui, on désignait cette maladie sous les noms de
péripneumonie péripneumonia notha, péripneumonic latente, de catarrhe
suffocant (Laënnec), de catarrhe suffocant des enfants (Gardien, Ettmùller,
Chambon, Capuron) , de pneumonie des enfants (Fischer, Léj;er, La
noix, etc.), de pneumonie tabulaire (Burnct, de la Berge), pneumonie ca-
tarrhale, etc. Le terme de broncho-pneumonie employé par plusieurs
auteurs, et notamment par Boger, n'a pointpassé dans l'usage journalier.
Peut-être est-ce avec raison, car l'inflammation en envahissant les petites
bronches et le lobule, ne cesse point pour cela dans les bronches de gros et
de moyen calibre. Trop souvent, au contraire, comme nous aurons occasion
de le remarquer, ces dernières sont le siège, principalement dans les cas
l'NKUMONIK. — nnoNcno-PMîUMOMK. — dicfinition. 521
subaigus, de lésions profondes indélébiles, qui aboutissent à la destruction
partielle ou totale des éléments de leur paroi. Bien plus, non seulement le
système bronchique et les lobules, mais même le tissu conjonclif qui les
environne, les vaisseaux sanguins et lymphatiques participent aux lésions :
le terme broncho-pneumonie exprime, par conséquent, la réalité des choses.
Les noms de pneumonie lobulaire, secondaire, catarrhale, ont une signi-
fication trop vague. Si, comme l'établit le professeur Jaccoud, l'absence
d'exsudat librineux est le caractère fondamental de la pneumonie ca-
tarrhale, on peut se convaincre , par l'examen des diverses parties con-
stituantes des lobules atteints de broncho-pneumonie, que la dénomina-
tion de lésions catarrhales ne peut pas être appliquée aux altérations
profondes, parenchymatcuses que l'on rencontre et qui se rapprochent sou-
vent de celles qu'on observe dans la pneumonie franche. On peut repro-
cher la même insuffisance au terme de bronchite capillaire qui a éga-
lement l'inconvénient de ne désigner qu'un élément ou qu'une forme de
la maladie, et qui n'a d'ailleurs été adopté que par les médecins qui
ont observé chez les adultes. Le nom de pneumonie lobulaire a un
sens trop large; il y a des pneumonies lobulaires qui ne sont pas des
broncho-pneumonies. En effet, l'irrigation sanguine du lobule se fait par
l'artère bronchique et par l'artère pulmonaire. Primitivement, la première
est seule intéressée, dans la broncho-pneumonie ; la seconde peut être
aussi le point de départ immédiat de la pneumonie lobulaire, par exemple
dans les pneumonies lobulaires métastatiques consécutives aux embolies
simples ou pyémiques.
Ce qu'on doit tout d'abord établir, c'est que des deux éléments inflam-
matoires bronchique et pulmonaire dont la réunion constitue la broncho-
pneumonie, l'un est toujours secondaire à l'autre : sans lésion bronchi-
que, pas de broncho-pneumonie. La bronchite se propage jusqu'aux lo-
bules, dont les diverses portions sont envahies en totalité ou seulement
i en partie par l'inflammation.
Rejetant l'ancienne hypothèse des auteurs qui admettaient que cette
iiillammation du lobule est produite par la pénétration des mucosités
1 bronchiques, nous croyons maintenant qu'elle est due à la propagation de
I l'inflammation des bronches extra-lobulaires aux bronches intra-lobulaires
• et de celles-ci aux parties constituantes du lobule. La bronchite est le point
i de départ de tout le processus : la pneumonie n'évolue pas spontanément.
Il ne faut donc pas envisager, comme on l'a fait souvent, la pneumonie
I lobulaire avec des périodes de congestion, d'hépatisation, etc., comme la
I pneumonie franche dans le lobe. Au moins à son début, la pneumonie lobu-
I laire reste toujours plus ou moins liée à la bronchite, fait démontré par la
i nature des lésions, par leur siège autour de la bronche et dans le tissu
conjonctif intra-lobulaireet périlobulaire, et par la marche qu'elles affec-
tent. C'est en réalité, comme on l'a dit, une bronchite vésiculaire. Mais
une fois la lésion constituée, il peut arriver que l'un ou l'autre élément,
bronchique ou pulmonaire, prédomine, et il en résulte l'existence de formes
cliniques et anatomiques distinctes se rapprochant plus ou moins soit de la
522 PNEUMONIE. — broncho-pnkumomik. — historique,
bronchite, soit de la pneumonie. En résumant donc ces principaux traits,
nous dirons que la broncho-pneumonie est une inflammation occupant
en totalité ou partiellement les divers éléments des bronches et des lo-
bules, toujours secondaire à une phlegmasie bronchique qui envahit
successivement les lobules isolément oupar groupes, et caractérisée par
une évolution analomique et clinique en rapport avec la prédominance
des altérations dans les bronches ou dans les lobules.
Historique. — Sous les noms de péripneumonie latente, de péripneu-
monia notha, Boerhaave, Sydenham, Van Swiéten, Sauvages, Morgagni,
Baglivi, Lieutaud, etc.. décrivaient des inflammations bâtardes, ayant
des caractères cliniques et anatomiques mal définis. Boerhaave avait dit
cependant qu'il existait deux espèces de péripneumonies : l'une, se déve-
loppant dans le territoire de l'artère bronchique; l'autre, dans celui de
l'artère pulmonaire. Cullen rejeta cette division comme trop théorique.
Sous le nom de catarrhe suffocant, Laënnec décrivait uue phlegmasie
généralisée à tous les tuyaux bronchiques, et Andral montra que de
l'extension aux petites bronches résultait la gravité de la maladie.
En 1825, Léger montra, le premier, la fréquence de ces pneumonies
chez les enfants, les sépara nettement des pneumonies ordinaires, en
montrant que leurs caractères cliniques principaux étaient d'être dou-
bles, d'affecter une marche latente aiguë ou chronique, tandis qu'elles
modifiaient anatomiquement le tissu du poumon, de manière à le
faire ressembler au tissu de la rate (splénisation). Lanoix décrit dans
cette pneumonie des granulations siégeant dans les vésicules, et donnant
au poumon un aspect mamelonné. En 1828, Berton montre que ces lésions
affectent une disposition lobulaire : il substitue au mot splénisation le
terme de rénification et montre la pneumonie lobulaire ou partielle
passant par les périodes d'engouement, d'hépatisation et aboutissant parfois
à l'infiltration purulente et à la formation d'abcès. B en montre les trois
formes aiguë, subaiguë et chronique.
Ces auteurs ont nettement indiqué que la muqueuse des bronches sert de
point de départ à l'inflammation qui, de là, envahit le tissu vésiculaire des
poumons, mais ils n'ont pas compris la nécessité de cette succession dans les
phénomènes morbides. Pour eux, la pneumonie pouvait se développer d'mio
manière indépendante dans le cours de certaines affections, le plus souvent
pendant les fièvres éruptives.
Dans deux monographies parues en 1852 et en 1855, Jœrg décrivît
une lésion qu'il considérait comme spéciale aux nouveau-nés et ca-
ractérisée par l'affaissement, la congestion et la condensation du
tissu pulmonaire qui plonge au fond de l'eau. Jœrg montra que cette
altération toute passive est le résultat de la persistance de l'accolemcnt
des alvéoles dans les parties des poumons qui n'ont pas respiré. Elle ap-
paraît lorsque l'enfant est trop faible pour respirer largement ou lorsqu'il
existe des obstacles à la respiration, soit à l'entrée, soit dans l'intérieur
des voies aériennes.
C'est dans les travaux de Burnet (1855) et surtout de de la Berge que
PNEUMONIE. — BRONCHO-PNECMONIE. — HISTORIQUE.
525
l'on trouve nettement affirmée la subordination de la pneumonie à la
bronchite. De la Berge décrit deux périodes : la première sthénique, in-
diquant l'emploi des antipblogistiques ; la seconde astliénique, plus Ion- *
gue que la première, et réclamant au contraire un traitement tonique.
Parmi les travaux de cette époque, il faut citer ceux de Gerhard et de Rufz, i
qui ont surtout étudié la pneumonie franche, la thèse de Bazin (1854),
la clinique de Valleiv sur les maladies des nouveau-nés (1838) ; à l'é-
tranger, les travaux de Seifert et de Succow. C'est à cette époqne égale-
ment que Hourmann et Dechambre ont donné la première bonne descrip-
tion de la broncho-pneumonie des vieillards (1856).
En 1858, Rillict et Barthez (Traité des Maladies des enfants) dé-
montrent chez l'enfant l'existence de deux pneumonies, l'une lobaire
primitive, l'autre lobulaire secondaire. Ils séparent nettement ces deux
affections souvent confondues avant eux et montrent qu'elles diffèrent
par leurs causes et leurs symptômes et qu'elles appellent chacune un trai-
tement spécial. Toutefois, ils ne détruisant pas complètement la confusion
qui existait à ce sujet : c'est ainsi qu'ils reconnaissent des pneumonies
lobaires secondaires, de nature catarrhale comme les pneumonies lobu-
laires, et plus loin ils disent que ces pneumonies lobaires secondaires
sont presque toujours des broncho-pneumonies. C'est à ces deux auteurs
cependant que l'on doit les recherches les plus importantes sur la broncho-
pneumonie ; tous les travaux parus depuis n'ont fait que compléter leurs
descriptions et confirmer la plupart des opinions qu'ils avaient émises.
Barrier accentue davantage les différences qui séparent les pneumonies
lobaires et lobulaires. Il divise celles-ci en trois variétés : lobulaire dissé-
minée, lobulaire généralisée, pscudo-lobaire. Cette dernière présente des
caractères macroscopiques qui la rapprochent des pneumonies lobaires:
c'est la généralisation rapide et l'uniformité d'aspect, laquelle n'est ce-
pendant pas complète, ce qui, joint à la présence de l'élément bronchi-
que, permet de faire la différence. Barrier insiste sur les terminaisons de
la pneumonie lobulaire et sur la suppuration du lobule. Il reconnaît
l'existence des abcès décrits par Rilliet et Barthez, mais il les distingue
d'une autre altération à peu près analogue et confondue par ces deux au-
teurs avec l'abcès et les dilatations des bronches terminales, et qui est
due à la fonte purulente du lobule transformé en une cavité pleine de pus
qu'il désigne du nom de vacuole.
Les lésions bronchiques furent étudiées par Fauvel, dans sa thèse
inaugurale (1840), travail qui marque une époque importante dans l'his-
toire des lésions inflammatoires du lobule pulmonaire. Fauvel les dé-
signe sous le nom de grainsjaunes.il les considère comme formées par la
pénétration mécanique du contenu purulent des bronches dans les cavités
des vésicules. Cette opinion a été exagérée depuis par plusieurs auteurs
qui, refusant le nom de pneumonie aux lésions du lobule, les ont exclu-
sivement attribuées à cette pénétration des produits de l'inflammation
des bronches. Pour Fauvel, la doctrine de la pneumonie lobulaire reste
intacte; il la montre existant souvent en même temps que la bronchite
4
524 PNEUMONIE. — broncho-pneumonie. — historique.
capillaire, entourant les grains jaunes, soit à l'état de congestion, soit à
'état d'hépatisalion. 11 décrit les différents aspects que peut présenter le
wenchyme pulmonaire, rappelant fréquemment celui de la cirrhose du
foie, tandis que le toucher donne la sensation de grains dans le paren-
chyme pulmonaire.
Cependant la thèse de Fauvel servit de base à l'établissement d'une
doctrine nouvelle ; le siège des lésions fut décidément placé dans les
bronches : on nia la broncho-pneumonie pour n'admettre que des bron-
chites capillaires. Ce mouvement d'opinion s'accentua surtout après la
puhlication des travaux de Legendre etBailly.
Pour Legendre et Bailly (1844), l'hépatisation lobulaire dans le sens
rigoureux du mot n'existe pas ; il est nécessaire d'établir une sépara-
tion complète entre la pneumonie lobulaire (partielle et mamelonnée) et
la pneumonie catarrhalc (pneumonie lobulaire généralisée et bronchite
capillaire des auteurs). L'hépatisation partielle est une variété de la
pneumonie franche légitime, dont elle ne diffère anatomiquement que
par son étendue et son siège ; c'est une lésion très-rare, en comparaison
de la pneumonie catarrhale et des lésions congestives. Parmi ces der-
nières, Legendre et Bailly ont justement donné une place très-importante
à l'affaissement des poumons avec congestion, si fréquent dans la bron-
cho-pneumonie. Cette lésion avait été bien vue avant eux, en particulier
par Rufz, mais elle avait été mal distinguée de la sp.lénisation et de la
congestion simple. Legendre et Bailly ont donné à cette lésion le nom
A1 état fœtal; ils en ont bien montré la signification et en ont donné une
description à laquelle on n'a rien ajouté depuis. Ils ont été moins heureux
dans leur description de la congestion lobulaire disséminée ou généra-
lisée, qu'ils ont voulu séparer de la pneumonie lobulaire, en se basant
principalement sur les résultats de l'insufflation qui rend leur aspect
normal aux parties congestionnées, tandis qu'elle ne peut modifier les
parties hépatisées. De même ils décrivent isolément la pneumonie ca-
tarrhale, dont ils font une maladie tantôt indépendante, tantôt se déve-
loppant dans les parties déjà atteintes d'état fœtal ou de congestion lobu-
laire généralisée. Elle correspond pour eux, dans ce dernier cas, à la
pneumonie pseudo-lobaire de Barrier. Les symptômes sont tantôt ceux de
la bronchite capillaire de Fauvel, tantôt ceux de la pneumonie lobulaire
généralisée que Legendre et Bailly décrivent sous le nom de forme lente
concestive. Comme nous le verrons, on doit encore à ces auteurs une
bonne description des lésions de la broncho-pneumonie chronique qu'ils
ont désignée sous le nom de carnisalion.
En résumé, Legendre et Bailly, frappés de la mobilité des lésions dans
certains cas, et surtout des résultats de Y insufflation, attribuèrent une trop
grande part aux lésions congestives; ils se refusèrent à voir de l'inflamma-
tion dans la pneumonie catarrhale, et conséquents avec eux-mêmes,
firent de l'hépatisation partielle une pneumonie spéciale, évoluant dans le
lobule comme la pneumonie franche dans le lobe. Pour eux, l'insufflation
démontrait infailliblement la nature des altérations ; si le poumon ré-
PNEUMONIE.
Uno.NCHO-PNEUMOMK.
HISTORIQUE.
525
sistait, il y avait hépatisation, s'il se distendait, c'était de l'état fœtal ou
de la congestion, accompagnée ou non de granulations jaunes dues à
la pénétration mécanique du pus bronchique dans le lobule. En vain
Boucliut (1845) fit voir que î'hépatisation elle-même pouvait souvent
se laisser insuffler, les auteurs confiants dans ce mode d'investigation,
en arrivèrent de plus en plus à considérer les bronches comme siège
exclusif de la maladie. Pour Fourcau de Beauregard (1851), chez l'en-
fant comme chez le vieillard, il n'y a pas pneumonie, mais simplement
bronchite avec altération mécanique du poumon.
En 1850, Gairdner donne la pathogénie de l'état fœtal qu'il met en-
tièrement sur le compte de l'obstruction bronchique. L'air introduit par
l'inspiration ne peut traverser le bouchon muco-purulent qu'il pousse
au contraire vers le lobule. Celui-ci, n'étant plus soumis à la pression
atmosphérique s'affaisse, et il se produit en même temps autour des ré-
gions en collapsus un emphysème supplémentaire appelé à combler le
vide qui s'est produit dans la plèvre.
Trousseau et Laségue (1851) mettent bien en relief la bénignité du
pronostic de la pneumonie franche de l'enfant, opposé à la gravité de la
pneumonie catarrhale. Les thèses de lloccas et de Beauvais (1850), le
Traité de la Pneumonie de Grisolle, l'ouvrage de Durand-Fardel sur les
maladies des vieillards (1851! les recherches de Lebert (1855), celles de
Robin et Isambert (1855), sur la carnification congestive doivent être
mentionnés parmi les travaux de cette époque. Non seulement on discu-
tait alors sur le siège des lésions, mais encore sur leur nature. Beaucoup
d'auteurs se refusaient à les considérer comme inflammatoires, en montrant
le peu de friabilité des tissus, l'absence de granulations, l'inconstance ou
le peu d'importance des lésions pleurales, l'état du sang dans lequel la
fibrine n'est pas augmentée, la prédominance de la congestion, enfin le
siège même de l'exsudation qui, dans ces cas, serait extra-vésiculaire au
lieu d'être intra-vésiculaire comme dans l'inflammation vraie. A côté des
partisans de la bronchite capillaire, il y avait ceux de la pneumonie ta-
bulaire, et après Rilliet et Barthez, après les auteurs du Compendium de
médecine, après Traube (1856), Lebert, etc il faut citer Vulpian qui
caractérisa nettement sa nature inflammatoire dans sa thèse d'agrégation
sur les pneumonies secondaires (1860). Les pneumonies tabulaires et la
splénisation, dit-il, sont des hypérémics phlcgmasiques pouvant subir, dans
• de certaines limites, l'influence de la pesanteur relativement à leur dé-
veloppement et à leur disposition et participant ainsi de quelques-uns
i des caractères de l'hypostase. Ces lésions sont constamment unies à un
i état phlcgmasique ou catarrhal des bronches et paraissent retenues à l'é-
i tat congestionnel par l'espèce de révulsion continue qu'opèrent l'inllain-
mation ou la sécrétion bronchiques.
En Allemagne, Barlels. (186Q) étudie la .broncho-pneumonie niorliil-
I leuse au point de vue de l'anatomie pathologique, de la symptoinatologie
et du traitement. Ziemssen dans deux travaux publiés en 1862 et en
1863 lait d'importantes recherches sur la température et montre les carac-
Mb' l'NEUMONIU. — i»iiohcho-1'«kumonie. — historique.
tères cliniques qui séparent les pneumonies croupales et catarrhales. Nous
rappellerons plus loin les théories de ces auteurs au sujet de la patho-
génie de la hroncho-pneuuionie, et les innovations qu'ils ont apportées
dans son traitement.
Les raisons qui faisaient refuser aux lésions lohulaires le nom de pneu-
monie ont été surtout soutenues avec la plus grande vigueur par Béhier
et Hardy (Traité de pathologie interne, t. Il, 1864) et plus tard encore par
Béhier seul (Clinique de l'ilôtel-Dieu). Repoussant l'opinion de Rilliet et
Barthez, Barrier, Legendre etBailly, qui admettent l'origine aulochthone
de la granulation purulente, Béhier revint à l'opinion de Fauvel et consi-
déra la granulation comme formée par l'accumulation du pus hronchique
dans le lohulc. Quant aux lésions qui l'entourent, elles ne doivent pas
recevoir le nom de pneumonie, car elles ne sont pas constituées par une
hépatisation véritable. Appuyé sur les notions alors acceptées sur la
structure du poumon (Robin, Soc. de Biol., 1858), il place le siège de
l'hépatisation dans le tissu conjonctif périlobulaire, d'où il conclut qu'elle
doit s'étendre à tout un lobe, comme le phlegmon s'étend à tout un
membre. 11 ne peut pas exister de limites assez bien circonscrites dans
l'inflammation pulmonaire, pour qu'elle conserve la forme circonscrite
au lobule, il faut qu'elle procède de l'élément anatomique distribué par
lobules: cet élément, ce sont les bronches. L'inflammation reste limitée
à leurs divisions : c'est de la bronchite capillaire et non de la pneumonie.
Cette inflammation des petites bronches rmène une congestion passive des
vaisseaux périlobulaires, mais le tissu conjonctif et les vésicules ne sont le
siège d'aucune phlegmasie ; la preuve directe en est fournie par l'insufflation.
Béhier a donc été plus absolu que Legendre et Bailly dans ses opinions
au sujet des phlegmasies broncho-pulmonaires. Mais il faut remarquer
que sa description a surtout été faite d'après des observations recueillies
chez l'adulte, chez lequel, en effet, l'inflammation lobulaire est loin
d'être aussi nettement accusée que chez l'enfant, au moins à l'état ma-
croscopique. Legendre et Bailly, qui ont observé la broncho-pneumonie
des enfants, malgré leurs réticences à l'endroit de la pneumonie, malgré
leur tendance à restreindre son importance, en ont cependant montré les
rapports avec les autres lésions de la pneumonie et notamment avec
l'état fœtal.
Aussi, en 1867, Damaschino. dans sa thèse sur les différentes formes
de la pneumonie des enfants, est-il revenu franchement sur le terrain de
la broncho-pneumonie. Son travail est avant tout, un parallèle entre les
deux formes primitive et secondaire de la pneumonie chez les enfants. Il
conserve pour la broncho-pneumonie, la division en périodes adoptée
pour la pneumonie franche; période de congestion, d'hépatisalion rouge
cld'hépalisation grise, mais tout en montrant bien que ces périodes n ont
une existence réelle qu'autant qu'on considère individuellement chaque
noyau de pneumonie lobulaire. Avec Damaschino, l'intervention du mi-
croscope fait entrer l'étude de la broncho-pneumonie dans une phase nou-
velle. Damaschino, en résumant ses opinions sur la nature de la maladie.
PNEUMONIE.
BIIONCHO-PNEUMON1E. HISTOIUQUE.
527
Ja considère comme constituée par trois éléments : 4° la bronchite capil-
laire; 2° la congestion pulmonaire; 3° l'inflammation du lobule. L'embar-
ras ne peut exister qu'en ce qui concerne l'interprétation de ces deux
derniers éléments. La congestion est-elle simplement passive ? est-elle Je
premier stade d'une pblegmasie réelle? La marche de la maladie dans
les cas à évolution lente, force à accepter la seconde hypothèse. On
reconnaît, en effet, qu'alors les lésions du lobule sont constituées par
une prolifération considérable des épithéliums, par une production de
globules de pus et, dans quelques cas exceptionnels, par une véritable
exsudation fibrino-purulente. D'ailleurs, ces produits inflammatoires va-
rient suivant la forme de la maladie, et c'est ainsi que M. Damaschino,
maintenant la distinction ent>'e les inflammations vraies et le catarrhe,
délinit la forme pseudo-lobaire une inflammation pulmonaire avec
tendance au catarrhe. La forme mamelonnée ne conserve plus les ca-
ractères d'une véritable phlegmasie : ces lésions sont celles d'une phle-
gmasie ordinaire ment catarrhale. La conclusion est que la broncho-
pneumonie est bien réellement une phlegmasie, mais dissimulée en partie
par la piésence de la bronchite et de l'hypcrémie pulmonaire, et qui de
I plus affecte souvent les caractères des phlegmasies catarrhales.
Roger (art. Broncho-Pneumonie, Dict. enojcl. des Sciences méd.)
■ admet plus catégoriquement la nature phlegmasique de la broncho-
I pneumonie, en se basant surtout sur la marche des lésions. La congestion
i du début, en rapport avec l'état fœtal et avec les lésions bronchiques, lui
| paraît devoir être rapprochée de la congestion qui marque le début de la
I pneumonie franche. Ce qui le démontre, c'est bien moins l'examen des
I lésions histologiques à cette période que la succession ultérieure des
I périodes d'induration et de ramollissement purulent, ainsi que l'étude
ides causes et de la marche des symptômes.
Un grand nombre de travaux ont paru dans ces dernières années sur
lia broncho-pneumonie envisagée d'une manière générale ou dans les ma-
I ladies qu'elle vient compliquer. Nous mentionnerons les recherches
anatomo -pathologiques de Colberg, Buhl, de Rindlluisch. de Ranvier et
l Corail, de Virchow qui, de même que Damaschino, a reconnu la pré-
sence des exsudats librineux dans la broncho-pneumonie. Koëslcr (1877),
idont le travail renferme une bonne description de l'état fœtal, est allé
[ plus loin en montrant que les lésions inflammatoires ont la bronche poui
| point de départ ; mais il n'a pas su bien montrer les rapports qu'elles affec-
t tent avec elle et il a eu tort d'attribuer à la pneumonie lobulaire une
' évolution semblable à celle de la pneumonie lobaire. Du reste, cette con-
statation des exsudats librineux dans la broncho-pneumonie a évidemment.
! troublé pendant quelque temps les observateurs ; les uns ont admis la
| possibilité de la coïncidence des deux pneumonies fibrineusc et catarrhale ;
t d'autres ont cru que, dans quelques cas, la broncho-pneumonie, en se
^généralisant, pouvait atteindre un degré supérieur et aboutir à la pneu-
'imonie lobaire fibrineuse. Rautenberg de Saint-Pétersbourg (1874) est
'même allé jusqu'à rejeter la division fondamentale des deux pneumonies
.VJN l'NEUMOÎS'IK. UR0NC1I0-PNEUM0N1K. HISTOBIQOJB.
librineusc et catarrhale dans le jeune âge. La fibrine, d'après lui, ne
serait nullement caractéristique et les pneumonies ne pourraient être diffé-
renciées que par leurs causes ; les unes sont primitives, les autres secon-
daires. C'est là le meilleur caractère distinelif, la nature du siège dans le
lobule ou dans le lobe doit, selon lui, être rejetée comme insuffisante,
Parmi les travaux cliniques de ces dernières années, nous rappellerons
surtout les recherches de H. Roger sur la marche de la température dans
la broncho-pneumonie , les descriptions contenues dans les travaux de
Steffcn (1865 et 1875) et dans les traités classiques de Steiner, Gerhardt,
d'Espine et Picot, les travaux de Peter et Sanné sur la broncho-pneumonie
dans la diphthérie, ceux dePérier, Laveran, Léon Colin, sur les bronchites
capillaires épidémiques, etc., etc. Plus tard, nous citerons à propos de la
pathogénie, les importants travaux qui ont été produits sur les broncho-
pneumonies expérimentales.
Charcot, dans son cours professé à la Faculté de Paris en 1877. a
donné une description qui permet de mieux se rendre compte du déve-
loppement et du véritable siège de l'inflammation lobulaire dans la
broncho-pneumonie. Sur une coupe horizontale d'un lobule pulmonaire,
il est facile de reconnaître des espaces ou travées de tissu conjonctif limi-
tant le lobule, et se subdivisant pour circonscrire chacun des acini qui
le composent. Si la coupe comprend la partie centrale du lobule, on voit
en outre, au milieu des acini, des espaces arrondis dans lesquels se
trouvent la bronche acineuse avec ses vaisseaux satellites, pulmonaires et
bronchiques. Le tissu compris entre ces divers espaces représente la section
des canaux alvéolaires et des alvéoles. Sur un poumon atteint de broncho-
pneumonie récente, il existe autour des espaces centraux un nodule in-
flammatoire, nodule péribronchique, offrant le plus souvent une compo-
sition élémentaire analogue à celle de la pneumonie franche, leucocytes et
fibrine (hépatisation péribronchique) . Dans le reste du lobule, on trouve les
lésions caractéristiques de la pneumonie catarrhale : globules blancs et cel-
lules épithéliales en prolifération ; ces lésions sont surtout abondantes dans
les parties violacées, lisses sur la coupe, présentant l'aspect décrit sous le
nom de splénisation. Charcot, constatant cette lésion non seulement dans
ces cas, mais même dans les noyaux de pneumonie isolés, donne un sens
plus général à cette expression en l'appliquant à ces lésions catarrhalcs ;
il les oppose ainsi, sous le nom de splénisation; à l'hépatisation péribron-
chique. Enfin, il décrit dans les espaces péri-lobulaires et périacineux
jes lésions interstitielles contemporaines des lésions parenchymateuses,
infiltration de cellules embryonnaires, lymphangites, etc.. Nous ne
faisons ici qu'esquisser à grands traits la description si claire et si sai-
sissante que Charcot a donnée des lésions broncho-pneumoniques, en
s'appuyant sur une compréhension nouvelle de la topographie du lobule
qui lui a permis de mieux montrer la distribution exacte des lésions dans
ses différentes parties. Ces notions nouvelles que nous avons exposées lon-
guement dans notre thèse inaugurale (Contribution à l'élude de la broncho-
pneumonie, 1878), faite sous l'inspiration de ce maître éminent. serviront
PNEUMONIE. — broncho-pneumonie. — anatomie pathologique. 529
de base à la description qui sera donnée dans le chapitre relatif à l'ana-
tomie pathologique. Nous aurons aussi plusieurs fois l'occasion de citer
un travail important de Wyss sur la pneumonie catarrhale, qui résume
les travaux allemands parus dans ces dernières années, et enfin l'ou-
vrage actuellement encours de publication de notre excellent maître Cadet
de Gassicourt.
Anatomie pathologique. — L'anatomie pathologique de là
broncho-pneumonie comprend l'étude des deux éléments fondamentaux
qui la constituent, savoir: les lésions inflammatoires bronchiques et ta-
bulaires. On peut leur rattacher immédiatement les lésions pulmonaires
concomitantes et les lésions de voisinage, qui portent sur la plèvre et sur
les ganglions bronchiques. Nous décrirons ensuite les complications et
en quelques mots les lésions des organes qui se développent sous l'in-
fluence de la bronclio-pneumonie, ou qui s'y rattachent indirectement par
une étiologie commune. Nous suivrons donc, dans cet exposé, l'ordre
qui nous semble indiqué par la marche même des lésions.
A. Lésions fondamentales. — ["Bronchite. — Il faut distinguer, quand
i il s'agit de la broncho-pneumonie, deux périodes dans l'évolution de
I la bronebitc. Une première période où cette lésion génératrice existe
■ seule , à l'état indépendant ; nous n'avons pas à nous en occuper ici.
! Notre description des lésions bronchiques ne devrait commencer qu'au
i moment où l'ensemble de la maladie se trouve constitué, c'est-à-dire au
1 moment où la bronche malade a, en quelque sorte, porté l'altération jus-
qu'au lobule. Mais dans certains cas l'inflammation du lobule se produit
;avec une rapidité telle qu'il est difficile de savoir s'il y a eu réellement
rsuccession dans la marche des lésions. Nous voulons parler de ces alté-
rations broncho-pneumoniques qui surviennent d'une manière fou-
idroyante, par exemple, à la suite de brûlures étendues à une grande
I partie de la surface du corps. Le mode de succession ordinaire des deux
ééléments bronchique et pulmonaire est difficile à saisir dans ces cas où
Iles troubles de l'innervation jouent un rôle important.
[| résulte de cette rapidité dans la marche du processus qu'on a
-souvent l'occasion de voir des broncho-pneumonies dans lesquelles l'in-
flflaiimiation des bronches en est encore à sa première période ; la mu-
queuse est congestionnée, recouverte d'un mucus clair et aéré. La con-
gestion peut cependant manquer dans des cas où l'inflammation ne peut
être mise en doute. Bientôt le liquide contenu dans les bronches se trans-
Klorme en un muco-pus abondant que la pression peut faire sourdre des
bplus petits canaux aériens. Ce muco-pus, dans lequel l'examen micro-
scopique démontre la présence de nombreux leucocytes et de cellules
cylindriques, peut souvent se condenser de manière à revêtir l'aspect de
fausses membranes qui tapissent les voies aériennes. S'il s'agit d'une
Ibroncho-pncumonie consécutive à l'invasion de la diphthéric, les bronches
•sont tapissées de fausses membranes d'épaisseur variable qui peuvent s'é-
Mendre jusqu'aux plus fines ramifications bronchiques, et au-dessous des-
quelles la muqueuse apparaît tantôt congestionnée, tantôt avec sa cou-
SOUV. D'CT. M ÉD. ET Cllll». XXVIII — 34
550 PNEUMONIE. — imONCIIO-I'NEUMONIE. A.NATOMIE pathologique.
leur normale. Parfois, à l'examen microscopique, on peut trouver l'épithé-
lium cylindrique encore intact.
Dans les périodes plus avancées de la bronchite, l'analyse hislologique
montre une infiltration de leucocytes dans la couche conjonctive de la
bronche, infiltration souvent assez abondante pour qu'on puisse distinguer
avec peine les fibres de l'anneau musculaire. Le processusse termine par la
destruction de cet anneau à laquelle se lie évidemment la dilatation des
bronches (Trojanowsky). Tant que cet anneau subsiste, les lésions sont
encore réparables et ne survivent pas à la guérison de la broncho-
pneumonie. Outre ces dilatations bronchiques, on peut encore trouver
des ulcérations de la muqueuse qui ont été décrites autrefois par Fauvel
dans plusieurs cas. De toutes ces lésions bronchiques la plus intéressante
est, sans contredit, la dilatation, sur laquelle nous aurons occasion de
revenir en suivant l'évolution des processus broncho-pneumoniques, dans
les formes subaiguës et chroniques de l'affection.
2° Pneumonie lobulaire. — Lorsqu'on examine un poumon atteint
de broncho-pneumonie, on est tout d'abord frappé en voyant que les
lésions, malgré leur diffusion inégale et leurs aspects divers, se répartis-
sent cependant suivant un mode assez régulier, dont la raison se trouve
dans la prédominance des lésions bronchiques dans les parties postérieures
du poumon. Bartels a montré qu'il existe, en réalité, deux systèmes bron-
chiques, l'un antérieur, l'autre postérieur, et influencés tous deux d'une
manière différente dans la broncho-pneumonie. Le système antérieur,
constitué par les bronches descendante et ascendante antérieures, pré-
sente des lésions peu intenses. Le système des bronches ascendante et
surtout descendante postérieures est rempli de sécrétions muco-purulentes
et les parois bronchiques présentent des lésions beaucoup plus accentuées
et plus profondes. Cette répartition des lésions bronchiques est nettement
en rapport avec le siège des lésions pulmonaires.
En effet, à l'autopsie d'un individu mort de broncho-pneumonie, on
remarque des différences d'aspect très-nettes, entre les lésions de la parlie
antérieure et celles de la partie postérieure des poumons. Ceux-ci.
d'une manière générale, paraissent augmentés de volume, mais leur sur-
face est irrégulière, bosselée et présentant aussi bien à la parlie antérieure
qu'à la partie postérieure, à côté des portions tuméfiées et saillantes, des
espaces où le poumon est affaissé et amoindri. C'est ainsi que dans les
parties antérieures on voit, à côté de lobules distendus et gonflés par l'air
qui les remplit, d'autres lobules isolés ou agglomérés, qui, malgré la
congestion dont ils paraissent être le siège, sont diminués de volume et
situés beaucoup au-dessous du niveau, non-seulement des parties disten-
dues, mais même au-dessous des portions saines du poumon. Ces deux
lésions, bien distinctes, se trouvent presque toujours situées dans le do-
maine du système bronchique antérieur. La première n'est autre
que l'emphysème qui se montre avec ses formes diverses: la seconde,
d'une nature plus obscure et plus complexe, porte les noms d'état fœtal
ou d'atéleclasie.
PNEUMONIE. — BROSCHO-PHEMlOMiB. — A.NATOMIE PATHOLOGIQUE. 531
Dans les parties postérieures ou mieux postéro-latérales et inférieures,
on retrouve encore, mais avec des caractères différents, la même irrégula-
rité de surface. Le poumon est beaucoup plus congestionné qu'à la partie
; antérieure. On trouve aussi des bosselures et des dépressions, au niveau
[desquelles la congestion est tantôt diminuée, tantôt exagérée. Souvent ces
I bosselures ne sont pas appréciables à la vue, mais en palpant le poumon
i on sent des noyaux durs et plus ou moins volumineux qui sont tantôt en
i contact immédiat avec la plèvre, tantôt en sont séparés par une mince
i couche de tissu crépitant. Ces noyaux d'induration peuvent être limités à
l'étendue d'un seul lobule ou en comprendre plusieurs. Ils sont tantôt
.disséminés dans une vaste surface, et forment des mamelons isolés, ou
bien ils sont confluents de manière à occuper la plus grande partie d'un
lobe. Mais, même dans ce cas, on est frappé de la netteté avec laquelle
se détachent le% contours des lobules. Chacun d'eux est évidemment lésé
d'une manière qui lui est propre; des altérations semblables se produisent
dans ceux qui l'entourent sans qu'il cesse d'être affecté d'une manière in-
dépendante. La lésion est donc lobulaire ; de plus, l'induration du tissu,
l'épaississementdcs cloisons conjonctives inlerlobulaires, la présence fré-
quente de fausses membranes à la surface de la plèvre, la coloration rouge,
violacée, et parfois grisâtre ou jaune, tout semble indiquer que celte lé-
sion lobulaire est de nature inflammatoire, qu'il s'agit, en un mot, d'une
pneumonie lobulaire.
Cette pneumonie lobulaire, ordinairement double, se développe donc
de préférence dans les parties déclives. Quand elle se montre dans les
parties antérieures, elle envahit d'abord le lobe moyen du poumon droit.
La pneumonie peut rester localisée dans des lobules isolés, ou bien
s'étendre à plusieurs et même occuper rapidement la plus grande partie
d'un lobe ou même d'un poumon. Dans le premier cas, la pneumonie
lobulaire est disséminée; dans le second, elle est généralisée. Si l'on
examine séparément des lobules atteints de pneumonie, on peut leur
trouver différents aspects suivant l'ancienneté des altérations. Ils peuvent
être jaunes, ou grisâtres, ou même paraître entièrement purulents.
Éléments de cette pneumonie. — 1° Splënisa/ion. — Au début, la conges-
tion domine, c'est ce qu'on apprécie très-bien, surtout lorsqu'un certain
nombre de lobules altérés forment une seule masse : le poumon présente
à ce niveau nne couleur bleuâtre, plus ou moins foncée suivant l'intensité
de la congestion; il est aussi plus ferme et plus lourd qu'au niveau
des parties saines. Sur la coupe, on trouve une surface plane, lisse,
sans granulations, peu friable, d'une couleur noirâtre à cause de l'inten-
sité de la congestion; de cette surface s'écoule un liquide brunâtre, et
elle se recouvre rapidement du sang qui sort des vaisseaux. En outre,
si l'on insuffle le poumon, la lésion disparait en partie. Mais, malgré
celte diffusion apparente des lésions qui pourrait les faire confondre
avec une congestion œdémateuse simple, on peut encore le plus souvent
retrouver leur distribution lobulaire. Si l'on regarde avec attention
dans l'axe du lobule, on aperçoit un certain nombre de points grisâtres
532 PNEUMONIE. — broncho-pneumonie. — anatomie pathologique.
plus ou moins saillants, friables el présentant un aspect légèrement grenu.
Ces points sont quelquefois réunis de façon à former une petite grappe
qui occupe une étendue plus ou moins considérable dans le lobule.
L'ensemble de la lésion a reçu le nom de splénisation (Sarco) et
correspond, suivant Charcot, à la pneumonie planiforme de Decbambre,
à la pneumonic-pseudo-lobairedeBarricr, à la congestion-lobulaire géné-
ralisée de Rilliet etBarthez, à l'bépalisalion rouge broncho-pneumonique
de Damaschino. On a voulu pendant longtemps faire de cet état quelque
chose de distinct de la pneumonie lobulaire. Mais l'aspect nuancé que
nous avons décrit, et sur lequel avaient insisté Bazin et Gairdner, avait
frappé Barrier, qui l'avait décrit sous le nom de broncho-pneumonie
pscudo-lobaire, et Vulpian, qui l'avait rattaché également aux pneumo-
nies lobulaires. Enfin, dans ces derniers temps, l'analyse histologique a
tranché la question d'une manière définitive. (Charcot)
2° Nodule péribronchique. — Sur le fond rouge, violacé, de cette spléni-
sation. on dislingue, avons-nous dit, le second élément de la lésion. Dans
l'axe des lobules, il existe des points saillants, grisâtres, denses, légère-
ment granuleux, laissant suinter un liquide puriforme : c'est le nodule
péribronchique de Charcot, qui correspond, au début, à l'hépalisation
lobulaire partielle de Rilliet et Barlhez, à l'hépatisation grise partielle
de Damaschino. Ces nodules péribronchiques sont peu friables ; ils résistent
à l'insufflation ; un petit fragment détaché gagne le fond de l'eau. Us
peuvent augmenter considérablement de volume, devenir confluents et faire
disparaître les parties violacées de la splénisation; c'est l'hépatisation grise
des auteurs, l'hépatisation grise lobulaire généralisée de Rilliet et Barthez.
En résumé, dans les lobules atteints de pneumonie, on peut distinguer
deux altérations principales : 1° la splénisation, caractérisée par un aspect
lisse et congestionné occupant plus spécialement la périphérie du lobule ;
2° l'inflammation péribronchique, caractérisée par un aspect grisâtre,
grenu, par une induration plus marquée et circonscrite habituellement
dans le voisinage de la bronche. L'examen microscopique a prouvé la
constance de ces lésions fondamentales, à des degrés divers, dans toutes les
broncho-pneumonies, quelle que soit leur forme ; elles varient seulement
dans leur composition élémentaire, dans les proportions qu'elles pré-
sentent l'une par rapport à l'autre. Le plus souvent, au début, la splénisa-
tion domine, le foyer de pneumonie est violet ou brunâtre, sa surface de
section est foncée, dense, sans granulations {période de congestion, d'en-
gouement, d ' hépalisalion rouge des auteurs) . Plus tard, à mesure que le
contenu des alvéoles augmente, l'hypcrémie diminue, le foyer prend une
coloration grise ou jaunâtre et sa consistance paraît diminuer {période
d'hépatisation grise des auteurs) ; le processus aboutit au ramollisse-
ment et à la suppuration du lobule, dans quelques cas, à l'induration et
à la cirrhose.
Après avoir défini et montré macroscopiquemenl les lésions du lobule,
nous devons maintenant montrer comment elles constituent les trois
formes principales de broncho-pneumonie admises par les auteur?.
PNEUMONIE. — BRONCHO-PNEUMONIE. — ANATOMIE PATHOLOGIQUE. 553
Formes anatomiques delà pneumonie 'tabulaire . — 1° Il y a. d'abord,
lu -pneumonie lobulaire disséminée ou mamelonnée (lobulaire discrète
de Bouchot), désignée encore sous les noms de congestion , hépatisa-
Ition lobulaire, splénisalion par lobules. Elle se montre le plus souvent à
lia partie postérieure, quelquefois dans les languettes et les bords du
I poumon (pneumonie marginale ou corticale). Le nombre des noyaux de
pneumonie est variable : ils sont saillants, variant depuis le volume d'un
pois à celui d'un œuf de pigeon, d'une couleur rouge violacée ou brû-
nâtre, durs et résistant à la pression ou à la dilacération, ayant sou-
vent une forme losangique due à leur limitation par les travées interlobu-
lilaires. Quelquefois, au lieu d'être congestionnés, les noyaux sont grisâtres,
pilles, et ne tranebent que par leur saillie et leur induration sur les
IJobules sains qui les entourent. Souvent, la coupe présente une surface
.grenue. Le noyau subit d'ailleurs ultérieurement des transformations qui
ppeuvent modilier son aspect; il peut être envahi parla suppuration et
pprésenter un petit foyer ramolli à son centre. Les travées de tissu con-
jijonctif qui l'entourent sont souvent épaissies.
2° Lorsque ces transformations s'effectuent, il est rare que les noyaux
rrestent disséminés, les lésions s'étendent, les noyaux deviennent con-
Hfluents, tout en restant distincts, et peuvent occuper presque tout un
Mobe. Ils sont le siège d'altérations diverses ; les uns sont hépatisés ou sim-
pplement congestionnés, d'autres sont grisâtres ou purulents. La masse
(présente des aspects variés, sur lesquels tranchent les travées interlobu-
laires épaissies. Souvent les parties atteintes donnent au doigt, grâce au
mélange des parties molles et dures, une consistance spéciale qui a été
emparée à celle du pancréas. On la remarque surtout dans les lan-
guettes et dans le lobe moyen. Cette forme, due à l'envahissement suc-
iessif d'un grand nombre de lobules, prend le nom de forme lobulaire
généralisée (lobulaire confluente deBouchut).
5° Cette inégalité d'aspect ne se retrouve plus dans la forme pseudo-
lobaire (Barrier); comme son nom l'indique, elle simule la pneumonie
Idobaire. Les lobules ne sont plus distincts, et, au lieu de présenter une
mu l'ace marbrée, inégale, sillonnée de travées interlobulaires, ils offrent
ine surface plane, lisse, sans granulations, peu friable; si la pneumonie
JSt récente, la splénisalion domine (lre variété) : le tissu est violacé ou
'brunâtre, et la coupe est rapidement imhibée par le sang qui sort des
vaisseaux. La nature de l'altération est difficile à reconnaître, et il faut
souvent un examen attentif pour reconnaître dans l'axe du lobule la pe-
tite zone grisâtre qui représente le nodule péribronchique. Celui-ci est
moyé en quelque sorte dans l'altération diffuse qui l'entoure. Dans une
seconde variété, les nodules péribronchiques devenus plus volumineux
ont disparaître, en se soudant les uns aux autres, les zones de spléni-
salion. Lorsqu'elle envahit ainsi simullanément des lobules entiers, de ma-
ibière à donner sur la coupe une surface unie et grisâtre, la lésion porte
Rncore le nom de pseudo-lobairc, lequel est réservé, en somme, aux pneu-
monies lobulaires qui simulent, par leur étendue et leur uniformité d'aspect ,
534
PNEUMONIE. - nomiQ^mm _ ANAT0MIE PATI10,OCIQL.E.
Les lésions de la pneumonie franche. C'est surtout cette notion d'uniformité
dans les lénmn «, sépaÂe, suivant nous, la pneumonie pseudo-lobaire
de la pneumonie lobulaire généralisée, formes souvent confondues dans |e
langage med.cal II est toujours possible [de distinguer cette lésion de a
pneumome lobaire.Rilliet et Barthes ont fait remarquer que 1 a o
fiOMB A ULT (Ici.
Fig. 55. — Pneumonie tabulaire consécutive à la rougeole.
A. Coupe transversale de la pnroi d'une bronche de moyen calibre. On voit on a la coupe des carti-
lages. On voit en b la coupe des glandes indammées ; B,D, travées conjonctives périlobulaires épaissies ;
C,C, coupe des vaisseaux sanguins; D,P, vaisseaux lymphatiques ; E,E, travées conjonctives periacincuses.
Nodules péribronchiques (hipalùation) contenant à leur centre une bronchiole a', et une artériole b';
F,G, Tissu pulmonaire intermédia re aux nodules atteint de splénisation.
de couleurdans celtedernière affectent l'apparence de zones concentriques, j
le centre étant toujours plus gris que la périphérie, qui est habituellement!
rougeâtre. De plus, il y a dans la broncho-pneumonie pscudo-lobaire desj
altérations concomitantes qui éclairent le diagnostic; les lésions bronchi-
PNEUMONIE. BRONCHO-PNBUMONIE. ANATOJHE PATHOLOGIQUE. 535
■ques d'abord, puis l'état fœtal, l'emphysème et souvent des noyaux de
pneumonie disséminés dans les deux poumons.
En effet, les diverses formes peuvent se rencontrer isolées ou réunies ;
il est très-commun de trouver chez un même individu de la pneumonie
pseudo-lobaire, en même temps que de la pneumonie disséminée ou gé-
néralisée soit dans le même poumon, soit dans le poumon du côté opposé.
Analyse Instologique. — Nous étudierons successivement : 1° les
travées interlobulaires qui circonscrivent le lobule ; 2° les îlots centraux,
ou nodules péribronchiques , entourant les bronches lobulaires ou aci-
•neuses et leurs artères satellites (hépatisation lobulairc) ; 5° les parties
Fio. ôi. — Coupe d'un nodule péribronchique. •
A. artère; B. bronche contenant du pus et dont l'épithéliura est resté en place; G. lissu conjonclil
péribronchique épaissi. D. Zone d'hépatisalion (alvéoles remplis de fibrine et de globules de pus);
E. tissu splénisé.
splénisées qui occupent le reste du lobule et forment le fond commun,
la lésion diffuse sur laquelle se détachent les nodules et les travées péri-
lobulaires et périacineuses (fig. 33).
Les travées conjonctives interlobulaires sont épaissies ; leurs vaisseaux
sont congestionnés, on trouve fréquemment dans leur épaisseur des leu-
cocytes et des exsudais fibrineux ; les lymphatiques qu'elles renferment
peuvent être remplis des mêmes éléments, et quelquefois de globules
sanguins, lorsque la congestion est très-intense. Les travées périacineuses
présentent les mêmes lésions.
Dans le voisinage de la bronche dont l'épithélium peut être conservé
mais dont la paroi est infiltrée de leucocytes, ainsi que la gaine adventice
de l'artère qui l'avoisine, on voit une ceinture d'alvéoles et de conduits
alvéolaires distendus par des exsudais inflammatoires. Cette ceinture est
habituellement incomplète, du côté de l'artériole qui semble préserver
550 PNEUMONIE. — broncho-pneumonie. — anatomie pathologique.
les alvéoles qui l'avoisinent de l'extension de la phlcgmasie bronchique,
Cependant dans les cas intenses, l'inflammation alvéolaire péribronchique
enveloppe aussi l'artère. Tel est le nodule péribronchique (fi". 54) dont
le volume varie suivant les cas : tantôt borné à une seule rangée d'alvéoles
(l'insufflation est alors possible), tantôt occupant la plus grande partie
du lobule de manière à se confondre avec les nodules voisins. Les exsu-
dats inflammatoires qui remplissent les alvéoles présentent deux variétés :
ils peuvent être composés à peu près exclusivement de leucocytes. C'est
là le cas le plus habituel chez le vieillard. Plus fréquemment, les glo-
bules blancs et les cellules épithéliales sont enveloppés dans un ré-
seau fibrineux aussi remarquable que celui de la pneumonie franche.
C'est une véritable pneumonie péribronchique, et, comme l'a fait remar-
quer Charcot, la présence de cet exsudât, qu'on rencontre parfois à un
degré vraiment extraordinaire, montre bien que la présence de la fibrine ne
peut être considérée comme caractéristique absolue de la pneumonie
franche. On la retrouve dans la rougeole, la coqueluche, la fièvre
typhoïde, la diphthéric, etc.. Comme nous l'avons vu, cette exsudation
se retrouve quelquefois aussi à la périphérie du lobule dans les espaces
lymphatiques, et autour des vaisseaux. Quelle que soit la nature de l'ex-
sudat, le nodule péribronchique est toujours nettement caractérisé par
sa forme et son siège constant autour de la bronche. Quelquefois cepen-
dant celle-ci ne se retrouve pas à son centre, le nodule paraît indépen-
dant (nodule erratique de Charcot) ; cette disposition se rencontre lorsque
la coupe est irrégulière, car ces nodules se sont développés également
autour des bronches.
Autour des nodules péribronebiques se voient des lésions de nature
très-différente, et qui constituent la splénisalion. Les parois des alvéoles
sont très-congestionnées ; souvent elles ont subi un commencement d'in-
filtration parles cellules embryonnaires, s'il s'agit d'un cas déjà ancien.
Dans l'intérieur des alvéoles, la masse contenue est formée de cellules
épithéliales volumineuses et de leucocytes. Dans les cas anciens, on
trouve encore des corps granuleux. C'est l'épithélium alvéolaire qui est
surtout atteint ; très-susceptible, il se multiplie, se gonfle, et se des-
quame sous l'influence des moindres irritations. La lésion est donc
avant tout superficielle, épithéliale, de nature inflammatoire ou plutôt
irritative : c'est la pneumonie catarrhalc , desquamalive et épithé-
liale. C'est la congestion et la prolifération épithéliale qui dominent dans
les parties splénisées; au contraire, ce sont les lésions exsudalives (fibrine
et leucocytes) qui dominent dans les travées interlobulaires et dans le no-
dule péribronchique. Ce sont là les deux points fondamentaux de l'étude
de la pneumonie lobulaire. Il faut y ajouter les lésions do la bronche,
qui tiennent toutes les autres dans leur dépendance. Ce qui les caracté-
rise, c'est l'infiltration de leurs parois par des cellules embryonnaires,
infiltration qui s'étend plus tard au tissu périvasculaire ; quand la lésion
est plus ancienne, il y a même endartéritc. Déplus, les espaces lympha-
tiques péribronebiques et périartériels montrent les mêmes lésions que
PNEUMONIE. DRONCHO-PNEUMOME. ANATOMIE PATHOLOGIQUE. 537
nous avons signalées déjà dans les espaces périlobulaircs. Il y a dans le
siège et la marche des lésions une tendance à la fixité, au passage à l'étal
chronique et au développement de la cirrhose pulmonaire.
Comme on voit par cet exposé, riullammation atteint le lobule par
l'intermédiaire des bronches; elle se propage par voie de continuité, ga-
gnant successivement les bronches lobulaires, acineuses,les conduits alvéo-
laires et les alvéoles. Elle se traduit d'abord par des altérations superfi-
cielles, atteignant surtout l'épithélium qui se gonfle, tombe, scmultiplie:
c'est une lésion épilhéliale ou mieux catarrhale, pour employer l'expres-
sion la plus répandue, c'est le processus qui paraît dominer principale-
ment dans les zones splénisées du lobule. Mais, d'autre part, les exsudations
se produisent dans l'épaisseur de la paroi bronchique, dont l'inflamma-
tion, d'abord superficielle, est devenue parenchyinateuse. De la fibrine,
des leucocytes sonL exsudés par les vaisseaux congestionnés, et se dé-
posent dans le tissu conjonctif de la bronche et des vaisseaux bron-
chiques. La distribution de leurs ramuscules terminaux dans le lobule
peut nous expliquer facilement la circonscription des lésions exsudatives
autour de la bronche et la formation du nodule péribronchique. L'ar-
tère bronchique se perd , en effet, dans le lobule, sous la forme d'une
aspèce de pinceau vasculaire compris dans l'épaisseur des canaux alvéo-
laires et des alvéoles péribronchiques. Le nodule péribronchique se
forme, par conséquent, dans une portion du lobule émanant directement
de la bronche, et dont les lésions sont, par cela même, plus intenses et
plus profondes.
Enfin, le système lymphatique du lobule est atteint également ; les
vaisseaux efféren ts qui forment les gaines péri vasculaires et péribronchiquos
participent de bonne heure à l'inflammation des bronches, la stase lym-
phatique vient adjoindre ses efforts à ceux de la stase sanguine. Les exsu-
dats fibrineux se forment dans les espaces lymphatiques, et autour des
• vaisseaux sanguins situés dans les travées conjonctives périlobulaircs et pé-
riacineuses. Bronchite et inflammation alvéolaire péribronchique, pneu-
monie desquamative, inflammation de l'enveloppe conjonctive du lobule
i et des vaisseaux, lymphangites, telles sont les lésions du lobule dans la
I broncho-pneumonie; elles représentent, comme on le voit, toutes les
i formes de l'inflammation dans le poumon.
Il nous reste à apprécier la valeur de ces diverses lésions, à préciser
I leur signification dans le processus complexe qui constitue la broncho-
| pneumonie. La splénisation est évidemment la lésion la plus répandue,
i c'est l'irritation épilhéliale, la pneumonie desquamative ou catarrhale
qui domine l'évolution de la broncho-pneumonie, au moins à son début.
Mais cette lésion si importante peut se retrouver à un moindre degré,
i il est vrai, dans les congestions simples, actives on passives, elle ne ca-
ractérise pas absolument la broncho-pneumonie. Le trait principal de
felle-ci réside dans la présence du nodule péribronchique, dont la com-
position élémentaire en fibrine et en leucocytes peut varier, mais qui
s se retrouve toujours chaque fois que la bronche a, pour ainsi dire, porté
558 I'iNIîUMOiMIC. — bhonciio-pmcumonie. — anatohie pathologique.
l'inflammation jusqu'au lobule. Sa signification pronostique est également
plus grave que celle de la splénisation, car il indique une lésion pro-
fonde parenchymateuse dont la résolution sera difficile.
En résumé, dans le processus de la pneumonie lobulaire, on peut
distinguer trois phases : 1" bronchite capillaire inlra-lobulaire avec con-
gestion du lobule plus ou moins intense, suivant l'absence ou l'existence
de l'état fœtal ; 2n en même temps, inflammation calarrhede des alvéoles
cl inflammation exsudative péribroncl tique cl interstitielle ; 5° phase
terminale, exsudation purulente de plus en plus abondante, résorp-
lion, ou organisation des exsudats et passage à Vétat subaigu. Nous
ne suivrons pas pour le moment toute cette évolution des lésions, nous
nous bornons à étudier leur marche à L'état aigu.
Evolution et terminaison de la broncho-pneumonie : 1° Résolution ;
2° Suppuration du lobule (granulation purulente) ; Dilatation des
bronches; vacuoles; abcès. — Broncho-pneumonie subaiguë et chro-
nique. — Caséificalion.
Que A'ont devenir les deux éléments inflammatoires bronchique et
pulmonaire dont la réunion constitue la broncho-pneumonie? Lorsque
la résolution a lieu, elle se produit lentement, les exsudais subissent la
transformation granulo-graisseuse,. se désagrègent, se transforment en
une sorte d'émulsion qui est éliminée ou disparaît ultérieurement par
voie d'absorption.
Dans les cas où la maladie n'a pas pris une allure suraiguë, le malade
survit aux premiers accidents, les lésions suivent leur cours et aboutissent
à la suppuration. Quelquefois un lobule se remplit d'une agglomération
considérable de leucocytes qui se multiplient a la fois dans le nodule
péribronchique et dans les zones splénisées, il proémine à la surface du
poumon sous l'aspect d'une masse jaunâtre (granulation purulente). Il
peut y avoir destruction des parois alvéolaires et des travées des acini: la
granulation purulente prend alors le nom de vacuole. Toutefois ce pro -
cessus destructif ne paraît pas le plus commun et ne se voit guère que
dans la broncho-pneumonie qui passe à l'état subaigu. Les parois des
bronches sont envahies dans cette seconde période par une production de
leucocytes qui infiltrent les couches de la bronche, compriment ses élé-
ments et finissent par amener la destruction de l'anneau musculaire. Alors
la bronche se déforme et se dilate en refoulant autour d'elle les alvéoles
voisins, dont les parois, également envahies pnr l'infiltration embryon-
naire, se laissent ulcérer ou renforcent la bronche dilatée dont elles
semblent faire partie. S'il s'agit d'une bronchiole terminale, son extré-
mité ainsi dilatée présente la forme d'une ampoule à parois épaisses qui
se remplit de pus. Sur la coupe du poumon, ces dilatations apparaissent
sous forme de foyers purulents qui existent dans une partie d'un lobe ou
dans un lobe tout entier, souvent contigus et séparés seulement par des
travées d'épaisseur variable (abcès bronchiaux de Gairdncr). Un examen
attentif fait reconnaître que ces foyers sont formés par les bronches dila-
tées, dont les parois se sont souvent rompues de manière à former des
PNEUMONIE. HnONCIIO-PNEUMONIK. ANATOM1K PATHOLOGIQUE. 539
communications anormales. Au reste, les auteurs ont décrit sous ce nom
de vacuole des lésions très-différentes. Suivant les uns, comme nous ve-
nons de le voir, elle serait consécutive à la suppuration du lobule, au dé-
veloppement considérable de la granulation jaune (Barrier, Damaschino).
Suivant nous celte forme est rare : ebaque fois que nous avons voulu exa-
miner un foyer purulent dans la broncho-pneumonie, nous avons toujours
vu, à l'aide de la potasse et de la soude caustique qui détruisent les globu-
les blancs en respectant le squelette élastique de l'alvéole, que celui-ci
était intact, et que la foule purulente n'était qu'apparente. On conçoit
cependant à la rigueur ce mécanisme de la formation des vacuoles.
Nous nous rattachons pour notre part à l'opinion de ceux qui pensent
que les vacuoles sont dues à la dilataliondes bronches. Celles-ci forment à
leur extrémité terminale des ampoules, qui refoulent le tissu pulmo-
naire et viennent se mettre en contact avec la plèvre. Sur la coupe elles
ont l'aspect de cavités irrégulières, pleines de pus. Nous n'avons pas à re-
venir sur la description qui a été donnée déjà; nous voulons seulement si-
gnaler à propos des vacuoles périphériques i l'opinion de Hardy et Béhieret
de Léon Le Fort. Pénétrés de l'idée que le pus contenu dans le lobule pro-
venait des bronches, ces auteurs ont admis qu'il finissait par dilater le lo-
bule, par refouler les parois alvéolaires, puis de proche en proche les parois
de la bronche lobulaire elle-même, qui finissait par constituer la paroi
de la vacuole. À part ce mécanisme qui ne peut plus être admis aujour-
d'hui, ces auteurs avaient donc rattaché la vacuole à sa véritable cause,
la dilatation des bronches.
Enfin, d'après un autre mécanisme, la vacuole se formerait suivant
un processus aigu, se rapprochant un peu de celui qui préside à la for-
mation des bulles d'emphysème. La bronche acineusc enflammée, et
surtout les conduits alvéolaires cèdent à la pression des exsudais ou bien
se dilatent par suite de l'inflammation de leurs parois, qui deviennent
lisses; la même dilatation se produit en môme temps dans la cavité de
l'acinus qui est rapidement envahi par le pus. Ce mécanisme explique
évidemment d'une manière très-rationnelle la formation, d'ailleurs très-
rare, des vacuoles dans les cas aigus de courte durée. Il n'a pas encore
subi le contrôle de l'analyse histologique. Lcgendre et Bailly admettent
encore que la dilatation du lobule par le pus détermine la rupture des
vésicules. La vacuole n'est plus limitée que par la plèvre. On voit, en
résumé, que le nom de vacuole a élé donné à toute collection purulente
un peu abondante, formée dans les bronches dilatées, ou dans le paren-
chyme du lobule. Nous devons môme ajouter que leur description se
rapproche beaucoup de celle que les auteurs ont donnée des abcès de la
broncho-pneumonie. Ils n'établissent entre ces deux lésions qu'un seul
caractère différentiel, l'existence ou l'absence de communication avec les
bronches. Billiet et Barlhez n'admettent même pas cette différence : ils
ont vu les bronches tantôt contournant les abcès, tantôt s'ouvrant direc-
tement dans leur cavité. Ils emploient le nom de vacuole dans leur de-
scription des abcès qu'ils considèrent comme la môme lésion à des degrés
540 PNEUMONIE. — brokouo-pmedmohib. — anatomie pathologique.
dilïérents. Dans un cas d'abcès sous-pleural du volume d'un œuf de pi-
geon situé au milieu d'un tissu induré, et paraissant communiquer avec
une bronche, nous avons trouvé la cavité tapissée par une membrane
lisse et épaisse, que l'examen microscopique montra formée par du
tissu conjonclif fibrillairc. La plèvre épaissie, recouverte de fibrine était
immédiatement en contact avec la cavité. Les travées interlobulaires et
interacineuses voisines étaient très-épaissies. Le tissu pulmonaire montrait
les lésions de la pneumonie chronique, infiltration embryonnaire des
parois alvéolaires, dont les cavités étaient remplies de cellules en voie de
dégénérescence graisseuse et de cristaux d'acides gras. Ces cavernes d'ori-
gine inflammatoire sont très-rares. Barrier a vu dans deux cas les abcès
de la broncho-pneumonie s'ouvrir dans la plèvre et donner lieu au pijo-
pneumo thorax. Steffena vu aussi cette terminaison dans un casa la suite
de la rougeole. Nous avons déjà dit que ces diverses lésions s'observent
plutôt quand la broncho-pneumonie devient subaiguë. Cette forme suc-
cède tantôt à la broncho-pneumonie aiguë, de même que la broncho-pneu-
monie chronique, tantôt elle revêt ses caractères propres dès le début
de la maladie.
L'établissement de ces lésions à évolution lente est, suivant nous, un
des meilleurs arguments qu'on puisse opposer à ceux qui admettent, avec
Ziemssen, Bartels, Steiner, Roger, Wyss, etc., la caséificalion comme
mode de terminaison de la broncho-pneumonie. Cette caséification n'ap-
partient qu'aux broncho-pneumonies tuberculeuses. Elle débute aussi
dans le nodule péribronchique ; mais l'étude récente de ces broncho-
pneumonies tuberculeuses à marche rapide a démontré que le nodule
présente dès le début une constitution élémentaire spéciale, différente de
celle du nodule inflammatoire. Ce n'est plus une agglomération résultant
de la desquamation des cellules épithéliales, de l'exsudation de la fibrine
et des leucocytes; c'est une véritable néoplasie embryonnaire, dont les
éléments subissent une série d'évolutions régressives aboutissant à la dégé-
nérescence caséeuse [Voy. article Phthisie, tome XXVH, p. 252 et sui-
vantes). Suivant. Charcot, la caséification fait défaut même dans les pneu-
monies aiguës survenues chez les individus tuberculeux ou disposés à le
devenir; si la maladie se prolonge, elle aboutit à la cirrhose du poumon.
Un fait que nous avons observé à l'hôpital Sainte-Eugénie confirme bien
cette manière de voir : une petite fille de trois ans succomba dans le
service de Triboulet à une broncho-pneumonie datant de trois mois et
consécutive à la rougeole. A l'autopsie on trouva l'un des poumons car-
nisé, mais sans dégénérescence caséeuse, fait d'autant plus à noter qu'on
voyait des granulations tuberculeuses récentes à la surface des séreuses
et principalement de la plèvre (Thèse inaug., p. 75). Nous croyons ce-
pendant qu'il faut considérer comme rares, même ces tuberculoses
secondaires, indépendantes de l'évolution de la broncho-pneumonie.
H. Lésions concomitantes. — Nous rangeons sous cette dénomina-
tion diverses lésions d'inégale importance : quelques-unes sont étroite-
ment liées à l'évolution de la broncho-pneumonie, comme la congestion,
PNEUMONIE. DUOxNCUO-raEUMONIE. — anatomie pathologique. 541
qui existe déjà en tant qu'élément de l'inflammation broncho-pulmo-
naire. D'autres, moins constantes, doivent être considérées comme ac-
cessoires et comme consécutives; ce sont les congestions passives,
V œdème, Yétat fœtal, Y emphysème, qui résultent de la stagnation des
mucosités bronchiques et des troubles apportés dans le mécanisme de la
respiration. D'autres, enfin, n'offrent rien de spécial à la broncho-
pneumonie : ce sont les lésions de voisinage atteignant la plèvre et les
ganglions bronchiques et les lésions des organes.
Congestion pulmonaire. — La congestion occupe une grande place
dans les lésions de la broncho-pneumonie : nous l'avons vue inséparable
de deux des plus importantes, la splénisation et l'état fœtal. Ce n'est
guère qu'à l'occasion de ce dernier qu'elle se développe isolément et sans
lésion du lobule ; elle s'accompagne ailleurs de la desquamation épithé-
1 in le , et ce n'est que dans les parties périphériques du lobule qu'on peut
la rencontrer encore à l'état isolé. Nous l'avons trouvée plus constante
dans le système bronchique, où l'on voit nettement se dessiner à l'exa-
men microscopique la double couronne des vaisseaux, formée à la partie
externe par les gros troncs parallèles à la bronche, et à la partie interne
par les rameaux qui en émergent pour se rendre dans les replis de la
muqueuse bronchique. De même on observe dans certains cas l'injection
des vaisseaux alvéolaires périacineux et périlobulaires.
Ses causes sont très-nombreuses ; nous signalerons d'abord les poussées
congestives qui accompagnent le développement de la broncho-pneumo-
nie et qui modifient si fréquemment les signes fournis par l'exploration
physique. Ces congestions actives sont difficilement appréciables à l'au-
topsie; mais leur mobilité, si grande pendant la vie et dépendant sans
doute des troubles de l'innervation vaso-motrice, fait comprendre pourquoi
on ne la retrouve plus après la mort dans des points où elle avait dû
certainement se produire. La congestion siège surtout aux parties posté-
rieures des poumons, de même que les lésions inflammatoires ; nous ver-
rons que ce siège constant est en rapport avec le rôle important joué par
les influences mécaniques dans le développement de la broncho-
pneumonie. Cette congestion est donc, en grande partie, passive, et
subordonnée à l'hypostase. Il faut cependant tenir compte ici d'une
cause importante d'erreur fournie par la situation que l'on donne
habituellement aux cadavres, et par suite de laquelle les parties antérieu-
res du poumon se décongestionnent au profit des parties postérieures.
Une autre forme de congestion passive s'observe dansl'état fœtal, et est
causée par l'abaissement de la pression de l'air dans les alvéoles qui ré-
sulte de l'obturation bronchique.
L'œdème pulmonaire accompagne ces congestions à des degrés divers ;
l'exsudation séreuse distend les alvéoles et contribue à donner à la coupe
du poumon cette surface plane lisse, caractéristique de la splénisation. 11
est rare d'observer l'œdème à l'état isolé.
Etat fœtal. — Celte lésion, comme nous l'avons vu, se produit sur-
tout dans le système bronchique antérieur ; elle occupe aussi une place
542 PNEUMONIE. — hiionciio-p!sëumoj<ie. — anatomie pathologique.
importante dans les lésions du système postérieur; mais là elle se trouve
mélangée aux lésions inflammatoires. Elle a reçu aussi les noms de
carni/ication (Kufz, Hilliet et Bailliez), d'aleleclasie, de pneumonie mar-
ginale, de collapsus pulmonaire, d'apneumato sis. Le nom d'étal fœtal,
donné par Legendre et Bailly, a prévalu , comme exprimant le mieux les
analogies qui existent entre celte lésion et l'état du poumon chez les
fœtus qui n'ont pas encore respiré. La lésion peut être limitée à un seul
lobule ou bien elle peut en occuper plusieurs, s'étendre à la plus grande
partie d'un lobe, ou même à un lobe tout entier. Souvent le poumon du
côté opposé est affecté de la même manière symétriquement. Elle se
montre surtout sur les bords tranchants sans s'étendre beaucoup dans la
profondeur du poumon (pneumonie marginale de de la Berge). Les lo-
bules atteints sont exactement limités par les espaces interlobulaires et
sont fortement déprimés au-dessous du niveau général. La consistance
rappelle celle de la chair musculaire, d'où le nom de carnificatien. « Le
tissu privé d'air ne crépite plus à la pression. Il est charnu, compact,
mais souple, flasque, d'une pesanteur spécifique plus grande que celle de
l'eau, ce qui le fait plonger au fond de ce liquide. On dislingue très bien
à sa surface les interstices celluleux qui séparent les lohules. Sa couleur
est en général d'un rouge violet ; mais elle peut devenir noirâtre, quand
le sang qui l'engorge est en plus grande abondance. La coupe est lisse,
uniforme, nette. On distingue parfaitement la texture organique et les
différents éléments qui entrent dans la composition du tissu. Enfin, l'in-
sufflation fait pénétrer l'air dans toutes les vésicules et rend facilement à
l'organe ses caractères physiologiques. » Les bronches sont remplies par. Le
muco-pus ou parles fausses membranes. Tels sont les principaux traits de
la description que Legendre et Bailly ont donnée de cette lésion, descrip-
tion à laquelle on a peu ajouté et qui est restée classique. Laennec, An-
dral, Louis, Dugès, Bufz, etc., l'avaient signalée plus ou moins nettement,
sans en comprendre la nature.
Beux autres états du poumon, dont l'un peut se rencontrer dans la
broncho-pneumonie, doivent être immédiatement rapprochés de l'état
fœtal : c'est, d'une part, l'atélectasie des nouveau-nés, d'autre part, le col-
lapsus pulmonaire qui succède à la compression du poumon.
L'atélectasie des nouveau-nés, décrite en 1852 par Jœrg, peut être
comparée de tous points à la lésion qu'ont faiteonnaître Legendre et Bailly :
par ses caractères physiques, par sa nature, par ses causes mêmes, elle pré-
sente avec elle la plus grande analogie. C'est l'obstruction bronchique qui
la détermine également , mais le catarrhe bronchique n'agit ici, joint à la
(aiblcsse des mouvements du thorax, qu'en maintenant l'affaissement
des alvéoles pulmonaires qui existe avant la naissance. On peut, à l'aide
de l'insufflation, vaincre l'obstacle qui s'oppose à la respiration, produire
le déplissement des alvéoles cl, par conséquent, faire cesser l'atélectasie.
Celle-ci représente donc, en réalité, un état congénital dont la nécessité
de l'hématose fait une lésion au moment des premiers efforts respiratoires.
La compression des poumons, par un épanchement, par des tumeurs,
PNEUMONIE. — imoxcuo-PKBniiOMiB. — anatomie pathologique. 545
etc., amène aussi un état du poumon qui présente de grandes analogies avec
l'état fœtal. Elle détermine l'aplatissement des alvéoles, le resserrement
du parenchyme qui augmente de densité et de consistance. Mais là s'ar-
rêtent les analogies en ce qui concerne L'aspect extérieur : car la congestion,
si remarquable dans l'atélectasie des nouveau-nés et dans l'état fœtal,
manque habituellement dans le collapsus pulmonaire qui succède à la
compression. Le poumon peut conserver parfois une teinte rouge lorsque
la compression n'est pas très-forte ; sinon il est exsangue, sec, aminci,
souvent semblable à un morceau de cuir. Il y a cependant un caractère
qui rapproche le collapsus pulmonaire de l'état fœtal, et qui montre que
ces deux lésions ne diffèrent que par la congestion : c'est le rôle indifférent
qu'ils jouent par rapport aux inflammations du parenchyme pulmonaire.
Celles-ci ne paraissent nullement influencées dans leur marche dans les
cas de compression du poumon. Et quant à l'état fœtal, nous verrons plus
loin, à propos des discussions soulevées au sujet de la pathogénie des
lésions broncho-pneumoniques, qu'il doit être considéré comme restant
sans influence marquée sur leur développement.
L'analyse histologique donne ici fort peu de résultats, l'état fœtal n'é-
tant qu'un simple affaissement du poumon. Le microscope montre les
bronches obstruées par des leucocytes, tandis que leurs parois sont éga-
lement infiltrées par les mêmes éléments. Les alvéoles présentent habi-
tuellement un tassement remarquable, surtout au-dessous de la plèvre, où
il est maintenu et exagéré par la rétraction de cette membrane. Les vais-
seaux des parois alvéolaires sont distendus par le sang ; on ne trouve dans
les alvéoles que quelques cellules épithéliales déformées et parfois quelques
leucocytes. Il y a certain degré d'œdème ; on a trouvé dans plusieurs cas
des exsudais albumineux tantôt dans les alvéoles, tantôt sous la plèvre
et dans le tissu conjonctif périlobulairc (Gombault, Balzer). Dans les al-
véoles, Kôestcra vu les cellules de revêtement modiliées de façon à prendre
la forme cubique, altération qu'il explique par la compression que les cel-
lules subissent par suite du tassement qui déforme le proloplasma et le
fait refluer vers le centre. Il faut noter aussi l'état des espaces lymphati-
ques périlobulaires et périacincux, qu'on trouve presque toujours dilatés
et remplis de leucocytes. Cet état s'explique d'ailleurs par les lésions in-
flammatoires des bronches lobulaires acineuses, dont les gaines lymphati-
ques présentent les mûmes lésions.
Comme on le voit, l'état fœlal diffère notablement de la splénisation.
En réalité, il n'y a pas d'altération du parenchyme pulmonaire dans l'état
fœtal. Dans la splénisation, l'accumulation des cellules épithéliales et des
leucocytes, la congestion, se produisent en vertu d'un processus réelle-
ment actif : elles sont dues à l'irritation propagée dans toute l'étendue
de l'arbre bronchique, et qui gagne les alvéoles; l'état fœtal, au contraire,
est une lésion passive, qui se développe sous des influences mécaniques,
nettement démontrées par l'expérimentation, et auxquelles sont liés
l'affaissement pulmonaire, la congestion, et les légères altérations alvéo-
laires que nous avons décrites.
544 PNEUMONIE. BRONCIIO-rNEUMOME. ANATOMIE PATHOLOGIQUE.
Ce sont ces influences d'ordres divers que nous devons maintenant étudier,
ainsi que leur mode d'action. Le principal l'acteur, qui, à lui seul, déter-
mine la production de l'état fœtal, c'est l'obslruclion bronchique;
1'inllammation de la bronche, la production d'un bouchon formé par
les produits inflammatoires, sont les conditions nécessaires du déve-
loppement de l'état fœtal. Ce fait a été d'ailleurs démontré par l'expéri-
mentation, qui a prouvé que le collapsus pulmonaire succède à
l'oblitération des bronches par des corps étrangers (boulettes de sub-
stances diverses). Mendelssohn et Traubc ont ainsi montré l'impor-
tance capitale de l'obstruction bronchique et amoindri le rôle des autres
éléments pathogéniques sur le jeu desquels est basée la théorie de
Gairdner. Cet auteur a le premier expliqué l'état lœtal par l'altération
des bronebes, mais il a invoqué de plus le concours d'un autre facteur im-
portant. Les forces expiratrices l'emportent d'un tiers environ sur les forces
inspiratrices (Mendelssohn, Hutchinson). L'inspiration refoule les muco-
sités bronebiques ; celles-ci forment un bouchon qui, repoussé dans des
conduits de plus en plus étroits, en amène bientôt l'obturation complète.
L'expiration, au contraire, déplace le bouchon de façon à permettre le
passage de l'air inspiré. Sa sortie est facilitée encore par les efforts de toux,
et peu à peu les alvéoles reviennent sur eux-mêmes, l'air étant expulsé
et non remplacé.
La théorie de Gairdner a été acceptée par tous les auteurs ; des réserves
ont été faites cependant au sujet de la manière dont le poumon se vide
d'air derrière le bouchon. Les déplacements successifs de celui-ci à cha-
que mouvement respiratoire sont difficiles à admettre, et on a pensé
qu'une fois l'obturation produite l'air emprisonné pourrait bien être
absorbé par le poumon (Vircbow, Fuchs). Nous avons admis (th. de doc-
torat, p. 45) que l'expulsion de l'air contenu dans l'arbre bronchique
devait être progressive comme la réplétion de celui-ci par les produits in-
flammatoires. A mesure que ceux-ci deviennent plus abondants, l'air se
raréfie dans le lobule, dont les alvéoles ne tardent pas à s'affaisser.
Cette marche est évident surtout dans la diphtbérie bronchique, où les
mouvements respiratoires sont évidemment sans influence, à cause de
l'immobilité des fausses membranes ; le vide se produit dans les alvéoles, à
mesure que celles-ci s'épaississent, ou progressent dans les ramifications
bronchiques.
Dans les faits cliniques, il faut aussi tenir compte des troubles de la
mécanique respiratoire, et l'on peut, sous ce rapport, rapprocher l'atélec-
tasie de la broncho-pneumonie de celle des nouveau-nés ; elle se produit
chez ceux-ci parce que le jeu des mouvements thoraciques n'est pas assez
puissant pour arriver à obtenir le déplissement des alvéoles pulmonaires.
L'enfant atteint de broncho-pneumonie se trouve placé dans des conditions
un peu analogues; chez lui, le jeu du thorax est exagéré, mais il ne s'ef-
fectue qu'au bénéfice des mouvements d'inspiration; en réalité, l'amplitude
des mouvements thoraciques est diminuée, et leur action est insuffisante,
malgré leur apparente énergie. La paralysie des muscles trachco-bronchi-
PNEUMONIE. — DHOJiCHO-PNEUMO.ME. — ANA.TOMIE PATHOLOGIQUE. 5 15
mies, la présence des produits inflammatoires à la surface des bronches,
contribuent encore à rendre moins active la circulation de l'air dans
le poumon. L'inlliicnce de ces causes secondaires est encore favorisée par
les conditions spéciales dans lesquelles s'effectue normalement la respira-
tion chez l'enfant. Suivant Bartels, les côtes et les cartilages costaux, plus
flexibles à cet âge, se dépriment au moment de l'inspiration, surtout quand
il y a dyspnée. Au-dessous de la cinquième côte, la partie inférieure du
sternum et les cartilages costaux cèdent, et la base du thorax se rétrécit.
A cette dilatation partielle de la poitrine correspond une dilatation par-
tielle du poumon, dont la partie supérieure seule peut prendre de l'ex-
tension. En conséquence, l'inaction relative des parties postérieures et
inférieures favorise l'affaissement pulmonaire et concourt aux effets de
l'obstruction bronchique.
Les éléments divers que nous venons de signaler ne jouent qu'un rôle
secondaire dans la pathogénie de l'état fœtal ; c'est, comme nous l'avons
dit, l'obturation bronchique qui en est le facteur indispensable, et les
autres causes ne font qu'en favoriser le développement et le mode d'ac-
tion. Cependant, à propos de l'étude des phénomènes consécutifs à l'ob-
turation bronchique, nous devons signaler l'opinion admise par Rilliet et
Barthez, soutenue plus récemment par Damaschino, et en vertu de la-
quelle on a voulu expliquer la production de certaines atélcctasies par la
congestion pulmonaire. Celle-ci, en se répétant, rétrécirait peu à peu
les cavités alvéolaires et finirait par en chasser l'air en amenant l'acco-
lement de leurs parois. Nous ferons remarquer, tout d'abord, qu'en l'ab-
sence d'obstruction bronchique l'état fœtal ne se produit pas dans les
congestions simples, si intenses qu'elles soient. Malgré les expériences in-
voquées à l'appui, cette théorie n'est rien moins que démontrée ; de plus,
il faut remarquer qu'elle s'adresse aux lésions des parties déclives, dans
lesquelles il est le plus difficile de déterminer la part qui doit être attri-
buée à l'atélectasie, à l'hypostase et à la splénisation. Malgré les analogies
que présente l'aspect extérieur, l'état fœtal pur est rare à la partie
; postérieure des poumons; pour notre part, nous avons toujours vu que
les lésions qui le simulaient devaient être rapportées à la splénisation.
Parmi les phénomènes qui accompagnent l'obturation bronchique, la
■ congestion pulmonaire doit donc être considérée comme effet et non
comme cause. Très-marquée surtout lorsque l'atélectasie est très-étendue,
i elle masque le retrait du parenchyme pulmonaire consécutif ci l'affaisse-
i ment des alvéoles, et s'oppose ainsi, dans une certaine mesure, à l'amoin-
drissement du poumon. Puissamment attiré dans la poitrine par le
vide qui résulte de l'affaissement des alvéoles, le sang vient distendre
I les vaisseaux et prendre la place de l'air expulsé. Cet afflux sanguin est
4'autant plus énergique, que la cavité thoracique a atteint son maximum
d'ampliation.
Cette congestion atteint son maximum d'intensité dans les cas d'até-
I lectasie lobaire qui peuvent s'observer dans la diphthérie. Lorsque l'até-
ectasie ne porte que sur quelques lobules marginaux, les parties affais-
NOUY. DICT. M ÉD. ET CHIR. XXVIII — 33
546 PNEUMONIE. — buonciio-i'kkumome. — anatomie I'athologiquf.
sces présentent simplement une coloration lie de vin ; le retrait du
poumon est alors beaucoup plus marqué, les deux feuillets opposés de
l'enveloppe pleurale du lobule semblent en contact. Souvent, dans ces cas,
l'cmpliysème des^ lobules voisins comble en partie le vide causé par l'af-
faissement du poumon. Si donc nous revenons à la comparaison rpie
nous faisions plus baut entre le collapsus pulmonaire, l'atéleclasie des
nouveau-nés et l'état fœtal, nous voyons qu'il y a analogie à peu près
complète entre ces deux derniers états.. Le collapsus seul ne se produit
pas. par un retrait en quelque sorte spontané du poumon, mais parce
qu'un épanebament ou une cause de compression quelconque vient aplatir
les alvéoles et déterminer leur accotement, le poumon est dès lors Le plus
souvent anémié. Mais qu'on vienne à le décomprimer subitement à l'aida
d'une tboraceiitèsc, par exemple, si Pair ne vient pas remplir prompte!
ment les alvéoles, on verra aussitôt se produire un appel considérable de
sang dans les parties décomprimées. L'analogie du phénomène est ici
complète, avac cette différence que cette congestion trop soudaine, trop
étendue, amène parfois des désordres plus considérables. Au lieu d'une lé-
gère exsudation albuinineuse occupant qxielques alvéoles, il se produit une
diffusion énorme d'e liquide aibumineux qui remplit bientôt les bronches
et s'élimine par l'expectoration. C'est par ces congestions brusques qu'on
ai expliqué la syncope et la mort subite qui arrivent dans quelques cas
après la thoracenlèse. Chez l'enfant, lorsque le contenu bronchique
obture tout à coup une grosse bronche, les troubles subits de l'hématose
et de. la circulation qui en résultent peuvent être suivis des mêmes acci-
dents. Hutinel nous a dit avoir observé plusieurs fois ces morts subites
chez les nouveau-nés.
Pour terminer l'élude de l'état fœtal; il nous reste à examiner le rôle
de cette lésion dans l'évolution de la broncho-pneumonie. Pour Legendrc
et Bailly, son importance est prépondérante : s'ils n'osent pas encore
rejeter tout à fait' la pneumonie lobulaire, l'état fœtal n'en est pas moins
pour eux presque toute la broncho-pneumonie, et ils tendent ainsi à sup-
primer celle-ci en donnant le pas à l'élément mécanique sur l'élément in-
flammatoire. Gairdner,. Béhicr, adoptent les mêmes opinions etles exagè-
rent encore. Ziemssen et IWtcls, adoptant une opinion mixte, ten-
dent à établir une filiation directe entre l'atéleclasie et la broncho-pneu-
monie. Celle-ci ne serait que le second degré d'un processus qui aurait
débuté par l'état fœtal, lequel cesserait, par conséquent, d'être une lé-
sion purement mécanique et rentrerait dans le cadre des inflammations.
Pbur. eux, tout dépend de l'obturation bronchique ; à celle-ci sucecdë
la congestion du lobule, puis consécutivement son inflammation, l'état
fœtal' remplaçant en quelque sorte l'engouement pulmonaire. Mais \1
faut remarquer que la marche de la pneumonie dans le lobule est m
contradiction avec cette manière de voir. D'abord la pnouiuonio est
loin d'atteindre toutes les parties du lobule atélectasié; le plus souvent,
elle se localise autour de La bronche; elle offre des caractères différents
suivant qu'on examine le centre ou la périphérie du lobule, ce n'est point
PNEUMONIE. BRONCHO-PNEUMONIE. ANATOMIE PATHOLOGIQUE. 547
une hépatisation compacte, uniforme, comparable dans le lobule à celle
qui succède dans le lobe à l'engouement de la pneumonie franche.
La théorie de Ziemssen et Bartels est ruinée par ce seul examen des lé-
sions de la pneumonie lobulaire : elles sont circonscrites, elles suivent le
trajet des bronches, elles ne diffusent dans le lobule entier que dans des
conditions déterminées par l'envahissement progressif des bronchioles. En
un mot, l' inflammation du lobule se comporte au milieu des parties até-
lectasiécs comme dans les autres régions du poumon. L'état fœtal ne se
révèle alors que par la congestion, par un certain degré de tassement du
tissu, quelquefois par sa persistance à l'état isolé dans les parties voisines.
En somme, si son rôle est un peu effacé dans l'évolution générale de
la broncho-pneumonie proprement dite, il constitue cependant une des
lésions accessoires les plus graves. Il est funeste en supprimant l'accès de
l'air dans des portions souvent très-étendues du poumon. Il concourt
ainsi au développement rapide de l'asphyxie, en rétrécissant plus ou
moins brusquement le ebamp de l'hématose.
Quant à sa terminaison ultérieure, elle peut varier de deux façons diffé-
rentes : 1° l'inflammation progresse dans les bronches et envahit les
régions affaissées, la broncho-pneumonie se substitue à l'état fœtal; 2° la
restitutio ad integrum s'opère, vraisemblablement de la même manière
que dans l'atélcctasie des nouveau-nés parla désobstruction des bronches,
et la libre rentrée de l'air qui vient remplir les alvéoles et les déconges-
tionner.
Emphysème. — A côté de l'état fœtal, la lésion mécanique la plus
importante est l'emphysème, lequel est môme beaucoup plus fréquent
que l'étal fœtal, car sa présence est la règle dans toutes les autopsies. II
s'observe sous plusieurs formes isolées ou réunies, et dont la pathogénie
semble aujourd'hui élucidée. On trouve d'abord l'emphysème vésiculaire
simple, caractérisé par une distension générale du poumon ressemblant
à une espèce de vessie insufflée qui conserve son aspect à l'ouverture de
la poitrine. Le poumon a perdu son élasticité, il présente une couleur
gris rosé, avec la légèreté et la mollesse caractéristiques. Comme nous
l'avons dit, cette lésion, ainsi que l'état fœtal, siège surtout aux lobes
supérieurs et aux bords antérieurs. Elle succède évidemment à la dypsnée,
aux efforts violents et répétés qui accompagnent la respiration. La disten-
sion est d'autant plus marquée que les lésions broncho-pneumoniques
occupent une plus grande étendue du parenchyme. La pression de l'air
s'exerçant sur une plus petite surface tend nécessairement à l'agrandir,
cl la dilatation des acini se trouve bientôt constituée. L'emphysème peut
alors être dit supplémentaire, mais ce qualificatif ne doit viser que l'aug-
mentation de la surface et la capacité des alvéoles, sans faire sous-entendre
«ne amélioration de l'hématose, car il est loin d'être prouvé que le pou-
mon ainsi dilaté respire mieux que dans son expansion normale.
Un autre emphysème vésiculaire beaucoup moins étendu s'observe aussi
autour des noyaux de pneumonie lobulaire et des lobules atélectasiés. Il
n'est pas rare surtout dans ces derniers cas de voir les lobules malades
548 PNEUMONIE. — broncho-pneumonie. _ anatomie pathologique.
surmontés par une couronne de vésicules pulmonaires semblables à de
petites bulles prêtes à se rompre. Le mode de formation de cet emphy-
sème circonscrit s'explique par le mécanisme que nous avons indiqué, et
de plus par la nécessité de combler le vide causé par l'affaissement des
lobules (Gairdner).
Très-souvent ces deux variétés d'emphysème s'accompagnent encore de
l'emphysème interlobulaire. De grosses bulles soulèvent la plèvre viscé-
rale, écartent les lobules et dissèquent ainsi le poumon dans une assez
grande étendue. Elles forment le plus souvent des traînées qui, partant
des bords antérieurs, où elles sont le plus larges, vont se terminer en
s'amincissant vers la partie externe du poumon. Elles présentent parfois
plus d'un centimètre de largeur, et peuvent s'étendre en profondeur
d'une surface d'un poumon à l'autre. L'écartement des lobules est surtout
marqué aux points où ces traînées emphysémateuses forment des con-
fluents. Des vaisseaux et des tractus de tissu conjonctif sillonnent la
plèvre soulevée en donnant une apparence de bulles de savon agglomérées.
On peut suivre quelquefois des traînées de petites bulles qui aboutissent
à une couronne de vésicules dilatées circonscrivant un lobule atélectasié
ou hépatisé. Cet emphysème interlobulaire s'observe dans toutes les
broncho-pneumonies, mais surtout dans celles qui succèdent à la
dipbthérie des voies aériennes dont elles dépendent beaucoup plus que
des lésions pulmonaires.
Lorsque la guérison a lieu, il est probable que la distension des alvéoles
cède assez rapidement et que le poumon reprend son volume normal.
On peut supposer aussi que dans les cas heureux elles n'atteignent pas
ces proportions énormes et que l'élasticité du tissu pulmonaire n'est pas
complètement détruite.
Mais dans le cas contraire, si l'on songe à la ténacité si remarquable
des lésions broncho-pneumoniques, on trouverait sans doute, en observant
les malades pendant un certain temps, des traces de cette distension
excessive. Les travaux micrographiques les plus récents sur l'emphysème
démontrent l'existence de lésions assez profondes pour qu'on puisse sup-
poser que leur réparation s'effectue avec difficulté.
Pleurésie. — Du côté de la plèvre, les lésions sont peu intenses, à moins
de complication spéciale, et les épanchements abondants sont rares, l'emphy-
sème est exceptionnel. Dans les broncho-pneumonies étendues ou de date
ancienne, la plèvre se recouvre de fausses membranes épaisses, fibrinô-
purulentes, qui peuvent envelopper une grande partie du poumon tout en
s'étendant sur la plèvre pariétale. Le plus souvent on ne trouve les traces
d'une inflammation qu'au niveau des points où le poumon est lui-même
phlegmasié. La fausse membrane est très-ténue, se détache avec facilité,
souvent tout se borne à un léger dépolissement de la plèvre. Cello-C)
cependant peut être atteinte assez profondément dans ces cas légers. La
phlegmasié est peu intense dans la couche la plus superficielle de la
plèvre, mais le tissu conjonctif sous-pleural qui se continue directement
avec les travées périlobulaircs et périacineuses et forme avec elles l'enve
PNEUMONIE. BHONCHO-Pi\EU510iNIE. ANATOMIE PATHOLOGIQUE. 549
loppo conjonctive du lobule participe aux mêmes altérations, congestion
des vaisseaux, exsudats fibrino-purulents dans le tissu conjonctif et surtout
dans les vaisseaux lymphatiques. Consécutivement, la couche la plus
superficielle de la plèvre s'altère, son épithélium disparaît, une exsuda-
tion de fibrine et de globules blancs se produit à sa surface et dans son
épaisseur.
Adénopalhie trachéo-bronchique. — Les lésions des ganglions bron-
chiques sont très-variables ; tantôt elles sont caractérisées par une simple
congestion, tantôt par une augmentation de volume assez considérable.
La suppuration peut être considérée comme assez rare. On a dit aussi
que ces lésions des ganglions bronchiques pouvaient persister et devenir
le point de départ d'adénopathies à marche chronique.
Sang. — Organes. — Les altérations du sang dans la broncho-pneu-
monie sont admises par la plupart des auteurs, mais elles ont été peu
étudiées à l'aide des méthodes scientifiques nouvelles. Les plus constantes
relèvent de l'asphyxie. D'autres sont en rapport avec les causes premières
de la maladie et paraissent jouer un rôle important dans la production des
hémorrhagies. C'est dans la rougeole et surtout dans la diphthéric qu'on
peut le mieux reconnaître leur influence.
A l'autopsie des sujets morts de broncho-pneumonie, on trouve en
outre le cœur et principalement le cœur droit et les gros troncs veineux
distendus tantôt par des caillots, tantôt par un sang noir et liquide. Il est
fréquent d'observer dans le cœur droit des caillots blancs, polypiformes,
très-adhérents, qui se continuent parfois très-loin dans l'artère pulmo-
naire. Le foie, la rate, les reins, les méninges et le cerveau, sont con-
gestionnés.
Mais à part cette congestion qui résulte de l'asphyxie, les lésions qu'on
peut rencontrer dans les organes (péricardites, otites, méningites, etc..)
ne sont point habituellement sous la dépendance de la broncho-pneu-
monie. Elles sont plus souvent consécutives à la rougeole, à la coque-
luche, à la diphthérie, etc., qui ont précédé leur développement. Il est
cependant assez fréquent de la voir s'accompagner d'entérite pour qu'on
puisse considérer cette complication comme liée à son évolution ordinaire.
Complications. — Outre les abcès, la tuberculose pulmonaire, la
pleurésie, l'entérite, l'entéro-colitc, que nous avons déjà signalés, il nous
reste à étudier deux complications spéciales importantes : la gangrène
pulmonaire et les hémorrhagies pulmonaires.
La gangrène pulmonaire est rare chez l'enfant, elle est toujours secon-
daire, et la broncho-pneumonie est considérée comme une de ses causes les
plus fréquentes (Boudet, Rilliet et Barthez, Barrier, Damaschino, Steiner).
C'est dans la rougeole et dans la fièvre typhoïde qu'elle se développe le
plus fréquemment. Suivant Rilliet et Barthez et Steiner, les foyers sont
plus souvent centraux que périphériques ; nous avons pu vérifier cette
assertion dans un cas qui nous a été communiqué par Carrié, alors
interne de Bergeron. La gangrène s'était déclarée à la suite d'un
noma développé chez une petite fille convalescente de rougeole. Dans la
550 PNL\UMOi\IK. — iuiokciio-pnkumù.me. — asatouie pathologique.
majorité des cas, les choses se passent ainsi; plus rarement Ja bronrho-
pneumonie se complique spontanément de gangrène. Hillict et Barthez,
Dainasehino, en ont signalé cependant des cas à la suite de la rougeole.
Boudct pense qu'il faut incriminer les causes générales, l'affaiblissement,
l'altération du sang, etc. C'est, en effet, à la suite de la rougeole et de la
lièvre typhoïde que la broncho-pneumonie se complique ordinairement de
gangrène. Mais il faut remarquer, et les observations de Boudet à cet égard
sont bien démonslratives, que la gangrène pulmonaire est souvent consé-
cutive à une autre gangrène soit de la bouche, soit du pharynx. Des dé-
tritus gangreneux sont entraînés par la respiration dans les voies aérien-
nes et vont déterminer la production de nouveaux foyers de sphacèle au
centre des noyaux de broncho-pneumonie. La gangrène se présente alors
sous l'aspect de zones verdàtres ou noirâtres, enlournant les bronches
dilatées. A un degré plus avancé, il peut se former dans le voisinage des
foyers de suppuration, et plus lard une excavation gangreneuse (Rilliet
et Barthez, Wyss). La rupture de la plèvre et la formation d'un pyopneu-
mo-thorax ont été observées. 11 n'est pas rare de •voir des foyers hémorrha-
giques dans le voisinage des lobules sphacélés. 11 faut ajouter que la
gangrène peut compliquer également la broncho-pneumonie chez le nou-
veau-né et chez le vieillard.
Les liémorrhagies pulmonaires sont assez fréquentes dans la broncho-
pneumonie, et surtout dans celle qui complique la diphthérie laryngo-
bronchique. Millard, Peter, les ont signalées ; Bouchut et Labadie
Lagrave les ont rattachées aux apoplexies pulmonaires d'origine emboli-
que, en les considérant comme causées par l'endocardite diphtliérilique.
Sanné les a observées dix-huit fois et les attribue à l'asphyxie et à l'infection ,
celle-ci étant admise à titre de cause prédisposante et favorisant les
liémorrhagies dans le poumon, au même titre que dans les autres parties
de l'organisme, parles modifications de la composition du sang. Nous en
avons signalé neuf cas dans notre travail sur les liémorrhagies pulmonaires
dans la broncho-pneumonie (Bull, delà Soc. an., 1878, p. 269). Parrot
signale 50 cas d'hémorrhagies sous-pleurales dans la rougeole, 14 dans
la diphthérie, 0 dans la syphilis héréditaire. Ces liémorrhagies siègent
presque toujours aux parties postérieures et inférieures des poumons,
où les noyaux recouverts par la plèvre ont l'aspect d'une masse noire et
indurée. Leur nombre est variable ; on peut n'en trouver qu'un seul,
mais quelquefois le parenchyme pulmonaire en est, pour ainsi dire,
criblé. Tantôt les noyaux hémorrhagiques sont bien limités et simulent
tout à fait l'infarctus d'origine embolique ; tantôt le sang se répand
dans les lobules voisins d'une manière irrégulière (apoplexies lobulaires
corticales). Sur la coupe des noyaux, on distingue fréquemment des
traînées grisâtres qui se détachent sur le fond noir de répanchcmeiH
sanguin. Dans ces foyers hémorrhagiques, l'examen hislologique montre
une disposition toute spéciale du sang épanché ; il circonscrit les nodules
péribronchiques, les déforme, sans jamais les pénétrer entièrement. Au
contraire, il se répand à la périphérie, dans la zone de splénisation, et
PNEUMONIE. BïlOÎJr.HO-PNEUMOME. — ANATOMIE PATHOLOGIQUE. 551
pénètre parfois jusque dans les espaces lymphatiques quelquefois remplis
de globules sanguins. Ainsi le nodule péribronchique ret par suite la
bronche ne sont pas envahis par le sang, fait qui établit une différence
importante entre ces hérnorrhagies et celles qui succèdent aux embolies.
Il en résulte que ces hérnorrhagies, malgré leur étendue parfois assez
considérable, ne se traduisent par aucun phénomène appréciable. Sanné
n'a jamais constaté d'autres symptômes que la dyspnée et les râles de.
la broncho pneumonie; il n'y a jamais d'expectoration sanguinolente.
Cette forme d'hémorrhagic est la plus importante, mais non la plus
commune : les petits foyers sous-pleuraux s'observent, pour ainsi dire,
dans tous les cas de broncho-pneumonie aiguë, ils sont produits tantôt
par la rupture des vaisseaux propres de la plèvre, tantôt par celle des
alvéoles voisins. Le sang se répand sous la plèvre, en dissociant lé tissu
conjonctivo-élastique, et forme ainsi des amas ordinairement peu étendus.
Ajoutons enfin que bon /nombre d'hémorrhagies intra-pulmonaires peu
étendues passent inaperçues aux autopsies; il est souvent très-difficile de
distinguer un noyau très-congestionné de pneumonie-lobulaire d'un foyer
apoplectique. L'examen microscopique révèle souvent l'existence de petits
épanchements qui avaient passé inaperçus à l'examen microscopique. La
pathogénie des 'hérnorrhagies en foyer nous parait liée à l'évolution même
de la broncho-pneumonie. Comme nous l'avons vu, la bronche et les
canaux alvéolaires sont obstrues par les produits inflammatoires ; il seipro-
duit une congestion très-vive des parties splénisées, résultat de l'absence
d'air dans les alvéoles. Dans les'broncho-pneumonies catarrhales, dans la
rougeole, ces congestions sontsouvent assez intenses pour causer à elles
seules Lhémorrhagie. Celle-ci se produit encore d'une façon plus sûre et
plus fréquente dans les hroncho-pneumonies diphlliéritiques, où la lésion
pulmonaire présente une plus grande gravité, non-sculomcnt à cause des
efforts que nécessite la gêne respiratoire, mais aussi à cause des modifi-
cations du sang qui succèdent à l'infection générale. Il faut ajouter à cela
l'influence prépondérante de l'hypostase démontrée par ce fait que les
hérnorrhagies se font presque toujours dans le système bronchique posté-
rieur. Que deviennent ces foyers hémorrhagiques? Si le malade survit
quelque temps à la production de cet accident, l'inflammation lobulaire
oonlinuc son évolution, le nodule péribronchique s'accroît, le centre du
noyau devient grisâtre, purulent, comme l'ont observé Bouchut, d'Espine
et Picot. Cet état qu'ils ont attribué ù la suppuration du foyer n'est que la
suite de l'évolution ordinaire du nodule péribronchique. C'est le seul mode
de terminaison que nous connaissions pour ces foyers hémorrhagiques;
ils se développent toujours dans des circonstances tellement gravesqu'on
ne peut avoir l'occasion de savoir les transformations régressives qu'ils
peuvent suhir, mais qu'on est en droit de croire semblables à celles qui
s observent dans les autres hérnorrhagies pulmonaires.
Formes de la broncho-pneumonie . — Nous avons déjà vu que la bron-
cho-pneumonie reçoit des appellations spéciales en rapport avec le siège,
le nombre, la composition élémentaire dos noyaux de pneumonie (lobulaire,
552 PNEUMONIE. — wionciio-pneujionie- — anatomie pathologique.
disséminée, tabulaire généralisée, pscndo-lohaire). Certaines lésions
peuvent prédominer dans les formes aiguës : ainsi la congestion pulmo-
naire et la bronchite tiennent la plus grande place dans les cas qui cor-
respondent au type désigné par les auteurs sous le nom de catarrhe suf-
focant et bronchite capillaire.
Dans d'autres cas, ce sont les lésions du tissu conjonclif et surtout
celles des lymphatiques qui sont exagérées au point que les lobules sont
séparés par de larges lignes d'un blanc verdàlre ou gélatiniforme (Kind-
lleisch). Les lobules présentent diverses lésions: ils sont rouges, jaunes,
quelquefois légèrement granuleux; les alvéoles peuvent être remplis de
fibrine (Charcot). On est surtout frappé de la présence de longs filaments
blanchâtres que l'on peut extraire des travées conjonctives interlobulaires
et qui sont constitués par de la fibrine et des globules blancs. Au reste,
l'accumulation de ces éléments se produit en même temps dans le tissu
conjonctif au milieu duquel sont plongés les lymphatiques. Un exemple
remarquable de cette lésion est figuré dans l'atlas de Lebert; Charcot
en cite un autre cas, observé par Hanoi dans le service de Lasègue, chez
un malade atteint de fièvre typhoïde. Cette maladie paraît favoriser
tout spécialement le développement de cette forme de broncho-pneumonie
qui paraît appartenir habituellementau groupe pseudo-lobairc. Quelquefois
une véritable suppuration interlobulaire se produit. Cette forme a été
décrite sous les divers noms de pneumonie ulcéreuse, nécrose ou gan-
grène sèche du poumon, pneumonie disséquante (Lebert, Rayer, Gri-
solle). Plusieurs cas en ont été publiés par Stokes, Hodgkin, Rokitansky.
Cette pneumonie disséquante ressemble par beaucoup de traits à la pneu-
monie épizootique du gros bétail, dans laquelle il est fréquent de voir
aussi les lobules disséqués flottants dans le pus. 11 faut reconnaître cepen-
dant que parmi les faits qui ont été cités tous ne peuvent pas être ratta-
chés à la broncho-pneumonie. Quelquefois, en effet, ces pneumonies dissé-
quantes se produisent autour de foyers caséeux, d'ilôts de pneumonie
interstitielle chronique, d'infarctus ou de noyaux de gangrène circonscrite.
Dans d'aulres cas l'évolution insidieuse des accidents et les caractères des
altérations anatomiques autorisent à conclure plutôt à une broncho-pneu-
monie (Obs. de Pitres, in thèse de Massonnié, 1876). Us s'observent
le plus habiluellement chez les individus âgés, débilités par l'alcoolisme,
par des travaux excessifs ou des maladies chroniques. Le diagnostic est
toujours fort obscur et le pronostic très-grave.
La marche de la broncho-pneumonie modilie d'une manière bien autre-
ment importante le développement des lésions. Nous les avons étudiées
dans la broncho-pneumonie aiguë où elles sont surtout caractérisées par
l'exsudation et par l'irritation épithéliale. Dans la forme subaiguë, l'exsuda-
tion est remplacée par l'infiltration de cellules embryonnaires qui aiuèufc
des lésions destructives, la dilatation des bronches, les vacuoles, etc. Les
lésions du parenchyme tabulaire sont également modifiées, le tissu
s'indure, change de coloration, prend l'aspect désigné sous le nom de
carnisation, à cause de son analogie avec la chair musculaire. Enfin, lorsque
PNEUMONIE. — BnoNcuo-PNEUMOiME. — axatojiie pathologique. 553
la maladie passe à l'état chronique, la sclérose s'établit et aboutit à la
rélraction cicatricielle et à l'atrophie du poumon.
Nous insistons plus loin à propos de l'étude des causes sur la manière
dont elles peuvent modifier la forme et la marche de la broncho-pneumo-
nie. Après l'avoir envisagée d'une façon plus spéciale chez l'enfant, il
nous reste à étudier ici les aspects qu'elle présente aux autres âges: chez
le nouveau-né, l'adulte et le vieillard.
Les auteurs sont en désaccord au sujet de la pneumonie des nouveau-
nés. Billard la considérait comme lobulaire et Bouchut a émis la
même opinion. Au contraire, Dugès, Barrier, Trousseau, Valleix,
décrivent une pneumonie lobaire. Mais il faut reconnaître que celte
interprétation ne résulte pas des caractères qu'ils ont attribués à cette
pneumonie. C'est ainsi que Valleix dit que Y aspect du tissu n'est pas
granulé; il est lisse, ressemble à du marbre poli, présente une couleur
lie de vin, est peu friable. Sur 128 cas qu'il a observés, la pneumonie
était double 111 fois, 20 fois seulement au sommet ; dans les autres cas,
les foyers étaient disséminés dans toute l'étendue des poumons. Ne sont-
ce pas là les principaux caractères de la broncho-pneumonie? Elle revêt
le plus souvent la forme pseudo-lobaire et s'accompagne très-fréquem-
ment d'atélectasie, bien décrite chez les nouveau-nés par Dugès. Sur
65 enfants âgés de moins d'un an, Steffen a constaté que la pneu-
monie affecte ordinairement la forme d'une bande (Streifenpneu-
monie), indurée et congestionnée, qui occupe la face postérieure des pou-
mons, tantôt seulement dans le lobe inférieur, tantôt depuis le sommet
jusqu'à la base. Cette pneumonie s'accompagne de bronchite et de péri-
bronchite, d'atélectasie, d'emphysème, de lésions intestitielles qui
ont abouti à la cirrhose dans quelques cas rares. D'après Parrot,
que nous avons consulté sur ce sujet , bon nombre de cas diffèrent de la
broncho-pneumonie et de la pneumonie ordinaires, par leur marche
rapide, par leur tendance aux hémorrhagies, à la formation de foyers de
suppuration et de ramollissement dans le poumon. D'autres cas sont
mal caractérisés à cause de leur mélange avec les lésions de la tubercu-
lose et même de la syphilis congénitale qui intervient assez fréquem-
ment (Steffen, 7 cas). Ces catégories diverses doivent être mieux con-
nues et mieux séparées de la broncho-pneumonie avant qu'on puisse
faire son histoire complète chez les nouveau-nés. Quelques examens mi-
croscopiques ont été faits cependant dans le laboratoire de Charcot et
ont révélé l'existence de lésions semblables à celles que nous avons décrites
chez les enfants plus âgés.
Lorsqu'on lit les descriptions de la bronchite capillaire chez V adulte,
faites par Fauvel, Valleix, Hardy et Béhicr, Gintrac, Blachez, etc., il
devient évident qu'on n'a pas pu établir une distinction entre cette mala-
die et la broncho-pneumonie. Les observations de Fauvel, Valleix, Cham-
berl, Colin, etc., montrent que les lésions intra-lobulaires se produisent
toujours quand l'inflammation atteint les bronchioles intra-lobulaires.
L'absence de granulations purulentes, de vacuoles, donnée par Blachez
554 PNEUMONIE. — ihionciio-pneumonik. — anatome pathologique.
comme un caractère distinctif, ne peut avoir celte signification, car elles
appartiennent à la broncho-pneumonie déjà ancienne. Avant qu'elles
apparaissent, les lésions péribronchiques et la splénisation existent depuis
longtemps, et plusieurs fois chez l'enfant, l'examen microscopique nous
les a montrées dans des points où l'examen à l'œil nu ne révélait qu'un
peu de congestion. Les lésions macroscopiques sont ordinairement moins
accentuées chez l'adulte que chez l'enfant, l'atélcctasie se produit plus
rarement, les congestions sont moins inlenses dans le parenchyme pulmo-
naire, la pneumonie lobulairc en partie masquée par l'emphysème com-
pensateur est moins apparente. De là, dans certains cas, une incertitude
que les analyses histologiques ne larderont pas à faire cesser. La broncho-
pneumonie d'ailleur s est rare chez l'adulte et nous n'avons pas pu trouver
l'occasion d'en faire l'examen microscopique. Nous nous bornerons à
rappeler qu'elle apparaît en dehors des épidémies, surtout chez les indi-
vidus atteints de bronchites chroniques, d'emphysème. Elle peut aussi
reconnaître les mêmes causes que chezTenfant; la débilitation générale,
la perte de la tonicité des muscles bronchiques, amènent la stagnation des
sécrétions bronchiques et jouent un très-grand rôle dans sa production.
La broncho-pneumonie des vieillards a été également confondue dans
les descriptions des auteurs avec la pneumonie lobaire. Sous les noms
iïhépatisalion non granulée, de pneumonie inlervésiculaire , llouimann
et Dechambre l'ont opposée à h pneumonie ve'siculaire et granulée; ils
lui donnent aussi le nom de pneumonie planiforme correspondant à hsplé-
nisalion que nous avons décrite. Le parenchyme pulmonaire, disent-ils,
est élastique, d'une couleur foncée, souvent d'un bleu d'azur ou parfois
noirâtre ; il offre une coupe homogène d'un poli remarquable, à la sur-
face de laquelle on distingue des traînées grisâtres. Le poumon se
laisse insuffler (Roccas). Il présente souvent un aspect granitique, et,
quant on fait couler un filet d'eau à la surface de la coupe, on distingue
mieux encore l'isolement et la dissémination des noyaux de pneumonie
(Charlton). Les bronches sont rouges, épaissies et boursouflées (Hour-
maun, Dechambre, Prus, Durand Fardel, etc.). Les examens microsco-
piques ont montré les mêmes lésions que dans les broncho-pneumonies
des enfants (Charcot). Cependant la présence de la fibrine a paru moins
constante dans le nodule péribronebique ; c'est l'exsudation leucocylique
qui prédomine. L'atélectasie fait défaut ; mais les autres lésions acces-
soires, la congestion hypostalique (pneumonie œdémateuse de Cruveilhier,
hypostatique de Durand-Fardel), l'emphysème, se rencontrent à un
haut degré. Quelquefois il y a des noyaux d'apoplexie pulmonaire (Prus).
Ces dans ces broncho-pneumonies des vieillards qu'il est fréquent de voir
des vacuoles volumineuses produites par l'accumulation du pus dans les
alvéoles emphysémateux. La broncho-pneumonie peutsuivre d'ailleurs son
évolution ordinaire, aboutir dans les cas subaigus à la suppuration et à
la destruction des lobules avec ulcération et dilatation des bronches,
et épaississement considérable des travées conjonctives.
Nous croyons avec notre excellent maître, le professeur Lépine, qu'il
PNEUMONIE. BRONCIIO-PiNEBMOiME. SYMPTOMATOLOGIE. 555-
existe des pneumonies qu'on ne peut classer ni dans les pneumonies
fibrineuses ni dans les broncho-pneumonies. C'est une variété qu'il fau-
drait étudier à pari, et qui se rapproche surtout par ses caractères ma-
croscopiques des formes pscudo-lobaircs de la broncho-pneumonie.
Celles-ci, croyons-nous, pourront toujours en être distinguées à la pré-
dominance des lésions inflammatoires autour de la bronche. Le cas rap-
porté à la page G8 de notre thèse inaugurale nous parait devoir être rap-
proché de celui de Liébel et Heiller auquel Lépine fait allusion. Un
jeune homme épuisé par des travaux excessifs entra dans le service de
Granchcr avec tous les signes d'une pneumonie droite datant déjà de
quatre ou cinq jours. 11 succomba avec des signes d'asphyxie progressive,
bien que tous les symptômes de la pneumonie eussent disparu. En effet,
; à l'autopsie le poumon droit était simplement congestionné, souple et
i crépitant, mais le poumon gauche était envahi par une pneumonie secon-
i daire occupant toute la base, remarquable par sa coloration bleuâtre à
I l'extérieur, et sa surface lisse sur la coupe. L'examen microscopique
i montra que les lésions inflammatoires étaient dispersées dans tout le
I lobule sans localisation spéciale. On ne voyait guère qu'une légère
i desquamation épitliéliale dans les alvéoles et surtout une congestion
i intense. Evidemment c'est là une forme de pneumonie spéciale, indépen-
i dante de la pneumonie lobaire commune et de la broncho-pneumonie et
qui, suivant Grancher, devait vraisemblablement ce caractère à l'épui-
; sèment complet du malade chez lequel elle s'était développée. Ces tvpes
i intermédiaires doivent être classés à part, si l'on veut éviter la confusion.
Symptomatologie. — Tous les auteurs s'accordent pour faire re-
i marquer l'obscurité qui entoure le début de la broncho-pneumonie chez
i l'enfant. D'une manière générale, celle-ci se >i. adoppe insidieusement, et
(.c'est souvent par des troubles fonctionnels et par les symptômes généraux
i que l'on est averti de son apparition plutôt que par les renseignements
f fournis par l'exploration de la poitrine. Dans la majorité des cas, la
I propagation de l'inflammation des bronches au lobule se fait en plusieurs
1 points disséminés dans les deux poumons : les symptômes spéciaux qui
raccompagnent cette extension modifient peu le tableau de la bronchite
-généralisée, dont les symptômes locaux et généraux dominent la situation.
Il est impossible, en un mot, de saisir d'une façon certaine le moment
'OÙ la bronchite atteint le lobule et devient la broncho-nrieumonic. C'est,
I le plus ordinairement, par l'exaspération des symptômes antérieurs que
s s'accuse le début de l'affection nouvelle. La dyspnée augmente d'intensité
(50 ou 80 R.) et s'accompagne d'efforts plus considérables, la toux aug-
'i mente de fréquence, devient sèche, douloureuse. On est souvent averti
Idu début par la manière dont se font les mouvements respiratoires, sur-
tout .par l'expiration forcée et prolongée (Rouchut). A cela se joint
l'habitus particulier des malades, le facie, animé ou cyanosé, livide,
'tuméfié, les pupilles dilatées, l'agitation, la station assise. A l'examen de
la poitrine on peut n'entendre que les râles plus ou moins fins de la
hronchite ; mais parfois l'oreille saisit des bouffées de râles sous-crépitants
556 PNEUMOMli. — imoKciio-FKEUMONiE. — symi-toiutoi-ogie.
remarquables par leur finesse et leur fugacité. Enfin le pins souvent, et
c'est là un des meilleurs signes du début, ces symptômes s'accompagnent
d'une exagération dans la fréquence du pouls ( 1 50 à 160) et d'une élé-
vation de la température (59° ou 40°) d'autant plus accentuée que le début
de la broncho-pnêumonie est plus brusque ou se fait dans un état de
santé plus satisfaisant, chez un enfant vigoureux.
La broncho-pneumonie s'annonce quelquefois par les modifications
importantes qu'elle apporte à la symptomalologie des maladies qu'elle
vient compliquer. Au début d'une rougeole, elle retarde ou affaiblit la
sortie de l'éruption ; plus tard, l'éruption pâlit ou disparaît tout à fait
lorsqu'elle se développe. Dans la coqueluche, les quintes cessent et la
toux ne s'accompagne plus de ses reprises caractéristiques. Toutefois, si
le début de la broncho-pneumonie peut ainsi faire cesser certains spasmes,
dans d'autres cas il peut s'accompagner de convulsions comme dans la
pneumonie franche. C'est surtout dans la rougeole que ces convulsions
ont été observées. La soudaineté et la violence des symptômes du début
peuvent d'ailleurs varier suivant les circonstances dans lesquelles se
montre la broncho-pneumonie. Ils passeront plus facilement inaperçus,
si elle se développe dans le cours d'une maladie fébrile accompagnée
d'un catarrhe bronchique intense : ils se déclareront parfois avec plus de
netteté, si elle survient comme complication pendant la convalescence ou
même pendant la période de déclin de ces mêmes maladies.
Nous l'avons dit, la broncho-pneumonie est toujours secondaire ; mais
il y a des cas où la succession de l'inflammation pulmonaire à l'inflam-
mation bronchique est à peine marquée et même inappréciable. Il se peut
alors que la broncho-pneumonie ait un début brusque et violent qui rap-
pelle celui de la pneumonie franche par la manifestation soudaine de la
fièvre, et parfois par la fixation rapide des symptômes locaux. La tempé-
rature atteint bientôt une élévation considérable, 40° ou 40°, 5, avec une
augmentation correspondante dans le chiffre des respirations et des bat-
tements du pouls. Comme nous le verrons, ce mode de début s'observe
principalement dans les cas où l'élément pulmonaire l'emporte sur l'élé-
ment bronchique, et la maladie peut quelquefois conserver pendant toute
sa durée cette physionomie voisine de celle de la pneumonie franche.
La douleur de côté n'est point un signe de début de la broncho-pneu-
monie. Elle manque le plus souvent et ne s'observe guère que chez les en-
fants de six à quinze ans (Barrier) ; et alors, suivant Damaschino, il
faut se tenir en garde et songer à l'existence possible d'une pleurésie
concomitante. Les enfants éprouvent cependant des douleurs dans la
broncho-pneumonie, mais elles sont en rapport avec la dyspnée, et se font
sentir au creux épigastrique ou dans les hypochondres. La broncho-pneu-
monie à la période d'état est surtout caractérisée par les troubles fonc-
tionnels. La dyspnée, comme nous l'avons vu, arrive promptement jus-
qu'à l'orthopnée: c'est un des symptômes les plus accusés, et rapidement
on peut observer 50, 40, 50 et quelquefois 80 respirations chez les jeunes
sujets. La physionomie et l'attitude des malades témoignent alors de la
PNE1 MONIE. —
BRONCHO-PKEDMONIE. —
SYMPTOJUTOI.OGIK.
557
difficulté que la respiration éprouve à s'accomplir: ils sonl assis dans
leur lit, le corps penché en avant; souvent les enfants étendent leurs bras
et prennent un point d'appui aux barreaux de leur lit pour mieux res-
pirer. La figure, livide, aune expression d'anxiété, les yeux sont saillants,
les ailes du nez se dilatent largement, la Itouclie est entr'ouverte et les
commissures labiales abaissées. Tous les muselés delà respiration sont en
jeu: la saillie des sterno-mastoïdiens est très marquée; les épaules se soulè-
vent à ebaque mouvement de respiration, le diaphragme se contracte avec
force et attire les cartilages costaux en formant ainsi un sillon chondro-
costal d'autant plus marqué que reniant est plus jeune. Suivant Martels,
la dilatation de la poitrine se trouve ainsi limitée aux cinq côtes supé-
rieures. L'expiration elle-même nécessite de grands efforts et les muscles
abdominaux se contractent avec violence en déprimant les viscères. Ce
type de dyspnée a été bien décrit par Bouchut, sous le nom de respi-
ration expiratrice: le rhythme des mouvements respiratoires se trouve
changé quand la dyspnée est poussée à l'extrême. Dans ces cas, dit Da-
maschino, la série des mouvements parait commencer par l'expiration
qui se lait brusquement et pendant laquelle Jes viscères abdominaux
semblent rentrer dans le thorax; puisa cette violente expiration succède
brusquement une inspiration puissante et brève, pendant laquelle le dia-
phragme se contracte énergiquement et chasse de nouveau les viscères
abdominaux, en même temps qu'il détermine un profond sillon costal.
L'air qui a pénétré ainsi reste emprisonné pendant un temps relativement
assez long, puis on voit se reproduire la brusque série des mouvements
expiratoires et inspiratoires que nous venons de décrire. On perçoit, dit le
même auteur, à chaque respiration une sorte de heu très-sec et strident
qui permet parfois de faire à distance le diagnostic de la broncho-pneu-
monie. Les tracés pneumographiques témoignent de cette gène, de la
respiration. Mocquot a constaté que l'amplitude des mouvements thora-
ciques est considérablement diminuée. Les tracés abdominaux montrent
que l'inspiration est allongée et gênée. Ces efforts de respiration s'ac-
compagnent d'une angoisse très-grande. Les enfants ressentent souvent
dans la région du diaphragme des souffrances dues à la toux, qui de-
vient de plus en plus brève et fréquente. Elle s'observe dans tous les
cas, avec plus ou moins d'intensité : elle est pénible, douloureuse; il y a
souvent des quintes assez vives, sans raucitc de la voix, sauf dans le
croup, pendant et après lesquelles la face prend une teinte violacée.
L 'expectoration est nulle ou rare et ne se produit qu'à l'occasion de
secousses violentes. Le plus souvent, les enfants avalent les crachats lors-
qu'ils pénètrent jusque dans la bouche. C'est surtout dans la coqueluche
qu'on a occasion de les observer : ce sont des mucosités purulentes épaisses,
tenaces, jaunâtres, quelquefois striées de sang. Les crachats n'ont, en
somme, aucun rapport avec ceux de la pneumonie et ne diffèrent pas de
ceux de la bronchite. Quelquefois, mais rarement, il y a expectoration de
fausses membranes dans les cas de broncho-pneumonies diphthéritiques.
A propos des troubles fonctionnels nous avons déjà vu que l'inspection
558 PiMiUMOMK. — bru.nchu-pkkumo.me. — svmi'tomaïoi.ogie.
de la poitrine, l'étude do la manière dont se l'ail la respiration, révèlent des
signes physiques importants. La percussion doit être laite Légèrement
avec un seul doigt sur la phalange moyenne du médius ou sur l'oncle
(Roger). Au début, et dans un assez grand nombre de cas, le son pul-
monaire est normal et ne présente que des modifications insignifiantes.
Aux bases et en arrière, le son peut être diminué ou assourdi, parfois
tympanique, suivant l'étendue plus ou moins considérable occupée par la
splénisation ou par l'emphysème. L'hépatisation tabulaire disséminée
dans le parenchyme pulmonaire échappe à la percussion, à cause de
l'emphysème supplémentaire qui se développe autour des noyaux» Ce n'est
guère que dans les cas où la pneumonie est généralisée et surtout pseudo-
lobaire que l'on perçoit une niatilé réelle, siégeant habituellement à la
base en arrière, quelquefois à la partie moyenne de la poitrine, rarement
bien limitée et plus ou moins complète suivant la prédominance dans les
lobules atteints de la splénisation ou de l'inflammation alvéolaire péri-
bromcluque. On ne perçoit guère La matité avant le deuxième jour , elle
présente rarement la même étendue dans les deux côtés de la poitrine.
La percussion des parties antérieures du thorax donne habituellement
une sonorité plus marquée suffisamment expliquée par l'emphysème pul-
monaire. Dans d'autres cas, l'obscurité et la diminution du son pourront
quelquefois faire soupçonner l'existence de l'état fœtal. La palpation ne
donne pas de résultats bien caractéristiques, surtout chez les enfants
très-jeunes; tantôt les vibrations Ihoraciques sont exagérées, quelquefois
leur abolition peut être attribuée à la réplétion de l'arbre bronchique par
les mucosités ou par les fausses membranes. Dans ces cas, les râles et
le souffle cessent d'être perçus dans la. région correspondante ; les mêmes
causes produisent ici les mêmes effets que dans la pneumonie massive
de Grancber.
A Y auscultation, comme nous l'avons vu, les signes ne diffèrent pas
d'abord de ceux de la bronchite : des dèuxj côtés, on entend des râles
sous-crëpitants moyens et fins, quelquefois des bouffées de râles crépi-
tants, au moment des efforts ou. pendant la toux. Ces divers râles s'accom-
pagnent de ronchus sibilants et ronflants qui ont pour siège les bronches
de gros et de moyen calibre. C'est le râle sous-crépi tant lin qui a ici la
plus grande valeur séméiologique, carie râle crépitant est trop difficile à
obtenir chez les enfants, trop rare et jamais bien pur.
Au contraire, le râle sous-crépi tant à bulles fines a plus d'importance;
mais, d'autre part, il ne faut pas oublier qu'il ne devient caractéristique,
suivant Trousseau, quautanl qu'il se maintient pendant au moins vingt-
quatre heures. Au bout de ce temps, il est rare que les troubles fonction-
nels et l'es symptômes généraux ne soient pas assez accusés pour permettre
d'affirmer le diagnostic. Dans la forme suffocante ou brouchitc capil-
laire, le râle sous-crépitant est, avec les ronchus qui ont pour siège les
grosses bronches, le seul signe stéthoscopique pendant toute la durée de
la maladie. L'hépatisation tabulaire étant disséminée, il n'y a pas de
souffle ni de bronchophonie, et la diminution ou l'absence du murmure
PNEUMONIE. —
llllO.NCHO-P.NEl'MONIE. SYMPTOM.VTOLOGIE.
559
vésiculaire qui pourraient la caractériser sont plus souvent sous la dépen-
dance de l'obstruction des bronches par les mucosités. Dans d'autres cas,
au contraire la condensation du tissu pulmonaire s'affirme par du souffle
bronchique d'abord faible, voilé par les raies, plus étendu ensuite et .plus
intense, identique à celui de la pneumonie lobaire. Quelquefois ce souille
est précédé par de La respiration soufflante ; il peut paraître brusquement
et disparaître de même ; il peut être mobile ou, au contraire, se fixer au même
point pendant toute la durée de la maladie. Il peut s'accompagner de
bronchoplionie plus ou moins marquée à l'occasion des paroles ou des cris.
Ces signes d'induration pulmonaire se perçoivent plus souvent aux bases
et en arrière qu'aux parties supérieures et antérieures de la poitrine, où
dominent les raies de bronchite : là aussi quelquefois la diminution ou
l'absence totale du murmure vésiculaire doit être rapportée au développe-
ment de L'état fœtal.
Ces divers signes physiques présentent deux caractères spéciaux :
1° On les perçoit dès deux côtés de la poitrine, mais rarement d'une
manière absolument identique ; ils ont presque toujours une prédomi-
i nance plus ou moins marquée dans l'un des poumons. 2° Ils sont d'une
.mobilité extrême; non-seulement les râles peuvent, pour ainsi dire d'un
i moment à l'autre, changer de caractère, de nombre et de siège, mais le
: souffle même, dont l'existence est en rapport avec des lésions parenehyma-
i teuses, peut présenter des variations analogues.
Dans les cas où l'induration s'étend à tout un lobe ou à la plus grande
I partie d'un lobe, comme dans la l'orme lobulaire généralisée, et dans
I la forme pseudo-lobaire, surtout quand l'hépalisation l'emporte sur la
: splénisation dans les lobules atteints, les signes physiques, sont plus
I ûxes. Les râles sous:crépitants sont plus nombreux dans l'inspiration.
I Ils prédominent nettement dans l'un des côtés. Au bout d'un temps
I très-court, le souffle bronchique apparaît avec une intensité qui varie
; avec le nombre des râles, le siège et l'étendue des parties hépatisées, mais
qui persiste généralement jusqu'à la fin de la maladie; le souffle s'ae-
ûompagne. d'une matité plus ou moins complète et d'une exagération
ides vibrations thoraciques quand l'enfant parle ou pousse des cris. Ce
s signe ne se constate guère dans la forme lobulaire disséminée; il n'ap-
| parlient qu'aux formes où l'induration se fait en masse dans une étendue
! plus ou moins grande des poumons.
La fièvre varie an début, suivant la soudaineté et la violence de Tinva-
^sion; quelquefois elle est d'abord peu vive, mais lie thermomètre ne tarde
pas à indiquer une élévation considérable de la température. ou 40°;
|l'le pouls est d'une fréquence extrême, il bat 120, 150, 180 t'ois par minute.
La peau, d'abord un peu sèche, ne larde- pas à devenir moite; chez les
sujets affaiblis il y a quelquefois des sueurs abondantes. Le faciès est
animé, puis il est envahi par la pâleur, avec une teinte cyanique des
muqueuses. La fièvre est surtout Intense dans la soirée, depuis 5 heures
de l'après-midi jusqu'à 6 ou 7 heures du soir ; il n'est pas rare de voir
la température plus élevée le matin que le soir. Le tracé therrnométrique
500
l'MilJMO.MM.
IllIO.NCIIO-rNEUSlONIE.
8Y5I l'TOMATOLOGIK.
ne présente donc pas une marche régulière; les températures du malin
et du soir ne diffèrent que de quelques dixièmes de degrés, mais il est
commun d'observer des ascensions brusques qui détruisent la régularité
du tracé et sont en rapport avec l'apparition de nouveaux novaux de
broncho-pneumonie. Après une rémission de quelques jours, une exacer-
bation nouvelle se produit, la pneumonie recommence en quelque sorte,
avec les symptômes généraux et locaux du début ; une courbe brisée,
irrégulière, est le résultat de celte série d'inflammations parliellcs(Rogcr).
Quelquefois, dans les formes rapidement généralisées ou dans la forme
pseudo-lobaire, la fièvre conserve pendant plusieurs jours une intensité
égale. La température se maintient vers 40°, les rémissions matinales
sont à peine accusées ou nulles. Le pouls est fréquent et vibrant ; le faciès
est animé, un peu vultueux, assez analogue à celui de la pneumonie. La
fièvre peut ainsi persister pendant quelquefois deux semaines, la courbe
thermométrique oscillant entre 59° et 59°5 (II. Roger). Ordinairement,
quand la fièvre n'est pas rémittente dès le début, elle le devient vers le qua-
trième ou cinquième jour. En résumé, la température reste élevée plus
longtemps que dans la pneumonie franche, mais avec des rémissions et
des exacerbations successives ; c'est là le fait caractéristique ; elle est
plus élevée dans la broncho-pneumonie, où elle atteint entre 59° et 41°,
que dans la bronchite simple, où elle reste entre 38° et 59°. Il faut
aussi remarquer que l'intensité de la fièvre n'est pas toujours en rapport
avec l'étendue de la pneumonie. La défervescence est lente ; vers la fin
de la maladie la température s'abaisse jusqu'à 58°5 et décroît d'une
façon à peu près régulière. Dans les cas où la maladie se termine par la
mort, il y a aussi un abaissement de la température, mais beaucoup
moins marqué. Le tracé du pouls, sauf quelques petites différcnceSj est
à peu près en rapport avec celui de la température (H. Roger).
Tantôt les malades sont tristes, affaissés, tantôt il y a une grande agitas
tion; les enfants se remuent sans cesse, se découvrent, poussent des cris.
La céphalalgie existe quelquefois dans les broncho-pneumonies morbil-
leuses. Le soir, ces phénomènes nerveux augmentent d'acuité; en même
temps que la fièvre et la dyspnée, il peut y avoir du délire. Les convul-
sions sont exceptionnelles : on peut cependant les observer à la suite de
quintes de toux dans la broncho-pneumonie secondaire à la coqueluche,
à laquelle elles paraissent d'ailleurs se rapporter (Damaschino). L'affais-
sement prédomine, chez les enfants très-jeunes, l'agitation que nous
venons de décrire est remplacée par un état de somnolence et d'abatte-
ment progressifs. Les enfants restent couchés sur le dos, endormis ou
plongés dans un demi-coma. Cet état s'observe également chez les sujets
plus âgés, mais seulement dans la période terminale.
Les troubles digestifs n'ont rien de spécial et sont en rapport avec
l'intensité de la fièvre. L'inappétence est absolue, la soif est vive, la bou-
che souvent sèche, croùteuse, la constipation est habituelle. On peut
quelquefois observer des troubles en rapport avec l'affection primitive,
des vomissements, si la broncho -pneumonie s'est développée dans le
PNEUMONIE. —
nitOKCIIO-PSEUMOMK.
FORMES.
561
courant d'une coqueluche, de la diarrhée symptomatique du catarrhe
intestinal de la rougeole ou de l'entérite de la lièvre typhoïde. Pendant
la convalescence, les enfants vomissent fréquemment à la suite des
quintes de toux.
Les urines présentent des modifications en rapport avec les mêmes
causes; elles sont riches en sels, très-foncées, peu abondantes, surtout
quand il y a des sueurs, à tel point qu'on pourrait se demander s'il y a
suppression, si l'on ne savait que la sécrétion urinaire pcutclre suspendues
chez les très-jeunes sujets l'ébricitants, pendant douze ou même vingt-
quatre heures (Roger).
L'albumine ne se rencontre guère que dans les cas de broncho-
pneumonie diphlhéritique. Quant à la glycosurie, elle doit être con-
sidérée comme tout à fait exceptionnelle et sans nul rapport avec la
maladie.
Formes. — Nous avons déjà insisté sur la manière dont se déclare la
broncho-pneumonie, tantôt insidieusement, plus rarement d'une façon
brusque, selon les circonstances dans lesquelles elle se développe et
selon la forme qu'elle revêt tout d'abord. Dans certains cas, les rondins
de la bronchite sont suivis plus ou moins promptement par des raies
sous-crépitants ; les troubles fonctionnels et les symptômes généraux
s'aggravent proportionnellement ; les signes d'asphyxie ne tardent pas à
paraître. La symptomatologie peut se borner là, les râles sous-crépitants à
bulles plus ou moins fines se généralisent dans les deux poumons, sur-
tout à leur partie postérieure; la dyspnée devient continue, s'exagère
progressivement, entrecoupée de quintes de toux. Le pouls est très-fré-
quent, petit, inégal, la température très-élevéc ; la suffocation et l'as-
phyxie se prononcent de plus en plus. La maladie, en somme, est carac-
térisée par la prédominance de l'élément bronchique, c'est la forme
suffocante, la bronchite capillaire, dont les symptômes sont avant tout
sous la dépendance de l'engouement et de l'obstruction bronchiques.
L'élément pulmonaire est habituellement insaisissable ; le souffle est
rare et sans intensité, car les noyaux de broncho-pneumonie sont peu
développés et disséminés dans le parenchyme pulmonaire, c'est l'hyperé-
mie qui constitue la lésion dominante.
Dans d'autres cas, au contraire, l'envahissement du lobule, la pneu-
monie tabulaire, se révèlent, comme nous l'avons vu, par de la matité, du
souffle, etc. Ces signes apparaissent ordinairement après les râles, au
bout de deux, trois ou quatre jours; ils s'étendent progressivement de
bas en haut avec prédominance à la base et dans un seul côté : ils sont
quelquefois cependant plus disséminés ou présentent, comme nous
l'avons dit, des variations fréquentes en rapport avec l'éclosion de nou-
velles poussées. Les deux poumons finissent par être envahis dans une
assez grande étendue et le souffle l'emporte sur les râles : l'élément
pulmonaire domine, la maladie mérite le nom de pneumonie lobulaire.
généralisée. La fièvre est intense; les réinitlences, peu marquées d'abord,
s'accusent plus tard davantage, mais la courbe thermique subit de temps
NOUV. DICT. MÉO. ET CUIR. XXVIII — 36
562
PNKUMOMK.
«nONCIIO-r.MiUMOKIE.
— FORMES.
en temps de nouvelles ascensions. La dyspnée est moins forte que dans la
forme précédente et ne présente pas le cachet orthopnéique : il n'est pas
rare de voir les enfants pouvoir reprendre leurs jeux (Rilliet et BarthezL
Le nombre des respirations dépasse rarement 40 ou 50 pendant la
période d'état. La face est rouge et témoigne de l'intensité de la fièvre
plutôt que de la suffocation.
Dans d'autres cas plus rares, la maladie peut débuter brusquement et
les symptômes d'induration pulmonaire se révèlent d'une manière aussi
soudaine et aussi intense que dans la pneumonie franche. La broncho-
pneumonie semble de même se fixer dans un lobe et y parcourir son
évoluLion, d'où le nom de broncho-pnpumonie pseudo-lohaire. Par son
intensité et sa constance, la fièvre se rapproche de celle de la pneumo-
nie. Les autres troubles réaclionnels et en particulier les troubles diges-
tifs sont plus accusés que dans les autres formes; les signes peuvent
rester fixés d'un seul côté ou s'étendre du côté opposé ou dans le. même
poumon. Comme dans la forme précédente, les symptômes de bronchite
accompagnent toujours les symptômes de pneumonie, mais avec cette
différence que ces derniers apparaissent en même temps qu'eux et sem-
blent prédominer.
Mais il faut reconnaître que ces cas types dans lesquels les symptômes
et la marche de la maladie sont en rapport avec une forme déterminée
des lésions ne sont pas les plus communs. Fréquemment, la forme suffo-
cante reste telle pendant toute la durée de la maladie, mais on peut
aussi la voir se modifier par l'apparition des symptômes pulmonaires, et
aboutir finalement à une pneumonie lobulairc généralisée ou pseudo-
lobaire. Non-seulement la transformation des formes anatomiques n'est
pas rare, mais on voit souvent chez un même malade et parfois dans le-
même poumon les diverses formes exister ensemble et se traduire quel-
quefois par les symptômes physiques qui leur sont propres.
Il résulte également de ce mélange des diverses formes, de la façon
irrégulière et désordonnée dont elles se produisent, que l'évolution de la
maladie n'est pas en rapport avec celle des lésions primitives. Chaque
noyau ou chaque groupe de noyaux de pneumonie parcourt des périodes-
définies dont le dernier terme est la suppuration ou la résolution, mais la
symptomatologic régulière qui devrait résulter de celte évolution est
bouleversée par l'apparition de nouvelles poussées que traduisent l'ascension
du thermomètre, l'exaspération de la dyspnée et de la toux, et des signes
d'induration dans des points respectés jusque-là. Aux symptômes do la
période d'état viennent s'ajouter les symptômes de la période d'invasion
correspondant au développement de ces nouveaux noyaux. De là celte
marche essentiellement irrégulière, entrecoupée de rémissions cl d'exa-
cerbations brusques et beaucoup moins en rapport avec l'évolution des
noyaux de pneumonie qu'avec la marche capricieuse de la bronchite, qui
progresse d'une façon inégale vers les lobules, et est d'ailleurs susceptible
d'exacerbations et d'améliorations beaucoup plus brusques.
Le tableau de la maladie, chez Vadulle, présente à peu près les mêmes
PNEUMONIE. — BRONCHO-PNEUMONIE. — FORMES. 565
I traits que chez l'enfant, et il est à remarquer, d'ailleurs, que les médecins
qui ont écrit sur la bronchite capillaire l'ont toujours envisagée chez ce
dernier aussi bien que chez l'adulte, dans leurs descriptions {Voy. Bron-
cuite capillaire). Nous nous bornerons seulement à rappeler que ce sont
surtout les formes suffocantes avec prédominance de l'élément bron-
chique que l'on observe chez l'adulte ; les formes parenchymateuses sont
plus rares.
Chez le nouveau-né, la broncho-pneumonie a souvent un début insi-
dieux semblable à celui d'un catarrhe bronchique ; l'entant est abattu et
refuse le sein, il a de la fièvre, delà dyspnée, et crie fréquemment. Au bout
de vingt-quatre à quarante-huit heures, l'anxiété respiratoire augmente, les
commissures labiales sonl Urées en arrière, les ailes du nez battent rapi-
dement, la base du thorax est resserrée, la dépression stcrnalc contraste
avec la saillie de l'abdomen, le mouvement d'expiration est prolongé
(Bouchut). On n'entend pas de râles crépitants, mais plutôt des râles
sous-crépitants fins, variables, quant à leur nombre et à leur siège,
cessant parfois brusquement lorsque l'obstruction bronchique se produit.
Le souffle bronchique est également très-variable ; il y a des cas où il
manque et où l'auscultation ne perçoit qu'un affaiblissement marqué du
murmure respiratoire. Trousseau et Bouclait ont noté la grande fréquence
du pouls, qui bat 140 ou 100 fois par minute; tantôt il se ralentit, tantôt
il s'accélère encore aux approches de la mort. La fièvre est rémittente,
les exacerbations ont lieu le soir ; il y a de temps en temps des poussées
fébriles en rapport avec le développement de nouveaux foyers de pneumo-
nie. Quelquefois la maladie est apyrétique ou s'accompagne même d'un
; abaissement de la température. Les enfants sont agités, crient, il y a
| parfois des convulsions (Billard, Boucliut). La durée de la maladie est
• ordinairement de trois à six jours, mais il n'est pas rare de la voir évoluer
; avec une lenteur remarquable, de voir la fièvre et le souffle bronchique
| persister pendant trois semaines et quelquefois môme davantage (Parrot,
:Stef(én). La terminaison à peu près constante est la mort; quelquefois
i elle est annoncée par l'apparition de l'œdème du tissu cellulaire, du
i muguet avec diarrhée et vomissements. Le diagnostic reste souvent
i incertain à cause des difficultés de l'exploration physique; il se base
I principalement sur la présence du souille bronchique, sur la marche de
I la fièvre et la forme de la dyspnée.
Chez le vieillard, la broncho-pneumonie débute ordinairement d'une
f façon insidieuse, lente, sans point de côté, sans frissons ou avec quelques
I frissons peu intenses. Parfois, le début est assez brusque, la bronchite se
. généralise et atteint rapidement les lobules. La toux ne diffère point de
t celle de la bronchite; il en est de môme de l'expectoration. La dyspnée
varie beaucoup d'intensité suivant les cas; lorsque l'adynainie est très-
niarquée, la toux est faible et l'expectoration nulle. A l'auscultation, on
trouve le murmure respiratoire très-affaibli, il n'y a pas de râles crépi-
liants, mais des râles sous-crépitants plus ou moins fins. Comme chez
' l'enfant, le souffle peut manquer : il est souvent peu intense, fugace,
564 PNEUMONIE. UROINCIlO-l'NEUMO.NIE. MAItCHE. DUIIIÎE. terminaisons.
intermittent, alternatives que Charllon a judicieusement expliquées: les'
bronches sont tantôt vides, tantôt remplies par la sécrétion muco-puru-
leute. Il est conunun de percevoir le chevrotement delà voix, une véritable I
broncho-égophonic. La percusion donne quelquefois de la matilé, quel-
quefois un son normal. La marche de la fièvre est caractéristique : la
température peut atteindre 40°, elle présente des oscillations journalières
fortement accusées, de 1 degré et demi ou davantage; l'ascension a lieu
progressivement et, dans le cas de guérison, la délervcscencc s'accomplit
par degrés successifs dans l'espace de trois ou quatre jours (Charcol). La
peau est ordinairement sèche, ainsi que la langue fréquemment recouverte
d'un enduit noirâtre. Il y a quelquefois du délire, plus souvent de l'abat-
tement, de l'hébétude. L'adynamie augmente surtout dans les dernières
périodes; quelquefois on voit apparaître de la diarrhée. Dans les formes
suràiguës l'asphyxie termine rapidement la scène, par suite de l'accu-
mulation des mucosités dans les bronches. Dans les formes subaiguë et
lente (Durand-Fardel), la broncho-pneumonie peut rester latente; il y
a peu de dyspnée, peu de râles, pas de crachats, la réaction générale est
presque nulle. Prus et Beau ont signalé les poussées de pneumonie et
les améliorations successives qui peuvent avoir lieu deux ou trois fois
dans le cours de la maladie et qui rendent sa durée très-variable. Elle
est ordinairement d'une à deux semaines.
Marche. — Durée. — Terminaisons. — Chez l'enfant, dans la
forme suffocante, la maladie marche plus ou moins rapidement vers la ter-
minaison fatale. Les accidents suivent quelquefois une marche foudroyante,
les bronches se remplissent de mucosités abondantes et les râles trachéo-
bronchiques s'entendent de bonne heure ; la suffocation, la cyanose et
l'asphyxie sont de plus en plus marquées, l'enfant succombe en deux ou
trois jours. Dans d'autres cas, la dyspnée laisse à l'enfant quelques mo-
ments de calme dans la journée, mais le soir la fièvre et la suffocation
recommencent. Bientôt l'enfant n'a plus la force de lutter, et il tombe
dans la somnolence d'où il ne sorl plus que pour faire de temps à autre de i
violents efforts respiratoires. Bientôt la toux cesse, la voix s'affaiblit, les
respirations perdent peu à peu leur ampleur, le pouls devient d'une
fréquence et d'une petitesse extrême, les signes de l'asphyxie s'accen-
tuent graduellement. L'enfant succombe dans le coma ou dans une at-
taque de convulsions ; quelquefois il conserve sa connaissance jusqu'au
dernier moment. Il est rare que les accidents durent dans ces cas plus i
de huit jours.
Dans les formes parenchymateuses (lobulaire disséminée, généralisée
ou pseudo-lobaire), après les phénomènes violents du début, on observe
des rémissions dans les symptômes généraux: la température s'abaisse,
surtout le matin, la dyspnée et les autres troubles fonctionnels diminuent
d'intensité. Mais les signes d'induration pulmonaire persistent : au bout de
quelques jours la température s'élève de nouveau, la pneumonie s'étend
ou de nouveaux foyers se développent. Plusieurs poussées suivies de ré-
missions incomplètes peuvent ainsi s'observer : bientôt les petits malades
PNEUMONIE. — BRONCHO-PNEUMONIE . — M.vnCHE. DURÉE. TERMINAISONS. 565
s'affaiblissent, l'engouement bronchique nugmente, ils succombent par les
progrès de l'asphyxie. D'une manière générale, on peut distinguer dans
la broncho-pneumonie trois périodes : une ■période de début ordinaire-
ment insidieuse et mal dessinée', plus rarement violente et soudaine,
caractérisée surtout par l'aggravation de la bronchite et l'élévation de la
température; dans la période d'état se montrent les signes d'induration
pulmonaire, et des oscillations remarquables dans les phénomènes géné-
raux et locaux; une période de déclin ordinairement longue et conservant
encore quelques-uns des caractères de la période d'état.
En résumé, comme le dit Carrier, on peut admettre trois variétés de
cas au point de vue de la marche de la broncho-pneumonie : 1° les cas
dans lesquels la maladie offre une intensité toujours croissante clans les
. symptômes généraux et locaux; 2J les cas où les symptômes s'amendent
d'une manière définitive et clans lesquels la guérison se produit ; 5° les cas
. à marche irrégulière où des exacerbations dans les symptômes locaux et
i généraux succèdent à des rémissions trompeuses. Ces derniers peuvent être
■ considérés comme établissant une transition entre la broncho-pneumonie
; aiguë et la broncho-pneumonie subaiguë que nous étudierons clans le cha-
pitre suivant.
La durée de la broncho-pneumonie est plus longue que celle de la
I pneumonie lobaire. Elle varie à l'infini suivant les causes et suivant les
I formes de la maladie, de sorte qu'il est difficile d'en déterminer les termes
| précis. Comme le fait observer Barrier, la plus longue durée de la bron-
i cho-pneumonie aiguë s'observe surtout dans les cas de guérison. Il n'est
] pas rare de voir persister la toux, la dyspnée et même les signes physi-
i ques pendant un mois et davantage. D'une façon générale, dans les cas
i qui se terminent fatalement, la brièveté de la maladie est en raison di-
irecte de l'étendue des lésions, quel que soit le lieu où elles prédominent,
tdnns les bronches ou dans le parenchyme : c'est dans les catarrhes suffo-
cants les plus intenses et dans les pneumonies les plus étendues que la
i mort arrive le plus rapidement par les progrès continus de l'asphyxie,
f quelquefois en deux ou trois jours (Rillict et Barthez, Damaschino). La
t durée moyenne est de cinq à six jours. La maladie est plus longue dans
Iles cas où elle procède par des poussées suivies de rémissions. Elle peut
i atteindre alors deux ou trois semaines, mais déjà au bout de ce temps,
c comme nous le verrons, les poumons présentent les lésions caractéristiques
i de la forme subaiguë.
La terminaison de la broncho-pneumonie est beaucoup1» plus souvent
f funeste que celle de la pneumonie lobaire. Dans les cas bénins à début
brusque, la guérison s'obtient quelquefois assez rapidement. Billiet et
Barthez l'ont vue se produire dans l'espace de huit à dix jours. Ordinai-
n'iiient l'amélioration est graduelle : la fièvre diminue en môme temps
que la dyspnée ; les sueurs et les urines sont plus abondantes; la tempéra-
ture du soir est moins élevée, le chiffre des pulsations s'abaisse et peut
jtttomber à 60, 56, 52 (Cadet de G-assicourt). Le visage devient meilleur,
II l'enfant tousse avec plus d'énergie, l'expectoration est plus abondanle,
.Mit;
IWKUMOiMK. — iihonciio-I'NEUJIomi-. — comi'I.icatioks.
jaunâtre, muco-purulcnte, les râles plus gros, plus humides, l'appétit et
les forces se raniment. La convalescence est toujours plus ou moins
longue ; l'auscultation l'ait constater des râles sous-crépilants pendant plu-
sieurs semaines ; le souffle persiste également pendant quelques jours :
aussi les rechutes sont communes et on doit les redouter tant qu'il reste
un peu de lièvre ou que les signes locaux n'ont pas entièrement disparu.
Longtemps l'enfant reste faible et amaigri, apathique et irritable, ayant
la peau sèche et écailleuse et présentant des troubles digestifs; comme le
disent Rillietet Barthez, la lutte entre la santé et la maladie se poursuit
encore assez longtemps et il se passe souvent une ou plusieurs semaines
avant que les enfants aienl repris bonne apparence.
Il faut redouter le passage à V élat chronique, lorsque l'on voit la fièvre,
la dyspnée et la toux reparaître après des intervalles d'amélioration plus
ou moins marquée.
La mort, comme nous l'avons vu, arrive par les progrès de la suffocation
et de l'aspbyxie, tantôt d'une façon très-rapide en deux ou trois jours,
tantôt plus lentement au bout d'une semaine ou deux. La cyanose ou la
lividité de la face, la fréquence du pouls, la respiration suspirieuse avec
des intervalles d'apnée, la cessation de la toux, le râle trachéal , les con-
vulsions des muscles moteurs de l'œil et de la face, quelquefois les con-
vulsions générales, annoncent la mort prochaine ; ordinairement l'enfant
succombe dans le coma.
Complications. — La plupart doivent être le plus souvent rapportées
aux maladies qui ont été l'occasion de la broncho-pneumonie. Ventérile,
Y entéro-colile , sont très-communes; le muguet apparaît parfois chez les
enfants cachectiques, ou lorsque la broncho-pneumonie est déjà ancienne.
Il en est de même des eschares au sacrum, des éruptions d'eclhyma à
la face, au pourtour de la bouche et du nez, souvent transformées par le
grattage en ulcérations très-tenaces.
Du côté des voies respiratoires, nous avons déjà insisté sur les hémor-
rhagies pulmonaires, sur les abcès et la gangrène pulmonaires, comi
plications qui peuvent rester latentes, si les foyers ne communiquent pas
avec les bronches. Lajyleurésie ne devient une complication que lorsqu'il
se produit un épanchement; celui-ci peut devenir purulent, nous avons
vu cette terminaison se produire dans un cas de broncho-pneumonie
subaiguë. Le pneumothorax, Vemphysème généralisé, s'observent rare-
ment et sont rapidement suivis de mort. Uadénopathie bronchique ne
prend pas des proportions assez graves pour qu'on puisse la constater
cliniquement (Cadet de Gassicourt). Plusieurs auteurs, Hcnocli, Damas-
chino, Roger, admettent que la pneumonie lobaire vient parfois compli-
quer la broncho-pneumonie ; nous ne nions pas le fait, mais nous croyons
qu'il s'agit souvent dans ces cas de broncho-pneumonie pseudo-lobaire.
Les convulsions peuvent se montrer dès le début de la broncho-pneu-
monie (dans la rougeole et la coqueluche). Elles sont beaucoup moins
fréquentes que dans la pneumonie lobaire. Elles n'affectent pas non plus
ordinairement le même caractère de gravité : la terminaison fatale est
IWKUMOMK. BRO.NCHO-PNEUMO.ME. DIAG.NOSTIC.
567
assez rare, nous l'avons observée cependant dans un cas de broncho-pneu-
monie pseudo-lobaire où les convulsions compliquées encore de contrac-
ture amenèrent rapidement la mort (Cadet de Gassicourt et Balzer). Nous
rappellerons nue dans ce cas les symptômes cl la marche de la broncho-
pneumonie avaient été tels qu'on avait cru qu'il s'agissait d'une
pneumonie à forme méringée.
Diagnostic. — Nous avons déjà suffisamment insisté sur l'obscurité
du début de la broncho-pneumonie et sur les difficultés qui entourent le
diagnostic à cette période. Quelquefois l'enfant est dans un état d'abatte-
ment et de prostration qui pourrait en imposer et faire penser à une
fièvre typhoïde. Mais celle-ci n'est jamais secondaire ; elle peut, il est
vrai, se compliquer de broncho-pneumonie, mais ce n'est guère que
•dans le courant du second septénaire, au moment où les signes de la
bronchite sont le plus marqués.
Comme nous l'avons dit, les meilleurs signes delà broncho-pneumonie
sont fournis par les troubles fonctionnels, ladypsnée, l'asphyxie, l'exacer-
balion de la fièvre, etc. Mais dans certaines circonstances ces signes, aussi
bien que ceux que révèle l'exploration physique, peuvent être méconnus
ou trop peu accusés, surtout chez les vieillards, chez les enfants épuisés
par une affection antérieure, et en proie à la fièvre hectique ; ces broncho-
pneumonies cachectiques sont plutôt soupçonnées que réellement dia-
gnostiquées. De même, pendant la convalescence elle déclin des maladies,
•la broncho-pneumonie peut se développer sans donner lieu à des
symptômes sérieux; on croit n'avoir affaire qu'à une bronchite persistante,
et ce n'est que plus lard que les signes de broncho-pneumonie s'accusent
nettement. Dans la diphthérie, la difficulté avec laquelle se fait la respira-
lion, la prédominance des symptômes laryngés, l'ont que souvent le dia-
gnostic de la broncho-pneumonie ne peut être affirmé qu'à cause de la
fréquence de cette complication.
Cependant, le diagnostic est facile dans la grande majorité des cas, la
marche de la température, la dyspnée spéciale, la marche des signes
physiques, peuvent être considérées comme caractéristiques, et les com-
ipémoralifs mettent encore sur la voie.
11 est plus difficile d'approfondir le diagnostic et dese rendre un compte
exact de l'état du poumon et de la forme des lésions dont il est le siège.
Dans la forme suffocante, les lésions lobulaires sont disséminées, l'auscul-
tation ne révèle que des râles sous-crépitants plus ou moins fins, habi-
tuellement pas de souffle. Ces symptômes, joints aux troubles fonctionnels
et à une fièvre intense, sont ceux de la bronchite capillaire. Nous n'in-
sisterons donc point sur des caractères différentiels qui n'existent point
pour nous, attendu que l'inflammation ne peut atteindre les bronches
lobulaires sans qu'il y ait en même temps inflammation du lobule.
Dans les cas de pneumonie lobulaire généralisée, le souffle peut n'être
i pas perçu à cause de l'abondance des râles, mais, comme nous l'avons
vu, son absence n'est que transitoire, et bientôt la matilé, le souffle,
la bronchophonie, révèlent l'existence d'une induration pulmonaire qui
5G8
PNKUMONIE.
ItnONCIIO-PNEUHOME. DIAGNOSTIC.
s'étend peu à peu. Barrier fait cependant remarquer que, dans quelques
cas, celle-ci peut exister dans des points où elle ne se trahit par aucun
signe (face médiastine et diaphragmatique du poumon, bords, etc.).
Dans la forme pscuuVlobaire, les signes d'induration apparaissent
d'une manière plus évidente et plus brusque, et c'est surtout celte forme
qu'on peut confondre avec la pneumonie franche. Celle-ci cependant est
rarement précédée de bronchite et s'accompagne d'une réaction habituel-
lement plus vive. La dyspnée est plus forte dans la broncho-pneumonie
pseudo-lobairc, mais il n'y a pas de frisson initial ni le point de coté;
les râles sont fins, mais s'entendent dans les deux temps de la respiration.
Dans l'immense majorité des cas, on trouvera, du côté opposé, des signes
se rapportant à une forme quelconque de broncho-pneumonie. Dans quel-
ques cas assez rares, le diagnostic est entouré de difficultés presque insur-
montables ; la réserve est commandée quand une bronchite a précédé
l'apparition d'une pneumonie franche. De plus, celle-ci peut être double,
mais alors elle occupe habituellement les deux sommets, tandis que la
broncho-pneumonie siège plutôt aux bases. Toutefois, nous le répétons,
l'erreur est quelquefois inévitable et la broncho-pneumonie pseudo-lobaire-
peut se présenter avec des symptômes locaux et généraux qui simulent
absolument la pneumonie franche. On ne pourra être mis en garde que
par la gravité insolite des symptômes, la pneumonie lobaire étant généra-
lement une maladie béniçme dans l'enfance.
Le diagnostic du degré des lésions présente également de grandes
difficultés, mais il n'offre pas le même intérêt et ne peut être formulé
d'une façon absolue. En effet, l'âge des lésions varie dans la broncho-
pneumonie suivant l'extension de la bronchite, et un groupe de
lobules où domine la splénisation peut se trouver dans le voisinage d'un
autre où l'inflammation péri bronchique est très-étendue et sur le point
d'aboutir à la suppuration. On ne peut donc guère arriver, pour les cas
aigus, qu'à distinguer les cas où prédomine l'élément bronchique et ceux
où prédomine l'élément parenchymateux. La suppuration, la dilatation des
bronches, les vacuoles, appartiennent aux cas subaigus, et souvent ce sont
beaucoup moins les signes physiques qui conduisent au diagnostic de ce§
lésions que l'étude attentive des symptômes généraux, la persistance de
la toux et des accès de fièvre, la faiblesse et l'amaigrissement progressifs;
le passage à l'état subaigu doit toujours être redouté lorsqu'une amélio-
ration franche ne se produit pas une quinzaine de jours après le début
des accidents.
La congestion pulmonaire passive qui se développe principalement dans
le cours des fièvres à forme adynamique ne s'accompagne pas de phéno-
mènes généraux et locaux aussi marqués. Le plus souvent il n y a ni
dyspnée, ni toux ni expectoration exagérées; il n'y a pas non plus d'accé-
lération nouvelle dans le pouls, ni de redoublement fébrile. Mais il ne
faut pas oublier que cette congestion est bien souvent voisine de la plileg-
masic, et dans certains cas, notamment dans la fièvre typhoïde, elle fin»
par s'accompagner de lésions broncho-pneumoniques véritables. Quant à
PNEUMONIE. BBOXCHO-I'NEUMOKIE. PBONOSTIC.
569
la congestion aiguë du poumon, elle diffère totalement de la broncho-
pneumonie par l'existence du point de côté, par l'absence ou le peu
d'abondance de l'expectoration, par le siège peu étendu des râles et du
Bpuffle, enfin par la bénignité ordinaire des accidents.
Dans les maladies qui se compliquent de broncho-pneumonie, on voit
fréquemment naître la tuberculose pulmonaire; de grandes analogies dans
les symptômes se joignent à cette conformité d'origine et contribuent à
rendre le diagnostic différentiel extrêmement. difficile, quand la tubercu-
lose prend elle-même la forme broncho-pneumonique.
En effet, la tuberculose miliaire aiguë ou pklhisie granulique res-
semble peu à la broncho-pneumonie aiguë, et s'en distingue surtout par
l'absence ou l'intensité des symptômes stélhoscopiques, en contraediction
avec la violence de la dyspnée et la gravité des phénomènes généraux.
Ce n'est que dans la forme catarrhale de la phthisie granulique que les
diflicultés sont grandes pour le diagnostic et parfois même insurmontables
[Voy. art. Phthisie, t. XXVII p. 549).
Quand la tuberculose pulmonaire revêt la forme broncho-pneumonique,
il peut arriver dans les cas suraigus qu'elle tue rapidement avant d'avoir
déterminé la formation de cavernes. Le diagnostic est impossible d'après
l'examen des symptômes locaux, car, comme l'a démontré Charcot, il
existe ici une véritable broncho-pneumonie avec exsudais fibrincux et
desquamation épithéliale qui entoure les nodules tuberculeux péribron-
chiques. Les lésions, à part ces nodules, sont absolument identiques, et
par suite les signes physiques sont semblables. 11 faut noter cependant,
suivant Charcot, que les symptômes généraux ne sont pas toujours en
rapport avec l'étendue des lésions. On observe un abattement, un état ty-
phoïde, qui sontsous la dépendance de l'évolution des tubercules. La maladie
revêt une allure spéciale qui tient de la tuberculose miliaire aiguë et de
la broncho-pneumonie. De plus, ces phthisies pneumoniques suraiguës si-
mulentaussi bien la pneumonie lobaire que la broncho-pneumonie (cas de
Maygricr). Quand elles ressemblent à cette dernière, nous verrons que
c'est surtout à la forme subaiguë qu'il faut les comparer, car ces phthisies
pneumoniques mettent toujours au moins deux septénaires, quelquefois
un mois, àparcourir leur évolution.
Nous ne ferons que rappeler ici qu'il est quelquefois difficile de décou-
vrir la cause de la broncho-pneumonie. Au début d'une coqueluche, dans
la rougeole dont l'exanthème a été peu marqué ou fugace, dans les diph-
théi 'ics graves et insidieuses, on rencontre des exemples de broncho-pneu-
monies attribuées quelquefois à tort à un refroidissement et à une
bronchite simple. Dans quelques cas, le diagnostic peut rester impossible;
d.ins d'autres cas, la maladie primitive peut s'affirmer par des manifesta-
tions nouvelles ou par des complications spéciales qui permettent de la
reconnaître.
Pronostic. — Chez l'enfant, la terminaison par guérison peut être
considérée comme la règle pour la pneumonie lobaire, à très-peu d'ex-
ceptions près. Pour la broncho-pneumonie, au contraire, la mort est la
PNEUMONIE* IIHOKCHO-I'NEUMÛME. PRONOSTIC.
terminaison la [«lus fréquente. Sur 1 91) cas, Roger ne noie que 52 guéri-
scras : la mortalité atteindrait donc les trois quarts dos malades. Le pronos-
tic varie d'ailleurs, suivant les causes et les formes de la maladie, suivant
l'état des forces et suivant l'âge. La broncho-pneumonie qui succède à la
bronchite à frigore est redoutable surtout chez les nouveau-nés. Elle
est rare chez les enfants plus âgés, mais presque toujours très-grave,
comme nous l'avons vu. Ce sont les broncho-pneumonies qui suc-
cèdent aux maladies infectieuses ou épidémiques qui présentent le plus
•de dangers.
Dans la coqueluche, la mortalité serait de 50 pour cent, dans la rou-
geole de 55 pour cent suivant Ziemssen. Le pronostic s'assombrit encore
lorsque plusieurs de ces maladies existent en même temps, lorsqu'une
coqueluche se complique de rougeole, et dans les cas de diphthérie se-
condaire. Le croup est d'ailleurs une des maladies dans lesquelles la
broncho-pneumonie cause le plus de décès. La gravité des accidents varie
avec les épidémies, avec les conditions hygiéniques; en ville, suivant tous
les auteurs, on obtient beaucoup plus de guérisons qu'à l'hôpital, où la
mauvaise aération et l'encombrement, la présence d'autres maladies con-
tagieuses, multiplient les dangers. Suivant Rilliet et Barlhez, les deux tiers
des malades guérissent en ville.
La forme suffocante, à part les cas suraigus et foudroyants, est celle
qui se termine le plus souvent par la guérison. Comme nous l'avons vu,
les lésions sont, en effet, très-étendues, mais peu profondes, et la résolu-
tion a beaucoup plus de chance de s'opérer que dans les formes parenchy-
mateuses lobulaire généralisée ou pseudo-lobaire, ou même disséminée,
quand les noyaux sont nombreux. Nous n'insisterons pas sur la gravité des
broncho-pneumonies cachectiques, qui sont presque toujours une compli-
cation ultime des maladies chroniques.
Parmi les symptômes graves, il faut noter l'intensité de la fièvre, une
température de 40 à 41 degrés, jointe à une fréquence exagérée du pouls
et de la respiration ; dans d'autres cas, au contraire, la cessation de la
toux, le ralentissement notable de la respiration, l'abaissement de la
température (Steiner et Wyss), les phénomènes nerveux, éclampsie, délire,
le signes d'asphyxie progressive, principalement dans la forme suffocante,
la teinte cyanique des extrémités. Souvent, lorsque la mort arrive, la toux
cesse, on entend bientôt le râle trachéal, l'enfant déjà somnolent ne tend
pas à tomber dans le coma. Rilliet et Barthez ont considéré également la
suspension momentanée de la respiration comme un symptôme très-grave.
Cette apnée dure quelques secondes à une, deux minutes et plus, et se
répète plusieurs fois avec une intensité croissante, à tel point qu'on a pu
croire l'enfant mort (phénomène de Shcyncs-Stokes). D'après Jcerg, ce
phénomène se rencontrerait surtout dans l'alélcctasie des nouveau-nés.
L'état des forces influe beaucoup sur la gravité du pronostic, et l'on doit
tenir compte du moment où se produit la complication broncho-pulmo-
naire, au début ou à la fin de la maladie primitive.
Chez les nouveau-nés, la broncho-pneumonie est mortelle : Vallcix, sur
PNEUMONIE.
HRONCIIO-P.NEUMOKIE. — ÉTIOLOGIE.
571
128 cas de pneumonies el broncho-pneumonies, signale 127 décès. Bartels
a perdu tous les malades âgés de moins d'un an.
A partir de trois ans, la mortalité est beaucoup moindre. Dans la statis-
tique de Roger, au-dessous de trois ans, la mortalité a été des trois
quarts; au-dessus de six ans, d'un sixième des malades. Ces chiffres sont
un peu plus forts que ceux des auteurs allemands, qui attribuent celte dif-
férence aux méthodes de traitement qu'ils emploient, principalement à
l'hydrothérapie. Les diverses statistiques sont d'ailleurs loin d'être abso-
lument rigoureuses : on n'a pas assez tenu compte des circonstances dans
lesquelles la maladie s'est développée, et surtout on a souvent confondu
des broncho-pneumonies tuberculeuses ou des lésions syphilitiques du
poumon avec la broncho-pneumonie. Malgré la sévérité de ce pronostic,
il ne faut jamais oublier que des guérisons absolument inespérées se
produisent parfois (Rilliet et Barthez). Chez l'adulte, le pronostic de la
broncho-pneumonie est également très-grave, mais les guérisons sont
plus fréquentes. Chez le vieillard, elle est à peu près constamment mor-
telle.
Étiologie. — La bronchite représentant la cause déterminante de
l'inflammation du lobule, il ne nous reste qu'à montrer dans quelles cir-
constances elle va gagner celui-ci et quelles sont les conditions qui favo-
risent cette propagation : à rechercher, en un mot, les causes prédispo-
santes de la maladie.
Nous pouvons dire, dès à présent, que leur mode d'action se résume
dans les propositions suivantes : 1° La bronchite donne naissance à la
broncho-pneumonie quand la respiration se fait mal, soit que l'action de
la mécanique respiratoire soit compromise, soit que l'air introduit soit
impur ou vicié ; 2° il faut que la bronchite se soit elle-même développée
dans des conditions morbides spéciales, déterminées soit par une maladie
en cours d'évolution, soit par des maladies antérieures.
La démonstration de la première proposition découlera de l'étude des
divers états dans lesquels l'acte de la respiration devient facilement
insuffisant ou défectueux. L'âge exerce une influence sur laquelle ont
insisté tous les auteurs ; la broncho-pneumonie est surtout une maladie
des cinq premières années de la vie, et c'est entre la deuxième et la qua-
trième année qu'elle présente son maximum de fréquence. Elle devient
rare à partir de l'âge de 6 ans; on ne l'observe guère chez les adultes
que pendant les épidémies de grippe ou de rougeole. Enfin, elle se
retrouve chez les vieillards avec une assez grande fréquence; c'est avant
tout une maladie des âges extrêmes, et cette rareté dans les âges moyens
montre bien la grosse part que doivent réclamer les influences méca-
niques dans son étiologie. D'une part, en effet, les mouvements de la res-
piration se troublent ou s'affaiblissent facilement; d'autre part, la sensi-
bilité réflexe est obtuse, les mucosités s'accumulent dans les bronches,
l'expectoration est nulle ou presque nulle. La résistance des tissus est
moindre ; l'inflammation se développe et s'étend plus facilement. La pres-
que totalité des enfants nouveau-nés succombent avec des lésions broncho-
572
PNEUMONIE. —
ÎIRONCIIO-PNELMOME.
IÎT10LOGIE.
pneumoniques. Chez les vieillards, la broncho-pneumonie reconnaît le
plus souvent pour causes la bronchite chronique, les maladies du cœur,
le décubitus prolongé. Hourmann et Dechambre, Cruveilliier, ont insisté
sur l'influence du froid. Durand-Fardel en a observé de nombreux cas
pendant l'épidémie de grippe de l'hiver de 1 852- 1 ST>5.
On a dit aussi que la broncho-pneumonie était plus fréquente chez les
petits garçons que chez les petites filles, mais ce fait n'est rien moins
que démontré et les stastistiques sont contradictoires (Roger).
Nous ne ferons que signaler ici le décubilus dorsal, sur lequel nous
avons insisté à plusieurs reprises; l'influence de la stase sanguine est
suffisamment prouvée par la localisation des lésions dans les parties
postérieures des poumons. Le sang tend à s'y accumuler, non-seulement
parce que ces parties sont les plus déclives, mais encore parce qu'elles
sont inaclives et immobiles, tandis que les parties antérieures se dilatent
et servent seules à l'hématose. Le défaut de soins peut donc être con-
sidéré comme une cause importante de broncho-pneumonie. Cette maladie,
si commune dans les hôpitaux, est beaucoup moins souvent observée en
ville. Sur 72 malades, Steffen signale 18 enfants bien nourris, 8 assez
bien nourris, et 46 vivant dans la misère.
La faiblesse des mouvements respiratoires peut être en outre liée à un
affaiblissement général chez les enfants d'une constitution chétive, sou-
mis à une hygiène défectueuse, ou affaiblis par des maladies aiguës ou
chroniques.
La broncho-pneumonie succède facilement, pour les mêmes raisons,
aux bronchites qui se développent chez les enfants atteints de déforma-
tions rachitiques du thorax. La gêne de la circulation cardio-pulmonaire
favorise le développement d'une broncho-pneumonie le plus souvent
mortelle.
Les influences de milieu jouent également un rôle important dans
l'étiologie de la broncho-pneumonie. Lorsque les malades respirent un
air impur ou vicié, la maladie se déclare parfois avec une fréquence telle
que certains auteurs l'ont considérée comme pouvant devenir contagieuse
dans certaines circonstances (Guersant, Rilliet et Barthez). L'encom-
brement et la viciation de l'air qui en résulte multiplient certainement
les cas de broncho-pneumonie dans les hôpitaux d'entants. Si l'idée de la
contagion ne peut être acceptée, on est forcé de reconnaître que les
influences de milieu peuvent créer des prédispositions spéciales en vertu
desquelles la maladie paraît quelquefois épidémique. Ces influences, il
faut le dire, ne semblent s'exercer que dans les maladies épidémiques
qui sont elles-mêmes la cause, l'occasion la plus fréquente de la broncho-
pneumonie. Celle-ci apparaît alors comme complication, et modifie à ce
point l'aspect de la maladie primitive qu'on a décrit ce nouveau com-
plcxus pathologique comme une affection mixte sous les noms de bron-
chite capillaire épidémique, épidémie de catarrhe suffocant, épidé-
mie de concrétions jibrineuscs polypiformes du cœur, bronchite ca-
pillaire morbillcusc (L. Colin). Sydcnham et Etlmiiller ont rapporté l'his-
PNEUMONIE.
BRONCHO-PNEUMONIE. ÉTIOLOGIE.
575
toire d'une épidémie de fièvre catarrhale dans laquelle les vieillards
surtout succombaient à un catarrhe suffocant. lluxham (1751-1742),
Crivelli, en Italie (1755), Lepcq de la Clôture, ont publié des relations de
ces épidémies dans le dernier siècle. Ces accidents se déclarent habituel-
lement à l'occasion d'un froid intense, quand une fièvre éruptive se
déclare dans un corps de troupes formé principalement de recrues ou de
jeunes soldats. Mahot, Bonarny, Marcé et Malherbe, ont publié à
Nantes la relation d'une épidémie de bronchite capillaire de ce genre
(1840-1841.) Des faits analogues ont été observés à Lyon, par Armand,
à Saint-Omer, à Paris et à Boulogne, par J. Périer. Bartcls a insisté sur
les dangers de l'encombrement; MM. Lévy, Laveran, Léon Colin, etc., les
ont également démontrés dans divers travaux. Il suffit de lire les obser-
vations de ces bronchites capillaires pour reconnaître qu'il s'agit bien de
véritables broncho-pneumonies avec réplétion de tout l'arbre respiratoire
par une grande quantité de muco-pus, et dans quelques cas par de vastes
hépatisations non granulées et doubles. Dans les épidémies de Nantes et
de Lyon et dans celle de Bicétre en 1870, les observateurs ont noté la
fréquence, dans les cavités droites du cœur, de caillots blancs, tenaces,
avec prolongement dans les divisions de l'artère pulmonaire; ces caillots
paraissent avoir joué un rôle important dans les terminaisons par mort
subite (péripneumonie maligne polypeuse).
Les saisons ne paraissent pas toujours exercer une influence très-
marquée sur la broncho-pneumonie. Elle se montre beaucoup au prin-
temps et à l'automne, mais uniquement parce que c'est à ces époques
qu'on observe le plus de fièvres éruplives (De la Berge). Bogcr fait re-
marquer que c'est en hiver qu'on observe le plus grand nombre de
pneumonies lobulaires qui succèdent à la bronchite simple. Les change-
ments subits de température, le refroidissement dans le bain, ont été
parfois des causes occasionnelles de la maladie chez les enfants (Cadet
de Gassicourt).
Il semble résulter des expériences que Ileidenhain a faites sur les ani-
maux que les inspirations d'air sec très-chaud ou très-froid n'ont pas
une influence très-nuisible sur les poumons. L'air humide et froid, au
contraire, conserve dans les voies aériennes la température qu'il avait
a\\.nl l'inspiration, et son inhalation détermine des bronchites et des
pneumonies lobulaires disséminées, jamais de pneumonies lobaires.
Causes déterminantes. — Il faut, pour que les causes prédisposantes
que nous venons d'énumérer exercent leur action, qu'une bronchite née
dans des conditions spéciales vienne jouer le rôle de cause déterminante.
Ces conditions se rencontrent dans toutes les affections de l'enfance qui
présentent des manifestations fluxionnaircs et inflammatoires du côté des
muqueuses des voies respiratoires. En première ligne doivent se placer les
lièvres éruptives, la coqueluche, la diphthéric, la grippe, la lièvre ty-
phoïde, etc.. Après ces maladies aiguës, nous passerons en revue les
affections chroniques dans lesquelles la broncho-pneumonie apparaît
souvent comme complication ultime.
574 PNKUMONIK. — brohdbo-pjîbwjomib, — ÉraowciB.
La broncho-pneumonifliSfi développe plus fréquemment dans la rougeole
que dans les autres pyrexies. Parmi les fièvres éruplives, c'est en effet celle
dans laquelle l'exaulliômc affecte de préférence la muqueuse des voica
respiratoires. Les auteurs ont émis diverses opinions au sujet des cir-
constances qui provoquent l'apparition de cette complication ; Rilliel et
Barthez admettent dans quelques cas l'influence d'un refroidissement subit,
opinion rejetée par Damaschino. Nous devons plutôt croire, avec Roger, que
dans une première série de cas la complication est due à la diffusion de
l'exanthème qui s'étend jusqu'aux petites bronches. Simple fluxion très-
mobile de la muqueuse des grosses bronches, il donne lieu à des lésions
plus profondes et plus tenaces lorsqu'il atteint les éléments beaucoup plus
susceptibles qui constituent le parenchyme du lobule. C'est au plus fort
de l'éruption, du deuxième au quatrième jour, que cette propagation
est la plus fréquente (Becquerel, Rilliel et Barthez, II. Roger). La lluxion
bronchique, de même que celle des muqueuses nasales cl oculaires, pré-
cède l'apparition de l'exanthème, el il peut arriver que la broncho-pneu-
monie se déclare pendant cette période prodromique (Rilliel el Bai lliez,
H. Roger) ; généralement alors la rougeole sort, mal, et certains auteurs ont
pris à tort cet effet pour la cause véritable. Ajoutons que suivant Sv-
denham et Trousseau la broncho-pneumonie se déclarerait le plus souvent
vers le huitième jour de la rougeole: dans les faits observés par Damas-
chino, elle s'est déclarée du troisième au huitième jour, pendant l'exan-
thème; mais soit qu'elle le précède, ce qui est rare, soit qu'elle appa-
raisse pendant son évolution, la broncho-pneumonie résulte de la diffusion
de la bronchite morbilleuse. Il n'en est plus de même lorsqu'elle se
déclare pendant la convalescence ou après la disparition de l'éruption,
lorsque le catarrhe du début est passé à l'état chronique; le refroidis-
sement peut cire alors la cause occasionnelle du développement de la
complication. La fréquence et la gravité de ces broncho-pneumonies mor-
billeuses sont variables avec les différentes épidémies, et, comme nous
l'avons vu, avec les saisons dans lesquelles elles se montrent, et avec les
conditions dans lesquelles sont traités les malades. Barrier, sur 55 broncho-
pneumonies, en compte 1 G consécutives à la rougeole. Roger, sur 204
cas, en compte 45. Lorsque la rougeole se complique de gangrène de la
bouche, on trouve ordinairement des lésions broncho-pneumoniques plus
ou moins étendues. Il est possible qu'elles soient dues à une exacerbation
de la bronchite morbilleuse, favorisée par la faiblesse générale des ma-
lades. Quelquefois les noyaux de broncho-pneumonie deviennent eux-
mêmes gangreneux, et il est probable que cette terminaison est duc à la
pénétration dans la trachée de particules provenant de la bouche. Sur
20 cas de gangrène de la bouche, Rilliel cl Barthez ont vu 10 fois la
broncho-pneumonie survenir, lourdes l'a observée 58 fois sur 08 cas.
L'évolution de la broncho-pneumonie dans la rougeole ne présente rien
de spécial ; son début est d'autant plus accentué que la période d'érup-
tion est plus avancée cl que la température est plus basse. Elle se ter-
mine le plus souvent par la mort, surtout si l'enfant est jeune et débile. A
PNEUMONIE. ItRONCIIO-PNEUMOME.
KTIOI.OGIK.
575
l'autopsie, on trouve isolées ou réunies les diverses formes de pneumonie
tabulaire que nous avons décrites, avec des lésions bronchiques plus ou
moins profondes suivant la durée de la maladie. La forme subaiguë et le
passage à l'état chronique ont été observés plusieurs fois à la t-uitc de
la rougeole.
La scarlatine se complique moins fréquemment de bronchite que la
rougeole. Aussi, les auteurs sont en désaccord au sujet de savoir si les
broncho-pneumonies qui ont été observées ne doivent pas cire rapportées
à une diphthérie pharyngiennne étendue à l'arbre bronchique (Damas-
chino).
Dans la variole, la broncho-pneumonie peut être encore considérée
comme peu fréquente. Cependant, plusieurs exemples en ont été publiés
(Becquerel) chez l'enfant et l'adulte.
La broncho-pneumonie complique fréquemment la coqueluche chez les
sujets, jeunes à tel point que Domiciles la considérait comme devant sur-
venir d'une façon certaine chez les enfants de trois à quatre ans. Les
statistiques sont cependant très-variables à cet égard. Sée l'a observée ebez
un tiers des malades; II. Roger, chez un cinquième ; Jacquart, sur 45 cas de
coqueluche, a vu 17 broncho-pneumonies, dans lesquelles 11 furent mor-
telles. Le catarrhe bronchique, qui forme l'un des éléments de la coque-
luche, peut donner lieu à la broncho-pneumonie dès le début de la ma-
ladie, avant l'apparition des accès de toux convulsive; le diagnostic est
i d'autant plus d i ff ici le dans ce cas, que, comme nous l'avons dit, souvent
la broncho-pneumonie fait cesser les spasmes. Trousseau cependant eslallé
trop loin en disant que cette influence se produisait régulièrement, car il
i est possible quelquefois de reconnaître que ces complications broncho-
] pneumoniques précoces doivent être rapportées à la coqueluche, lorsqu'on
voit apparaître dans leur cours quelques accès de toux caractéristiques.
1 La broncho-pneumonie diminue les quintes, mais ne les fait pas entière-
i meut cesser. Le plus souvent, elle se déclare pendant ou vers la lin de la
1 période convulsive. Suivant Damascliino, la broncho-pneumonie de la
i coqueluche se localiserait de préférence dans un des poumons ou dans un
1 lobe. Une bronchite d'une nature spéciale est ici, comme dans la rou-
; geôle, la cause déterminante de la maladie, et l'on conçoit qu'elle doive
i apparaître facilement, si l'on se souvient de la lenteur de l'évolution de
la coqueluche, de l'épuisement qui résulte des quintes et des vomisse-
i menls, de !a difficulté avec laquelle sont expectorées les mucosités bron-
chiques plus visqueuses et plus adhérentes que dans toute autre maladie.
1 Outre ces conditions qui favorisent l'extension du catarrhe aux petites
bronches, il faut tenir compte de l'élément nerveux de la maladie. II. Roger
( considère comme une cause adjuvante les troubles de la circulation
S pulmonaire en rapport avec les attaques; et nous rappellerons à ce propos
! que Guéneau de Mussy croit que la toux spasmodique de la coqueluche
est due à la compression et à l'irritation des nerfs du bile du poumon
par les ganglions bronchiques hypertrophiés. Si celte opinion était dé-
i montrée, il faudrait rapporter peut-être à des désordres de l'innervation
57,6 PNEUMONIE. WIONCIIO-I'.NEUMOME. — ÉTIOI.OGIE.
vaso-motrice les congestions qui jouent un si grand rôle dans la broncho-
pneumonie.
La grippe revêt un caractère de gravité extrême chez l'enfant, à cause
de la fréquence de la broncho-pneumonie. Celle-ci se développe surtout
chez les jeunes enfants, chez les vieillards et quelquefois même chez
l'adulte, dans certaines épidémies (épidémie de grippe apshyxianle de
Londres, en 1855;.
Les relevés de Peter et Sanné montrent que la diphthérie est une
des affections qui se compliquent le plus fréquemment de broncho-pneu-
monie. Le croup est, de toutes ses manifestations, celle qui en cause le
plus de cas;Gerhardt l'a observée chez les trois quarts des individus
atteints: sur 121 cas de broncho-pneumonie diphlliéritique, 119 avaient
eu pour origine des laryngites pseudo-membraneuses; dans '21 de ces
cas, la trachéotomie n'avait pas été faite. L'angine et le coryza couenneux,
même isolés, se compliquent parfois également de broncho-pneumonie
(Sauné). L'apparition des accidents est le plus souvent précoce, du troi-
sième au sixième jour (Peter, Sanné). Les fausses membranes se pro-
pagent du larynx aux bronches; assez souvent, cependant, les signes
laryngés sont peu marqués, et il semble que l'infection se développe
primitivement dans les bronches. La bronchite diphthéritique, par son
extension plus ou moins rapide aux petites bronches, peut déterminer
seule la formation des noyaux de pneumonie lobulaire. Mais il ne faut pas
oublier qu'une bronchite catarrhale, parfois très-intense, complique sou-
vent la diphthérie laryngée et bronchique, même avant la trachéotomie :
c'est elle qui doit être seule mise en cause dans les cas de croup peu
étendus. Fréquemment, la broncho-pneumonie a déjà débuté lorsqu'on
fait la trachéotomie (Peter, Sanné) ; mais il faut reconnaître que celte
opération doit entrer pour une part importante, sinon dans le développe-
ment, au moins dans l'aggravation des accidents. Le traumatisme, la
présence de la canule, l'introduction d'un air froid et sec, contribuent à
augmenter l'irritation des bronches; nous avons vu, de plus, à l'aide
de l'examen microscopique, que le poumon, malgré la cravate et l'en-
tretien de la canule, était parfois rempli de poussières et de petits corps
étrangers (Soc. anat., janvier 1878). La broncho-pneumonie appai-ml quel-
quefois, comme complication tardive, du huitième au dixième ou quin-
zième jour ou même beaucoup plus tard. Elle est due alors à la persis-
tance de la bronchite, quelquefois à de nouvelles poussées de diphthérie.
Au point de vue clinique, la broncho-pneumonie diphthéritique est
surtout remarquable par l'obscurité de ses symptômes, mais elle est
d'une telle fréquence qu'on peut, à peu près à coup sûr, affirmer son
existence chez un enfant atteint de croup grave. Un des meilleurs signes
est fourni par l'élévation de la température, qui peut atteindre 59 et
môme 40 degrés. Le sifflement laryngo-trachéal, les bruits canulairôs
chez les enfants opérés, rendent l'auscultation très-difficile ; ces derniers
peuvent être confondus avec le souffle bronchique (Sanné). Un des meil-
leurs signes aussi, d'après Millard, est la fréquence de la respiration:
PNEUMONIE.
BRONCIIO-I'iSKUMONIE.
— ÉTIOLOGIÏ .
577
dans la majorité des cas, la broncho-pneumonie serait à peu près certaine
lorsque le chiffre des respirations dépasse 50. Les lésions de la broncho-
pneumonie diphthéritique présentent les caractères fondamentaux sur
lesquels nous n'avons pas besoin de revenir: souvent cependant, la pré-
dominance des congestions est remarquable surtout dans les cas -fou-
droyants. Il n'est pas rare non plus de trouver des atélectasies très-
étendues , occupant quelquefois un lobe entier lorsque des fausses
membranes épaisses obturent les grosses bronches. Les lésions mécaniques
sont, en général, très-marquées, l'emphysème intra ou cxtra-vésiculaire
est constant et parfois énorme. Les efforts violents, le rétrécissement
considérable du champ de l'hématose par suite de l'obstruction bron-
chi jue, rendent facilement compte de la genèse de ces lésions méca-
niques. C'est aux congestions et aux efforts que l'on doit également rap-
porter en partie les hémorrhagies sous-pleurales et intralobulaires, si fré-
quentes dans la broncho-pneumonie diphthéritique, que II. Roger en fait
une forme spéciale, la forme, hémorrhagique de la broncho-pneumonie,
qui se rencontre dans les maladies infectieuses, dans la rougeole et. dans
la diphtbérie, et reconnaît pour cause principale l'infection du sang. — Les
diverses formes anatomiques se rencontrent dans la diphtbérie: la forme
pseudo-lobaire n'est pas rare. Il est souvent remarquable de voir avec
quelle régularité se développent les noyaux de broncho-pneumonie dans
tout le territoire qui dépend d'une grosse bronche envahie par les
fausses membranes. Après la trachéotomie ou quand la bronchite est
surtout catarrhale, les lésions n'ont pas les mêmes dispositions régulières
et se disséminent dans le poumon. La mort est presque toujours trop
prompte pour que les lésions aient le temps de parcourir leur évolution.
Quelquefois cependant la broncho-pneumonie prend la forme subaiguë ;
elle évolue avec lenteur, le tissu conjonclif s'épaissit et s'infiltre de
cellules embryonnaires, les bronches se remplissent de pus et deviennent
le siège de dilatations vasculaires. Cette l'orme peut s'observer à la suite
de la trachéotomie: quelquefois même la plaie du cou, déjà cicatrisée, se
rouvre et livre de nouveau passage aux mucosités et à la suppuration. —
D'autres lésions telles que l'œdème, la gangrène pulmonaire, la pleurésie
surtout, peuvent encore venir compliquer la broncho-pneumonie diphthé-
rilique (Sanné). Ajoutons que quelquefois la diphtbérie elle-même s'est
développée secondairement dans le cours des broncho-pneumonies de
la coqueluche, de la rougeole.
Quoique la fièvre typhoïde s'accompagne fréquemment, dans l'enfance,
d'accidents thoraciques plus ou moins graves, il est rare qu'elle se com-
plique de broncho-pneumonie. Mon maître, Cadet de Gassicourt, n'en
signale que deux cas sur cent cinquante observations. Celle-ci cependant
a été plusieurs l'ois observée et il n'est pas juste de dire que les lésions
se réduisent à une congestion hypostatique plus ou moins intense (Damas-
chino). II. Roger qui est pourtant partisan de cette opinion, fait lui-môme
remarquer qu'on trouve des congestions et des indurations partielles
tabulaires dans les lobes inférieurs. Les lésions peuvent revêtir une forme
.NOUV. DICT. MÉD. ET CUIR. XXVIII — 57
578 PNEUMONIE* — huonciio-pnhumonii:. — étioi.ogie.
plus grave et nous avons déjà signalé ces broncho-pneumonies remar-
quables par leur prédominance dans le lissu périlobulairc et périacineux
où Ton observe des lymphangites plus intenses que dans les autres formes
et qui sont peut-être en rapport avec la tendance spéciale de la maladie à
porter principalement sur le système lymphatique. Cette forme de
bronche-pneumonie s'observe également chez l'adulte. La broncho-pneu-
monie peut se développer pendant les divers stades de la lièvre typhoïde,
quelquefois pendant la convalescence. Comme nous le verrons, elle
peut revêtir la forme subàiguë, et aboutir à la sclérose et à la dilatation
des bronches.
Les diverses maladies que nous venons de passer en revue influent d'une
manière prépondérante sur le développement de la broncho-pneumonie,
en donnant à l'inflammation bronchique une gravité et quelquefois une
forme toutes spéciales. Beaucoup plus rarement dans la bronchite simple
causée par un refroidissement, on peut voir l'inflammation gagner peu à
peu les bronches lobulaires et le lobule. Habituellement, celte marche
s'observe dans les bronchites qui présentent de bonne heure des caractères
de gravité, et quelquefois même l'évolution se fait avec une extrême rapi-
dité, tellement qu'il semble que les deux phlcgmasies bronchiques et pulmo-
naires se soient développées en même temps et que la broncho-pneumo-
nie se soit constituée primitivement. Ces cas s'observent, à la suite d'une
perturbation de la circulation et de l'innervation, froid prolongé, brûlures
très-étendues, etc.. Cette marche foudroyante, (Wilks, Balzer) peut éga-
lement s'observer dans les maladies que nous avons citées, notamment
dans la dipbthéric et dans la rougeole. Mais, même dans ce cas où la
phlegmasie semble s'étendre d'emblée à toute la surface des voies respi-
ratoires, l'examen des lésions montre que leur filiation existe toujours, et
que leur succession, pour être plus rapide, n'en est pas moins réelle. C'est
surtout, en effet, la lésion épitbéliale qui progresse avec celte rapidité : le
parenchyme est noirâtre, gorgé de sang, en sorteque, avant l'intervention
du microscope, ces lésions étaient considérées comme de simples conges-
tions. Mais l'analyse histologique démontre l'existence d'une pneumonie
desquamative plus ou moins intense dans tous les points congestionnés et
de plus, dans les lobules qui ont été atteints les premiers, des lésions
parencliymatcuses variables en étendue et dont la localisation autour de la
bronche prouve bien que celle-ci est le point de départ de l'inflamma-
tion.
Parmi les maladies chroniques qui se compliquent de broncho-pneu-
monie, il faut citer surtout les maladies du cœur et des reins. Les maladies
du cœur se compliquent assez fréquemment de broncho-pneumonie,
principalement chez le vieillard. Rayer l'a observée plusieurs fois dnn> le
mal de Lirighl, elle récent travail de Lasègue sur les bronchites albumi-
nuriques donne à penser que cette complication ne doit pasêtre très-rare.
Nous nous bornerons à signaler YirnpcUudismechromgue quia également
paru, dans plusieurs cas, se compliquer de broncho-pneumonie.
La tuberculose n'est pas, en réalité, une cause de broncho-pneumonie ;
PNEUMONIE. HRONCHO-l'NKUMONIE. ÉTIOLOGI1Î.
57'.»
celle-ci ne se développe que lorsqu'une bronchite coïncide avec elle. Le fait
peut se produire pendant une tuberculose pulmonaire en voie d'évolution
et les noyaux de broncho-pneumonie se montrent le plus aux bases des
deux poumons. Il est rare qu'on ne trouve pas, à l'autopsie des enfants
tuberculeux, des noyaux de pneumonie développés pendant la période
terminale.
Chez les enfants mal nourris, épuisés par de longues maladies, on voit
souvent survenir des broncho-pneumonies qualifiées par les auteurs de
cachectiques et qui apparaissent surtout dans les derniersjours de la vie.
La cachexie et l'anémie qui résultent des maladies constitutionnelles, scro-
fule, tuberculose, rachitisme, diabète (Steiner), favorisent le développement
de ces accidents. Il en est de même des affections chroniques de longue
durée pendant lesquelles les malades restent trop constamment dans le
décubilus dorsal (coxalgie, mal de Pott , etc.), La dysenterie, l'entérite
le coryza simple ou syphilitique, le sclérème des nouveau-nés, présentent
souvent cette complication ultime. C'est l'affaiblissement, la cachexie qui
doivent surtout être mis en cause, le catarrhe bronchique serait sans
gravité dans le plus grand nombre des cas. La stagnation du sang et des
mucosités dans les parties déclives du poumon provoqueces broncho-pneu-
monies cachectiques qui ne s'accompagnent que d'une réaction peu mar-
quée; la toux, la dyspnée, les signes physiques, sont également peu
accusés et la complication reste le plus souvent latente.
Pathogénie. — Comme nous l'avons vu, on admettait autrefois que
toutes les lésions de la broncho-pneumonie devaient être rapportées à
l'exagération des sécrétions bronchiques. Les grains jaunes , d'après
Fauvel, Béhiér, etc., seraient dus uniquement à la pénétration du pus
dans le lobule, lequel en réalité ne participerait pas à la production des
lésions : c'est la théorie dite de la bronchite capillaire.
D'après une autre théorie, soutenue surtout parZicmssen et Bartels, le
muco-pus formant bouchon commence par obturer les bronches et par
déterminer l'affaissement et la congestion du lobule. Cette congestion
constitue le premier degré de la pneumonie lobulaire, consécutivement
l'hépatisalion ne tarde pas à paraître. Nous avons déjà discuté et rejeté
cette théorie qui tend à créer une pneumonie lobulaire indépendante de la
bronchite (Voyez page i)46). Elle est également détruite par ce fait, qu'il
est fréquent de voir des noyaux de broncho-pneumonie se développer dans
des portions de poumon non envahies par l'état fœtal. Celui-ci favorise
•cependant d'une manière évidente la marche des lésions dans le lobule ;
la congestion des zones splénisées doit lui être rapportée en grande par-
tie, ainsi (pie l'œdème et l'exsudation qui lui succèdent.
Eu somme, le problème à résoudre est le suivant : est-ce l'inflammation
elle-même qui se propage, de proche en proche, des bronches jusqu'aux
lobules? Faut-il admettre que les produits de sécrétion, en pénétranldans
les bronches tabulaires et acineuscs, déterminent l'inflammation du lobule
•en agissant comme les corps étrangers?
L'expérimentation sur les animaux confirme, jusqu'à un certain point,
580
PNEUMONIE.
IIIWNCIIO-PNBUMO.ME.
KTIOI.OGIE.
cette dernière manière de voir. A l'aide d'injections de liquides irritants
dans les bronches: térébenthine (Trasbot et Corail), nitrate d'argent,
chlore, ammoniaque (Jiïrgcnsen), les expérimentateurs ont produit des
bronchites rapidement suivies de pneumonies lobulaires suraiguës. Les
mêmes lésions résultant également de l'irritation directe produite par les
corps étrangers, ont été obtenues à l'aide de méthodes moins brutales. La
section des pneumogastriques laite par Traube (1846) produit des lésions
trop intenses, trop rapidement suivies de mort pour que les analogies soient
complètes. Avant Traube, Reid (1859) et Longet (1840) avaient vu éga-
lement ces lésions, mais ils les avaient considérées comme des pneumo-
nies; Magendic (181 G) pensait qu'elles succédaient à l'accumulation des
mucosités dans les bronches dont la muqueuse avait perdu sa sensibilité ;
Legallois, Schiff, Wundl, ont simplement vu des troubles de l'innervation
vaso-motrice. Arnspcrger (1856) croit qu'il s'agit seulement d'un collap-
sus; Boddaërt (1862) adopte une opinion mixte, reliant les opinions diver-
gentes. Friedlaënder, renonçant à la section des pneumo-gastriques. a
imaginé de faire chez le lapin la section du récurrent, qui permet une sur-
vie beaucoup plus longue pouvant atteindre vingt jours, et cause des lésions
comparables à celles qu'on obtient par la section des pneumogastriques.
Les expériences de Frcy ont confirmé les résultats obtenus par Fried-
laënder; l'examen microscopique a prouvé qu'il s'agit bien d'une pneu-
monie lobulaire aiguë. Ces expériences, répétées par Charcot, lui ont
démontré l'évolution d'un processus semblable à celui de la broncho-pneu-
monie : hypersécrétion bronchique, d'abord muqueuse, puis muco-puru-
lente, lésions pulmonaires principalement dans les lobes supérieurs pré-
sentant l'aspect de l'hépalisation et de la splénisation. Au microscope,
on retrouve les lésions caractéristiques de la splénisation et le-
nodules péribronchiques. Chez les chiens surtout, les lésions se rap-
prochent beaucoup de celles qu'on observe chez l'homme; il y a même de
la fibrine dans les exsudats. Charcot fait remarquer un point impor-
tant, c'est qu'il n'y a point d'atélectasie. Si l'animal survit pendant quelque
temps, on voit les lésions envahir progressivement tout le lobule, et la
plèvre participer à l'inflammation. L'accumulation des leucocytes et des
cellules épithéliales fait peu à peu disparaître les zones splénisées. Les
éléments, vers la troisième semaine, subissent la dégénérescence grannlo-
graisseuse, le tissu conjonctif qui entoure la bronche et les acini prolifère
et s'épaissit, le processus j devient chronique. Evidemment la marche de
ces lésions se rapproche beaucoup de celles qu'on observe chez l'enfant:
les auteurs allemands vont même jusqu'à admettre identité complète
(Wyss) ; la pathogénie de ces lésions s'explique par la pénétration de
corps étrangers dans les voies aériennes, liquide buccal, parcelles alimen-
taires, résultant de la paralysie des nerfs laryngés et de l'occlusion incom-
plète de la glotte. Chez le lapin, on observe, après la section des nerfs
laryngés, des troubles considérables delà respiration et du cornage. Mais
ces désordres s'apaisent bientôt et ils ne peuvent être expliqués par des
Iroubles de l'innervation vaso-motrice du poumon, les nerfs laryngés étant
l'NKIMOMK.
BUONCIIO-PNEUMOME.
PAT1IOGÉNIE.
;,SI
sans relation avec cet organe. Après la section du pneumogastrique, les
mêmes effets se produisent, mais plus accentués ; par suite de la paralysie
du larynx, les matières accumulées dans la bronche pénètrent en grande
quantité dans les bronches où leur introduction est encore facilite parles
respirations profondes qui succèdent a la section du pneumogastrique.
Les animaux succombent bientôt à une pneumonie suraiguë. A part la
paralysie des vaso-moteurs qui, dans ce dernier cas, aggrave encore les
accidents, ceux-ci résultent aussi de l'action irritante, traunialique, exercée
par les corps étrangers à la surface interne des bronches et amenant consé-
cutivement une inflammation plus ou moins intense. Dans plusieurs expé-
riences, l'introduction directe des mucosités dans les bronches, sans sec-
ition des nerfs vagues, a donné des résultats positifs ; d'après les auteurs
allemands, ces mucosités buccales sont plus irritantes que les autres
matières qui pénètrent dans les bronches. Ils attribuent aussi un rôletrès-
timportant à la présence de parasites, de micrococcus formant des agglomé-
rations plus ou moins considérables qui ont été vues dans les bronches, les
alvéoles, les vaisseaux, les lymphatiques. Bulh, Eberth, Ivanowsky,
\\ yss, les ont trouvés dans la diphthérie, la grippe, la rougeole, la variole,
la lièvre typhoïde. On les trouve surtout dans les broncho-pneumonies
uu début; mais leur présence dans des broncho-pneumonies d'origines
si diverses, nous semble en contradiction avec le rôle important qu'on
«veut leur faire jouer.
Une première catégorie de broncho-pneumonies correspond directement
i i ces broncho-pneumonies expérimentales ; ce sont celles qui se produisent
lans les cas d'apoplexie par lésions cérébrales accompagnés de parésie
pharyngienne, par suite de la pénétration dans les voies aériennes des
mucosités buccales, des matières alimentaires et des boissons, celles qui
j'observent chez les aliénés (Calmeil, Guislain), dans les paralysies du
pharynx et de l'œsophage, chez les individus cachectiques ; de même
oies broncho-pneumonies aiguës qu'on observe à la suite de la carie du
rocher, du cancer de la langue, du noma, des abcès retro-pharyngiens,
il qui s'accompagnent habituellement de gangrène. Au contraire, celles
iqui succèdent à l'introduction de corps étrangers non irritants donnent
iJieu à des broncho-pneumonies chroniques (Pneumonokonioses).
Mais dans les cas les plus nombreux de broncho-pneumonies, il n'y a
«pas pénétration de corps étrangers dans les voies aériennes; dans ces cas,
ele muco-pus non rejeté par l'expectoration et séjournant dans les bronches,
q'oue en partie le même rôle (Charcot) ; entraîné par la pesanteur, il vient
nrriter la muqueuse des petites bronches dans lesquelles ilpénétre (Bùhl),
Ut facilite ainsi la propagation de l'inflammation. Celle-ci finit par attein-
dre le lobule et la pneumonie lobulaire ne tarde pas à se développer ; le
himuco-pus peut même pénétrer jusque dans les bronches lobulaires et par-
-iciper ainsi à la formation des grains jaunes ou nodules péribron-
Ichiqucs. Cependant, comme nous l'avons déjà dit, ce fait de la péné-
tration du pus est secondaire, son rôle se borne à entretenir et à exagérer
'irritation. Les lésions éloignées, comme l'a fait remarquer Charcot,
582
PNEUMONIE. IIIIONCHO-rNEUMONIE. l'ATIIOGKMK.
lellcs que la splénisation dont le caractère anatomique est la pneu-
monie desquamative, ne peuvent en dériver. La splénisation ne peut
être considérée davantage comme le résultat d'une action irritalive
exercée à distance par les noyaux d'hépalisation péribronchique, car
souvent elle les précède. 11 se produit là de proche en proche des lésions
irritalives semblables à celles qui succèdent dans les acini des glandes
aux lésions de leurs canaux excréteurs. Ces lésions sont surtout
remarquables à la suite de la ligature du canal cholédoque et reten-
tissent jusque dans les canaux biliaires les plus profonds. L'épithélium
alvéolaire en continuité avec l'épithélium bronchique et originellement
de même nature, subit les mêmes influences incitatives et participe aux
mêmes altérations. Il y a donc desquamation alvéolaire et si l'irritation
continue et devient chronique, il y aura formation d'un revêtement
épithélial cubique, semblable à celui des petites bronches ; l'irritation
épithéliale, dit Charcot, serait le fait le plus général, la pénétration des
produits muco-purulents dans la cavité alvéolaire serait en quelque sorte
accidentelle et ne jouerait qu'un rôle adjuvant. La formation des nodules
péribronchiques serait subordonnée à l'existence de la péribronchite.
Comme on le voit, c'est le processus dont nous avons donné le résume à
la fin du chapitre de l'analomic pathologique ; favorisée par l'action de
la pesanteur, par la persistance de l'hyposlase et la progression du muco-
pus, la bronchite gagne les conduits tabulaires. Si elle est peu profonde,
catarrhale, c'est la pneumonie desquamalive ou splénisation qui en sera
le premier effet ; si elle comprend toute l'épaisseur de la bronche, si elle
est parenchymatcuse, en un mot, des lésions du même ordre se produiront
dans les portions du parenchyme lobulaire voisines de la bronche et dans
lesquelles viennent se perdre les ramuscules terminaux de l'artère bron-
chique. La notion des espaces interlobulaircs et intralobulaires établie
d'une manière si ingénieuse par Charcot, montre d'une manière saisis-
sante la marche de ce processus (Voy. art. Tuthisie, t. xxvii, p. 096.)
Dans la structure du poumon, ou peut distinguer, d'une part, le tissu
pulmonaire proprement dit, représenté par les lobules et les acini, et
d'autre part, le tissu conjonclif des espaces interlobulaircs et inleracineux.
Or, ces espaces forment naturellement deux grandes classes: A, les grands
espaces interlobulaircs où se trouvent les bronches cartilagineuses avec
les artères, les lymphatiques péribronchiques, les veines pulmonaires et
bronchiques ; H, les petits espaces intralobulaires avec la bronche lobu-
laire et l'artère bronchique, les vaisseaux lymphatiques et le tissu con-
jonclif qui les unit, et les petits espaces interlobulaircs et inleracineux
composés surtout de tissu conjonclif, et renfermant de nombreux lympha-
tiques cl les veines pulmonaires (Charcot). Il estaiséde se rendre compte,
d'api ès ces notions d'anatomic, du véritable siège de la broncho-pneumonie;
c'est avant tout une maladie des espaces, et ce caractère s'affirmrt d'autant
plus qu'elle présente une durée plus considérable.
1/inflammalion atteignant à la fois les divers éléments de la bronche,
les parois des vaisseaux, les lymphatiques et le tissu conjoint if de l'espace.
PNEUMONIE. — KiioKcuo-rNEUsiONiE. — patiiogénie. 583
, elle donnera lieu dans le lobule aux mêmes lésions de l'espace intralobu-
laire. Celles-ci sont rapidement propagées au tissu pulmonaire Voisin pour
i former le nodule péribronebique, et aux espaces périacincux et périlo-
bulaircs dont les vaisseaux sanguins sont tributaires des vaisseaux situés
i dans les espaces intralobulaires et inlerlobulaires avec lesquels ils se
continuent directement.
Ces notions sont importantes à connaître: elles expliquent les ano-
malies qui se rencontrent dans les diverses variétés de broncho-pneumo-
nies. La l'orme suffocante, si dangereuse à cause de l'hypersécrétion consi-
dérable qui l'accompagne et qui produit l'emphysème par obstruction
bronchique, est celle qui guérit le plus rapidement, parce que les lésions
n'occupent que la surface des voies aériennes. Les formes parenchyma-
teuscs, au contraire, sont graves et se résolvent difficilement, parce que
l'inflammation est en même temps superficielle et interstitielle, et comme
telle, présente la tendance à la chronicité qui caractérise toutes les pnleg-
masies interstitielles.
La pneumonie franche, au contraire, a pour siège le tissu intermédiaire
aux espaces ou tissu propre du poumon. D'abord limitée, mais sans loca-
lisation spéciale par rapport aux bronches, elle s'étend rapidement à tout
un lobe, en envahissant des zones étendues de tissu pulmonaire. L'cx;,utlat
composé de fibrine et de globules blancs est libre dans l'intérieur des al-
véoles; les espaces sont respectés. Il y a tendance naturelle à la résolution
qui résulte à la fois du siège et de la nature de l'exsudat.
L'examen de ces diverses lésions et de leur pathogénie peut déjà nous
faire prévoir que les phénomènes cliniques qui les accompagneront se-
ront surtout ceux d'une bronchite généralisée, engouement bronchique
avec dypsnée et toux, conduisant à une asphyxie rapide dans la forme
suffocante, plus ordinairement lente dans les formes parcnchyinateuses.
L'accumulation des mucosités peut être assez considérable pour empêcher
de percevoir par l'auscultation les signes de l'induration pulmonaire, soit
qu'elle empêche la pénétration de l'air dans les bronebes, soit (pie les
râles soient trop nombreux et couvrent le souffle bronchique. Celui-ci ré-
parait lorsque les mucosités se déplacent. Ces variations dans les symp-
tômes physiques nedoivent être rapportées qu'aux deux éléments capables
par leur mobilité d'apporter des modifications dans l'état des poumons,
savoir : les mucosités et le sang. 11 faut écarter, en effet, dans les causes de
variations des signes physiques, la mobilité d'envahissement, celle qui
dépend de la formation de nouveaux noyaux de pneumonie. D'autre part,
ce que nous savons sur la fixité des lésions du lobule, ne nous permet pas
de penser à une résolution rapide. La mobilité des signes physiques tient
doue aux déplacements de la masse sanguine en rapport avec l'étal fœtal,
les poussées inflammatoires, les troubles de l'innervation vaso-motrice, et
aux déplacements des mucosités par suite d'efforts, de spasmes des bron-
ches, etc. Mon excellent maître, Cadet de Cassicourt, attribue un grand
rôle aux congestions dans la physiologie pathologique de la broncho-pneu-
monie; elles s'accompagnent de submalité, de souffle, d'une augmenta-
584
PNEUMONIE.
linOiNCllO-PNKUMONlE. THAITEMKNT.
lion de la dypsnée, signes qui peuvent durerai heures, 2 ou 5 jours, puis
cesser complètement. Il montre qu'à côté du processus inflammatoire, il
y a des poussées congestives révélées par l'examen clinique ol par le tracé
thermomélrique et qui modifient beaucoup la physionomie de la maladie,
surtout son début. Cadet de Gassicourt établit l'existence de deux va-
riétés cliniques sur cette mobilité des congestions, l'une à symptômes sté-
tboscopiques variables, l'autre à symptômes stélhoseopiques fixes.
Une réaction fébrile plus ou moins vive avec des exacerbations caracté-
ristiques accompagne l'évolution de la broncho-pneumonie. Le rétrécisse-
ment du ebamp de l'hématose par suite de l'obstruction des bronches, et
de la formation des foyers de pneumonie lobulaire, entraîne le dévelop-
pement de l'emphysème supplémentaire. Si le malade n'est pas tué par
les progrès de l'asphyxie ou par une réaction trop violente, il y aura tou-
jours à redouter une résolution incomplète, à cause des lésions intersti-
tielles'.
Traitement. — L'élude des causes nous impose immédiatement un
certain nombre d'indications prophylactiques importantes. Comme nous
l'avons vu, la broncho-pneumonie se présente avec une fréquence et une
gravité toutes spéciales dans certaines épidémies de fièvres éruptives. On
devra autant que possible dans ces circonstances établir une bonne aéra-
tion des salles, éviter l'encombrement des malades, en un mot, mettre
sévèrement en pratique toutes les règles de l'hygiène des épidémies.
Une source d'indications découle aussi de la faiblesse et de la débilité des
malades en rapport soit avec leur âge, soit avec des affections antérieures.
Lorsqu'une bronchite intense et généralisée se déclare chez un enfant,
chez un vieillard, ou chez un individu affaibli, il faut s'efforcer d'éviter les
conséquences redoutables qui résultent de l'influence d'un décubitus dor-
sal trop prolongé. Il est indiqué de forcer les malades à s'asseoir dans leur
lit, de les faire changer fréquemment de position, de les promener dans
la chambre si cela est possible. Valleix conseille le décubitus abdominal
pour faciliter l'expectoration, et d'enlever directement avec le doigt les
mucosités qui s'accumulent dans le pharynx. Ce traitement préventif ne
s'applique évidemment qu'aux bronchites simples; il ne faut guère
compter sur lui, non plus que sur les agents thérapeutiques, s'il s'agit
d'une bronchite diphthéritique.
Au début, on doit régler tout d'abord l'emploi des moyens hygiéniques;
la chambre est maintenue à une température de 15 degrés et le malade
chaudement vêtu d'une camisole. On favorise ainsi la diaphorèse; on doit
éviter cependant que l'air soit trop chaud et surtout trop sec et il est
utile de faire autour du malade des pulvérisations ou des fumigations
émollientes. L'air doit être renouvelé fréquemment, avec les précau-
tions voulues en pareil cas; le calme, le repos sont nécessaires. La
plupart des auteurs, frappés des tendances adynamiques delà maladie,
proscrivent la diète absolue. Le régime peut être réglé souvent d après
les désirs de l'enfant; le bouillon, le chocolat, le lait, les œufs, le lait d*
poule, le vin coupé, etc., sont les aliments le plus facilement acceptés.
PNEUMONIE. — BROKCHO-PNEOIIONIE. — TRAITEMENT.
585
Pour Hilliet et Barthez, les indications doivent être tirées principalement
,ide la nature de la maladie: appartenant aux affections catarrhales, elle
(1 doit être combattue par les indications spéciales qu'elles réclament. Ce
«sont les évacuants beaucoup plus que les antipblogistiques, qui rendront
; les meilleurs services.
Les émissions sanguines sont considérées aujourd'hui comme inutiles
,'et même dangereuses dans le plus grand nombre des cas. La broncho-
pneumonie, maladie secondaire, survenant le plus souvent chez des en-
fants déjà affaiblis par une autre affection, causée fréquemment par cet
affaiblissement même, ne peut être favorablement modifiée dans sa mar-
che par une médication aussi énergiquement spoliatrice. A ce titre, Dama-
sschino, d'Espine et Picot les repoussent complètement; nous ne les avons
j jamais vues mises en usage pendant notre internat à l'hôpital Sainte-
I Eugénie. Hervieux, Piilliet et Barthcz conseillent, dans certains cas,
l'emploi des émissions sanguines locales (sangsues à l'anus, ou à la base
idu thorax, ventouses scarifiées). Roger croit aussi qu'une émission san-
.guine peut être d'une utilité réelle, chez les sujets âgés de plus de quatre
sans, quand il s'agit de cas suraigus, à forme suffocante, dans lesquels la
I phlegmasie s'étend rapidement à tout l'arbre aérien. 11 conseille égale-
i ment les ventouses scarifiées, les sangsues et même la saignée du bras
; (100 à 200 grammes), dans le but de diminuer l'intensité du mouve-
i ment fébrile et l'hypérémie des bronchioles.
Il est possible que cette perturbation énergique exerce une heureuse
i influence sur le mouvement fluxionnaire intense qui se produit dans le
: système broncho-pulmonaire. Cependant cette médication ne peut être
; appliquée qu'à un très-petit nombre de cas, et on peut en dire presque
; autant de celle qui consiste à employer les conlro-stimulanls. L'émétiquc
à doses fractionnées (5 à 15 centigr.), de manière à obtenir la tolérance.
I l'oxyde blanc d'antimoine (de 5 à 5 décagr. à 1 gramme), et surtout le
kermès minéral (de 5 à 10 centigrammes) ont été vantés par Rilliet et
Barthez, par Legendre, etc. Les préparations anlimoniales combattent
l'élément congestif de la maladie, mais elles ont l'inconvénient de dépri-
mer les forces ; aussi leur emploi méthodique et continu s'est-il fort res-
treint depuis quelques années.
On a prescrit comme exerrant une action antiphlogistique plus modé-
rée, l'aconit, à la dose de 15 à 50 gouttes (Hilliet et Barthez). La
digitale est considérée par 11. Roger comme diminuant l'intensité de la
fièvre; il a vu la température s'abaisser, le pouls tomber de 150 à 120 et
même à 110. Ces diverses préparations peuvent être prescrites seules ou
associées au kermès (extrait de digitale et kermès, 5 à 5 centigr. de cha-
cun dans un julep gommeux ou un looeh blanc) ; leur action sur le cœur
' doit toujours être surveillée avec la plus grande attention.
Les préparations antimoniales, et principalement l'émétiquc, ont un
rôle plus important à jouer, lorsque les signes d'obstruction bronchique
indiquent impérieusement la nécessité de l'expulsion des produits de
sécrétion accumulés dans les bronches. Cependant, parmi les vomitifs,
«»86 PNKUMONIK. — uhokciio-I'mcumome. — traitement.
l'ipécacuanha est celui qu'on emploie de préférence, car on peut le répé-
ter plusieurs l'ois, sans crainte de le voir affaiblir les malades, ou exercer
une action nuisible sur le tube digestif. Laénnec, Fauvel, Uilliet et
Barlhcz ont souvent insisté sur les avantages qu'on relire des vomitifs
répétés coup sur coup. L'acte môme du vomissement est utile, pur les
secousses qu'il produit, par l'hypersécrétion fluide et prompte qu'd déter-
mine. L'ipécacuanha peut être infidèle dans quelques cas, soit à cause
d'une tolérance spéciale, soit à cause de l'atonie du tube digestif, ou de
la dépression causée par l'asphyxie. Rilliet et Barlhcz conseillent d'abord
de faire précéder son administration de stimulants énergiques (sina-
pismes aux jambes, bains de pied sinapisés), à la suiLe desquels on voit
parfois les efforts de vomissement se reproduire avec assez de force
pour expulser le contenu des bronches. Dans d'autres cas, il faut recourir
au tartre stibié qui agit parfois plus sûrement. Ce sel peut même être
préféré dans les cas où l'on veut provoquer en même temps des évacua-
tions stomacales et intestinales (Il Roger). Le sulfate de cuivre produit
également ce double effet, mais parfois d'une manière beaucoup trop
intense. Il est d'ailleurs peu employé, ainsi que l'apomorpbinc qui pour-
rait cependant être prescrite aux enfants qui refusent obstinément tous les
médicaments. Dans ces derniers temps, les médecins ont restreint l'em-
ploi des vomitifs ; évidemment très-utiles au début, alors que la bron-
chite prédomine, ils sont moins avantageux ou même inutiles lorsque
l'inliltralion des lobules est effectuée, il est préférable de recourir à ce
moment aux autres moyens thérapeutiques.
Après les vomitifs qui agissent surtout comme expectorants, nous
devons signaler les autres médications qui modifient la sécrélion bron-
chique ; le kermès, l'ipéca à dose nauséeuse (0,25 centigr. en potion ou
en infusion) sont encore employés dans ce but, ainsi que la poudre de
Dower dont l'action sédative répond en outre à d'autres indications. Ils
peuvent rendre la sécrélion plus abondante, en même temps plus fluide,
et faciliter ainsi son évacuation. Les balsamiques, la gomme ammoniaque,
la décoction de baies de genièvre ou de bourgeons de sapin, les sirops
de Tolu, de térébenthine, etc., rendent plutôt des services dans la
période de déclin de la maladie, ou lorsqu'elle présente de la tendance
à la chronicité. Il en est de même du sirop de ratanhia et de tannin, des
préparations de soufre, et en particulier des eaux sulfureuses.
Les médications que nous venons de passer en revue répondent à des
indications diverses; elles agissent sur l'état général cl combattent l'élé-
ment inflammatoire de la maladie, soit en agissant sur la turgescence du
système -vasculaire des bronches et des poumons, soil en empêchant l'ac-
cumulation des produits sécrétés dans l'arbre aérien. Les révulsifs, etj
principalement les vésicaloires volants, empêchent également l'extension
de la fluxion sanguine bronchoqpulmonaire. Repoussés par Trousseau,
par Lcgcndrc, Becquerel, qui redoutaient la production d'ulcérations
rebelles ou d'accidents plus graves (érysipèle, dipbthéric, gangrène), ils
ont été au contraire préconisés par Uilliet et llartbcz et la plupart des
J IWKUMONIK. BRONCHO-PNEUMONIE. TRAITEMENT. 587
auteurs. Il est seulement recommande de les faire peu étendus, de limite]
leur temps d'application à cinq ou six heures tout au plus et de les panser
avec le plus grand soin, de manière à éviter le contact de l'air et les frot-
i tements. L'apparition de la malité ou de la submatilé, du souille ou des
raies sous-crépitants fins, annonce la production de poussées inflamma-
toires, et détermine ainsi le point où ils doivent être placés ; le plus sou-
vent, c'est aux parties postérieures et inférieures de la poitrine, ou au-
, dessous de l'omoplate, et dans la direction des côtes. Dans beaucoup de
i cas, ils ont paru exercer une action très-manifeste sur la marebe de la
; maladie, en empêchant l'extension des foyers de pneumonie, en dimi-
i nuant la fluxion des voies respiratoires, et dans les dernières périodes, en
I hâtant la résolution. A ce moment, d'autres révulsifs, huile de croton
: sur le dos (Legendre), sinapismes, emplâtres de tbapsia, teinture d'iode
I peuvent être employés également; mais il faut leur préférer les vésica-
I foires pendant la période des poussées aiguës du côté des bronches ou des
obules pulmonaires. L'enveloppement des membres inférieurs dans la
i ouate simple ou légèrement sinapisée est un excellent moyen adjuvant*
11 y a moins à compter sur les agents de la révulsion intestinale. Les
purgatifs sont employés pour hâter la résolution dans la période ter-
minale, et quand il se présente des indications spéciales du côté du
tube digestif. On prescrit surtout les laxatifs doux, la manne, le sirop de
rhubarbe, l'huile de ricin, le sirop de chicorée et de fleurs de pêcher.
Les médecins anglais se servent aussi du calomel à dose purgative ou
à dose altérante, et dans ce dernier cas, l'associent parfois aux antimo-
niaux (West). Les mêmes indications spéciales s'appliquent aux diuré-
tiques (sous-carbonate de potasse, oxymel scillitique, etc.).
Les sédatifs répondent à plusieurs indications symplomatiques ; sans
parler du délire, des convulsions qui constituent une véritable complica-
tion, on a souvent à calmer une agitation très-vive qui s'empare du ma-
lade et s'accompagne d'une sorte d'érétbisme douloureux. Les quintes de
toux, la dyspnée, l'insomnie sont exagérées dans ces circonstances. Les
narcotiques peuvent être prescrits, même le laudanum (goutte par goutte)
et le chloral (0,25 centigr., à 1 gramme) ; mais ces agents doivent être
maniés avec précaution et réservés autant que possible pour les cas très-
graves. On leur préfère l'eau distillée de laurier-cerise (4 à 10 grammes),
la belladone (extrait, 1 à 5 centigrammes), le datura, la jusquiame, le
bromure de potassium, les préparations de ciguë, de pbcllandrie, l'élbcr,
I»' sirop de valériane, etc. L'alcoolaturc d'aconit est également prescrit
(liilliel et Rarthez, H. Roger) et parait exercer une action antiphlogislique
modérée. Lorsque la fièvre est vive, quand la température atteint 39°, 5
ou 40°, et qu'il existe en même temps des phénomènes nerveux alar-
mants, Rillict et Barthez conseillent l'usage des bains de son, à 54°,
ou 55°, d'une durée de dix minutes et répétés au besoin deux ou trois
fois dans les vingt-quatre heures. Ces bains sont suivis d'une sédation
marquée, l'agitation cesse, et le malade retrouve parfois le sommeil.
Dans quelques cas, ce moyen rend une plus grande énergie aux efforts
Jj88 PNEUMONIE. — bromcho'PnbOhdnib. — traitement.
de toux, suivis d'expectorations qui débarrassent les bronches. Guer-
sanl, lîlaelic, H. Roger, etc.. et la plupart des auteurs ont reconnu
également que les bains liodes dans la broncho-pneumonie exercent une
action à la ibis sédative et stimulante, Ils s'accordent à dire cependant
qu'on ne doit pas les prescrire dans le cas de trop grande prostration.
Nous insisterons un peu sur d'autres moyens hydrotkérapiques, peu em-
ployés en France jusqu'ici, mais qui, au dire des médecins étrangers
qui les préconisent, rendent des services éclatants dans le traitement de
la broncho-pneumonie.
Hildenbrand et Campagnano ont, les premiers, conseillé l'emploi des
lotions et des affusions froides dans les pneumonies. Ghisi obtint, au
moyen des bains froids, la guérison d'un enfant de 13 ans, arrivé à la pé-
riode asphyxique de la broncho-pneumonie. Ziemssen recommande l'appli-
cation de compresses d'eau fraîche sur le thorax, renouvelées toutes les
dix minutes. H a réussi par ce moyen à calmer les malades, à diminuer la
dyspnée, à abaisser le chiffre de la température et des respirations. Jur-
gensen, dans les cas très-graves, où la dyspnée et la cyanose sont extrêmes,
fait prendre aux malades un bain tiède de 20 à 25 minutes, après lequel
il donne une douche d'eau froide en jet sur la nuque. Steffen a aussi
employé cette méthode chez les jeunes enfants ; cependant sa statistique
n'est pas encourageante, 4 cas de guérison seulement sur 97 cas.
Bohn, dans l'Encyclopédie de Gerhardt, conseille l'enveloppement dans
le drap mouillé pendant plusieurs heures jusqu'à ce qu'on ait obtenu un
abaissement suffisant de la température, la cessation de l'agitation et de
la dyspnée. Cette pratique est recommandée aussi par Liebermeister, Sche-
del, Jûrgcnsen, Cohn. Bartels n'a pas craint, dans les cas très-graves, de
continuer l'emploi des enveloppements pendant plusieurs jours et plu-
sieurs nuits sans interruption. Wyss va jusqu'à dire que ces enveloppe-
ments doivent être préférés à tous les autres moyens thérapeutiques.
Voici comment ils doivent être employés : un drap ou une couverture de
laine sont trempés dans de l'eau froide et tordus fortement; après avoir
été plié plusieurs fois, le drap est étendu sur une couverture de
laine qui le dépasse dans tous les sens. L'enfant est d'abord emmaillotté
jusqu'aux aisselles dans le drap, puis dans la couverture sèche, laquelle
est fixée au moyen de fortes épingles. Les bras doivent rester libres, et
après l'enveloppement, la chemise de l'enfant qu'on avait eu soin de re-
lever au-dessus des épaules est ramenée sur la couverture de laine. L en-
veloppement dure deux heures; on laisse l'enfant sec pendant une demi-
heure ou une heure et l'on recommence. Les enveloppements doivent
être faits jour et nuit à intervalles plus moins éloignés suivant l'intensité
de la fièvre. On emploie de l'eau plus ou moins froide, ou simplement
de l'eau à la température de la chambre. Après chaque enveloppement,
il est bon de faire prendre à l'enfant une cuillerée d'un vin généreux dans
un peu d'eau. Il faut veiller à ce qu'il ne se produise pas de refroidis-
sement des extrémités. Lorsque ces enveloppements sont commencés, on
constate bientôt que l'enfant respire mieux, il tousse moins; l'état géné-
PNEUMONIE.
BROKCIIO-PiNKIlJIO.ME.
TIUITEMI YÏ.
589
rai et local se trouvent améliorés ; l'enfant dort paisiblement dans l'in-
tervalle des enveloppements. Ces intervalles deviennent de plus en plus
grands à mesure que la température tombe ; à 59° ils sont de deux heures ;
à 58°, 5, de trois heures. A cette température, on les cesse le soir si la
température du matin est normale ; il est bon cependant de les continuer
•encore une ou deux fois par jour.
Nous avons vu que la diaphorèse obtenue à l'aide des antimoniaux ne
peut être recherchée longtemps, à cause des contre-indications spéciales
fournies par Vétal des forces. Depuis longtemps les médecins ont reconnu
que l'asthénie est le trait dominant dans les diverses formes de la
broncho-pneumonie (de la Berge, Legendrc, etc.). On s'adresse surtout aux
stimulants, pour la combattre : parmi les stimulants externes on prescrit
surtout les onctions chaudes (axonge, huile, beurre de cacao), les for-
mentations vinaigrées, les sinapismes. Le marteau de Mayor, l'inhalation
de vapeurs d'ammoniaque, sont réservés pour les cas où il y a menace de
suffocation et d'asphyxie. Les sudorifiques, la chaleur, les boissons chaudes
aromatiques, le thé, le café, seraient d'une grande utilité, mais les enfants
ne les acceptent souvent qu'avec les plus grandes difficultés. Les sels d'am-
moniaque (chlorhydrate ou carbonate d'ammoniaque, 20 centigr. à 50
centig. , acétate d'ammoniaque) répondent à une double indication, en modi-
fiant les sécrétions bronchiques, et en stimulant l'énergie des malades. On
emploie dans le même but l'acide benzoïque, ('20 à 40 centigr.), l'infusion
de polygala senega (1 à 5 grammes); le musc (20 à 40 centigr. dans un
looeh).
Mais parmi les agents delà médication stimulante, les alcooliques sont
ceux dont paraissent résulter les meilleurs effets; la potion cordiale du Co-
dex, les vins de Malaga, de Xérès, Bagnols, Porto (50 à 100 grammes par
jour) sont de puissants excitants dans les cas de débilitation profonde. L'al-
cool, le rhum (10 à 50 grammes, dans une infusion aromatique), le punch
léger, Pélixir de Garus, remplissent les mêmes indications et combattent
l'asphyxie en augmentant l'énergie des efforts respiratoires : il en est de
même des préparations alcooliques, du quinquina (teinture de quinquina,
20 grammes). Dans les cas de gangrène, outre les stimulants, on prescrit
encore les désinfectants et les antiseptiques (eau de Labarraque, acide
phénique, eucalyptus, térébenthine, etc., etc.).
Les divers alcooliques répondent à la nécessité de combattre la pro-
stration qui survient si fréquemment dans le cours de la broncho-pneu-
monie. On leur adjoindra, si cela est possible, une alimentation tonique,
lait de vache ou d'ànesse, bouillon américain, jus de viande, jaunes
d'œufs, boissons vineuses, etc... L'inappétence absolue des enfants ap-
porte souvent un obstacle invincible à l'ingestion des aliments; les alcoo-
liques, les préparations de quinquina, sont alors les ressources les plus
puissantes dont nous disposions contre la débilitation.
Pendant la convalescence, on a encore à combattre le catarrhe bron-
chique qui persiste plus ou moins longtemps ; les expectorants, le tannin,
les balsamiques, les eaux sulfureuses naturelles (Bonnes, Cautercts, etc.),
590 PMiUMONIK. — iiiiomciio-i'.neumonik. — tkaitemekt.
coupés avec le lait, peuvent rendre de grands services. Une surveillance!
attentive est nécessaire pour prévenir le retour des rechutes : un lon^l
séjour à la chambre (deux à quatre semaines) doit être imposé aux en-!
fants. Pour le lever, pour l'alimentation, il est souvent sage de s'en rap-l
porter à leur instinct (II. Roger). On ne tardera pas à leur donner une!
alimentation de plus en plus fortifiante (potages, œufs, viandes). L'emploi
de l'huile de foie de morue, de l'iodure de fer, du phosphate de chaux, I
les cures de lait de chèvre, sont souvent nécessaires pour comballre l'a- ;
nérnie. Le rétablissement des forces peut être complété et avancé par un!
séjour à la campagne, dans les montagnes ou dans une station marilimcjij
ou thermale convenablement choisie.
Nous ne pouvons entrer ici dans de longs détails sur les indication»
spéciales : le traitement doit être modifié suivant les causes, les formes,!
les périodes de la maladie, suivant l'âge des sujets, l'état des forces, I
suivant les complications (convulsions, emphysème, pleurésie, gan-1
grène, etc.), la prédominance de certains symptômes, etc., etc.. Toutes!
ces indications thérapeutiques, variables avec chaque malade, sont du res-
sort de la clinique et ne peuvent être développées dans le cadre que nous
sommes forcés d'adopter ici. Nulle ou à peu près dans les broncho-pneu
monies consécutives au croup, la thérapeutique est également désarmée
dans celles qui sont le résultat d'une cachexie profonde. Les toniques,
les stimulants, sont les seules ressources qui nous restent contre les
effets de la maladie. Dans les fièvres éruptives, dans le noma, dans la
fièvre typhoïde, dans la coqueluche, des modifications spéciales sont
nécessitées dans le traitement par l'affection primitive. Mais les indication.'
principales sur lesquelles nous avons insisté dominent toujours ; on doit
toujours s'opposer aux congestions actives et passives et à l'accumulation
des sécrétions bronchiques, en agissant soit mécaniquement au moyen
des vomitifs, soit indirectement par les stimulants, les révulsifs, etc.
Quelle que soit la maladie primitive, la broncho-pneumonie qui vient la
compliquer présente, en effet, des indications constantes tirées delà forme
qu'elle revêt, de la prédominance de l'élément bronchique ou de l'élé-
ment parenchymateux. Dans la forme suffocante, bronchite capillaire, les
vomitifs, les sédatifs, les révulsifs cutanés (ventouses, sinapismes) sont
employéssurtout pour combattre la dyspnée, et l'engouement des bronches.
Dans les formes parenchymatcuses, on peut parfois, au début, essayer des
antiphlogistiques ; mais les révulsifs énergiques (vésicatoires), les stimu-
lants et les toniques font ordinairement la base du traitement.
En résumé, au début, quand prédomine l'engouement bronchique,
on peut commencer le traitement par un ou deux vomitifs; puis tout en
excitant une révulsion cutanée énergique (sinapismes, ventouses, pédi-
luves, enveloppements ouatés, vésicatoires), on prescrira les modificateurs
des sécrétions bronchiques (kermès), les antiphlogistiques et les modifica-
teurs de la circulation (digitale, aconit, etc.). A la période d'état, lorsque
le parenchyme pulmonaire est envahi, les révulsifs doivent encore être
prescrits, et de plus, les toniques, l'alcool, le quinquina, etc.... Pendant
PNEUMONIE. BRONCHO-P.NKUMONIK. BIBLIOGRAPHIE.
59 1
la période de déclin, les toniques, une alimentation plus substantielle,
les balsamiques et les sulfureux sont spécialement indiqués.
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KODV. DICT. MÉD. ET CUIR.
XXVIII— 58
r»9 i PNKUMONIIi. — pn. chuomquk.
pneumonie i-iikonique. — Nous ne pouvons nous occuper, dans cel
article, (]iie des affections inflammatoires chroniques du poumon consé-
cutives à des affections aiguës de même ordre en quelque sorte sponta-
nées. Nous rejetons de notre cadre les pneumonies chroniques partielles
consécutives à des lésions de natures diverses des bronches et du paren-
chyme pulmonaire. Ainsi, on trouve presque constamment autour des
foyers apoplectiques, des kystes hyda tiques et des diverses tumeurs du
poumon, des lésions inflammatoires plus ou moins étendues, et aboutis-
sant à la formation d'un tissu seléreux, ardoisé ou fortement pigmenté.
Des lésions d'apparence semblable se produisent autour des tubercules
et des cavernes. Primitivement, ces pneumonies pérituberculeuses ne pré-
l> sentent rien qui leur appartienne essentiellement en propre; elles ne dil-
•^fl'èrent point de celles qui caractérisent la broncho-pneumonie (Charcot),.
t* et aboutissent dans les formes chroniques à la même sclérose du tissu
conjonctif, aux mêmes transformations granulo-graisseuses des épithéliums
(Voyez pour la discussion de la pneumonie caséeuse l'article Phthisie,
t. XXVII, p. 277). Les pneumonies consécutives à l'introduction des pous-
sières dans les voies aériennes (pneumonokonioses) sont aussi des bron-
, ~ cho-pneumoiiies. Nous nous bornons à les rappeler ici, ainsi que la pneu-
Jlt» monie syphilitique : leur description viendra aux articles PitoFtssjo.N e!
Jjfr Syphilis.
La gangrène et les abcès du poumon peuvent être aussi l'origine de
pneumonies chroniques. Le processus inflammatoire, qui se développé
à leur périphérie et qui amène la cicatrisation du foyer, s'étend parfois
au poumon tout entier. Nous ne donnerons pas de ces cas une description
à part; ils rentrent le plus souvent dans les variétés communes, sur
lesquelles nous allons maintenant insister. Les pneumonies chroniques
peuvent être aujourd'hui classées en un certain nombre de variétés bien
distinctes. Nous devons dire dès à présent que, dans ses leçons professées
.à la Faculté de médecine en 1877-1878, Charcot a plus nettement
encore caractérisé ces divisions, en montrant que les diverses formes de
lésions chroniques peuvent succéder aux affections inflammatoires aiguës
des bronches et du parenchyme pulmonaire. Ces lésions ont reçu des
auteurs les noms de cirrhose, squirrhe dit poumon, pneumonie in-
terstitielle, induration pulmonaire, sclérose du poumon, phthisic
fibroïde , etc. Ces dénominations, comme on le voit, s'appliquent à
tous les cas et doivent être remplacées par des termes plus caractéris-
tiques. Nous adopterons ici les genres décrits par Charcot, et qui sont
ndés sur l'étude du siège primitif et de la marche des lésions. Une pre-
nière variété, représentant à l'état chronique la pneumonie lobaire aiguë,
évolue dans le parenchyme pulmonaire proprement dit, dans les alvéoles;
deux autres variétés sont consécutives aux inflammations des bronches et
de la plèvre: ce sont les broncho-pneumonies chroniques et les pneu-
monies chroniques pleurogènes. Il faut ajouter qu'il est fréquent de voir
coexister les lésions de ces diverses formes ; presque toujours, dans les
dernières périodes, le parenchyme pulmonaire, la plèvre et les bronches.
/
/A
PNEUMONIE. PiN. CHRONIQUE. P. [.On.UHE CHRONIQUE. 595
participent en même temps aux altérations. Les signes sont alors ceux
de l'atrophie seléreuse ci de la rétraction du poumon, affaissement du
thorax, déplacement des viscères thoraeiques et abdominaux, dilatation
du cœur, etc. C'est surtout par l'examen des commémoratifs et de la
marche de la maladie que l'on peut arriver à préciser la nature de l'af-
fection.
À. Pneumonie lobaire chronique. — Celte forme de pneumonie chro-
nique a été étudiée surtout en France; il faut citer notamment les travaux
d'Andral, Grisolle, Hardy et Bélucr, la thèse d'agrégation et les leçons
de Charcot. Chez les auteurs allemands, nous ne trouvons que quelques
passages dans les leçons de Traube, un travail assez complet publié
par Heschl en 1 850. Les travaux anglais publiés sur la pneumonie chro-
nique sont plus nombreux, mais visent surtout la forme broncho-pneu-
monique. Le nombre des observations de pneumonie lobaire chronique
véritablement digne de ce nom est donepeu considérable, lorsqu'on a
soin d'éliminer, comme on doit le faire, les pneumonies aiguës qui af-
fectent un certain caractère de chronicité par la lenteur de leur marche
• ou de leur résolution. I.a persistance des exsudais pneumoniques dans
Jes alvéoles se manifeste parfois par des signes physiques, longtemps
après la défervescence et le retour complet à la santé. Mais ces exsudats
non résorbés persistent ainsi au sein du parenchyme pulmonaire, sans
i qu'il y ait coexistence d'un travail inflammatoire (Charcot). Grisolle a vu
. ainsi la reslilulio ad integrum n'être complète que du 20e au 55e jour,
' 66 fois sur 105 cas. Sur 26 cas observés par Fox à ce point de vue, 5 cas
i ue se terminèrent qu'entre le 20e et le 25e jour, 1 cas entre le 25e et le
'■ 30"' jour. Andral (cité par Fox, p. 755) a vu cette prolongation durer
i quatre mois. Des faits analogues ont été publiés par Rayer (Gaz. médic,
1846), par Raymond, Àran, Ilérard, etc. Ce sont là des exemples
• de résolution lente ; lorsqu'à la persistance des exsudats vient se joindre
un processus inflammatoire du côté des parois alvéolaires qui les con-
: tiennent, la pneumonie chronique se trouve constituée, et à cette exten-
• sion nouvelle du processus correspondent des phénomènes pathologiques
i nouveaux absents, dans la résolution lente, laquelle peut s'opérer avec
l toutes les apparences de la santé la plus parfaite (Grisolle).
Dans les cas moins heureux, le parenchyme pulmonaire devient le siège
d'altérations plus ou moins profondes, aboutissant à la sclérose du pou-
1 mon. Celle-ci peut se produire de deux manières différentes : 1° par un
i processus à marche continue, progressive, régulière, succédant à une pre-
1 mière attaque de pneumonie aiguë; 2° par un processus à phases suc-
cessives, à évolution interrompue, qui s'établit à la suite d'un certain
nombre de récidives de la pneumonie aiguë dans le même point. Mais,
que les phénomènes inflammatoires se déroulent d'une manière conti-
l 'lue, ou qu'ils se succèdent, pour ainsi dire, en plusieurs actes, les lésions
| qui en résultent sont identiques dans les deux formes. Celles-ci présen-
tent, en réalité, plus d'intérêt au point de vue clinique qu'au point de
v 'vue anatomo-pathologique.
596 PiNEUMONIK. — pn. ciironiqui:. — anatomie rATiioLOGiQDE.
Anatomie pathologique. — âvanl d'étudier les types variés d'al-
lérations qu'on observe dans la pneumonie lobaire chronique, il importe
de bien distinguer les lésions qui succèdent à la résolution lente de la
pneumonie aiguë. Elles sont également peu connues : dans un cas où la
mort était survenue trente-cinq jours après la défervescence, l'examen
microscopique montra les alvéoles remplis de masses muqueuses englo-
bant des corps granuleux, des leucocytes, des cellules épilhélialcs et des
granulations graisseuses libres. Les parois alvéolaires ne présentaient
aucune modification de texture appréciable (Charcot). Dans un autre cas,
d'une durée à peu près égale, observé dans le service deDuguet, l'examen
microscopique fait par Pitres révéla également la présence d'éléments
granuleux dans les cavités alvéolaires dont les parois étaient saines.
Tout porte à croire que ces produits inflammatoires disparaissent lors-
que la survie est assez longue.
Lorsque le processus inflammatoire envahit la paroi alvéolaire restée
intacte jusque-là. une nouvelle série d'altérations se produit, présentant
des caractères anatomo-pathologiqucs variables suivant leur degré d'an-
cienneté. C'est un processus nouveau qui commence et qui se manifeste
cliniquement d'une manière spéciale.
Induration rouge. — Lorsque le malade succombe peu de temps
après le passage de la pneumonie à l'état chronique, l'aspect du poumon
présente un ensemble de caractères qui se rapprochent de ceux de l'état
aigu et qui ont valu à la lésion les noms ^induration rouge (Amiral,
Ilope, Fôrster, Charcot) ou d'hépatisation indurée (Lebert). Le lobe qu'elle
occupe a augmenté de volume et de poids : son tissu est rouge, compacte,
homogène, non crépitant, granuleux sur la coupe, mais moins manifes-
tement qu'à l'état aigu. Le parenchyme est devenu plus ferme, plus con-
densé, plus sec que dans l'hépatisation rouge; il est aussi plus anémié
et plus pâle. Le cloisonnement interlobulaire est peu marqué ou nul.
De plus, il existe un épaississement de la plèvre, au niveau des parties
indurées ; enfin, signalons un Irait particulier, sur lequel a insisté tout
spécialement Charcot : c'est Y absence de dilatation des bronches.
Les recherches histologiques faites autrefois par Lebert, Fôrster et
lleschls ont été complétées dans ces derniers temps par Charcot. Dans
lous les cas, les parois alvéolaires sont épaissies et infiltrées d'éléments
jaunes, ronds et fusiformes; les fibres élastiques restent intactes. Dans
quelques cas le contenu fibrineux persiste encore pendant un temps assez,
long (Gougucnheini et Balzer) : ordinairement, les alvéoles sont rétrécis et
renferment des cellules épithéliales englobées dans un magma granulo-
graisseux. 11 existe souvent des corps granuleux. Les cellules épithéliales
qui persistent sont larges, polygonales ; elles contiennent souvent des
cristaux de margarine. 11 n'y a pas d epilhéliums cubiques (Charcot).
Ces diverses altérations se rencontrent chez les individus qui succombent
environ un mois ou six semaines après le début de la pneumonie chro-
nique. Dans quelques cas plus rares, l'aspect macroscopique de la lésion
revêt des caractères différents qui lui ont fait donner le nom d'indu-
PNKUMONIK. — PN. CIIROKIQRE. — ANATOMIE PATHOLOGIQUE.
597
ration jaune. Celle-ci, à la vérité, ne paraît différer de l'induration rouge
que par la couleur, et peut-être aussi par l'abondance des exsudats, qui en
comprimant les vaisseaux anémient le parenchyme induré et lui donnent
son aspect spécial. L'analyse liislologique retrouve, en effet, dans ces
cas, les mêmes lésions du côté des alvéoles que dans l'induration rouge.
Induration grise. — Lorsque la pneumonie chronique atteint une
durée qui dépasse plusieurs mois, les altérations du parenchyme pulmo-
naire aboutissent à la sclérose. Mais le processus présente d'abord une
phase intermédiaire dans laquelle les caractères de l'induration rouge
persistent encore, mêlés à ceux de l'induration grise. Au bout de deux ou
(rois mois, le poumon présente encore des granulations, mais déjà beau-
coup plus petites : sa coloration est brune avec des plaques ardoisées ; les
travées interlobulaires se dessinent nettement. Le tissu présente à la coupe
une surface plus ferme, plus sèche ; les bronches ne sont pas dilatées, et
pourtant déjà l'hyperplasie du tissu conjonctif est assez considérable pour
produire la rétraction et une diminution de volume du poumon.
Ces divers effets sont beaucoup plus accentués lorsque la lésion arrive
à la deuxième phase de l'induration grise. Le tissu pulmonaire a subi
alors véritablement l'altération que Cruveilhier désigne sous le nom de
métamorphose fibreuse. 11 faut quatre, cinq mois, une année ou davan-
tage, pour que le tissu fibreux de nouvelle formation envahisse ainsi tout
l'ancien foyer de pneumonie. A l'autopsie, le poumon présente une con-
sistance telle que le doigt ne peut le pénétrer; son tissu crie sous le
scalpel. Le plus souvent il ne crépite plus, reste imperméable et va an
fond de l'eau ; quelquefois il est légèrement spongieux. Sa surface est
lisse, sans granulations; elle présente habituellement une coloration ar-
doisée ou d'un gris cendré. Mais elle peut aussi être sillonnée de mar-
brures violacées, verdàtres ou noires. Les travées de tissu conjonctif sont
vaguement dessinées sur la coupe qui est plane, sèche, ou laisse seulement
sourdre un peu de sérosité sanguinolente. La plèvre est épaissie et forme
une véritable coque fibreuse. A cette période ullime, le poumon est peu
vasculaire, il est rétracté, ratatiné, globuleux, réduit aux deux tiers, à la
moitié, ou même au tiers de son volume. Mais notons toujours que, malgré
ce développement considérable du tissu conjonctif, il n y a pas de dila-
tation bronchique.
L'étude histologique montre les alvéoles envahis par le tissu fibreux
à tel point que leur nombre a considérablement diminué ; on voit, dans
quelques-uns, des productions fibreuses proéminer sous la l'orme de
polypes au milieu de leur cavité. " ~ ~~
Celle-ci est quelquefois remplie d'épilhéliums polygonaux ou renferme
des corps granuleux. On n'aperçoit nulle part les traces d'un travail
de caséilication. Les alvéoles renferment en outre des cristaux aciculés
nombreux .
Il se produit cependant un travail de dégénération spéciale; cardans
plusieurs cas on a noté l'existence d'excavations, sculptées au sein du
parenchyme pulmonaire. Charcot les désigne sous le nom i'uleèrës du
598 PNEUMONIE. — pn. chhomqiie. — symptômes.
Vl poumon pour les distinguer des cavités qui succèdent aux abcès de 1»
fl pneumonie aiguë, ou des cavernes tuberculeuses. Ces excavations sont
ri tapissées d'un revêtement membraneux : elles présentent les mêmes
caractères que celles qu'on observe dans la pneumonie anthracosique.
Symptômes. — Comme nous l'avons déjà vu, révolution clinique
de la maladie présente deux grandes variétés, suivant son mode de début
et sa marche. Dans une première série de cas se rangent les pneumonies
chroniques qui succèdent à courte échéance à la pneumonie loba ire aigui
Les accidents nouveaux s'annoncent souvent de la manière suivante : la
pneumonie a évolué régulièrement, la défervescence et l'amendement de&
symptômes se sont produits à l'époque ordinaire, et ont été suivis du
retour de l'appétit et d'une amélioration dans le fonctionnement des divers
appareils. Mais les changements dans l'élat local ne correspondent pas à
cette disparition des phénomènes généraux. La percussion constate une
matité d'une certaine étendue, et à l'auscultation on rencontre la respiration
bronchique, la bronchophonie avec des râles sous-crépitants et muqueux
(Grisolle). Jusqu'ici rien de spécial : ces symptômes s'observent égale-
ment dans la résolution lente. Mais au bout d'un temps plus ou moins
long la fièvre reparaît, et le plus souvent revêt d'emblée le caractère
hectique, avec redoublements vespéraux, suivis de sueurs. Souvent alors
i \ l'ensemble des phénomènes pathologiques pourrait faire croire à Pévoltt-
I [tion d'une phthisie galopante (Charcot, obs. de Monneret). Outre la toux,
■ la dyspnée et la fièvre hectique avec sueurs, on constate, en effet, un
dépérissement général, une cachexie rapide, accompagnée dans quelques
cas d'œdème des membres inférieurs, de diarrhée. Dans d'autres cas, on
voit reparaître, surtout chez les vieillards, les symptômes d'adynamie,
l'état typhoïde, qui sont inséparables chez eux de l'évolution de la pneu-
monie. La terminaison fatale peut même être précédée de la formation
d'eschares.
Les symptômes locaux ne sont pas tranchés comme dans la pneumonie
lobairc aiguë. Le point de côte, la dyspnée, la toux, peuvent manquer ou
être très-peu prononcés, surtout si la maladie ne revêt pas les allures de
la phthisie galopante. Les crachais sont, muqueux ou muco-purulents,
comme dans la bronchite. L'exploration physique donne des signes variables
suivant l'ancienneté de la maladie, mais qui n'ont rien de patbognomo-
nique. Dans les premières périodes, ce sont purement et simplement ceux.
0 de l'induration pulmonaire : vibrations thoraciques exagérées, matité abso-
lue à la percussion, râles muqueux, souffle bronchique el bronchophonie.
Quelquefois, lorsque l'induration est extrême, le souffle devient caverneux,
(/ et les râles peuvent prendre un timbre métallique. Enfin, dans quelque?
cas, l'auscultation a pu ne donner que des signes négatifs, absence de
souffle el de râles, tenant sans doute à l'obturation momentanée des
bronches par les produits de sécrétion (Grisolle, Charcot) plus ou moins
concrets.
Lorsque la maladie a été de longue durée, ou dans certains cas à foi nie
ulcéreuse, des symptômes cavitaircs peuvent èlre constatés : outre le
PNEUMONIE. — PN. CHRONIQUE. — SYMPTÔMES.
59(1
souffle el les râles caverneux, on trouve à la percussion un son 1 y m pa-
nique, cl dans quelques cas un bruit de pol fêlé. Ces phénomènes n'exis-
tent que dans les cas où l'excavation est superficielle et assez considérable.
Comme on le voit, les symptômes de la pneumonie chronique peuvent
être résumés de la façon suivante : symptômes généraux, hecticité, con-
somplion, état typhoïde; symptômes physiques, ceux de l'induration pul-
monaire, dans quelques cas, avec phénomènes cavitaires.
Mais il cxisle une autre catégorie de cas qui ne présentent pas la même
marche continue et régulière. Au lieu de succéder à courte échéance à la
pneumonie aiguë et d'évoluer ensuite sans interruption marquée, l'indu-
ration pneumonique ne s'établit qu'après le retour d'un certain nombre
d'altaques de pneumonie aiguë se répétant sur le même poumon et dans
le même point. Le nombre de ces récurrences lluxionnaires peut être plus
ou moins considérable, el il ne faut pas oublier que la pneumonie chro-
nique n'en est pas toujours fatalement la conséquence. Dans la pneumonie
chronique récurrente, la reslitulio ad inlcarum n'est pas complète après
chaque récidive : un certain degré d'induration persiste dans l'intervalle
des accès qui se reproduisent jusqu'à ce que l'induration et la sclérose du
poumon soient telles que l'exsudation intra-alvéolaire devienne impos-
sible. Quelquefois alors, la maladie se termine par une dernière poussée
de pneumonie aiguë qui atteint l'autre poumon. Deux cas de pneumonie
lobaire récurrente ont été observés à la Salpètrière par Charcot : le pre-
mier, chez une femme morte à l'âge de soixante-seize ans, qui eut sa
première pneumonie à gauche en 1861, et qui mourut en 1867, après
avoir eu sept attaques du même côté. Elle succomba à la huitième, qui
eut lieu du côté droit. Ces diverses récidives furent régulières et s'accompa-
gnèrent des signes stélhoscopiques et des crachats rouillés caractéris-
tiques. Les dernières attaques diminuaient graduellement d'intensité; la
résolution était toujours très-lente, une respiration rude avec râles sous-
Crépitants persistait du côté affecté, en même temps qu'un peu de toux et
d'oppression.
A oici l'histoire résumée de la seconde malade, qui succomba à l'âge
de quatre-vingt-un ans :
Poumon droit. Sommet.
1RC3. Novembre. — Première attaque connue; courbe régulière avec défervesccncc, sortie
trois mois après, conservant au sommet du souille et des râles sous-crépitants.
1804. Novembre. — Deuxième attaque, même siège; courbe régulière avec dél'ervescence,
sortie, un mois après, ayant toujours du soufllc.
1805. — Troisième attaque au sommet gauclu. — Décembre. Sortie un mois après, ayant
encore du souille. On ignore si elle avait déjà une pneumonie de ce côté.
1860. — Quatrième attaque avec complication de pleurésie enkystée à droite qui cause la
mort. — Autopsie. — Induration ardoisée du sommet droit. — Pleurésie enkystée du même
côté au niveau du lobe inférieur. — Induration fibreuse du sommet du poumon gauche.
Lorsque, dans les cas de cette nature, l'induration pulmonaire se trouve
établie, elle présente des signes semblables à ceux que nous avons déjà
signalés. L'évolution et la marche ne diffèrent que dans la phase eu
quelque sorte préparatoire de la pneumonie chronique.
000
l'NI'XMUNIK
Pfi. CII1IOMQUK. SYMI'TÔMKS.
Parmi les symptômes rares qu'elle peut présenter, il l'aul citer le rétré-
cissement tlioracique sur lequel ont insisté Stokes, Wunderlich, etc., et qui
est naturellement expliqué par la sclérose atrophique du poumon. Mais
ce signe très-rationnel ne paraît pas avoir été observé d'une façon aussi
accusée que dans les autres formes de pneumonie chronique.
L'expectoration, dans quelques cas, redevient jaunâtre, rouillée, lors-
qu'il se produit une extension nouvelle du travail phlegmasique aux parties
jusque-là restées saines. Des hémoptysies se sont montrées dans plusieurs
cas.
La durée de la maladie est très-variable : indéterminée dans la forme
récurrente, où elle est subordonnée au nombre et à l'intensité des pous-
sées aiguës, elle est plus courte lorsque l'induration succède à courte
échéance à la pneumonie aiguë. Elle peut durer, dans ces cas, de deux à
cinq mois; quelquefois cependant la maladie se prolonge pendant plus
d'une année. L'évolution clinique de la maladie présente trois phases
dans la forme commune : 1° une phase intermédiaire succédant à la
pneumonie aiguë, dans laquelle, la fièvre étant tombée, le malade semble
devoir guérir complètement, quelques signes locaux seuls persistent;
2° une phase d'activité pendant laquelle le processus inflammatoire, un
moment interrompu, reprend sa marche : la fièvre reparaît, des râles mu-
queux se font entendre dans la poitrine, des signes d'excavation pulmo-
naire peuvent être perçus; 5° ces phénomènes s'accentuent dans h phase
terminale caractérisée par la cachexie et l'épuisement des forces, et dans
laquelle la diarrhée, les sueurs profuses, se déclarent : le malade succombe
en général dans le dernier degré du marasme. Quelques cas de guéiison
ont été signalés par les auteurs, mais on peut supposer qu'ils ont eu
affaire à des résolutions lentes plutôt qu'à des pneumonies chroniques
bien avérées.
La terminaison fatale peut être parfois précipitée par le développement
de certaines complications, notamment les abcès ou la gangrène pulmo-
naire.
La formation d'abcès est annoncée par l'expectoration soudaine d'une
quantité plus ou moins considérable de pus. Les phénomènes généraux
qui précèdent la collection purulente sont peu connus : on a remarque
cependant que dans quelques cas la majadie avait évolué avec une tempé-
rature peu élevée (Traubc, Charcot). Le pus est couleur lie de vin ou fran-
chement phlegmoneux : il peut renfermer des débris villeux, dans lesquels
le microscope démontre l'exislcnce de libres élastiques. Quelquefois aussi
les crachats offrent une couleur vert d'herbe rappelant les crachats colorés
par la bile (Traube), dont l'aspect serait dû à une matière colorante parti-
culière de provenance liématique. Du reste, ces crachats n'appartiennent
pas exclusivement aux abcès pulmonaires : Charcot les a retrouvés éga-
lement dans deux cas de pneumonie caséeuse aiguë.
La gangrène est une complicalion beaucoup plus rare encore, et les
quelques observations qu'on possède n'établissent pas nettement si elle
est primitive ou consécutive à la pneumonie. C'est encore l'expectoration
PNEUMOjSME. — pn. ciiiiomque. — étiologie. diagnostic. 601
i qui en décèle ic développement, par la couleur et l'odeur caractéristiques;
il peut y avoir des hémoptysies. Enfin, on observe en même temps les
symptômes graves, consécutifs à l'infection putride par résorption des
i débris sphacélés.
Étiologie. — L'influence pathogénique la plus importante est, sans
contredit, la faiblesse des sujets, quelle qu'en soil d'ailleurs la cause. Très-
rare dans l'enfance, c'est dans l'âge moyen de la vie et dans la vieillesse
qu'on observe habituellement la pneumonie chronique. Les maladies qui
amènent un dépérissement profond ou la cachexie ont une certaine
influence sur son développement : telles sont l'intoxication palustre
(Ileschl, «à Cracovie), l'albuminurie (Bright). Une cause plus importante
est l'alcoolisme, déjà signalé par Magnus Huss.
Les maladies organiques du cœur ont été également incriminées, mais
• sans preuves suffisantes.
11 en est de même pour la syphilis; les lésions scléreuses qui ont été
notées dans le poumon par les auteurs ne peuvent être rapportées avec
i certitude à la pneumonie lobaire chronique.
Enfin, comme nous l'avons vu, il faut tenir grand compte du nombre
i des pneumonies antérieures. Lorsque la pneumonie lobaire se résout len-
tement, elle laisse après elle une lésion permanente des parois alvéo-
laires. Il s'établit ainsi une prédisposition aux récurrences ou tout au
moins une cause d'appel propre à déterminer leur siège. Des pheno-
i mènes analogues se passent dans le cas de néo-membranes pleurales, ren-
fermant des vaisseaux à parois embryonnaires, et qui deviennent facile-
i ment le siège de phlegmasies à répétition, pouvant se traduire chaque fois
par la formation d'un nouvel exsudât séro-fibrineux (Paget, Charcot).
De plus, les cliniciens ont depuis longtemps remarqué que quelques
personnes sont sujettes à des attaques répétées de pneumonie aigué
' (W. Fox), comme s'il existait chez elles une véritable disposition consti-
tutionnelle. Le même poumon, les mêmes parties de ce poumon, sont le
: siège de ces récurrences fluxionnaires. Sur 55 cas de pneumonie, Grisolle
a vu 25 fois la maladie se reproduire sur le poumon d'abord affecté.
Andral a vu un malade avoir 15 attaques de pneumonie dans l'espace de
11 ans; Chomcl a cité 10 récidives, Franck, 11, Rulh, 28. Un enfant
• observé par Ziemssen a éprouvé en 5 ans 4 attaques de pneumonie ayant
pour siège le lobe inférieur gauche, et une cinquième occupant le lobe
: supérieur droit. Les intervalles des récurrences peuvent être plus ou moins
longs : suivant W. Fox, leur durée moyenne serait de 5 à 5 ans. Les atta-
ques se succèdent plus rapidement à mesure qu'elles deviennent plus
• nombreuses. Suivant Charcot, leur fréquence paraîtrait encore plus
• grande, si les malades n'étaient pas perdus de vue : l'observation en ville
et dans les hospices est plus instructive, à cet égard, que celle des hôpi-
i taux.
Diagnostic. — Le diagnostic repose principalement sur l'étude des
commémoratifs. En effet, les symptômes physiques n'offrent rien de par-
ticulier; la matité, la résonnance thoracique, le souffle tubaire ou Gaver-
002 PNEUMONIE. — vu. chronique. — diagnostic.
neux, appartiennent à toutes es indurations pulmonaires. De même, les
symptômes généraux : amaigrissement, fièvre hectique, sueurs, diar
rhée, etc., se retrouvent dans toutes les affections pulmonaires qui con-
duisent à la cachexie.
C'est surtout avec la phthisie que la confusion est facile : cependant
la pneumonie siège plutôt dans les lobes inférieurs; elle est localisée
dans un seul côté, et dans un point limité. La tuberculose, bien qu'il ne
soit pas rare de la voir prédominer aux bases ou d'un seul côté, s'ob-
serve plus régulièrement aux sommets, et se dissémine dans les deux
poumons. Les symptômes généraux et l'évolution de la maladie ne peu-
vent servir à guider le clinicien : la phthisie lente comme la phthisie
rapide peuvent être simulées par la pneumonie chronique ulcéicuse. Le
diagnostic devient impossible, lorsque celle-ci siège au sommet.
Le carcinome primitif et unilatéral du poumon , surtout quand 1?
cachexie n'est pas très-marquée et quand l'infection ganglionnaire fail
défaut, ne peut guère être distingué de la pneumonie chronique. Quel-
ques signes ont une certaine valeur : l'intensité de la douleur et de U
dyspnée, de la toux, les crachats sanguinolents, les symptômes de coin
pression, témoignent quelquefois de l'existence du carcinome. Mais ce:
symptômes peuvent manquer également, et l'on ne peut plus guère se
baser que sur les antécédents et sur la fréquence relative des deux affec-
tions! Dans quelques cas, le ramollissement et la formation de cavernes
dans la tumeur viennent encore rendre le diagnostic plus obscur. Ajou-
tons que, d'après quelques auteurs, le carcinome primitif s'observerail
surtout dans l'âge moyen, à partir de 25 ans (Carswell).
C'est surtout à l'aide des commémoratifs que la pneumonie lobair
chronique pourra être distinguée des autres indurations chronique;
d'origine inflammatoire. Cependant celles-ci présentent une physionomi
et une marche spéciale, et l'on pourra, dans certains cas, arriver pa
exclusion au diagnostic, lorsque celui-ci n'a plus à compter qu'entre le;
diverses variétés de pneumonie chronique. Bornons-nous à dire que I;
pneumonie diffère de la broncho-pneumonie chronique par son origine
elle reconnaît toujours pour cause une pneumonie lobaire, tandis que h
broncho-pneumonie chronique a succédé à une broncho-pneumonie aiguî
ou subaiguë provoquée par diverses maladies générales (rougeole, coque
luche, fièvre typhoïde, etc.). Au point de vue symptomatique, si elle s'ei
rapproché par les symptômes généraux, elle s'en éloigne par les signe:
locaux : la dilatation bronchique, qui est presque la règle dans la hron
cho-pneumonic chronique, fait constamment défaut dans la pncumonii
lobaire chronique. Il est vrai que celle-ci s'accompagne parfois d'abcès
d'excavations ulcéreuses dont les signes ressemblent beaucoup à ceux di
la dilatation des bronches. C'est, en somme, comme nous l'avons dil
l'examen des commémoratifs qui peut fixer le diagnostic, car l'induratfoi
broncho-pneumonique prédomine habituellement d'un seul côté, connu
la pneumonie lobaire, et, d'autre part, celle-ci s'accompagne souvent de
signes d'une bronchite généralisée. Nous verrons cependant que la brOïi
PNEUMONIE. PN. CHRONIQUE. DIAGNOSTIC. PRONOSTIC. 605
eho-pncumonic chronique s'accompagne, mais seulement vers la fin,
d'une atrophie du poumon, d'une déformation de la poitrine et d'un
déplacement des organes thoraciques et abdominaux, qui n'ont pas été
- signalés au même degré dans la pneumonie lobaire chronique.
Le diagnostic peut présenter les mêmes difficultés, lorsqu'il s'agit de
dilatations des bronches survenues à la suite de bronchites répétées.
Dans la majorité des cas, l'état satisfaisant des forces et de l'embonpoint,
l'expectoration spéciale (vomique bronchique), les commémoralifs, ne
laissent pas place au douto. Mais, quand la fièvre hectique se déclare,
a quand il existe une induration pulmonaire étendue autour des bronches
J dilatées, une erreur peut être commise, en l'absence des cominémora-
[ tifs, surtout si en même temps les symptômes physiques de l'induration
|i pulmonaire et de la dilatation bronchique prédominent d'un seul côté.
Nous n'insisterons pas sur les difficultés que peut présenter le dia-
i iinostic différentiel de la pneumonie chronique et de la pleurésie cliro-
yfiique partielle. La matité, l'absence du bruit respiratoire, se rencontrent
Jdans les deux cas, mais dans la pneumonie chrounnic, les vibrations tho-
raciques sont consQrveH ou cxajggiges, ct7i*7yhabilucllcment du souille
eTdcfîaltnmcho^horrfê. KnTTlcs cascTabcès, la nature et la quantité de
l'expectoration serviront à établir une distinction entre la vomique pleu-
rale et la vomique pulmonaire.
De plus, comme le fait remarquer Charcot, les symptômes généraux
.'Ont, dans la pneumonie chronique, une importance et un caractère de
■gravité tout autres que dans la pleurésie partielle.
Mais, si le diagnostic peut être fait dans la pleurésie chronique simple,
ilil rencontre des difficultés presque insurmontables, lorsque celle-ci se
complique d'inflammation chronique du parenchyme pulmonaire (pneu-
iimonie chronique pleurogène). La pneumonie lobaire pouvant, de son
côlé. se compliquer d'épaississement de la plèvre, le diagnostic devient
ii impossible en l'absence des commémoralifs.
Les renseignements sur les antécédents du malade, sur sa profession,
suffisent pour faire éliminer les indurations chroniques qui se dévelop-
pant à la suite de l'introduction de poussières de natures diverses dans le
■poumon.
Pronostic. — Toujours très-grave, d'autant plus que la pneumonie
chronique n'évolue que chez les individus faibles ou épuisés par des ma-
ladies antérieures. Le pronostic varie donc suivant le degré de conserva-
tion des forces et suivant la l'orme de la maladie. Le type à marche continue
présente évidemment la plus grande gravité, tandis que la pneumonie
récurrente ne tue qu'au bout d'un certain nombre d'années. Le pronostic
s'assombrit encore dans le cas où la fièvre hectique se déclare de bonne
heure, et que la cachexie s'établit, cl de môme lorsqu'on voit apparaître
pdes signes d'ulcération, de suppuration ou de gangrène du poumon.
D'après la plupart des auteurs, la pneumonie chronique se termine régu-
lièrement par la mort, et les guérisons citées doivent être considérées
comme des cas de résolution lente.
m l'NKUMONIE. — PN. CHRONIQUE. — TRAITEMENT.
Traitement. — Il ne peut être question d'un traitementeuratif pour
la pneumonie chronique. Les révulsifs sont impuissants contre la sclérose.
Us sont, au contraire, tout à fait indiques dans la phase intermédiaire,
(juisuit la pneumonie aiguë, et l'on doit s'efforcer de hâter la résolution
quand il s'agit d'un sujet affaibli. Les larges vésicatoires doivent alors être
appliqués sur le côté affecté. On pourrait aussi donner le tartre stibié,
mais avec ménagement, et tout en insistant sur une médication tonique
et reconstituante.
La prophylaxie aura également un rôle important à jouer chez les indi-
vidus qui ont éprouvé déjà plusieurs attaques de pneumonie. Des précau-
tions hygiéniques pourront alors avoir les meilleurs effets, en prévenant
l'apparition de nouveaux accidents.
Mais, lorsque l'état chronique est constitué, il ne reste plus à remplir
que des indications symptomatiques, et il faut avant tout se préoccupe!
de soutenir les forces du malade et de combattre la cachexie. Les révul-
sifs sont cependant encore indiqués à cette période ; lorsque des pous-
sées congestives se déclarent, l'usage des cautères, duséton, pourra être
de quelque utilité. On pourra aussi essayer contre la fièvre l'emploi, du
sulfate de quinine.
Un traitement spécifique sera tenté, lorsque la syphilis aura paru in-
fluencer la maladie.
Enfin des moyens appropriés seront employés pour combattre les com-
plications qui peuvent survenir, notamment les abcès et la gangrène.
B. Bboncho-pneumonie subaiguë et chronique. — Maladie toujours se-
condaire, retentissant dès son début sur le tissu conjonctif du poumon,
la hroncho-pneumonie présente pour ces deux raisons une tendance
marquée à la chronicité. Aussi, comme nous l'avons vu, il n'est pas rare
de trouver à l'autopsie d'enfants qui sont morts au bout de quinze à vingt
jours de maladie des lésions profondes, interstitielles, qui résultent de
l'organisation des exsudats. Ces lésions se rencontrent même dans les cas
aigus d'une certaine durée: aussi est-il difficile d'établir un classement
rigoureux et précis des broncho-pneumonies, dédire, par exemple où uni|
la broncho-pneumonie aiguë et où commence la broncho-pneumonie
subaiguë. A cet égard, cependant, la distinction est plus facile en analo-
mie pathologique qu'en clinique; le travail exsudatif correspond évidem-
ment aux formes aiguës, le travail d'organisation aux formes subaigues
et chroniques. Celles-ci constituent une des formes de la cirrhose du pou-
mon, dont la phase embryonnaire représente la forme subaiguë de la bron-
cho-pneumonie, et dont la phase atrophique correspond à la broncho-
pneumonie décidément chronique.
Ces deux dernières formes seules seront décrites dans ce chapitre, mais
pour la broncho-pneumonie subaiguë nous ferons dès à présent remar-
quer que nous insisterons spécialement sur la forme pulmonaire, dans la-
quelle domine la lésion désignée sous le nom de carnisation. Bien qtfe
des lésions analogues puissent être rencontrées dans la forme bronchique
de la broncho-pneumonie subaiguë, c'est la suppuration et la dilatation
PNEUMONIE. — px. chronique. — historique.
005
vacuolaire des bronches qui tiennent la plus grande place dans son évo-
lution, et nous avons eu occasion d'insister sur ces lésions à propos des
terminaisons de la broncho-pneumonie aiguë.
Historique. — L'existence des formes lentes de la broncho-pneumonie
a été reconnue de bonne heure : Léger décrit dans sa thèse sur la pneu-
monie tics enfants une forme latente chronique dont il ne donne pas nette-
ment les caractères anatomiques (1825). Berton rapporte dans son traité
une intéressante observation de broncho-pneumonie datant de deux ans,
recueillie dans le service de Guersant, lequel avait parfaitement reconnu
la libation des accidents survenus à la suite de la rougeole. Cependant la
première bonne description appartient à Legendre et Bailly (1844), qui
donnèrent aux lésions pulmonaires le nom de carnisation. De nouveaux
faits furent publiés bientôt après pai Rilhct et Barthcz. Les auteurs anglais
ont public aussi sur ce sujet des travaux importants.
En 1858, Corrigan a nettement indiqué les traits principaux de la car-
nisation avancée dans son célèbre travail sur la cirrhose du poumon. Sutton
(1805), Wilson Fox et Charlton Baslian (1871), ont rassemblé dans leurs
mémoires des observations nombreuses, mais disparates, concernant
tantôt la pneumonie lohairc, tantôt la pneumonie lohulaire chronique,
souvent la tuberculose pulmonaire. Ces deux derniers auteurs croient, en
outre, que l'altération des alvéoles qui aboutit à la cirrhose est indépen-
dante de l'inflammation. Bastian donne au processus le nom de substi-
tution fibroïde.
Parmi les travaux allemands les plus importants, nous citerons ceux
de Ziemsscn, Bartels, Jùrgcnsen, dont les observations ont démontré
l'existence d'une broncho-pneumonie subaiguë, qui dès son origine tend
à la chronicité, ceux de Traube, de Bicrmcr et de T rojanowsky, dont le nom
a été déjà signalé à propos de la dilatation des bronches.
Tous ces divers travaux renferment des observations et des recherches tu,
intéressantes, mais n'établissent pas de démarcation bien nette entre les JH
diverses variétés de cirrhose pulmonaire. Dans ses leçons de 1877, ré- '
sumées dans notre thèse inaugurale et dans la Revue mensuelle, Char-
cot a dégagé d'une manière précise cette variété de pneumonie chronique,
dont un des principaux caractères est la dilatation des bronches. .L'examen
microscopique a montré l'épaississement des travées conjonctives, la
sclérose des parois alvéolaires, la prédominance des lésions dans le voi-
sinage de la bronche. Charcot a pu montrer ainsi les relations qui
existent entre les broncho-pneumonies aiguë, subaiguë cl chronique; des
lésions pulmonaires datant de plusieurs années ont pu de cette façon
être rapportées à une broncho-pneumonie survenue dans le jeune âge.
Celte interprétation s'applique à un certain nombre d'observations publiées i
dans divers ouvrages sous le nom de dilatation des bronches (Laennec.
Cayol, Barth, Fauvel, Bucquoy, etc.). On trouve encore dans les Bulletins
de la Société anatomique deux observations intéressantes, l'une de Rendu
(1872), l'autre de Nélalon (1878), concernant une broncho-pneumonie
subaiguë chez l'adulte cl dont nous avons fait l'examen microscopique.
{506 PNEUMONIE. — pn. chronique. — akatomib pathologique.
Anatomie pathologique — Dans l&broncho-pneumonie subaiguë,
les lésions se localisent dans les points où siège la splénisation, c'est-à-dire
à la partie postérieure des lobes supérieurs et inférieurs. On retrouve la
même symétrie, mais la lésion a une tendance remarquable à se fixer sur
un seul lobe, sous la l'orme pscudo-lobairc. Une coloration rose ou violacée
remplace la couleur acajou ou bleu violet de l'état aigu. La consistance au
toucher et à la coupe justifie jusqu'il un certain point le nom de carni-
salion de Legendrc et Bailly, el la comparaison avec la chair musculaire.
Le tissu est dense, lisse sur la coupe, sec, sans granulations, et il
s'écoule à peine un peu de sérosité grisâtre. Cet aspect uniforme et homo-
gène contraste avec l'aspect marbré de la broncho-pneumonie aiguë. Les
bronches sont plus ou moins dilatées, surtout dans les lobes inférieurs.
Quelquefois on observe un aspect aréolaire qu'on a comparé à la coupe
d'un fromage de Gruyère. La dilatation est fusiforme ou sacciforme, les
cavités contiennent un muco-pus plus ou moins liquide ou caséeux. La
structure lobulaire du poumon est très-accentuée, grâce à l'épaississement
du tissu conjontif. Cet épaississement est surtout marqué autour des
i bronches et des artères. Par suite de ce développement du tissu conjonctif.
le cloisonnement interlobulaire, surtout chez l'enfant, se trouve aussi
marqué dans la broncho-pneumonie que dans les pneumonies pleurogènes
l ou dans la phlhisie (ibroïde, que Charcot considère également comme
une broncho-pneumonie. Enfin, malgré l'aspect planiforme de la coupe,
on retrouve autour des bronchioles les nodules de la broncho-pneumonie
aiguë, qui apparaissent à l'œil nu ou armé d'une loupe sous la forme de
grains agglomérés, parfois saillants, de grappes présentant une coloration
grise ou jaunâtre, et qui se détachent sur le fond rosé de la coupe. Le
plus souvent, la bronchiole se dislingue facilement au centre du nodule.
Comme on le voit, les principaux traits de la forme aiguë se retrouvent
ici; mais, autour du nodule, le fond rosé ou violacé qui caractérise la
arnisation a remplacé la coloration plus foncée de la splénisation. La
plèvre est habituellement épaisse, recouverte de fausses membranes : il y
a de l'emphysème des parties non atteintes et les ganglions bronchiques
sont tuméfiés. Ajoutons que dans cette période il n'y a pas encore
d'atrophie du poumon et que l'insufflation est très-incomplète.
L'analyse bistologique de ces cas subaigus a été faite par le professeur
Charcot. Elle démontre l'existence d'une cirrhose commençante : toutes
les parties du lobule subissent une infiltration de cellules embryonnaires,
tandis que les exsudais intra-alvéolaires aboutissent à la désintégration
granulo-graisscuse.
1» Bronches el nodules përibronchiques . — Les bronches contiennent
du muco-pus, leur épithélium est conservé, mais tuméfié. Leurs parois
sont infiltrées de cellules rondes et fusiformes,qui détruisent les tuniqueS
musculaire et élastique (Trojanowsky). Consécutivement la bronche se
déforme, se dilate à cause de la deslruction de l'anneau musculaire. C4
fait primitif, antérieur à l'atrophie du poumon, réduit à néant la Ihéorie
dcCorrigan, qui explique la dilatation bronchique par l'atrophie du pou-
PNKUMONIE. — p.n. chronique. — anatomie pathologique. G07
nion et la rétraction du tissu conjonclif. Celle-ci est impuissante à produire
celte dilatation lorsque les bronches, sont intactes : Charcot en donne
comme preuve la sclérose pulmonaire qui succède à la pneumonie Iobaire
chronique et dans laquelle les bronches conservent leur calibre normal,
malçré la rétractililé du tissu fibreux de nouvelle formation.
L'artère voisine de la bronche est également épaissie par suite de l'in-
filtration île sa couche externe par les cellules embryonnaires. Celles-ci
envahissent de même les cloisons interlobulaires et interacineuses. Le
nodule péribronchique est plus ou moins nettement reconnaissablc :
habituellement les alvéoles sont encore remplis d'cxsiulals fibrineux en-
globant des cellules épithéliales et quelques leucocytes. Dans les cas plus
anciens, les lésions des alvéoles sont moins licitement distinctes et res-
semblent beaucoup à celles des points carnisés du lobule.
2° Parties carnisées. — Dans les parties lisses et roses, correspondant
à la spléniî-ation de l'état aigu, on trouve encore de la pneumonie
desquamative, mais avec des caractères spéciaux différents : les alvéoles
sont aplalis, déformés, ainsi que les conduits alvéolaires, et leurs parois
renferment de nombreux éléments arrondis. Leur contenu subit plu-
sieurs phases de transformation : les cellules épithéliales sont d'abord
gonflées, très-granuleuses ; plus tard, elles se fondent en un magma
granulo-graisceux, il y a des gouttelettes de graisse libre, ou bien il se
produit des cristaux disposés en éventail, qui sont libres ou renfermés
dans les cellules et offrent les réactions caractéristiques de la margarine.
Tout le contenu alvéolaire peut avoir subi à divers degrés celte dégéné-
rescence graisseuse. Enfin dans les points où la lésion est le plus avancée
la paroi alvéolaire est revêtue par un épilhélium cubique.
Ces lésions offrent d'ailleurs les mêmes variantes que dans la broncho-
pneumonie aiguë. Tantôt le nodule péribronchique est nettement circon-
scrit, tantôt il se confond entièrement avec la zone de carnisation (hépa-
itisation lobulaire généralisée). Enfin, la composition élémentaire du
'Contenu des alvéoles en fibrine, globules blancs, cellules épithéliales, est
i également très variable suivant les cas, suivant leur ancienneté, suivant
la nature de la bronchite génératrice. Deux grandes classes peuvent être
• établies : 1" les cas dans lesquels prédominent les lésions bronchiques,
'Caractérisés par l'aspect alvéolaire sur lequel Corrigan a insisté; 2° les
< cas dans lesquels prédominent les lésions du parenchyme pulmonaire,
' caractérisés principalement par la carnisation. Nous avons rapporté dans
i notre thèse deux exemples remarquables de cette dernière variété (p. 71).
Comme l'a fait voir Charcot, l'élude de ces cas subaigus permet de
i mieux interpréter les lésions quand il s'agit des broncho-pneumonies
' chroniques. Nous savons déjà que toutes les broncho-pneumonies
I tendent à la chronicité à cause de leur siège de prédilection dans le tissu
conjonclif. Les exsudations diverses dominent dans la période aiguë ;
I la période subaigue est caractérisée par l'infiltration de coliulcs em-
' bryonnaires avec tendance à l'organisation ; enfin, lorsque l'état chro-
nique s'est établi, les lésions aboutissent à la sclérose. Charcot a
G08 PNEUMONIE. — pn. ciiromque. — anatomie pathologique.
constaté la succession de ces lésions dans un certain nombre de cas
considérés à des époques plus ou moins éloignées du début delà maladie
primitive. 11 est quelquefois possible d'en retrouver la série complète
dans un seul cas ; la lésion la plus marquée existe alors dans les lobes
inférieurs, tandis qu'elle est encore à l'étal subaigu dans les parties
supérieures du poumon.
Tels sont les cas de Rendu (Bull, de la Soc. anal., 1872, p. 209),
et de OUivier, cités dans les leçons de Charcot. Dans ce dernier cas, le
début des accidents remontait à un an : le lobe supérieur encore volumi-
neux renfermait des nodules distincts et des bronebcs peu dilatées
(2P? degré des lésions, état subaigu) ; ies lobes inférieur et moyen
confondus étaient atrophiés, les bronches considérablement dilatées,
simulant des cavernes. C'est la lésion décrite par Corrigan, avec le cloi-
sonnement interlobulaire, l'épaississemcnt de la coque fibreuse pleurale,
et un certain degré d'atrophie du poumon. Cependant, dit Charcot,
malgré la date déjà plus ancienne des lésions, les caractères hislolo-
giques sont, dans ce cas, les mêmes que dans la broncho-pneumonie
subaiguë, avec quelques variantes de peu d'importance.
Enfin l'évolution chronique se termine par la cirrhose et l'atrophie du
poumon. Il peut être réduit au volume du poing; son tissu dur, criant
sous le scalpel, est comme cartilagineux; la teinte violacée ou rosée de
la carnisation est remplacée par une coloration ardoisée verdàtrc ; la
surface est sèche, lisse, les nodules sont effacés. L'épaisseur de la coque
pleurale, le cloisonnement du poumon, sont de plus en plus accusés.
Les alvéoles sont affaissés et ont subi eux-mêmes l'induration fibreuse.
Enfin, il y a dilatation des bronches, toujours plus ou moins prononcée,
caractère important qui manque dans l'induration grise ardoisée qui
constitue la période ultime de la pneumonie lohaire chronique. Ces
lésions ont été rencontrées dans les cas d'ancienne date comme celui de
Jûrgensen.
L'atrophie scléreuse et la rétraction du poumon sont suivies de lésions
spéciales du côté du thorax et des organes intra-thoraciques. Le cœur
est entraîné du côté du poumon rétracté, à gauche vers la région sous-
claviculaire, à droite et en haut au niveau de la quatrième côte à droite,
du sternum. En même temps, le venlricule droit se dilate et s'byportro-
phie (dix lois sur trente, Bastian), d'où résultentdes hydropisies notées
dans un certain nombre d'observations, l'oedème des membres inférieurs,
l'ascite. Le diaphragme et les organes abdominaux sont attirés vers la
partie supérieure de la poitrine (Traube). Le tborax subit la déformation
décrite par Lacnnec et consécutive à l'atrophie pulmonaire qui suit la
pleurésie chronique : aplatissement dans tous les sens, rétrécissement
des espaces intercostaux, épaule et pointe de l'omoplate abaissées.
Comme nous le verrons, ces déformations sont plus accentuées encore
lorsque la plèvre prend une part importante aux altérations. Nous n'in-
sistons pas sur les lésions des autres organes qui sont évidemment en
rapport avec la durée de la maladie et avec la marche qu'elle a suivie.
PNEUMONIE. — Pit. chronique; — symptômes. 6Ô9
Nous signalerons senlement une complication constatée quatre fois par
Biermer : les abcès du cerveau, qui dans deux cas parurent de nature
gangreneuse.
Symptômes. — La maladie confirmée présente toujours à peu près le
même tableau : elle varie seulement à son début, suivant qu'elle succède
à la forme aiguë ou qu'elle se montre dès l'origine avec son caractère
particulier. Lesauieurs ont insisté sur les rémissions qu'on peut observer
dans les cas aigus de broncho-pneumonie, principalement quand la ma-
ladie présente une certaine durée. Ces rémissions apparentes sont encore
plus marquées lorsque la broncho-pneumonie passe à l'état subaigu.
L'état général s'améliore, la soif est moins vive, l'appétit reparait, quelque-
fois même exagéré (Legendre), la fièvre se modère et peut même cesser
pendant la plus grande partie de la journée. La respiration est plus facile;
la toux et l'oppression diminuent. Mais ce bien-être ne dure pas : le
mouvement fébrile reparait dans la soirée, les pommettes des joues devien-
nent rouges, la température s'élève, le pouls remonte à 150 ou 140, la
dyspnée et la toux s'accentuent de nouveau. L'accès fébrile est suivi de
sueurs abondantes. Si l'on ajoute à ce tableau la faiblesse et l'amaigris-
sement qui se prononcent de plus en plus, on voit que la maladie revêt
à s'y méprendre les allures de la phthisie.
Dans les cas qui prennent dès le début la marche subaiguë, la maladie
se comporte à peu près de la même manière. L'appareil fébrile est pdu in-
tense (58,5 à 59°), irrégulier, sans type. Les oscillations de la courbe
thermique sont très-prononcées; la fièvre peut manquer chez les enfants
très-faibles. La toux et la dyspnée augmentent progressivement, ainsi que la
faiblesse et l'apathie; les malades présentent bientôt l'habitus phthisique.
Le faciès est amaigri, pâle ou légèrement cyanosé, souvent avec un teinte
cachectique. L'amaigrissement augmente rapidement, la peau est flasque,
ridée; l'appétit nul, quelquefois exagéré pendant les rémissions.
Dans les premiers temps, les symptômes locaux et fonctionnels sont
ceux de la bronchite. Habituellement la douleur thoracique manque, ou
n'a rien de fixe: la toux, la dyspnée, sont variables suivant l'intensité de la
bronchite génératrice. Elles sont quelquefois nulles ou peu marquées lors-
que les lésions pulmonaires s'établissent lentement dans le cours d'une
bronchite chronique. Elles s'accentuent davantage dans les cas où la ma-
ladie évolue plus rapidement. L'expectoration peut être nulle, ou très-abon-
dante, quelquefois même dès les commencements de la maladie (Legendre);
à la suite d'efforts, de secousses violentes, de quintes douloureuses, une
grande quantité de liquide muco-purulcnt quelquefois fétide est expec-
torée. Dans quelques observations l'expectoration est accompagnée de
vomissements. Quelquefois elle est simplement muqueuse.
L'examen de la poitrine donne des signes en rapport avec l'ancienneté
et la forme de la maladie. Si elle succède à une broncho-pneumonie aiguë
à forme parenchymateusc , les signes de l'induration pulmonaire per-
sistent à la percussion et à l'auscultation. Dans les formes subaiguës d'em-
blée, la percussion ne révèle d'abord rien d'anormal ; à l'auscultation les
DICT. MÉD. ET ClIIR. XXYI1I — 39
610 PNEUMONIE. — pn. chronique. — symptômes.
râles de bronchite sont disséminés dans les deux côtés de la poitrine.
Longtemps ect état local reste stationnaire; peu à peu les signes tendent
à prédominer d'un seul côté, quelquefois au sommet, plus souvent à la
base. L'exploration peut alors révéler quelquefois un ensemble de signes
propres à faire soupçonner le passage à la carnisation (Legendre) ; c'est
d'abord une matité plus grande, un souffle plus intense, comme caverneux,
accompagné de gros râles muqueux ou même de véritables gargouillements.
Ces divers signes, comme on le voit, sont en rapport avec l'induration du
tissu pulmonaire et la dilatation des bronches. Mais ces lésions sont quel-
quefois très-accusées, sans que cependant l'examen les fasse nettement
connaître.
Les symptômes généraux sont ceux de la fièvre hectique, surtout dans
les dernières périodes de la maladie. Le contenu purulent et fétide des
bronches est résorbé et donne lieu à la production d'accès fébriles pseudo-
intermittents. Des sueurs abondantes affaiblissent les malades, dont la
nutrition ne tarde pas à souffrir. L'amaigrissement est de plus en plus
accentué, les malades ont tout à fait l'aspect des phthisiques, la face
chez les enfants devient ridée, ils ressemblent à de petits vieillards;
quelquefois elle est bouffie, des œdèmes cachectiques apparaissent aux
pieds et aux mains; la peau sèche, rugueuse, se recouvre de pustules
d'ecthyma en différents points du corps. Quelquefois les enfants en se
grattant transforment cette éruption insignifiante en ulcérations rebelles
qui siègent autour du nez et de la bouche (Ziemssen). Souvent il survient
une diarrhée abondante et les malades finissent par s'éteindre, parfois
sans agonie, dans le dernier degré du marasme.
Dans la broncho-pneumonie chronique avec cirrhose et atrophie du
poumon, les signes fournis par l'auscultation sont ceux de la dilatation
des bronches, affaiblissement ou suppression du murmure vésiculaire,
souffle rude, caverneux, gros râles humides, gargouillements, broncho-
phonie etc. Mais, tandis que dans la dilatation qui succède aux bron-
chites chroniques les signes fournis par la percussion se réduisent à un
peu d'obscurité ou de diminution du son au niveau des dilatations, dans
celle qui résulte de la broncho-pneumonie chronique on trouve les signes
d'une induration plus ou moins étendue, matité, exagération des vibra-
tions thoraciques.
Les signes d'induration sont plus accusés quand la maladie remonte à
plusieurs années, quand le poumon sclérosé a subi une atrophie plus ou
moins considérable. Dans cette période terminale, la lésion bronclio-
pueumonique s'accompagne de troubles de voisinage qui peuvent servir à
la caractériser au point de vue clinique. L'atrophie du poumon est accom-
pagnée de gène dans la circulation cardio-pulmonaire, et de l'hypertro-
phie avec dilatation du ventricule droit qui entraîne l'œdème des membres
inférieurs cl l'ascite.
Le cœur se dévie plus ou moins du côté de la lésion pulmonaire : à
gauche, vers la région sous-claviculaire ; à droite et en haut, au niveau
de la quatrième côte à droite du sternum. Dans ces cas, le cœur bat en
PNEUMONIE. — PN- CHRONIQUE. SYMPTÔMES.
611
quelque sorte à nu sous la paroi thoracique, cl. l'impulsion peut être sen-
tie depuis la deuxième jusqu'à la quatrième côte du côté de l'aisselle
(Peacock, ReynokVs System). Le retrait du poumon entraîne en même
temps la déformation de la poitrine, son aplatissement dans tous les sens,
le rétrécissement des espaces intercostaux (Nothnagel ) ; l'épaule et la
pointe de l'omoplate sont abaissées ; enlin le diaphragme subit la même
attraction et peut remonter jusqu'à la quatrième côte (Traube).
Les symptômes rationnels présentent la plus grande analogie avec ceux
de la dilatation des bronches : dyspnée exagérée par les mouvements
et les efforts, toux fréquente venant par accès suivis d'une expectoration
très-abondante, même chez les jeunes enfants, muco-purulente et fétide.
Les hémoplysies ne sont pas rares; elles ont été notées seize fois sur
trente-neuf cas. La maladie peut être fort longue, grâce à des améliora
tions plus ou moins marquées. Cependant elle évolue plus rapidement
que dans la dilatation des bronches consécutive à la bronchite chronique
et les symptômes généraux sont d'ailleurs plus accusés. Il y a des accès
de fièvre le soir, des sueurs, de l'amaigrissement, l'habitus extérieur est
celui de la phthisie chronique que la broncho-pneumonie chronique si-
mule à s'y méprendre.
Marche, durée, terminaison. — La marche de la maladie pré-
sente les mêmes caractères dans les deux formes subaiguë et chronique, et
ne diffère que par la rapidité ou la lenteur de son évolution. A la suite d'une
broncho-pneumonie survenue pendant la rougeole, la coqueluche, etc.,
ou même à la suite d'une bronchite simple intense (Legendre), on voit
des symptômes de catarrhe bronchique persister et s'éterniser avec des
allures traînantes, quelquefois avec des améliorations plus ou moins lon-
gues. Le malade tousse, expectore abondamment, s'amaigrit, a des sueurs
nocturnes; en un mot, il ne tarde pas à prendre l'aspect d'un phthsique
chez lequel la maladie revêt tantôt la forme galopante, tantôt la forme
chronique.
Dans le premier cas, la durée de la maladie peut être de un, deux ou
trois mois ; les rémissions sont moins nombreuses et de courte durée, la
cachexie terminale s'établit progressivement malgré l'intégrité des fooe-
lions digestives. L'amaigrissement est extrême, les doigts deviennent hip-
pocratiques; la peau, habituellement sèche, écailleuse, se couvre de
sueurs à la suite des accès fébriles du soir; une diarrhée persistante ap-
paraît cl se continue jusqu'à la mort. La cachexie se traduit encore parle
i développement de certaines complications, telles que la formation d'es-
i chares au sacrum, la gangrène de la bouche (Legcndrc).
Dans la forme chronique, la durée de la maladie est beaucoup plus lon-
gue ; la terminaison fatale peut n'arriver qu'au bout d'une année ou
i même de plusieurs années. L'origine de la maladie est plus obscure que
' dans la forme subaiguë, et, si l'on peut dans quelques cas la rattacher à
i une ancienne phlegmasie broncho-pulmonaire, souvent aussi cette
1 dernière s'est présentée avec des caractères assez peu tranchés pour
« échapper aux investigations du médecin.
G 12
PNEUMONIE. —
PN. CHRONIQUE.
— ÉTIOLOGIE
Dans ces circonstances c'est à une bronchite intense, persistante, revenant
tous les hivers, que l'on attribue le développement de la dilatation des bron-
ches et l'atrophie du poumon. Dans ces cas à évolution extrêmement lente,
les commémoratifs manquent de précision, mais Barlh fait remarquer que
le plus souvent on peut cependant s'assurer que ce catarrhe pulmonaire
est rarement idiopatbique et persiste comme reliquat d'un état phleg-
masique du poumon et de la plèvre. Dans les premiers temps, les amé-
liorations sont de longue durée, surtout pendant la belle saison ; plus
tard, la maladie, qui peut rester stationnaire pendant des années entières,
ne présente plus que des rémissions sans importance.
Elle se complique de l'emphysème des parties saines du poumon, de la
dilatation du cœur droit.
Dans quelques observations la mort a été causée par un retour à l'état
aigu, par une nouvelle broncho-pneumonie avec noyaux de pneumonie
lobulaire, splénisation et congestion plus ou moins étendue. Dans d'autres
cas, la pneumonie a été lobaire. Le plus souvent, la mort arrive par les
progrès de l'épuisement et de la cachexie : l'expectoration purulente e
fétide devient tous les jours plus abondante, s'accompagnanl parfois d'hét
moptysies. La physionomie s'altère et l'amaigrissement fait des progrès
rapides. Les fonctions digestives se troublent ; l'appétit disparaît, une
diarrhée abondante achève d'épuiser le malade, la respiration devient de
plus en plus pénible et embarrassée. Il succombe avec de l'œdème des
extrémités, quelquefois des eschares au sacrum.
Étiologie. — La broncho-pneumonie subaiguë et la broncho-pneumonie
chronique ont les mêmes origines que la broncho-pneumonie aiguë. Elles
peuvent se présenter après un catarrhe aigu ou chronique; Bartels les a
observées plusieurs fois dans la rougeole, mais c'est surtout la coqueluche
qui les détermine le plus souvent (Ziemssen). Elles ont été observées
également pendant la lièvre typhoïde, à la suite des affections cardiaques.
On a peu signalé la forme subaiguë chez les nouveau-nés ; elle se
développe plutôt chez les enfants qui ont dépassé l'âge de trois ans.
Elle est puissamment favorisée par toutes les causes de débilitation :
alimentation vicieuse, encombrement et viciation de l'air, par l'affaiblis-
sement qui résulte de maladies antérieures, de diarrhées chroniques, du
rachitisme, du décubitus dorsal prolongé. Dans deux cas, nous l'avons
vue survenir à la suite de la diphthérie, chez des enfants qui avaient subi
l'opération de la trachéotomie. La forme subaiguë avec carnisation peut
également se montrer pendant l'adolescence : elle devient rare après
l'âge de vingt ans, et c'est plutôt les formes chroniques avec sclérose et
atrophie qu'on observe.
Chez l'adulte et le vieillard, la dilatation bronchique succède aux bron-
chites simples répétées, souvfjnt de nature diathésique. Nous n'avons pas
à insister ici sur ces cas qui se rattachent à l'histoire de la dilatation des »
bronches. Nous ne nous occupons que des cas qui reconnaissent pour
origine une phle^masic broncho-pulmonaire. Nous croyons néanmoins que i
ce sont là les faits les plus nombreux. 11 est diflicile, à cause de l'insuffl- "
PNEUMONIE. — pn. ciinoMQur:. — diagnostic. bla
sauce des commémoratifs ou de l'ancienneté de la maladie, de remonter
à leur véritable origine, d'autant plus que des rémissions parfois très-
prolongées ont pu l'aire croire à la guérison complète de la broncho-
• pneumonie primitive. Mais les données de l'anatomic pathologique et
même de la clinique ne permettent pas de méconnaître cette cause dans
un grand nombre de cas. Enfin, il ne faut pas oublier qu'il existe tou-
jours un certain degré de sclérose pulmonaire, même dans les cas où le
catarrhe chronique simple paraît devoir être reconnu comme étant la
seule cause de la dilatation bronchique.
Diagnostic. — Pour comprendre les difficultés qui entourent le dia-
gnostic de la broncho -pneumonie subaiguë, il suffit de grouper ses prin-
cipaux symptômes locaux et généraux. Les premiers se rapportent à l'in-
duration pulmonaire, à l'inflammation des bronches avec dilatation. Les
symptômes de ces deux lésions se rencontrent dans toutes les maladies
du poumon qui s'accompagnent d'une condensation et d'une destruction
partielle de son tissu, d'où résulte la formation de cavités communiquant
avec les bronches. Les symptômes généraux ne sont pas plus caractéris-
tiques, ils sont entièrement liés aux progrès de la consomption et de la
cachexie. Aussi, dans la grande majorité des cas, le diagnostic est-il im-
possible entre la broncho-pneumonie subaiguë et les formes rapides de
la tuberculose pulmonaire. Elles naissent dans les mêmes circonstances,
. à la suite de la rougeole, de la coqueluche, chez des enfants affaiblis par
diverses maladies. L'une et l'autre peuvent présenter un début aigu, ou
au contraire se développer lentement avec les signes d'un catarrhe bron-
chique et d'un dépérissement progressif. On pourra cependant incliner
de préférence vers la broncho-pneumonie simple, si elle est survenue à la
suite d'une fièvre typhoïde, ou même d'une diphthérie, ou au contraire
vers la broncho-pneumonie tuberculeuseï si la tuberculose est héréditaire
idans la famille de l'enfant, ou s'il existe des symptômes concomitanls de
: scrofule. L'examen de la poitrine donne des renseignements importants,
mais non caractéristiques : la broncho-pneumonie siège plus habituelle-
iment à la base et d'un seul côté, la tuberculose aux deux sommets. Mais
i cette disposition n'est pas constante, et la tuberculose peut avoir les
i mêmes localisations que la broncho-pneumonie, surtout chez l'enfant. La
ipalpation, la percussion, l'auscultation, révèlent dans les deux maladies
I l'existence de la bronchite et de l'induration pulmonaire. D'autre part, la
i dyspnée, la toux, n'ont rien de spécial : l'expectoration, quand elle existe,
I pourrait avoir de l'importance en révélant la présence ou l'absence des
I fibres élastiques : ce signe même ne serait pas pathognomonique, car il
I pourrait se rencontrer dans les cas d'abcès, dans la broncho-pneumonie.
Quant aux symptômes généraux, la fièvre, les sueurs, l'amaigrissement,
'quant au faciès, à l'habitus des malades, ils sont identiques dans les
( deux maladies. Il en est de même de la diarrhée, des œdèmes, etc. Nous ne
I trouvons pas davantage de caractère différentiel important dans la marche
iet la durée des deux affections. Quelquefois la tuberculose concomitante
ides organes abdominaux ou des méninges vient aider au diagnostic; mais
au
PNEUMONIE.
— PN. ClfROMQIH:. — DIAGNOSTIC.
ces complications peuvent rester latentes, et d'ailleurs ne se produisent
habituellement que dans les périodes ultimes. En somme, eYsl surtout
sur la considération des antécédents que se base le diagnostic, et l'obscu-
rité dont il est enveloppé ne doit pas étonner, si l'on songe qu'il s'agit, en
réalité, de deux maladies qui ne diffèrent que par la nature du terrain
sur lequel elles évoluent, de deux broncho-pneumonies qui doivent
l'analogie de leurs allures aux mêmes causes produisant les mêmes
effets, savoir des lésions des bronches et du lobule aboutissant dans les
deux cas à la destruction de leurs éléments par ramollissement ou par
suppuration, et la stagnation des produits putrides au milieu du paren-
chyme pulmonaire.
La pneumonie chrôiliqUe présente, comme nous l'avons vu, les mêmes
ressemblances avec la phthisie pulmonaire, surtout quand elle évolue
rapidement. Mais les considérations tirées du début des accideuts, de
l'âge des malades, empêcheront toute confusion avec la broncho-pneu-
monie chronique. De même, pour les scléroses pulmonaires qui succèdent
à l'introduction des poussières, l'examen de la profession met prompte-
ment sur la voie.
Le diagnostic, en ce qui concerne les pneumonies interstitielles pleu-
rogènes, peut offrir quelques difficultés, mais seulement dans les
dernières périodes de la maladie. Les commémoratifs seront alors
d'une grande utilité, car la déformation de la poitrine, les signes d'atro-
phie pulmonaire, peuvent être les mêmes que dans la sclérose terminale de
la broncho-pneumonie chronique. Il faut ajouter que celle-ci s'accom-
pagne des symptômes de la dilatation des bronches, et particulièrement
de l'expectoration caractéristique qui manquent dans la pneumonie inter-
stitielle pleurogène. Mais il faut reconnaître que les difficultés seraient
insurmontables dans le cas où il existerait une vomique pleurale en
même temps que cette dernière. N'oublions pas enfin que la plèvre par-
ticipe aux lésions du tissu pulmonaire et s'épaissit considérablement dans
la broncho-pneumonie chronique.
En résumé, les diverses scléroses du poumon présentent un ensemble
symptomatique qui leur est commun à toutes, et qui, pour les symptômes
locaux, est sous la dépendance de l'induration 'et de l'atrophie du poumon :
pour les symptômes généraux, de l'asphyxie et de la cachexie progressives.
Le diagnostic se basera donc moins sur les renseignements fournis par
l'examen du malade que sur les considérations tirées de l'âge, de la pro-
fession, des causes, et surtout du début et de la marche de la maladie. La
cirrhose du poumon est le résultat auquel aboutissent des processus in-
flammatoires qui ont eu pour lieu d'origine les bronches, la plèvre, le pa-
renchyme pulmonaire ; c'est par l'étude attentive de leur marche et à l'aide
des renseignements commémoratifs que le diagnostic pourra être établi.
La broncho-pneumonie chronique et la bronchite chronique avec dila-
tation des bronches seront distinguées de la même manière. Mais il ne
faut pas oublier que le plus grand nombre des cas de dilatation bron-
chique se rattachent par leur origine â la broncho-pneumonie, et que le
PNEUMONIE. — PN. CHRONIQUE. — PRONOSTIC. 615
tissu pulmonaire finit généralement par s'indurcr, même dans la dilata-
tion bronchique simple, qui peut être alors, en réalité, considérée comme
une véritable broncho-pneumonie chronique limitée aux grands espaces.
Cette dernière diffère cependant, au point de vue clinique, de la broncho-
pneumonie chronique, par l'absence des signes de cirrhose et d'atrophie
pulmonaire que nous avons mentionnés, et surtout par la conservation
des forces et de l'embonpoint.
Dans quelques cas cependant, cette forme conduit également à la con-
somption, et le diagnostic ne peut plus guère être basé que sur l'âge des
malades et l'ancienneté des accidents, la broncho-pneumonie chronique
étant plutôt une maladie des jeunes sujets, qui présente rarement la longue
durée de la dilatation simple des bronches.
Nous n'insisterons pas sur le diagnostic différentiel de la broncho-pneu-
monie chronique et de la phthisie chronique. Les mêmes difficultés
presque insurmontables que nous avons signalées pour la broncho-pneu-
monie subaiguë et la phthisie galopante se rencontrent ici de nouveau. Il
ne suffit pas de pouvoir rapporter la maladie à une broncho-pneumonie
survenue autrefois dans le cours d'une rougeole ou d'une coqueluche, car
c'est souvent à la suite de ces maladies que la phthisie apparaît. On se
basera surtout sur l'abondance des crachats muco-purulents, sur les
signes de l'induration habituellement moins accentués dans la phthisie
et siégeant plus souvent aux deux sommets, et non à la base et d'un seul
côté. La rétraction du poumon et la déformation de la poitrine sont
encore de bons signes de la broncho-pneumonie chronique, ainsi que
l'hypertrophie et la dilatation du cœur droit. Mais le diagnostic devient
impossible lorsque la lésion siège au sommet; et les mêmes difficultés se
rencontrent parfois d'ailleurs dans les cas de dilatation simple des
bronches : il peut y avoir, comme nous l'avons vu, identité absolue des
symptômes locaux et des symptômes généraux. Lebert signale comme un
bon signe l'absence de raucité de la voix dans la sclérose broncho-pulmo-
naire.
Pronostic. — Pour mettre en évidence toute la gravité du pronostic,
il suffit de rappeler que la broncho-pneumonie subaiguë s'accompagne de
lésions destructives qui compromettent ou anéantissent la contractilité
des muscles bronchiques. Il en résulte la dilatation des bronches et la sta-
gnation dans leur cavité de la sécrétion muco-purulente. L'abondance et la
fétidité des crachats sont deux signes de cette lésion dont l'importance
pronostique ne doit point échapper chez les sujets débiles, rachitiques,
affaiblis par un décubitus dorsal prolongé, ou par une maladie aiguë
antérieure (rougeole, coqueluche, etc.). La fièvre hectique avec exacer-
bations irrégulières, les sueurs, l'amaigrissement, les hémoptysies, l'ap-
parition de la cachexie (diarrhée, ecthyma, gangrènes locales), avertis-
sent également de la gravité du mal, et sont déjà les indices d'une mort
prochaine.
Dans les cas chroniques, il y a des rémissions plus ou moins longues,
mais la reslitulio ad integrum ne peut plus se produire, le tissu em-
610 PNEUMONIE. — rx. chronique. — traitement.
bi'yonnairc qui a infiltré les bronches, le tissu conjonctif et les parois des
alvéoles, s'organise lentement. Les signes de la dilatation des bronches êt
de la sclérose du poumon sont de plus en plus accusés ; l'organisme, après
avoir longtemps lutté, finit par être affaibli par suite des exacerbai ions de
plus en plus rapprochées qui se produisent dans la marche de la maladie.
Le pronostic, réservé jusque-là, s'assombrit à mesure que l'amaigrisse-
ment et la cachexie font des progrès.
Traitement. — Faire une bonne aération dans les chambres des
malades, éviter l'encombrement, le décubitus trop prolongé, telles sont
les mesures prophylactiques qu'il est urgent de ne pas négliger et qui
ne diffèrent pas de celles qu'on doit prendre contre la broncho-pneumo-
nie aiguë. Il faut se méfier chez les enfants débiles, rachitiques ou con-
valescents d'une maladie aiguë, de ces bronchites insidieuses, qui con-
duisent à un engorgement progressif des bronches : les vomitifs, le
kermès, les stimulants diffusibles, devront être prescrits dans ces cas.
Au début, il est le plus souvent impossible de prévoir à quelle forme
de broncho-pneumonie l'on aura affaire; nous n'insisterons pas sur ie
traitement dans cette phase où il ne se présente pas d'indications diffé-
rentes de celles de la broncho-pneumonie aiguë.
Plus tard, il y a des rémissions plus ou moins longues, la fièvre tombe,
l'appétit renaît : la médication tonique est alors indiquée, et l'on doit
insister sur l'emploi d'un régime fortifiant, bouillons, viande crue ou
rôtie, vins généreux, alcool au besoin, changement de résidence et séjour
à la campagne, si l'état des forces permet un déplacement. Les vomitifs
administrés de temps à autre sont utiles pour combattre la suffocation
et la stagnation du muco-pus dans les bronches. C'est dans le même but
que l'on prescrit le kermès à doses modérées, les résineux, les balsa-
miques, qui facilitent et modifient l'expectoration. Gerhardt recommande
dans ce but la compression méthodique du thorax. Les stimulants diffu-
sibles, le chlorhydrate et le carbonate d'ammoniaque, agissent dans le
même sens et de plus combattent l'apathie et la dépression. Les bains
tièdes, sulfureux ou aromatiques, les sinapismes, les fomentations vinai-
grées, répondent aux mêmes indications. Il faut ajouter à ces stimulants
l'alcool, qui est le plus puissant de tous et qu'on prescrit en potion de
Todd, ou sous forme de rhum ou de vin de Porto.
Les révulsifs et spécialement les vésicatoires doivent être réserves aux
premières phases de la maladie. Plus tard, lorsque les forces ont diminué,
la vitalité de la peau s'amoindrit et leur emploi pourrait présenter plus
d'inconvénients que d'avantages.
Dans quelques cas, la fièvre procède par accès pseudo-intermittents
contre lesquels on pourra employer le sulfate de quinine à l'exemple de
Rilliet et Barthez qui le prescrivent en lavements. Enfin dans les der-
nières périodes de la maladie, lorsque la cachexie survient, il ne reste
plus qu'à prévenir la formation des eschares, à combattre la diarrhée,
à soutenir les forces par une alimentation convenable à l'aide du lait,
des tuniques divers, de l'alcool, etc.
PNEUMONIE. -
PN. CHRONIQUE. PN. CHRONIQUE PI.EUROGÈNE.
017
Dans la broncho-pneumonie chronique nous retrouvons des indica-
tions analogues à celles que nous venons de passer en revue dans la
broncho-pneumonie subaiguë. La prophylaxie consiste à combattre les
catarrhes bronchiques rebelles, les broncho-pneumonies aiguës dont la
résolution se fait péniblement. Nous n'insisterons pas sur le traitement
de la première période de la maladie, celle dans laquelle les lésions
sont encore à l'état embryonnaire et qui correspond, par conséquent, à la
broncho-pneumonie subaiguë. Plus tard, la dilatation des bronches et la
sclérose du poumon avec atrophie sont les deux lésions dont il s'agit de
combattre les conséquences et les progrès. Pour agir sur l'élément bron-
chique on prescrira les vomitifs, le kermès, qui faciliteront l'expectora-
tion et combattront l'engorgement des bronches. Aux efforts de toux qui
aggravent la situation du malade en le fatiguant, en l'empêchant de
dormir, et qui favorisent dans une certaine mesure la formation des
ectasies bronchiques, on opposera les opiacés, le chloral, les antispas-
modiques divers, etc. On devra surtout s'adresser aux agents modifi-
cateurs de la muqueuse et des sécrétions bronchiques, aux balsamiques,
à la térébenthine, au goudron, etc. Le traitement sulfureux en boissons,
en pulvérisations, en inhalations, pourra rendre dans ces cas de grands
services.
Les mêmes moyens agissent indirectement sur l'élément pulmonaire,
contre lequel on peut prescrire les révulsifs, les frictions d'huile de
croton et surtout les vésicatoires.
Enfin l'état des forces doit être incessamment surveillé et entretenu
à l'aide des toniques, d'une alimentation fortifiante. Les mesures hygié-
niques que commande la susceptibilité extrême des bronches et le/danger
des poussées aiguës ne doivent pas être négligées : le malade portera de
la flanelle, évitera le froid, la poussière, toutes les causes d'irritation
des voies aériennes. Le séjour à la campagne dans un endroit bien abrité,
l'émigration dans le Midi pendant l'hiver, devront être recommandés
autant que possible.
Les autres indications sont purement symptomatiques ; elles se rap-
portent à la fièvre, qui sera avantageusement combattue par le sulfate de
quinine quand elle prend le caractère rémittent ; aux hémoptysies, à la
dilatation cardiaque, aux complications diverses auxquelles on opposera
des moyens appropriés. Enfin les accidents terminaux sont habituelle-
ment sous la dépendance de la cachexie et ne réclament plus que le
traitement palliatif sur lequel nous n'avons pas besoin d'insister de
nouveau.
G. Pneumonie chronique pleurogène. — Les lésions du poumon s'étendent
souvent à la plèvre à cause des connexions vasculaires qui les unissent.
L'artère pulmonaire fournit le réseau capillaire des acini et en même
temps des rameaux qui se rendent dans l'épaisseur de la plèvre
(Reissessen, Kolliker, Rindfleisch). Celle-ci reçoit en outre des vaisseaux
issus des artères bronchiques, en sorte que les altérations des bronches
et du poumon retentissent facilement sur elle;
018 PNEUMONIE. — pn. chronique. — pn. ohboihqdb pi.eurogène.
Inversement, les lésions de la plèvre retentissent sur le poumon, et,
d'après Rindllcisch, il est commun de voir, dans la pleurésie séro-fibri-
neuse, les alvéoles superficiels se remplir d'exsudat fibrineux.
Les lésions de la plèvre peuvent encore retentir sur le poumon par la
voie des lymphatiques. L'inflammation reste en général confinée dans le
lymphatique, mais elle peut se propager au tissu conjonctif voisin inter-
lobulaire ou sous-pleural.
Certaines pleurésies, en général de mauvaise nature, et sur lesquelles
Moxon a l'un des premiers appelé l'attention, s'accompagnent d'une
angioleucite pulmonaire généralisée. Il en est de même pour les pleurésies
puerpérales (Heiberg, Quinquaud, Longuet), pour le carcinome pulmo-
naire consécutif au carcinome du sein et de la plèvre (Charcot et Debove).
Enfin, l'expérimentation a également montré ces relations (angioleucite
pulmonaire consécutive à l'injection de produits tuberculeux dans la
plèvre), et il résulte dés recherches histologiques de Ranvier et de Dyb-
kowsky, précédés dans cette voie par Bichat, qu'il existe des orifices
réservés entre les cellules épithéliales, et qui font communiquer directe-
ment la cavité séreuse avec les réseaux lymphatiques superficiels en cer-
tains points, orifices qu'on retrouve chez l'homme aussi bien que chez les
animaux (Wagner, Arch. der Heilkunde, 1870) . Cet auteur a mèmevu dans
la pleurésie fibrineuse aiguë ou chronique les lymphatiques superficiels
contenir de la fibrine se continuant immédiatement avec le dépôt fibri-
neux de la fausse membrane. Cornil et Ranvier ont vu les lympbatiques
superficiels distendus par l'exsudat fibrineux. Ces auteurs ont fait leurs
observations sur la plèvre pariétale, mais elles ont été répétées depuis
par Klein sur la plèvre pulmonaire, et Troisier a vu les injections de
carmin faites dans la plèvre pénétrer jusque dans les lymphatiques sous-
pleuraux.
Moxon a montré que la pleurésie purulente peut être suivie de véri-
tables pneumonies interstitielles aiguës. Une véritable suppuration inter-
lobulaire se produit en pareil cas. Rindfleiseh, Hayem, ont cité des faits
analogues à propos de la pneumonie disséquante dans laquelle un ou
plusieurs lobules se trouvent comme séquestrés, séparés du reste de
l'organe. Mais il s'agit là d'une phase aiguë sur laquelle nous n'avons pas
à insister.
L'extension du processus par la voie des lympbatiques peut conduire à
la formation d'une pneumonie fîbroïde cloisonnée. On peut désigner
sous le nom de pleurogènes ces pneumonies interlobulaircs chroniques
consécutives à la pleurésie. Divers auteurs les ont signalées, en particu-
lier W. Fox (ReijnohV s System, art. Pneumonie chronique) et Rrouardel
(Bull, de la Soc. des hôpitaux, 1872, p. 168), Charcot en rapporte
dans ses leçons deux observations qui lui ont été communiquées par
Tapret, alors interne de Oulmont. Les faits, comme on le voit, sont encore
trop peu nombreux pour qu'on puisse faire une description complèle
de cette forme. Nous devons ajouter que cette pénurie d'observations
ne doit pas nous surprendre, car le plus souvent les bronches cl le pa-
PNEUMONIE. PN. CHRONIQUE. PN. CHRONIQUE PI,EUROGÈNE. 619
rcnchymc pulmonaire d'emblée participent au processus ; dès le début,
ce sont des pleuro-pneumonies ou des broncho-pueumonies (Voy. les
observations de Bartli). Les congestions pulmonaires, si fréquentes dans
la pleurésie, favorisent aussi sans doute le développement de ces lésions
interstitielles.
A l'autopsie des individus qui succombent à ces pneumonies pleuro-
gènes on trouve, ordinairement d'un seul côté, la plèvre entièrement
épaissie, formant une véritable coque fibreuse qui coiffe tout le poumon
qu'on ne peut détacher de la paroi costale qu'avec les plus grandes diffi-
cultés. Des adhérences interlobaires existent. en même temps que cette
coque, qui présente habituellement à leur niveau et au sommet du pou-
mon sa plus grande épaisseur. Le poumon est traversé par des cloisons
interlobulaires d'épaisseur variable, constituées par du tissu conjonctif
embryonnaire, ou déjà fibreux. Le parenchyme des lobules peut participer
aux lésions ; il a été trouvé à peine altéré dans les deux observations de
Tapret. Il faut noter que ce travail s'accomplit parfois avec une grande
rapidité; en quelques semaines, les néo-membranes s'organisent, devien-
nent fibreuses et rétractiles, et le poumon, dont les espaces interlobulaires
participent au même processus, devient incapable de se dilater. Les
bronches sont saines ou présentent une dilatation cylindrique peu mar-
quée. Nous croyons que cette dilatation ne devient plus considérable que
lorsque la maladie se complique, comme c'est souvent le cas, d'une bron-
chite chronique. L'altération de la paroi bronchique permet alors à la
rétraction modulaire du tissu inflammatoire de produire sa déformation.
Les lésions concomitantes sont en rapport avec la sclérose et la rétraction
du poumon : déformation spéciale de la paroi thoracique correspondante,
laquelle est déprimée et affaissée ; emphysème compensateur de l'autre
poumon ; hypertrophie avec dilatation du cœur droit ; congestion des
viscères.
Au point de vue clinique, les choses se passent habituellement de In
façon suivante : Un individu atteint de pleurésie chronique conserve,
après la disparition de l'épanchement, de la dyspnée et de l'oppression,
souvent aussi des douleurs de côté plus ou moins intenses. Il y a parfois
des accès de fièvre qu'on attribue à tort à la reproduction de l'épanche-
ment. Bientôt la poitrine se déforme, les côtes s'affaissent et s'immobili-
sent dans une moitié du thorax, l'épaule du même côté s'abaisse ; la colonne
vertébrale subit une incurvation plus ou moins marquée, le grand pectoral
s'atrophie, l'angle inférieur de l'omoplate s'écarte de la paroi costale
(Stokes). A l'inspection età la mensuration, il existe une notable différence
entre les deux moitiés de la poitrine ; les viscères abdominaux tendent
à se déplacer par suite de l'élévation du diaphragme. A l'auscultation, la
respiration est soufflante ; il peut y avoir aussi du souffle bronchique
ou caverneux; fréquemment, on entend des râles muqueux en rapport
avec la bronchite concomitante. L'oppression est constante, mais elle
se produit aussi parfois sous forme d'accès, s'accompagnant de palpita-
tions, surtout dans les dernières périodes de la maladie. Les signes de la
G20
IW'l'IMiiMi:.
PN. CHRONIQUE.
BIBLIOGRAPHIE.
dilatation et de l'insulfisance du cœur droit ne tardent pus alors à se
montrer. Le deuxième bruit du cœur est accentué; suivant Traube, par
suite du déplacement du cœur à droite dans certains cas, on peut perce-
cevoir dans le deuxième espace intercostal un soulèvement systolique dû
à la dilatation de la portion initiale de l'artère pulmonaire, et un soulè-
vement diastolique consécutif correspondant à l'occlusion des valvules
sigmoïdes de ce vaisseau; ces phénomènes sont en rapport avec l'aug-
mentation de la pression dans l'artère pulmonaire et avec la rétraction du
tissu qui recouvre l'artère à l'état normal. L'œdème, commençant aux
membres inférieurs, se généralise. Les malades succombent aux progrès
de l'asphyxie. Dans une observation de Tapret, la mort fut déterminée
par une pneumonie survenue dans le poumon opposé. Le pronostic est
grave, d'autant plus que les cas publiés jusqu'à ce jour ont présenté une
marche assez rapide (Brouardel, Tapret, Nothnagel).
Le traitement comporte d'abord des indications prophylactiques im-
portantes : Brouardel recommande de vider la plèvre de bonne heure,
alors que le poumon peut reprendre son volume normal avant que les
fausses membranes et les cloisons conjonctives ne soient épaissies et
rétractées. Plus tard, les révulsifs (teinture d'iode, huile de croton, ven-
touses, vésicatoires) doivent être prescrits pour empêcher les progrès
des lésions. Ces divers moyens, ainsi que la dérivation intestinale, sont
surtout utiles lorsque des poussées congestives se produisent du côté du
poumon. Il faut, en outre, faire fonctionner le poumon, dont le pai -en-
chyme est peu altéré : l'aérothérapie, l'exercice modéré, le séjour à la
campagne, répondent à cette indication. L'attention doit être toujours
portée sur l'état des forces, qu'il faut améliorer autant que possible; des
mesures hygiéniques rigoureuses doivent être prises pour éviter les refroi-
dissements et les bronchites qui en sont souvent la suite et constituent
une des complications les plus dangereuses. Enfin, dans la dernière
période, on devra recourir à la digitale et aux divers moyens qui peuvent
relever l'action du cœur.
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viscérale limitée en haut par le cou, en bas par l'abdomen, qui ren-
ferme les organes centraux de la respiration et de la circulation, mais
622
POITIUNE. ANATOMIK. THORAX OSSEUX.
encore les parois qui la constituent. L'expression de thorax, par laquelle
on désigne quelquefois la cage osseuse de la poitrine, est le plus souvent
employée comme synonyme de ce dernier mot ; le nom de cavité thora*
cique s'applique, avec plus de précision, à la cavité viscérale, abstraction
faite de ses parois.
Envisagée à ce dernier point de vue, la poitrine forme une des divi-
sions naturelles du corps, chez l'homme comme chez tous les mammi-
fères. Ses limites extérieures sont, au contraire, plus difticiles à établir.
La ligne de démarcation entre les parois thoraciques proprement dites et
la paroi abdominable, dans la région des hypochondres, est purement
fictive. Il en est de même au voisinage de l'épaule, où les attaclies du
membre supérieur se superposent à la paroi latérale de la poitrine et en
modifient la partie supérieure. Enfin la paroi thoracique postérieure se
confond, en grande partie, avec la portion dorsale des régions rachi-
diennes, dont l'ensemble forme une division naturelle, étudiée séparé-
ment dans la plupart des traités d'anatomie chirurgicale.
Il n'est donc pas facile d'établir extérieurement les limites exactes des
régions thoraciques, et il en résulte,, comme nous le verrons plus loin,
quelques inconvénients au point de vue des déductions pratiques.
Cette difficulté n'existe pas quand on considère le squelette, où le thorax
forme une sorte de cage osseuse, constituée en avant par le sternum,
en arrière par l'ensemble des vertèbres dorsales, de chaque côté par la
série des douze côtes. Si, par la pensée, on revêt ces pièces osseuses des
parties molles qui y adhèrent directement en dedans et en dehors, e'.
qu'on introduise la voûte du diaphragme dans l'espace circonscrit par la
circonférence inférieure, on a une idée assez exacte de la cavité et de ses
parois propres.
Au lieu donc de procéder, dans la description de la poitrine, de l'exté-
rieur vers l'intérieur, comme pour les autres régions, il nous semble
préférable de suivre l'ordre inverse , c'est-à-dire , d'étudier successive-
ment : 1° Le thorax osseux. 2° Les diverses couches de parties molles
qui revêtent ou complètent les parois osseuses. 5° La cavité qui en résulte.
I. Thorax osseux. — Il représente un tronc de cône droit constitué
par :
1° Une partie postérieure, médiane et fixe, qui soutient les autres, co-
lonne dorsale ;
2° Deux parties latérales représentant chacune, suivant une expression
heureuse de Sappey, un large éventail dont les pièces se rapprochent et
s'éloignent alternativement, ce sont les côtes;
5° Une colonne antérieure, sternum, à laquelle les pièces précédentes
viennent se fixer et qui les suit dans leurs mouvements.
Les éléments constituants de la cage osseuse thoracique ont été déjà ou
seront décrits séparément dans d'autres parties du Dictionnaire (Voy.
Côte, Rachis, Sternum). Nous devons donc nous borner à l'envisager ici
dans son ensemble.
Bien qu'on ait l'habitude de la comparer à un cône droit, dont le
POITRINE. ANATOMIE. THORAX OSSEUX.
623
sommet serait tronqué, elle est loin de présenter la régularité d'une
figure de géométrie. Ainsi la paroi postérieure forme une courbe à con-
cavité antérieure ; la paroi antérieure, qui est plane, est oblique en bas
et en avant ; chacune des moitiés latérales forme une surface convexe
oblique de haut en bas et de dedans en dehors; mais l'accroissement qui
en résulte pour les divers diamètres transverses de la cavité manque de
régularité. Ainsi, le cône s'élargit rapidement de la lre côte à la 5" ou 4",
puis lentement et progressivement de celle-ci à la 8e ou 9e, et se ré-
trécit ensuite, mais d'une manière insensible, au niveau des dernières
côtes.
La paroi antérieure est constituée par le sternum, la série des articu-
lations chondro-sternales, les cartilages costaux, les articulations des
cartilages et des côtes, et enfin l'extrémité antérieure de ces dernières.
La ceinture osseuse de l'épaule prend son point d'appui sur l'extrémité
supérieure de la paroi (articulation sterno-claviculaire, ligament costo-
claviculaire).
Vue à l'extérieur, la paroi postérieure présente, sur la ligne médiane,
les apophyses épineuses des vertèbres dorsales, de chaque côté, la gout-
tière vertébrale, la série des apophyses transverses qui limitent cette
gouttière en dehors, le col et la tubérosité des côtes, leur partie dorsale
et leur angle, qui sépare la région postérieure des régions latérales.
Du côté de la cavité, l'aspect est un peu différent. La colonne dorsale
forme, en effet, dans l'intérieur de cette cavité, une colonne proémi-
nente, concave de haut en bas, convexe transversalement, qui constitue
de chaque côté, avec la partie initiale des côtes, une gouttière profonde
où est reçu le bord postérieur du poumon.
Les parois latérales sont formées uniquement par la partie moyenne
des côtes, toutes obliques de haut en bas et à peu près parallèles, mais
séparées par des espaces inégaux (espaces intercostaux) qui vont en
diminuant du 1er au 8°, et s'accroissent ensuite progressivement à partir
de ce dernier, de telle sorte que les moyens, qui sont les plus petits, ont
environ 12mm. L'obliquité des côtes et des espaces intercostaux est telle
que leur extrémité antérieure s'abaisse, en moyenne, de trois vertèbres
au-dessous de leur extrémité postérieure.
Vues en dedans, les parois latérales présentent une concavité corres-
pondant à la convexité de leur surface externe ; elles répondent à la face
externe des poumons, dont elles sont séparées par la plèvre pariétale.
La circonférence de la base du thorax osseux est formée, en avant,
par l'appendice xiphoïde, en arrière par le bord inférieur des douzièmes
côtes, de chaque côté par les rebords cartilagineux résultant de la super-
position des 7% 8", 9° et 10° cartilages costaux. Ce contour se trouve
interrompu au niveau des deux dernières côtes (côtes flottantes).
Le sommet du thorax se présente sous la forme d'un orifice elliptique,
circonscrit en avant par l'extrémité supérieure du sternum, en arrière
par le corps de la première vertèbre dorsale, sur les côtés par les pre-
mières côtes. Le grand axe de l'ellipse est transversal ; le plan de l'on-
f)l24 POITRINE — ANATOMIK. THORAX OSSEUX.
lice se dirige en bas et en avant, l'extrémité du sternum répondant au
corps de la 2e vertèbre dorsale.
Les dimensions du thorax osseux ont une importance réelle, car elles
correspondent assez exactement, sauf les modifications qu'y apporte la
présence des parties molles, aux dimensions intérieures de la cavité
tboracique. Elles présentent, d'ailleurs, môme à l'état physiologique, des
différences individuelles nombreuses, sans compter les variations impor-
tantes qui résultent de certains états pathologiques. Aussi les évaluations
fournies par les anatomistes offrent-elles des divergences sensibles. Nous
nous bornerons donc ici à signaler les chiffres moyens généralement
admis, renvoyant à la description de la cavité tboracique (Voy. p. 655)
les détails complémentaires qui y trouveront mieux leur place, et au
chapitre des Anomalies les variations qui ont un caractère patholo-
gique.
Les mensurations pratiquées sur la cage thoracique ont pour but la
détermination des trois diamètres vertical, transverse et antéro-pos-
térieur.
Or, le diamètre vertical ne peut être apprécié d'une manière satisfai-
sante que lorsque la cage osseuse est complétée par le diaphragme qui
en obture l'orifice inférieur et par la plèvre qui se réfléchit de la paroi
costale sur les bords du muscle en formant le sinus costo-diaphragma-
tique. Les dimensions du thorax osseux n'ont donc, à ce point de vue,
qu'une valeur relative. La paroi antérieure représentée par toute la lon-
gueur du sternum a environ 0m,20 ; mais, comme cet os forme avec
l'horizon un angle d'environ 70°, et qu'en outre le diaphragme s'insère
à la base de l'appendice xiphoïde, le diamètre vertical correspondant se
réduit à 0m,15 ou 0m,16. La paroi postérieure, formée par la colonne dor-
sale, a une hauteur verticale moyenne de 01U,25. Enfin, la distance qui
sépare le bord interne de la 1" côte du bord inférieur de la 12° sur une
ligne passant par le mamelon mesure en moyenne 0,u,29.
Les diamètres transverse et anléro-postérieur ont plus de valeur parce
qu'ils répondent d'une manière plus précise à ceux de la cavité vis-
cérale.
Nous savons déjà que le diamètre transverse va en augmentant de haut
en bas jusque vers la 8e ou la 9e côte, et qu'il diminue ensuite légère-
ment. Chez un adulte de taille moyenne et bien constitué, il présente
les chiffres moyens suivants : 0"',U au niveau de l'orifice supérieur,
0m26 au niveau des 8e et 9° côtes, 0,n,22 au niveau de la 12e. Chez la
femme, les deux dernières moyennes doivent être abaissées de plusieurs
centimètres. La prédominance du diamètre transverse est généralement
en rapport avec la vigueur do la constitution et le développement de
l'appareil respiratoire. Nous verrons plus loin qu'il augmente et diminue
alternativement sous l'influence des mouvements que la respiration
imprime aux parois thoraciques.
Le diamètre antéro-postérieur augmente également de haut on ba>
à cause de l'obliquité du sternum. Sur le plan médian où ses dimensions
POITRINE.
ANATOMIE.
PAnTIES MOLLES DES PAROIS.
625
sonl réduites par la saillie du corps des vertèbres, il s'accroît progressi-
vement depuis 0"\045 (au niveau de la fourchette sternalc) jusqu'à 0"',115
(au niveau de l'appendice xiphoïde). Mesuré sur les côtés, c'est-à-dire,
du sternum aux gouttières costales, il acquiert environ 0"',025 de plus.
Il subit, par le fait de la respiration, des variations moins étendues que
celles des diamètres tranverse et vertical.
II. Parties molles des parois. — Le cône formé par la cage thoracique
est tapissé à sa surface intérieure par une membrane séreuse, la plèvre,
qui facilile le glissement des organes qu'il contient.
Le vide des espaces intercostaux est comblé par deux plans musculaires
et aponévrotiques, muscles intercostaux, auxquels s'ajoutent, sur cer-
tains points, des faisceaux accessoires (muscle triangulaire du sternum,
sur-costaux et sous-costaux).
Enfin, sur tout le pourtour intérieur de la circonférence inférieure du
thorax s'insère une lame musculaire qui s'élève à la manière d'une
voûte et forme, à la fois, la paroi inférieure de la cavité thoracique et la
paroi supérieure de l'abdomen.
Telles sonl, à proprement parler, les parties molles intrinsèques des
parois thoraciques. Si la peau, doublée de sa couche conjonctive, s'ap-
pliquait immédiatement sur elles, la forme des régions extérieures de la
poitrine reproduirait exactement celle du thorax osseux. Mais il n'en est
pas ainsi. A ces parties essentielles se superposent des muscles, des os,
et, chez la femme, un organe glandulaire, qui modifient profondément
l'aspect et la composition des parois. Ce sont, pour ainsi dire, les parties
extrinsèques.
La superposition de ces éléments extrinsèques aux parois thoraciques,
proprement dites, entraîne les conséquences suivantes :
1° Au point de vue de la forme. — Tandis que le cône représenté par
le thorax osseux a son sommet en haut, la poitrine revêtue de ses parties
molles, le bras étant supposé détaché au niveau de l'articulation scapulo-
humérale, présente ses plus grandes dimensions en haut et forme un
cône à base supérieure.
2° Au point de vue de la protection des organes thoraciques. — L'iné-
galité d'épaisseur et de composition des parois produit des différences
considérables relativement au degré de vulnérabilité de telle ou telle
partie.
5° Au point de vue fonctionnel. — Par suite de la solidarité des mou-
vements du sternum et des côtes, tous les faisceaux musculaires qu
viennent se fixer à l'un de ces os exercent, soit dans l'état ordinaire,
soit d'une manière exceptionnelle, leur influence sur les mouvements
des parois thoraciques, lorsqu'ils prennent leur point fixe sur l'insertion
opposée. Inversement, lorsque la poitrine est dilatée, et que l'air con-
tenu dans l'appareil respiratoire y est maintenu par l'occlusion de la
glotte, tous les muscles extrinsèques des parois thoraciques prenant alors
leur point fixe, soit sur le sternum, soit sur les côtes, peuvent concourir
aux actions les plus variées
nou?. dict. méd. et cnin. XXVIII — 40
626 POITRINE. — anatomik. — parties houes uks parois.
Pour nous conformer à l'ordre que nous avons adopté, nous décrirons
d'abord les muscles intrinsèques, qui complètent et ferment le thorax
osseux; nous énumérerons ensuite les diverses couches qui se surajoutent
aux parois antérieure, postérieure et latérale de ce dernier.
a. Muscles inlrinsèques des parois Lhoraciques.
Intercostaux. — Gomme leur nom l'indique, les muscles intercostaux
remplissent les espaces qui séparent les côtes. Au nombre de deux pour
chaque espace, ils sont désignés par les noms d'externes et d'internes.
Ils représentent deux lames musculaires minces, superposées dans la plus
grande partie de leur étendue, qui mesurent exactement la largeur des
espaces auxquels elles correspondent. Elles en mesurent aussi la lon-
gueur, avec cette restriction, toutefois, que les intercostaux externes
sont étendus depuis les articulations costo-vertébrales en arrière jus-
qu'au niveau de l'union des cartilages et des côtes en avant, tandis que
les intercostaux internes ne commencent, en arrière, qu'aux angles des
côtes et finissent, en avant, au sternum. Dans la partie, soit antérieure,
soit postérieure, de l'espace intercostal, où l'un des deux plans muscu-
laires fait défaut, il est remplacé par une lame aponévrotique résistante.
Insérés par de courtes fibres aponévrotiques aux bords opposés des deux
côtes correspondantes, l'un à la lèvre externe, l'autre à la lèvre interne
de ces bords, les muscles intercostaux ont une direction oblique, mais
croisée, l'intercostal externe se dirigeant en bas et en avant, l'interne,
en bas et en arrière, de telle sorte que cet entrecroisement, d'une part,
et l'abondance des fibres aponévrotiques, de l'autre, donnent à ces deux
plans si minces une grande force de résistance.
Vers l'extrémité postérieure des espaces intercostaux, la couche précé-
dente est renforcée par des faisceaux accessoires qui portent le nom de
sous-costaux et sur-costaux.
Muscles sous-costaux. — Ce sont de petites languettes musculaires
et aponévrotiques, variables pour le nombre et la longueur, étendues de
la face interne de la côte qui est au-dessus à la face interne de celle qui
est au-dessous, et, quelquefois, des deux suivantes. Ces languettes pré-
sentent, le plus souvent, une obliquité analogue à celle des intercostaux
internes dont elles peuvent être considérées comme une dépendance.
Muscles sur-costaux. — Ceux-ci, au contraire, situés à l'extérieur du
thorax, représentent de petits muscles triangulaires, insérés, d'une part,
au sommet de l'apophyse transverse d'une vertèbre dorsale, et, de l'autre
part, au bord supérieur et à la face externe de la côte qui est au-dessous.
Les fibres de ces muscles ont la même obliquité que celles des inter-
costaux externes, dont ils peuvent être considérés comme des dépen-
dances.
Triangulaire du sternum. — A la partie antérieure des espaces inter-
costaux, le plan des intercostaux internes est renforcé par des languettes
musculaires, dont la direction rappelle celle des sur-costaux, tandis que
leur situation à l'intérieur du thorax rappelle celle des sous-costaux.
L'insertion fixe de çcs languettes a lieu sur les parties latérales de la face
POITUINK.
ANATOMIE.
PARTIES MOLLES DES PAROIS.
027
postérieure du sternum, au voisinage de l'union de l'appendice xiphoïde
et des cartilages costaux correspondants. Le faisceau rayonné qui en ré-
sulte (muscle triangulaire du sternum), s'attache par de petites digita-
lions, à la face postérieure et aux bords des cartilages des côtes, depuis
la 6L jusqu'à la 5e, et, quelquefois, jusqu'à la 2e.
Diaphragme. — Ce muscle ayant déjà fait, dans ce dictionnaire, l'objet
d'un article spécial {Voy. t. XI, p. 341), nous nous bornerons à rappeler
que la voûte aponévrotique et musculaire qu'il représente, indépendam-
ment des deux piliers volumineux qui prennent leur point d'appui sur les
corps et les disques de la 2% de la 5e et souvent de la 4e vertèbre lom-
baire, s'insère, par son pourtour, à la face postérieure du sternum, au
niveau de la base de l'appendice xiphoïde, à la face postérieure et au bord
supérieur des cartilages des six dernières côtes et à la portion osseuse à
laquelle les cartilages font suite.
h. Couches extrinsèques des parois thoraciques. — Nous conserve-
rons ici la division, l'ordre et les délimitations précédemment adoptés
pour la description des parois osseuses du thorax ; nous étudierons donc
successivement la région antérieure, la région postérieure et les régions
latérales.
Région antérieure ou slernale. — Limitée, en haut, par le bord supé-
rieur du sternum, la clavicule et la première côte, elle se termine, en
bas, sur la ligne médiane, à l'appendice xiphoïde, sur les côtés, au relief
des fausses côtes et aux insertions costales du diaphragme. Ses limites
latérales, forcément arbitraires, peuvent être représentées par une ligne
verticale menée, de chaque côté, immédiatement en dehors de la ma-
melle.
La peau, plus dense et moins mobile sur le sternum que sur les parties
latérales, présente, chez la femme, une finesse excessive au niveau de la
mamelle, dont le relief convertit en une sorte de gouttière la portion
médiane delà région. Chez l'homme, la profondeur de celte gouttière
est déterminée par la saillie plus ou moins accusée des muscles grands
pectoraux.
La peau est doublée d'une couche de tissu conjonctif graisseux, d'une
épaisseur très-variable suivant les sujets, mais toujours inoindre sur la
ligne médiane que sur les côtés.
Le fascia superficialis forme, chez l'homme, une couche simple, con-
tinue avec celle des régions voisines ; chez la femme, il se dédouble et
comprend entre ses deux feuillets la glande mammaire et l'atmosphère
graisseuse qui l'entoure. Cette glande qui reste, chez l'homme, à l'état
rudimentaire pendant toute la vie, et qui l'est également chez la femme
jusqu'à la puberté, acquiert, à partir de cette époque, une importance
physiologique et pathologique telle qu'elle mérite d'être étudiée à pari.
Nous renverrons donc, pour tout ce qui s'y rattache, à l'article Mamelle,
t. XXI, p. 517.
Au-dessous, on rencontre l'aponévrose du grand pectoral, qui s'insère
■en haut au bord inférieur de la clavicule, se continue en bas avec la
028 POITRINE. AHATOMIK. — PARTIES MOLLES DES PAROIS.
gaine du grand droit de l'abdomen, et, en dehors, avec les aponévroses
delloïdionne el brachiale, tandis qu'en dedans elle se confond avec le
périoste du sternum.
Le muscle volumineux et puissant qui est situé au-dessous, recouvre
la presque totalité de la région, sauf en dedans et en bas ; le large
Fig 5b. — Région antérieure de la poitrine. — Plan profond.
A, slcmo-niastoïdien ; Ii, trapèze ; F, grande corne de l'os hyoïde ; G, artère faciale ; E, carotide pn
mitivo ; 1J, veine jugulaire interne ; D, corps thyroïde ; I, nerfs du pleins brachial ; J, artère axillairc -
K, veine axillairc j M, apophyse coracoïde ; N, tète de l'humérus ; P, coraco-huinéral ; R, insertion du;
petit pectoral; X, brachial antérieur; C, trachée ; L, clavicule; Q, artère cl veine acromio-thoracique ;
S, tendon du grand pectoral; U, muscle grand dentelé; T, biceps; V, muscle grand droit de l'abdo-
men ; ZZ, intercostal externe (Asgeii, Nouveaux éléments d'Analomic chirurgicale).
éventail qu'il représente se détache, en dehors, de la paroi costale pour
former la paroi antérieure de l'aisselle.
Le petit pectoral n'appartient à la région que par ses insertions cos-
tales. Le corps du muscle se rattache plutôt à la région de l'aisselle.
Signalons, pour mémoire, la clavicule et son muscle sous-clavier qui
surmontent la région et recouvrent la première côte, l'aponévrose pro-
fonde (clavi-axillaire) qui part de la gaine du sous-clavier, embrasse le
POITRINE.
A NATO M 110.
PARTIES MOLLES DES PAROIS.
petit pectoral dans son dédoublement et va s'implanter sur la face pro-
fonde de la peau de l'aisselle, en bas, les insertions supérieures du grand
droit de l'abdomen, enfin, sur les limites de la région, celles du grand
J.B. LÈVE/LU. C£L eiM.';D£i.SC,
Fig. 3G. — Région postérieure de la poilrine.
I, muscle storno-cléido-masloïdien ;] 2, Bplénius; 3, angulaire do l'omoplate; I, scnlènc postérieur;
o, sus-épineux ; G, sous-épineux; 8, trapèze ; 9, grand dorsal ; 10, petit rond ; 11, deltoïde ; i% vaste
externe du triceps bracliial ; 13, nerf du trepèze ; 14, artères cervicales transverses ; 15, artères sca-
pulaires supérieures; 16, branches postérieures de la cervicale iransverse ; 17, artères, veines ci
nerfs circonflexes ; 18, numérale profonde; 10, artères du grand dentelé; 20, aponévrose qui recouvre
les muscles profonds des gouttières vertébrales (AsGBn).
dentelé et du grand oblique, qui se rattaclient bien mieux aux régions
latérales (fig. 35).
Les artères superficielles de la région antérieure proviennent de plu-
sieurs sources. La thoracique supérieure, branche de l'axillairc, fournit
en liant quelques rameaux; sur les côtés du sternum, de petites
650
POITRINE.
ANATOMIE.
PARTIES MOLLES DES PAROIS.
brandies tic la mammaire interne se dirigent de dedans en dehors ; on
trouve, enfin, sur toute la surface de la région des rameaux superficiels
venus des intercostales. Dans la couche moyenne, nous devons signaler
le tronc plus important de la thoracique supérieure qui chemine entre
le grand et le petit pectoral. Dans le plan profond, on rencontre la
mammaire interne qui a une importance réelle. Née de la sous-clavière,.
un peu au-dessus de l'orifice supérieur du thorax, elle se porte en bas
derrière la clavicule, puis derrière le premier cartilage costal et descend
verticalement le long du bord du sternum contre lequel elle s'applique,
en haut, tandis qu'en bas, elle en est séparée par un intervalle de 8 ou
10 millimètres. Elle fournit, en dehors, des rameaux qui vont s'anasto-
moser avec les intercostales, et s'anastomose elle-même, par sa branche
terminale interne avec les rameaux de l'épigastrique dans l'épaisseur du
muscle grand droit de l'abdomen. Sa situation profonde derrière les car-
tilages costaux la soustrait, en partie, à l'action des violences exté-
rieures ; mais, dans les espaces intercostaux, où elle n'est recouverte
que par une faible épaisseur de parties molles, elle est susceptible d'être
lésée et de fournir, vu son calibre, une hémorrhagie grave. (Nous-
omettons à dessein rénumération des veines, des lymphatiques et des
nerfs de la région qui ne peuvent donner lieu à aucune déduction pra-
tique intéressante.)
Région postérieure ou rachidienne. — Elle s'étend verticalement de
la lro vertèbre dorsale à la lro vertèbre lombaire; de chaque côté, elle
est limitée profondément par l'angle postérieur des côtes. Chez les sujets
doués d'un certain embonpoint, cette limite latérale est assez difficile
à déterminer; de plus, à la partie supérieure, le bord spinal de l'omo-
plate empiète sur la région postérieure et la recouvre en partie.
La ligne médiane présente un sillon vertical, plus ou moins profond
suivani le degré de saillie des muscles spinaux, au fond duquel on aper-
çoit, chez les sujets maigres, une crête festonnée formée par la série des-
apophyses épineuses. Les saillies latérales comprises entre ces éminences-
et l'angle postérieur des côtes sont masquées par les divers plans mus-
culaires que nous énumérerons plus loin.
La peau de la région, dense, épaisse, est douée d'une certaine mobi-
lité sur les côtés, mais elle est fixée, sur la ligne médiane, par des
lamelles fibreuses qui, de la face profonde du derme, vont s'insérer aux
apophyses épineuses.
Le tissu adipeux est quelquefois très abondant sur les côtés; il est
toujours moins épais au milieu.
Le fascia superficialis et l'aponévrose d'enveloppe qui se confondent
sur plusieurs points, adhèrent, sur la ligne médiane, aux apophyses
épineuses et se continuent, sur les côtés, avec les couches analogues de
la région voisine.
Le plan musculaire superficiel est constitué par le trapèze et le grand
dorsal qui occupent toute la hauteur de la région (fig. 56).
Au-dessous du trapèze, on rencontre le rhomboïde, qui affecte la
POITRINE. ANATOMIE. — PARTIES MOLLES DES PAROIS. 631
forme (l'un parallélogramme, obliquement étendu de l'épine dorsale au
bord spinal de l'omoplate, l'extrémité inférieure du splénius et le petit
dentelé supérieur ; au-dessous du grand dorsal , le petit dentelé
inférieur.
La couche musculaire profonde est formée par les muscles des gout-
tières vertébrales (fig. 56), ainsi nommés parce qu'ils sont situés dans
une loge fermée en avant par les lames vertébrales, les apophyses trans-
verses et les articulations costo-vertébrales, en arrière par une forte
aponévrose fixée, d'une part, aux apophyses épineuses, d'autre part,
à l'angle des côtes. Ces deux loges ne communiquent pas entre elles;
elles sont séparées par les apophyses épineuses et les ligaments inter-
épineux.
Les vaisseaux superficiels de la région ne présentent que peu d'in-
térêt, au point de vue chirurgical ; ce sont des rameaux de la scapulaire
postérieure, de la scapulaire inférieure et de la branche dorso-spinale
des intercostales aortiques, dont la lésion serait sans gravité. La branche
terminale de la scapulaire postérieure, qui a un volume assez considé-
rable, est protégée par le bord spinal de l'omoplate. Profondément, dans
la partie des espaces intercostaux comprise entre les corps vertébraux et
l'angle postérieur des côtes, on rencontre le tronc lui-même des intercos-
tales, qui n'est pas protégé, comme il le sera plus loin, par la gouttière
du bord inférieur des côtes, et dont la présence contre-indique le choix
de cette région pour la pratique de l'opération de l'empyème.
Régions latérales ou costales. — Elles correspondent à toute cette
partie des parois thoraciques qui est comprise entre les deux régions
précédentes ; la limite supérieure en est masquée par les régions de
l'épaule; la limite inférieure est représentée par une ligne courbe
étendue de l'appendice xiphoïde à la 12e vertèbre dorsale et correspondant
à la série des insertions costales du diaphragme.
La clavicule, l'omoplate et la tète de l'humérus, les muscles de l'é-
paule, ceux qui se rendent des régions thoraciques antérieure et posté-
rieure à la racine du membre supérieur forment une masse épaisse et
résistante, qui, dans la position normale de ce membre supérieur, re-
couvre et protège la partie supérieure de la région thoracique latérale.
Celle-ci forme la paroi interne du creux de l'aisselle. Lorsque le bras est
relevé horizontalement, elle devient accessible aux agents vulnérants,
dans l'intervalle compris entre les deux reliefs puissants formés par le
grand pectoral et le grand dorsal. Dans la partie inférieure de la région,
la paroi costale devient superficielle.
Au-dessous de la peau, doublée d'une couche graisseuse d'épaisseur
variable et d'un fascia superficialis lamelleux qui facilite son glissement,
la couche musculaire superficielle est constituée, en haut par le grand
dentelé, dont les faisceaux divergents s'étendent du bord spinal de l'omo-
plate à la face externe des 9 ou 10 premières côtes, en bas par le grand
oblique de l'abdomen, dont les digitations s'entre-croisent sur la face
externe des 8 dernières côtes avec celles du grand dorsal et du grand
652
POITRINE. —
ANATOMII-:.
PARTIES IfOlXÉS DES PAnois.
Fio. 57. — Itégion tliorarique latérale.
I, clavicule; 2, sterno- mastoïdien ; ô, scnlène antérieur; 4,5, sralèno postérieur; fi, omo-liyoïdieii ;
7, angulaire de l'omoplate ; 8, lioril spinal de l'omoplate (l'omoplate a été enlevée, à l'exception d'une
bande osseuse tris étroite longeant le bôvi spinal); 10, angle inférieur de l'omoplate; 11, digitations
supérieures du grand dentelé; 12, ses digilations moyennes; 13, U, ses digitalions inférieures; 1j,
intercostaux externes; IG, intercostaux internes; 17, grand oblique de l'abdomen ; 18, petit dentelé
postérieur et inférieur; 19, crête iliaque (BtiUius et BoBCtUno).
POITRINE. ANATOMIE. CAVITÉ THOIUC1QUE.
655
dentelé, et enfin par les insertions costales du petit dentelé postérieur et
inférieur (fig. 37).
Le troisième plan est formé par les côtes et les muscles intercostaux
précédemment décrits.
Bien que le faisceau vasculo-nerveux qui traverse le creux axillaire soit
en rapport avec les deux premières côtes, nous ne le signalerons ici que
pour mémoire, car il n'appartient pas à la région costale, avec laquelle il
n'a que des rapports de voisinage peu étendus.
Les artères superficielles de la région sont, la plupart, des branches
peu importantes de la thoracique supérieure, des intercostales, et de la
scapulaire inférieure; le tronc de celte dernière est protégé par le bord
axillaire de l'omoplate ; mais il n'en est pas de même de la thoracique
longue ou mammaire externe qui dercend verticalement sur les parties
latérales du thorax, appliquée sur le grand dentelé, et qui, recouverte en
haut par le grand pectoral, devient assez superficielle au-dessous de ce
muscle.
Les artères propres de la région sont les intercostales. Ces artères
proviennent, les unes, de la sous-clavière, le plus grand nombre de
l'aorte thoracique; l'intercostale supérieure fournit aux deux ou trois
premiers espaces, et les intercostales aortiques, à tous les autres. A par-
tir de l'angle postérieur des côtes, l'artère que nous avons vue occuper
jusque-là le milieu de l'espace intercostal, se loge dans la gouttière
longitudinale que présente le bord inférieur de la côte supérieure et la
parcourt jusqu'au niveau de l'angle antérieur où elle se replace à égale
distance des deux côtes pour se terminer en s'anastomosant avec les bran-
ches externes de la mammaire interne. Les artères intercostales sont
accompagnées d'une ou deux veines collatérales, et des nerfs intercostaux
que nous devons signaler à cause des névralgies si douloureuses dont ils
sont parfois le siège.
L'étude de la paroi thoracique inférieure et des parties molles qui
remplissent l'orifice supérieur du thorax nous paraît se rattacher de pré-
férence à la description de la cavité.
III. Cavité thoracique. — Vue à l'intérieur, la cavité thoracique repré-
sente un tronc de cône droit, légèrement aplati dans le sens antéro-pos-
térieur, dont le sommet communique avec la région cervicale, dont la
base est formée par la surface courbe musculo-aponévrotique du dia-
phragme. Nous savons déjà qu'à l'intérieur du cône thoracique proéminc
la saillie des corps vertébraux, ce qui donne aux coupes transversales de
la cavité la forme d'un cœur de carte à jouer.
La paroi inférieure ou base y proéminc aussi, mais d'une manière iné-
gale, plus à droite qu'à gauche, par suite de la position du foie.
Nous avons signalé plus haut les insertions du diaphragme à la circon-
férence de la base du thorax; la ligne courbe qu'elles décrivent est donc
oblique en bas et en arrière, sa partie antérieure correspondant à l'ap-
pendice xiphoïde, tandis que son extrémité postérieure répond à la 12e
vertèbre dorsale.
634 POITRINE. — anatomie. — cavité tiioiuciqi i .
Il suit tic là que, sur son pourtour inférieur, la civile thoracique est
séparée de l'abdomen par une rigole circulaire très-peu accusée en avant,
mais assez profonde sur les côtés et un peu en arrière. Sauf celte inégalité
de profondeur, on a pu comparer celle disposition à celle de la partie in-
férieure des bouteilles dont le fond est refoulé à l'intérieur. Les deux
cavités thoracique et abdominale se pénètrent donc réciproquement en
arrière et sur les côlés.
La face supérieure du diaphragme est en rapport, au milieu et un peu
à gauche, par sa portion aponévrotique ou centre phrénique, avec le péri-
carde qui y adhère intimement, sur les côtés avec la plèvre pariétale
qui, à l'état sain, peut s'en détacher au contraire assez facilement.
La partie périphérique du muscle s'applique aux parois correspondantes
du thorax, de telle sorle que la cavité pleurale se trouve effacée à droite
et à gauche dans une hauteur de plusieurs centimètres. Il en résulte,
ainsi que nous le verrons plus loin, que ce n'est que dans les grandes
inspirations qu'on voit les poumons séparer cetle partie périphérique des
parois latérales et postérieures du thorax en s'insinuant entre le muscle
et les côtes. Il en résulte aussi que les parois extérieures de la poitrine
sont loin de correspondre dans toute leur hauteur aux organes thoraciques,
et que, dans la région des hypochondres,une partie des viscères de l'abdo-
men, le foie, l'estomac, la rate, le colon transverse, le pancréas, le
duodénum sont cachés sous le thorax.
Derrière l'appendice xiphoïde. une petite portion du muscle n'est
recouverte ni par la péricarde ni par la plèvre, et se trouve immédiate-
ment en rapport avec le tissu cellulaire du médiastin. D autre part, il
existe, presque toujours, dans un écartement des fibres qui s'insèrent au
sternum et au cartilage de la 7e côte, un petit intervalle celluleux, par
lequel le tissu conjonctif du médiastin communique avec le tissu con-
jonctif sous-péritonéal. C'est par cetle voie que certains abcès du médias-
lin ont pu venir s'ouvrir à la face antérieure de l'abdomen.
Le diaphragme est percé de plusieurs ouvertures destinées à donner
passage aux organes qui se portent de la cavilé thoracique à la cavité ab-
dominale, veine cave inférieure, aorte, canal thoracique, veine azygos,
œsophage, nerfs pneumo-gastriques. {Voy. Diaphragme, t. XI, p. 541 et
lig. 20.)
La cavilé thoracique n'a pas de paroi supérieure; son orifice supérieur
n'est obturé par aucun plan fibreux ni musculaire; il existe donc une
libre communication entre le tissu conjonctif de la base du cou et celui
du médiastin, autour des organes qui traversent cet orifice. Ces organes
sont : en avant la trachée, en arrière l'œsophage, sur les côtés les
troncs artériels et veineux de la tète et du membre supérieur. Enfin, le
sommet des poumons et des plèvres déborde la première côte d'un tra-
vers de doigt environ. Toutes ces parties sont séparées de l'extérieur, en
avant et sur les côtés, par les diverses couches qu'on rencontre à la base
des régions sous-hyoïdienne et sus-claviculaire qui ne leur fournissent,
d'ailleurs, qu'une protection fort incomplète. (l 'oy. Cou, t. IX. p. 657.)
POITRINE. —
AiNATOMIE.
CAVITÉ THORACIQUE.
655
Les dimensions antéro-postérieures et transversales de la cavité thora-
cique nous sont déjà connues. Elles sont sensiblement les mêmes que les
dimensions intérieures du thorax osseux. (Voy. p. 624.) Elles présentent,
par suite, des différences individuelles très-étendues et subissent, en
outre, dans l'acte de la respiration, des variations alternatives qui se rat-
tachent à l'étude des phénomènes mécaniques de cette fonction. (Foj/.Res-
l'UUTION.)
Le diamètre vertical ou mieux les divers diamètres verticaux présentent
des variations bien plus considérables encore. lien est un pourtant qui,
sur le même individu, présente une fixité relative; c'est celui qui passe
par le centre] phrénique, lequel, occupant le sommet de la voûte dia-
phragmatique, et étant maintenu par le péricarde auquel il adhère, jouit
d'une sorte d'immobilité. Le nombre moyen de 0m,15 ou Om,lG que nous
avons adopté, comme représentant le diamètre vertical antérieur du tho-
rax, correspond assez bien à ce point. Sur les côtés et en arrière, au con-
traire, le diamètre vertical varie à chaque instant. Ainsi, tandis qu'il aug-
mente pendant l'inspiration, par suite de l'abaissement du diaphragme,
il diminue pendant l'expiration, le muscle remontant alors jusqu'à la
6e côte, et même quelquefois, du cùlé droit, jusqu'à la 4e. La différence
de niveau entre le maximum d'élévation et le maximum d'abaissement
peut aller jusqu'à 0,n,d5 d'après J. Cloquet et Malgaigne, jusqu'à 0"\07
seulement, d'après Sappey. Il est vrai que les diamètres de la cavité pleu-
rale, mesurés du cul-de-sac supérieur de celte membrane aux divers points
du cul-de-sac inférieur ne présentent pas de pareilles oscillations; mais,
comme les poumons ne descendent jamais jusqu'au fond du cul-de-sac in-
férieur, la détermination exacte des diamètres verticaux de la cavilé Iho-
racique présente, comme ou voit, de sérieuses difficultés. Nous y revien-
drons plus loin, à l'occasion de la description de la plèvre.
La cavité thoracique ne représente pas une cavité simple, uniloculaire;
elle est cloisonnée par la plèvre qui la divise en trois parties principales,
savoir, deux cavités latérales ou pleuro-pulmonaireset une cavité moyenne
ou médiaslin qu'on divise, pour la commodité de la description, soit en
loges supérieure et inférieure, soit en loges antérieure et postérieure.
La plèvre, comme loutes les membranes séreuses, enveloppe les pou-
mons sans les contenir dans sa cavité; un de ses feuillets s'applique sur
ces organes, tandis que l'autre revêt, presque en totalité, les parois tlio-
raciques.
Pour se rendre un compte exact de la disposition de ces deux feuillets,
il faut, sur une série découpes verticales et transversales de la poitrine,
suivre le trajet de la plèvre clans les divers points de son étendue.
On voit ainsi, d'abord, qu'elle recouvre toute la paroi latérale du tho-
rax sur la face profonde des côtes et des espaces intercostaux (feuillet
pariétal). En bas, où elle rencontre les insertions costales du diaphragme,
elle se réfléchit sur ce muscle et coiffe, en quelque sorte, sa face supérieure,
à l'exception, toutefois, du centre phrénique qui adhère au péricarde et
au niveau duquel la plèvre diaphragmatiqne se réfléchit de bas en haut
656
POITRINE.
ANATOH 1 CAVITK THORACIQUE.
pour se continuer avec la plèvre médiastine. Au niveau de l'ouverture su-
périeure du thorax, la plèvre se moule sur le sommet de charme poumon
et forme ainsi deux culs-de-sacs séparés qui déhordent la première côte
Fig. 58. — Coupe de la poitrine passant ou^'éSjsôilS du cartilage de la trtnTsîèntë cote.
La coupe des poumons a été opérée de telle façon que la surface de section forme un plan oblique
un bas et en arrière, elle est destinée à montrer les lésions que produirait un poignard introduit dans
enc direction quelconque. Les viscères, cœur, aorte, etc., ont été coupés sur place, mais selon différents
plans, de manière que le rapport des organes soit saisi avec facilité et sans déplacement.
A, poumon droit ; R, poumon gauche ; C, cavité du ventricule gauche; I), ravité du ventricule droit ;
K cloison inlcrveiilrieulaire; 0, liord droit du cœur ; I, oreillette droite; II, œsophage; E, aorte; (.,
canal thoracique; F, véine azygos ; P., coupe du sternum ; M, tissu cellulaire du médiaslin antérieur;
S, L, artères mammaires internes ; X, X, coupe du grand dorsal ; a, n, artères intercostales ; I. i coupa
du grand pectoral droit et gauche; 5, i, coupe du grand dentelé droit et gauche: les cotes du cote
gauche portent leur numéro d'ordre depuis la troisième jusqu'à la douzième (Anger, Plaiei péné-
trantes de poitrine, thèse d'agrégation, Paris, 18GG.)
d'un travers de doigt environ. En avant et en arrière, au niveau du ster-
num et de la colonne vertébrale, le feuillet pariétal qui a tapissé la paroi
latérale, abandonne cette paroi, se réfléchit en s'écartant de son congénère
POITRINE. ANATOM1E. CAVITÉ T1IOKACIQUE.
657
et se dirige, d'avant en arrière ou d'arrière en avant, vers la racine du
poumon correspondant, pour s'appliquer ensuite sur cet organe et lui for-
mer une enveloppe immédiate qui adhère intimement à sa surface ex-
térieure et pénètre dans les scissures interlobaires dont elle revêt tout le
pourtour (feuillet viscéral). (Voy. fig. 58.) Il existe, donc, en réalité,
deux plèvres et deux sacs pleuro-pulmonaires. L'intervalle qui les sépare
en avant et en arrière, au-dessus et au-dessous du pédicule pulmonaire,
constitue, dans l'intérieur du thorax, une cavité intermédiaire qui n'est
autre que le médiaslin.
Telle est l'idée d'ensemble qu'on peut se faire de la configuration de
la plèvre. Nous devons, maintenant, entrer dans quelques détails pour
indiquer les particularités qu'elle présente sur divers points de son éten-
due, et spécialement au niveau de ses lieux de réflexion.
Faisons remarquer d'abord que l'expression, communément employée,
de cavité pleurale, s'applique à l'espace virtuel compris entre le feuillet
pariétal et le feuillet viscéral de la plèvre. A l'état normal, il n'y a pas de
cavité proprement dite; les deux feuillets sont accolés l'un à l'autre, et
c'est même la cause pour laquelle le poumon, malgré sa rétractilité, suit
les mouvements d'ampliation de laçage tboracique; il ne se forme de ca-
vité réelle que lorsqu'un épancliement gazeux ou liquide s'interpose
entre les deux feuillets.
Les rapports de la plèvre pariétale avec les diverses parties de la ca-
vité thoiacique, l'ont fait diviser en trois portions : costale, diaphragma-
tique, médiastinc.
La première, qui offre le plus d'intérêt au point de vue chirurgical,
est remarquable par son épaisseur et son peu d'adhérence aux parties sous-
jacentes. Au-dessous d'elle existe une couche de tissu cellulo-graisseux
(tissu conjonctif sous-pleural). Enfin, entre cette couche et les intercostaux
internes, on trouve une lame de tissu fibreux qui semble la continuation
du périoste de la face interne des côtes.
Un point important à signaler, c'est l'intervalle triangulaire, à base su-
périeure, qui sépare la paroi costale de la face externe et supérieure du
diaphragme et qui a reçu le nom de sinus coslo-diaphragmatique. Ce cul-
de-sac part de la base de l'appendice xiphoïde et suit, à partir de ce point,
comme les insertions costales du diaphragme, un trajet oblique en bas
et en arrière jusqu'à la 12e côte. C'est lui qui ferme en bas la cavité tho-
racique et en forme la limite réelle. Il est tapissé dans toute son étendue
par le feuillet pariétal de la plèvre qui, de la paroi costale, se réfléchit sur
le diaphragme. La distance verticale qui sépare le fond du cul-de-sac in-
férieur du sommet du sac pleural, correspond au diamètre vertical maxi-
mum de la cavité thoracique; elle est, en moyenne, de 0n',29.
11 faut remarquer, toutefois, que le poumon n'occupe jamais la tota-
lité du cul-de-sac en question, de sorte que les plèvres costale et dia-
phragmatique sont en contact dans une certaine hauteur qui varie aux
divers moments de l'acte respiratoire. Ainsi, pendant l'inspiration, à
mesure que le diaphragme s'abaisse, le poumon descend d'une certaine
(138 POEEMNB, — ANATOMIK. CAVITÉ tiiouacique.
quantité ; pendant l'expiration, le poumon remonte, à mesure que
le diaphragme s'élève ; le sinus devient vide et les deux plèvres
frottent l'une contre l'autre. La hauteur maximum à laquelle, dans
une expiration forcée, le poumon peut remonter au-dessus du point de
réflexion, varie, suivant les évaluations des divers auteurs, de 0"',U7
à 0"', 13.
Sappey, qui a adopté le premier de ces deux chiffres et qui trouve
^e deuxième beaucoup trop élevé, a conclu de ses recherches : i° que,
dans l'expiration, les poumons ne remontent pas en arrière au delà du
bord inférieur de la 10° côte, et en avant, au delà du bord inférieur de
la 5e à droite, et du bord supérieur de la 6'; à gauche ; 2° que, dans l'ins-
piration, il descend au-dessous de cette limite extrême, d'une quantité
variable, mais encore mal déterminée.
Il résulte de cette disposition qu'une plaie pénétrante de la poitrine, qui
a son siège dans les cinq derniers espaces intercostaux, peut, suivant
que la blessure a coïncidé avec le moment de l'inspiration ou de l'expi-
ration, perforer la cavité pleurale et le diaphragme, atteindre un ou
plusieurs des viscères abdominaux avec ou sans lésion concomitante du
poumon.
Nous avons vu, plus haut, qu'au niveau de l'orifice supérieur du
thorax, le sommet du sac pleural et du poumon déborde légèrement le
plan de la lre côte et de l'orifice. Cette disposition doit être présente à
l'esprit du chirurgien qui pratique la ligature de la sous-clavière en
dehors des scalènes. Dans le dernier temps de l'opération, les recherches
doivent être dirigées sans abandonner la surface de la première cote,
si on ne veut pas s'exposer à déchirer la plèvre et à ouvrir la cavité
pleurale.
Pour compléter la description des rapports de la plèvre avec les parois
du thorax, il nous resterait encore à examiner la situation relative du
cul-de-sac antérieur des plèvres droite et gauche, c'est-à-dire du bord au
niveau duquel la plèvre pariétale se réfléchit pour se continuer avec la
plèvre médiastine. Cette étude ayant été déjà faite d'une manière très-
complète dans l'article Péiiicarde (Voy. t. XXYI, p. 568), nous ne pouvons
qu'y renvoyer le lecteur.
La région du médiastin, eu égard aux organes qu'elle renferme,
offrirait, au point de vue chirurgical, un intérêt bien supérieur à celui
des régions pleuro-pulmonaires, si elle n'était protégée, en arrière par
la colonne vertébrale, en avant par le sternum, sur les côtés par toute
l'épaisseur des poumons.
Cette région ayant déjà fait l'objet d'un article spécial [Voy. Médiastin.
t. XXII, p. 1), nous ne ferons que rappeler succinctement les organes
qu'elle contient. Ce sont :
l"Dans la loge antérieure, limitée en avant par le sternum, en arrière
par un plan vertical qui passerait par le bile des deux poumons, le péri-
carde et le cœur, les nerfs phréniques, l'artère pulmonaire, la crosse de
l'aorlc, la veine cave supérieure. Pendant la vie intra-utérine et peu-
POITRINE.
ANATOMIE.
CAVITÉ TIIORACIQUE.
059
1
i
Kig. 50. — liégion du médiastiu.
1, cœur ; 2, poumons ; 5, péricarde ouvert; 4, artère pulmonaire ; 5, aorte ; 6, veine cave supérieure;
*i, noue hrachio-céphalique ; 8, carotide primitive gauche; 0, sous-clavière gauche ; 10; mammaire
interne coupée; 11, diaphragmalique supérieure; 12, coronaire cardiaque antérieure; 15, coronaire
cardiaque postérieure; U, nerf phréuique ; 15, nerf pneumogastrique (Bsabnis et Boccuaiid).
tiiO POITRLNIi. — anatomie. — cavité thoiiaciquk.
dant les premières années qui suivent la naissance, il faut y joindre le
thymus (fig. 59).
2° Dans le plan vertical mentionné ci-dessus, le pédicule des poumons,
formé par la terminaison de la trachée, les bronches, les artères et les
veines pulmonaires.
5° Dans la loge postérieure comprise entre Je même plan et la colonne
vertébrale, l'aorte thoracique, l'œsophage, les veines azygos, le canal
thoracique, du tissu conjonctif, des ganglions lymphatiques, des ra-
meaux du grand sympathique et les nerfs pneumo-gastriques.
Tous ces organes sont plongés, le cœur excepté, dans un tissu conjonclil
nréolaire, dont la présence assure à certains d'entre eux, tels que la
trachée et l'œsophage, la mobilité dont ils avaient besoin pour l'accom-
plissement de leurs fonctions. Ce tissu conjonctif se continue avec celui du
cou, de sorte que l'inflammation peut se propager facilement de la ré-
gion cervicale à toute la hauteur du médiastin et, même, se communi-
quer au tissu cellulaire sous-péritoncal par l'ouverture signalée plus haut
derrière l'appendice xiphoïde.' Si cette communication est possible en
avant, elle est encore plus facile en arrière, où le tiss.u conjonctif qui
entoure l'œsophage se continue en bas avec celui de l'abdomen par
l'orifice aortiquê du diaphragme, latéralement avec celui des espaces
intercostaux par la gaîne celluleuse qui entoure les artères et veines in-
tercostales, d'où les abcès par congestion qui se forment quelque-
fois sur les parois latérales du thorax à la suite de la carie du corps d'une
vertèbre dorsale.
De même, il est peu de régions qui présentent une aussi grande
quantité de ganglions lymphatiques. Ils se groupent autour de la racine
des bronches, de l'œsophage et des gros vaisseaux. Lorsque ces ganglions
se tuméfient, soit primitivement, soit par suite de maladies des organes
voisins, ils déterminent des compressions redoutables et quelquefois
mortelles.
Les auteurs d'anatomie descriptive et d'anatomie topographique se
sont attachés, avec un soin que justifie l'importance des déductions pra-
tiques qui en découlent, à établir, d'une manière précise, les rapports des
organes du médiastin avec la paroi thoracique. Le but poursuivi consiste,
comme l'a fait Sappey, à chercher la solution des deux problèmes sui-
vants, dont la connexion est évidente : 1° étant donné un point quel-
conque de la paroi antérieure du thorax, indiquer l'organe qui lui corres-
pond ; 2° étant données une plaie pénétrante du médiastin antérieur et
la direction suivie par l'instrument vulnérant, indiquer l'organe qui a
été lésé.
Pour éviter des répétitions inutiles, nous ne referons pas 1 cnuméra-
tion de ces rapports qui ont été groupés dans l'article Médiastin (Voy.
t. XXII, p. 2), et qui ont, en outre, leur place marquée dans les articles
spéciaux consacrés aux divers organes. La fig. 40, empruntée aux Nou-
veaux éléments d'anatomie descriptive de Beaunis et Bouchard^ en
donne une idée très-exacte.
— r?
Fie 40. — Rapports do la région médiaslinc aven les autres régions llioraciques et celles de l'abdomen .
1, situation de l'orifice pulmonaire; 2, orifice de l'aorte; 3, orifice auriculo-ventricùlaire gauche ;
i, orifice auriculo-ventricùlaire droit ; S, pylore; G, position du cardia ; 7, ombilic; 8, mamelon; !),
épine iliaque antérieure et supérieure; 10, symphyse du pubis; 11, oreillette droite ; 12, auricule droilc,
15, bord droit du cœur; 14, bord gauche du cœur; 1o, auricule gauche ; 16, artère pulmonaire; I",
veine cave supérieure ; 18, tronc veineux brachio-céphalique droit; ltt, tronc veineux brachio-cépha-
liquc gauche ; 20, 21, aorte ascendante ; 22, aorte descendante ; 25, crosse de l'aorte ; 21, carotide pri-
mitive droite ; 25, artère sous-clavière droilc ; 20, limite supérieure du diaphragme à gauche dans l'é-
tat d'expiration complète ; 27, sa limite à droite ; 28, cul-dc-sac supérieur gauche de la plèvre ; 29, li-
mite atteinte par le bord antérieur et le bord inférieur du poumon gauche dans l'expiration complète .
50, prolongement cardiaque du poumon gauche ; 51, cul de sac supérieur du poumon droit ; 52, limité
atteinte par le poumon droit dans l'inspiration complète ; 55, limite atteinte par le poumon gauche d;ms
rsouv. mer. sied, et ciint. XXVIII — 41
642 POITRINE. — pkvbi.oppkiie.nt.
l'inspiration ; 31, limite ni teinta par le poumon droit dans l'inspiration ; 55, 56, 57, limites de la plèvre
•rinclie ; 38, 39, limites île la plèvre droite ; 40, grande courbure de. l'estomac ; 11, petit* courbure ; iï
duodénum ; 43, terminaison de l'inlcstinigréle ; 44, crecum ; 45, côlon ascendant ; 1 10, côlon transverse • I"
côlon descendant ; 18. siliaque; 19, rectum ; 50, foie ; 51, bord antérieur du foie ; 52, vésicule biliaire!-'
55, pancréas ; 54, limite inférieure de la raie ; 55, limite inférieure du rein ; 56, vessie. Nota. L'es-
pace compris entre 29 et 35 à gauche, et 52 et 54 à droite, espace rempli par de- lignes obliques en lias
et à droite, indique l'étendue dans laquelle se fait lu locomotion du poumon entre l'expiration et l'ins-
piration forcées ; l'espace noir compris entre 55 et 55 a gauebe, et 54 et 38 à droite indique l'espace
occupé par la plèvre, mais dans lequel n'arrivent pas les poumons, même dans l'inspiration foiréc.
(Beaums et Bouchaiid. Nouveaux éléments d'anatomu; descriptive et ^embryologie 5- édition
Paris, 1880).
Développement. — La cage thoiaciquc se forme, chez l'embryon, par
le développement d'appendices membraneux qui partent de la colonne
•vertébrale et passent, vers le deuxième mois, à l'état cartilagineux. Ces
appendices, qui sont les premiers rudiments des côtes, s'accroissent,
peu à peu, dans les parois ventrales et circonscrivent une cavité vicé-
rale commune, tboraco-abdominale. A la (in du premier mois, la partie
supérieure de la cavité, où sont contenus le cœur, l'œsophage et les deux
petits sacs pyriformes, qui seront plus tard les poumons, se sépare des
corps de Woll'f, du foie et de l'estomac, par une mince membrane, ébauche
du diaphragme. D'après des travaux récents, celui-ci serait formé primi-
tivement d'une substance glutineuse répandue autour des conduits qui
le traverseront plus tard ; il s'étale, ensuite, sous la forme de deux demi-
éventails triangulaires dont le sommet est placé au pilier correspondant,
dont la base, tournée en avant, se développe progressivement du sternum
à la dernière côte et finit par constituer la cloison thoraco-abdominale.
En même temps, les deux poumons, situés primitivement au-dessous du
cœur, remontent peu à peu, s'entourent d'un sac pleural, distinct
pour chacun d'eux, et acquièrent bientôt leur forme et leur position
normales.
Pendant que l'évolution précédente s'accomplit à l'intérieur de la ca-
vité, les côtes cartilagineuses s'accroissent dans les parois ventrales de
l'embryon. Les six premières, dont le développement est plus rapide, se
réunissent par leur extrémité antérieure, avant d'atteindre la ligne mé-
diane; la lame verticale, qui résulte de cette soudure, constitue une moi-
tié du sternum cartilagineux ; ces deux moitiés, d'abord séparées par une
fissure verticale médiane, se soudent bientôt entre elles, de haut en bas,
pour former le sternum.
Les côtes s'ossifient par un seul point d'ossification primitif, qui paraît
du 40" au 45e jour et par deux points épiphysaires (tète et lubérosité),
qui n'apparaissent que très-tard, vers l'âge de 16 à 17 ans. L'ossifica-
tion n'est complète qu'à l'âge de 22 à 25 ans.
Au 6'' mois, le sternum présente un premier point d'ossification, à
^'extrémité supérieure. Le corps se développe plus tard soit par 4, soit
par 8 points d'ossification (disposés, dans ce dernier cas, par paires), d'où
résultent les 4 pièces osseuses qui le constituent et dont la soudure se
fait tardivement, de 25 à 50 ans. La réunion de la poignée à la pre-
mière pièce du corps de l'os n'a lieu que dans la vieillesse.
Le thorax du fœtus présente un ensemble de caractères qui sont dus à
POITRINE. — DÉVELOPPEMENT. 615
l'état d'affaissement des poumons, au développement rapide du cœur et
du thymus, au volume considérable du foie. Si on y pratique une coupe
transversale, cette coupe présente la forme d'une surface quadrangulairc
dont la moitié antérieure a plus de largeur que la moitié postérieure.
Les cartilages costaux des côtes sternales ont une direction presque hori-
zontale et une forme aplatie. Les côtes présentent une très-faible cour
bure, les gouttières costo-vertébrales font défaut, d'où l'absence de sail-
lies latérales et la proéminence, à l'extérieur, de la colonne vertébrale,
qui rappelle la disposition du thorax des mammifères. Le diamètre ver-
tical est court sur les parties latérales, le diamètre antéro-postérieur
l'emporte sur le diamètre transverse; la base s'évase largement au niveau
des viscères abdominaux.
Après la naissance, il se fait une ampliation subite dans l'étendue de
la poitrine, parce que l'accès de l'air augmente du double ou du triple
le volume des poumons jusque-là resserrés sur eux-mêmes. Ces organes
qui étaient débordés et masqués par le cœur, se développent, des deux
côtés, d'arrière en avant, et finissent par le déborder à leur tour. Par
suite de ce mouvement d'expansion latéral, les parois antérieure et pos-
térieure de la cavité thoracique s'élargissent et se rapprochent; la poi-
trine, primitivement aplatie d'un côté à l'autre, s'arrondit d:abord,
devient cylindrique, puis s'aplatit un peu plus tard dans le sens diamé
tralement opposé ; en même temps, l'angle des côtes se forme, les gout-
tières postérieures se dessinent et la colonne dorsale, rectiligne chez le
fœtus, commence à s'infléchir. Toutes les modifications qui précèdent
sont rendues faciles par l'extrême flexibilité des côtes et l'état presque
entièrement cartilagineux du sternum.
Un accroissement rapide du thorax se produit à l'époque de la puberté ;
c'est aussi à ce moment de la vie que se manifestent, le plus souvent, les
déformations de la cavité.
Vers 15 ou 18 ans, la poitrine qui s'est rétrécie peu à peu à sa base,
acquiert sa forme définitive ; mais sa capacité continue à croître jusqu'à
22 ou 25 ans chez la femme, jusqu'à 50 ou 55 chez l'homme.
Dans l'âge adulte, les parties constituantes du sternum se soudent
entre elles; la poignée et le corps de l'os restent seuls indépendants; les
articulations chondro-sternales commencent à se souder et perdent de leur
mobilité primitive.
Pendant la vieillesse, les cartilages costaux deviennent jaunâtres, plus
épais, plus rigides, et finissent par s'ossifier, en même temps qu'ils se
soudent définitivement au sternum. Les côtes et le sternum finissent par
se mouvoir sur le rachis comme une seule pièce, et dans une étendue de
plus en plus limitée, à cause delà rigidité qu'acquièrent les articulations
costo-vertébrales. Les parois thoraciques perdant progressivement leur
élasticité, la cavité devient de moins en moins dilatable dans ses dia-
mètres antéro-postérieur et transverse, et la respiration tend à devenir,
peu à peu, presque exclusivement diaphragmatique.
Anomalies et vices de conformation. — Nous ne devons nous occuper
644
I'OITMNK.
ANOMALIES KT VICES DE CONFORMATION.
ici que des anomalies qui peuvent s'observer dans les parois du lliorax,
celles qui portent sur les organes intra-lhoraciques se rattachant natu-
rellement à l'étude particulière de chacun de ces organes.
Le nombre des côtes peut varier en plus ou en moins, et dans ce cas,
il existe généralement une anomalie concordante dans le nombre des ver-
tèbres dorsales. 11 n'en est pourtant pas toujours ainsi. Quand il n'existe
que onze paires de côtes, c'est toujours la dernière côte ilottante qui fait
défaut. D'autres fois, au contraire, on trouve une treizième côte qui se
fixe tantôt à la première vertèbre lombaire, tantôt à la dernière vertèbre
cervicale. Dans le premier cas, la côte surnuméraire est libre et flottante
comme une fausse côte; dans le deuxième cas, elle s'unit ordinairement
à la première côte dorsale, vers son extrémité antérieure, ou se fixe sur
le premier cartilage sternal.
Les anomalies numériques qui portent sur les côtes intermédiaires
sont beaucoup plus rares; on a pourtant observé exceptionnellement des
cas dans lesquels il y avait augmentation du nombre des côtes avec in-
sertion de plusieurs de ces os sur une même vertèbre dorsale.
On sait qu'à la suite de lésions traumatiques ou spontanées, la paroi
thoracique peut présenter des brèches plus ou moins larges, dans les-
quelles la plèvre ou le péricarde s'engage et n'est séparé de l'extérieur
que par la peau. On rencontre quelquefois des dispositions congénitales
analogues. Elles s'observent rarement au niveau des côtes; elles sont
plus fréquentes au niveau du sternum, où elles doivent être rattachées à
des arrêts de développement. La scissure est par conséquent médiane,
raremement complète, le plus souvent partielle. La bifidité inférieure
est la plus fréquente; elle s'accompagne, ou non, de hernie du cœur.
Pour compléter ce qui a rapport aux anomalies des parois thoraciques,
il nous reste à dire un mot des hernies diaphragmatiques congénitales,
qui paraissent dues également à un arrêt de développement. Nous avons
vu plus haut comment, d'après les travaux récents, se forme le dia-
phragme et comment se complète la cloison de séparation des cavités
thoracique et abdominale. Qu'une cause quelconque arrête, à un moment
donné, le développement centrifuge du muscle, le cloisonnement s'ar-
rête aussi et ne s'achève pas. Alors devient permanent un élnl qui n'était
que transitoire, mais normal, chez le fœtus; il persiste, dans un point de
son étendue, une perforation par laquelle les intestins, le foie, la rate
peuvent pénétrer dans la cavité thoracique. Les anomalies de cetle na-
ture sont généralement incompatibles avec la vie, par suite de la com-
pression que les viscères de l'abdomen exercent sur le cœur et les pou-
mons. (Voy. pour les détails [Diaphhagmatiques] IIkrmes, t. XI. p. 565).
Nous laisserons de côté, comme dépourvues de tout intérêt pratique,
les anomalies plus graves, plus étendues, qui coïncident avec d'autres
déviations organiques d'un caractère général et se rattachent aux mon-
struosités,. (Voy. ce mot t. XXI11, p. 8).
Il nous reste à parler d'un dernier ordre de faits dont la connaissance
présente, au contraire, une importance réelle, au point de vue des applij
poitrin;:.
— ANOMALIES ET VICES DE CO.NFOnMATlOX.
calions pratiques. Ce sont les altérations complexes et variables de la
l'orme, des diamètres et, par suite, de la capacité du thorax, qui consti-
tuent les vices de conformation proprement dits. Rarement congéni-
taux, le plus souvent acquis, tantôt ils sont sans inlluencc appréciable
sur l'étal de santé tic l'individu, tantôt ils sont la manifestation de trou-
bles pathologiques divers , ou représentent les stigmates indélébiles de
maladies antérieures locales ou générales. Dans les deux cas, leur étude
est étroitement liée à la séinéiologie générale et particulière des affections
thoraciques. (Voy. Poitrine, Séinéiologie).
Ce qu'il importe, avant tout, de connaître, pour se rendre un compte
exact de ces variations tant physiologiques que pathologiques, ce sont les
caractères essentiels d'une bonne conformation du thorax. L'énumération
de ces caractères appartient, en réalité, à la description analomiquc, et,
à ce titre, aurait dû être déjà laite ; il nous a semblé, néanmoins, qu'il
était plus utile de la rapprocher de l'élude des déformations qui sont
compatibles avec l'étal de santé ou qui se rattachent aux diverses
maladies.
Un thorax d'adulte bien conformé remplit les conditions suivantes :
1° II présente la forme d'un cône dont le sommet est en haut, si Von
[ait abstraction de ce qui appartient aux membres supérieurs ;
2° 11 est un peu aplali d'avant en arrière, de telle sorte que le diamè-
tre transverse l'emporte sur le diamètre antéro-postérieur ;
5° Quand on pratique la mensuration circonférentielle suivant un plan
horizontal qui passe par les mamelons, on obtient un périmètre moyen
(|ui dépasse de plusieurs centimètres la demi-taille de l'individu (d'après
W alshe, le chiffre de 0"',858 peut être considéré comme une assez bonne
moyenne pour l'âge adulte).
Dans les circonstances ordinaires, la constatation de ces divers carac-
tères peut se faire avec des moyens très-simples, un compas d'épaisseur
pour la mesure des diamètres de la partie supérieure, un ruban métrique
pour les mensurations circonfércntielles pratiquées au-dessous des ais-
selles. On conçoit, en effet, que les mensurations circonférenlicllcs sont
impraticables dans la partie supérieure, où le relief des épaules donne au
sommet du thorax une forme absolument opposée à celle qu'il a en réa-
lité. Avec le compas d'épaisseur qui permet de faire abstraction des mem-
bres supérieurs, notamment quand on l'applique contre la paroi interne
des aisselles, on reconnaît que les diamètres supérieurs d'un thorax bien
conformé, sont toujours moindres que les diamètres inférieurs. Cette
supériorité des diamètres inférieurs du thorax sur les supérieurs existe
chez tous les sujets ; mais elle est d'autant plus marquée que les
individus sont plus robustes, et coïncide ainsi avec le développement
plus ou moins grand qu'acquiert la base des poumons. Il semble,
au premier abord, difficile de concilier ce lait avec cette proposition vul-
gaire également vraie, à savoir que le développement de la poitrine se
révèle par la largeur des épaides. La contradiction n'est pourtant
• qu'apparente, ainsi que le l'ait justement remarquer Richet. 11 suffit
646 I'OITMM:. ANOMALIES ET VICES DK CONFORMATION.
pour s'en rendre compté, de réfléchir à ce fait bien connu que l'ampli-
tude de la respiration s'accompagne toujours d'un développement propor-
tionnel du système musculaire ; or, comme la partie supérieure dus
membres thoraciques y parlicipe à l'égal des Autres régions, il s'ensuit
que le diamètre bi-acromial doit présenter, chez les sujets vi»oureux et
bien musclés, un élargissement proportionnel, d'aulant plus notable que
la base du thorax, recouverte d'une mim e- couche musculaire, ne subit
jamais, sous ce rapport, de grands changements.
Le compas de Baudelocque et le ruban métrique ne suffisent pas, dans
certains cas pathologiques où il c^t nécessaire d'opérer'des mensura-
tions précises ; il faut recourir alors aux méthodes et aux instruments
perfectionnés dont il sera question dans l'étude séméiologique de la
poitrine.
Aux caractères essentiels, énumérés ci-dessus, qui représentent les con-
ditions fondamentales d'une conformation normale de la poitrine, Walshe
en joint certains] autres, qui, bien qu'étant d'une importance moindre,
n'en sont pas moins intéressants à connaître. Réunis chez le même indi-
vidu, ils constituent l'idéal, rarement réalisé, d'une conformation absolu-
ment régulière. Dans les cas de ce genre, les deux côtés de la poitrine
sont symétriques dans leur ensemble et dans leurs diverses régions; les
régions sous-claviculaires présentent une légère convexité; la région ster-
nale inférieure est creuse dans une mesure qui varie avec la vigueur indi-
viduelle ; les angles formés par l'union des fausses côtes à l'axe antérieur
sont sensiblement égaux; les plans latéraux sont à égale distance de l'axe
médian vertical; les mamelons sont à la même hauteur, c'est-à-dire au
niveau de la quatrième côte ou du quatrième espace intercostal. Si l'on
examine la poitrine par derrière, on constate que les épaules sont sur le
même niveau; la colonne vertébrale est parfaitement droite ou offre, vers
son milieu, une légère inclinaison vers le côté droit; enfin le sillon verté-
bral est modérément concave de haut en bas, ut il est plus ou moins creux
suivant que l'individu est maigre ou chargé d'embonpoint.
Comme nous l'avons dit plus haut, il est assez rare de trouver une
poitrine qui réunisse tous ces caractères. L'absence de quelques-uns de
ceux que nous venons d'énumérer ne constitue pas un vice de conformation
proprement dit. Aussi n'est-il pas facile de déterminer exactement le point
où celui-ci commence. Pour les uns, c'est un<-. question de degré, tandis que
les autres invoquent la présence ou l'absence de troubles concomitants de
la santé. Ainsi, dès 1858, Woillez qui, l'un des premiers, avait approfondi
la question, divisait les hétéromovpliies de la poitrine en physiologiques
et pathologiques ; les premières étant, pour lui, de simples particularités
de conformation qui rendent la poitrine insymétrique sans compromettre
en jrien la santé, les autres se rattachant, au contraire, manifestement à
l'état morbide. L'importance pratique d'une pareille distinction est incon-
testable ; mais, quand on voit que des déformations thoraciques considé-
rables, consécutives «à des déviations vertébrales, par exemple, coïncident
souvent avec une santé générale satisfaisante, ouest obligé de reconnaître
PdlTIUNIi.
— ANOMALIES ET VICES DE CONFORMATION.
647
que la pathologie fournit ici une base peu solide aux classifications anato-
miques.
Considérées en elles-mêmes, et abstraction l'aile de leur valeur sérnéio-
tique, les déformations du thorax présentent une infinie variété. Tantôt
on remarque une dilatation générale de l'un des côtés ou une saillie
plus ou moins prononcée d'une région circonscrite. Tantôt on observe des
étals entièrement opposés aux précédents : rétraction plus ou moins
étendue d'une moitié ou dépression partielle. D'autres fois, on ne cons-
tate qu'une élévation ou un abaissement anormal de l'omoplate, de cer
taines côtes ou du mamelon. Les changements de courbures et, à for
tiori, les distorsions constituent un groupe de déviations beaucoup plus
accusées. Enfin, certaines altérations communes ont reçu des noms par-
ticuliers; telles sont, par exemple, les poitrines dites de poulet, de pige on
on en bréchet, caractérisées par un aplatissement des deux plans la té-
raux avec saillie prononcée du sternum en avant.
11 est bien rare que les altérations de la forme du thorax soient c ongé-
nitales; elles peuvent apparaître à toutes les époques de l'exislence;
mais, en dehors de l'état de maladie, elles se produisent surtout pendant
la période du développement où les parties osseuses subissent si facile-
ment des modifications de tout genre. En dehors du contingent qu'y
apportent les maladies, bien d'autres causes entrent en action ; les habi-
tudes ordinaires de la vie, les vêlements, les professions, les attitudes
vicieuses, etc., tels sont, pour la production des déformations thoraci-
ques, les facteurs multiples dnnt les effets souvent combinés semblent,
dans beaucoup de cas, compatibles avec l'intégrité au moins apparente de
la santé.
Ainsi, la prépondérance d'usage du membre supérieur droit coïncide
avec une prédominance très-fréquente du développement du côté corres-
pondant du thorax. Cette asymélrie, sur laquelle Woillcz a, le premier,
attiré l'attention, se rencontre si souvent <|u'on a fini par la considérer
comme l'état normal. 11 en résulte que, dans l'état de maladie, si l'on
compare les deux moitiés du périmètre thoracique, une différence do
quelques centimètres constatée en faveur du côté droit aura (sauf le cas
où l'individu serait gaucher), une valeur diagnostique infiniment moindre
qu'une différence, même très-peu accusée, en faveur du côté gauche.
Les pressions variées, qui, dans certaines professions, s'exercent sur
tel ou tel point des parois thorneiques, y impriment, en quelque sorte,
leurs traces ; de là des déformations particulières qui peuvent fournir
quelques données à la médecine légale.
Chez la femme, il n'est, peut-cire, pas de cause qui joue un rôle aussi
important que l'usage abusif d'un corset trop serré. Cette partie du véte-
; ment scmhle avoir pour but de lutter contre la forme naturelle du tho-
rax. Disposé et serré de manière à arrondir la taille et à la faire aussi fine
i que possible, le corset lend, en effet, à rendre le diamètre transverse de
la poitrine égal au diamètre antéro-postérieu' et à réduire sa partie
naturellement la plus évasée. Les entraves qu'il apporte au jeu régulier
648 POITRINE. — physiologie.
des agents mécaniques de la respiration peuvent rester longtemps inaper-
çues; il n'en résulte pus moins une altération lente et peu à peu perma
nente de la l'orme des parois et des organes eux-mêmes, et souvent, des
troubles réels des fonctions de circulation et de respiration dont il faut
tenir compte.
Les déformations d'origine pathologique constituent deux groupes
principaux.
Les unes proviennent d'affections propres des organes tlioraciques ou
des parois. A ce groupe appartiennent la voussure précordiale, caractéris-
tique de certaines affections du péricarde ou du cœur; les voussures par
usure ou perforation de la paroi, dues au développement d'un anévrysme
de l'aorte thoracique ou du tronc brachio-céphalique ; la dilatation géné-
rale du thorax progressivement amenée par l'emphysème vésiculaire ;
l'ampliation de l'une des cavités pleurales par les épanchements de toute
sorte et la rétraction caractéristique qui peut en être la conséquence, etc.,
etc. On peut y ranger encore les tumeurs de toute nature, solides et li-
quides qui ont leur siège dans les parois, les saillies que viennent faire, à
l'extérieur, les tumeurs du médiastin, sans compter les affections propres
de la mamelle qui constituent une catégorie à part.
On peut faire un deuxième groupe des déformations tlioraciques, d'un
caractère plus général, qui ont leur point de départ soit dans les dévia-
tions de la colonne vertébrale, soit clans l'une de ces diathèses dont l'in-
fluence s'exerce sur l'ensemble du système osseux. (Voy. Ostéomalacie,
Rachitisme, Rachis.)
Nous devons nous borner ici à une simple énumération. La descrip-
tion des divers ordres d'hétéromorphies que nous venons de men-
tionner appartient soit à la séméiologie de la poitrine, soit aux articles
spéciaux consacrés à certaines maladies ou à la pathologie de chaque
organe.
Physiologie. — Le thorax a des usages multiples : 1° il protège
contre les violences extérieures les organes contenus dans sa cavité;
1" il est le siège des mouvements alternatifs de dilatation et de resserre-
ment qui produisent le renouvellement incessant de l'air dans les pou-
mons; 5° il sert de point d'appui, lorsqu'il réalise certaines conditions
de fixité relative, à des groupes musculaires nombreux qui concourent à
des mouvements très-variés mais régis par un mécanisme commun, qu'on
désigne sous le nom d'effoiH.
Les deux derniers ordres de faits ont un point de contact; ils se rat-
tachent, les uns et les autres, à la fonction de la respiration. Les mou-
vements de dilatation et de retrait du thorax appartiennent aux phéno-
mènes mécaniques de la respiration, cl seront naturellement étudiés
avec cette fonction envisagée dans son ensemble. (Voy. Résiliation). Les
mouvements extrinsèques auxquels concourent les muscles qui prennent
leur point fixe sur le thorax, exigent, comme condition initiale, une mo-
dification spéciale des mouvements respiratoires, et c'est ainsi qu'ils se
rattachent à ces derniers. Il en résulte que, tout en prenant part à des
POITRINE. — piiysiologik. 649
fonctions très-variées , ils présentent des caractères communs, dont
l'étude a l'ail l'ohjet d'un article spécial (Voy:. Effort, t. XII, p. 425.)
jN'ous n'avons donc, ici, à examiner le thorax qu'au point de vue de la
protection qu'il fournit aux organes contenus dans sa cavité, c'est-à-dire,
dans ses conditions de résistance aux agents vulnérants. Les condi-
tions varient suivant la nature de ces derniers. S'il s'agit d'instru-
ments piquants ou tranchants, doués d'une faible quantité de mou-
vement, ils rencontrent dans le sternum, les côtes et surtout les vertèbres
dorsales, une résistance suffisante pour prévenir leur pénétration dans la
cavité; les espaces intercostaux, au contraire, leur ouvrent une voie fa-
cile. Lorsque la quantité de mouvement joue le rôle prépondérant, soit
qu'il s'agisse d'un choc ou d'une chute, le thorax oppose, par la multi-
plicité des pièces qui le composent, par leur élasticité, par leur dispo-
sition arciforme, et grâce enfin au voisinage des membres supérieurs,
des conditions de résistance et de solidité qui varient, d'ailleurs, dans ses
diverses parois. Il est, à peine, besoin d'insister sur les éléments de pro-
tection que nous venons d'énumérer. La multiplicité des pièces osseuses
et de leurs articulations décompose les chocs subis par les parois et en
affaiblit l'intensité ; l'élasticité des parties leur permet de céder dans
une certaine mesure sans se rompre ; leur disposition arciforme les fait
résister, à la manière des voûtes; la clavicule garantit le sommet du tho-
rax en avant; l'omoplate et les masses musculaires voisines protègent le
plan postérieur ; le bras, dans la position verticale, couvre une partie
du plan latéral, l'avanl-hras demi-lléchi, une partie du plan antérieur;
enfin, dans certains cas, le membre tout entier entre en action pour dé-
tourner les agents vulnérants.
11 suit nécessairement de là que les divers points des parois thora-
ciques offriront des degrés de résistance inégaux, dus à leurs différences
de structure. Ainsi, la paroi postérieure l'emporte sur les autres, grâce
à la présence des vertèbres, à la solidité des articulations coslo-vcrté-
brales et enfin à la protection fournie par l'omoplate elles muscles delà
région. En avant, le sternum résiste aux pressions extérieures, à la ma-
nière d'une voûte soutenue par quatorze arcs-boutants représentés par
les côtes sternales et les cartilages correspondants. Les parois latérales
agissent par le même mécanisme. Elles forment aussi une sorte de voûte
dont toutes les pièces s'appuient en arrière sur le raehis, en avant sur
le sternum. Tout choc qui porte sur une certaine étendue de la paroi
latérale y rencontre donc une résistance équivalente à celle que lui op-
poserait la paroi slcrnale; mais, si l'effort se concentre sur un petit
nombre d'arcades, et, à plus forte raison, sur une seule, il produit un
redressement brusque de la courbure des cotes, et, lorsque la limite
d'élasticité de ces dernières est dépassée, il en résulte une fracture. Les
pressions qui s'exercent sur le sternum se répartissent généralement, au
contraire, sur l'ensemble des piliers de la voûte dont il peut être consi-
déré comme la clef. Dans l'un comme dans l'autre cas, l'inclinaison des
côtes et leur mobilité constituent deux conditions défavorables à l'éncr-
630 POITRINE. — séméiologie.
gie de la résistance; pour que celle-ci soil efficace, il faut que les arcs
osseux soient relevés et maintenus lixes. Ce rôle appartient aux muscles
inspirateurs que, pour ce motif, on a considérés comme des arcs-bou-
tants actifs. 11 suffit, pour vérifier le fait, île s'observer soi-même et de
remarquer l'attitude instinctive que nous donnons aux parois thoraci-
ques lorsqu'une violence extérieure les menace.
L. Merlin.
Séméiologie. — La poitrine offre un intérêt exceptionnel smis le
rapport séméiologique. C'est pour la poitrine qu'on a imaginé une foule
de procédés d'exploration, tels que V nu seul talion, la percussion, ln
spir'ométrie, la cardiographie, etc., etc. (Voy. ces mots, t. IV, VI et
XXVI), qui jouent un si grand rôle dans la clinique de notre temps. Nous
diviserons, d'ailleurs, notre sujet de la manière suivante : 1° des règles
à suivre dans l'examen clinique de la poitrine; 2° de l'examen clinique
île la poitrine considéré en lui-même ; 5° revue séméiologique ries affec-
tions de. la poitrine.
I. Des hegi.es a suivre dans l'examen clinique de la poitrine. — Il
existe des règles qui sont applicables à toutes les méthodes d'exploration
de la poitrine, et d'autres pour chacune d'elles en particulier : les pre-
mières vont seules nous occuper, les secondes étant mieux à leur place
dans le cas échéant.
L'attention du médecin étant ordinairement appelée du côté de la poi-
trine par quelque sensation douloureuse qu'accuse le malade, son pre-
mier soin sera de bien préciser le siège de la douleur : c'est là un com-
mencement de localisation, idée qui devra dominer tout l'examen clinique
de la région. Nous ferons la part de cet élément dans nos recherches ulté-
rieures.
Le précepte suivant conduit à Yinspeclion de la poitrine, qui exige la mise
à nu de la partie, pour l'explorer dans son ensemble et dans ses détails,
pour déterminer les rapports de ses divisions topographiques, pour ana-
lyser [ses mouvements normaux ou anormaux, etc. Cette nécessité s'im-
pose, non-seulement pour la simple inspection en elle-même, mais encore
pour la palpation, la mensuration, la percussion, et même l'auscultation.
Si quelque concession peut être faite à cet égard, c'est uniquement en
faveur de certaines répugnances individuelles, parmi lesquelles il Faul
surtout citer celle de Laenncc, qui fut si opiniâtre; pour pratiquer
l'examen du malade plutôt que les convenances, malgré l'interposition
d'un vêtement* La dignité du médecin et la pureté de ses intentions
devront faire taire les objections de la pudeur dans les cas où celle-ci
suscite quelque résistance.
Maintenant le problème à résoudre consiste à lire au travers des parois
de la poitrine, et à rapporter la lésion probable de l'organe inclus a
quelque point de repère choisi sur la surface extérieure. Cette préoccu-
pation topographique a exercé dès longtemps certains esprits. 11 faut voir
dans les lignes plessimélriques de Piorry une première tentative de ce
POITRINE.
— SÉMÉIOLOGIE.
genre de localisalion, et l'une des plus rigoureuses, puisque ce sont des sail-
lies peu susceptibles de variations de siège qui servent de base au système
organograpbique de notre auteur. Il n'est pas jusqu'aux dénominations
adoptées pour désigner ces lignes, qui ne puissent nous servir, car elles
sont exprimées par les points extrêmes entre lesquels elles sont tirées.
Or, toute localisation se trouve définie par ses rapports avec deux de ces
lignes, susceptibles de s'entrecroiser, l'une comme ordonnée, et l'autre
comme abscisse. Nous verrons comment ce procédé a été utilisé.
On a également recherché quels étaient, dans les conditions normales,
les rapports des organes thoraciques avec les parois de la cavité qui les
renferme, afin de mieux se rendre compte du point affecté dans l'état
morbide. Francis Sibson (1848) a établi avec le plus grand soin cette
topograpbie de la poitrine et des viscères qu'elle recouvre. Il note d'abord
les saillies et les dépressions qui se voient chez un homme robuste et
bien portant; puis il recherche comment ces saillies et ces dépressions
peuvent guider dans la détermination des organes qui sont au-dessous.
Voici quelques-uns des résultais qui lui paraissent acquis :
« Le sternum est la clef de la position des poumons et du cœur; il est
le centre vers lequel convergent les principales côtes.
« Si l'on place le doigt sur l'extrémité inférieure du sternum, on se
trouve exactement au-dessus du bord inférieur du poumon droit et des
limites inférieures du cœur.
« Si l'on tire une ligne perpendiculaire sur le milieu du sternum,
cette ligne laisse, à droite, le poumon droit tout entier, et à gauche, le
poumon gauche et la portion du cœur qui n'est pas couverte par ce
poumon.
« Enfin, si l'on place le doigt sur le quatrième cartilage du côté
gauche, le poumon gauche est au-dessus du doigt et la portion du cœur
non recouverte par le poumon au-dessous.
« Étant donnée l'extrémité inférieure du sternum, le poumon droites!
au-dessus et adroite; le cœur, au-dessus et à gauche de ce point, pendant
que le foie est au-dessous et à droite, et au-dessous et à gauche, mais à
une plus grande profondeur, l'orifice cardiaque de l'estomac. » (Sibson,
Londotl médical Gazelle, 1848> uew séries, vol. Vf, p. 558.)
Ce même auteur, que nous ne suivrons pas dans tous les détails d'ana-
tomie topographique qu'il aborde, propose une nouvelle classification des
régions de la poitrine, basée précisément sur les rapports des organes
intérieurs avec les parois. Il admet trois régions simples et cinq régions
composées. Les régions simples comprennent les deux régions pulmo-
naires et la région cardiaque. Les régions composées sont celles dans
lesquelles les organes sont superposés; ce sont : la région pulmo-hépa-
tique, la légion pulmo-gastrique, les deux régions pulmo-cardiaques.
droite et gauche, et la région pulmo-vasculaire, où les gros vaisseaux
sont cachés par le poumon. Nous n'avons pas à donner les limites exactes
et les rapports de ces diverses régions : l'anatomie nous les enseigne à
l'état normal ; et, si la maladie est susceptible d'en modifier les conditions
652
l'OlïKINE. SÉMÉIOLOGIK.
dans une certaine mesure, on ne doit pas perdre de vue ce qui esL acquis
olie/. l'homme sain, pour se diriger au lil du malade.
La forme et les dimensions de la poitrine ont été appréciées par la
plupart des observateurs qui ont écrit sur les affections des organes tho-
raciques. Parmi eux nous citerons tout particulièrement Walter H. Walshe
(1870), qui a étudié le sujet parallèlement dans l'état de santé et dans
l'état de maladie; puis suivant les âges, les sexes, les professions, etc.
Les résultats sont acquis avec les divers modes d'exploration en usage :
la palpation, la percussion, l'auscultation, la mensuration, etc.; et aussi
en se mettant au point de vue du jeu de la respiration, dont il analyse le
rhythme et la force. Nous aurons à utiliser ces faits.
Le complément naturel de ces données anati -niques et physiologiques
se trouve dans une méthode plus ou moins rigoureuse de localisation des
lésions et des phénomènes thoraciques, qui nous est fournie par A. Ran-
some (1870), et qui sert de hase à tout unensemhle de recherches stétho-
métriques. Ce n'est pas la première fois, dit l'auteur, qu'on a tenté de
rapporter les diverses particularités, relevées dans l'examen de la poitrine,
à certains points de repère ou de convention visihles à l'extérieur de celte
cavité; et tout le premier, il indique le diagram-figure de Fairbank,
comme pouvant recevoir cette application. L'instrument consiste en une
petite plaque de cuivre découpée de façon à figurer le tronc, et qui permet
d'en reproduire la figure sur le papier en suivant ses contours avec un
crayon. On obtient ainsi une sorte de schéma sur lequel on inscrit, au
double point de vue du siège et de l'étendue, le détail séméiologique,
dont on peut ensuite contrôler les transformations en plus ou en moins.
L'instrument de A. Ransome s'appelle le Chesl-rule (règle de poitrine).
Il consiste en un fil d'acier mince et étroit, disposé en parallélogramme
rectangulaire, de G pouces de long sur 5 de large (mesure anglaise), et
divisé en 18 carrés ayant juste 1 pouce de côté. En raison de sa flexibilité,
on peut facilement l'appliquer et le mouler sur la surface de la poitrine.
Comme point de repère, dans le sens transversal, on prend, en avant, la
ligne médiane du sternum, et, en arrière, la colonne vertébrale; tandis
que, de haut en bas, on l'applique successivement autant de fois que cela
est nécessaire. Quant au phénomène à noter, on le rapporte à tel 'ou tel
carré désigné par un numéro; ou bien à l'intersection de deux lignes,
horizontale et verticale, correspondantes. Le cliest-ntle parait surtout
utile pour fixer le siège des bruits du cœur et les points où on les entend
à leur maximum. 11 sert aussi à déterminer le point de départ des ané-
vrysmes thoraciques, les limites des signes physiques dans la phlhisie,
dans la pleurésie, etc.
On doit également à Lasègue (1870) un procédé de topographie pour
l'auscultation de la poitrine, et qui peut aussi servir à fixer les autres
détails d'exploration. Ce sont deux ligures schématiques tracées par
Vigroux, et représentant, l'une la partie antérieure, l'autre la partie pos-
térieure du thorax. Les points de repère essentiels y sont indiqués, et
l'origine des côtes est marquée de manière à pouvoir en faire le décompte.
POITRINE. — séméiologie. G55
Les phénomènes d'auscultation et de percussion seront notés, les premiers
avec le crayon bleu, les seconds avec le crayon rouge. Lasèguc compare
avec raison ces figures à des cartes muettes sur lesquelles on doit non-
seulement inscrire par un signe le point maximum des bruits anormaux;
mais, à l'aide de teintes plus ou moins foncées, en rappeler l'étendue et
la décroissance ou la brusque cessation.
On conçoit d'autres systèmes de localisation tboracique ; et chacun peut
à cet égard s'en créer quelqu'un qui soit conforme à ses habitudes. Pour
notre part, celui que nous avons adopté, et qui nous semble le plus com-
mode, n'est autre que celui des divisions superficielles, qui partagent
extérieurement la poitrine en autant de régions distinctes, et qui se
trouvent énumérées dans la partie anatomique de cet article. Et l'on peut
toujours être compris, lorsqu'on dit que tel bruit se fait entendre sous la
clavicule, dans l'une des lbsses sus ou sous-épineuses, dans l'espace
scapulo-vertébral, dans le creux axilaire, sous le mamelon droit ou
gauche, etc. Quant à la topographie du cœur, elle ne saurait cire établie
dans ses détails qu'après avoir préalablement déterminé les rapports géné-
raux de l'organe; alors les bruits normaux et anormaux sont rattachés
soit à la pointe, soit à la base, et ne reçoivent de signification précise que
lorsqu'on est parvenu à reconnaître ces relations.
Il est facile de comprendre que V attitude du sujet joue un certain rôle
dans l'exploration que l'on fait de sa poitrine, et que l'on peut par ce
moyen aider au résultat cherché. Pour ce qui est des poumons, on doit à
J.-M. Corson (1859) un travail sur les diverses positions qu'il est bon de
donner aux épaules pour faciliter l'examen. Voici les cinq positions prin-
cipales qu'il distingue :
Première position. — L'un des avant-bras est porté sur le dos, l'autre
pendant le long du corps. Dans ces conditions, le son de percussion est
augmenté sous la clavicule du côté qui est tendu antérieurement.
Deuxième position. — Le poignet gauche est tenu de la main droile
derrière les reins. La résonnance à la percussion est augmentée dans
toute la partie antérieure de la poitrine.
Troisième position. — Les bras sont portés derrière la téte, les mains
les saisissant près des coudes. Les omoplates sont élevées de cette façon,
et les muscles sont amincis. On reconnaîtrait ainsi plus facilement une
pleurésie diaphragmatique.
Quatrième position. — On croise les bras en avant, on se penche légè-
rement en avant ; on accroche les mains près des fausses côtes, et on fait
un effort pour élever les côtes. Les épaules s'écartent en arrière, les
muscles s'amincissent, et l'oreille entend mieux ce qui se passe au sommet
du ponmon.
Cinquième position. — On croise ses bras en avant, et on saisit de
chaque main le moignon de l'épaule du côté opposé pour le tirer forte-
ment en avant. L'intensité des bruits respiratoires normaux se trouverait
augmentée du double.
Les conditions d'altitude pour l'exploration du cœur sont assez con-
654 POITRINE. — sésibiouigib.
nues. Il suffît de consulter à cet égard les articles d'auscultation et de
percussion; et de bien se pénétrer de ce fait, que le cœur se porte dans
le sens vers lequel on se penche. Pour la palpation, comme pour l'auscul-
tation, la position la plus favorable est celle dans laquelle le malade est
■sur son séant, légèrement penebé en avant. Le décubitus dorsal est iné-
vitable pour pratiquer la percussion du cœur; cl ce n'est pas l'une des
raisons les moins importantes, qui enlève à ce genre d'examen pour le
cas actuel Loute précision et toute valeur. (Voy. Percussion, p. 537.)
Dans ce qui précède, l'exploration de la poitrine est faite au point de
vue statique; mais il y a lieu également de voir ce qui se passe, lorsque
les fonctions sont en jeu, et que la cage tboracique est en mouvement ; cl
comment on doit s'y prendre pour apprécier les phénomènes dynamiques
propres à cette région.
Tantôt, en effet, on se contente d'observer passivement les actes Blé-
paniques dont on est témoin ; et tantôt on intervient pour les varier, les
mesurer, ou les inscrire, etc.
Dans le premier cas, par exemple, on analyse les mouvements respira-
toires, on les compte, on détermine leur rhylhme, on apprécie leur
ampleur. On peut même, appliquant l'oreille sur la poitrine, entendre les
bruits qui les accompagnent, sans sortir de l'état de passivité : c'est faire
de l'auscultation. De même, pour le cœur, on reconnaît l'impulsion qu'il
communique autour de lui, par la vue, le toucher et l'ouïe ; on mesure le
rhythme de ses battements et la fréquence de leur retour; on entend les
bruits normaux, et aussi les bruits anormaux qui couvrent parfois les
premiers ou les remplacent.
Dans l'autre cas, on fait acte d'intervention, lorsqu'on dit au malade
d'accélérer sa respiration, d'en accoître la profondeur, pour amplifier
certains phénomènes morbides; et même quand on la fait suspendre,
pour que ses bruits ne viennent plus masquer d'autres bruits : ceux du
cœur, par exemple. De même on est actif, dans le fait de changer la situa-
tion du malade pour voir si le niveau d'un épanchement pleurétique se
déplace en même temps : surtout lorsqu'on pratique la succussion hippo-
cratique; et encore, lorsqu'on opère la mensuration circonférenlielle do
la poitrine, qu'on mesure la quantité de l'air en circulation, la force avec
laquelle il se meut; et enfin quand on enregistre avec un appareil ad lioc
les mouvements thoraciques, ou ceux de la colonne d'air inspiré et expiré.
On mesure et on enregistre de même les mouvements apparents du
«œur, soit presque immédiatement (cardiographie), soit médiatement par
l'étude de la pulsation artérielle [sphygmographie). Mais il faut, chez
l'homme du moins, renoncer à recueillir les mouvements du sang dans
les cavités où il circule. On doit en juger par une analyse minutieuse des
tracés obtenus à l'aide de quelqu'un des procédés mentionnés ci-dessus.
Nous compléterons ce sujet en disant que les conditions de l'explora-
tion de la poitrine ont été réalisées schématiquemenl par des appareils,
tels que le Pneumonoscope de Collongues, par exemple : sorte de manne-
quin destiné à faciliter aux élèves l'étude de l'auscultation, dont il peut
POITIUNE. — sihiÉioi.oGiK. 655
reproduire les principaux phénomènes, tout en en révélant le mécanisme.
H. De l'exames clinique de la poitrine considéré en lui-même. — Cet
examen est basé sur un certain nombre en méthodes d'exploration qu'on
met successivement en usage, et dont l'énumération doit être notre pre-
mier soin. Il comprend : l'appréciation de la douleur thoraçique, de la
toux, de V expectoration, l'inspection de la poitrine, la palpation, la
percussion, la succussion, V auscultation, la mensuration circonfëren-
iielle, la spiromélrie, et enfin l'emploi des procèdes graphiques, imaginés
surtout au point de vue actuel.
Parmi ces procédés séméiologiques, il en est qui appartiennent à des
articles distincts, comme Y auscultation, la percussion, la cardiographie,
l'examen des crachats, V expectoration, etc. (Voy. ces mots), et dont la
description se trouve faite par conséquent : nous n'aurons cà y faire que
de rapides allusions. Quant à ceux qui ne doivent pas être l'objet d'une
«tude séparée, ils vont recevoir les développements que nécessite leur plus
ou moins d'importance.
\° De la douleur thoraçique, ou point de côté. — La douleur, loca-
lisée sur une partie quelconque de la paroi thoraçique, est l'un des sym-
ptômes les plus fréquents de la pathologie ; sa signification est des plus
variées; et enfin elle n'est pas sans avoir par elle-même une importance
assez grande en raison des troubles fonctionnels qu'elle détermine. Exami-
nons-la dans ses causes, dans son expression et dans ses résultats.
Le point de côté se montre non-seulement dans les maladies propres
<le la poitrine, mais encore dans certaines affections étrangères à cette
région. En premier lieu, il appartient aux contusions du thorax, aux
fractures de côtes, à la névralgie intercostale, au rhumatisme musculaire
(pleurodynie), au zona, à la pleurésie ; à la pneumonie, à la péricarditc,
à l'angine de poitrine, aux anévrysmes de l'aorte, aux diverses dégéné-
rescences soit des parois, soit des organes inclus, etc. Pour ce qui est des
laits de la seconde catégorie, mentionnons les douleurs pariétales de la
gastralgie, de l'ulcère simple de l'estomac, de la gastrite, de la colique
hépatique, du cancer épigaslrique, des péritonites localisées de la partie
supérieure de Palidomen, etc. Il est tout naturel, en effet, que par suite
de leur proximité les viscères thoraciques et abdominaux confondent sur
les mêmes points les sensations douloureuses qu'éveillent leurs maladies :
de là résultent des difficultés diagnostiques que nous aurons à résoudre
par la suite.
Quant à l'expression de point de côté, elle n'implique pas forcément que
la douleur soit latérale, bien que ce soit le cas le plus ordinaire de beau-
coup ; elle peut aussi se faire sentir en avant, comme le point épigas-
trique, par exemple ; et en arrière, sur les masses musculaires des
gouttières vertébrales, et sur le sommet même des apophyses épineuses.
Mais, il faut bien le dire, la douleur ainsi localisée prend ordinairement
une signification précise; et le vrai point de côté persiste dans sa physio-
nomie un peu banale que lui valent son siège réellement latéralisé et son
extrême fréquence.
056 POITRINE. — séméiologie.
La douleur de côté apparaît à des hauteurs variables sur les parois de
la poitrine, depuis le creux sous-claviculaire et le creux axillaire, en
haut, jusque dans l'épaisseur des parois abdominales, qui ne sont, en
somme, que le prolongement des premières par tous les éléments dont
elles sont formées. Elle se définit ordinairement par le rang de l'espace
intercostal auquel on peut la rapporler, et appartient plutôt au segmenl
antérieur qu'au segment postérieur du thorax. Du reste elle peut être
multiple, et former plusieurs loyers soit dans le sens vertical, soit sur le
trajet intercostal. Tantôt le mal est d'origine musculaire, comme dans la
pleurodynie proprement dite; tantôt il réside dans un nerf, qu'il y ail
névrite ou névralgie. Dans le premier cas, la douleur occupe des limites
mal définies et n'a point de siège fixe; les mouvements et la pression la
rendent intolérable. Dans la névralgie, au contraire, la douleur suit for-
cément le trajet déterminé du nerf intercostal, et forme certains foyers
connus, l'un en arrière, l'autre latéral et le troisième en avant. Sur ces
points seuls, la pression exaspère le mal, sans que les mouvements res-
piratoires y aient aucune pari.
11 est tout naturel qu'à toute affection locale des parois, corresponde
une douleur fixée au même niveau. Il faut savoir cependant que, lors-
qu'il s'agit d'un cordon nerveux pris dans un foyer inflammatoire ou de
dégénérescence organique, la douleur se fait d'abord sentir en cette par-
tie, et aussi sur quelques points définis de son parcours et notammen-
vers sa terminaison. Telle est l'explication du point de côté dans la pleu-
résie, que Beau, entre autres, a mis sur le compte d'une névrite intercostale
sous-pleurale, et qui apparaît surtout en avant, bien que le nerf lui-même
ne puisse être affecté et participer à l'inflammation de la plèvre, que dans
sa partie postérieure, et sur un plan toujours plus élevé que le lieu de son
épanouissement. Le point de côté de la pneumonie dépond bien plutôt
d'une pleurésie partielle concomitante que du poumon lui-même, dont la
sensibilité à la douleur est peu développée, et reçoit par conséquent une
interprétation analogue.
Si l'on cherche à classer la douleur de côté ou thoracique en général,
d'après ses origines, on trouve, d'abord, le point àecàtèsy diplomatique,
qui est en rapport direct avec tout mal localisé: son type serait dans la
fracture de côte. Ensuite vient le point de côté sympathique, qui révèle
une affection plus ou moins éloignée de l'endroit où il se l'ail sentir.
Exemple : le point de côté de la pleurésie et aussi ces nombreux points
pariétaux provoqués par les diverses maladies des viscères thoraciques et
abdominaux, et qui annoncent longtemps à l'avance l'origine obscure et
le développement insidieux des dégénérescences organiques. L'interpré-
tation clinique de ces points est l'un des problèmes les plus délicals de la
séméiologic. Enfin une troisième catégorie comprend certains pointa
spéciaux, sur lesquels nous allons donner quelques détails.
L'un d'eux est le point sus-claviculaire qu'on localise, ave,- plus ou
moins de raison, sur le trajet du nerf phrénique, vers la racine du cou, et
qu'on rapporte par voie sympathique ascendante à la pleurésie diaphrag-
POITRINE. — sémiologie. 657
matique. Ici le mal est puisé à la périphérie, et vient affecter le nciT dans
sa continuité. Ce point phrénique doit ordinairement être recherché; il
se montre indépendamment du véritable point de côté qui, dans la ma-
ladie actuelle, prend une intensité toute particulière, et provoque à
chaque inspiration de l'anxiété, des sanglots, de l'agitation : c'est la
phréttésie des anciens.
Un autre point, occupant vaguement la 'région de l'épaule droite et
difficile à préciser, est le point scapulaire, qu'on rattache volontiers à
l'affection calculeusc du foie et aux différentes maladies de cet onnuie. Il
paraît être une irradiation des coli(jues dites hépatiques , et il résul-
terait des anastomoses ascendantes du pneumogastrique avec le '.spinal ,
qui d'autre part envoie des ramifications à certains muscles de l'épaule.
La valeur séméiologique de ce symptôme n'est pas à dédaigner.
Le point apophysaire peut recevoir diverses interprétations; tantôt
il représente le point postérieur ou récurrent de la névralgie intercostale;
tantôt il est en rapport avec le point épigastrùjue de l'ulcère simple de
l'estomac: tantôt encore il appartient à cette affection mal définie que les
Anglais appellent Yirritalion spinale, et qui est de l'ordre des maladies
d'épuisement; tantôt enfin il rentre dans la catégorie de ces points verté-
braux sur lesquels Cruveilhier a appelé l'attention, et qui occupent tou-
jours une situation dominante par rapport aux organes affectés des diffé-
rentes cavités viscérales du tronc et du bassin. Le siège du point
apophysaire est donc assez variable ; d'autre part, il n'est souvent reconnu
que par la recherche qu'on en fait, et par la pression qu'on exerce sur le
sommet mémo de l'apophyse épineuse à laquelle il appartient.
Nous devons,' à ce propos, rappeler que nous avons signalé le point
apophysaire cervical comme un indice assez précoce de la phlhisie pul-
monaire (1870).
Le dernier point à mentionner est celui de V angine de poitrine, re-
marquable par son siège vers la région cardiaque, par ses irradiations au
côté gauche du cou cl au brds gauche, et enfin par l'angoisse qu'il déter-
mine. Il n'est pas constant, mais revient périodiquement, et par son in-
tensité seule il peut amener une mort rapide. On connaît assez bien
aujourd'hui les conditions étiologiques de l'angine de poitrine (Voy. ce
mot), dont toute la symptomatologie est comprise dans les phénomènes
<pie nous venons de rapporter. L'innervation du cœur et les anastomoses
que les propres nerfs cardiaques affectent avec les nerfs intercostaux
expliquent d'ailleurs la nature de ces phénomènes, et la prompte issue
qu'ils peuvent recevoir. Nous n'avons pas à y insister.
Le point de côté, envisagé dans les effets qu'il est susceptible de pro-
duire, agit comme toute douleur intense; mais par son siège il peut avoir
des inconvénients spéciaux. En réalité, la douleur qui résulte des mouve-
ments respiratoires tend à ralentir et à supprimer ces mouvements du
côté où elle existe. Tantôt ce sont les côtes qui s'immobilisent, tantôt le
diaphragma : d'où gène respiratoire, dyspnée, etc. L'auscultation prouve
bien que l'air ne pénètre pas jusqu'aux vésicules pulmonaires, car il y a
NOUV. DICT. M ÉD. ET CUIR. XXVIII — 42
658 POITRINE. — séméiologie.
absence plus ou moins complète du murmure vésiculaire. De plus, le
malade affecte un décubitus en rapport avec la souffrance qu'il éprouve.
Il évite autant (pue possible de se coucher du côté où est le point doulou
reux; mais, d'autre part, comme il ne doit pas entraver le jeu de la respi-
ration dans la moitié saine du thorax, il ne tarde pas à se reporter vens
le premier coté, dès que le mal devient tolérahle. C'est ce qui se voit dans
la pleurésie, et successivement dans les deux périodes de douleur prédo-
minante et d'épanchement accompli. Enfin, comme dernier résultat du
point de côté, nous signalerons les relations existant entre la névralgie
intercostale et l'éruption du zona; entre la douleur térébrante de la
paroi thoracique et l'apparition extérieure d'un anëvrijsme de l'aorte
pectorale, etc.
2° De la toux, de V expectoration et des crachats. — Les affections
des organes renfermés dans le thorax, indépendamment de leurs signes
directs, se traduisent par certains phénomènes extrinsèques qui n'ont pas
une valeur moindre. C'est ainsi que l'on peut juger d'une maladie du
cœur par le trouble de la circulation périphérique, et notamment par
l'étude du pouls. De même les lésions pulmonaires s'annoncent à l'ex-
térieur par les produits de l'expectoration et par la toux qui la précède.
L'examen approfondi de cette toux, de Y expectoration et des crachats
jouait un grand rôle autrefois en séméiologie; mais la découverte de la
percussion et de l'auscultation, en somme toute moderne, a relégué ces
symptômes sur le second plan. Ce serait cependant ici le lieu de nous en
occuper, si leur histoire n'appartenait pas à des articles séparés. Nous
renvoyons donc le lecteur au mot Crachats (t. X, 1869), traité par notre
collaborateur L. Martineau, et qui comprend en même temps le mot Ex-
pectoration. Quant au mot Toux, il sera l'objet d'une description ulté-
rieure.
5° De V inspection de la poitrine. — Lorsque l'attention est attirée du
côté du thorax par quelque circonstance qui peut faire croire à un état
pathologique de cette région, il faut procéder à une inspection immédiate,
après s'être mis dans les conditions les meilleures pour un examen effi-
cace, et notamment en plaçant le malade dans une attitude parfaitement
symétrique, assis sur son séant, et à découvert. La connaissance préa-
lable de la conformation normale de la poitrine est de rigueur en tenant
compte aussi des irrégularités qui ne sortent pas de l'état physiologique,
et qui dépendent de l'âge, de certaines professions ou habitudes.
Parmi les auteurs qui ont le plus approfondi le sujet, nous devons ci-
ter E. J. Woillez (1855-1879), dont toute la vie scientifique, on peut le
dire, a été consacrée aux questions se rapportant à la séméiologie de la
poitrine, et qui vient de la couronner par la publication d'un Traité com-
plet d'auscultation et de percussion. 11 distingue naturellement les faits
physiologiques et les faits pathologiques. En premier lieu, il faut recon-
naître qu'une conformation parfaite de la poitrine est rare. Sur 197 su-
jets sains, examinés à ce point de vue. il n'y en a que 41 qui puissent
être considérés comme régulièrement conformés; les 152 autres présen-
POITRINE. SICMÉ10I.OGIK.
659
lent toujours quelques dépressions ou snillics. Chez les 41 sujets normaux,
il y a encore à distinguer : 36 fois le côlé droit l'emporte en développe-
ment sur le coté gauche, de 1 à 5 centimètres; cela paraît être la règle;
tandis que chez les cinq derniers, il y a égalité entre les deux côtés. Dans
tous les cas, la ligne des mamelons correspond à la quatrième côte. Les
irrégularités observées sur les 132 individus mis à part consistent dans
les cas suivants : saillie sternaire transversale, à l'union des deux pièces
supérieures; dépression sternaire inférieure, par l'enfoncement de l'ap-
pendice xiphoïde; voussure cardiaque normale (20 fois sur 100) ; saillie
postérieure à droite, formant la contre-partie de la voussure antérieure
gauche (20 fois sur 1 00) . La mensuration viendra plus tard compléter
cette élude.
Les faits pathologiques sont ainsi exposés : Dans la bronchite aiguë, ou
n'observe rien de particulier à l'inspection; dans ''hépatisatiou les résul-
tats sont douteux; l'emphysème se signale par une voussure des espaces
intercostaux; l'hypertrophie du cœur n'est pas apparente à l'extérieur;
celle du !'oie donne lieu à une ampliation de l'hypochondre correspon-
dant; celle de la rate n'est appréciable qu'à la mensuration; le inéléorisme
de la partie supérieure do l'abdomen provoque une dilatation de la base
du thorax, qui apparaît rapidement et disparaît de même.
Nous compléterons cette revue par l'examen particulier de quelques cas
offrant une certaine importance.
Dans la pleurésie avec épanchement, l'inspection simple de la poitrine
apporte un contingent notable au diagnostic. Sous l'inlluence du point
de côlé, la partie correspondante du thorax reste à peu près immobile :
ce qui contraste avec la mobilité de la partie opposée. Si répanchement
est formé, et s'ii est considérable, on voit les espaces intercostaux élargis,
effacés, les côtes relevées de leur inclinaison à l'état de repos ; en un mot,
tout le côté malade est amplifié et sans mouvement. Plus tard encore,
lorsque l'épanchement est en voie de résolution, et qu'il a tout à fait
disparu, la paroi thoracique parait suivre ce retrait, comme pour aller à
la rencontre du poumon. Et enfin, lorsque des adhérences ont rendu ce
contact définitif, la rétraction ne cesse pas pour cela : on reconnaît tou-
jours le côté qui a été alîoclé de pleurésie, par son affaissement, en oppo-
sition avec la dilatation normale du côté sain. Ce fait de la rétraction de
la paroi thoracique, dans ses rapports avec une maladie du poumon ou de
la plèvre plus ou moins guérie, peut être érigé en loi. Dans ce cas, la poi
trine obéit à une sorlc de force, que Woillez qualifie de force concen-
trique, et qui l'associe aux mouvements organiques des parties qu'elle re-
couvre. Le retrait est, du reste, quelquefois partiel, comme lorsqu'il
s'agit d'une pleurésie locale enkystée, ou dans le cas d'une caverne pul-
monaire évacuée et tendant à la cicatrisation.
Il existe un genre de rétraction totale de la poilrine, dont la cause est
en dehors de cette cavité : c'est celle qui se montre à la suite de l'hyper-
trophie chronique des amygdales. Dupuytren le premier (1828) a si-
gnalé celle coïncidence, en reconnaissant, d'une part, la dépression plus
POITRINE. — séhSiolôgie.
ou moins grande des côtés de la poitrine, avec une saillie proportionnelle
du sternum et du ventre, en avant, et de la colonne vertébrale, en ar-
rière; et, d'antre part un gonflement notable des amygdales. Ces laits
ont été confirmés par J. Nasoiî Warin (de Boston, 1839), qui a publié un
mémoire sur Pbypertropbie des amygdales accompagnée de certaines dif-
lormités de la poitrine. Il s'agit ordinairement de très-jeunes enfants.
Les symptômes sont : l'haleine courte, la difficulté à téter, la bouche
tenue béante, la respiration bruyante, des songes effrayants, des cris, etc.
Le mécanisme de la dépression thoracique s'explique facilement, par le
peu de résistance de la cage cliondro-costale, qui cède sous la pression at-
mosphérique, lorsque l'air ne pénètre pas largement par ses voies natu-
relles. L'indication principale consiste dans l'ablation des amygdales.
Aux rétractions partielles de la poitrine, il faut opposer les saillies ou
voussures également localisées. Comme exemple, citons la voussure de
la péricardite, sur laquelle Fr. Sibson (1849) à donné des détails précis :
« Elle s'étend, dit-il, à la moitié ou aux deux tiers inférieurs du sternum,
aux cartilages sterno-costaux gauches, à partir du second, et avec disten-
sion des espaces intercostaux, aux cartilages costaux situes à droite de
l'extrémité inférieure du sternum, aux côtes gauches, dans le voisinage et
en dehors du mamelon, depuis la cinquième ou la sixième jusqu'à la
septième ou la huitième; enfin au cartilage xiphoïde, à l'épigastre et aux
cartilages costaux des septième et huitième côtes. » C'est là la cause la
mieux démontrée des voussures précordiales; après quoi on ne trouve
plus guère, mais avec des limites moins bien définies et un siège plus va-
riable, que les saillies dues aux anévrysme de la crosse de l'aorte qui se
portent vers l'extérieur. On signale encore les voussures partielles dues à
la pleurésie enkystée (Bouilly, 1876). Enfin, pour ce qui est de l'eut*
physème vésiculaire du poumon, il faut savoir que les voussures locales
sont très-contestées dans celte maladie : on a dû les confondre plus d'une
lois avec les saillies normales dont nous avons parlé plus haut. En réa-
lité, dans l'emphysème, on observe plutôt une amplialion générale de la
cage thoracique, qui prend une forme globuleuse très-remarquable, au
point que le malade semble affecté d'une gibbosité antérieure et d'une
gibbosité postérieure. Les autres signes de cette maladie sont d'ailleurs
peu équivoques.
Parmi les déformations que révèle l'inspection de la poitrine, nous de-
vons encore mentionner, chez les sujets maigres et déjà en proie à la
phthisic, l'écarlemcnt des omoplates, qui semblent se détacher des pa-
rois thoraciques comme des ailes (Scapulœ alatœ). Cette apparence dé-
pend non-seulement de l'amaigrissement du sujet, mais aussi témoigne
d'une rétraction déjà très-notable du sommet du cône thoracique. Quant
à ce retrait en lui-même, il est très-réel; il se manifeste dès les premiers
temps de la phthisic pulmonaire, en raison de ce que l'air cesse déjà dé
pénétrer vers le sommet du poumon. Il en résulte un signe précoce pour
cette maladie, à savoir rabaissement de l'extrémité externe de la clavi-
cule et la chute des épaules (Aufrechl-IIacnish, 1878). On sait qu'à l'étal
POITRINE. — SÉMÉIOLOGIE.
061
normal l'extrémité externe de la clavicule est sur un plan supérieur àl'cx-
trémité interne. Lorsque le lobe supérieur du poumon, envahi par les gra-
nulations tuberculeuses, ne se dilate plus autant, l'extrémité externe de la
clavicule s'abaisse d'abord au niveau de l'interne, puis bientôt elle tombe
encore plus bas : d'où les apparences signalées plus haut, et que complète
le fait des omoplates ailées.
En résumé, l'inspection de la poitrine montre, comme faits séniéiolo-
giques principaux, indépendamment de la coloration et des manifesta-
tions cutanées, des déformations consistant en saillies ou en dépressions;
tantôt ces déformations sont totales, tantôt elles sont partielles. Les unes
sont physiologiques, d'autres pathologiques, Chacune d'elles présente
quelque particularité qui la distingue des autres, et l'élève à la hauteur
d'un signe diagnostique. Enfin, on constate certains autres phénomènes
qui ne peuvent se classer parmi les déformations précédentes; tels sont :
l'abaissement das clavicules en dehors, la chute des épaules, les scapulœ
alatœ, et, pour être complet, les tumeurs formées par le poumon hernié,
par un abcès migrateur, par un anévrysme diffus, par l'emphysème cel-
lulaire : mise à part la région mammaire.
Au point de vue dynamique, l'inspection de la poitrine est utile pour
apprécier la fréquence et le rhylhme des mouvements respiratoires, les
battements du cœur, le tirage de l'épigastre en cas de dyspnée laryn-
gée, le retrait des côtes par les adhérences costo-diaphragmatiques (Jac-
coud, 1879), etc. L'étude de la plupart de ces symptômes appartient sur-
tout à l'auscultation, qui en rend mieux compte d'ailleurs (Voy. ce mot).
4° Palpalion. — L'apposition de la main sur la poitrine éveille cer-
taines sensations qui sont spéciales au toucher, et qui peuvent se traduire
en signes cliniques. Passons rapidement sur ce qui se rapporte : à la
température de la peau, qui n'est autre, en général, que celle du reste
du corps, (réserves faites pour les recherches de Péter sur les tempéra-
tures locales, 1878) ; à la crépitation d'une fracture de côte, d'une bosse
sanguine, de l'emphysème cellulaire, du poumon hernié ; à la fluctuation
d'un abcès pariétal ; à V inégale résistance des parties molles et des par-
ties dures, à la détermination d'un foyer douloureux, etc. ; pour arriver
aux faits cjui doivent plus particulièrement nous intéresser.
Du côté de l'appareil respiratoire, on observe par le palper de la paroi
thoracique, chez un individu qui parle, à l'état. normal, un léger frémis-
sement vibratoire, dont les modilications, à l'état pathologique, acquièrent
une certaine valeur séniéiologiqiie. Ces vibrations tactiles sont peu
susceptibles d'augmentation; cependant par le fait des indurations pulmo-
naires, hépat'sation, tumeurs, etc., cette sensation devient plus vive,
surtout par comparaison, en se reportant au côté sain. Par contre, un
épanchement pleural, qui efface les vésicules pulmonaires et qui par sa
nature est peu apte à vibrer, diminue cl supprime, suivant son épaisseur,
toute vibration au toucher. C'est l'un des signes les plus utiles pour dis-
tinguer une pneumonie d'une pleurésie dans les cas douteux [Voy. Per-
cussion, p. 555).
(562 MÏÏMNIi. — iéu&QiXïm:
L'analyse de ce phénomène a clé portée encore plus loin, et a permis à
Jaccoud (1870) de reconnaître les épanchcnients pleuréliqucs mullilocu-
laires, en suivant, pour ainsi dire, et d'après la conservation des vibra*
tions thoraciques, les cloisonnements delà cavité pleurale. On peut savoir,
ainsi, en quels points la thoracentèse doit être pratiquée, et s'il laut l'aire
une ou plusieurs ponctions.
Le palper fait encore reconnaître le frottement pleural, soit au début
de la pleurésie, soit dans la période de retour de celte maladie; mais
c'est un phénomène qui appartient plutôt à l'auscultation. (Voyi ce mol,
p. 142.) De même, se révèle au touclier un râle vibrant (Laënnec), le
gargouillement d'une caverne tuberculeuse, les bruits humides et serrés
du catarrhe suffocant, et enfin la fluctuation thoracique de l'hydro*
pneumo-péricarde, etc. Ces différents signes sont tellement nets par eux-
mêmes, ils concordent avec d'autres symptômes si peu équivoques, qu'il
est superflu de nous appesantir à leur propos.
Au niveau de la région précordiale, le palper fait sentir les battements
de cœur, dont il peut apprécier le siège, l'énergie, l'étendue, le rbyllime.
les altérations pathologiques, etc. Ce genre d'exploration a presque la
même importance que l'examen du pouls; il comporte autant de détails
et de délicatesse; on aurait bien tort de le négliger. Il n'est pas jusqu'aux
bruits anormaux, souilles rudes, bruits musicaux, qui ne se traduisent
au toucher par la sensation du frémissement cataire, susceptible
d'une détermination aussi précise que les pbénomènes auditifs de l'aus-
cultation, sous le rapport du siège et de l'interprétation clinique. Cepen-
dant il sera toujours nécessaire de cliercher en auscultant la confirmation
d'une idée éveillée par la simple et rapide apposition de la main sur la
région du cœur : celle-ci eût-elle des résultats négatifs ; car on sait que les
souilles doux cardiaques, pas plus que le souffle glottique de la respira-
tion, ne se dispersent au loin sous forme de vibrations tactiles. Il n y a
(juc la voix laryngée, et que les bruits rudes ou musicaux du cœur, qui
donnent naissance à ces frémissements de voisinage. Les bruits produits
au niveau des ane'vrysmes tboraciques sont dans le même cas; et le fré-
missement cataire, uni à la pulsation anëvrysmale, suppose un souille
rude engendré à l'orifice d'enlrée de l'anévrysme. Ces pliénomèiu s liés à
la systole ventriculaire en reproduisent l'intermittence et la périodicité.
Quant à l'anévrysme arlérioso-veineux, le susurras perçu par I oreille et
le frémissement senti au touclier qui l'accompagne, affectent un autre
rbytbnic (Voy. Aoute, p. 789.) Enfin, mentionnons \'lujdro-})neumn-jH:ri-
carde, qui sous la main l'ail éprouver des mouvements de clapotement,
de remous, de roue de moulin, bien en rapport avec les bruits singuliers
que l'auscultation nous révèle {Voy. ce mol, p. 183).
5? Succussion kippocra tique. — 11 s'agit ici d'un procédé bien
anciennement connu, puisqu'on voit à qui on peut en reporter l'origine,
cl destiné à agiter, par une brusque secousse, des gaz et des liquides
contenus dans une même cavité thoracique. [.'hydro-jmcumo-thorax
réalise en clinique les conditions matérielles du phénomènes Souvent
POITRINE. — séhéiolo&iéI 665
c'ést le malade lui-même qui s'aperçoit des mouvements et des bruits
résultant des diverses attitudes qu'il prend; mais le médecin prévenu
peut reproduire les mêmes effets, en saisissant le malade par les épaules
et en le remuant brusquement. On sent à la main et on entend surtout
avec l'oreille appliquée sur la poitrine des glous-ylous, des gargouille-
menls, analogues à ceux qu'on obtient en agitant une carafe à deini-
rcmplie. 11 se passe quelque ebose de semblable dans l'estomac presqu'à
l'état normal, mais principalement dans la dyspepsie dite llatulente. On
ne confondra pas au lit du malade cette dernière affection avec l'hydro-
pneumo-tborax ; car toutes les circonstances étiologiques, topogra-
phiques, sont différentes dans les deux cas. Terminons en disant qu'une
caverne spacieuse pourrait exceptionnellement reproduire les conditions
physiques de la fluctuation thoracique, déterminée elle-même par la
succussion hippocratique. On voit alors la sensation de gargouillement
sous la main atteindre le degré des phénomènes que nous venons de
décrire (Voy. Auscultation, p. 144).
6° Percussion. — Par là percussion de la poitrine, on obtient la
perception simultanée d'impressions tactiles et auditives, conformément
aux principes que nous avons largement exposés d'autre part (Voy. Peh-
cussion ; p. 551). C'est une véritable transition de la palpation à l'aus-
cultation ; et les résultats de ce genre d'exploration sont aussi considé-
rables que ceux des deux autres. Nous renvoyons tout naturellement
a l'article indiqué; et cela d'autant mieux que nous en sommes l'auteur.
Comme fait général se dégageant de cette élude, nous voyons que si,
pour l'abdomen, la percussion unie à la palpation affecte une suprématie
marquée sur l'auscultation, elle lui cède en importance à son tour lors-
qu'il s'agit de l'examen clinique de la poitrine.
7° Auscultation. — L'auscultation est la méthode par excellence
pour l'exploration de la poitrine ; car c'est là, en effet, que se présentent
surtout les phénomènes sonores que l'oreille doit recueillir. C'est pour
la poitrine principalement que Lacnnec a créé ce genre d'examen qui
immortalisera son nom; et l'instrument qu'il a imaginé à ce propos,
le stéthoscope, rappelle celle de ses applications qui efface pour ainsi
dire toutes les autres. Insister sur ces détails serait superflu ; et nous
devons plutôt renvoyer le lecteur à l'article Auscultation (t. IV, 1865).
Nous avons par-dessus tout cherché à mettre la question au courant de
la science, sous le double rapport de l'érudition et des explications
techniques. Nous avons, en outre, introduit une classification des phé-
nomènes propres à l'auscultation, qui en simplifie l'élude, en dispensant
de répétitions fastidieuses et inutiles. Enfin nous revendiquons le faible
mérite d'avoir sauvé l'école française du reproche de s'être immobilisée
dans ses premiers succès, en restant étrangère aux progrès que compor-
tait la découverte de Laënnec. Depuis l'année 1865, époque de l'appari-
tion de notre travail, il ne s'est produit aucun fait important, en ce qui
concerne l'auscultation de la poitrine : cœur, vaisseaux et poumons.
Aucune théorie nouvelle, relative à l'origine des bruits Ihoraciqucs, n'a
604 POITRINE, — sémkiologie.
été proposée ; et la séméiologie clans ce sens ne s'est perfectionnée que
par quelques points de détail, Irop spéciaux pour que nous y insistions
■ •H ce moment.
Nous voulons, cependant, poser un principe qui réduise à leurs justes
proportions des procédés d'exploration sur lesquels on parait un peu
trop compter. Que l'on sache donc qu'il ne faut qu'une certaine portion
déterminée de parenchyme pulmonaire pour éteindre ou amortir un
bruit quelconque, local ou transmis. De sorte que l'auscultation et la
percussion ne donnent jamais de certitude absolue sur l'état matériel du
poumon ; et qu'une lésion notable peut exister, sans qu'aucun signe
physique l'ait encore révélée. Il est positif que certains troubles fonc-
tionnels sont plus précoces, pour annoncer la phthisic, que les manifes-
tations auditives; lorsque celles-ci apparaissent à leur tour, le mal est
déjà irréparable. Voilà qui atténue quelque peu la valeur pratique des
méthodes dont nous venons de parler.
8° Mensuration. — L'idée de mesure ([j.ÉTpov) se présente en séméiolo-
gie thoraeique sous plusieurs aspects différents, et comporte toujours
la précision et la comparaison. On peut, d'abord, apprécier les mouve-
ments du cœur et de la respiration dans leur nombre absolu pendant
l'unité de temps, dans leur étendue et leur intensité, et dans les rap-
ports qu'affectent entre eux les mouvements alternatifs de systole et de
diastole, d'inspiration et d'expiration. Ensuite, il y a lieu de mesurer
circonférentiellement la poitrine, pour en avoir premièrement le péri-
mètre total, et aussi pour comparer entre elles les deux moitiés dont la
symétrie n'est souvent qu'apparente. On détermine encore, par la per-
cussion, ou par tout autre moyen exact, les dimensions linéaires des
organes intrathoraciques ; c'est ainsi que l'on obtient le diamètre du
cœur, et qu'on juge de son volume. Les lignes plessimétriques de Piorry
et son plessimètre gradué avaient surtout pour but de créer une organo-
graphie de précision. Enfin, il existe des procédés qui donnent la capa-
cité pulmonaire, qui mesurent la force de la colonne d'air en circulation,
et montrent les rapports de quantité entre l'air inspiré et Pair expiré.
Pour le cœur, il n'est pas possible d'établir de données manomélriques ;
mais, par l'étude du pouls, par l'emploi des procédés cardiographiques,
on arrive à des résultats tout aussi exacts que si l'on avait eu recours
à l'exploration directe.
Nous n'insisterons pas ici sur les questions de nombre, de rhyllnnc,
d'intensité, etc., en ce qui concerne la respiration cl la circulation cen-
trale. Ces recherches appartiennent à l'auscultation ; du moins elles ont
été traitées à celte occasion. Nous laisserons également de côté la ples-
simétrie organographique, qui se trouve exposée à propos de la percus-
sion. Quant à l'emploi des procédés graphiques, qui doivent remplacer
la mensuration directe pour l'appareil central de la circulation, il on
sera fait mention tout à l'heure. Nous allons donc nous borner à l'étude
de la mensuration circonfêrentielle et diamétrale de la poitrine et de
la spiromelrie, qui n'ont pas de description séparée dans ce Dictionnaire.
POITMNK. — sÉMÉioLOGiE. 665
a. Mensuration circonférenlielle et diamétrale. On peut juger du
volume de la poitrine, soit en mesurant son périmètre à différents
niveaux, soit en déterminant ses diamètres à l'aide d'instruments appro-
priés. Les données que l'on obtient ainsi conduisent à plusieurs résul-
tats : tantôt il s'agit de connaître, d'après le développement du thorax,
quelle est la force de la constitution du sujet; tantôt on trouve, dans le
retrait de certaines parties de la poitrine, surtout du sommet, un signe
précoce de phthisie pulmonaire; tantôt enfin on compare l'une à l'autre
les deux moitiés de la cage thoracique, qui à l'état normal sont sensible-
ment symétriques.
Le procédé le plus usuel, pour apprécier le périmètre de la poitrine,
est celui du ruban, que Laënnec mettait déjà en pratique, tout en lui
reconnaissant peu d'utiiité. On en comprend facilement l'application :
Un cordon métrique est passé tout autour du thorax, suivant un plan
horizontal, à différentes hauteurs, et donne immédiatement la mesure
circonférentielle de la section au niveau de laquelle on opère. Tour
terme de comparaison, d'un individu à l'autre, on peut adopter, chez
l'homme, la ligne des mamelons ; ou bien, dans les deux sexes, la ligne
sous-mammaire, ou encore le bord inférieur de l'aisselle, qui est le
point le plus élevé qu'on saurait atteindre.
L emploi le plus direct de ?ce procédé de mensuration est pour
l'examen des conscrits. D'après une instruction ministérielle du 5 avril
1875, le périmètre thoracique doit atteindre au minimum 0"',784.
Or, sur 400 jeunes gens de la classe 1874, le périmètre moyen
fut trouvé de 0"',857. La taille moyenne étant de lm,092, avec l'",540
pour mini- mum, le périmètre moyen dépasse donc de 0m,ll la demi-
taille moyenne. Cependant ces données n'ont pas paru définitives, et
elles sont aujourd'hui infirmées par la pratique (J. Arnould , 1874).
Ce genre de recherches est beaucoup suivi en Allemagne; et nous cite-
rons à ce propos les études de C. Told (1875) sur l'anatomie topogra-
phique de la poitrine, et sur sa mensuration au point de vue du recru-
tement.
Nous indiquerons ensuite, comme fait d'application de la méthode
du ruban en pathologie, le retrait du sommet de la poitrine dès le début
de la phthisie pulmonaire, qui a pour corrélatif l'abaissement de l'extré-
mité externe de la clavicule, dont il a été question plus haut (llaenish,
1878). On sait qu'à l'état normal la circonférence de la partie supé-
rieure de la poitrine l'emporte sensiblement sur celle de la base ; mais,
par le reliait progressif du sommet du thorax, elle perd peu à peu de
sa prépondérance, et les rapports entre les deux périmètres finissent par
être intervertis.
Le même ruban divisé peut encore convenir dans les épancheinenls
plcurétiques, pour en indiquer soit l'accroissement, soit la rétrocession.
Pour cela, après avoir entouré la poitrine avec le ruban, sur un niveau
déterminé, on marque sur le cordon, en avant et en arrière, un point
qui corresponde au milieu apparent de chacune des deux faces : l'apo-
660 . l'OlTMNli. — sÉiiÉîbiôoiBi
physe épineuse en arrière et la partie médiane du sternum en avant.
Puis, comparant l'une à l'autre les deux portions de rubans séparées
par les traits qu'on y a imprimés, on juge des différences niEConféren-
tielles entre les deux côtés du thorax : on voit la prédominance du côté
où existe Pépanchement se transformer, après la guérison, en une rétrac-
tion qui ne s'efface jamais.
Ces mesures sont prises avec plus de précision encore, grâce au
cyrtomètre. Voij. t. X, p. 656.
La détermination du diamètre antéro-postérieur de la poitrine a été
faite à un autre point de vue, et par un procédé différent. Dès 1848,
f'rancis Sibson a imaginé un instrument liès-ingénicnx, leGhest measurer,
(ftg. 42), comme moyen de mensuration tout particulier. C'est une sorte
de compas d'épaisseur, analogue à l'un de ces instruments qui servent
à relever les diamètres du bassin, et dont l'une des branches est mobile;
un index et un cadran, fixés à cette branche, accusent les moindres
changements survenus dans ce diamètre anléropostérieur de la poitrine.
Voici maintenant à quels résultats pratiques conduit ce mode de mensu-
ration. En somme, il ne peut constater que l'écart entre le temps d'ins-
piration et le temps d'expiration; et, de tous les faits observés, Walshe
dégage la loi suivante : « Quand l'amplitude du jeu respiratoire n'atteint
pas 0U1,065, l'existence d'une maladie gênant la respiration est très-pro-
bable; et, lorsque l'ampliLude obtenue égale ou dépasse celle qui convient
à la santé, si les deux côtés ne se la partagent pas par parties égales,
c'est qu'il existe une maladie qui entrave l'action respiratoire d'un coté
et l'exagère de l'autre. » (Walshe, traduit par Fonssagrives. page 32.)
D'autres procédés de mensuration périmé trique ont encore été
employés; mais, en raison des mouvements qu'ils doivent en même
temps recueillir, ils se rattachent plutôt à la méthode graphique, qui
nous occupera par la suite. Citons, par exemple, le three plane slelho-
mêler d'Arthur Ransome, le stéthographe de Gibbon, etc.
b. Spiromélrie. — La mesure extérieure du thorax, tout en se recom-
mandant par la facilité de son application, ne saurait avoir la précision
des moyens manométriques, qui permettent de déterminer directement
la quantité d'air mise en mouvement par la respiration, la force «m
laquelle se meut la colonne fluide, et jusqu'aux rapports existant entre
les deux temps de l'inspiration et de l'expiration. Ces nouvelles recher-
ches constituent la spiromélrie , dont la mise en œuvre est de date
récente.'
Les premiers travaux sur ce sujet sont dus à Hcrhsl (de Greltinguc), et
remontent à l'année 1828. Cet observateur prétendait déterminer la capa-
cité des poumons dans l'étal de santé et de maladie, en se servant, à cet
effet, du pneumonomèlre de Kentish. L'instrument était des plus sim-
ples, et consistait en une cloche de verre graduée, renversée sur l'eau ;
une embouchure tubulée et munie d'un robinet permettait l'entrée et la
sortie des gaz à mesurer. Lorsqu'on voulait apprécier Le quantité d'air
prise à chaque inspiration, on notait à quelle hauteur l'eau s'était élevée
POlTRlNi;. — SBWÉIOLOfilE.
667
Fig. 41 el 42. — Chest-Measurer de Sibson.
Cet instrument est destiné à apprécier l'étendue des mouvements anléro-poslérieurs de la poitrine.
Il se compose d'une lige graduée ronde D (lig. 41j divisée en pouces et en dixièmes de pouce. A l'extré-
mité inférieure de celte tipe est articulée, pouvant s'ouvrir jusqu'à l'angle droit, une plaque de lailon
recouverte de soie A. Sur celle lige graduée se meut à frottement un curseur ('. qui peut aussi lournor
autour d'elle. Ce curseur est muni d'une brandie horizontale CD pouvant s'allonger ou se raccourcir, a
l'extrémité de laquelle est un cadran gradué à aiguille que commande une crémaillère verticale D.
A l'état du. repos de l'instrument, l'aiguille est au zéro du cadran et la crémaillère abaissée jusqu'à
son dernier cran au-dessous du centre du cadran, position dans laquelle elle est maintenue par un res-
sort très-doux. Un tour complet du cadran correspond à un pouce (0"'02oô) de mouvement exécuté par
la poitrine. Chaque division est d'un centième de pouce (0"' 01)023).
On applique cet instrument sur le malade dans le décubilus horizontal el dépouillé de tous vêlements
(fig. 42): on glisse sous son dos la plaque de lailon; on ordonne une expiration forcée ou naturelle. A
la fin de cette expiration, on abaisse le cursi ur jusqu'au contact de l'extrémité inférieure de la crémail-
lère avec la peau du malade et de tell i façon que l'aiguille ne dévie pas du zéro. On ordonne l'inspira-
tion et on lit sur le cadran le degré le plus élevé qu'y atteint l'aiguille. Ce degré indique L'amplitude
du mouvement. (Sibson, ttêdico-cMritrgical, Trantaetiotùi, voUXXXî, p. iil et 52.
POITRINE
— SÉHÉIOLOGIE.
dans la cloche, à la suite d'une inspiration pratiquée au travers de la
tubulure; et, dons le cas contraire, on faisait d'abord monter l'eau dans
la cloche jusqu'à un certain niveau , et l'on voyait de combien de divi-
sions elle s'abaissait pendant l'expiration poussée dans l'intérieur de
ladite cloche. Voici quelques résultats obtenus à l'aide de cet ap-
pareil.
1" La quantité d'air inspirée et expirée dans la respiration calme et
naturelle, chez un homme adulte de taille ordinaire, est de '20 à 25
pouces cubes; tandis qu'elle s'abaisse à 18 et 16 pouces cubes chez l'in-
vidu de petite taille.
2° La capacité des [tournons chez l'homme sain est nécessairement
variable, suivant certaines circonstances. Elle s'apprécie par la quantité
d'air que les poumons peuvent admettre après une expiration aussi Forte
que possible, et par la quantité qu'ils peuvent expulser après une inspi-
ration profonde. Cette épreuve donne jusqu'à un certain point la mesure
de la constitution du sujet ; mais il faut tenir compte de sa taille, de
son âge, de son sexe, de ses habitudes, de sa profession, etc. On vête-
ment serré gène la respiration et diminue considérablement la capacité
des poumons. Les personnes replètes offrent une capacité moindre qu'on
n'en peut juger par l'apparence. La capacité des poumons est beaucoup
plus faible comparativement chez les enfants que chez les adultes. 11 en
est de même pour la femme opposée à l'homme. Enfin, chez les animaux,
la capacité pulmonaire est plus grande que chez l'homme, eu égard au
poids du corps.
Quant à l'état maladif, il s'accuse presque toujours par une différence
en moins de la capacité respiratoire, surtout quand c'est le poumon lui-
même qui est affecté. Herbst cite des exemples relatifs à la phthisie pul-
monaire, à l'angine de poitrine, etc. : mais c'est surtout pour le diagnostic
et le pronostic de la première de ces maladies, que la méthode actuelle
peut rendre des services. Nous la verrons bientôt appliquée sous une
forme plus exacte.
Comme conclusion générale, Herbst admet que la capacité totale des
poumons chez l'homme adulte, de force moyenne, varie entre 220 et 280
pouces cubes; moyenne: 250 pouces cubes, tout en tenant compte des
40 pouces cubes qui restent toujours dans l'arbre aérien, même après La
plus forte expiration (Davy).
Les recherches du docteur John Iiulchinson (1846), sur la spirométrie,
sont encore plus importantes, et ont acquis plus de notoriété. 11 dis-
lingue entre la capacité respiratoire et la puissance respiratoire. La
première, qu'il qualifie encore de capacité vitale, donne l'écart depuis
l'expiration la plus profonde jusqu'à l'inspiration la plus complète. Elle
s'apprécie à l'aide d'un simple gazomètre, dans lequel l'individu en expé-
rience chasse l'air de trois expirations qui ont succédé à trois grandes
inspirations. Quant à la puissance respiratoire, elle se mesure avec, un
tube barométrique pourvu d'une planchette graduée. Ce tube baromé-
trique est recourbé de façon à pouvoir s'adaplcr par sa courte branche à
POITRINE. — sÉsiihoi.oGiE. fiG9
l'une des narines, l'autre demeurant fermée. Il n'y a plus dès lors qu'à
constater de combien de divisions le mercure s'élève ou s'abaisse à chacun
des deux mouvements respiratoires. Les observations de J. Hiitchinson
portent sur 2 150 sujets différents par la taille, le poids, l'âge, etc., et
forment des tableaux comparatifs, faciles à consulter. Il note encore l'in-
fluence du type respiratoire, de la profession, de la volonté, etc. Une de
ses conclusions les plus importantes est celle-ci : le volume de la poitrine
et la quantité d'air qu'un homme peut introduire dans ses poumons ne
sont nullement en relation l'un avec l'autre. Il ajoute aussi : la circonfé-
rence de la poitrine n'a non plus aucune relation avec la capacité vitale;
mais elle est en rapport exact avec le poids de l'individu; elle augmente
de 1 pouce cube pour 10 livres.
Dans l'ordre pathologique, J. Ilulchinson admet en principe que toutes
les fois qu'il y a dans le poumon une altération organique, quelle qu'en
soit d'ailleurs la nature, mettant obstacle à la pénétration de l'air dans les
vésicules aériennes, il doit y avoir une diminution dans la capacité vitale
ou respiratoire. Les applications les plus larges de la méthode sont pour
la phthisie pulmonaire, dont l'étendue est pour ainsi dire mesurée pas à
pas de cette façon. Voici un exemple : Un géant américain, venu en An-
gleterre en 1842, paraissait alors en plein état de santé; capacité vitale,
454 pouces cubes ; taille, 6 pieds M pouces un quart; poids 271 livres;
circonférence de la poitrine, 47 pouces; puissance inspiratoirc, 5 pouces ;
puissance expiralrice, 6,5 pouces. Deux ans après, en 1844, la capacité
vitale était descendue à 590 pouces cubes, et même bientôt après à 540 ;
diminution de 20 pour 100- La puissance respiratoire avait décru de
1 cinquième et son poids de 28 livres. Rien à ce moment n'indiquait
encore de maladie organique chez cet homme. Un an après il succombait
avec tous les signes de la phthisie confirmée; il ne pesait plus que 140
livres; sa taille même avait diminué.
Parmi les travaux parus depuis lors sur la spirométrie, nous signale-
rons ceux de Wintrich (1854), de Schneevogl (1854) et de Hecht
(1855), qui ont été mentionnés et analysés par Ch. Lasègue (1856), dans
les Archives générales de médecine. Ils confirment la plupart des résul-
tats acquis, et entre autres conclusions nouvelles, nous citerons les sui-
vantes : « La spirométrie est d'un secours utile pour diagnostiquer les affec-
tions organiques du poumon à leur début, et devrait être employée par les
conseil- de révision , les Sociétés d'assurances sur la vie, etc. — El le découvre
la tuberculisation à une époque où aucun autre procédé de diagnostic ne
la révèle. — Elle assure le diagnostic de la phthisie confirmée, elle sert
à en mesurer l'étendue, la marche, les progrès, l'amélioration. — La spi-
rométrie rend un signalé service quand elle dissipe la crainte d'une tu-
berculisation commençante. » Mais il faut savoir que ces affirmations sont
sujettes à contestation, et Ch. Lasègue et P. Gultmann ont à ce propos
conseillé de faire certaines réserves, dictées par des données contradic-
toires. Dans tous les cas, si l'on voulait mettre à répreuve la méthode
présente, il faudrait pour un sujet déterminé, consulter les tableaux dres-
070 POITRINE. — sbiiéiologie.
ses par les observateurs que nous avons nommés, et y chercher les termes
de comparaison voulus.
La mesure de la pression respiratoire semblerait en dernier lieu con-
duire à des résultats plus précis, et la pneumatomélrie est devenue
entre les mains de Waldenburg (cité pari'. Gutlmami), un moyen sérieux
de diagnostic. L'instrument, mis en usage, est toujours plus ou moins
imité des manomètres, et il fait reconnaître une pression expiratoire
positive et une pression inspiraloire positive. La valeur numérique
correspondant à une inspiration profonde, chez un homme adulte et bien
portant, oscille entre 70 et 100 millimètres; pour une expiration pro-
fonde, elle est de 80 à 120 millimètres. Chez la femme, l'inspiration
profonde donne de 30 à 80 millimètres, et l'expiration 40 à 90 milli-
mètres. L'avantage est toujours à l'expiration, et même, dans une respi-
ration calme, elle l'emporte de 5 à 50 millimètres. Il n'y a aucun rapport
entre les résultats de la spirométrie et ceux de la pneuniométrie ; les
valeurs données par celle-ci étant relativement élevées quand la capacité
pulmonaire est faible, et réciproquement. Les faits pathologiques, consta-
tés par Waldenburg et confirmés parEichhorst (1875), se résument ainsi :
« La pression expiratoire est toujours diminuée dans l'emphysème pul-
monaire, dans le catarrhe chronique des bronches, dans l'asthme bronchi-
que, dans la grossesse, et les tumeurs et les exsudais de la cavité abdo-
minale. — Dans la phthisie, il y a insuffisance de l'inspiration au début,
insuffisance de l'expiration plus tard; dans la pneumonie et la pleurésie,
il y a insuffisance à la fois de l'inspiration et de l'expiration » (P. Gutt-
mann).
Nous allons retrouver ce même ordre de recherches complété, et
jusqu'à un certain point perfectionné, par la méthode graphique.
9° Emploi des procédés graphiques. — Avec ces moyens, dont le
principe a été emprunté aux sciences physiques, a commencé une ère
nouvelle pour la physiologie et la séméiologie , et la précision en
quelque sorte automatique s'est substituée aux incertitudes et aux appro-
ximations des observateurs. On sait comment la méthode s'est introduite
dans la médecine, et comment grâce aux efforts de J. Marey elle a pris
une forme pratique, et est devenue accessible à tous. Les travaux de
Marey onteuun retentissement universel, et nous pouvons d'autant mieux
le proclamer que nous en avons fait nous-mêmes une large application
dans nos articles Auscultation, CiiiclxatioiN, Cœur. De son Côté, le regret-
table Lorain s'est fait le prosélyte ardent de ces études, soit au mot Car-
diographie de ce Dictionnaire, soit dans une publication distincte (1878),
qui a procédé sa mort de très-peu, et qui a été comme le couronnement
d'une carrière brillamment parcourue et trop tôt brisée. Nous ne revien-
drons pas sur la cardiographie, que complétera un article sur le pouls,
et nous nous bornerons aux recherches graphiques laites eu vue de
l'appareil respiratoire.
Les tracés expriment toujours un mouvement; ce sont donc les mouve-
ments de la respiration qu'il y a à enregistrer, soit les mouvements
POITRINE. SÉHÉfOLOÉÏKl 671
extérieurs du thorax, soit ceux de la colonne d'air inspiré et expiré. Les
appareils destinés à recueillir le premier genre de mouvements sont de
beaucoup les plus nombreux; ils nous occuperont d'abord.
D'après P. Guttmann, Vierordt et Ludwig se servaient d'un levier coudé,
dont le plus petit bras reposait par son extrémité sur la face abdominale
du diaphragme, tandis que le long bras inscrivait au moyen d'un pinceau
sur un papier en mouvement les excursions du diaphragme. La plupart
des autres instruments enregistreurs des mouvements extrinsèques de la
respiration sont fondés sur le même principe ; tels sont : le phënographe
de Rosenthal, le stéthographe de Gerhardt, le stéthographe double de
Riégel, le lliree plane stelhomeler de Ransome. Le pneutnographe de
Marey (1865) est tout différent; c'est une ceinture qui s'applique au-
tour de la poitrine, et qui est interrompue sur une partie de sa longueur
par un cylindre élastique rempli d'air. Ce cylindre, rigoureusement appli-
qué sur la paroi thoracique, subit différentes déformations en longueur
et en diamètre, sous l'influence des mouvements de la cage thoracique.
Pendant l'inspiration, l'air contenu dans le cylindre éprouve une tension
plus forte, par la diminution de capacité de ce réservoir ; le contraire a
lieu durant l'expiration. Ces variations de pression sont transmises par
un tube à l'ampoule de l'appareil enregistreur, et s'inscrivent sur le
papier du polygraphe.
On peut aussi, avons-nous dit, recueillir les oscillations de l'air inspiré
et expiré. Marey avait eu déjà l'idée de respirer dans un grand réservoir
de 500 à 400 litres, et de noter à l'aide de la méthode graphique
les variations de pression que déterminent dans cet espace les mouve-
ments alternatifs d'inspiration et d'expiration. Il est assez remarquable
qu'on obtienne dans cette expérience un tracé tout à fait comparable à
celui que donne le cylindre élastique du pneumographe. Nous signalerons
encore un autre appareil imaginé par Marey, et qu'il appelle un tube
branché. Il consiste en un tube assez large, dans lequel on peut respirer
librement ; ce tube porte sur un point un tube beaucoup plus fin qui
aboutit d'autre part au tambour de l'enregistreur. Il résulte de cette dis-
position que, sans que la respiration soit en rien gênée, les moindres
variation de pression peuvent néanmoins se faire sentir dans le tambour
de l'enregistreur et s'inscrire sur le polygraphe. De son côté, Chauveau
a recueilli chez le cheval des tracés respiratoires, en introduisant, à l'aide
d'une incision, dans la trachée de cet animal, l'ampoule du cardiographe
qui se trouvait ainsi soumise aux pressions de l'air en circulation. Enfin,
sur ces données et sur une connaissance approfondie du sphygmographe,
Bergeon et Kastus (1869) ont établi Yanapnographe, qui semble avoir
une valeur clinique aussi grande, et sur lequel nous allons nous arrêter
un moment, en posant à eette occasion des conclusions qui résumeront
toute cette étude.
L'anapnographe (àvaTcvcv), respiration), dont nous ne prétendons donner
ici qu'une idée générale, consiste essentiellement en une sorte de trachée
artificielle, assez large, et qui porte à l'intérieur une valve mobile autour
072 POITRINE. — sémeioiogie.
d'un axe horizontal. Cctle valve, mise en mouvement sous l'action du
courant respiratoire, tantôt dans- un sens, tantôt dans l'autre, transmet
ses oscillations à un levier léger qui, d'autre part, va les inscrire, à l'aide
d'une plume, sur un papier qu'un mécanisme d'horlogerie déplace
devant lui. Sans nous appesantir sur les détails de la construction de cet
appareil, nous analyserons le tracé qu'on obtient grâce à lui.
Ce tracé, comme celui du pouls, représente une courbe sinueuse, dont
les éléments se groupent au-dessus et au-dessous d'une ligne neutre,
qu'on qualifie de ligne des zéros. L'anse négative correspond au temps
d'inspiration, et l'anse positive à celui d'expiration. Dans sa continuité,
la courbe offre une partie ascendante plus ou moins oblique, un plateau
assez étendu et légèrement incliné, et enfin une portion descendante,
brusque d'abord, puis plus allongée, et pourvue comme les autres sections
de soubresauts secondaires. Voici maintenant l'interprétation de ces don-
nées graphiques :
1° La distance horizontale, parcourue sur la ligne des zéros peudanl
l'unité de temps, indique la vitesse ou la fréquence de la respiration. En
comparant la longueur de chacun des deux temps respiratoires, on ob-
tient leur valeur proportionnelle, c'est-à-dire le rhylhme de la respi-
ration.
2° La distance verticale, entre le point le plus élevé de la courbe et le
point le plus inférieur, par rapporta la ligne des Zéros, donne la mesure
des puissances inspiratrice et expiratrice, dans leurs degrés extrêmes.
A cet effet, on dispose l'appareil de sorte que la résistance de la valve soit
augmentée, et que le tracé ne dépasse pas les limites de la bande de
papier. On n'obtient ainsi qu'un rapport, et non pas des chiffres absolus.
De plus, ces maxima et ces minima ne correspondent qu'à la respiration
par le nez, qui est, il est vrai, l'état normal; avec la bouche, ils seraient
différents : les excursions étant plus étendues.
5° La surface inscrite dans la courbe est proportionnelle aux volumes
d'air déplacés. Cette proposition résulte d'une certaine conformation de
l'instrument, par laquelle le débit de l'air respiré est uniforme, c'est-à-
dire toujours le même pour le même temps. On sait, par expérience,
que dans les limites de la respiration naturelle seize carrés du papier gra-
phique représentent un demi-litre d'air. L'anapnographe se trouve ainsi
transformé en un véritable spiromètre.
4° Les ondrdalions secondaires, apparentes principalement sur l'anse
expiratoire, traduisent Vinfluence des battements du cœur, qui se fait
sentir sur la colonne d'air en mouvement. On peut voir réciproquement,
sur un tracé sphygmographique assez long, l'action de la respiration par
laquelle la ligne du pouls ondule largement. Ces effets alternatifs sont
plus marqués dans le second cas que dans le premier, et nous les avons
étudiés, d'après Potain, à l'article (Caoru, I. Mil. p. l2!)9).
Les recherches de Dergeon, faites à l'aide de l'anapnographe. n'ont pas
encore été étendues dans le domaine de la pathologie; mais les résultais
d'ordre physiologique étant acquis, on peut prévoir dès à présent l'utilité
POITRINE. — sÉMÉiOEOGiÉ. 075
de .ceÇ instrument pour la clinique; 'et désormais les questions tic fré-
quence et de rhythme pour les mouvements respiratoires, de quantité cl
de force pour l'air mis en jeu dans l'acte de la respiration, pourront être
aussi facilement appréciés, au lit des malades, avec l'ànapno'graphe; que
les détails relatifs au pouls, grâce au sphygmographe. La démonstration
de ces avantages est à faire, sans doute; mais elle mérite d'être entreprise,
car on manquait d'un instrument de précision, commode et usuel, pour
aborder avec chance de succès le problème si complique des maladies de
poitrine ; tandis que maintenant on peut en fixer les signes matériels
d'une manière frappante et durable, et baser sur eux un diagnostic certain
et un traitement approprié.
10" Signes extrinsèques. — Les affections thoraciques ne se manifes-
tent pas seulement par des signes locaux ou intrinsèques ; mais aussi par
certains autres phénomènes éloignés ou extrinsèques, sur lesquels nous
allons dire quelques mots.
Pour ce qui est du cœur, on comprend tout de suite comment il tra-
duit son état de souffrance [>ar les perturbations du pouls, par le reflux du
sang dans le système veineux (pouls veineux), par des bruits de souille
vasculaires, par des congestions viscérales, de Vœdèmë, des épanche-
menls séreux, par le goitre exophlhalmique (maladie de Basedow), par
['albuminurie, par la cachexie dite cardiaque, etc.
Un anévrysme de la crosse de V aorte déterminera, en comprimant le
nerf récurrent, de l'aphonie; la branche ascendante du grand sympa-
thique, la contraction permanente de l'une des pupilles (Vog. Aorte,
p. 769), etc.
Quant aux maladies de l'appareil respiratoire, elles s'annoncent assez
souvent, indépendamment de la dgspnéc et des signes propres à Vas-
phgxie, par quelques caractères spéciaux, tels que la rougeur des pom-
melles (A. Gubler, 1857), les doigts hippocra tiques, etc. Parlerons-nous
de l'herpès labialis, qui se montre du quatrième au cinquième jour de
la pneumonie franche, à titre de phénomène critique, cl qui, apparais-
sant quelquefois seul, accompagné ou non de fièvre et de point de côté,
fait songer aux cas frustes de celte affection? Est-il nécessaire de men-
tionner les sueurs nocturnes des plitliisiqucs?
Inversement ne voyons-nous pas s'éveiller l'idée de certaines affections
thoraciques, alors que le loyer primitif du mal est ailleurs qu'à la poi-
trine? Telle est la signification de la toux gastrique, de la toux vermi-
neuse, de la phlhisie secondaire dans l'ulcère simple de l'estomac, à la
suite des tumeurs blanches suppurées, etc. Enfin, n'existe-t-il pas un acci-
dent de la plus extrême fréquence, qui se montre comme fait terminal
dans la plupart des maladies auxquelles l'homme succombe? Nous vou-
lons dire le catarrhe suffocant, sur lequel nous avons, d'autre part, donné
tous les détails désirables (Vog. t. V, p. 553).
Nous n'abandonnerons pas ce sujet sans mentionner les rapports qui
peuvent s'établir entre le larynx' et le reste des voies respiratoires et par
là on comprend comment l'emploi du laryngoscope est utile pdur éluci-
NODV. DICT. Mtll. El Clllli. XXVIII — VJ
674 POITRINE. — séméiolouii;.
dcr le diagnostic de certaines alTections thoraciques. Il montre, par la
paralysie de l'une ou de l'autre des cordes vocales, s'il y a compression
du nerf récurrent correspondant; ou bien si les lésions du larynx sont de
nature à faire redouter quelque complication du côté du parenchyme pul-
monaire : c'est ce qui a lieu, en effet, pour certains cas de phthisic tuber-
culeuse, qui débutent par la phthisie laryngée.
III. Revue séméiologique des affections de la poitiune. — Les différents
signes d'ordre pathologique que nous venons d'étudier, se groupent en
plus ou moins grand nombre et de diverses manières, pour constituer l'étal
morbide des organes thoraciques. Sans prétendre exposer ici toute la
symptomatologie de cette région compliquée qu'on appelle la poitrine,
nous allons, d'un coup d'œil rapide, parcourir les principaux groupes
symptomatiques fournis par les méthodes dont il a été question plus haut,
et tels qu'ils se manifestent au lit des malades.
Laissant de côté les affections rares qui peuvent atteindre les organes
secondaires contenus dans le thorax, tels que l'œsophage, le canal thora-
cique, les vaisseaux et les nerfs, qui ne font, du reste, que le traverser,
nous aurons surtout égard aux deux grands appareils de la circulation et
de la respiration.
Le premier de ces appareils comprend lui-même le cœur et les gros
vaisseaux qui y aboutissent : d'où une division importante à établir.
Les maladies du centre circulatoire ont des caractères qui leur sont
communs, et d'autres qui les distinguent les unes des autres. Au groupe
des signes communs se rattachent : l'impulsion précordiale, qui fixe les
idées sur le véritable siège du cœur, cette impulsion étant d'ailleurs aug-
mentée ou diminuée suivant le cas. L'inspection de la région cardiaque
fait voir s'il existe ou non une voussure précordiale. Une matité à la per-
cussion lui correspond, et montre si le volume de l'organe est au-dessus
ou au-dessous de l'état normal. L'application de la main permet de sentir
s'il y a ou non du frémissement cataire ; et les rapports de ce frémisse-
ment, quand il se produit, avec la systole ou la diastole, éclairent déjà la
question des lésions d'orifices et de valvules. L'auscultation vient à son
tour donner de la précision à ce premier soupçon, ou bien révèle d'em-
blée l'existence des bruits anormaux, leurs maxima, leurs relations avec
tel ou tel temps de la révolution du cœur, leur force, leur prolonge
ment, etc.; mais déjà elle avait indiqué les altérations des bruits normaux,
dans leur netteté, dans leur intensité, dans leur fréquence et dans leur
rhythme. Enfin les signes extrinsèques, exceptionnellement importants
ici, résultent de l'auscultation des vaisseaux, de l'examen du pouls par le
doigt ou avec le sphygmographe. Puis tout cela aboutit à une perturba-
tion complète de la fonction cardiaque, à Vltàjjslolie, groupe des phéno-
mènes ultimes par lesquels s'achèvent les maladies du cœur, en général.
Au milieu de tous ces désordres, il importe assez peu de savoir à quelle
lésion d'orifice ou de valvule on a affaire. En dehors de telle ou telle par-
ticularité acecessoire, il existe une maladie type du cœur qui les résume
toutes; et ce qu'il importe avant tout de savoir au point de vue thérapeu-
POITRINE. — siÔMiîioi.oGiE. HT.'.
tique, et cela d'après Stokes principalement, c'est l'état de la libre muscu-
laire cardiaque, le degré de son épuisement et la nature de son altération.
Parmi les cas spéciaux de l'affection cardiaque, on voit se dégager deux
affections : la péricardite et l'insuffisance aortique. Elles seules sont assez
caractérisées pour mériter un diagnostic à part, et comportent des indica-
tions particulières. La première se reconnaît à la vaste étendue de la ma-
tité précordiale, à la voussure qui y correspond; en même temps que les
bruits du cœur s'éloignent et s'éteignent. Quant à la seconde, qui entraîne
aussi un certain degré de voussure, elle est suffisamment spécifiée par le
souille diastolique et le double souille intermittent crural, en rapport
assez naturel avec la qualité du pouls constatée. Mais les détails cliniques
de ces deux maladies seront mieux à leur place dans les articles où l'on
traite des maladies du cœur, et on devra les y rechercher.
Les affections les plus remarquables des gros vaisseaux sont les ané-
vrysmes de l'aorte thoracique. Bornons-nous au tableau symptomatique
de ce genre de lésion : il nous servira de type. On sent dans la poitrine
comme un second cœur (Stokes), c'est-à-dire qu'il y existe un autre centre
d'impulsion que le cœur. A ce niveau, tumeur délimitée par la percus-
sion, frémissement cataire, souffle systolique; puis voussure par perfora-
tion de la paroi thoracique, précédée ordinairement de phénomènes de
compression sur les organes circonvoisins, acquérant parfois une signi-
fication très-précise, et éclairant le diagnostic d'un jour tout nouveau
(Voy. Aorte, p. 757). Puis arrivent les différents cas de rupture, parmi
lesquels le plus remarquable amène la formation d'un auévrysme arté-
rioso-veineux (Aorte, p. 776). Enfin nous ne serions pas complet si,
aux anévrysmes de l'aorte, nous n'opposions pas ceux du tronc brachio-
céphalique artériel : ce qui constitue un cas de diagnostic très-intéressant
(loc. cit., p. 780).
L'appareil respiratoire se partage en trois départements bien distincts,
ayant leurs maladies propres; à savoir : les bronches, le parenchyme
pulmonaire et la plèvre.
Les affections des bronches se caractérisent par la conservation du
murmure vésiculaire et de la sonorité thoracique à la percussion, phéno-
mènes négatifs; et, comme phénomènes positifs, par des*bruits tout à
fait anormaux, qu'on appelle des râles, qui sont secs ou humides, qui
sont gros, moyens ou fins, qui sont confluents ou discrets {Voy. Auscul-
tation, p. 135) ; par de la toux, par une expectoration successivement
muqueuse, muco-purulente, ou bien séreuse, ou bien hémoptoïque, etc.;
par une dyspnée modérée, sauf dans ce de<n-é extrême qui constitue le
catarrhe suffocant. (Voy. ce mot, p. 554). Ces signes se rapportent sur-
tout à la catégorie si nombreuse des bronchites; ils se compliquent
bientôt de ceux qui annoncent une altération plus avancée des conduits
aériens; tels que la dilatation, l'emphysème vésiculaire, etc. On constate
alors des phénomènes qui sont en rapport avec l'existence, au sein du pou-
mou, de cavités plus ou moins spacieuses (cavernes) ; ou avec la perte de
l'élasticité des bronchioles et des cellules pulmonaires (ampliation du
11711 l'OlTHlNE. — SKHÉIOI.OCIK.
thorax, expiration prolongée, etc.). L'expectoration se modifie suivant les
circonstances, et la respiration s'aliectt; juscju'à revêtir les apparences de
['àsthfne.
Tour le parenchyme propre du poumon, il se présente comme lésion
deux cas principaux : Y ëngoueme'nt et Y induration.
V engouement, ou hypérémie pulmonaire, se montre au début du pro-
cessus inllaminatoire (pneumonie), autour des noyaux apoplectiques et
néoplastiques, clans la lluxion œdémateuse, et dans l'état dit hyposta-
tique. Un signe décisif le caractérise, le râle crépitant, plus ou moins
lin et humide. Au même moment, la percussion ne fournit encore que
des résultats négatifs.
U induration s'appelle hépalisalion dans la pneumonie; dans les
autres cas, elle est constituée par des néoplasmes variés. Ses caractères
sont : la suppression du bruit normal de la respiration, son remplacement
par du souffle tubaire; de même le retentissement habituel de la voix tho-
racique devient de la bronchophonie ; la percussion donne ordinairement
de la matité, mais avec persistance d'une certaine élasticité sous le doigt;
les vibrations thoraciqucs sont plutôt augmentées. L'expectoration varie :
dans la pneumonie, elle est pathognomonique. Exceptionnellement, au
niveau de certains noyaux d'induration placés près de la surface du pou-
mon, et établissant la continuité entre les bronches encore béantes et la
paroi pectorale, on entend les bruits d'auscultation et de percussion
propres aux excavations et même à l'amphorisme {Voy. AuscrjLTATiOH,
p. 125, et Peuccssion, p. 559 et 564). Les phénomènes extrinsèques sont
trop inconstants pour qu'on puisse les mentionner dans une étude géné-
rale.
Au milieu de ces affections de parenchyme se dislingue la tuberculose,
remarquable par les deux phases qu'elle présente dans son évolution : se
manifestant par les signes de l'induration durant la première, et par ceux
des excavations dans la période suivante. De plus, les troubles de l'en-
semble de l'organisme acquièrent ici leur maximum d'intensité.
Pour la plèvre, il se rencontre deux cas, suivant que le mal aboutit à un
épanchement liquide, ou bien à un épanchement gazeux. Ajoutons à cela
(pie les deux sortes d'épanchement peuvent se montrer réunis. En dehors
de ces circonstances, où un fluide amène l'écartement des feuillets pleu-
raux, les lésions de la séreuse s'annoncent par un frottement perceptible
au toucher et à l'ouïe : tel est le frottement qu'on remarque au début et
à la Gn de la pleurésie aiguë, et qui se termine par une adhérence défi-
nitive entre les deux surfaces adjacentes.
L' épanchement. liquide a pour caractères : l'extinction progressive du
murmure respiratoire, l'apparition dans l'expiration d'abord d'un bruit
de souffle doux, le retentissement égophonc de la voix llioraciquc sur
une limite variable, en attendant qu'elle se supprime tout à fait; une
matité décisive sans élasticité à la percussion ; la disparition des vibra-
tions de la voix thoracique ; l'ampliation de la cavité pleurale correspon-
dante, récartement des espaces intercostaux, l'accroissement du périmètre
POITlilXK. — SÉMÉIOI.OGIE.
077
de la poitrine à la mensuration ; puis comme signes accessoires : le point
de côté intense, le décubitus latéral, et successivement sur le côté sain
et sur le côté malade. A la période de progrès de l'affection succède une
période de retour, marquée par la résorption de l'épanchement, la néap^
parition du frottement pleural, et définitivement la rétraction de tout le
côté affecté, qui reste comme une marque indélébile du mal primitif,
et coinpromel à jamais l'intégrité de la fonction, Exceptionnellement
encore apparaissent, dans certains épancheincnls qui n'ont pas tout à fait
effacé les cavités bronchiques, les souffles pseudo-caverneux et pseudo-
amphorique, et surtout le bruit de pot fêlé (bruit de Skoda), vers les
parties où le poumon est en quelque sorte réfugié.
La distinction entre les divers épanchements liquides, séreux, séro-
purulents, purulents et hémorrhagiques, rentre dans le cadre des traités
spéciaux de pathologie.
Quant aux épanchements gazeux, ils sont habituellement mixtes,
liquides et gazeux, et ont leur type dans V hgdropneumothorax par fistule
broncho-pleurale. Ici se font entendre les bruits les plus intenses de
l'auscultation et de la percussion, remarquables surtout par leur timbre
métallique : souille, voix, toux, râles, bruits du cœur, bruits de déglu-
tition, choc à la percussion, etc., tout retentit ampboriquement, avec un
écho argentin; et le phénomène apparaît plus éclatant encore, si c'est
possible, par la succussion hippocratique, qui suscite tout un Ilot do
vibrations sonores, dont la perception au sein de l'organisme semble tou-
jours si singulière.
A la. suite de ces affections d'un organe déterminé de la poitrine, il
nous reste à mentionner certains groupes symptomatiques dont le point
de départ et le siège ne sont plus aussi bien définis. Nous citerons parti-
culièrement : la pleurodynie, Vdsthme, Vangine de poitrine, et enfin
les tumeurs du médiaslin.
La pleurodynie parait au premier abord un cas assez distinct, en tant
que douleur de côté et manifestation rhumatismale sur les muscles inter-
costaux. De plus, elle fait souvent partie d'un groupe symploniatique,
assez remarquable par sa physionomie et par sa fréquence : fièvre, pleu-
rodynie ou point de côté, herpès labialis; n'est-ce pas là une petite
maladie de tous les jours, qui laisse peu de place à l'inconnu? Cependant,
en allant au fond des choses, on trouverait peut-être un autre sens à celle
expression morbide. Sans compter les cas frustes de pneumonie franche qui
affectent une pareille allure, il faut encore songer à la possibilité de petites
pleurésies partielles, simplement adhésives; à des péricardites également
limitées et fugaces, et môme à des endocardites entièrement latentes et
méconnues. C'est ainsi que Cruveilhier rendait compte de ces adhérences
multiples, qu'on rencontre dans mainte autopsie d'individus qui sem-
blaient n'avoir eu aucune pleurésie dans le cours de leur existence. On
comprend aussi pourquoi il y a si peu de cœurs qui ne présentent pas
à leur surface des plaques laiteuses, comme, traces d'anciennes péricar-
dites ; et comment, en un mol, il est si rare d'observer un centre circula-
078
POITRINE: — sÉMÉioLociÉ.
ÏOÎfe loul à fait intact chez l'homme qui a dépassé l'âge moyen de la vie,
et même plus jeune encore. De telle sorte que la plus légère affection
a frirjore, accusée par du frisson, du malaise, de la courbature, avec
douleur sous-costale ou précordiale, et suivie ou non d'une crise appa-
rente, correspondrait toujours à quelque pleurésie ou erido-péricàrdite,
si insignifiante qu'on voudra le supposer, mais d'une réalité indiscutable.
Le pronostic de ces petites indispositions, qui se montrent et disparaissent
si vite, change donc du tout au tout , et engage l'avenir plus qu'on ne le
croit.
V asthme est également une de ces affections dont le sens est multiple
(Voij. ce mot). Caractérisé par une dyspnée d'une grande violence et
intermittente, il apparaît aussi bien comme l'expression d'un trouble car-
diaque qu'à titre de maladie des voies respiratoires. Du reste, au point de
vue pathogénique, il est tantôt primitif et tantôt secondaire, par rapport
à chacune de ces deux grandes fonctions qu'on appelle la respiration et la
circulation. D'une part, la gène à la circulation intra-cardiaque, dans les
lésions de valvules et d'orilices, provoque le désordre convulsif des mou-
vements respiratoires ; et, d'autre part, la perversion de l'acte de la res-
piration entraîne réciproquement des modifications graves dans le fonction-
nement du cœur. De toute façon, ce sont les dérangements de l'appareil
pulmonaire qui dominent dans l'asthme ; ce trouble, simplement phvsio-
logique d'abord, aboutit en dernier lieu au relâchement et à l'arnpliation
des conduits de l'air et des vésicules qui les terminent, et s'accompagne
bientôt d'un catarrhe soit sec, soit pituiteux. Sous d'autres noms, c'esl là
l'emphysème pulmonaire et la bronchite à râles vibrants ou humides,
suivant le cas ou la période de la maladie. Si le mal s'était plus particu-
lièrement fixé sur le cœur, nous aurions eu l'hypertrophie comme pre-
mier terme, et l'asystolie pour aboutissant. Inutile d'ailleurs d'insister
sur la symptomatologie de l'asthme ; il a son histoire particulière à l'en-
droit indiqué.
De même X angine de poitrine n'a point tout d'abord de siège anatomi-
que parfaitement déterminé. Simple trouble fonctionnel au départ, elle
apparaît à l'arrivée comme expression symplomatique des lésions du cen-
tre circulatoire les plus évidentes et les plus graves : dégénérescence de
la fibre cardiaque, opacités et indurations valvulaires, dilatations et alhé-
rornes de l'aorte à son origine, adhérences partielles des deux feuillets du
péricarde, etc. : tout est possible, sans être inévitable au fond, puisqu'il
y a des angines de poitrine en dehors de toute altération matérielle re-
connue. La révélation clinique de la maladie est tout entière dans le
siège, l'intensité et la nature d'une certaine douleur, dans ses irradiations
définies, dans la dyspnée et l'angoisse qui s'ensuivent, et dans une
brusque terminaison par la mort [Voyi Angine de POITRINE).
Les tumeurs du médiastin méritent de nous occuper, moins par elles-
mêmes que par les causes d'erreur qu'elles provoquent, en donnant
l'idée de certaines maladies thoraciques qu'elles simulent et qui n'exis-
tent pas. Tantôt, sous la forme d'adénopathie péri-bronchique, elles dé-
POITRliNK. — SÉMÉIOI.OGIE.
(579
terminent des phénomènes de compression sur les bronches elles-mêmos,
sur les nerfs qui les avoisinent, sur les gros troncs veineux qui se rendent
au cœur, etc., et font croire à des anévrysmes de la crosse de l'aorte et
de l'aorte descendante. Tantôt, à titre d'encéphaloïde du rhédiastin an-
térieur, agissant sur la paroi thoracique et lui transmettant les battements
du cœur, elles éveillent l'idée d'affections cardiaques propres et encore
d'anévrysmes aortiques. Les abcès rétro-sternaux rentrent dans le même
cas, et apportent aussi leur contingent de difficultés. iMais le diagnostic
est à peu près assuré, par céla même que l'attention est fixée sur ce point,
les caractères différentiels étant suffisamment tranchés entre tous ces cas.
Nous ne serions pas complet, si nous ne tenions pas compte d'affec-
tions d'organes extra-thoraciques, qui retentissent secondairement sur les
fonctions intra-tboraciques. Ainsi, les maladies du larijnx, surtout les
occlusions de la glotte, altèrent le murmure vésiculaire jusqu'à le sup-
primer : l'aphonie ne permettant pas non plus de reconnaître certains
bruits d'auscultation fournis par la voix propagée au travers de la poi-
trine, etc. (Voy. Auscultation, p. 148). Du côté de l'abdomen, nous
voyons le tympanisme poussé à l'extrême, les epanchemenls périio-
néaux considérables, les vastes tumeurs émanées du bas-ventre, etc.,
refouler le diapbragme vers le haut, et troubler l'action du cœur et des
poumons. Le fait le plus constant est une dyspnée, qui est souvent exces-
sive et même parfois mortelle. Le rhythme des mouvements respiratoires
est également influencé ; l'expiration perd peu à peu de sa prédominance,
et il arrive même que dans la péritonite elle devient plus courte que
l'inspiration (Fr. Sibson, 1848). Cette dyspnée abdominale est de nature
à susciter des indications urgentes, lorsque l'on voit, par exemple, chez
les animaux herbivores, le météorisme amener des accidents si fréquents
et si graves. Pour ce qui est de l'homme, il y a lieu, dans le cours de
certaines fièvres typhoïdes, de conjurer un danger du même ordre, et par
le moyen très-simple de la ponction capillaire : nous parlons ici d'après
notre expérience personnelle.
Enfin, et d'une façon bien plus indirecte encore, il existe des maladies
qui provoquent des troubles fâcheux, soit de la circulation, soit de la res-
piration, par la voie nerveuse. C'est ainsi que se produit parfois la syn-
cope, et que dans d'autres circonstances le rhythme respiratoire se trouve
entièrement bouleversé : le rapport entre l'inspiration et l'expiration se
renversant de 5 : 1 dans V hystérie, et même de 9 : 1 dans la chorée ;
lorsqu'on sait qu'à l'état normal ce rapport est de 1 : 4, et que dans la
pneumonie il ne s'abaisse pas au-dessous de 1 : 1,25 (W. Walshe, 1870).
Mais, à cette limite, nous touchons aux détails delà pathologie spéciale,
et nous devons nous arrêter là où finissent les généralités de notre sujet.
Nota. — Consultez la bibliographie des articles : Aorte, Auscultation," Cardiographie, Cu:ur,
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A. Luton.
Pathologie chirurgicale. — Les affections chirurgicales des or-
ganes contenus dans la cavité thoracique (poumons, cœur, aorte, œso-
phage) appartiennent à la pathologie spéciale de ces organes ; elles sont
décrites, par suite, dans les articles consacrés à chacun d'eux, à côté des
maladies qui sont du domaine de la pathologie médicale. Il en est de
même de celles qui ont leur siège dans le diaphragme, le sternum, les
côtes et les mamelles. Nous nous bornerons donc ici à envisager les lé-
sions traumatiques et les maladies chirurgicales de la poitrine au point
de vue de leurs caractères généraux et des principales variétés cliniques
qu'elles peuvent offrir, en insistant uniquement sur les détails qui n'ont
pu trouver leur place dans l'étude particulière des organes.
[. Lésions traumatiques . — Ce qui donne aux lésions traumaliques des
parois de la poitrine leur physionomie propre, c'est la nature des organes
que ces parois abritent. Il en est tellement ainsi que les plaies non péné^
Irqntes ne diffèrent des plaies des autres régions que par un petit nombre
de caractères d'une importance restreinte. Le fait seul de la pénétration
entraîne, au contraire, des conséquences dont la moindre présente une
gravité incontestable. Un épanchement d'air ou de sang dans la cavité
pleurale, dans le péricarde ou dans le médiastin, la blessure, ordinaire-
ment concomitante, du poumon ou du cœur, la lésion de l'œsophage
ou de l'un des gros troncs vasculairës, constituent des complications tou-
jours sérieuses, quelques-unes promptement mortelles. De même, sans
qu'il y ait plaie extérieure, une fracture décote présentera plus ou moins
de gravité suivant que la plèvre sera ou non déchirée.
Cette distinction fondamentale qui établit une sorte de dualisme entre
les lésions traumatiques de la poitrine, doit toujours être présente; ;'i
l'esprit, même lorsqu'il s'agit d'une simple contusion. Le hasard a uns
récemment sous nos yeux un fait exceptionnel qui nous semble traduire
celte distinction d'une manière saisissante. Un soldat du 28" régiment du
train d'artillerie, qui conduisait une prolonge lourdement chargée, dont
le poids dépassait un millier de kilogrammes, ayant voulu serrer le frein,
avait glissé sur le sol, et, dnns sa chute, avait eu la poitrine engagée sous
une des roues de l'avant-train. La trace de la roue qui avait pris le tronc
m écharpe était indiquée par une traînée rouge qui s'étcndaitde la partie
latérale gauche du thorax, un peu au-dessous de l'aisselle, à l'hypo-
POITRINE.
LÉSIONS THAIIMaTIQUKS. CONTUSION.
chondre droit. A jyriori, on pouvait admettre, comme vraisemblables,
malgré le peu de gravité de la blessure extérieure, les diverses lé-
sions des organes internes qui ont été signalées dans des cas analogues;
la notion seule de la cause vulnérante était suffisante pour justifier un
pronostic très-grave. Il n'en lui rien néanmoins. Le blessé éprouva, pen-
dant quelques jours, des douleurs assez vives localisées dans la paroi
thoracique, et exaspérées par les mouvements respiratoires. Ces douleurs
s'amendèrent progressivement ; l'ecchymose, qui était très-étendue, se
termina par résolution, et, après une dizaine de jours de traitement, le
malade quittait l'hôpital dans un état satisfaisant. La contusion de la paroi
thoracique n'avait pas été pénétrante, s'il nous est permis d'étendre ainsi
l'acception ordinaire de ce mot.
Dans la pratique, le problème qui se pose, en présence d'une blessure
de la poitrine, peut donc se formuler de la manière suivante : étant donné
le siège de la blessure, étant supposés connus la nature et le degré de
puissance de l'agent vulnérant, ainsi que la direction suivant laquelle il
a agi, déterminer: 1° les lésions qu'il a produites dans les parties molles
de la paroi, dans le thorax osseux, dans les organes de la cavité ; 2° les
conséquences probables qui peuvent en résulter; 5° la conduite à tenir.
Lésions des parties molles des régions thoraciques, lésions du thorax
osseux, lésions des organes de la cavité, tels sont, en résumé, les trois
groupes de faits dont' les combinaisons multiples constituent les variétés
cliniques des blessures de la poitrine.
Les nécessités de l'ordre alphabétique ne permettent pas, dans un dic-
tionnaire, d'embrasser tous ces laits dans une description d'ensemble,
comme peut le l'aire un traité didactique; ils sont, au contraire, par la
force des choses, disséminés dans un grand nombre d'articles spéciaux.
Il nous reste donc uniquement à montrer le lien qui les unit, à en pré-
senter une sorte de tableau synthétique, en prenant comme point de dé-
part les lésions des parties molles des parois, dont la description trouve
ici naturellement sa place, et en y rattachant, à titre de complications,
les divers ordres de lésions dont le lectenr trouvera la description séparée
dans les articles suivants : Aorte, t. II ; Cœur, t. VIII ; Côtes, t. IX :
Diaphragme, t. XI; Emphysème, t. XII; Médustln. t. XXII; Œsophage.
t. XXIV; Péricarde, t. XXVII; Plèvre, t. XXX III ; Toemon, Sternum.
A. Contusion. — Ce terme général s'applique à des lésions très-
variées qui peuvent offrir tous les degrés de gravité, depuis la simple
ecchymose des parties molles jusqu'à la désorganisation profonde et
presque instantanément mortelle des organes thoraciques.
Tantôt, en effet, l'action de la cause vulnérante s'épuise sur les parties
molles extérieures ; tantôt elle produit, en même temps, des fractures et
plus rarement des luxations des pièces osseuses; d'autres fois, enlin,
alors que les parois restent intactes, le cœur, les poumons, le diaphragme
peuvent être déchirés, rompus, broyés, et la vie s'éteint, soit par la ces-
sation de leur action, soit par suite de la production d'une hémorihayie
interne cl d'un vaste épancheinenl.
POITRINE. LÉSIONS TRAUMATIQUES. CONTUSION.
Les causes si variées qui peuvent produire ces effets ont deux modes
d'action principaux: elles agissent par choc ou par compression. Au pre-
mier de ces deux modes se rattachent les projectiles de tout genre, et,
d'une manière générale, les objets extérieurs animés d'une certaine vitesse,
la propulsion de uotre propre corps contre ces objets, les chutes d'un lieu
plus ou moins élevé, etc. Dans le deuxième se rangent les éboulemcnts de
terrain, le passage d'une roue de voiture, les écrasements au milieu des
foules, le rapprochement de deux wagons, etc. 11 est facile de se rendre
compte de la puissance d'action de quelques-unes de ces causes et des
conséquences si graves qu'elles produisent. Ce qu'il est moins aisé de
comprendre, c'est que certaines lésions profondes puissent coïncider avec
l'intégrité, au moins apparente, des parties molles extérieures et des par-
ties osseuses sous-jacentes. Les faits de ce genre, qui présentent la plus
grande analogie avec ce qui se passe parfois du côté de l'abdomen,
avaient frappé les anciens qui, dans l'impossibilité d'en donner une expli-
cation satisfaisante, avaient édifié là-dessus la théorie si connue du venl
du boulet. On sait que les nécropsies ont mis à néant cette hypothèse
spécieuse et que, d'ailleurs, les observations recueillies en dehors de la
chirurgie d'armée ont rendu à tous les faits du même genre leur véritable
interprétation. La seule explication qu'on puisse en donner repose tout
entière sur l'extrême élasticité de la peau et des parois osseuses du thorax,
qui se dérobent, pour ainsi dire, en cédant à la pression du corps vul-
nérant, et la transmettent aux parties profondes.
11 existe enfin une dernière catégorie de faits dont l'interprétation
laisse encore plus à désirer; ce sont ceux dans lesquels on observe une
disproportion énorme entre l'énergie de la cause vulnérante et l'insigni-
liance des lésions produites. Nous en avons cité plus haut un cas remar
quable; certains exemples de chutes faites d'une assez grande hauteur,
sans être suivies d'accidents graves, ont donné lieu à des observations
analogues. Dans le cas spécial d'une voiture à quatre roues dont l'une
passe impunément, pour ainsi dire, sur la poitrine d'un individu couché
à terre, il semblerait que, dans certaines conditions (d'égalité du sol
peut-être), la charge tout entière se répartit sur les trois autres roues,
(suffisantes pour maintenir la -voiture en équilibre), de façon que la qua-
trième roue, soulevée par la résistance du corps qu'elle rencontre, n'agit
plus sur ce dernier que par son propre poids. A l'appui de cette hypothèse,
nous pourrions invoquer le cas d'un autre blessé, qui avait été renversé
par un omnibus, et sur le bras duquel une des roues avait passé, en y
produisant une violente contusion des parties molles sans fracture.
Quoi qu'il en soit, la conclusion qui ressort de ces divers faits, c'est
qu'il est impossible, à priori, d'établir une relation exacte entre l'inten-
sité de la cause vulnérante et les lésions produites. La notion de la cause,
quelle qu'elle soit, ne peut fournir que des présomptions; l'observation
des symptômes locaux et généraux, la marche ultérieure de la blessure
sont, en définitive, les vrais éléments du diagnostic.
A l'élat simple, la contusion des parties molles du thorax présente
68-4 POlTIWiNE. — LÉSIONS thaumatiqijes. contusion.
peu d'intérêt. Klle ne se distingue des lésions analogues des autres
régions que par un certain degré de gêne respiratoire et par une dou-
leur constante, plus ou moins vive, qu'exaspèrent toujours les mouve-
ments du thorax. Cette douleur peut, dans certains cas, rendre le dia-
gnostic incertain; elle éveille l'idée, soit d'une lésion interne, soit d'une
fracture de côte, dont la constatation n'est pas toujours facile, chez les
sujets chargés d'embonpoint, par exemple. L'incertitude n'est pourtant
pas de longue durée; la douleur qui reconnaît pour cause unique la
contusion s'amende promptement sous l'influence du traitement, ou
parce que le blessé s'habitue peu à peu à immobiliser d'instinct la paroi
thoracique.
L'ecchymose, primitivement localisée à la région blessée, s'étend
généralement au delà, par suite de la disposition lamelleuse des parties
molles du thorax. Elle se termine ordinairement par résolution ; excep-
tionnellement, elle peut être le point de départ d'un phlegmon; mais
presque toujours, dans ce cas, il existe une lésion concomitante de la
paroi osseuse, une périostite ou une ostéite, dont l'évolution se fait avec
lenteur.
Les indications thérapeutiques se résument dans l'emploi des résolu-
tifs, des émollients et, quelquefois, des antiphlogistiques locaux, mais
surtout dans le repos, aidé d'une légère compression et de l'immobili-
sation du thorax. Un des moyens les plus pratiques d'obtenir cette immo-
bilisation consiste dans l'application de larges bandelettes de diachylum
assez longues pour faire plusieurs fois le tour de la poitrine, qu'on
enroule autour de la partie contusionnée et qu'on fixe à leur extrémité
terminale par des épingles, comme on le ferait d'une bande ordinaire.
On peut, en outre, soutenir ce pansement par quelques tours de bande
dextrinée ou silicalée. Ce moyen a l'avantage de convenir également
dans le cas où l'on soupçonnerait une fracture de côte simple, dont le
diagnostic n'aurait pu être établi d'une manière certaine.
Lorsqu'il y a une fracture manifeste d'une ou de plusieurs côtes ou
du sternum, la contusion du thorax devient l'élément accessoire, et son
traitement se confond avec celui de la fracture et des complications que
celle-ci peut entraîner. (Voy. Côtes, fractures), t. IX, pages 536, et
Sternum).
Il en est de même, à fortiori, lorsque la nature de la cause trauma-
tique et surtout l'apparition de certains symptômes (emphysème, hémo-
ptysie, collapsus général, dyspnée intense, etc.) font soupçonner l'exis-
tence d'une de ces lésions internes si graves dont nous avons parlé plus
haut. Là contusion des parties molles s'efface alors, d'une manière
absolue, devant la lésion principale; c'est celle-ci qu'il s'agit de recon-
naître d'abord, dans les cas qui ne sont pas promptement mortels; c'est
elle également qui devient la source des indications thérapeutiques
(Voi/. Cœvr, ruptures, t. VIII, p. 542: Diaphragme, déchirures, t. M.
p. 562, et Poumons, pathologie chirurgicale).
Il est néanmoins une remarque à faire à ce sujet. Certains individus,
POITRINE. —
PLAIKS NON PÉNÉTRANTES.
G85
prédisposés à la syncope, peuvent, dans un cas de simple contusion du
thorax-, sous l'influence du choc reçu et de l'émotion, présenter, au
moment même de l'accident, des symptômes (pâleur, petitesse du pouls,
refroidissement, perle de connaissance) susceptibles d'en imposer et de
l'aire croire à l'existence d'une lésion grave. Il suffit d'être prévenu de la
possibilité d'une confusion de ce genre pour l'éviter. D'ailleurs, les phé-
nomènes de syncope s'amendent rapidement sous l'influence des moyens
communément usités, tandis que les accidents dus aux lésions internes
vont généralement s'aggravant et se caractérisant de plus en plus.
B. Plaies non pénétrantes. — Le plus ordinairement, ces plaies ont
un caractère de simplicité qui exclurait presque la pensée d'une des-
cription particulière ; d'autres fois, cependant, elles présentent certaines
complications ou, tout au moins, quelques phénomènes particuliers qui
méritent d'être signalés.
Pour s'en rendre compte, il est utile d'avoir présentes à l'esprit cer-
taines notions relatives à la constitution anatomique et aux usages des
parois de la poitrine. Ainsi la l'orme convexe des surfaces explique la
facilité avec laquelle les corps vulnérants, dirigés obliquement, glissent
dans l'épaisseur des parois; de là résultent des plaies d'une gravité rela-
tive moindre, qui gagnent en surface ce qu'elles perdent en profondeur.
La disposition lamelleuse des couches molles permet la diffusion du sang
épanché et des produits de l'inflammation. La situation superficielle du
squelette sur une assez grande étendue rend compte de la fréquence des
lésions osseuses concomitantes. La mobilité des parois, enfin, indépen-
damment du rètard qu'elle apporte souvent à la marche de la cicatrisa-
tion, peut être la source de quelques complications susceptibles
d'embarrasser le diagnostic (douleurs exagérées, défaut du parallélisme
des diverses couches, emphysème, etc.).
Les plaies cutanées ressemblent le plus souvent à celles des autres
régions et ne méritent pas de mention particulière.
Quand la solution de continuité, tout en restant superficielle, atteint
en même temps une certaine épaisseur des muscles si puissants qui
s'attachent au membre supérieur, il en résulte un écartement notable de
ses bords, la difficulté de maintenir une réunion convenable, l'éventualité
d'une suppuration prolongée et d'une cicatrice adhérente qui peut devenir
une cause de gène dans les mouvements.
Lorsqu'un instrument piquant ou un projectile arrondi frappe oblique-
ment la paroi, il glisse fréquemment soit sous la peau, soit sous les
muscles, et produit une plaie dite en sëlon, dont les ouvertures d'entrée
et de sortie peuvent être séparées par un intervalle considérable. Ces
sortes de plaies n'ont pas de disposition à se réunir par première inten-
tion ; ici la suppuration est la règle et la cicatrisation s'opère généralement
avec une extrême lenteur.
Les plaies par instruments piquants, même celles qui s'accompagnent
d'un écoulement de sang médiocre, donnent souvent lieu, par suite de la
mobilité des parois et du défaut de parallélisme consécutif, à un thrombus
686
l'OlTUINE. l'I.AIES MIN l'KMh'lïA.NTKS.
([lie facilite la disposition lamclleuse des parties molles. Dans les cas
ordinaires, l'épancliement sanguin se résorbe peu à peu; mais, dans
certaines conditions défavorables, il peut être le point de départ d'un
phlegmon simple ou diffus qui exige une prompte intervention chirur-
gicale.
L'inflammation phlegmoneuse est encore plus à craindre quand il
s'agit de plaies contuses et surtout de plaies par armes à feu. Si l'on m:
se hâte d'en limiter la propagation par les moyens qne nous indiquerons
plus loin, il en résulte des fusées purulentes et des décollements étendus
qui constituent des accidents sérieux.
Les phénomènes que nous venons de signaler représentent les compli-
cations consécutives qui peuvent entraver la marche régulière de la plaie
la plus simple en apparence. Il est, en outre, des complicatious pri-
mitives qui peuvent, ainsi que leur nom l'indique, être observées dès le
début.
Nous ne mentionnerons que pour mémoire la douleur, dont il a été déjà
question ; car elle est un accident commun à la plupart des lésions trau-
matiques du thorax, et n'a pas, en conséquence, à moins de présenter une
intensité excessive, la valeur diagnostique qu'on serait tenté de lui attri-
buer relativement à la profondeur de la lésion.
1° L'emphysème a été signalé par la plupart des auteurs qui, depuis
J.-L. Petit, l'attribuent à l'infiltration de l'air extérieur aspiré, en quelque
sorte, par les bords de la plaie dans les mouvements qu'exécute le
thorax. Quelques-uns, cependant, ont nié la possibilité de sa production
dans les plaies non pénétrantes, et paraissent admettre plus volontiers,
dans ces cas, une erreur de diagnostic. Il est évident que l'emphysème ne
se produit ordinairement pas dans les plaies non pénétrantes largement
ouvertes; mais l'explication de J.-L. Petit est parfaitement salisfaisante,
lorsque ( l'ouverture est étroite, soit primitivement, soit par le fait du
gonflement inflammatoire, et que le trajet est oblique ou sinueux. A chaque
inspiration, les muscles superficiels s'écartent des côtes, 'et il en résulte
une sorte de vide qui attire l'air extérieur si l'ouverture est restée béante.
L'expiration qui suit tend à l'expulser; mais si l'étroitesse de la plaie,
l'obliquité du trajetet le défaut de parallélisme s'opposentà la sortie de l'air,
celui-ci s'infiltre de proche en proche dans le tissu conjonctif, si facile-
ment perméable aux liquides et aux gaz, qui remplit les espaces intermus-
culaires. Il suffit, d'ailleurs, pour en arrêter la propagation, d'exercer
une certaine compression aux environs de la plaie, ou même de fermer
celle-ci. L'emphysème n'en constitue pas moins une complication sérieuse,
moins par lui-même, car il est généralement dénué de gravité, que par
les doutes qu'il inspire au sujet de la non-pénétratioja de la plaie.
2° Lhémorrhaçiie atteint rarement des proportions inquiétantes, sauf
dans les plaies qui avoisinent l'aisselle. Il faul distinguer, d'ailleurs,
entre la cavité proprement dite et les régions environnantes ; car, bien que
les vaisseaux axillaircs et les troncs d'origine de quelques-unes des
branches qui en émanent soient en rapport avec les premiers espaces
POlTlïINK. — PLAI15S NON PKNliTRAKTISS. 087
intercostaux, leurs lésions font partie de la pathologie chirurgicale de
l'aisselle et ne sauraient rentrer dans notre cadre. Quelques rameaux des
branches thoraciques et scapulaires peuvent seuls être considérés comme
appartenant aux parois de la poitrine. Or, dans le voisinage de l'aisselle,
plusieurs de ces rameaux ont encore un calibre assez important. Il faut y
ajouter le tronc lui-même de l'artère thoracique longue ou mammaire
externe, qui appartient à la région latérale, et qui serait susceptible de
fournir une hémorrhagie sérieuse.
En dehors de la perte sanguine, les lésions de ce genre prédisposent,
pour les motifs déjà signalés, aux anévrysmes diffus et à toutes leurs
conséquences.
Quant aux artères intercostales, on conçoit théoriquement qu'elles
puissent être lésées, dans la région dorsale, par exemple* sans ouverture
de la cavité pleurale. Mais, comme elles sont immédiatement adjacentes
à la plèvre et qu'en outre, dans la plus grande partie de leur trajet, elles
ne peuvent guère être atteintes sans qu'il y ait fracture de la côte qui les
protège, ce qui entraine presque fatalement la déchirure de la séreuse,
leur lésion se rattache plus naturellement à l'étude des plaies péné-
trantes.
5° Des lésions osseuses diverses peuvent encore compliquer les plaies
non pénétrantes. Ainsi, le sternum, les cartilages costaux, les côtes peu-
vent être alieints soit dans leurs parties superficielles, soit dans toute leur
épaisseur. De là des ostéites et des périostiles qui sont une des causes les
plus fréquentes des abcès des parois thoraciques et des fistules qui leur
succèdent. La plaie peut s'ulcérer et devenir listuleuse, même sans qu'il
y ait eu abcès. Toutes ces inflammations osseuses ont une évolution très-
lenlc ; les plaies qui intéressent les cartilages, moins graves en apparence
<pie les plaies compliquées de lésion osseuse, mettent généralement plus
de temps encore à se cicatriser. Enfin les conditions s'aggravent naturel-
lement quand il existe une fracture ; mais celle-ci, dans le cas de plaie
extérieure, est rarement simple et s'accompagne, le plus ordinairement,
d'ouverture de la cavité pleurale. Quant aux fractures du sternum, nous
verrons plus loin qu'elles sont fréquemment le point de départ d'un
abcès du médias tin.
4° Il n'est pas rare de voir les plaies non pénétrantes compliquées de
la présence de corps étrangers, tels que : aiguilles implantées ou perdues
dans les chairs, pointes d'instruments piquants qui se sont brisés contre
les os, projectiles ayant contourné une partie de la paroi ou enclavés soit
dans le sternum, soit entre deux côtes, débris de vêtements repoussés
par ces derniers, sans compter, enfin, les esquilles osseuses qui jouent le
rôle de véritables corps étrangers. Ils sont, comme dans toute autre ré-
gion, plus ou moins mal tolérés, suivant leur nature et leur forme, par
les tissus où ils se sont ar rêtés ; les indications que leur présence en-
traîne sont les mêmes que partout ailleurs ; nous n'aurions donc rien de
particulier à ajouter ici si nous n'avions à signaler une l'ois de plus le
long trajet que des projectiles arrondis peuvent suivre, en contournant
CNN
POITRINE. — PI.AIUS NON PÉNÉTRÀKTBS,
les parois, et les difficultés qui en résultent soil pour les recherches , soit
pour l'extraction, surtout dans les cas où le corps étranger vient se loger
entre l'omoplate et la paroi thoracique.
5° Enfin, pour rendre aussi complet (jue possihle cet exposé sommaire
des diverses variétés que peuvent présenter les plaies non pénétrantes de
la poitrine, nous mentionnerons, pour mémoire, les lésions d'organes
internes. 11 est évident, en effet, qu'une plaie contuse pourra, sans être
pénétrante, offrir à ce point de vue les caractères de simplicité ou de
complication que nous avons signalés à l'occasion des contusions du
thorax.
Le diagnostic, le pronostic, les indications et le traitement des plaies
non pénétrantes découlent, en grande partie, des considérations que nous
venons d'exposer. La première question qui se pose estévidemment celle-ci :
La plaie est-elle pénétrante ou non? Comme nous aurons à étudier plus
loin les caractères plus ou moins nets, plus ou moins obscurs, suivant
les cas, de la pénétration, nous supposerons, pour le moment, la question
résolue dans le sens négatif. Faisons remarquer, d'ailleurs, que dans les
cas où il y a doute, ce point spécial n'a pas une importance pratique con-
sidérable, puisqu'il est généralement prescrit d'agir comme si la plaie
était pénétrante.
Ce qu'il est plus intéressant d'établir, après celte première constata-
tion sommaire, c'est l'état de simplicité ou de complication de la plaie.
L'arrêt de l'hémorrhagie, la recherche et l'extraction des corps étrangers
fournissent, comme dans toute lésion traumatique, les indications les
plus urgentes.
Le sang peut s'écouler à l'extérieur ou s'épancher entre les couches
musculaires, soit d'emblée, soit à la suite d'une compression provisoire
qui a obturé l'ouverture de la plaie. Lorsque le siège de la blessure, la
quantité de sang qui s'écoule ou le peu de volume de l'épanchement et
la lenteur avec laquelle il s'est produit, permettent de croire que le vais-
seau lésé est peu considérable, on peut se borner à établir une compres-
sion sur la plaie. Dans le cas contraire, il faut lier les deux bouts du
vaisseau, après avoir élargi et débridé la plaie, s'il est nécessaire.
La situation devient plus grave lorsque la blessure siège au voisinage
de l'aisselle. D'une part, leshémorrhagies y sont plus abondantes, et d'autre
part, la recherche et la ligature du vaisseau lésé y présentent de sérieuses
difficultés. Pour obvier au danger immédiat que court le blessé, on esl
souvent réduit à suspendre le cours du sang par la compression de la
sous-clavière sur la première côte, en arrière de la clavicule, et à limiter
par la compression exercée en même temps aux environs de la plaie,
sans pouvoir l'empêcher totalement, la formation d'un anévrysme diffus,
dont les conséquences, toujours graves, se développeront ultérieurement.
La recherche et l'extraction des corps étrangers rencontrent sou\cnt
aussi de sérieuses difficultés. Les cas sont trop variés pour qu'on puisse
songer à poser des règles de conduite précises; tout au plus est-il possible
d'en signaler un certain nombre à litre d'exemples.
POITRINE. — PLAIES NON PÉNÉTRANTES. 689
Ainsi, il est un genre d'accident qui se produit assez fréquemment,
surtout chez les femmes et les enfants ; c'est l'implantation d'une aiguille
à coudre dans la paroi thoracique. Dans les premiers moments qui suivent
la blessure, le corps étranger, même lorsqu'il a totalement disparu,
fait sous les téguments une saillie suffisante pour que l'extraction puisse
en être opérée sans trop de difficulté ; mais lorsqu'il s'est écoulé un
certain temps, ce qui est le cas ordinaire, et surtout lorsqu'on s'est déjà
livré à des tentatives infructueuses, il n'en est plus ainsi. L'aiguille, dans
ce cas, a subi le plus souvent un mouvement de bascule et s'est perdue
dans l'épaisseur des parties molles. L'exploration la plus minutieuse ne
fournit alors que des présomptions incertaines sur sa situation exacte, et
si on veut l'extraire, on est conduit à pratiquer une véritable dissection
des tissus qui exige l'emploi du chloroforme. Le plus souvent, en pa-
reille circonstance, l'abstention est imposée au chirurgien ; elle ne pré-
sente pas, généralement, d'inconvénienls sérieux. Tantôt le corps étranger
est toléré indéfiniment par les tissus où il subit une sorte d'enkystement ;
tantôt il se déplace peu à peu et, après avoir suivi un de ces longs trajets
dont on a signalé des exemples bizarres, il finit, au bout d'un temps va-
riable, par soulever la peau dans une région plus ou moins éloignée.
Les pointes d'instruments piquants qui se sont brisés dans un os de la
paroi thoracique n'offrent généralement pas de prise à l'extérieur. Lors-
qu'il s'agit du sternum, où la trépanation est facile à pratiquer et n'offre
pas plus d'inconvénient que le séjour prolongé du corps étranger lui-
même, on conseille généralement d'enlever ce dernier avec la virole
osseuse, dans laquelle il est implanté On peut hésiter, au contraire,
quand il s'agit d'une côte, et il est peut-être préférable, d'attendre, en
maintenant la plaie ouverte, que le corps ait été mobilisé par suite de
l'ostéite que provoque sa présence.
Ce sont surtout les plaies par armes à feu qui sont compliquées de la
présence de corps étrangers. Il faut donc ici se livrer à une exploration
d'autant plus minutieuse que le trajet parcouru par le projectile ou par-
les autres corps qu'il a entraînés est souvent très étendu. Dans ce cas,
il n'existe ordinairement qu'une seule plaie, et il est nécessaire de pra-
tiquer une contre-ouverture sur le point où la palpation, combinée
avec l'exploration par la plaie, révèle la présence du corps étranger.
Un fait spécial à la région thoracique, c'est l'enclavement possible
d'une balle entre deux côtes. Pour en pratiquer l'extraction, il faut
choisir le moment d'une forte inspiration qui agrandit l'espace intercos-
tal. On se sert d'un élévatoire ou de l'extrémité forte d'une spatule qu'on
introduit avec précaution en arrière du projectile de manière a ne pas
s'exposer à léser la plèvre. Quelquefois les projectiles sont perdus dans
les muscles du dos, ou sous l'omoplate, ou enlin dans la profondeur de
l'aisselle. Dans ces divers cas, les recherches et les manœuvres d'extrac-
tion deviennent encore plus laborieuses, et, lorsqu'il s'agit de l'aisselle,
on doit redoubler de prudence, afin de ménager les organes si importants
de cette région. Deux faits relatés par Legouest, à titre exceptionnel, il
NOUV. DICT. MÉD. ET CHII1. XX Vil I — H
690 POITRINE. — plaies pénétrantes.
est vrai, monlrcnt bien avec quelle facilité des corps d'un médiocre volume
peuvent se loger dans ces parties : dans l'un, il s'agit d'un fragment de
bombe pesant 2 kilog,. 700, qui s'était fixé entre la colonne vertébrale
et l'omoplate; dans l'autre, un petit boulet, qui avait pénétré au-dessous
de la clavicule, s'était logé tout entier dans la profondeur de l'aisselle
(Legouest, Chirurgie d'armée \>. 223.)
Lorsque la plaie est primitivement simple ou que les complications
ont été écartées, il l'aut procéder au pansement. Le précepte qui domine
ici, c'est l'occlusion de la plaie; seuls, les modes d'application varient
suivant les cas.
Dans les plaies par instruments piquants, un morceau de baudruche
collodionnée est suffisant.
Dans les plaies par instruments tranchants, les bords doivent être
affrontés au contact, soit au moyen des agglutinatifs, soit par les divers
procédés de suture sèche ou sanglante. On a reproché à la suture de
produire des tiraillements pénibles par suite des mouvements incessants
du thorax. On peut obvier à cet inconvénient en immobilisant le thorax
à l'aide d'un bandage. compressif qui est, en même temps, le meilleur
moyen de combattre la douleur.
La suture est encore plus indiquée quand on a affaire à une plaie à
lambeau ou quand la solution de continuité intéresse des fibres muscu-
laires; elle doit être profonde, dans ce dernier cas, et affronter les por-
tions de muscle divisées.
Dans les plaies trcs-conluses où la réunion par première intention doit
fatalement échouer, les bords doivent être, non pas amenés au contact,
mais rapprochés. On exerce, en même temps, une légère compression
dans les environs de la plaie pour en réduire l'étendue et empêcher la
pénétration de l'air. Un pansement simple exactement appliqué complète
l'occlusion, surtout dans le cas où l'on ne serait pas entièrement fixé sur
le fait de la non-pénétration.
Lorsque la plaie suppure, s'ulcère' ou devient fistuleusc, ou qu'il se
forme un abcès, la lésion première n'a plus alors qu'une valeur étiolo-
ijique, et l'on a affaire à une de ces affections chirurgicales des parois
thoraciques dont il sera question plus loin.
C. Plaies pénétrantes. — Une plaie de poitrine est pénétrante lorsqu'elle
intéresse toute l'épaisseur d'un point quelconque des parois thoraciques.
et qu'elle établit une communication accidentelle entre l'extérieur et la
cavité. A peine est-il besoin d'ajouter qu'on a renoncé à faire de l'ouver-
ture de la cavité pleurale la condition essentielle de la pénétration, et à
considérer comme plaie non pénétrante celle que ferait, par exemple,
une épée qui, perforant un espace intercostal le long du sternum, tra-
verserait toute la profondeur du médiaslin jusqu'à la colonne vertébrale. Ce
nn est vrai, c'est que l'ouverture de la cavité pleurale est à la fois le fait
le plus fréquent et une source de complications sérieuses dans les plaies
pénétrantes de la poitrine; mais, d'autre part, les plaies du médiastin
présentent très-souvent une gravite qui ne le cède en rien aux accidents
l'OITflINi:. —
PLAIES PÉNÉTRANTES. DIAGNOSTIC.
691
dont la perforation de la plèvre est le point de départ.
Ainsi, d'une manière générale, le l'ait seul de la pénétration constitue,
pour les plaies de poitrine, une condition essentiellement aggravante, et
bien qu'on ait pu observer quelques rares exemples de plaies pénétrantes
simples, l'existence d'une ou de plusieurs complications l'orme la règle.
Dans l'exposé qui va suivre nous nous occuperons donc successive
ment : 1° du diagnostic de la pénétration, 2° des caractères et du traite-
ment des plaies pénétrantes simples,
5° des complications.
Diagnostic. — Il est des cas dans lesquels le fait de la pénétration est
évident: ce sont ceux dans lesquels il existe une plaie large, directe, que
l'œil et le doigt peuvent explorer, ou bien ceux dans lesquels on constate
à chaque mouvement respiratoire l'entrée et l'issue alternatives de l'air
qui s'accompagnent même fréquemment d'un sifflement caractéristique.
Il en est d'autres dans lesquels la pénétration est probable sans être
absolument certaine : c'est lorsque, avec une plaie étroite et sinueuse,
où les caractères précédents l'ont défaut, on observe une dyspnée exces-
sive, de l'empbysème sous-cutané, de l'hémoptysie, une liémorrbagie
extérieure abondante ou les signes rationnels d'une liémorrbagie interne.
Il en est d'autres enfin où le fait est absolument douteux, c'est lorsque
la plupart des accidents précédents manquent ou présentent une très-
faible intensité.
C'est pour ces derniers cas que les anciens chirurgiens, attachant une
importance exagéréeà établir un diagnostic précis, avaicnt'proposé divers
moyens d'exploration : ainsi, ils introduisaient des sondes dans le trajet
de la plaie, ils pratiquaient des injections d'eau, ou bien encore, fermant
la bouche et le nez du blessé, ils rengageaient à faire une forte expiration,
afin de voir si une certaine quantité d'air était expulsée au dehors.
Ona renoncé, d'une manière générale, à toutes ces pratiques qui n'étaient
pas sans danger, et l'exploration directe de la blessure est réservée pour
les cas où il s'agit d'aller à la recherche d'un corps étranger. Sauf cette
circonstance, on cherche les éléments du diagnostic dans la relation des
circonstances au milieu desquelles la blessure s'est produite, dans l'exa-
men du corps vulnérant, s'il y a lieu, du siège et de la direction de la
plaie, et surtout dans l'interprétation des signes extérieurs ou rationnels
susceptibles d'être rapportés à toile ou telle complication prévue. Enfin
lorsque, malgré tout, le doute subsiste, on se conduit comme si la plaie
était pénétrante.
Plaies pénétrantes simples. — Les exemples de ce genre de plaies
sont excessivement rares, et il est facile de le comprendre en réfléchis-
sant aux rapports intimes de la face interne des parois thoraciques avec
les organes contenus dans la cavité. Il existe, néanmoins, au niveau du
médiastin, dans l'espace compris entre les deux sacs pleuraux antérieurs,
derrière le sternum, une couche de tissu conjonclif d'épaisseur variable
qui sépare cet os des organes sous-jacenls. Ou peut donc admettre, à la
rigueur, que la cause vuluérante épuise son action sur le sternum, le
002
l'UiTMNE. —
I'I.AIKS l'ÉNlÏTIlANTI'.S. DIAGNOSTIC.
fracture dans toute son épaisseur, et respecte les parties situées en
arrière. Si l'accident ne s'accompagne pas d'hémorrhagie, s'il ne se fait
pas un épanchement sanguin dans le tissu conjonclif rélro-sternal, la
plaie pourra être dite simple ; elle aura la plus grande analogie avec les
opérations de trépanation du sternum. Et néanmoins la simplicité n'est
ici qu'apparente; les accidents ne sont pas immédiats, il est vrai, mais
l'inflammation consécutive du tissu conjonclif est imminente, et le blessé
est exposé à tous les dangers qu'entraînent lessuppurations du médiastin.
C'est la marche qu'ont suivie, d'ailleurs, les faits de ce genre qui ont été
signalés.
Jl est encore plus difficile de concevoir qu'un corps vulnérant puisse
perforer le feuillet pariétal de la plèvre sans atteindre, soit le poumon
dont il n'est séparé que par un intervalle virtuel, soit le diaphragme qui
lui est également accolé au niveau du sinus coslo-diaphragmatique. La
thoracentèse représenle le type d'une plaie pénétrante simple de la cavité
pleurale ; mais il laut remarquer que cette opération se pratique dans des
conditions toutes spéciales, savoir : 1° l'interposition d'une couche liquide
entre la plèvre et le poumon, 2° le soin extrême avec lequel on s'efforce
de prévenir la pénétration de Pair dans la cavité. Le hasard peut réaliser,
dans un cas de blessure, des conditions à peu près semblables, c'est-à-dire,
d'un côté l'existence de fausses membranes éprisses, résistantes, liées à
une pleurésie chronique, affection qui est loin d'être rare; de l'autre une
plaie étroite, sinueuse, qui ne dépasse pas la profondeur de celte couche.
Celle réunion de circonstances spéciales ne peut évidemment se produire
que d'une manière exceptionnelle ; aussi est-il absolument rare de voir
signaler une plaie pénétrante de la plèvre qui ne soit pas accompagnée
d'un pneumo-tliorax, d'un épanchement sanguin, ou d'une lésion soit du
poumon, soit du diaphragme et en même temps de l'un des viscères abdo-
minaux. Le seul fait cité par Larrey d'une plaie de ce genre produite par
un fleuret démoucheté {Journal complément, juillet 1820.) a été con-
testé quant au diagnostic. Les mêmes doutes ont été émis au sujet du
blessé de Letenneur, qui n'a guéri qu'après une longue série d'accidents.
Par le seul fait, en effet, que le caractère essentiel des plaies péné-
trantes simples est de n'offrir aucune complication immédiate, on conçoit
combien le diagnostic doit en être difficile à établir, sans avoir recours
aux divers procédés d'exploration directe qui sont aujourd'hui .universel-
lement rejetés. Le diagnostic ne peut donc se faire que par exclusion,
c'est-à-dire qu'on est amené à admettre que la plaie est probablement,
simple, parce qu'on ne constate aucun symptôme actuel se rapportant à
l'une des lésions possibles. .Mais les organes du médiastin peuvent, de
même que le poumon et le diaphragme, être atteints sans que leur lésion
se manifeste par aucun signe immédiat. De là résultent deux consé-
quences : la première, c'est qu'on est tenté de croire, dans les cas de ce
genre, qu'on a peut-être affaire à une plaie non pénétrante; la deuxième,
qu'il faut apporter une grande réserve dans son appréciation.
La même réserve doit être observée au point de vue du pronostic. iXous
POITRINE. — PLAIES PÉNÉTRANTES. COMPLICNTIONS. G9Ô
avons signalé déjà les accidents ultérieurs qui peuvent' Se' développer à la
suite des plaies du médiastin. Dans les plaies pleurales, il faut tenir
compte à la fois de la possibilité d'une lésion pulmonaire latente et de
la pleurésie traumatique qui est imminente.
Le traitement ne saurait cire douteux. Il consiste à pratiquer, le plus
tôt possible, l'occlusion exacte de la plaie, à surveiller l'apparition des-
accidents, à prévenir ou modérer par un régime et des soins appropriés
l'inflammation qui peut survenir.
Complications en gémirai. — Comme nous l'avons dit précédemment,
il est rare qu'une plaie pénétrante de la poitrine ne présente pas de
complication, et c'est à cette circonstance qu'est due l'extrême gravité
qu'offre le plus souvent ce genre de blessures. La pratique civile ne
fournit, sur ce point, que des données fort restreintes; mais les résultats
empruntés à la chirurgie des armées y suppléent largement. Sans
remonter bien loin clans cet ordre de recherebes, il suffit de jeter un coup
d'œil sur les statistiques auxquelles ont donné lieu les guerres contempo-
raines. Ainsi, sur 474 cas de plaies de la poitrine qui ont été observés
dans l'armée française pendant la guerre de Crimée et qui ont fourni
155 décès, 164 ont été compliquées de lésion du poumon cl ont donné
150 décès. Les 1052 cas de blessures de tout genre du thorax relevés
par Cbcnu dans sa statistique de la guerre d'itilic ont fourni 199 décès.
Il est à remarquer, en outre, que clans ces chiffres ne sont pas compris
les hommes tués sur le champ de bataille; or, il est admis que, pour
ces derniers, les plaies de poitrine ligurent pour un tiers suivant les uns,
pour moitié suivant d'autres, dans le total des blessures constatées.
Signalons enfin, à cause de leur extrême importance, les chiffres suivants
empruntés à la relation chirurgicale de la guerre de la Sécession. Les
lésions traumnliqucs du thorax y ont atteint le chiffre considérable de
20607, dont 5404 décès. Sur ce nombre total, les plaies pénétrantes
par armes à fou ligurent pour le chiffre de 8715 et ont fourni 5260
décès. Les moyennes signalées dans les relations partielles qui ont été
publiées à la suite de la dernière guerre franco-allemande concordent
avec les données précédentes.
En résumé, il résulte de toutes les statistiques recueillies par la chi-
rurgie contemporaine, que la fréquence relative des blessures de la
poitrine dans le nombre total des blessures de guerre est de un douzième
environ, soit 8,5 pour 100, et que le chiffre delà mortalité des plaies
pénétrantes de poitrine est d'environ 60 pour 100.
Parmi les complications qui produisent de pareils désastres, les unes
sont immédiates ou primitives, les autres secondaires ou consécutives; les
unes sont particulières à tel ou tel organe, les autres ont un caractère plus
général.
Nous laisserons de côté les cas dans lesquels un projectile emporte
une partie plus ou moins considérable de la poitrine. Les plaies de ce
genre rentrent dans ta catégorie des mutilations irrégulières ou broiements
suivis de mort presque instantanée.
694
POITRINE.
— PLAIES PÉNÉTRANTES. COMPLICATIONS.
En dehors de ces blessures qui échappent à l'intervention chirurgicale,
la clinique nous apprend que les blessés atteints de plaie pénétrante
succombent le plus souvent à l'hémorrhagie. C'est d'abord la cause de
mort la plus fréquente sur le champ de bataille: c'est, en outre, un
accident menaçant chez les blessés qui ont pu être relevés. Ainsi, sur
.les 8715 cas de plaies pénélrantes de la poitrine signalés pendant la
guerre de la Sécession, on cite 546 cas d'hémorrhagie grave, dont 157 sui-
vis de mort. Tantôt l'hémorrhagic se fait à l'extérieur, par la plaie ou
par les voies broncho-pulmonaires (hémoptysie), tantôt elle est interne et
s'accompagne alors d'un épanchement sanguin.
Lorsque la mort n'est pas immédiate, l'air pénètre le plus souvent
dans la cavité et y forme un épanchement (pneumo-thorax, pneumo-péri-
carde) ou s'infiltre dans le tissu cellulaire soit des parois, soit du médiastin
(emphysème sous-cutané, emphysème du médiastin).
D'autres fois au contraire, mais plus rarement, le poumon s'engage
dans la plaie et forme une hernie qui en obture l'orifice (pneumocèle).
Lorsque la plaie siège dans les espaces intercostaux inférieurs et que le
diaphragme est lésé, on a observé, quoique d'une manière exceptionnelle,
l'issue de l'épiploon (épiplocèle).
Enfin, tantôt l'instrument vulnérant ou le projectile est sorti de la
plaie, tantôt il demeure dans la profondeur des tissus, et la plaie se com-
plique de la présence d'un corps étranger.
Quand le blessé a échappé aux premiers accidents, il est encore exposé
à tous les danirers que lui font courir les hémorrbagies secondaires, les
phlegmasies du poumon, de la plèvre, du péricarde, du cœur, du tissu
conjonctif du médiastin, les épanchements purulents, les phlegmons aigus
ou chroniques, etc.
Tel est l'ensemble des complications que peuvent offrir les plaies
pénétrantes de la poitrine envisagées en général. Ce tableau serait incom-
plet si nous ne signalions, au moins pour mémoire, les lésions des organes
qui sont elles-mêmes l'origine de la plupart des accidenls que nous venons
d'énumérer.
Il est rare, en effet, que l'agent vulnérant, après avoir traversé la
paroi, ne lèse pas un des organes. Ces lésions atteignent, par ordre de
fréquence : les poumons, le péricarde et le cœur, l'aorte et les autres
troncs vasculaires importants, le diaphragme et les viscères abdominaux,
et enfin l'œsophage et le canal thoracique. Bien qu'elles jouent le rôle
prépondérant dans la symptomalologie générale des plaies de poitrine,
dans la genèse des accidents signalés plus haut, dans la marche et la
terminaison de la blessure, nous nous abstiendrons de les décrire isolé-
ment pour ne pas tomber dans des redites oiseuses, et nous n'en parlerons
ici qu'au point de vue de leurs relations avec les complications générales
primitives. (Voy., pour les détails, la pathologie chirurgicale des articles
Aoiitk, Cœur, Diaphragme, Œsophage, Péricarde, Poi uon.)
Nous nous bornerons donc à une étude sommaire de ces complications
primitives en suivant l'ordre dans lequel elles ont été enumérées :
P01TIUNE. — PLAIES PÉNÉTRANTES. COMPLICATIONS.
cor.
1° Hémorrhagie et épanchements sanguins;
2° Accidents dus à la pénétration de l'air;
5° Hernies du poumon et de l'cpiploon;
46 Corps étrangers.
Quant aux complications secondaires, les unes, telles que les phlegma-
sies viscérales et les épanchements purulents qui les accompagnent
souvent, relèvent de la pathologie interne, les autres, telles que les abcès,
appartiennent aux affections chirurgicales du thorax dont nous nous
occuperons plus loin.
Hémorrhagie. — 11 est facile de comprendre que les plaies d'une
cavité qui contient le cœur et les gros vaisseaux qui en partent ou qui s'y
rendent (aorte, artère et veines pulmonaires, veines caves), ainsi que des
organes vasculaires, comme les poumons, soient fréquemment compli-
quées d'hémorrhagie. Notons, en outre, qu'à ces sources importantes
d'hémorrhagic viennent se joindre les lésions des vaisseaux des parois.
Trois cas peuvent se présenter : 1° l'hémorrhagie se fait toute à l'exté-
rieur, c'est le cas le plus rare quand il s'agit d'une plaie pénétrante;
2° l'hémorrhagie est purement interne; 5° elle se fait à la fois à l'intérieur
et à l'extérieur, c'est le cas le plus fréquent.
Celte complication compromet lesjours du blessé de plusieurs manières :
immédiatement, par le fait même de la perte de sang ou par les effets
de compression qu'entraîne l'accumulation de ce liquide dans l'intérieur
de la cavité, consécutivement; parles accidents qu'amènent le séjour et
l'altération du liquide épanché.
La première indication que présente une plaie pénétrante de la poitrine
consiste donc à rechercher s'il y a hémorrhagie et quelle en est la source.
Lorsque l'écoulement du sang se fait à l'extérieur par un jet isochrone
aux battements du pouls et que le sang a l'aspect rutilant du sang arté-
riel, il est probable qu'on a affaire à une lésion des vaisseaux superficiels
de la paroi. Ce cas, assez rare du reste, rentre dans celui des plaies non
pénétrantes.
Lorsque, à la suite d'une plaie étroite et qu'on peut supposer profonde,
il ne se produit pas d'hémorrhagie extérieure, on doit rechercher avec
soin les signes qui indiquent l'accumulation de ce liquide dans la cavité.
Ces signes sont de deux sortes : les uns se rattachent à la perte sanguine
(pâleur, refroidissement des extrémités, petitesse du pouls, tendance à la
syncope), les autres sont dus à la compression que le liquide épanché
exerce sur les organes thoraciques et représentent tous les degrés possibles
de dyspnée ; c'est donc à la percussion et à l'auscultation de vérifier les
présomptions que peuvent fournir, sous ce rapport, la nature et le siège
de la blessure. Lorsqu'aux signes précédents se joint l'hémoptysie, on
doit songer soit à une lésion pulmonaire, soit à l'ouverture d'un gros
vaisseau dans les bronches.
Le cas le plus fréquent est, avons-nous dit, la coexistence d'un écou-
lement sanguin extérieur avec les signes plus ou moins accusés de l'hé-
morrhagie interne. La question qui se pose alors est d'une extrême impor-
096
l'omuM']
PI..\l!:s I'É.SKTI!ASTi:S, COMPLICATIONS'.
tance. 11 s'agit de savoir, en effet, si l'écoulement extérieur est unique-
ment le résultat d'une sorte de trop-plein de la cavité, ou bien si l'bémor-
rhagie a sa source dans la lésion d'un vaisseau profond de la paroi dont
le sang se déverse à la l'ois à l'intérieur et à l'extérieur. Les lésions de ce
genre sont une source d'indications immédiates et méritent, par consé-
quent, de nous arrêter tout d'abord.
On peut, suivant le siège de la blessure, avoir affaire à la lésion de
l'une des intercostales ou de la mammaire interne.
11 a été longuement discuté sur le plus ou inoins de fréquence de la
blessure des intercostales, et c'est devenu un lieu commun dans les traités
de cbirurgie, de répéter que les procédés inventés pour combattre cette
complication étaient plus nombreux que les cas où l'on avait eu l'occasion
de l'observer. Il y a là, tout au moins, une exagération ; Martin, dans sa
dissertation inaugurale, publiée en 4 855, a pu en réunir 28 cas, et dans
Y Histoire de la guerre de Se'cession cette lésion a élé signalée L5 fois.
Sa rareté relative provient de la protection que l'artère intercostale trouve
dans la gouttière de la côte, là où précisément elle a un calibre suflisant
pour produire une bémorrbagie sérieuse ; la lésion du vaisseau dans ce
point est donc ordinairement liée à la fracture de la côte, sans que cette
dernière en soit cependant une condition nécessaire, dans les plaies très
obliques, par exemple.
Les conditions changent dans le tiers antérieur et vers l'extrémité pos-
térieure de l'espace intercostal, où l'artère occupe le milieu de l'espace.
Une plaie pénétrante, dans ces deux points, un coup d"épéc par exemple,
peut être suivie d'hémorrhagie. Eu avant, il est vrai, l'artère a un si mince
volume que sa blessure offrirait bien peu de gravité ; il n'en est pas de
même en arrière où elle pourrait fournil' une bémorrbagie abondante.
Mais ici surgit une grave difficulté; l'épaisseur des parties molles est
considérable, l'artère est donc profondément située, l'écoulement du sang
se fait en bavant et non par un jet saccadé, ce liquide est ordinairement
mélangé de bulles d'air par suite du pneumo-thorax ou de la lésion pul-
monaire concomitante, et le plus souvent il est très-difficile de distinguer
si l'hémoirhagie provient de l'artère, du poumon ou de l'un des vaisseaux
du médiaslin postérieur. 11 n'y a d'exception que pour le cas où la bles-
sure est assez large et où, en déblayant les caillots, on peut, voir battre
dans le fond de la plaie l'orifice ouvert, sur lequel on doit s'empresser,
dans ce cas, de jeter une ligature ou de pratiquer la torsion. Si 1 une et
l'autre de ces opérations sont impossibles et si la blessure c4, sinon cer-
taine, au moins probable, c'est à un tamponnement méthodique pratiqué
comme il sera dit plus loin, qu'il faudra recourir; on remplira ainsi la
double indication d'obturer la plaie de la paroi et de tarir la source de
l'hémorrhagie.
Lorsque l'artère a pu être lésée dans la partie moyenne de son trajet,
on a proposé pour vérifier les présomptions tirées du siège de la blessure,
si la largeur de la plaie le permet, l'exploration digitale cl le procédé
dit de la carte, l.c doigt étant porté dans la plaie, sa face palmaire
POITMNE. —
PLAIES PÉNÉTRANTES. COMPLICATIONS.
G97
tournée en haut et appliquée contre la gouttière costale recevra le
choc d'une colonne de liquide chaud, si le sang provient réellement
de la lésion de l'intercostale et suspendra l'hémorrhagie en exerçant une
légère compression sur le l'ond de la gouttière. Quant au procédé de la
carte, il consiste à introduire dans la plaie une carte pliée en l'orme de
gouttière et regardant par sa concavité la côte supérieure ; si le sang coule
dans celte gouttière, il est à présumer qu il vient de l'intercostale; s'il
s'échappe au-dessous de la carte, c'est qu'il vient du poumon ou de la
plèvre. Tous ces moyens de diagnostic peuvent être utilisés; ils sont mal-
heureusement impraticables, dans les cas où précisément le diagnostic est
le plus difficile, c'est-à-dire lorsqu'il s'agit d'une plaie étroite, oblique ou
anfractueuse, dans laquelle l'inspection visuelle fait défaut.
La ligature est évidemment, quand elle est possible, le mode de traite-
ment le plus rationnel et le plus sûr à opposer aux plaies de l'intercos-
tale; mais elle présente plus d'une difficulté. En premier lieu, non-seule-
ment l'artère est située profondément, mais encore elle est cachée dans la
gputlière de la côte. L'opération peut nécessiter, en outre, des débride-
ments plus ou moins élendus qui augmentent les chances d'introduction
de l'air dans le thorax. Enfin, comme il est le plus souvent nécessaire de
lier les deux bouts du vaisseau, on peut être obligé de laisser l'opération
inachevée. On a donc conseillé des procédés et des instruments particu-
liers ; parmi ces derniers, nous ne mentionnerons que l'aiguille-crochet
articulée de Rcybard destinée à contourner l'artère, sans embrasser la
côte, à l'opposé des procédés de Gérard cl de Goulard qui tiennent au
moins autant de la compression que de la ligature.
Les moyens de compression qui ont été appliqués ou proposés sont très
variés. ÎN'ous ne ferons que citer le jeton deQuesnay, la plaque de Lottcri,
l'appareil de bcllocq. Les procédés modernes sont plus pratiques cl plus
laciles à improviser ; ils peuvent d'ailleurs se résumer en ceci qu'ils con-
sistent à pratiquer un tamponnement régulier de la plaie. C'est ainsi que
Bupuytren, adoptant le mode qui avait été conseillé par Uesault, intro-
duisit d'abord dans la plaie une pièce de toile déprimée en cul-de-sac, la
bourra de charpie, puis la retira à lui de façon à exercer une compression
de dedans en dehors. Le procédé de Sabaticr consiste à. introduire jusque
dans la cavité pleurale un gros hourdonnet de charpie, muni d'un lil
douhle, qu'on amène ensuite et qu'on maintient au contact de l'orifice
mterne de la plaie, en nouant les deux chefs du fil douhle autour d'un
rouleau de diachylum placé à l'extérieur. A ces moyens, très-efficaces sans
doute, mais qui présentent certains inconvénients, on préfère avec raison,
de nos jours, les compresseurs à air ou même un simple sac de baudruche
qu'on introduirait vide et qu'on gonflerait ensuite.
La lésion de la mammaire interne offre, au moins, autant de gravité
que celle d'une intercostale. Ici encore, la situation profonde du vaisseau
entraîne, le plus souvent, une hémorrhagie à la fois interne et externe, et,
comme conséquence, la production d'un épanchement sanguin qui se
fera dans la plèvre correspondante ou dans le rnédiastin, suivant la hau-
♦598 POITRINE. - plaies J'ékétiiaktks. complications.
tcur à laquelle le vaisseau aura été divisé. Le diagnostic présentera donc
encore certaines difficultés', d'autant plus que la blessure de l'artère
coïncide souvent avec des lésions profondes encore plus graves ; néan-
moins, les rapports bien connus de l'artère avec le bord du sternum
fournissent un point de repère d'une assez grande précision.
Le meilleur procédé à suivre, pour arrêter une hémorrhagie de ce
genre, consiste, quand la chose est possible, à lier dans la plaie les bouts
du vaisseau divisé; on se met ainsi en garde contre le retour de l'hémor-
rhagie par le bout inférieur, accident auquel expose l'anastomose de la
mammaire et de l'épigaslrique. Mais cette règle, excellente en principe,
présente parfois dans l'application des difficultés insurmontables, surtout
si le sang a séjourné quelque temps dans le tissu conjonclif qui environne
l'artère. Un peut alors recourir soit aux divers modes de tamponnement
que nous avons signalés pour les intercostales, soit à la ligature pratiquée
au-dessus de la lésion. Le lieu d'élection est au 2° ou 5e espace inter-
costal, parce que ces deux espaces présentent plus de largeur que tous
les autres. L'incision sera dirigée horizontalement, de façon que son milieu
corresponde à 8 ou 10 millimètres du bord du sternum. On divisera
successivement la peau, le grand pectoral, l'aponévrose qui fait suite aux
intercostaux externes. Le plan charnu des intercostaux internes sera
ensuite sectionné sur la sonde cannelée afin de ménager la plèvre et le
vaisseau lui-même. Ce dernier sera enfin dégagé du tissu conjonclif à
l'aide de l'extrémité mousse du même instrument.
Nous avons dit plus haut que, lorsque Fbémorrhagie se fait à l'intérieur
du thorax, elle donne lieu à deux ordres d'accidents : 1° ceux qui résul-
tent de la perte sanguine elle-même, et qu'il faut ne pas confondre avec
les phénomènes purement syncopaux qui accompagnent beaucoup de
lésions du thorax; 2" ceux qui sont dus à l'accumulation du liquide dans
l'une des parties de la cavité. Ce sont ces derniers qu'il nous reste à
décrire
Épanchements sanguins inlra-lhoraciques. — Qu'il soit dû à la
lésion d'un organe ou de l'un des vaisseaux soit de la paroi, soit delà
cavité, l'épanchement peut se faire :
Dans le lissu cellulaire du médiaslin,
Dans la cavité du péricarde,
Ou dans la cavité pleurale (c'est à cette dernière variété, la plus fré-
quente de toutes, que s'applique, dans la pratique, l'expression de
hémothorax).
L'épanchement traumatique de sang dans le médiaslin, qui coïncide
souvent du reste avec un épanebement péricardique, ne peut guère cire
que soupçonné, lorsque les données tirées du siège de la blessure con-
cordent avec les signes de l'béinorrbagie interne et avec une dyspnée plus
ou moins intense, accompagnée d'une petite toux sèche cl surtout d une
sensation particulière de pesanteur en arrière du sternum. La percussion
et l'auscultation fournissent aussi, naturellement, leur contingent de pro-
babilités.
l'OITIUN'li. —
PLAIES PÉNÉTRANTES. COMPLICATIONS.
699
Si L'épancbement n'est pas assez abondant pour entraîner une mort
prompte, il se produit assez fréquemment, dans les jours cpii suivent la
blessure, une rémission notable duc à une sorte d'assuélude des organes
à la compression qu'ils subissent.
Celte rémission s'accentue déplus en plus si l'épancbement se termine
par résolution; elle représente au contraire un état passager, si, ce qui
est le cas le plus fréquent, le sang épanché devient le point de départ
d'un abcès du médiastin. Il fout être prévenu de ce l'ait pour ne pas se
livrer trop tôt aux illusions d'une fausse sécurité, que les événements
viendraient démentir. On voit, en effet, après quelques jours d'amélio-
ration, se développer des accidents inflammatoires qui aboutissent géné-
ralement à la suppuration. Les fractures ou même les simples contusions
du sternum, la présence d'esquilles osseuses ou de corps étrangers, la
simple pénétration de l'air dans le foyer sanguin, sont les causes détermi-
nantes de cette inflammation.
Quelle est la conduite à tenir en présence d'un épanchement sanguin
du médiastin? Faut-il, comme on L'a conseillé, favoriser l'issue du sang
pour prévenir les effets de son accumulation? Faut-il, au contraire,
lorsqu'on s'est assuré que l'hémorrhàgie ne provient pas d'un vaisseau
de la paroi, obturer la plaie? C'est cette dernière pratique qui est géné-
ralement adoptée; c'est celle, en effet, qui donne les meilleures chances
de voir l'hémorrhàgie s'arrêter par le fait même de l'accumulation du
liquide épanché; elle offre, en outre, l'avantage d'intercepter la com-
munication entre l'épanchenicnt sanguin et l'air extérieur qui est une
causé. d'inflammation. Après avoir pratiqué l'occlusion de la plaie, on fait
des applications réfrigérantes sur la région et, si les symptômes généraux
l'indiquent, on recourt aux moyens employés d'ordinaire contre les
hémorrhagies internes. Nous verrons plus loin le traitement que l'on
devra instituer lorsque l'inflammation s'empare du foyer sanguin.
L'épancbement sanguin du péricarde ou hémo-péricarde est une com-
plication très-fréquente des plaies du cœur, dont le degré d'importance
varie suivant qu'il s'agit d'une plaie pénétrante de cet organe, d'une
pluie non pénétrante ou d'une rupture. Dans le premier cas, il constitue
un simple épiphénomène dont les symptômes et les indications se confon-
dent avec ceux de la lésion principale. Dans les deux derniers cas, au
contraire, il devient un accident primitif de premier ordre ; mais néan-
moins son histoire ne saurait être séparée de celle des lésions traumati-
ques du cœur. (Voy. Cœur, plaies, t. VIII, p. 525.)
L'héinolhorax traumatique ou épanchement sanguin de la plèvre pré-
sente une fréquence et une gravité en rapport avec l'étendue du dévelop-
pement de cette séreuse sur les parois du thorax. Il peut être la consé-
quence de lésions très-variées (plaies du poumon, plaies du cœur, ouverture
des gros vaisseaux, lésion désaltères profondes de la paroi). Variable en
abondance et en rapidité selon le volume et le nombre des vaisseaux
lésés, suivant qu'il se fait dans une plèvre libre d'adhérences ou dans
une partie de cette séreuse circonscrite par des adhérences anciennes,
700 POITIUNE. PIAÏES PÉNÉTRANTES. COMH.TCAT10NS
répanchemcnt se produit tout d'un coupel remplit la cavité pleurale, ou
bien s'effectue lentement en s'accompagnanl d'un écoulement de sang
extérieur. Le plus souvent, dans ce cas, l'air pénètre en mémo temps
dans la cavité pleurale, et il se produit un hémo-pneumothorax.
Lorsque l'épanchcment est rapide et considérable, le blessé périt pres-
que immédiatement par suite de l'bémorrliagie et de la suffocation ; l'in-
tervention chirurgicale est, dans ce cas, absolument inutile.
Lorsque, au contraire, répanchemcnt se fait par degrés et lentement,
on observe deux ordres de symptômes, les uns rationnels, les autres
physiques.
Les symptômes rationnels sont, on premier lieu, ceux qui se ratta-
chent à l'hémorrhagie elle-même, et, en outre, ceux qui résultent de la
compression du poumon par le sang épanché (dyspnée souvent portée à
un très-haut degré, respiration courte, laborieuse et fréquente, anxiété et
agilation continuelles, conslriction et pesanteur à la base du thorax,
orthopnéc ou décubitus sur le dos, la tête et les épaules étant élevées et
les cuisses fléchies, d'autres l'ois, au contraire, décubitus sur le côté
atteint, etc.).
Les signes physiques sont absolument analogues à ceux que fournis-
sent tous les épanchemenls de la plèvre qui s'accomplissent en un temps
très-court (écartement des côtes, augmentation de volume et immobilité
. du côté malade, saillie de l'hypochondre correspondant, matité plus ou
moins étendue à la percussion, absence du bruit respiratoire, etc.;.
Lorsqu'il existe des adhérences pleurales anciennes dans le voisinage
de la blessure, l'épanchcment se circonscrit et les signes sthétoscopiques
traduisent cotte disposition particulière.
Enfin la coexistence d'un pneumo-thorax (ce qui est le cas ordinaire)
se traduit par les modifications habituelles que le mélange ou la super-
position des deux fluides imprime aux résultats de la percussion et de
l'auscultation.
On retrouve, en un mot, sauf la nature spéciale de la cause, toutes les
conditions, toutes les variétés qu'on a coutume d'observer dans les épan-
chements liés à la pleurésie ou à d'autres affections de la plèvre (Voy.
Pleurésie, et Plèvre, patholoçjie).
Il est un signe, enfin, dont la valeur a été diversement interprétée,
c'est l'apparition d'une ecchymose à la région lombaire, signalée par
Vâlentin. Celle ecchymose, qui apparaît quelques jours après la blessure
et qu'il faut bien distinguer de l'infiltration sanguine qui pourrait se faire
au voisinage de la plaie, serait duc à la transsudation du sang à travers
la plèvre et à l'imbihition progressive des tissus interposés entre cette
membrane et les léguments de la région lombaire. Bien que ce signe
n'ait peut-être pas la valeur pathognomonique qu'on a voulu lui attri-
buer, il n'en présente pas moins, quand il est associé avec d'autres, une
certaine importance.
Le sang épanché dans la plèvre se prend rapidement en caillots dans la
partie la plus déclive de la cavité. Ce fait a été parfaitement mis en
POITRINE. — PLAIES PÉNÉTRANTES .COMPLICATIONS. 701
lumière non-seulement par les autopsies, mais encore par les expériences
fie Trousseau et Leblanc sur les chevaux. On est assez, d'accord aujour-
d'hui pour attribuer cette rapidité exceptionnelle de coagulation à L'in-
lluence exercée sur le sang épanché par la sérosité qui lubrifie normale-
ment la surface interne de la plèvre. Quoi qu'il en soit, au bout de peu
de temps, cette coagulation est suivie delà mise en liberté de la sérosité
emprisonnée dans les mailles du coagulum sanguin, laquelle surnage en
entraînant avec elle un grand nombre de globules. A cette sérosité se mêle
celle qui est sécrétée par la plèvre, sous l'influence de l'irritation que
produisent le traumatisme et la présence des caillots jouant le rôle de
corps étrangers. Le mélange des deux liquides qui concourent tous deux à
dissoudre le caillot, augmente, dans des proportions notables, le volume
de la collection primitivement formée. C'est le liquide ainsi coloré qui
s'échappe de la plaie dans les mouvements d'expiration, lorsqu'il n'existe
pas de lésion vasculaire de la paroi et que l'hémorrhagie, de source
interne, s'est effectuée lentement.
La marche de l'épauchcmcnt varie dans les divers cas. S'il est peu con-
sidérable et si, en même temps, il y a peu d'air dans la cavité, la résorption
graduelle du sang peut s'effectuer au bout d'un temps plus ou moins long.
Il en est souvent de même lorsqu'il se trouve circonscrit dans un espace
limité par des adhérences anciennes de la plèvre. Par contre, la présence
d'une grande quantité de sang, surtout lorsqu'elle est accompagnée d'air,
détermine une inflammation violente de la séreuse qui s'accompagne
d'une fièvre intense et détermine la décomposition putride du liquide.
L'épanchement devient purulent, et l'on se trouve en présence de tous
les accidents qu'entraînent les collections de cette nature, quelle qu'en
soit la cause déterminante, accidents aggravés de plus ici par la libre com-
munication qui existe entre la cavité et l'air extérieur.
Lorsque l'hémorrhagie n'a pu être arrêtée et que l'épanchement san-
guin est en voie de formation, quelle est la conduite à tenir? La réponse
à cette question est d'autant plus embarrassante qu'on se trouve en pré-
sence de deux écucils : la persistance de l'hémorrhagie si l'on ne ferme
pas la plaie, ou, si l'on pratique l'occlusion de cette dernière, l'asphyxie
qui peut résulter de l'accumulation du sang.
Néanmoins, comme les ressources thérapeutiques sont bien précaires
en présence d'une hémorrhagie interne un peu abondante ; comme le
blessé court, de ce chef, un danger immédiat qu'on peut espérer conjurer
par la compression qu'exerce le liquide épanché, l'occlusion de la plaie
est aujourd'hui généralement passée dans la pratique. C'est donc, d'une
manière générale, la première indication qu'on remplit, concurremment
avec l'emploi des moyens usités contre l'hémorrhagie interne : révulsifs
cutanés, ligature des membres, élévation du tronc, ingestion de petits
fragments de glace, potions astringentes, applications réfrigérantes sur le
lieu de la blessure, etc. Cela fait, on surveille attentivement les sym-
ptômes ultérieurs.
Si l'hémorrhagie interne s'arrête, il se produit une amélioration légère,
'02 P01TR1NIÎ. PLAIES PÉNÉTRANTES. COMPLICATIONS.
au moins dans l'état général (relèvement du pouls et retour de la cha-
leur). Les premiers accidents sont conjurés et l'on n'a plus à s'occuper
que de la marche ultérieure de l'épanchement. Si, au contraire, l'fié»
morrhagic continue, l'épanchement augmente, et aux symptômes précé-
demment signalés se joignent bientôt les signes d'une asphyxie immi-
nente. La pratique conseillée par Legouest dans les cas de ce genre est la
suivante : il faut rouvrir la plaie, si elle est large et si elle a été réunie,
l'agrandir, si elle est étroite, et chercher à débarrasser la poitrine. Si
l'écoulement du sang par la plaie ne soulage pas le blessé et ne fait
qu'augmenter la faiblesse, on tente de nouveau l'occlusion. Lorsque, au
contraire, l'écoulement du sang amène du soulagement tout en produi-
sant un accroissement de faiblesse, on referme et l'on rouvre alternative-
ment la blessure; on insiste sur les révulsifs cutanés les plus énergiques
et les applications locales réfrigérantes; on fait coucher le malade sur le
côté affecté, on modère les mouvements de la respiration et surtout l'élé-
vation des côtes par un bandage de corps serré ; on cherche, en un mot,
à gagner du temps et à éloigner le danger le plus pressant.
Lorsque les efforts précédents ont été couronnés de succès et les pre-
miers accidents conjurés, on se trouve en présence d'un épanchemenl
sanguin définitivement accompli, et la conduite à tenir, dans les jours
qui suivent la blessure, présente encore de nombreuses difficultés. Le
but à poursuivre est évidemment d'obtenir, s'il est possible, la résor-
ption du sang épanché et de prévenir, par un traitement approprié, les
complications inllammatoires. Mais celte heureuse solution ne peut être
obtenue que dans deux conditions qui sont rarement réalisées : un épan-
chement de médiocre abondance, l'absence à peu près complète de
pneumo-thorax. Dans le cas contraire, le blessé se trouve fatalement sous
l'imminence d'une pleurésie et de la transformation de l'épanchement
sanguin en épanchement séro-purulent.
C'est encore à Legouest que nous emprunterons les préceptes à suivre
dans le but de modérer, sinon de prévenir les accidents qui menacent
ultérieurement la vie du blessé.
Lorsque la plaie est encore béante, qu'elle a été rouverte ou qu'elle
n'est pas encore cicalrisée, elle peut donner issue au sang épanché : il
convient alors de favoriser cette évacuation, eu donnant à la partie une
position convenable.
Si la plaie est trop étroite ou située de telle sorte qu'elle ne puisse per-
mettre la sortie du sang, il faut, dans le cas d'épanchement abondant,
dès qu'on peut être sûr que l'hémorrhagie interne est arrêtée, pratiquer
une contre-ouverture à la partie la plus déclive du foyer. Ici encore, deux
cas se présentent. Si l'auscultation démontre qu'il existe, en même temps
(pic L'épanchement sanguin, un épanchement notable d'air, il faut ouvrir
la poitrine par une incision, sans se préoccuper de l'introduction d une
nouvelle quantité d'air dans la plèvre ; une mèche de linge el'lilé est mise
entre les lèvres de la plaie, pour en empêcher la réunion, cl le malade
est placé dans une position propre à faciliter la sorlie du sang épanché.
POITRINE. — PLAIES PÉNÉTRANTES. COMPLICATIONS
705
Lorsqu'au contraire, il y a doute au sujet de la quantité d'air épanché, on
peut tenter d'abord la ponction, soit à l'aide d'un trocart garni de bau-
druche, soit au moyen d'un appareil aspirateur. Si le liquide se repro-
duit, on a recours à de nouvelles ponctions ; mais il est rare que le
liquide extrait conserve longtemps les qualités du sang; il prend peu à
peu l'aspect d'un liquide roussàtre, mêlé à une certaine quantité de pus,
et, plus tard, d'un pus séreux où flottent des fausses membranes. On se
trouve eu présence d'un épaneliement purulent de la plèvre qui entraîne
de nouvelles indications dont nous n'avons pas à nous occuper ici (Voy.
Pleurésie) .
Accidents dus à la pénétration de Vair. — Les phénomènes qui ré-
sultent de l'épanchement ou de l'infiltration de l'air soit dans la cavité
thoracique, soit dans ses parois, offrent une extrême variété. L'air peut,
en effet, provenir de deux sources : de l'extérieur ou des voies respira-
toires ; lorsque l'accès Lui est ouvert, il peut se propager suivant des voies
différentes : dans la cavité pleurale, dans le péricarde, dans le tissu con-
jonctif sous-cutané ou dans celui du médiastin. Ces diverses variétés
peuvent se combiner entre elles et donner lieu à des phénomènes com-
plexes dont l'analyse physiologique présente de réelles difficultés.
Pneumo-lhorax. — Le cas le plus important est celui dans lequel il
se fait une accumulation d'air dans la cavité pleurale, un pneumo-lhorax
traumatique. Le fait peut se produire dans les trois conditions principales
suivantes :
1° Dans le cas de plaie pénétrante simple sans lésion du poumon. —
C'est là une variété plutôt théorique que réellement clinique, vu l'extrême
rareté de ce genre de plaie; nous verrons même plus loin qu'il peut se
produire, dans ce cas, un phénomène, absolument inverse à celui de l'en-
trée de l'air, c'est-à-dire l'issue extérieure, la hernie du poumon. Mais,
s'il est rare dans la pratique, le cas sus-énoncé a été produit expérimen-
talement un très-grand nombre de fois chez les animaux et a permis d'ob-
server ce qui se passe alors du côté du poumon et dans la cavité. Lorsque
la plaie est large et directe, l'air extérieur est attiré, au moment de ['in-
spiration, dans la cavité pleurale par suite de son excès de pression sur
l'air que contient le sac pulmonaire et de la rétraclilité de l'organe, qui
ne parvient jamais à se satisfaire dans les conditions normales de la res-
piration. L'air extérieur pénètre donc dans la poitrine avec un sifflement
caractéristique; l'expiration qui suit chasse une partie du gaz au dehors;
une autre inspiration appelle une nouvelle quantité d'air, et ainsi de
suite. C'est là le phénomène réellement palhognornonique des plaies pé-
nétrantes, celui qu'on désigne sous le nom de traumatopnée. Au bout
de quelque temps, une sorte d'équilibre s'établit entre l'air extérieur et
celui de la cavité; le poumon reste affaissé contre la colonne vertébrale,
et l'air épanché prend sa place dans la cavité. Dans les cas plus ou moins
analogues au fait expérimental précédent, l'étroitesse et l'obliquité de la
plaie extérieure, le défaut de parallélisme, l'interposition d'une certaine
quantité de sang, le gonflement des parties apportent à la marche des
704 PCHTMNE. — hlaies PÉSôrftiKïÉs. complications.
phénomènes une foule de modifications qui ne présentent pas un intérêt
pratique sullisant pour y insister.
2° Dans le cas d'une plaie extérieure largement ouverte, avec lésion
concomitante du poumon. — Dans ce cas, l'excès de pression de l'air exté-
rieur et la rétraction pulmonaire appellent l'air dans la plèvre à la fois
par la plaie extérieure et par la solution de continuité des conduits aériens.
L'air qui arrive des deux côtés à la fois et qui n'est expulsé que partielle-
ment pendant l'expiration, finit par occuper la cavité à la place du
pou mon rétracté.
5° Dans le cas d'une plaie extérieure étroite ou très-oblique, avec
lésion pulmonaire. — Si la plaie pariétale est telle que l'air ne puisse la
traverser de dehors en dedans (élroitesse, obliquité, perte du parallé-
lisme), la plaie pulmonaire est alors la source unique du pneumo-lhorax.
On a vu une simple piqûre du poumon, difficile même quelquefois à
retrouver dans l'examen nécropsique, donner lieu à un épanchement
gazeux considérable. L'air est, en effet, versé dans la cavité aussi bien pen-
dant l'expiration qu'au moment de l'inspiration, l'air de l'inspiration
venant du dehors, l'air de l'expiration passant du poumon sain dans le
poumon affaissé. La disposition de la plaie extérieure ne permettant pas
l'issue facile de ce fluide au dehors, il s'épanche dans la cavité pleurale;
mais, pendant l'expiration, une certaine quantité s'engage entre les lèvres
de la plaie et s'infiltre dans le tissu conjonctif circonvoisin (emphysème
sous-cutané). Le pneumo-thorax et l'emphysème, surtout ce dernier, con-
tinueraient à s'accroître indéfiniment, s'il ne se produisait assez promp-
tement des modifications favorables dans l'état de la plaie pulmonaire :
celle-ci, à moins qu'elle n'ait des dimensions considérables, s'oblitère
sous l'influence de la. rétractilité propre de l'organe et de la compression
produite par l'épanchement sanguin concomitant, de sorte que le pneumo-
thorax et l'emphysème Unissent par se limiter.
4° Une quatrième variété de pneumo-thorax traumatique est celle qui
est la conséquence d'une lésion du poumon par suite d'une fracture de
côte ou d'une violente contusion de la paroi sans plaie extérieure; nous
ne la rappelons que pour mémoire, car elle n'appartient pas à notre
cadre. {Voy. Poumon, lésions traumaliques).
Des adhérences pleurales anciennes ont pour effet d'empêcher, dans
certains cas, ou au moins d'entraver la formation du pneumo-lhorax, en
s'opposant au retrait du poumon après l'ouverture de la poitrine ; s'il se
produit un épanchement d'air, dans ces circonstances, il est au moins
très-circonscrit, mais le mécanisme reste le même.
Quelles que soient les conditions dans lesquelles le pneumo-lhorax trau-
matique s'est produit, une fois constitué, il offre, dans ses symptômes,
dans sa marche, dans les indications qu'il fait naîlrc, la plus grande ana-
logie avec le pneumo-thorax d'origine interne. Nous ne pouvons donc
que renvoyer le lecteur à ce qui a été dit précédemment à ce sujet. (Voij.
art. Plèvre, pneumo-lhorax, p. 2t>8.)
Il est cependant une distinction importante à faire entre les deux es-
POITRINE. — plaiks im':ni';tiiantes. complications.
705
pèces â''accidents ; elle porte sur les points suivants : 1° dans le pneu-
mo-thorax d'origine interne, l'air provient d'une seule source; dans le
pneimio-thorax Iraumatiquc, il en a souvent deux : le poumon et l'exté-
rieur. De ces deux sources, une seule est accessible à nos moyens d'action ;
il y a donc tout avantage à la supprimer, et c'est ce epic l'on fait en pra-
tiquant, à inoins de contre-indication spéciale, l'occlusion de la plaie par
l'un des moyens précédemment indiqués. En même temps, on exerce une
compression méthodique tout autour pour empêcher l'extension de l'em-
physème; 2° dans le pneumo-thorax traumatique, l'air occupe rarement
seul la cavité pleurale. Il s'épanche très-fréquemment une certaine quan-
tité de sang qui provient des couches profondes de la paroi et surtout de la
lésion pulmonaire; il y a hémo-pneumothorax. Si l'air se renouvelle au
contact d'un liquide aussi altérable que le sang, la pleurésie purulente
est imminente, et c'est encore, pour essayer de prévenir cette complica-
tion, l'occlusion de la plaie extérieure qui donne les meilleurs résultats,
quand l'hémorrhagie ne provient pas exclusivement d'un vaisseau de la
paroi, qu'il faudrait oblitérer avant tout.
Pneumo-péricarde . — Nous ne ferons que mentionner ici cette com-
plication, relativement secondaire, des plaies du cœur et du péricarde qui
a déjà fait l'objet d'une description spéciale. {Voy. Péricarde, pneumo-
péricarde, t. XXVI, p. 670.)
Nous devons signaler néanmoins, à ce sujet, pour les cas d'épanche-
ments à la fois liquides et gazeux (ce qui est la règle à la suite du
traumatisme), un travail récent dans lequel les données de l'auscultation
ont été étudiées avec une nouvelle précision. Il s'agit du bruit de moulin,
indiqué déjà par Morel Lavallée, quelque peu oublié depuis, et dont l'im-
portance, au point de vue du diagnostic et du pronostic, vient d'être
remise en lumière dans la thèse inaugurale de Reynier (1880). Ce sym-
ptôme qui, comme son nom l'indique, rappelle le bruit produit par le
clapotement de L'eau avec une palette, est indépendant des mouvements
respiratoires ; il coïncide avec la systole cardiaque et paraît dû au choc
du cœur contre un épanchement aéro-liquide, soit du péricarde, soit du
tissu conjonctif environnant. D'une signification pronostique grave dans
le premier cas, il serait, dans le second, l'indice d'une lésion relative-
ment béniime.
Emphysème sous-cutané. — Nous en dirons autant pour l'emphysème
sous-cutané dont nous venons de signaler l'une des causes les plus fré-
quentes et qui a été l'objet d'un article spécial dans ce Dictionnaire. {Voij.
Emphysème thaumatique, t. XII, p. 725.) Nous dirons seulement ici que,
sans avoir la valeur palhognomonique de la traumatopnée, l'emphysème
est généralement un signe de la pénétration de la plaie.
Emphysème du médiaslin. — On voit quelquefois, à la suite d'une
plaie pénétrante de la poitrine, apparaître dans le tissu conjonctif de
la base du cou, loin par conséquent du siège de la blessure, un gon-
flement emphysémateux qui s'étend dans les parties voisines et peut
atteindre des proportions considérables. Cette complication est généra-
NOUV. UICT. MÉD. ET Clllll. XXVIII — 45
70G
' POITRINE. PLAIES PÉNÉTRANTES. COMPLICATIONS.
leincnt la conséquence d'une lésion pulmonaire qui siège dans le voisi-
nage du hile de l'organe. L'air qui s'échappe des lobules divisés peut
s'infiltrer dans le tissu conjonctif qui les entoure et parvenir ainsi, de
proche en proche, jusqu'au tissu cellulaire du médiastin d'où il g^gije
la base du cou. L'extension considérable que prend quelquefois l'em-
physème dans ces cas provient de ce fait, déjà signalé à l'occasion d'une
des variétés du pneumo-thorax traumatique, que l'air est déversé dans le
tissu conjonctif aussi bien pendant l'expiration que pendant l'inspiration,
jusqu'à ce que la solution de continuité du poumon s'oblitère.
L'infiltration aérienne peut être également la conséquence d'une plaie
pénétrante simple du médiastin. L'air extérieur est attiré dans le mé-
diastin par les mouvements d'expansion du thorax, et si, lorsque l'expi-
ration tend à l'expulser au dehors, il ne trouve pas une issue facile, il
s'infiltre dans le tissu conjonctif qui entoure le cœur et les gros vaisseaux.
Théoriquement, il pourrait, comme dans le cas précédent, gagner la base
du cou et s'étendre plus loin; mais ici, la source de l'air étant extérieure,
si la sortie du gaz est entravée par la disposition de la plaie, il est pro-
bable que sa pénétration le sera également dans une certaine mesure ;
l'infiltration reste donc, en général, très-limitée et ne donne lieu à
aucun symptôme spécial.
Hernie traumatique du poumon. — Les plaies pénétrantes de la
poitrine peuvent s'accompagner d'un accident, assez rare du reste, qui
est pour ainsi dire l'opposé de ceux que nous venons de décrire ; c'est
l'issue d'une portion plus ou moins considérable du poumon à travers la
plaie pariétale. Il résulte, en effet, des considérations précédemment
exposées qu'un pareil accident est théoriquement imposible, dès qu'une
certaine quantité d'air s'est épanchée dans la cavité pleurale et a produit
un certain degré d'affaissement du poumon. Les observations recueillies
sont d'accord avec la théorie; elles montrent que la hernie du poumon a
lieu le plus souvent immédiatement après la blessure, comme si l'organe
suivait la retraite de l'instrument vulnérant â travers la plaie extérieure.
La condition essentielle de la production du phénomène parait résider
dans la coïncidence d'une expiration brusque et énergique due à l'effort
instinctif que fait le blessé pour se soustraire à la cause vulnéranle ; à ce
moment, en effet, le poumon se trouve fortement appliqué contre la
paroi costale. Dans quelques cas cependant l'issue du poumon semble
avoir eu lieu quelque temps après l'accident (Tulpius, Larrcy). Le lait
ne paraît possible qu'en admettant, au moins pour les cas de ce genre,
le mécanisme suivant, proposé par Malgaigne : « Si, dit-il, une cavité
pleurale a été ouverte sans lésion du poumon, et celui-ci affaissé par la
pénétration de l'air, l'expiration tendra à chasser l'air contenu dans le
poumon resté sain : si cet air rencontre un obstacle du côté de la glotte,
dans un effort par exemple, il refluera dans le poumon vide. l'on
aura le singulier phénomène que le poumon sain se videra et que celui
du côté blessé se remplira. Cela aurait lieu, même quand celui-ci
aurait été compris dans la blessure ; en effet l'air 'qui y pénètre par les
POITRINE.
— PUIES PÉNÉTRANTES. COMPLICATIONS.
707
bronches se répand également dans tous leurs rameaux, tandis que la
plaie ne saurait en intéresser que quelques-uns. Si l'expiration est
brusque, saccadée, l'expansion du poumon blessé se fera aussi brus-
quement et par saccades ; c'est alors qu'on le voit sauter pour ainsi
dire dans la poitrine, se présenter à la plaie, enfin faire hernie au travers :
et telle est la théorie des hernies pulmonaires qu'il est facile de pro-
duire chez les animaux vivants par des expériences directes. »
Ainsi, même lorsque la hernie du poumon n'est pas immédiate, c'est
toujours un elfort subit, une expiration brusque et énergique qui en est
la cause déterminante. Dans le cas de Larrey le viscère se hernia quelques
heures après l'accident, lors d'une chute que lit le blessé pendant qu'on
le conduisait à l'ambulance. De même, l'observation a démontré que
l'existence d'une plaie du poumon n'est pas un obstacle à la production
d'une hernie de l'organe, à la condition cependant que la plaie pulmo-
naire ne soit pas assez considérable pour permettre la formation brusque
d'un pnoumo-thorax abondant et par suite la rétraction complète du
viscère.
La hernie traumatique du poumon se présente sous l'aspect d'une
tumeur lisse, de grosseur variable, étranglée et pédiculée par les bords
de la plaie qui lui a donné issue. Sa coloration, qui est d'abord celle de
l'état normal, se modifie peu à peu à mesure qu'on s'éloigne du moment
de la blessure; elle devient promptement livide et gangréneuse sous
l'influence de la constriction subie par le pédicule. La couleur ardoisée
n'est cependant pas toujours le signe d'une gangrène véritable ; pour
(pie celle-ci soit certaine, il faut un autre caractère, la flétrissure de la
partie herniée.
Nous verrons plus loin à quels signes on peut distinguer une hernie
pulmonaire de la seule complication avec laquelle on pourrait la con-
fondre, c'est-à-dire de la hernie de l'épiploon.
Tant que le poumon hernié est sain, on conseille d'en pratiquer la
réduction, eu débridant la plaie, s'il est nécessaire. Il faut, dans ce cas,
immédiatement après la rentrée de l'organe, obturer la plaie avec les
doigts pour prévenir la formation d'un pneumo-tliorax, puis en faire
l'occlusion exacte. Lorsque la tumeur est sphacélée, on peut soit en
abandonner l'élimination aux ressources de la nature, soit l'exciser après
avoir jeté une ligature sur le pédicule. On songe ensuite à prévenir ou
combattre l'inflammation ; celle-ci est d'ailleurs, le plus souvent, modérée,
car la plupart des cas qui ont été publiés ont été suivis de guérison.
Hernie de l'épiploon. — Il est un autre genre de complication, encore
plus rare, que nous croyons devoir rapprocher du précédent, parce qu'on
les a confondus -quelquefois l'un avec l'autre et qu'ils présentent plus
d'une analogie; c'est la hernie de l'épiploon, laquelle peut être le ré-
sultat d'une lésion atteignant à la fois la paroi thoracique et le dia
phragme.
I'our se rendre compte de ce qui se passe dans ce cas, il faut avoir
présents à l'esprit les rapports qui existent entre les parties latérales du
708 POITiUNE. PLAIHS 1'ÉMIÎTIIA.HTES. COMPLICATIONS.
diaphragme et la paroi costale. Nous avons vu (page 058) que, pendant le
mouvement d'expiralion, ctsurtoutdans une expiration forcée, les deuxsur-
l'aces sont adossées dans une hauteur qui peut s'étendre jusqu'à la 5'' côte à
droite et jusqu a la 6e à gauche, tandis que, pendant l'inspiration, le pou-
mon s'interpose entre elles, dans une étendue variahle, sans jamais atteindre
néanmoins le fond du sinus coslo-diaphragmalique. La paroi thoracique et
le diaphragme se confondant, pour ainsi dire, pendant un mouvement d'ex-
piration énergique, tel que celui qui accompagne l'effort, un instrument
vulnérant pénétrant à ce moment par l'un des 5 ou G derniers espaces
intercostaux arrivera directement dans la cavité abdominale. Or les
parois de l'abdomen se trouvent par le fait des mêmes circonstances
(effort) dans un état de tension exagérée, d'où résulte une pression éner-
gique sur les viscères qu'il contient, et une prédisposition favorable à la
formation d'une hernie. 11 pourra donc se faire que, sous l'influence de
la pression à laquelle il est soumis, l'épiploon suive le retrait de l'instru-
ment et se fasse jour au dehors à travers l'orifice pratiqué par ce dernier.
Ici, plus encore que dans la production d'une hernie du poumon, on
retrouve, dans les observations recueillies, le fait essentiel de la simulta-
néité dans la sortie de l'instrument vulnérant et de l'organe hernié. On
peut concevoir théoriquement qu'une anse intestinale qui se trouveniil
dans la sphère d'action de l'instrument, s'engageât également dans la
plaie extérieure, mais le fait n'a pas élé signalé, à notre connaissance;
quant aux autres organes abdominaux, tels que le foie, la rate et l'esto-
mac, dont la lésion accompagne souvent les blessures du diaphragme,
comme ils sont doués d'une mobilité infiniment moindre, ils peuvent bien
sortir de l'abdomen, mais leur hernie se fait dans la cavité thoracique, et
c'est là le cas ordinaire des hernies diaphragmatiques. (Voy. t. XL
p. 565.) On trouve néanmoins signalé dans Y Histoire de la guerre de
sécession un fait très-remarquable de hernie simultanée du foie, de
l'épiploon et du poumon, suivi de guéri^n.
. La conséquence des rapports anatomicjues rappelés ci-dessus c'est que,
suivant le degré d'énergie du mouvement expiratoire qui aura coïncidé
avec le moment de la blessure, une plaie pénétrante du 5% du 6e ou
du 7e espace intercostal pourra être compliquée soit de hernie pulmonaire,
soit de hernie épip.loïque. De là, entre les deux espèces d'accident une
confusion possible dont on trouve un exemple parmi les faits rassemblés
dans la thèse de Veyron -Lacroix.
L'épiplocèle traumalique forme, au début, une tumeur irrégulière,
bosselée, molle, graisseuse, rougeàtre, ne donnant pas de sensation de
crépilalio7i sous la pression des doigts. Elle est irréductible et étranglée
à sa base par les bords de la plaie; il en résulte promptement un état
de congestion prononcé et une tendance à la gangrène. Le blessé éprouve
au niveau du point lésé un sentiment de tension et de gène, de plus en
plus douloureux, qui s'irradie clans tout l'hypocliondre. Ces phénomènes
locaux s'accompagnent ordinairement de symptômes généraux d un ca-
ractère dépressif (pâleur, concentration du pouls, sueurs froides, etc).
POITRINE. PLAIES PÉNIÎTIIANTES. COMPLICATIONS.
700
Là marche des symptômes ultérieurs est généralement lente. Lorsqu'on
abandonne aux seuls elïorts de la nature l'élimination de la tumeur, celle-
ci s'engorge de plus en plus et prend quelquefois la l'orme d'une énorme
Ibngosité qui rappelle l'aspect d'un fragment de placenta. Puis, l'inflam-
mation suppurative s'établit; la tumeur diminue peu à peu, se couvre de
bourgeons charnus, et après une suppuration plus ou moins prolongée
il s'établit dans les cas heureux une cicatrice adhérente qui se confond
avec celle des téguments. Aux phénomènes précédents s'ajoutent néces-
sairement les signes et les effets d'une péritonite localisée qui joue son
rôle dans la production des adhérence finales.
Si, au lieu de marcher vers la guérison, la maladie tend vers une issue
fatale, on voit se développer les accidents d'une péritonite généralisée
ou des complications qui se sont produites dans la cavité pleurale.
Il semble, au premier abord, que le diagnostic d'une pareille lésion ne
doive présenter aucune incertitude, et cependant, comme nous l'avons
déjà dit, on peut hésiter, dans certains cas douteux, entre une hernie
pulmonaire et une épiplocèle. Dans les moments qui suivent la bles-
sure, il est un signe pathognomonique de la hernie du poumon qui per-
mettra d'éviter l'erreur, c'est la crépitation sous la pression des doigts ;
mais, au bout de quelque temps, ce signe peut manquer, dans le cas par
exemple où la partie herniée est le siège d'une plaie qui a pu laisser
échapper l'air contenu, et, alors on sera réduit à se laisser guider par un
ensemble symptômatique qui, dans les premiers jours, présente, des deux
côtés, assez d'analogie. Plus tard, la marche des accidents rend le dia-
gnostic plus facile.
Le pronostic, malgré les résultais favorables de quelques faits connus,
est nécessairement grave, les complications pouvant venir soit de la poi-
trine, soit de l'abdomen, soit des deux simultanément.
Le traitement général est subordonné à l'intensité des phénomènes
inflammatoires. Quant au traitement local, l'excision, la ligature, la cau-
térisation ont été tour à tour conseillées. Lorsque la tumeur est de petit
volume et les accidents locaux peu intenses, on peut abandonnera la na-
ture le soin du travail éliminatoire. Les heureux résultats qu'a fournis
souvent cette pratique dans les cas de plaies abdominales compliquées
d'épiplocèle, autorisent à essayer également l'expectation quand il s'agit
d'épiplocèles thoraciques. Toute tentative de réduction doit être, au
contraire, proscrite, vu l'impossibilité de faire rentrer l'épiploon dans
l'abdomen par l'ouverture diaphragmatique et les inconvénients graves
de son séjour dans la cavité pleurale.
Corps étrang&rs. — Les plaies pénétrantes de la poitrine peuvent être
compliquées de la présence des diverses sortes de corps étrangers dont
nous avons fait l'énumération à l'occasion des plaies non-pénétrantes. Ce
sont encore les plaies par armes à feu qui présentent le plus souvent
celte complication. H n'est pas un des points de la cavité où ces corps ne
puissent être rencontrés; quelquefois un seul organe est atteint; d'autres
l'ois, au contraire, plusieurs organes sont lésés en même temps par la
POITRINE. —
PLAIES PÉNÉTRANTES. COMPLICATIONS.
corps vulnérant et les accidents qui en résultent présentent une complexité
embarrassante.
Leur siège le plus fréquent est dans le cœur et les poumons ; à ce
litre, leur étude se rattache à celle des lésions traumatiques de ces or-
ganes et ne doit nous occuper qu'incidemment. Mais on les rencontre
aussi dans les cavités pleurales ou dans le méiliastin, et c'est par là que
leur histoire appartient aussi à l'étude générale des plaies pénétrantes du
thorax.
Quelle que soit leur variété, on peut les grouper en deux catégories :
1° les instruments piquants ou à la fois piquants et tranchants (aiguilles,
couteaux, épées, baïonnettes, poignards, etc.) ; 2° les projectiles lancés
par les armes à feu et les éclats ou débris de toute sorte qu'ils entraî-
nent avec eux.
Cette division est surtout fondée sur les indications et les manœuvres
opératoires que comportent les deux espèces de corps précédents. Tandis
(jue les corps étrangers de la première catégorie, après avoir pénétré
plus ou moins profondément, restent souvent implantés dans la paroi, en
s'y brisant quelquefois, ceux de la deuxième sont généralement perdus
dans la cavité et rien à l'extérieur ne trahit leur présence. De même, la
perforation d'un gros tronc vasculaire par une épée qui se brise dans la
plaie et forme une sorte de bouchon aux parties divisées, produira des
accidents immédiats moins graves qu'une lésion du même genre résul-
tant d'un coup de feu. A ces divers points de vue, il y a donc un in-
térêt pratique à ne pas confondre les deux espèces de corps.
1° Instruments piquants. — Les traités classiques et les mémoires
originaux renferment des exemples bien remarquables de blessures compli-
quées de la présence de fragments de ces instruments, à la suite desquelles
le blessé a pu survivre plus ou moins longtemps. L'un des plus curieux
est celui du forçat décédé à l'hôpital de Rochefort, dont l'observation
relatée parVelpeau a été, plus tard, reprise et rectifiée par Berchon (Gaz.
hebd. 1861.) Cet homme, qui avait été blessé quinze ans auparavant,
portait dans son thorax, sans que rien, avant l'autopsie, en eût fait
soupçonner la présence, un fragment de fleuret d'une longueur de
85 millimètres, fixé en haut à la face inférieure de la première côte par
des ostéophytes et en bas à l'apophyse transversc de la quatrième ver-
tèbre dorsale. La partie moyenne de l'instrument, logée dans le poumon,
était entourée de concrétions calcaires. Un autre fait, du même genre, dans
lequel la blessure remontait également à une quinzaine d'années environ,
a été signalé par Manec à la Société anatomique (18*29) : une lame de
1er traversait le poumon dans toute sa hauteur ; le tissu de l'organe était
sain et formait au corps étranger une sorte de canal à parois lisses. Néan-
moins, ces exemples de survie prolongée sont rares et, en général, les
blessés succombent, soit immédiatement, soit au bout de peu de jours.
Tel fut le cas de cet officier de la garde nationale de Paris, à l'occasion
duquel Velpcau fit construire par Charrière un instrument d'extraction spé-
cial qu'on trouve aujourd'hui dans la plupart des arsenaux de chirurgie.
POITRINE. — PLAIES PÉNÉTRANTES. COMPLICATIONS. 711
Cet officier, étant à l'exercice, avait eu la poitrine traversée d'arrière en
avant par une baguette de fusil, qui restait saillante à l'extérieur et qui ré-
sista à des tractions énergiques faites parplusieurs personnes vigoureuses.
Le blessé succomba le quatrième jour, avant qu'on eût pu appliquer le
nouvel instrument; l'autopsie démontra que la baguette avait traversé une
des vertèbres dorsales à une ligne en avant du canal rachidien, puis, qu'en
rasant la veine cave inférieure et passant sous la base du cœur, elle était
venue embrocher le poumon pour arriver entre les côtes sous la mamelle
droite où elle était encore. Les gros vaisseaux et le cœur étaient intacts ;
le poumon, légèrement engoué, n'était pas encore enflammé ; la mort fut
attribuée à l'épanchement d'une certaine quantité de sang dans les bron-
ches ouvertes sur le trajet de la baguette. Paulet a signalé, dans son
Traité d'anatomie topographique, un cas extrêmement curieux à cause
du trajet suivi par l'instrument vulnérant. Dans un duel, un homme,
ivre de fureur, s'était précipité tête baissée sur son adversaire et lui avait
enfoncé de toute sa force un fleuret dans la poitrine. Le blessé n'était
pas en garde, il ne prévoyait pas l'attaque et se présentait complètement
de face ; il tomba et mourut immédiatement sans pousser un cri. Voici
ce qu'on trouva à l'autopsie : le fleuret avait pénétré dans le manche du
sternum, et sa pointe, après avoir traversé la poitrine, s'était solidement
fixée dans la quatrième vertèbre; la lame s'était brisée au niveau de la
peau, et l'on ne voyait en ce point qu'une petite tache ecchymotique.
Mais ce qu'il y avait surtout de remarquable, c'est que la tige d'acier
restée dans le thorax occupait juste la ligne médiane et divisait la cavité
de la poitrine en deux moitiés parfaitement symétriques ; l'arme avait
embroché d'avant en arrière le tronc veineux brachio-céphalique gauche,
le tronc innommé, la trachée, l'œsophage, le corps de la quatrième ver-
tèbre dorsale ; elle avait ensuite pénétré dans le canal rachidien, traversé
la moelle, et sa pointe était restée implantée dans l'angle de réunion des
lames vertébrales, à l'origine de l'apophyse épineuse.
Dans la pratique, on se trouve donc en présence de l'un ou de l'autre
des deux cas suivants : ou l'arme restée dans la plaie fait saillie à l'exté-
rieur ; dans ce cas le diagnostic se fait de lui-même et il est, en outre,
possible de déterminer d'une façon exactement mathématique les diverses
couches qui ont été traversées; ou bien, l'instrument s'est brisé au ras de
la plaie et, pour peu que le parallélisme des couches superficielles se soit
détruit ou qu'il y ait déjà du gonflement, on peut avoir des doutes sur la
présence du corps étranger. Dans ce dernier cas, les symptômes rationnels,
tels que la douleur, la toux, la tuméfaction du voisinage de la plaie, etc.,
ne peuvent fournir que des présomptions ; les renseignements procu-
rés par les assistants et surtout l'examen de la partie restante de l'ins-
trument, quand il est possible, sont des données plus sûres et d'après
lesquelles on ferme la plaie, si elles sont négatives, on la dilate au
contraire, si elles sont affirmatives, pour aller à la recherche du corps
étranger.
La présence de l'instrument une fois constatée, l'indication générale
715
PWTMNE. —
l'I.AIKS PÉNÉTRA KTKS. COS1IT.ir.ATIO.NS.
eal de l'extraire. Il est un cas cependant où L'hésitation est permise', c'est
Lopsqu'il s'agit de ces corps étrangers de forme allongée qui traversent la
poitrine de paît en pant et sonL parfois solidement implantés dans le
squelette, comme dans les exemples que nous venons de citer. D'une
part, comme nous l'avons vu, il existe des faits remarquables de tolérance
de la part de l'organisme, vis-à-vis de semblables lésions, et d'autre part,
on peut se demander si l'extraction de l'arme, qui fait provisoirement
office de bouchon, n'entraînera pas une hémprrhagie immédiate mortelle.
Aussi les auteurs ne sont-ils pas d'accord sur la conduite à tenir dans ce
cas, de sorte qu'il est impossible de tracer des règles absolues à ce sujet.
La base du jugement à établir repose presque tout entière sur la connais-
sance anatomique parfaite des parties traversées ; on doit s'inspirer, en
outre, de l'examen des accidents immédiats observés ; on pèse enfin les
conséquences diverses que peuvent entraîner pour le blessé, d'un côté
l'expeetation, de l'autre, une prompte intervention chirurgicale.
En dehors de ces faits exceptionnels, l'extraction immédiate doit êlrc
la règle. Elle est facile à pratiquer, quand il s'agit de portions d'instru-
ments engagées dans les parties molles et susceptibles d'être saisies avec
les doigts ou des pinces ; si la saillie est insuffisante, on peut y obvier
par un débridement. Si le corps étranger est engagé dans un os et fait
encore saillie à l'extérieur, l'extraction peut se faire avec de fortes pinces
à longues branches et à mors très courts qu'on garnirait, au besoin, d'un
ruban de fil pour les empêcher de glisser sur le métal, ou avec des
tenailles, un étau à main et tout autre instrument analogue. Lorsque le
corps étranger a été brisé au ras d'une surface osseuse, les difficultés
augmentent ; s'il s'agit du sternum, dont le .tissu est facile à entamer, on
pourra le dégager d'abord avec une gouge, et au besoin, à l'aide d'une
application de trépan ; si la pointe d'une épée ou d'un fleuret se brisait
contre une vertèbre et restait profondément cachée dans la poitrine,
Legouest conseille d'aller à sa recherche par une incision et d'en faire
l'extraction, à l'imitation de Percy ; enfin, si l'instrument était implanté
dans une côte, on se souviendrait du procédé ingénieux de Gérard (17 15)
qui a donné lieu à tant de controverses. Ce chirurgien, ne pouvant
faire usage de ses pinces pour extraire un bout de lame de couteau, qui,
brisé au milieu et presque au niveau de la face, externe d'une côte, la
dépassait d'un pouce à l'intérieur de la cavité, eut l'idée d'armer son
doigt d'un dé à coudre pour repousser la lame de dedans en dehors, en
pressant avec force sur la pointe ; celte opération eut un plein succès.
On a reproché avec raison à ce procédé son extrême difficulté et l'obli-
gation qu'il impose d'ouvrir un espace intercostal; mais ces innui-
vénients sont encore moindres que l'abandon du corps étranger, pour peu
qu'il fasse saillie à l'intérieur; on pourrait, d'ailleurs, au préalable,
ainsi que le conseille Legouest, tenter de pratiquer une abrasion de la
face externe de la côte au voisinage de l'extrémité brisée de l'arme qui, se
trouvant ainsi assez dégagée, serait ensuite saisie par un instrument
approprié. (Legouest, Chirurgie d'armée, p. 550.)
POITRINE. — PI.AIKS PÉNÉTRANTES. COMn.ir.ATIi'>-.
715
2° Projectiles. Une des différences essentielles, avons-nous d'il pins haut,
qui distingue cette catégorie de corps étrangers des précédents est que,
d'une manière générale, ils ne l'ont aucune saillie extérieure et qu'ils
sont totalement perdus dans la cavité même.
Le cas le plus simple est celui où ils se logent dans les couches super-
ficielles du poumon ; l'exploration directe avec le doigt ou la sonde dite
de poitrine permet de les reconnaître, et leur extraction se fait avec des
pinces ordinaires.
.Mais les balles cylindro-coniques des nouvelles armes à feu, qui ont
une puissance de pénétration supérieure aux anciennes balles rondes,
s'arrêtent rarement à ce niveau. Quand elles rencontrent le poumon, ellc-i
le traversent souvent de part en part ou bien s'y plongent profondément,
et là, tantôt sont tolérées et s'enkystent, ce qui est rare, tantôt au con-
traire, donnent lieu aux accidents de la pneumonie traumalique, ce qui
est le cas ordinaire.
On peut les rencontrer dans le cul de sac inférieur de la plèvre; d'au-
tres fois, elles se logent dans le cœur, ou produisent des désordres
promptement mortels soit dans l'œsophage, soit surtout dans les gros
vaisseaux de la cavité; dans des cas rares, enfin, elles peuvent respecter
la plèvre, le péricarde, les troncs vasculaires, et se perdre dans le tissu
cellulaire du médiastin.
Laissant de côté ce qui a trait aux corps étrangers du poumon et du
cœur, dont on trouvera la description à la place appropriée, nous nous
bornerons à examiner ici ce qui concerne les corps étrangers de la plèvre
et du médiastin.
Les projectiles et autres corps étrangers qu'on rencontre dans la plèvre
peuvent y parvenir de diverses manières : tantôt, mais rarement, après
avoir franchi la paroi, ils ont perdu leur impulsion primitive, et comme
le poumon cède devant eux dans une certaine mesure en vertu de son
élasticité, ils tombent dans la cavité pleurale correspondante; tantôt,
après avoir traversé le poumon, ils vont s'arrêter dans la cavité opposée
au lieu de leur pénétration; d'autres fois enfin, après avoir séjourné
quelque temps dans le poumon, ils sont mobilisés par la suppuration que
détermine leur présence et tombent dans la plèvre par leur propre poids.
Lorsqu'il a pénétré dans la cavité pleurale, le corps étranger a une
tendance naturelle à gagner la partie la plus déclive de cette cavité, c'est-
à-dire la partie du sinus costo-diaphragmatique voisine de la colonne
vertébrale. Il en est ainsi surtout pour les corps de petit volume, lourds
et arrondis, comme les balles, et lorsque la plèvre est libre d'adhérences
anciennes; le contraire a lieu naturellement dans les conditions opposée-.
Quel que soit, d'ailleurs, le point où le corps s'est fixé, les phénomènes
consécutifs sont variables. Ainsi, il est rare qu'une balle reste libre et
mobile dans la cavité sans y déterminer d'accident, malgré les exemples
invoqués parPercy. Dans certains cas heureux, il se produit une pleurésie
localisée et, à la suite, une sorte d'enkystement du projectile par des
fausses membranes. Le plus souvent, la pleurésie s'accompagne d'épan-
714
POITRINE; —
PLAIES PÉNKTIUNTES. COMPLICATIONS.
chement purulent, et alors, tantôt il se forme un abcès pariétal qui donne
issue au corps étranger ou facilite les recherches ultérieures, tantôt
l'affection prend une allure chronique, et il s'établit une ouverture fistu-
leusc qui fournit un suintement permanent.
Le diagnostic est souvent difficile à établir d'une manière exacte. Les
commémoratifs n'ont généralement ici qu'une importance secondaire, et
c'est à un examen minutieux de la blessure qu'il s'agit de procéder avant
tout, en ayant présent à l'esprit ce fait important, que la plaie peut ren-
fermer non-seulement un projectile mais encore des débris de toute
nature entraînés par ce dernier. Le premier point qu'il faut vérifier est à
savoir si la plaie a un ou deux orifices. Dans le cas d'une plaie pénétrante
par coup de feu avec une seule ouverture, la présence du corps étranger
dans la cavité thoracique est évidemment la règle la plus générale;
pour que le contraire ait lieu, il faut un concours de circonstances
assez exceptionnel ; il faut, par exemple, que les vêtements aient été
refoulés en doigt de gant par la balle sans être perforés, et que le fait de
la pénétration de la pla*ie soit le résultat d'une fracture osseuse avec
esquilles et non de l'action directe du corps vulnérant. Il suffit, du reste,
que la chose soit possible, pour qu'il soit toujours prudent d'examiner
les vêtements qui recouvraient le lieu de la blessure.
L'existence de deux ouvertures faites à la poitrine par une balle donne
de grandes présomptions pour croire que le projectile est sorti ; mais la
balle a pu se diviser et laisser un de ses fragments dans la plaie, ou bien
des portions de vêtement ou des esquilles osseuses ont pu être entraînées
et abandonnées dans le trajet. En résumé, l'examen de visu est générale-
ment insuffisant, il doit être complété par l'exploration directe de la
blessure, toutes les fois du moins que l'état général du blessé le permet.
Contrairement à l'opinion de Dupuytren qui condamnait formellement
ce genre d'examen, la plupart des chirurgiens d'armée en font une
obligation ; la recherche d'un corps étranger est même pour eux la cir-
constance à peu près unique qui autorise le cathétérisme d'une plaie de
poitrine. Toutes les fois que cette exploration pourra être pratiquée avec
le doigt, on devra employer ce mode d'investigation comme étant le plus
inoffensif et le plus propre à fournir des renseignements précis. Dans le
cas contraire, on se servira d'abord d'instruments flexibles, de sondes en
gomme, qui prennent d'elles-mêmes toutes les courbures nécessaires et qui
présentent encore l'avantage d'une innocuité suffisante, mais ont souvent,
par contre, l'inconvénient de fournir des données incertaines; on peut y
remédier, du reste, en les garnissant, à l'extrémité, d'un petit bouton
métallique ou d'une olive de porcelaine non émailléo. à l'imitation du
stylet de Nélaton. Les sondes rigides seront réservées pour des cas parti-
culiers;-on peut, d'ailleurs, en atténuer les inconvénients en employant
les sondes de Béniquié qu'on peut courber à volonté dans tous les sens. '
Les recherches doivent être dirigées, soit vers les points où le malade
accuse de la douleur, soit vers la partie postérieure du sinus costo-dia-
pbragnialique où les projectiles vont souvent se loger. Lorsque l'explo-
POITRINE.
PLAIES PÉNÉTRANTES. COMPLICATIONS.
715
ration reste infructueuse, on recommande de coucher le blessé sur le
côté malade, dans l'espoir que cette situation, si la balle est flottante,
l'amènera vers l'ouverture. Cette pratique peut réussir dans quelques cas
et permettre à la fois la reconnaissance et l'extraction du projectile ; mais
elle ne peut être d'aucune utilité si la balle n'est pas libre dans le côté
blessé ou si elle est passée soit dans le côté opposé, soit dans le médiastin.
Il résulte évidemment de tout ce qui précède que les circonstances qui
accompagnent l'entrée d'un corps étranger dans la cavité thoracique peu-
vent varier à l'infini, et qu'il est impossible de tracer des règles absolues
au sujet de la conduite à tenir en présence de cette complication. On peut
dire cependant, d'une manière générale, qu'à notre époque l'opinion pré-
dominante des chirurgiens est favorable à l'extraction du projectile,
toutes les fois qu'elle est possible, avec cette réserve que le moment de
l'opération sera plus ou moins différé, suivant le cas.
Ainsi, dans les instants qui suivent la blessure, l'expectation sera indi-
quée dans les cas suivants : 1° s'il existe en même temps une autre
complication d'une gravité immédiate, telle que l'hémorrhagie ; 2° si l'ex-
ploration demeure infructueuse et que l'on conserve des doutes sur la pré-
sence même du corps étranger ; 5° si la plaie siège dans les régions supé-
rieures du thorax et que le corps étranger n'ait pas été retenu dans le
voisinage par des circonstances fortuites, telles que des adhérences
anciennes.
Lorsque la plaie a son siège à la partie inférieure du thorax ou au
niveau d'une cavité accidentelle de la plèvre, circonscrite par des adhé-
rences', et que la présence du corps a été constatée, l'extraction est
aujourd'hui la règle. La plaie ayant été débridée, s'il est nécessaire, on
cherchera à introduire le doigt d'abord, puis sur ce dernier, les pinces
destinées à saisir le corps.
Si l'extraction directe est impossible, on pratique une contre-ouverture,
soit au lieu de nécessité, s'il s'agit d'une loge pleurale accidentelle, soit
au lieu d'élection, c'est-à-dire dans le onzième espace intercostal, quand la
cavité pleurale est libre.
Lorsqu'on a dû différer les tentatives d'extraction, s'il se forme un
abcès pariétal ou un épanchement purulent de la plèvre, l'ouverture de
la collection purulente devient le premier temps de l'opération; la recher-
che à fond du corps étranger et son extraction viennent ensuite.
Quand on ouvre le onzième espace intercostal, la mobilité des côtes qui
le forment est assez grande pour qu'il soit en général possible de les
maintenir écartées et de se ménager ainsi une ouverture suffisante pour
l'introduction du doigt et des pinces. C'est là un avantage qui s'ajoute à
ceux qui résultent de la déclivité de la plaie. Quand on pratique une
contre-ouverture au lieu de nécessité, ou lorsqu'on a ouvert un abcès
pariétal, on peut, après avoir saisi le corps étranger, se trouver arrêté par
l'impossibilité de lui faire franchir l'espace intercostal. On essaie d'abord,
dans ce cas, d'agrandir l'intervalle en faisant fléchir le tronc vers le côté
opposé à la blessure, puis en agissant directement sur les deux côtes voi-
711) POITRINE. PLAIES PKNÉTIIANTHS. COMPLICATIONS.
sines à t'aide d'écartèurs ou d'un coin mousse : si ces moyens échouent'oii
p(Wt être conduit soit à échancrer le bord supérieur de la côte inférieure
avec un couteau lenticulaire (Larrey], suit, à pratiquer line résection par-
tielle de l'une des côtes au moyen de la scie à chaîne. (Legouest, p. 558.)
Les manœuvres nécessitées par la recherche et l'extraction d'un corps
étranger rendent généralement illusoires les tentatives d'occlusion ulté-
rieure de la plaie. Néanmoins, si l'extraction a pu être opérée avant que la
pleurésie ait eu le temps de se déclarer ou de passer à l'état purulent, on
fera tout ce qu'il est possible pour empêcher la pénétration ultérieure de
l'air. Lorsque, au contraire, la suppuration est établie, on devra maintenir
la plaie béante, en y tixant à demeure une sonde molle, afin d'assurer
l'écoulement continu des liquides pleuraux et de pouvoir pratiquer des
injections détersives dans la cavité.
Il arrive enfin des cas oû l'on est à peu près certain qu'il existe un
corps étranger, et où ce corps est, néanmoins, absolument introuvable.
Il se forme généralement, dans ce cas, un abcès pariétal dont l'ouverture
devient fistulcuse. Si de nouvelles recherches pratiquées à ce moment
n'amènent pas la découverte du corps, la fistule résiste à tous les moyens
chirurgicaux mis en œuvre pour en obtenir la guérison. Il y a même plus;
si elle s'obture temporairement, il se produit bientôt une poussée milans
matoire et des accidents divers qui ne cessent que quand l'ouverture se
reforme ; de là, l'obligation de la maintenir constamment béante. Moyen-
nant cette précaution, les sujets atteints d'une pareille infirmité peuvent
prolonger pendant- longtemps une existence passable.
Il peut se faire, comme nous l'avons dit au début de ces considérations
sur les corps étrangers de la poitrine, qu'une plaie pénétrante du médias-
tin soit compliquée de la présence d'un corps étranger, sans être accom-
pagnée en même temps de ces lésions viscérales ou vasculaires dont l'ex-
trême gravité rend toute intervention chirurgicale inutile.
Le cas le plus favorable, et le plus rare aussi, est celui dans lequel le
corps étranger est toléré par le tissu conjonctif, y subit une sorte d'enkys-
tement et demeure indéfiniment inoffensif.
Le cas ordinaire est la formation d'un abcès rétro-stcrnal avec toutes ses
conséquences dont il sera question plus loin.
Accidentellement, il peut se former, en outre, une péricardile ou une
pleurésie de voisinage ; l'inflammation ulcérative peut gagner également
un des vaisseaux voisins et devenir, comme dans le cas observé par
Huguier, le point de déport d'un anévrysme.
Lorsqu'il existe quelque présomption pouvant faire croire à la présence
d'un corps étranger, dans le médiastin, la conduite à tenir sera différente
suivant qu'il existera, ou non, des accidents graves. Ainsi, dans le cas
d'Iiémorrhagic, on s'abstiendra provisoirement de toute recherche. En
l'absence, au contraire, de phénomènes primitifs inquiétants, mieux vaut
procéder immédiatement à la recherche et à l'extraction du corps étran-
ger, afin de prévenu1 les conséquences de son séjour. A cet effet, la plaie
sera explorée avec les précautions précédemment indiquées au sujet de
POITUINK, —
ABCÈS. DKS PAROIS TIIOUACIQUUS.
717
la cavité pleurale ; on dilatera l'ouverture autant qu'il sera nécessaire par
une incision, et au besoin on appliquera une couronne de trépan. Quand
la présence et la position du corps ont été constatées, on doit redoubler de
prudence au moment où on le saisit avec les pinces, dans la crainte de
l'enfoncer davantage. Si les premières tentatives échouent, on a même
conseillé d'y renoncer provisoirement, dans l'espoir que rétablissement
de la suppuration mobilisera le corps peu à peu, qu'il se présentera de
lui-même au bout de quelques jours à l'ouverture de la plaie, ainsi que le
l'ait a été constaté, ou qu'on se trouvera dans de meilleures conditions
pour reprendre les manœuvres d'extraction.
Lorsque le corps étranger séjourne dans le médiastin et donne lieu à la
formation d'un abcès rétro-sternal, on se trouve dans le même cas que
pour les abcès pariétaux de la paroi costale. Il est formellement indiqué,
après l'ouverture de l'abcès, si le corps étranger ne se présente pas de
lui-même, d'aller à sa recherche et de l'extraire.
11. Abcès. — Les collections purulentes de la poitrine appartiennent à
deux catégories distinctes : les unes ont leur siège dans les cavilés
séreuses de la plèvre et du péricarde, et portent le nom àlépanchements;
elles ont été décrites à la suite des maladies qui leur donnent naissance.
(Voy. Péricarde, Pleuhésie, Plèvres) ; les autres se développent soit dans
les parties molles des parois, soit dans le tissu conjonclif du médiastin, et
sont désignées sous le nom générique à' abcès; ce sont les seules dont
nous ayons à nous occuper.
La distinction entre les deux espèces de collections est généralement
nette et facile, et cependant il est des cas particuliers dans lesquels elles
ont d'abord des rapports étroits de voisinage, entrent ensuite en commu-
nication, et enfin paraissent se. confondre. Dans le cas, par exemple, où
un épanebement purulent de la plèvre est le point de départ d'un abcès
de voisinage dans le tissu conjonclif sous-pleural, les deux collections
peuvent rester longtemps distinctes, grâce à la barrière représentée par
les fausses membranes qui les séparent; mais il peut se faire qu'une com-
munication s'établisse entre elles, qu'elles s'ouvrent, en outre, toutes
deux à l'extérieur, et alors, la ligne de démarcation devient, en quelque
sorte, fictive. Mais, il faut bien le dire, ce sont là des cas exceptionnels
qui n'infirment en rien la valeur de la classification adoptée.
Les abcès des parois thoraciques et ceux du médiastin constituent eux-
mêmes deux groupes distincts, parce qu'au milieu de caractères communs
qui appartiennent aux inflammations suppuratives du tissu conjonctif en
général, ils présentent certains caractères particuliers qui méritent une
description séparée.
Abcès des parois thoraciques. — Ce premier groupe renferme toutes
les variétés d'abcès qu'on peut rencontrer dans les autres régions de l'or-
ganisme : les uns à marche aiguë, tels que le phlegmon simple, le phlegmon
diffus, l'érysipèle phlegmoneux; les autres, au contraire, à marche
chronique, abcès froids, abcès osléopathiques, abcès par congestion.
Chacune de ces variétés se trouvant déjà décrite dans des articles spéciaux
7 1 S POIÎKINK. AIICÈS. DES PAROIS TIIOIUCIQUES.
de l'ouvrage, nous nous bornerons à signaler ce qu'elle offre de particulier
au point de vue de l'étiologie, de la marche, des complications et du trai-
tement quand elle se développe dans l'épaisseur des parois tboraciques.
Phlegmon simple ou circonscrit. — Nous retrouvons ici l'étiologie
banale signalée pour les autres régions (contusions et épanchements san-
guins, plaies ayant subi une cause quelconque d'irritation, corps étrangers,
convalescence des Gèvres éruptives et des fièvres graves, etc.). Lorsque
l'abcès est sous-cutané, il ne présente rien qui soit spécial à la région ;
tandis que les phlegmons, même circonscrits, qui ont leur siège soit sous
les muscles pectoraux, soit dans le tissu conjonctif sous-pleural, ont toujours
un certain caractère de gravité. Ils méritent par conséquent de nous
arrêter.
La présence de l'aponévrose clavi-coraco-axillaire exerce une influence
bien connue sur la marche des abcès qui siègent sous les muscles pecto-
raux. Ceux qui se forment entre le grand et le petit pectoral l'ont saillie
en avant, soulèvent le grand pectoral et viennent s'ouvrir soit en bas,
soit dans le sillon qui sépare ce muscle du deltoïde; mais lorsque l'abcès
est en arrière du petit pectoral, le pus bridé par l'aponévrose n'a pas de
tendance à se porter en avant ; il envahit la masse cellulo-graisseusc, qui
entoure le paquet vasculo-nerveux et décolle la paroi thoracique au niveau
des premiers espaces intercostaux. Il peut survenir alors une pleurésie
purulente, par voisinage ou par perforation, et les deux foyers, l'un
pleural, l'autre extra-thoracique peuvent, dans certains cas, communi-
quer entre eux. On conçoit aisément pourquoi ces abcès sont presque
toujours mortels, surtout si de larges ouvertures n'ont pas été pratiquées
de bonne heure. Nous n'insisterons pas davantage sur cette question qui
appartient plus spécialement à la pathologie de I'àisselle. {Voy. t. I,
p. 488.)
Quant aux abcès sous-pleuraux, ils affectent généralement une marcha
chronique, ainsi que nous le verrons plus loin ; néanmoins, dans quel-
ques cas, l'inflammation du tissu conjonctif sous-pleural prend un carac-
tère aigu et se propage vers l'extérieur de la paroi, à la manière d'un
véritable phlegmon. Boyer avait, le premier, signalé ce fait; mais il a été
remis en lumière, à notre époque, par les recherches de Leplat, >\ inder-
lich, Billroth, et, plus récemment encore, de Bartels. Faut-il admettre,
dans certains cas, avec quelques-uns de ces observateurs, une péripleu-
rite aiguë spontanée, essentielle? Ou bien faut-il toujours, ainsi que
Leplat s'est attaché à le démontrer, rapporter l'origine de ces abcès à
une pleurésie aiguë ou même chronique? La question ne semble pas
encore définitivement tranchée; toujours est-il qu'à l'autopsie on a
souvent relevé, dans ces cas, la présence d'un épanchement pleurétique
concomitant, et c'est là le fait qui, en dehors de toute interprétation
doctrinale, justifie la gravité du pronostic attaché à cette variété des
phlegmons des parois tboraciques.
Phlegmon diffus et érysipèle phlegmoneux. — Nous sommes obligé
de réunir resdeux dénominations, parce que la ligne de démarcation établie
POITRINE. — ABCÈS. DES PAROIS T1IOHAC IQUES.
primitivement entre les deux ordres d'états morbides qn'elles étaient
destinées à représenter, s'efface de plus en plus et qu'il existe une leiiT-
dance fâcheuse à confondre sous l'expression générale de phlegmon
diffus des faits dénature dissemblable. Dans les uns, en effet, l'affection,
tout en se propageant loin de son foyer primitif, conserve un caractère
franchement inflammatoire; dans d'autres, au contraire, elle a un carac-
tère infectieux qui lui donne un cachet de gravité exceptionnelle.
En ce qui touche au fait général de la diffusion ou de la propaga-
tion à distance de l'inflammation suppurative, les parois thoraciques
présentent, dans leur disposition anatomique, des conditions malheureu-
sement favorables. Un fascia superficialis presque partout lamelleux, de
larges muscles étalés sur de grandes surfaces, des aponévroses, tantôt
engainantes dans une longue étendue, tantôt simplement celluleuses, et
enfin la déclivité naturelle des parties dans la position assise ou demi-
assise qu'un certain degré de gêne respiratoire impose souvent au ma-
lade, telles sont les principales circonstances qui rendent compte de la
marche souvent envahissante de l'inflammation. Tantôt le phlegmon
demeure sous-cutané; tantôt il fran'ehit la faible barrière que lui oppose
l'aponévrose superficielle, et alors, le pus, arrivé au contact de larges
couches musculaires, peut fuser jusqu'à leurs attaches au squelette. Lors-
que le pus se forme primitivement ou pénètre, à un moment donné, au
milieu du tissu conjonctif lâche qui remplit les espaces intermusculaires,
l'inflammation se propage parfois à des distances considérables. On a vu
le grand dorsal, le grand dentelé, le rhomboïde complètement décollés
par d'énormes collections purulentes. D'autres fois, ce sont des suppura-
lions profondes du cou qui, fusant au-dessous de la clavicule, envahis-
sent l'aisselle, s'étalent sur la face externe du grand dentelé, ou même,
suivant le bord supérieur de ce muscle, s'étendent, sous le trapèze et le
rhomboïde, jusqu'à l'angle de l'omoplate.
Le traitement chirurgical à opposer à cette marche envahissante ne
saurait être hésitant. Il faut non-seulement inciser de bonne heure et
inciser largement pour ouvrir une voie facile à l'écoulement du pus,
mais encore poursuivre les décollements un à un et établir autant de
contre-ouvertures qu'il peut être nécessaire. Lorsque la suppuration s'est
limitée, le drainage, les injections détersives et modificatrices, la com-
pression, en dernier lieu, viennent en aide au travail de la réparation.
En dehors du traumatisme, il est souvent difficile d'assigner une ori-
gine rationnelle à ces phlegmons étendus. On est obligé d'invoquer alors
une influence générale représentée par cet ensemble de conditions hygié-
niques défectueuses qui amène l'état désigné communément sous le nom
de misère physiologique. Les faits de ce genre, qui semblent avoir long-
temps passé inaperçus, ont éveillé l'attention dans ces dernières années ;
on en trouve des exemples remarquables dans les thèses récentes de
Demartial et de Serez. Les symptômes initiaux sont tout à la fois graves
et insidieux; ce sont ceux qui annoncent d'ordinaire le début d'un état
typhoïde; au bout de quelques jours, il se manifeste sur un des points
720 POITRINE. — aucks. dks parois tuoeaciques.
du tlforax une douleur vive qui a été rapportée, dans plusieurs cas', à
l'invasion d'une phlegmasie viscérale; l'examen de la poitrine, pratiqué
justement dans le but de vérifier le diagnostic précédent, met nécessaire-
ment sur la voie, en montrant qu'il existe sur une partie de la paroi un
empâtement douloureux accompagné d'une coloration caractéristique.
Dans la plupart des observations relevées, le pblegmon ou mieux l'é-
rysipèle phlegmoneux occupait la paroi latérale, s'étendant progressive-
ment de l'aisselle à la base du tborax et même au delà. L'incision des
parties donne rarement issue à du pus phlegmoneux colligé ou en nappe;
c'est plutôt cette infiltration louche, grisâtre, qui précède la mortification
du tissu conjonctif. Quoi qu'on fasse, le sphacèle se produit, en même
temps que les symptômes généraux s'aggravent, et on assiste à la suc-
cession des phénomènes qui caractérisent l'évolution du phlegmon diffus
le plus grave. (Voy. Phlegmon, t. XXVII, p. 158.)
Comme dans tous les cas de ce genre, il faut intervenir avec énergie
et promptement. Dès que le diagnostic est certain, on pratique des débri-
dements multiples qui doivent comprendre toute l'épaisseur de la peau et
du fascia jusqu'à l'aponévrose exclusivement. Le butest à la fois de donner
issue aux produits altérés dont le tissu conjonctif est engorgé à la manière
d'une éponge, et d'entraver, s'il est, possible, la marche envahissante de
l'afleclion. Quelques chirurgiens font précéder les incisions de larges et
profondes applications de caustique de Vienne qui semblent, dans certains
cas, contribuer à la délimitation du processus gangréneux. On doit insti-
tuer en même temps un traitement interne aussi tonique que possible et
prescrire une alimentation substantielle, à cause du fond adynamique des
accidents. Une fois les escharres éliminées et la suppuration établie, on se
conduit comme pour les phlegmons étendus.
Abcès froids des parties molles. — Nous rangeons dans cette caté-
gorie tous les abcès à marche chronique qui ont leur siège soit dans les
parties molles extérieures, soit dans le tissu conjonctif sous-pleural et
qui ne se rattachent pas à une lésion primitive du périoste ou des os.
Ceux qui se forment d'emblée à l'extérieur de la paroi costale ne présen-
tent rien de particulier qui les distingue des abcès froids des autres
régions. Ceux, au contraire, qui se développent primitivement dans le
tissu conjonctif sous-pleural ont quelques caractères propres qui ont
fixé l'attention des observateurs contemporains.
Ces abcès se montrent sous deux aspects différents : tantôt ils forment
une poche unique, irrégulière, anfractueusc, qui répond d'une part à la
plèvre généralement épaissie et altérée, d'autre part à la face interne
des côtes ; tantôt ils se composent de deux loges, l'une sous-costale,
l'autre sus-costale, communiquant ensemble par une ou plusieurs ouver-
tures qui traversent un espace intercostal. Du côté de la plèvre et du
poumon, on rencontre généralement des lésions diverses plus ou moins
graves. Ce sont tantôt des tubercules pulmonaires, tantôt les lésions
propres de la pleurésie aiguë ou chronique ; parfois c'est le poumon lui-
même, doublé de lausscs membranes épaisses, qui constitue la paroi
POITRINE. — abcès.
721
interne de l'abcès. Le tissu osseux, proprement dit, des côtes voisines de
l'abcès, est généralement sain; par contre, le périoste est souvent épaissi
et fongueux, mais seulement dans ses couches superficielles ; lorsque la
maladie se prolonge longtemps, ces lésions gagnent en profondeur ; on
trouve, dans certains cas, le périoste ramolli, décollé ; l'os sous-jacent
est injecté, moins résistant qu'à l'état normal ; mais toutes ces altéra-
lions qui n'aboutissent d'ordinaire ni à la carie, ni à la nécrose, conser-
vent les caractères de lésions consécutives.
Tant que l'abcès demeure sous-costal et qu'il conserve un petit
volume, il n'apporte par lui-même aucun surcroît de gène dans l'accom-
plissement des phénomènes mécaniques de la respiration, et, s'il existe
en même temps, comme c'est le cas ordinaire, une affection chronique de
la plèvre ou du poumon, les signes qui pourraient faire soupçonner la
présence d'une collection purulente s'effacent sous ceux de l'affection
principale. Ce n'est donc qu'à l'autopsie qu'on rencontre généralement
cette variété d'abcès.
Lorsque la maladie se prolonge, la collection purulente augmente de
volume et tend à se frayer une issue. Si elle est en contact avec le pou-
mon, par suite de l'adhérence des feuillets pariétal et viscéral de la
plèvre, et que ces feuillets n'aient pas acquis une trop grande résistance
par le développement de fausses membranes épaisses, elle pourra se vider
par les bronches.
Lorsque, au contraire, la plèvre est le siège d'une inflammation chro-
nique qui a amené le dépôt de couches successives de fausses membranes,
l'abcès a une tendance très-prononcée à se porter vers l'extérieur. Deux
cas peuvent alors se présenter : Si la collection primitive s'est formée en
arrière, dans le tissu sous- séreux de la gouttière vertébrale, le pus s'en-
gage entre les deux plans des muscles intercostaux, suit le trajet des
vaisseaux et des nerfs, et vient former une tumeur sur un point quelcon-
que de la circonférence du thorax; mais, si l'abcès a pris naissance vers
la partie moyenne de l'espace intercostal, comme il se trouve com-
pris entre deux barrières résistantes, les fausses membranes pleurales
d'un côté, le plan musculaire et aponévrotique des intercostaux de l'autre,
il est plus difficile de comprendre pourquoi il est arrêté par la première,
tandis qu'il parvient à franchir la seconde. D'après certains faits observés
par Leplat, cette évolution vers l'extérieur se ferait en deux temps : dans
une première période, le pus étalé entre la plèvre et la face interne des
côtes déterminerait peu à peu par son contact une inflammation subai-=-
guë du périoste costal, et ce serait là l'origine des lésions secondaires de
cette membrane qu'on retrouve à l'autopsie; dans une deuxième période,
le périoste enflammé et épaissi sur toute sa circonférence deviendrait à
son tour un centre de rayonnement et le point de départ de la formation
d'un abcès extérieur, dont la communication avec l'abcès primitif ne
s'établirait qu'ultérieurement. C'est ainsi que se formeraient souvent cer-
tains phlegmons sous-musculaires dont l'origine est parfois si obscure,
ces collections purulentes étendues qui prennent naissance, sans cause
NOUV. D1CT. HÉD. ET CIIIB. XXVIII — 4G
7 "2 2
POITRINE. - abcès.
appréciable, sous les pectoraux, le grand dentelé, le grand dorsal, le tra-
pèze, le rhomboïde, etc., et qui, avant d'arriver sous la peau, ont encore
une dernière étape à franchir, celle de l'aponévrose superficielle, qu'elles
usent et perforent à la longue.
Enfin, dans une dernière catégorie de faits, la moins fréquente, il est
vrai, il peut y avoir communication entre un épanchcmenl purulent de
La plèvre et un abcès de la paroi qui s'ouvrent ensuite tous îleux, soit à
l'extérieur, soit à la fois dans les bronches et au dehors de la cavité
(Toi/. Pleurésie, p. 211).
Tels sont les faits qui ont été observés à notre époque; ils jettent un
jour nouveau sur la pathogénie d'un certain nombre d'abcès froids des
parois thoraciques qu'on rapportait autrefois, d'une manière banale, à des
affections osseuses dont l'existence n'était pas toujours démontrée. Le
seul point qui n'ait pas encore été éclairci d'une manière bien satisfaisante,
c'est la question d'origine. Sans doute, Leplat a fait faire un grand pas
à la question en démontrant que, dans le plus grand nombre des cas, les
abcès froids des parois thoraciques sont le résultat d'une pleurésie anté-
rieure. Celte interprétation s'est substituée avantageusement aux explica-
tions fort hypothétiques proposées soit par Larrey et Sédillot pour les
jeunes soldats, soit, dans un autre ordre d'idées, par Ménière, et qui
avaient en outre l'inconvénient de ne s'appliquer qu'à certains cas parti-
culiers. Mais, même après les travaux de Leplat, de Billroth, de Barlels,
etc., il reste encore une catégorie de faits dont l'interprétation est obscure];
ce sont ceux dans lesquels un abcès froid se développe chez un sujet
n'ayant jamais eu de pleurésie et ne portant aucune trace de lésion pleu-
rale.— Duplay et Choné, qui en ont observé des exemples incontestables,
admettent, comme cause initiale probable, l'existence d'une inflammation
spontanée de la lame externe du périoste, qui se développerait lentement
chez les sujets jeunes, anémiques, affaiblis par les fatigues, la misère ou
les maladies, et qui se manifesterait ensuite accidentellement à l'extérieur,
soit sous une forme aiguë, soit sous une forme chronique, sous l'influence
de causes externes quelquefois légères. Pour consacrer ce mode particulier
d'origine, on donnerait à cette catégorie d'abcès le nom d'abcès perios-
liques.
Quel que soit le point de départ de la maladie, lorsque l'abcès est
développé dans la paroi thoracique, le diagnostic absolu en est généra-
lement facile, grâce à l'apparition rapide de la fluctuation. Ce qui laisse
des doutes, souvent prolongés, c'est la détermination de la variété à
laquelle on a affaire. On peut bien, après un examen attentif, écarter
l'hypothèse d'un abcès ossillucnt venu soit de la colonne vertébrale, soit
d'un point plus ou moins éloigné de la paroi costale ; mais, faute de
caractères distinctifs suffisamment nets, on peut hésiter longtemps entre
un simple abcès froid du tissu cellulaire, un abcès périoslique, un abcès
symptomatique d'une lésion osseuse ou enfin un abcès du tissu sous-
pleural. Ce n'est, le plus souvent, qu'après l'ouverture de la collection
purulente, que l'exploration pratiquée à l'aide du doigt ou des instruments
POITRINE. — abcès.
723
appropriés permettra d'établir un diagnostic définitif. Le pronostic est
lié à l'état de gravité plus ou moins avancé des complications pleuro-
pulmonaires qui coexistent si fréquemment. 11 est, par suite, infiniment
moins sévère dans la variété désignée plus haut sous le nom d'abcès
périostiqucs. Mais, même dans les cas les plus favorables, il faut s'attendre
à une évolution d'une extrême lenteur et à la formation de fistules per-
sistantes. Le traitement doit être à la fois interne et chirurgical. Nous
croyons inutile d'entrer dans le détail des indications particulières qui
ressortcnt d'elles-mêmes de la série des faits que nous venons d'exposer.
Abcès ostèopathiques. — Ces abcès, qu'on désigne aussi quelquefois
simplement du nom d'abcès sy Diplomatiques, sont liés à une affection
osseuse des côtes ou du sternum. Ils constituent donc un groupe bien
distinct, dont le diagnostic cependant ne peut, souvent, être définitive-
ment établi que par une exploration directe, après l'ouverture spontanée
ou chirurgicale delà collection purulente. Ils naissent sous l'influence de
trois causes principales : le traumatisme, la diathèse scrofuleuse, la
syphilis. Nous n'entrerons dans aucun détail à leur sujet ; leur histoire
se rattache tout entière à la pathologie des Côtes et du Sternum (Voij.
ces mots).
Abcès ossijluenls, migrateurs, par congestion. — A côté des abcès
précédents se placent, sans se confondre avec eux, ceux qui ont pour
point de départ une affection soit des vertèbres cervicales ou dorsales,
soit des côtes elles-mêmes, et qui viennent faire saillie sur un point de la
paroi thoracique plus ou moins éloigné de leur lieu d'origine. Il ne nous
appartient pas non plus d'en faire la description ; nous nous bornerons
à signaler une particularité de leur histoire qui rentre dans notre
sujet.
Nous voulons parler du trajet que suivent les abcès venus du rachis
avant de proéminer sur la paroi thoracique. Ils longent d'abord la face
antérieure de la colonne vertébrale et traversent une étendue plus ou
moins grande du médiastin postérieur, constituant ainsi une des variétés
de collections purulentes de cette cavité. Puis, au lieu de franchir les
ouvertures du diaphragme et de pénétrer dans la cavité abdominale,
comme il arrive fréquemment, ils peuvent être arrêtés par un obstacle
quelconque, se dévier et suivre un des espaces intercostaux. Là ils rencon-
trent le tissu conjonctif délicat interposé aux deux muscles intercostaux,
qui n'oppose aucune résistance à leur progression, et c'est ainsi que,
longeant l'espace intercostal dans une étendue plus ou moins grande, ils
viennent se frayer une issue sur un point quelconque à travers le muscle
intercostal externe.
C'est également la voie que peuvent suivre les abcès qui proviennent
d'une carie de la partie postérieure des côtes. La conséquence qui en
découle, c'est qu'après l'ouverture d'un abcès froid de la paroi il ne faut
pas se bâter de conclure du résultat négatif des premières explorations
que l'abcès n'a pas une origine osseuse. Il faut, au contraire, explorer
dans tous les sens les décollements que peut présenter la cavité de l'abcès
724
POITRINE. — abcès.
une fois ouvert, combiner ces recherches avec l'examen extérieur des
divers points de la paroi, et c'est ainsi qu'on arrivera à établir le véri-
table point de départ de la maladie.
Abcès du médias™. — Nous avons eu, diverses fois, dans le cours de
cet article, l'occasion de signaler les causes traumatiques qui peuvent
amener l'inflammation suppurative du tissu conjonctif du médiastin. Tels
sont, entre autres, les épanchements sanguins, surtout lorsqu'ils sont
compliqués de pénétration de l'air extérieur, les esquilles osseuses pro-
venant d'une fracture des côtes ou du sternum, les corps étrangers, pro-
jectiles et autres venus du dehors, etc. On peut y joindre, comme pré-
sentant avec les cas précédents une grande analogie, les déchirures de
l'œsophage suivies du passage dans le médiastin postérieur des matières
alimentaires ou des corps étrangers venus par ce conduit.
Les abcès du médiastin reconnaissent, en outre, d'autres causes, dont
les unes ont été démontrées par l'observation, tandis que les autres pré-
sentent un caractère encore hypothétique. Parmi les premières, celles qui
agissent le plus fréquemment sont, sans contredit, les affections des côtes
ou du sternum, soit que les lésions osseuses résultent d'un traumatisme,
soit qu'elles se développent sous l'influence d'une diathèse (scrofule ou
syphilis).
Viennent ensuite les collections purulentes qui, provenant de régions
ou d'organes voisins, envahissent le médiastin, et provoquent, à leur tour,
par leur présence, l'inflammation du tissu conjonctif de cette cavité. Nous
avons vu plus haut que les abcès ossifluents d'origine rachidienne occu-
pent fréquemment le médiastin postérieur. Il est très-rare, au contraire,
de voir des abcès profonds du cou, situés en avant de l'aponévrose cervi-
cale profonde, se porter en arrière et suivre l'œsophage. Le pus, dans ce
cas, longe ordinairement la gaîne des vaisseaux ou la trachée, et se trouve
ainsi conduit en avant dans une loge dont les expansions terminales de
l'aponévrose cervicale profonde et le péricarde forment la paroi posté-
rieure, et dont la paroi antérieure est constituée par le sternum. A côté de
ces cas se placent ceux dans lesquels le pus provient d'un épanchement
de la plèvre ou d'un abcès du poumon. Bien que le mémoire de Lamarti-
nière renferme trois observations de ce genre, le fait doit être assez rare,
à cause de la résistance opposée par les fausses membranes pleurales.
Enfin, les adénopathies, tuberculeuses et autres, des nombreux ganglions
qui occupent le médiastin, peuvent provoquer l'inflammation suppurative
du tissu conjonctif circonvoisin.
Parmi les causes obscures ou contestées des abcès du médiastin, il
faut placer en première ligne la médiastinite essentielle, spontanée,
dont Daudé s'est efforcé de démontrer l'existence, en s'appuyant sur ses
propres observations et surtout sur celles qu'il a empruntées à C.untner.
ainsi que certains faits de métastase rhumatismale dont le premier de
ces deux observateurs a publié un cas intéressant.
Quel que soit le point de départ des accidents inflammatoires qui pré-
cèdent la formation de l'abcès, les symptômes du début présentent une
POITRINE. — adcès.
725
obscurité facile à comprendre. Après avoir éprouvé, pendant quelques
jours, du malaise, de la courbature, les malades sont pris d'une fièvre
plus ou moins intense ; en même temps, ils accusent derrière le sternum
« une douleur fixe, profonde, généralement sourde, continue, rarement
lancinante, exceptionnellement très-aigue; parfois elle traverse la poi-
trine de part en part du sternum à la colonne vertébrale » (Duplay).
En même temps se développent, avec une intensité naturellement très-
variable suivant les cas, les divers signes physiques ou rationnels com-
muns à la plupart des affections dont le médiastin peut être le siège et qui
ne sont au fond que les manifestations variées d'un fait primordial, la
compression. Le tableau en a été tracé dans un autre article, à l'occa-
sion de la pathologie générale du médiastin (Voy. Médiastin, t. XXII,
p. 4). Nous nous contenterons donc de reproduire ici le résumé qui le
termine :
1° Voussure et déformation de la région sternale (symptôme rare dans
les cas d abcès;
2° Compression des vaisseaux, surtout de la veine cave supérieure, et
consécutivement circulation complémentaire, œdème de la face et des
parties supérieures du tronc;
5° Compression de la trachée et des bronches, et consécutivement
dyspnée, cornage inspiratoire, diminution du murmure vésiculaire, em-
physème :
4° Compression ou irritation des nerfs pneumo-gastriques, récurrents,
phréniques, grands sympathiques, etc., et consécutivement toux, dysp-
née, intermittences particulières, altérations de la voix, spasmes de la
glotte, inégalités des pupilles, névralgies multiples;
5° Compression de l'œsophage et dysphagie.
Il est à peine besoin d'ajouter que l'apparition de ces divers groupes de
symptômes est liée au siège particulier de l'inflammation, que certains
d'entre eut peuvent manquer ou passer inaperçus, que, dans les cas
notamment où l'affection a une marche chronique, comme dans certains
abcès symptomatiques de la carie du sternum, son développement peut-
être absolument insidieux.
Dans tous les cas, quelles que soient la violence èt la soudaineté des ac-
cidents, il n'esl pas un des symptômes énumérés ci-dessus, y compris la
douleur, qui soit pathognomonique de la formation d'un abcès du mé-
diastin, et le diagnostic reste forcément incertain jusqu'au moment de
l'apparition d'une tumeur à l'extérieur.
Cette tumeur se montre presque subitement, plus ou moins longtemps
après l'invasion des premiers symptômes, soit au niveau de la fourchette
sternale, soit près de l'appendice xiphoïde, soit au milieu du sternum
(dans les cas d'affection primitive de cet os), soit enfin le plus souvent
sur ses bords et particulièrement le long du bord gauche, vers le deuxième
ou troisième espace intercostal (Cuntner).
Dès qu'elle a franchi la paroi thoracique, la tumeur prend de l'exten-
sion ; elle est molle, fluctuante, réductible par la compression, tendue au
72G POITRINE. — tumeurs des parois tiioraciquics.
contraire dans les efforts de la toux, quelquefois animée de mouvements
communiques par les vaisseaux sous-jacents, mais ne donnant aucun bruit
particulier à l'auscultation.
Abandonnée à elle-même, la poche s'amincit progressivement, puis
s'ouvre et livre passage à une masse de pus généralement dispropor-
tionnée avec son volume. Si le diagnostic n'a pu être fait jusque-là d'une
manière complète, il est facile alors de s'assurer que le pus vient de l'in-
térieur de la cavité. Lorsque la suppuration est établie, elle se prolonge
longtemps, comme dans tous les trajets anfractucux, irréguliers, à cla-
piers sinueux ; il est difficile que, dans de pareilles conditions, le
travail de réparation s'accomplisse d'une manière satisfaisante: aussi la
guérison, ou mieux une guérison relative, n'est-elle souvent obtenue
qu'au prix d'une fistule permanente. Quant à la terminaison fatale, qui
est loin d'être rare, elle est due soit à l'abondance de la suppuration et
au développement d'une fièvre hectique, soit à des accidents de septicé-
mie aiguë.
Le traitement doit avoir pour but : 1° de modérer les accidents pri-
mitifs qui accompagnent la formation de l'abcès, 2° d'ouvrir une large
voie à l'écoulement du pus, 5° d'en tarir la source, s'il est possible.
Pour remplir la première indication, les antiphlogistiques, les sédatifsT
les révulsifs, doivent être employés avec une énergie proportionnée à l'in-
tensité des symptômes.
Lorsque l'abcès se'montre à l'extérieur, il faut l'ouvrir largement et de
bonne heure, recourir ensuite aux injections antiseptiques pour prévenir
ou combattre l'altération du liquide morbide.
Si l'ouverture est trop élevée, si le pus s'écoule mal, et que des accidents
de septicémie se manifestent, il peut être nécessaire de pratiquer une
contre-ouverture, à travers le sternum lui-même, au point le plus déclive
du foyer. Depuis La Martinière, qui l'a préconisée, la trépanation du ster-
num a été pratiquée plusieurs fois pour rémédier à des accidents de ce
genre. L'opération est simple et inoffensive, si l'on se met à l'abri des
inconvénients qui pourraient résulter de l'ouverture de la plèvre ou de la
lésion de la mammaire interne; il suffit pour cela de se tenir sur la ligne
médiane.
Si la formation de l'abcès tient à la présence d'un corps étranger, il
faut s'efforcer de l'extraire (Voy. p. 717).
Lorsqu'il s'agit d'ostéite, de carie, de nécrose du sternum, l'interven-
tion chirurgicale doit, par les moyens usités, s'attaquer à la cause initiale
de l'abcès. {Voy. Sternum).
III. Tumeurs. — Les tumeurs de la poitrine se divisent, comme les
abcès, en deux grandes catégories: 1°. celles qui se développent primiti-
vement dans les parois thoraciques, 2° celles qui ont leur siège dans le
médiaslin.
Tumeurs des parois thoraciques. — Elles forment elles-mêmes trois
groupes distincts: 1° tumeurs du sein, 2° tumeurs dépendant des autres
parties molles, 5° tumeurs dépendant du squelette. Les tumeurs du sein
POITRINE. TUMEURS DU SIKDIASTIN.
727
constituent une classe à part dont la description a été faite à l'article
Mamelles (Voy. ce mot, t. XXI, p. 540). Pour les tumeurs qui dépendent
du squelette (fibromes, enchondroines, exostoses, cancer), voir les ar-
ticles Côtes (t. IX, p. 581) etSTEnixuM. Restent les tumeurs du deuxième
groupe, qui n'ont qu'une importance très-secondaire, sauf le lipome, qui
se développe assez fréquemment dans la région dorsale et peut y acquérir
des proportions considérables. La plaie qui résulte de l'ablation de ces
tumeurs voliuninéuses a peu de tendance à se cicatriser promptement ;
les conditions anatomiques dont il a été déjà question la prédisposent,
au contraire, aux décollements, aux fusées purulentes et, par suite, aux
suppurations prolongées. Viennent ensuite les tumeurs érectiles, qui
n'offrent aucune particularité à signaler, puis les kystes de toute nature,
sébacés, mélicériques, séreux, hydatiques. Ces derniers ont quelquefois
pour siège le tissu conjonclif sous-pleural et forment, à la longue, des
tumeurs qui font saillie à la fois à l'intérieur et à l'extérieur du thorax.
Il est une variété de tumeur thoracique qui doit èlre entièrement dis-
tinguée des précédentes parce qu'elle constitue une sorte de Noli me lan-
(jere qui ne comporte que l'emploi de moyens purement palliatifs. C'est
la pneumocèle, qui diffère autant de la hernie traumatique du poumon
décrite plus haut (page 706) qu'une hernie abdominale diffère d'une éven-
tration par suite de traumatisme. Sa mollesse élastique, sa sonorité, et
enfin les signes stéthoscopiques qu'elle fournit, la différencient suffi-
samment des tumeurs liquides avec lesquelles un examen superficiel
pourrait la faire confondre (Voy. Poumon, pathologie).
Tumeurs dl' mémastin. — Au premier rang des tumeurs intra-thora-
ciques se placent les ane'vrysmes de l'aorte, qui forment une sorte de
transition entre les tumeurs de la paroi et celles de la cavité, par suite
de leur tendance à faire saillie au dehors, après avoir usé lentement les
parois thoraciques. Us ne sauraient, néanmoins, rentrer dans le cadre de
cet article, l'étude en ayant été faite complètement ailleurs (Voy. Aorte,
ane'vrysmes , t. II, p. 752). H en est de même des tumeurs et des dé-
générescences dont l'œsophage peut être le siège (Voy. Œsophage, t. XXIV,
p. 581), à fortiori des anévrysmes et des hypertrophies du Cœur (Voy.
t. VIII, p. 475), et enfin des tumeurs diverses qui, ayant pris naissance
dans la Plèvre ou dans le Poumon, envahissent ultérieurement la cavité
du médiastin. Pour délimiter exactement notre sujet, nous devrions y
comprendre uniquement les tumeurs qui se développent primitivement
dans le tissu conjonclif du médiastin, et en exclure toutes celles qui se
localisent d'abord dans les organes qu'il entoure. 11 est cependant une
exception que commande l'état actuel de la science sur un point spécial
de la question ; il s'agit de la relation intime qui, d'après certaines don-
nées nouvelles, rattacherait à la dégénérésccncc des ganglions lympha-
tiques, si nombreux dans cette région, un grand nombre de tumeurs mé-
diastines dont la patliogénic avait échappé jusqu'ici à une explication
satisfaisante. Ce n'est pas qu'on ait méconnu, avant notre époque, l'in-
fluence incontestable que les affections des ganglions thoraciques devaient
728 POITRINE. — tumeurs du médiastin.
avoir sur le lissu conjonctif environnant; tous les auteurs l'avaient, au
contraire, signalée et l'expression de périadénite, prise dans son sens le
plus général, est employée depuis longtemps pour traduire cette idée de
propagation. Or, du moment que le l'ait était reconnu dans les cas d'adé-
nite, d'hypertrophie ou de dégénérescence tuberculeuse, il était à for-
tiori naturel de l'admettre pour les néoplasies à marche envahissante qui
trouvent dans le tissu conjonclif un terrain si favorable à leur développe-
ment. Ce n'était là néanmoins qu'une conception théorique qui ne s'ap-
puyait que sur un petit nombre de fails douteux; l'examen histologique
est venu lui donner sa consécration définitive, en démontrant que bon
nombre de tumeurs cancéreuses du médiastin sont en réalité des lympha-
dénomes, et, comme la distinction clinique entre les deux espèces de
tumeurs est à peu près impossible à établir, on est réduit à les confondre
dans la description.
11 y a peu d'années encore, la littérature médicale était assez pauvre
en ce qui concerne les tumeurs du médiastin, et le court chapitre qu'y a
consacré Nélaton représentait à peu près le bilan de nos connaissances
sur ce sujet. Les observations se sont multipliées à notre époque, des
communications intéressantes ont été adressées aux sociétés scientifiques,
des mémoires originaux et des travaux analytiques auxquels s'attachent
les noms de Bennet, Daudé, Siebert, Eger, Rendu, etc., ont été publiés,
et, si la thérapeutique continue à rester fatalement désarmée, les ques-
tions du diagnostic et du pronostic commencent au moins à sortir de leur
ancienne obscurité.
En dehors des tumeurs malignes qui sont de beaucoup celles qui ont
été observées le plus souvent, on rencontre dans les auteurs quelques
exemples de tumeurs d'autre nature. Ainsi, on trouve citée partout l'ob-
servation, recueillie par le docteur Gordon, d'une tumeur épigén&ique,
contenant de la matière sébacée, des poils, un fragment d'os ressemblant
à un maxillaire et sept dents. Daudé a rassemblé plusieurs cas de tumeurs
graisseuses, qui étaient épars dans diverses publications, et qui, consta-
tés seulement à l'autopsie, auraient été caractérisés pendant la vie par
des accidents d'asthme, de dyspnée, d'angine de poitrine. Il fait remar-
quer, avec raison, que de pareilles tumeurs s'accompagnant d'habitude
d'une surcharge graisseuse du péricarde, du cœur et d'autres organes,
c'est aux lésions concomitanles, plutôt qu'à la tumeur elle-même, qu'il
faut attribuer la plus grande part dans les symptômes observés et dans la
terminaison fatale.
On a signalé aussi dans le médiastin des kystes de diverse nature
qui s'étaient formés soit sur les parois de cette cavité, soit dans la cavité
elle-même. C'est pour des cas de ce genre que Dcsault et Larrey ouvrirent
la poitrine, croyant ponctionner un épanchement du péricarde ; le dic-
tionnaire en GO volumes renferme l'observation remarquable d'un sujet
chez lequel on trouva, à l'autopsie, deux vastes kystes lii/daliqucs placés
de chaque côte de la poitrine, depuis son sommet jusqu'au diaphragme,
repoussant le cœur en bas jusqu'à l'épigastrc, comprimant les poumons,
POITRINE.
TUMEURS DU MÉDIASTIN.
729
qui se trouvaient réduits à un feuillet très-mince, aplatis et relégués à la
partie antérieure de la poitrine, sous les cartilages des eûtes.
Daudé a relevé dans les Essais et observations de la Société de méde-
cine d 'Edimbourg le cas d'un énorme kyste à parois fibreuses occupant
une grande partie de la cavité de la poitrine, passant avec l'œsophage
au travers du diaphragme, et se prolongeant le long de la petite courbure
de l'estomac ; la tumeur renfermait, dans des loges séparées, des matières
mélicériques, stéatomateuscs, athéromateuses et purulentes.
Daniel Mollière, faisant l'aulopsie d'un sujet inconnu, a trouvé égale-
ment, dans le médiastin, un kyste à éebinococques. D'autres observa-
tions ont été publiées ; ce sont des analyses exactes, souvent minu-
tieuses, de faits extrêmement curieux; mais il n'en est pas moins vrai
qu'une histoire synthétique des kystes du médiastin est entièrement à
faire, surtout au point de vue clinique.
Nous signalerons enfin, pour mémoire, les cas de tumeurs formées par
des ganglions lymphatiques atteints d'hypertrophie ou d'infiltration
tuberculeuse. Ces lésions des ganglions, qui acquièrent parfois une telle
importance qu'on a créé, pour en désigner l'évolution, l'expression de
phtliisie ganglionaire , se trouvent décrites ailleurs dans le Dictionnaire
(Voy. Lymphatique (système), altérations bénignes, t. XXI, p. 81, néo-
plasmes, p. 88 ; Voy. aussi Phthisie, adénopathie Irachéo -bronchique,
t. XXVII, p. 290 et 432).
Après ces éliminations successives, il ne nous reste plus à nous occu-
per que des tumeurs malignes, qui sont celles qui ont, de tout temps,
plus spécialement fixé l'attention.
En parcourant les diverses observations recueillies, on trouve signalés,
d'une manière un peu vague, il est vrai, et le plus souvent sans la ga-
rantie de l'examen histologique, des tumeurs colloïdes, des fibromes, des
sarcomes, des carcinomes. Jusqu'ici c'était la forme encéphaloïde qui
était considérée comme prédominante ; dans ces dernières années, des
observations microscopiques plus exactes ont semblé démontrer que le
plus grand nombre des tumeurs malignes du médiastin ne sont en réa-
lité que des lymphadénomes. Cette manière de voir se concilie parfaite-
ment avec un fait depuis longtemps signalé, mais dont Rendu a, le pre-
mier, fait ressortir l'importance. Tandis, en effet, que dans les autre*
régions le cancer ne se manifeste généralement qu'à un âge avancé de la
vie, les tumeurs du médiastin apparaissent de bien meilleure heure. C'est
chez des personnes jeunes, en pleine santé, la plupart du temps sans an-
técédents héréditaires et sans causes provocatrices, que la maladie éclate;
la plupart des sujets ont de vingt-cinq à trente-cinq ans, quelques-uns
n'ont pas encore atteint cet âge, aucun n'a dépassé soixante ans. Or les
lymphadénomes affectent de préférence les sujets encore jeunes # les gan-
glions, dans celte forme de cancer, sont souvent seuls affectés, et presque
toujours ils le sont primitivement, à l'inverse de ce qui a lieu pour les
autres néoplasies malignes; enfin, les relations qui existent souvent entre
les tumeurs du médiastin et des lésions concomitantes analogues du sys-
750
POITRINE.
TUMEURS DU MÉDIASTIN.
lèmc lymphatique général constituent une présomption de plus en fa-
veur de leur structure lymphoïde. La conclusion de ces nouvelles données,
qui reposent à la l'ois sur la question de l'âge, sur les caractères extérieurs
et sur l'examen hislologique, conduit à considérer un grand nombre, au
moins, des tumeurs du médiastin, comme ayant leur point de départ dans
les ganglions intra-lhoraciques. On est donc loin aujourd'hui de l'opi-
nion, émise autrefois, qui tendait à ne voir dans ces tumeurs que désaf-
fections secondaires liées à l'altération primitive des organes voisins, opi-
nion réfutée du reste par des faits bien établis dans lesquels les organes
thoraciques ont été trouvés parfaitement sains, malgré la présence d'un
cancer dans le médiastin. Le plus souvent, il est vrai, l'affection franchit
ses premières limites, et on trouve mentionnée 'simultanément, dans la
plupart des observations, la dégénérescence de la plèvre, du poumon ou
du péricarde, ce qui devient, pour le diagnostic, une source de confu-
sion facile à comprendre.
Après avoir pris naissance dans le médiastin, la tumeur s'accroît dans
tous les sens et surtout suivant l'axe vertical de la poitrine ; elle amène
quelquefois des déformations et des voussures de la paroi, mais plus
souvent elle refoule le coeur en arrière et s'insinue dans le tissu conjonctif
des espaces intervasculaires.
Lorsqu'elle a acquis un certain volume, le poumon, les bronches, la
trachée, le cœur, se trouvent comprimés et gênés dans leurs fonctions. On
a trouvé le cœur atrophié, ses parois flasques et amincies ; presque
toujours une partie plus ou moins grande du poumon est aplatie, indurée,
imperméable à l'air. Enfin, dans d'autres cas, l'œsophage, le pneumo
trique, le grand sympathique, se trouvent englobés dans le tissu morbide,
et le fait de leur compression devient la source d'accidents caractéris-
tiques.
La masse cancéreuse continuant à s'accroître tend enfin à s'échapper
hors de la poitrine ; le plus souvent elle passe à travers les espaces inter-
costaux et vient faire saillie sous les insertions du grand pectoral qu'elle
repousse en avant; d'autres fois, elle sort de la poitrine par sa partie supé-
rieure et vient se porter au-dessus de la fourchette sternale à la partie
inférieure du cou.
Un fait remarquable et bien des fois signalé, c'est la manière différente
dont les deux ordres de vaisseaux sanguins de la cavité thoracique su-
bissent l'action du tissu morbide qui les enserre. Les parois des artères
résistent à la destruction ; la masse cancéreuse semble se mouler sur elles
et leur fournit une sorte de canal proportionné à leur calibre, de telle
sorte que ces vaisseaux paraissent échapper à la compression. Les veines,
au contraire, sont souvent détruites dans une partie de leur étendue, et
laissent passer dans leur intérieur le tissu morbide qui est en contact
immédiat avec le courant sanguin. La production cancéreuse semble alors
se propager avec facilité dans la cavité veineuse, et on l'a vue s'étendre
jusque dans l'oreillette droite, ou remonter vers le cou jusque dans les
veines sous-clavière et jugulaire interne.
l'OITRINE. — TUMEURS DU MÉDIASTIN. 751
C'est sans doute par la voie des veines que se dissémine l'élément
cancéreux dans un certain nombre des cas, assez rares d'ailleurs, où l'on
voit l'affection, au lieu de rester confinée dans le thorax, se généraliser
à la façon des tumeurs les plus malignes. Ainsi, dans certaines obser-
vations d'Eger et de Bennelt, on a trouvé des noyaux cancéreux répandus
dans le foie et dans les reins, sans que les ganglions des régions corres-
pondantes fussent intéressés. D'autres fois, au contraire, ce sont les
lymphatiques qui semblent avoir été la voie de Iransmision : tel est,
par exemple, le fait recueilli par Mauriac, où les ganglions sus-clavicu-
laires, cervicaux, axillaires et mésentériques, étaient envahis à l'exclusion
de tout autre organe.
Avant de se manifester par des accidents sérieux, le développement
d'une tumeur du médiastin s'accomplit le plus souvent d'une manière
insidieuse, et au milieu de simples prodromes susceptibles d'égarer
l'attention. Ainsi, pendant des mois, les malades se plaignent d'une
oppression légère et de quelques palpitations; on songe à une affection du
poumon ou à des troubles cardiaques, et rien ne mettrait, à ce moment,
sur la voie de la vérité, s'il n'apparaissait bien souvent en même temps
une douleur fixe, continue, bien limitée, plutôt constrictive que lanci-
nante, qui a son siège, d'ordinaire, en arrière du sternum, vers son tiers
supérieur. Lorsqu'on est prévenu, cette douleur doit éveiller l'idée soit
d'une affection de l'os, soit de la formation d'un abcès, d'un anévrysme
ou d'une tumeur quelconque.
Si l'affection retentit rapidement sur les ganglions des régions voisines,
avec engorgement des veines du cou et œdème de la face, l'ensemble des
symptômes est plus caractéristique.
D'autres fois, c'est l'oppression qui fait des progrès rapides, sans que
l'auscultation du poumon et du cœur rende suffisamment compte de
l'intensité des accidents.
Enfin, après des prodromes plus ou moins vagues, la maladie peut,
dans certains cas, se manifester tout d'un coup par des douleurs intercos-
tales et brachiales lancinantes, qui tiennent tantôt à des irradiations né-
vralgiques, tantôt à une invasion subite de la plèvre par le néoplasme.
En résumé, rien n'est plus variable que le mode d'invasion des acci-
dents, et l'on n'a pas lieu d'être surpris des erreurs de diagnostic qui ont
été si souvent commises.
Il arrive enfin un moment où se manifestent, du côté des organes et
des appareils en contact avec la tumeur, ces phénomènes si variés de
compression dont le tableau d'ensemble a été Iracé dans l'article auquel
nous avons déjà renvoyé à l'occasion des abcès delà région (Voij. Médias-
tin, t. XXII, p. 4). Les gros troncs veineux, les bronches, la trachée, les
nerfs phrénique, pneumo-gastrique , grand sympathique , l'œsophage,
peuvent ensemble ou isolément être comprimés, irrités, altérés : de là
des troubles fonctionnels variables dont l'interprétation fournit des
données précieuses sur le siège et le volume de la tumeur. La percussion
et l'auscultation apportent, de leur côte, leur contingent de signes phy-
732
POITlUiNE. TUMEURS DU MÉDIASTIN.
siques ; toutefois il ne faut pas perdre de vue l'existence si fréquente des
lésions concomitantes de la plèvre, du poumon, du péricarde, ni rapporter
à la tumeur elle-même ce qui est le fait de ces complications. Le diagnostic
de chaque cas pris en particulier devient ainsi une sorte de problème
très-complexe dont la solution présente souvent les plus grandes dilli-
cultés.
Les troubles circulatoires résultant de la compression et de l'oblité-
ration partielle ou totale de certains vaisseaux sont ceux qui se montrent
d'ordinaire les premiers et qui ont le plus frappé l'esprit des observa-
teurs. L'œdème de la partie supérieure du corps, le développement d'une
circulation collatérale complémentaire, la cyanose enfin, peuvent s'expli-
quer ainsi d'une manière assez rationnelle. Mais il est une autre catégorie
d'accidents, à forme souvent paroxystique, qu'il est plus difficile d'inter-
préter en admettant banalement, comme on l'a fait jusqu'ici, une seule
cause pathogénique, la compression : tels sont les accès de dyspnée qui
vont jusqu'à produire le phénomène du cornage, les irrégularités qui se
manifestent dans la circulation cardiaque, les syncopes, les phénomènes
ooulo-pupillaires et enfin la dysphagie. Dans un travail de revue critique
récemment paru et qui représente fidèlement l'état actuel de la
science, Rendu a fait ressortir le caractère nerveux de la plupart de ces
phénomènes et l'impossibilité de les rattacher au fait unique de la
compression. L'interprétation de cet ordre de faits laisse encore à
désirer et appelle de nouvelles recherches pour lesquelles devront être
utilisées, concurremment avec les données d'une analyse physiologique
rigoureuse des symptômes observés, les connaissances récemment acqui-
ses sur l'innervation du cœur et du poumon, sur le rôle du pneumo-gas-
trique et du grand sympathique. Ce qui semble acquis dès à présent,
c'est que, dans le plus grand nombre des cas, l'invasion des troubles
nerveux correspond à une période déjà avancée de la maladie, qu'elle a
une signification pronostique très-grave, et doit faire craindre l'immi-
nence d'une terminaison subite.
Comparée à la marche des affections cancéreuses des autres régions,
celle des tumeurs du médiastin est généralement assez rapide, et les
sujets sont enlevés avant d'atteindre la période où la cachexie se mani-
feste. Il n'est pas rare de voir les malades succomber trois ou quatre
mois après l'apparition des premiers accidents ; une durée de vingt mois
est un maximum qui n'a été constaté jusqu'ici qu'une seule fois.
La terminaison nécessairement fatale peut se produire de deux maniè-
res : tantôt par asphyxie lente, tantôt dans uo accès de suffocation ou dans
une syncope. Le premier mode de terminaison est le mode ordinaire,
quand la tumeur siège sous le sternum et comprime graduellement les
vaisseaux du médiastin. Le malade s'asphyxie peu à peu : l'hématose
faisant de plus en plus défaut, la cyanose augmente graduellement, la sen-
sibilité des bronches s'émousse, les mucosités s'y accumulent et la mort
survient lentement, sans accès de suffocation. Lorsque la tumeur
comprime la trachée , ou qu'il se forme rapidement un épanchement
POITRINE. — BIBLIOGRAPHIE.
735
dans le péricarde ou dans la plèvre, les accès de suffocation se répètent
à des intervalles de plus en plus rapprochés, et le malade succombe
dans un de ces accès. Quelques-uns meurent subitement sans que l'autop-
sie puisse toujours expliquer d'une manière satisfaisante cette cessation
brusque de l'existence; on invoque alors la syncope qu'on attribue soit à
la formation d'une embolie, soit à une perturbation fonctionnelle des
nerfs cardiaques, d'autant mieux que dans un certain nombre de ces cas
on a trouvé à l'autopsie le pneumo-gastrique et le grand sympathique
englobés dans la tumeur. Enfin, mais d'une manière exceptionnelle,
lorsque la tumeur a fait issue au dehors, le malade peut mourir épuisé
par la douleur, les hémorrhagies externes et les pertes sanieuses qu'en-
traîne un ulcère cancéreux.
Il est à peine besoin d'ajouter que l'art chirurgical reste absolument
impuissant en présence de pareilles affections. L'exemple de Richerand
n'a pas trouvé d'imitateurs ; l'incertitude où l'on est toujours sur les li-
mites profondes de la dégénérescence constitue, pour les opérateurs même
les plus hardis, une contre-indication formelle.
Les considérations qui précèdent s'appliquent aux tumeurs malignes du
médiastin, les seules qui généralement aient été soupçonnées ou reconnues
pendant la vie.
Les autres sont d'ordinaire ignorées, et c'est l'autopsie seule qui les fait
découvrir ; il est évident néanmoins que, si un kyste venait faire saillie
au-dessus de la fourchette sternale et que le diagnostic pût en être établi
d'une manière convenable, rien ne s'opposerait à ce qu'il fut traité par
la ponction et les injections iodées, grâce surtout aux conditions de
sécurité que présentent les appareils aspirateurs.
Indépendamment des traités généraux d'anatomie topograghique et de. pathologie chirurgicale ,
consulter la bibliographie particulière des articles : Aohte, Cœur, Côtes, Diaphragme, Emphy-
sème, Mamelles, Médiastix, Œsophage, Péricarde, Plèvre, Poumon-, Sternum.
Consulter, en outre, pour la période antérieure a 1842, l'art. Poitrine (t. XXV, p. 550), du
Dictionnaire de médecine en 50 vol. *
Sidsox (Fr.), Iiechcrchcs sur la situation des organes intérieurs, et en particulier des organes
thoraciques, considérés dans leurs rapports entre eux et avec les parois des cavités viscé-
rales, suivies de quelques applications à la pathologie et au diagnostic (London médical
Gazelle, mars, avril, mai 1848).
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L. Merlin.
OPÉRATIONS QUI SE PRATIQUENT SUR LA POITRINE.
Thoracentèse. — La thoracentèse ou thoracocentèse est la ponc-
tion de la poitrine. Je ne crois pas utile^de revenir ici sur YKistoriqui
de cette question, historique qui a été retracé en détail par Bricheteau
dans son rapport à l'Académie en 1847, par Trousseau dans ses leçons
cliniques, par Bouchut dans un intéressant mémoire publié en 1872.
Je reprends la question en 1845 et 1844, époque à laquelle Trousseau
fit ses premières communications à l'Académie de médecine sur l'oppor-
tunité de la thoracentèse dans la pleurésie aigùe.
Trousseau, il faut le dire, rencontra pendant plusieurs années une
vive résistance, mais, persévérant et convaincu, il dota définitivement la
médecine de l'opération de la thoracentèse.
Avant lui, en effet, la ponction de la poitrine, si souvent reprise et
délaissée depuis llippocrate, ne s'était, pour ainsi dire, adressée qu'aux
épanchements purulents, et, d'autre part, les travaux contradictoires de
Schuh et de Hopc avaient à peine ébauché, sans la résoudre, la question
des épanchements séreux ; de sorte que la thoracentèse abandonnée,
discréditée, sévèrement blâmée par la plupart, serait peut-être encore
POITRINE. —
THORACBNTÈSE. INDICATIONS.
735
clans l'oubli, si Trousseau ne l'avait patronnée de sa puissante autorité, et,
pour ainsi dire, imposée par ses succès.
Dans cette grande question de la thoracentèse nous aurons trois points
à étudier :
1° Les indications de l'opération ;
2° Le manuel opératoire ;
5° Les accidents consécutifs.
1° Indications de la tiiokacentèse. — Ici plusieurs questions se pré-
sentent : Peut-on opérer malgré la fièvre, ou attendre la déferves-
cence? faut-il appliquer la thoracentèse aux épancliements moyens ou
l'appliquer seulement aux épancliements considérables ? dans quelle
mesure enfin doit-on se préoccuper des complications qui peuvent accom-
pagner l'opération ?
Toutes ces questions souvent débattues et diversement jugées se résu-
ment, il me semble, à la proposition suivante : Etant donné une pleu-
résie avec épanchement, deux cas peuvent se présenter : dans l'un la
thoracentèse est urgente, dans Vautre elle est discutable. Uuand est-elle
urgente et quand est-elle discutable? tel est le terrain sur lequel doit
s'engager la discussion.
L'urgence de la thoracentèse ne peut et ne doit être basée que sur
l'évaluation de la quantité du liquide épanché. Que le malade ait la
fièvre ou ne l'ait pas, qu'il soit ou ne soit pas oppressé, ce sont là des
considérations de second ordre, il faut avant tout consulter la quantité
du liquide épanché.
II faut bien se garder de s'en rapporter à la dyspnée ; car la dyspnée est
un guide infidèle et trompeur; on voit souvent des épanchements consi-
dérables qui sont associés à une oppression insignifiante; et je pourrais
citer une quantité de faits qui prouveraient que bien des malades mar-
chent et se promènent avec deux et trois litres de liquide dans leur plèvre
sans que leur respiration soit notablement compromise. Telle était la
malade dont parle Trousseau, qui vint à pied, portant son enfant avec
elle, de la pointe Saint-Eustache à l'hôpital Nccker, malgré un épanche-
ment si considérable que la thoracentèse pratiquée séance tenante donna
issue à deux litres et demi de liquide. Andral, Landouzy, et beaucoup
d'autres observateurs, citent des faits analogues ; j'en ai souvent observé,
et j'ai pratiqué la thoracentèse il y a deux ans chez un étudiant de mon
service, qui venait régulièrement à l'hôpital et qui n'éprouvait qu'une
gène insignifiante, malgré les deux litres de liquide qu'il avait dans sa
plèvre. Je crois inutile de multiplier ces exemples, la dyspnée est un
guide si trompeur, qu'attendre pour évacuer un épanchement que le
pleurélique soit atteint de dyspnée, c'est attendre que l'épanchement ait
pris de telles proportions que la vie du malade est depuis longtemps en
danger quand on arrive à cette décision.
Si on connaissait, si on publiait tous les cas de morts subites ou de
morts rapides provoqués par les grands épanchements, on serait peut-
être moins sévère pour la thoracentèse. Trousseau en rapporte trois
750 POITRINE. — tiioiucgntèsf,. indications.
observations ; dans l'une d'elles, le malade était si peu oppressé que
l'opération fut renvoyée au lendemain, mais le lendemain le malade
expirait. C'est dans un cas analogue que Lasègue voyait mourir sous ses
yeux un jeune médecin atteint de pleurésie, au moment même où il se
préparait à ponctionner la plèvre.
La mort subite et la mort rapide reconnaissent des causes multiples ;
tantôt ce sont des caillots (thrombose ou embolie) qui se forment dans le
cœur, dans les gros vaisseaux, ou dans le parenchyme même du poumon.
Ces caillots deviennent la cause d'accidents divers. Si le caillot se forme
dans les grosses veines pulmonaires, ou dans le cœur gauche, il déter-
mine une embolie souvent cérébrale avec toutes ses conséquences : l'apo-
plexie, l'hémiplégie, l'aphasie (Vallin, Potain). Si le caillot se forme
dans le cœur droit ou dans l'artère pulmonaire, il peut produire l'as-
phyxie rapide et la mort (Paget, Smitli, Blachez).
Louis s'était donc mépris en disant que la pleurésie n'entraîne pas la
mort immédiate. On peut mourir subitement par le fait d'un épan-
chement pleurétique ; la mort est imputable à la quantité de l'épan-
chement: c'est donc je le répète, la quantité du liquide épanché qui
seule doit régler l'urgence de la thoracentèse.
Je prévois la question. On demandera à quel moment s'impose l'ur-
gence; est-ce quand l'épanchement atteint un, deux ou trois litres? et
d'ailleurs comment pourra- t-on évaluer la quantité du liquide épanché,
comment savoir qu'il y en a 1,500 grammes ou deux litres et demi ?
D'abord, pour ce qui est de savoir à quel moment le liquide, par sa
quantité, devient une indication pressante de thoracentèse, je dirai que.
d'après les travaux que j'ai consultés, la mort n'a jamais été provoquée
par un épanchement inférieur à deux litres ; une fois seulement (Blachez)
la plèvre contenait 1,500 grammes de sérosité. Ce cas exceptionnel ne
doit pas nous servir de base, et j'estime que dans les pleurésies simples
et chez un adulte bien conformé, c'est lorsque l'épanchement atteint
deux litres environ que l'urgence de la thoracentèse doit être déclarée.
Mais alors se présente cette autre question : Comment évaluer, à
quelques cents grammes près, la quantité du liquide épanché ; d'après
quels signes et quels symptômes ? J'avais dressé, à ce sujet, une sorte de
table comparative des épanchements pleuraux, afin de graduer à peu
près la cavité thoracique, me disant, par exemple, que, si un épan-
chement qui atteint le sixième espace intercostal correspond à 1,200 gr.
de liquide , un autre qui atteindrait le troisième espace devrait être
évalué à 2,000 grammes, et ainsi de suite. Mais il était à prévoir qu'on
rencontrerait des écarts considérables dans l'évaluation du liquide
épanché, car il faut tenir compte de la taille et du sexe du malade, de
la conformation de son thorax, du déplacement des organes voisins, du
refoulement du cœur, de l'abaissement du diaphragme, ce qui revient
à dire que l'évaluation du liquide épanché varie avec chaque cas par-
ticulier.
Comment alors arriver à cette évaluation? Dans les petits épan-
POITRINE. — THORACENTÈSE. 757
chements le souffle est voilé et limité à l'expiration ; dans les épanche-
ments moyens (1,000 à 1,500 grammes), le souffle prend un timbre
bronchique et s'entend aux deux temps de la respiration ; dans les forts
épanchements (2 à 3 litres et au delà), les bruits normaux et anormaux
disparaissent ou bien font place à un souille caverneux et amphoriquc;
tout cela est vrai, mais ces données de l'auscultation sont variables,
et par conséquent insuffisantes pour évaluer la quantité du liquide
épanché. J'en dirai autant de la mensuration de la poitrine au cyrto-
mètre (Woillez), moyen parfois excellent, mais souvent en défaut.
Force est donc d'associer les signes précédents à d'autres signes plus
certains qui sont fournis par l'étendue de la matité, par le déplace-
ment des organes et notamment par la déviation du cœur dans la pleu-
résie gauche.
Ainsi, lorsque la matité remonte en arrière jusqu'à l'épine de l'omo-
plate et que l'obscurité du son remplace dans la région claviculaire la
tonalité élevée de son skodique, lorsque enfin, la pleurésie siégeant
à gauche, la pointe du cœur vient battre entre le sternum et le sein
droit, bien qu'à ce moment la cavité pleurale ne soit pas remplie au
maximum, de tels signes chez un adulte dénotent que l'épanchement
atteint deux litres : il faut opérer, et ne pas oublier que renvoyer
au lendemain est une formule malheureuse, qui coûte la vie aux ma-
lades.
Jusqu'ici la discussion sur l'opportunité de la thoracentèse n'a visé
que la pleurésie simple ; mais les mêmes préceptes sont applicables aux
pleurésies compliquées. Les complications directes ou indirectes de la
pleurésie , adhérences anciennes , altérations valvulaires du cœur ,
péricardite, pneumonie, en un mot, toutes les lésions qui entravent la
circulation pulmonaire ou qui rétrécissent le champ de l'hématose, ne
sont pas une contre-indication de la thoracentèse ; elles l'imposent au
contraire dès que la quantité du liquide épanché atteint de fortes pro-
portions : seulement l'évacuation du liquide exige en pareil cas des pré-
cautions qui seront indiquées plus loin.
Telle est la thoracentèse d'urgence dont le guide le plus certain est,
je le répète, la quantité du liquide épanché. En toute autre circonstance,
la thoracentèse est discutable: les uns l'admettent, les autres la rejettent,
et certains la considèrent même comme nuisible. Discutons ces diverses
opinions. Tant que la température du malade est élevée, c'est-à-dire tant
que la phase aïgue de la pleurésie n'est pas terminée, il vaut mieux ne
prendre une décision qu'après la défervescence.
Si la décroissance de l'épanchement se fait naturellement, et si sa
résorption paraît devoir être rapide, il est inutile d'intervenir. Mais, si le
liquide épanché reste stationnaire, ou si sa résorption paraît devoir être
lente, il faut opérer. Ce n'est pas impunément qu'un liquide séjourne
longtemps dans la plèvre; les organes déplacés s'immobilisent, le poumon
respire mal, deux des principales fondions de l'économie, l'hématose et
la respiration, sont compromises, sans compter, chez les individus
.NOUV. D1CT. MÉD. El CBIB. XXYM — 47
758
POITRINE. — tiiouacentèse.
prédisposés, le passage de la pleurésie à la chronicité cl à la pu-
rulence (Trousseau). La Ihoracenlèse pratiquée au moment voulu peut
faire tomber le reliquat de fièvre qui accompagne souvent les épan-
chements, elle peut abréger de plusieurs semaines la durée de la ma-
ladie.
2° Manuel opératoire de la thoracentèse. — Jusqu'en 18G9 un seul
procédé était en usage, c'est celui que Trousseau nous a légué. Trousseau
pratiquait la ponction dans le sixième ou le septième espace intercostal
en comptant de haut en bas, à 4 ou 5 centimètres du bord externe du
muscle grand pectoral, c'est-à-dire dans la région axillaire. Il faisait d'a-
bord une petite incision à la peau afin de frayer la route au trocart, puis,
par un coup sec, il pénétrait dans la poitrine au moyen du trocart de
Reybard. Le pavillon de ce trocart était armé d'une baudruche qui, par
son rôle de soupape, s'opposait à l'entrée de l'air dans la poitrine au
moment de l'inspiration. Le liquide pleural s'échappait de la poitrine
d'abord par saccades puis en bavant, et au cours de l'opération le malade
était généralement pris d'une toux quinteuse pénible, parfois « violente,
invincible, très-douloureuse », que Trousseau considérait comme utile pour
favoriser l'issue du liquide au dehors et qui chez certains malades se pro-
longeait une partie de la journée. Ajoutons qu'il n'était pas rare, vers la
fin de l'opération, que le liquide fût coloré en rouge par son mélange
avec le sang.
Ainsi faite, la thoracentèse de la poitrine, sans être une opération
bien difficile, demandait quelque habileté de la part du chirurgien et
quelque résignation de la part du malade : aussi était-elle réservée pour
les cas urgents et pratiquée par un nombre relativement restreint de
médecins.
Lorsque j'appliquai la méthode d'aspiration aux épanchements
pleuraux, le trocart, la baudruche et l'incision préalable furent rem-
placés par une piqûre d'aiguille si ingnifiante que, l'opération ter-
minée, il n'en restait, pour ainsi dire, pas vestige. Yoici comment je
procède :
Le malade est assis sur son lit, les deux bras tendus en avant; et l'on
marque sur la peau le point où doit porter la piqûre. Ce point est le
huitième espace intercostal, sur le prolongement de l'angle inférieur de
l'omoplate.
La thoracentèse doit être faite avec l'aiguille n° 2 et non pas avec une
aiguille ou un trocart d'un diamètre supérieur. On met l'aiguille en
communication avec l'aspirateur au moyen du tube de caoutchouc, le
vide préalable est fait dans l'appareil, et on pratique la ponction. Pour
cela, l'opérateur recherche avec l'index de la main gauche l'espace inter-
costal de manière à limiter la côte de dessus avec le rebord supérieur de
l'index et la côte de dessous avec son rebord inférieur. L'aiguille introduite
dans l'espace intercostal est poussée à deux ou trois centimètres de pro-
fondeur, le robinet correspondant de l'aspirateur est ouvert, et le liquide
traversant l'index en cristal jaillit dans l'appareil.
POITRINE.
THOIIACENTÈSE. MANUEL OPÉltATOInE.
759
Fio. 4b. — Aspirateur à encoche de G. Dieulafoy.
D, Robinet à triple effet. II, est l'encoche qui s'engrène quand le piston est en haut de sa course, ce
qui transforme l'aspirateur en une véritable machine pneumatique. FFF, aiguilles et trocart.
L'aiguille du robinet D indique toujours la direction de l'ouverture ou du courant.
Pour faire le vide dans l'aspirateur on agit de la façon suivante : 1° On ferme le robinet en plaçant
l'aiguille de trois quarts en B; 2° On attire le piston dans le haut de sa course, et on l'y fixe en lui
imprimant un léger mouvement de rotation de gauche à droite (sans quoi le piston descendrait de lui-
même) ; 5* L'aiguille est mise en communication avec l'aspirateur au moyen d'un tube de caoutchouc E
adapte au robinet. Dès que l'aiguille a pénétré dans l'intérieur des tissus à explorer, on ouvre le robinet
en A, dans le sens longitudinal, et le vide se fait par conséquent dans l'aiguille, qui devient aspira-
trlce, i' Pour expulser le liquide contenu dans l'aspirateur, on tourne le robinet en C dans la direction
transversale, on dégage le pistou en lui faisant exécuter uu mouvement de droite à gauche, et le
liquide est refoulé par le piston.
Cul aspirateur contient 60 grammes de liquide [Traité de l'aspiration, p. 471).
740
POITRINE. —
THOIUCENTÈSE. MANUEL OPÉRATOIRE.
L'aspirateur une fois rempli, on le vide, et cet arrêt de quelques in-
stants dans l'aspiration du' liquide est un bienfait pour le poumon, qui
n'est pas sollicité à se déplisser trop rapidement. On recommence cette
manœuvre plusieurs fois suivant la capacité de l'aspirateur, en ayant soin
de ne jamais retirer plus d'un litre en une séance.
Quand l'opération est méthodiquement faite, le malade ne doit éprou-
ver ni quinte de toux, ni douleur, ni malaise. Si le malade accuse pen-
Fig. Ai. — Aspirateur à crémaillère de G. Dieulafoy.
Voici comment on fait usage de cet appareil : 1° On ferme les robinets R U' R" en les plaçant à angle
droit, c'est-à-dire perpendiculaire au jet du liquide ; 2' On remonte le piston jusqu'en haut de *a
course au moyeu d'une crémaillère, et ou le retient en place eu abaissant le cliquet C : dès lors le
vide est fait dans l'aspirateur; ô° On ajuste l'aiguille dont ou veut faire usage sur le tube de caoutchouc T,
qui est lui-même mis en communication avec l'aspirateur par le robinet R ; 4" Dès que l'aiguille est
introduite dans les tissus à explorer, on ouvre le robinet correspondant de l'aspirateur R, et le vide
se fait par conséquent dans l'aiguille, puis on pousse lentement cette aiguille dans les tissus i la
recherche du liquide. Dès que l'aiguille rencontre le liquide, celui-ci se précipite dtns l'aspirateur et
trahit aussitôt sa présence eu traversant l'index de cristal situé sur le trajet du tube de caoutchouc ;
5* Quand on veut expulser le liquide contenu dans l'aspirateur, on ferme le robinet R, on ouvre le
robinet R', on dégage la crémaillère de son point d'arrêt, en attirant le cliquet C hors de sou
encoche, et on chasse le liquide au moyen du piston que l'on fait descendre dans le corps de pompe ;
C Si l'on désire injecter un liquide médicamenteux, ou laver la cavité morbide qu'on vient de vider,
ou fait avec l'aspirateur une manœuvre inverse de celle que nous venons de décrire. Par le tube
médian on aspire le liquide à injecter, et c'est par le tube muni de l'aiguille ou du trocart qu'on
pousse l'injection dans la cavité.
L'aspirateur étant gradué, on sait très-exactement, à quelques grammes près, quelle est la qu anlité de
liquide mise eu mouvement ; ou peut connaître la capacité de la cavité morbide dans laquelle on pratique
les injections, et suivre le retrait de cette cavité et sa marche^vers la guérison [fruité de l'aspiration,
p. 475).
dant l'opération une sensation de douleur et de déchirement à l'intérieur
de la poitrine, il faut aussitôt suspendre l'écoulement.
Si l'épanchcment est très-considérable, on retire le lendemain ou le
surlendemain un nouveau litre de liquide, et ainsi de suite jusqu'à épui-
sement complet de la pleurésie.
Certains médecins vident rèpanchement jusqu'à la dernière goutte, ce
qui détermine quelquefois une coloration rosée du liquide et de vio-
POITRINE. TIIORACENTÈSE. MANUEL OPÉRATOIRE.
741
lentes quintes de toux. Cette pratique est inutile et mauvaise ;
lorsqu'on voit que l'écoulement tire à sa fin, on arrête l'opération,
sans se soucier des 150 à 200 grammes qui peuvent rester dans la cavité
pleurale.
Pour pratiquer la tlioracentèse, le choix de l'aspirateur est indifférent;
ce qui importe, c'est le choix de l'aiguille, et je recommande exclusi-
vement l'aiguille n° 2, dont lecalibrene mesure que lmm,2 de diamètre.
y. a
Fie. 43. — Aspirateur tic M. Potain.
Dans le goulol d'un vase quelconque vient s'ailapter un bouchon en caoutchouc, traversé au centre
par une tige creuse métallique à douille conduit communiquant avec le récipient. A sa partie supérieure,
elle se bifurque en deux branches munies chacune d'un robinet E et D q'ii, suivant la direction qu'on leur
donne, permettent à l'air d'être extrait par la pompe A, et au liquide d'entrer dans le récipient par le
robinet B, qui communique avec le trocart au moyen d'un tube en caoutchouc dont l'extrémité est
munie d'un ajoutage de verre F qui permet de reconnaître la nature du liquide aspiré. Le trocart pré-
sente quelques particularités a noter. — L'extrémité de la canule est séparée en deux parties égales
formant ressort, et comme le poinçon est muni d'une petite encoche en arrière de la pointe, il s'ensuit
que lorsque l'on fait pénétrer le trocart dans son fourreau, le bout de la canule, formant pince, se
place dans la partie déprimée du poinçon, en sorte que la canule ne fait aucune saillie et présente
avec la pointe du trocart un calibre uniforme. — En outre la partie inférieure est munie d'un petit tube
latéral qui s'ajuste avec le tube F et d'un robinet qui intercepte l'entrée de l'air et permet de débou-
cher la canule lorsqu'elle est obstruée, sans que l'air extérieur puisse y pénétrer.
Manuel opératoire. — 1° L'appareil monté comme le représente la figure, on ferme le robinet E et
l'on ouvre le robinet I); 2° On fait fonctionner la pompe A plus ou moins, selon la force qu'on veut
donner au vide pratiqué de cette manière dans le flacon F ; 5° Une fois le vide opéré, on Terme le robinet
D, on pratique la ponction avec le trocart, on retire le poinçon, ou ferme le robinet du trocart ,
on ouvre le robinet E, et le liquide se précipite dans le flacon.
Pendant que l'aspiration a lieu, on peut augmenter la force du vide en faisant fonctionner la pompe,
après avoir ouvert le robinet I).
Plusieurs objections ont été faites à cette aiguille : on a dit qu'elle ne
permet qu'un lent écoulement du liquide; tant mieux ! car la lenteur de
l'écoulement permet au poumon de se déplisser sans secousses et sans
quintes de toux. On a prétendu que le poumon peut, dans son mouvement
d'expansion, rencontrer la pointe de l'aiguille, et, pour parer à cet incon-
vénient, Castiaux a imaginé un trocart à pointe cachée.
Je n'ai jamais vu pareil accident, et, du reste, il y a une petite manœu-
712
rOITRINE.
THOIUCEKTÈSE. ACCIDENTS CONSÉCUTIFS
vrc qui met à l'abri de toute éventualité ; il suffit de retirer graduellement
l'aiguille à mesure que le liquide s'écoule et de la faire basculer de façon
à la rendre parallèle à la paroi intercostale.
5" Accidents consécutifs a la tiioiiacentèse. — Congestion et œdème pul-
monaire, expectoration albumincuse, asphyxie lente ou brusque, syncope,
hémiplégie, apoplexie, mort plus ou moins rapide, transformation puru-
lente de l'épanchement, tels sont les accidents qui ont été observés à la
suite de la thoracenlèse et qui ont été mis sur le compte, soit de l'aspira-
tion, soit de l'opération par le trocart de Reybard. Analysons ces accidents
et discutons-en la valeur.
A. Expectoration albumineuse, asphijxie. — Dans un premier groupe
je réunis les accidents dyspnéiques et asphyxiques qui peuvent succéder
à la thoracentèse. Aussitôt ou peu après la ponction, le malade est pris
Laboulbène a modifié l'aspirateur
de Potain en faisant mettre sur les
deux branches du bouchon, deux ro-
binets de formes différentes : l'un est
carré, placé du .côté du malade et en
rapport avec le trocart; l'autre robi-
net est arrondi et communiquant
avec la pompe à air. 11 est impossible
de la sorte, de faire une fausse ma-
nœuvre et d'envoyer de l'air dans la
poitrine du malade.
De plus, Laboulbène a modifié
l'extrémité de la gaine ou canule d u
trocart. Cette canule n'est pourvue
que d'une seule fente, mais présen-
tant des yeux latéraux qui permet-
tent toujours l'écoulement facile du
liquide pleural.
Fig. 46. — Aspirateur modifié de Laboulbène.
En haut est le trocart ou lame, muni à la base de sa boite à cuir où «lisse à frottement le trocart,
et terminé par la pointe suivie du renflement. Au-dessous, le trocart est dans sa gaine ou canule ; on voit,
à gauche, la pointe qui déborde et la fonte latérale pourvue d'yeux, placée J l'extrémité de la canule.
En bas, se trouve le bouchon à deux robinets : celui qui est carré est toujours du côté du malade,
celui qui est arrondi communique avec la pompe à air. (Bull.dc thérapeutique, 1S78).
de toux, d'oppression, d'expectoration albumineuse, et on entend à l'aus-
cultation des râles fins d'œdème pulmonaire; puis, graduellement, la
toux cesse, la respiration se rétablit, et l'accident est terminé. Dans
d'autres cas, l'intensité de la dyspnée, la durée et la quantité de l'expec-
toration, sont plus fortes, et ce n'est qu'après une demi-journée ou une
journée que le malade revient à son état normal. Enfin, dans quelques
circonstances , heureusement exceptionnelles , ces accidents ont ete
mortels.
Les accidents dyspnéiques et l'expectoration albumineuse ont été
diversement interprétés. Je me rallie à l'opinion de Hérard, qui les
attribue à une congestion pulmonaire rapide, à un œdème aigu du
poumon.
Reste à expliquer la cause de cet œdème aigu. On a accusé la méthode
aspiratrice, bien à tort, car en analysant les observations de la thèse de
POITRINE.
— THORACENTÈSE. ACCIDENTS CONSÉCUTIFS.
745
Terrillon on voit précisément que sur 16 cas d'expectoration albu-
mincuse la thoracentèse avait été faite douze fois avec le trocart et la
baudruche sans aspiration et quatre fois seulement par aspiration. Sur
6 cas qui se sont terminés par la mort, l'aspiration n'avait été employée
que trois fois. Les accidents n'ont, par conséquent, rien à voir avec le
procédé opératoire ; et en analysant les observations on voit qu'ils ont
toujours été associés soit à l'issue immédiate d'une grande quantité de
liquide, soit à des complications de la pleurésie et, le jAus souvent, à ces
deux causes réunies.
Néanmoins, il y a dans l'aspiration mal dirigée un inconvénient réel,
mais ce n'est pas affaire de qualité du vide, c'est affaire de quantité. Ce
n'est pas parce que l'on aura tiré 1,000 grammes de liquide avec un
vide bien fait que les accidents pourront survenir, mais c'est parce que
l'on en aura retiré 5,000 même avec un vide incomplet, même sans
vide du tout.
Ce qui est mauvais, qu'on le sache bien, ce n'est pas l'aspiration,
mais c'est la façon dont on en fait usage, c'est l'aspiration prolongée
outre mesure, c'est l'emploi de trocarts trop volumineux, c'est, en un
mot, la manœuvre mal comprise, qui, sans tenir un compte suffisant de
la nature de la pleurésie, de son ancienneté, de ses complications, per-
met à un épanchement considérable de sortir complètement et trop rapi-
dement de la cavité thoracique.
B. Syncope précoce ou tardive. — Dans quelques cas les malades
opérés sont morts le jour même, le lendemain ou le surlendemain, à la
suite de syncope. L'analyse de ces observations montre que les acci-
dents ont été produits par des causes diverses, et dans tous les cas
indépendantes de la thoracentèse : caillot cardiaque (Vergely), caillot
pulmonaire (Guyot), phlébite et trombose (Chaillou de]Tourny, Gaz. des
hôp., 1872), gangrène pleurale (Ernest Besnier).
C. Transformation purulente. — On a prétendu que la thoracentèse
peut transformer la pleurésie simple en pleurésie purulente. Cette accusa-
tion ne me paraît pas fondée. Je ne parle pas des cas, et il en existe, où
la ponction a été faite avec des aiguilles sales ayant servi à vider quelque
temps auparavant quelques collections purulentes, mais je parle delà tho-
racentèse pratiquée dansde bonnes conditions, et celle-là, je le crois, est
absolument innocente de la transformation purulente des liqurdes pleu-
raux. Des observations souvent répétées m'ont permis de croire que telle
pleurésie qui sera plus tard purulente commence par être une pleurésie
histologiqucment hémorrhagique. On trouve au microscope plusieurs
milliers de globules rouges par millimètre cube. Et, si on n'a pas eu soin
de pratiquer l'étude histologique du liquide (qui à simple vue me parait
un liquide de bonne nature), on croit avoir transformé une pleurésie sim-
ple en pleurésie purulente, alors qu'on a seulement ponctionné la pleu-
résie aux deux phases de son évolution.
Quant à la pleurésie purulente, qui nécessite une application spéciale
de la thoracentèse, voyez p. 220.
744
POIVRE. RÉCOLTE. COMPOSITION CHIMIQUE.
On consullera la bibliographie de l'article Pleurésie, p. 234 à 239.
Je rappellerai seulement mon mémoire sur la thoracentèse par aspiration dans la pleurésie
aiguë, Paris, 1878, et j'ajouterai les indications suivantes :
IIéhahd, Thoracentlièse [Huit. de UAcad. deméd., 30 avril, 4 juin 1872 et 30 juillet 1872) .
Yehgei.y, Bordeaux médical, 1873 — Pleuro-pneumonie ; épaneb. pur., tlioracocentèse- mort
subite (Gaz. hebd , 1877, p. 377).
Besnieii (Ern.), Cas de mort subite pendant la thoracer.tèse (Bull, et Wém. Soc. méd. des
hôp., 25 juin 1875, 2» série, t. XII, p. 24).
Ravnaud (Maurice), Des morts inopinées pendant ou après la thoracentèse, et des convulsions
épilcpti (ormes à la suite des injections pleurales (Bull. clUèm. Soc. méd. des hôp. 1875,
2" série, t. VI, p. 96).
Vai.lin (E.), Convulsions éclamptiques à la suite de la thoracentèse (Union médicale, 1875, et
Bull, de la Soc. méd. des hôp., 2e série, t. VI, p. 115).
YVidal, Etude clinique sur le traitement des épanchements pleurétiques par la ponction
aspiratrice, Paris, 1876.
TnoussiiM, De la thoracentèse dans la pleurésie franche, thèse de doctorat, Paris,
26 mars 1878, n° 109.
Châtelain (Ch.), Etude clinique sur la thoracentèse dans les pleurésies séreuses, thèse de
doctorat, Taris, 1880.
Paracenthcse du péricarde, Voy. Péricarde, t. XXVI, p. 655.
Georges Dieclafot.
POIVRE. — Piper nigrum L., Famille des Pipéritées ou Pipéracées.
Le poivrier est un arbuste vivace, sa tige volubile est articulée, et les
nœuds produisent des racines adventives qui servent à fixer le végétal.
Les fleurs sont disposées en épis pédonculés, longs de 8 à 12 centimètres
environ. Les fruits sont charnus et sessiles.
Il est originaire de la côte de Malabar (Travancore), d'où il est passé
dans l'archipel malais, à Siam et aux Philippines.
La partie commerciale ou poivre en grains est le fruit de l'arbuste.
C'est l'une des espèces dont l'usage remonte à la plus haute antiquité, et
le poivre a été longtemps le principal et presque le seul objet d'échange
existant entre ce qui est devenu l'Europe et l'Inde ancienne.
Aussi Théophrastc, quatre siècles avant Jésus-Christ, connaît-il déjà deux
sortes de poivre. Dioscoride et Pline le décrivent longuement, et à cette
époque les navires allaient le prendre au port de Baraké, situé au Malabar,
entre Mangalore et Calicut.
Au moyen âge, le poivre, toujours très-recherché, était surtout importé
en Europe par les Génois et les Vénitiens. Il servait même parfois d'étalon
monétaire, et parmi les redevances que les tenanciers étaient tenus de
fournira leur seigneur on voit fréquemment figurer une livre de poivre.
Récolte. — La récolte se fait en juin-juillet, dès que les baies de la
partie inférieure de l'épi se colorent en rouge ; au bout de quelques jours
elles se détachent de l'épi, et il n'y a plus qu'à faire sécher le produit,
qui est devenu brun ou noir.
Par suite de la dessiccation, la couche moyenne du péricarpe se con-
tracte et produit les rides bien connues de la surface du grain de poivre,
qui reste marqué d'une tache peu apparente correspondant à l'insertion
du pédoncule.
Composition chimique. — Tout le monde connaît l'odeur et la
saveur du poivre.
POIVRE. COMPOSITION CHIMIQUE.
745
La saveur est due principalement à une substance résineuse qui existe
dans le produit ; quant à l'odeur, il faut l'attribuer à une huile essentielle
lévogyre (Flucluger et Hanbury) dont la composition et le point d'ébulli-
tion sont voisins de ceux de l'essence de térébenthine. La quantité de
cette essence varie de 1,5 à 2 pour 100.
Pipéi^ine ou Pipérin. — Mais la substance la plus intéressante et la
mieux connue qui se rencontre dans le poivre est celle qui a été décou-
verte en 1819 par Œrsted, la pipérine, qu'on désigne également sous le
nom de pipérin.
On l'obtient par des traitements alcooliques répétés.
C'est un corps nettement cristallisé, insoluble dans l'eau froide, peu
soluble. dans l'éther, soluble dans l'alcool, surtout bouillant. Sa for-
mule Cr,vHI0AzOG en fait un isomère de la morphine, ce qui est déjà curieux.
Mais la suite montrera qu'il n'y a là rien autre chose qu'une composition
équivalente au point de vue centésimal.
C'est un alcaloïde (?) bien faible, ne bleuissant pas le tournesol.
Les sels de pipérine sont généralement instables, décomposables par
l'eau ; l'acide sulfurique concentré la colore en rouge de sang.
Ces caractères la rapprochent de la narcotine et des substances sem-
blables, et les analogies sont encore plus frappantes quand on considère
le mode de dédoublement. Sous l'influence de la potasse alcoolique, la
pipérine se dédouble en acide pipérique et pipéridine (Babo, Keller et
Sirecker) :
C3lH,0AzO° + KHœ = C10H"Az -+- C24IPK08
Pipérine. Polasse. Pipéridine. Pipérate de potasse.
De môme que la narcotine se dédouble en hydrocotarnine et acide
opianique (Wright et Beckett) :
CwHtsAxOw -f- EPO' : C^IFAzO8 + C!0H,n010
ftarcotine. Eau. Hydiocotarnine. Acide opianique.
Le parallèle se poursuit encore plus loin, car on sait que l'acide opia-
nique et la méconine se rattachent à l'acide protocatéebique, dont ils
représentent des dérivés méthylés.
V acide pipérique C-nIl1008 est dans le même cas, et même il n'est pas
besoin de recourir à la potasse fondante pour remonter à l'acide protoca-
téebique.
Par simple oxydation de l'acide pipérique (Fillig, Remscn, Mielch), on
obtient en effet l'aldéhyde pipèronylique C'IFO", Yacide pipèronylique
C'IPO8, et par hydrogénation Y alcool pipèronylique C'IPO0, tous dérivés
méthylés de l'acide protocatéebique.
La synthèse de l'acide pipèronylique a même été réalisée en chauffant
ensemble de l'acide protocatéebique, de l'éther iodhydrique et de la
potasse (Fittig).
Pipéridine. — Venons maintenant à l'examen de la seconde portion du
dédoublement de la pipérine, à savoir : l'alcali exempt d'oxygène, la
pipéridine C10II"Az.
746
POIVRE. USAGES. FALSIFICATIONS.
La majeure partie de son histoire chimique a été faite par Cahours.
On l'obtient en distillant de la pipérine en présence de la chaux potas-
sée. Le produit contient deux alcaloïdes volatils, qu'on sépare en trans-
formant en chlorhydrates, et reprenant par l'alcool absolu, qui ne dissout
que le sel de pipéridine.
C'est un corps liquide, caustique, très-alcalin, bouillant à -h 106°.
Au point de vue théorique, elle doit être considérée comme une aminé
secondaire, puisqu'il est possible de fixer sur elle deux molécules alcoo-
liques au moyen des éthers iodhydriques. Sa formule serait :
(Cl0Hlo)"{HAz (Cahours).
Les propriétés se rapprochent beaucoup de celles de l'ammoniaque.
On connaît enfin différents sels de pipéridine, une nilrosylpipéri-
dine (Wertheim), une pipérylurée, ainsi qu'une mctlujlpipëridine, une
éthylpipéridine, une amylpipéridine, etc.
Usages. — Considéré comme épice, l'usage du poivre est très-répandu
et la consommation annuelle en Europe atteint environ 12 à 15 millions
de kilogrammes.
En thérapeutique, on n'emploie guère le poivre directement et à l'état
isolé. On peut noter cependant le cataplasme rubéfiant et les applications
de poivre en poudre, préconisées contre la teigne.
Il entre dans la composition des pilules asiatiques. Les Arabes s'en ser-
vent comme aphrodisiaque, etc.
Falsifications. — Le poivre en grains ne peut pour ainsi dire pas
être falsifié, tandis que le poivre en poudre est presque constamment mé-
langé avec des résidus de fécules (pommes de terre, céréales, sagou, etc.).
poudre de moutarde, de lin, de piment, fraudes que ne parviennent pas à
empêcher les amendes très-élevées dont sont frappés les vendeurs de
poivre falsifié, en Angleterre, par exemple, où l'amende atteint 2,500 fr.
(100 livres sterling).
La fraude est facile à reconnaître au microscope, mais pour la prévenir
le mieux serait évidemment de propager l'habitude déjà très-répandue de
pulvériser soi-même le poivre en grains au moyen de petits moulins ap-
propriés.
Poivre blanc. — Ce n'est autre chose que le poivre noir dépouillé de son
écorce noirâtre, ce qui lui enlève une partie de sa saveur brûlante. Sur les
lieux de production, quand on veut avoir du poivre blanc, ou laisse mûrir
les fruits au lieu de les recueillir prématurément. On fait sécher les
grappes pendant quelques jours, et il suffit alors de les frotter entre les
mains pour enlever la couche noire extérieure du péricarpe. Les grains
sont naturellement un peu plus gros que la partie blanche du poivre
ordinaire qui a été récolté avant maturité.
Les Chinois consomment presque exclusivement le poivre blanc. Les
Européens préfèrent le poivre noir.
La dénomination de poivre est un terme générique qui comprend un
POIVRE. — ACTION PHYSIOLOGIQUE. USAGES. 747
grand nombre d'espèces employées le plus souvent comme condi-
ments.
Nous citerons seulement :
Le Bétel (Piper bétel), dont les feuilles sont employées comme masti-
catoire en Orient.
Le bétel sert à colorer les dents en rose, embaume l'haleine et stimule
l'appétit.
Le poivre long (Piper longum) , moins aromatique que le Piper
nigrum, mais dont la composition chimique est très-voisine.
Le poivre Cubèbe (Voy. ce mot, t. X, p. 457).
Le Matico (Voy. ce mot, t. XXI, p. 772).
Le poivre Lowong. — Le piper Libesioïdes, etc.
Enfin le poivre enivrant, Piper melhysticum, dans lequel Cuzent a
découvert la Kawaine, principe analogue à la pipérine que Morson, puis
Gobley, ont successivement étudié depuis sous le nom de mélhyslicine.
L. Prunier.
Action physiologique. — Le poivre noir, dont nous nous occupe-
rons presque exclusivement ici, exerce sur nos tissus une action topique
irritante, plus ou moins énergique suivant la quantité employée et la
durée de l'application. A la peau, il détermine de la chaleur, de la rubé-
faction et même des phlyetènes comme le fait un emplâtre vésicant. In-
Iroduit dans la bouche et avalé en petite quantité, il donne lieu à une
impression gustative acre en même temps qu'aromatique, accompagnée
d'une sensation de chaleur qui se ressent jusque dans l'estomac, et il
imprime aux glandes de ces organes une activité sécrétoire favorable à
la digestion. Si la dose ingérée, en une seule ou en plusieurs fois, a été
forte, les effets se montrent plus intenses : la chaleur devient brûlante,
une soif vive s'allume, la circulation s'accélère et il peut se produire une
véritable gastrite.
Les effets généraux sont stimulants : ils se traduisent par l'accroisse-
ment de la température, par la fréquence du pouls et la sueur, c'est-à-dire
par de la fièvre; et cette fièvre s'accompagne de phénomènes dénotant
l'irriialion de l'appareil uro-génital, tels que douleurs lombaires, urines
ardentes, probablement d'albuminurie et d'hématurie, dit Gubler, et par-
fois d'inflammation des voies génito-urinaircs. Les principes actifs du
poivre s'éliminent aussi par d'autres émonctoires : du côté de la peau,
cette élimination peut amener des éruptions exanthématiques, comme le
font le cubèbe et surtout le copahu.
Usages. — On sait les qualités du poivre comme condiment. Son
emploi à ce titre, justifié par l'impression qu'en reçoit l'appareil digestif,
était déjà connu dans les temps anciens, et l'on y a recours sous toutes
les latitudes. Mais, tandis que dans les contrées équatoriales, où l'excès
de la température entraîne la débilité des forces digestives, on en fait un
usage qui très-souvent va jusqu'à l'abus, dans nos climats on en use avec
plus de modération. Il est surtout indiqué pour assaisonner les aliments.
748
POIVRE. — USAGES.
lois que les viandes grasses comme celle du porc, les végétaux froids,
aqueux, peu sapides, afin d'en relever la saveur et d'en rendre la
digestion plus facile. Il l'est encore toutes les fois que, soit par le fait des
conditions extérieures, soit en raison du tempérament et de la constitu-
tion, les fonctions gastriques sont en quelque sorte paresseuses, chez les
sujets mous, lymphatiques, chez certains convalescents. Au contraire, il
ne convient pas aux personnes d'un tempérament irritable et dont les or-
ganes digestifs sont sujets à l'inflammation.
Au point de vue de la thérapeutique, ce que nous avons à dire de ses
usages doit se réduire presque à un simple historique, le poivre
n'étant plus guère employé de nos jours dans le traitement des ma-
ladies.
A l'intérieur, il a été administré dès l'antiquité contre l'anorexie, les
flatuosités, la pituite, la migraine, et, en tant que ces affections peuvent
se trouver liées à un état atonique des voies digestives, les bons effets
qu'on lui a attribués dans ces sortes de cas pourraient s'expliquer par ses
vertus condimentaires. On y a eu recours aussi dans les cas d'helminthiase
intestinale, dans les écoulements uréthraux ; les peuples orientaux l'em-
ploient comme aphrodisiaque. Mais son application la plus importante
est celle qui a été faite dans le traitement des fièvres intermittentes.
Dioscoride dit que le poivre est bon « aux fièvres qui ne sont pas conti-
nues. » Celse a exprimé une opinion semblable, et, à leur tour, Muller,
Rivière, Bartholin, ont confirmé cette propriété, tandis que Van Swieten,
Murray et d'autres, se sont élevés contre une telle pratique en raison
d'accidents inflammatoires graves dont ils avaient été témoins. Plus près
de nous, cet emploi du poivre a été repris et préconisé par Louis Franck,
ainsi que par d'autres médecins étrangers à son exemple, et les faits nom-
breux qu'ils ont rapportés ne permettent pas de douter de l'efficacité de
cet agent dans les fièvres d'accès. Depuis la découverte d'Œrsted, on a
proposé de remplacer le poivre, pour le traitement de ces fièvres, par la
pipérine, qui en renferme les principes actifs : Meli, à Ravenne, Gordini,
à Livourne, et d'autres médecins italiens, se sont loués des effets qu'ils
avaient ainsi obtenus. Cependant, malgré les succès proclamés par eux,
leur exemple n'a pas été suivi et le quinquina est resté, aux yeux de tous,
le médicament par excellence à opposer à la maladie en question. Disons,
en terminant, qu'elle n'est pas la seule contre laquelle on ait voulu em-
ployer la piperine : Magendie'a proposé de substituer cette substance au
poivre cubèbe dans le traitement de la blcnnonhagie.
A l'extérieur, on s'est servi et l'on peut se servir de la poudre du
poivre noir pour saupoudrer les cataplasmes, afin de les rendre rubéfiants,
ou l'appliquer seule à la manière d'un sinapisme, mais en prenant soin
de ne pas prolonger aussi longtemps l'application, à cause de son activité
plus grande. On en a mis dans les cheveux pour tuer les poux; on en a
rempli des cavités dentaires suite de carie, afin d'engourdir la douleur.
On l'a employée pour obtenir des effets astrictifs sur la luette relâchée,
etc., etc.
POIX.
749
Le poivre long, dont les effets physiologiques sont analogues à ceux du
poivre noir, mais moins énergiques, peut servir aux mômes usages. En
Europe, il n'est employé que comme condiment, mais dans l'Inde on y
recourt aussi pour des usages médicinaux. Nous ne croyons devoir
entrer dans aucun détail à cet égard. A. Gadchet.
POIX. — Le Codex fait mention de trois espèces de poix qui servent
en pharmacie à confectionner un assez grand nombre de masses em-
plastiques dont l'emploi devient de plus en plus restreint. Ce sont : la
poix jaune dite poix de Bourgogne, la poix noire et la poix résine.
Poix de Bourgogne. — La Poix jaune est une véritable térébenthine
qui découle d'incisions faites au tronc de VAbies excelsa (D.C.), vulgaire-
ment nommé Pesse, Epicéa, Faux Sapin, et que Linné appelait à tort
Pinus abies. Ce bel arbre atteint jusqu'à 50 mètres de hauteur : on le
rencontre abondamment dans les régions montagneuses du Centre de
l'Europe et surtout dans les forêts du Nord. Il est principalement exploité
en Finlande, en Suisse, en Autriche et dans la Forêt-Noire. On le trouve
aussi en Bourgogne, mais cette province n'a jamais fourni de poix, et il est
probable que ce nom a été donné à la poix jaune lorsqu'elle arrivait d'Al-
sace par la voie de la Franche-Comté ou Comté de Bourgogne. On la ré-
colte en faisant au tronc de grandes entailles longitudinales, mais peu
profondes (2 à 4 centimètres), car, contrairement à ce qui existe chez le
Pinus sUvestris, les canaux sécréteurs de l'Abies sont surtout répandus
dans le parenchyme cortical, tandis que le liber et le bois n'en contiennent
pas. La résine qui s'écoule est recueillie sur Farbrc au moyen d'un instru-
ment spécial, on la purifie grossièrement en la fondant avec de l'eau dans
une chaudière, ou bien au contact de la vapeur d'eau, puis en la soumet-
tant à la presse.
La véritable poix de Bourgogne est d'un jaune foncé, solide et cassante
à froid ; malgré sa dureté elle se moule dans les vases qui la contiennent ;
elle possède une odeur aromatique particulière et agréable qui se déve-
loppe par la chaleur, et une saveur douce, parfumée, non amère
(Guibourg). Elle est incomplètement soluble dans l'alcool à 80° avec
lequel elle donne une solution rougeâtre et amère ; elle se dissout plus
facilement dans l'alcool absolu, l'acétone et l'acide acétique crislalli-
sable.
Elle retient une quantité plus ou moins grande d'huile essentielle
formée par un carbure d'hydrogène C-° II10 qui est accompagné d'une
petite proportion d*un corps oxygéné analogue au camphre. La partie
solide est constituée par une résine amorphe qui donne par hydratation
de l'acide abiétique comme toutes les résines des conifères.
La plupart du temps on substitue à la poix de Bourgogne naturelle un
produit artificiel, désigné sous le nom de poix blanche, obtenu en fon-
dant et brassant sous l'eau un mélange de galipot et de térébenthine, ou
en battant avec de l'eau de la colophane fondue et de l'huile de palme.
L'eau interposée rend le mélange opaque; cette poix factice est livrée au
750
POIX.
commerce dans des vessies. Elle a une saveur amère et une odeur de
térébenthine ; elle est moins active que la véritable.
La poix de Bourgogne adhère fortement à la peau ; en couche un peu
épaisse elle s'étend en dehors du point d'application ; ce défaut disparail
quand on l'additionne d'un quart de son poids de cire jaune. C'est ce mé-
lange qui constitue l'emplâtre de poix de Bourgogne. Cette masse em-
plastique étendue sur une peau ou sur du sparadrap est souvent em-
ployée dans la médecine populaire contre les douleurs rhumatismales
musculaires; elle n'agit qu'avec lenteur, mais finit par provoquer de
vives démangeaisons et finalement une légère éruption vésiculeuse. On
obtient un révulsif énergique qui n'est même pas sans danger, à cause
des cicatrices qu'il peut laisser, en recouvrant sa surface d'une quantité
de poudre d'émétique qui varie de 0,50 à 1 gramme suivant la gran-
deur; c'est là l'emplâtre de poix de Bourgogne stibié. Bans sa prépara-
tion il est important de fixer la poudre à la surface de l'emplâtre en
ramollissant la surface de celui-ci avec quelques gouttes d'essence de
térébenthine dans laquelle on a délayé l'émétique, ou bien en y passant
une légère couche d'axonge.
La poix jaune entre dans la confection des emplâtres agglutinalif,
à' acétate de cuivre, céroëne, de ciguë et de diachylon gommé.
Poix noire. — Lorsqu'on brûle incomplètement, dans un four spé-
cial non ventilé, la paille qui a servi à filtrer et à purifier la térében-
thine et le galipot, ou, d'une façon générale, tous les résidus de la fabri-
cation de l'essence de térébenthine, on obtient un goudron épais qui,
abandonné à lui-même, se sépare en deux couches: la supérieure, liquide,
constitue l'huile de poix ; l'autre, presque solide, est portée à l'ébullition
jusqu'à ce qu'elle devienne cassante après refroidissement ; c'est cette
dernière matière qui constitue la poix noire.
Dans la Finlande et le nord de la Bussie on soumet maintenant les
racines et les parties inférieures du tronc des Pins à une distillation sèche
dans d'énormes alambics en tôle épaisse. Cette opération fournit une
grande quantité d'essence de térébenthine, d'acide pyroligneux et do
goudron végétal. Ce dernier donne à la distillation de l'huile de goudron
et un résidu de poix noire. La poix noire est donc chimiquement consti-
tuée par les produits les moins volatils du goudron ; soumise elle-même
à la distillation sèche, elle donne de la naphtaline, de Panthracène et de
la paraffine.
Elle possède une odeur particulière et désagréable, très-différente de
celle du goudron ; sa saveur est à peu près nulle ; elle se dissout dans les
alcalis caustiques et dans l'alcool en donnant avec ce dernier une solu-
tion foncée qui rougit franchement le papier de tournesol. Celte réaction
acide ne permet pas de la confondre avec le brai retiré du goudron de
houille. Nous ne croyons pas du reste à la possibilité de substituer com-
mercialement celte sorte à la poix noire véritable.
Cette poix entre dans la formule de l'onguent basilicum, de Vemphîlrc
céroëne et de l'onguent brun, vulgairement appelé onguent de la mère.
POIX.
751
Poix-résine. — La térébenthine distillée à feu nu donne de l'essence
et laisse comme résidu de la colophane. Si, au lieu de soutirer simple-
ment celle-ci, on la brasse fortement avec de l'eau, on obtient un pro-
duit opaque d'une couleur jaune sale qui porte le nom de poix-résine
ou résine jaune. Une autre sorte de poix-résine se prépare en fondant
ensemble trois parties de galipot et une de colophane.
La résine jaune fait partie des substances qui servent à préparer Y onguent
(VAlthœa, Y emplâtre de gomme ammoniaque et Y emplâtre de Vigo.
Toutes ces résines doivent être purifiées pour l'usage pharmaceutique.
Le Codex prescrit de le faire en les fondant à une douce chaleur et pas-
sant avec expression à travers une toile. E. Villejean.
FIN DU TOME VINGT-HUITIÈME
TABLE DES AUTEURS
AVEC INDICATION DES ARTICLES CONTENUS DANS LE TOME VINGT-HUITIÈME.
BALZER (F.) . • • • Pneumonie, broncho-pneumonie, ,520-593; pneumonie chronique
594-621.
berge ron (G.). . . Plaie, questions médico-légales relatives aux pages 122-127.
DESPRÉS Pinces, 25-50.
D'HEILLY (E.). . . . Pleurodynie, 238-241.
DIEULAFOY (G.). . . Poitrine, thoraccntèse, 734.
FERNET Plèvre, pathologie, 241; vices de conformation, 242; gangrène, 242 ;
tuberculose, 245; carcinose, 250; tumeurs diverses, hydatides, 254;
maladies secondaires, 258 ; épanchements dans la cavité pleurale,
2G0 ; liydrothorax, 201 ; pneumothorax, 268-285.
FERNET et D'HEILLY. Pleurésie, 146; p. aiguë primitive, 147; p. aiguës secondaires, 202 :
p. rhumatismale, 203 ; p. purulente, 205 ; p. héniorrhagique, 220;
p. chronique, 229 ; p. chronique secondaire, 232.
GAUCHET Poivre, action physiologique, usages, emploi thérapeutique, 747.
HARDY (A.) Pityriasis, 50-42.
HIRTZ (Hipp.). . . . Pneumatose, 374-381.
LABAT Plombières, 567-374.
LÉPINE (R.) . . . . Pneumonie lodaire aiguë, 581 ; anatomie pathologique, 382; variétés
anatomiques, 585; localisation des lésions, 588; lésions concomitantes,
589; étiologie, 391; pneumonies secondaires, 403; tableau et marche
de la maladie, 405 ; symptomatologie spéciale, 407-456 ; variété de
marche et variétés symplomatiques. 456-453; espèces, nature,
455-465; terminaisons, 465 ; complications, 471; diagnostic, 485:
pronostic, 494; traitement, 501.
LUTON Pléthore, 128; physiologie pathologique, 152; applications cliniques, 158.
— Poitrine, séméiologie, 050-681.
MANOUVRIEZ (A.). . Plomd, effets toxiques, empoisonnement aigu, 507-310; intoxication
chronique, 510-345 ; colique sèche, 545-546; prophylaxie du satur-
nisme, 346-549; traitement, 549-354 .Emploi thérapeutique, 554-559.
MARCHAL (E.). . . . Placenta, anatomie, 45-54; physiologie, 54-57; pathologie, 57; ano-
malie de développement, 59; inflammation, 01 ; troubles de circula-
tion, 63 ; dégénérescences, 67 ; lésions syphilitiques, 73.
MERLIN (L.) .... Poitrine, anatomie, 621-648; physiologie, 018-050 ; pathologie chirur-
gicale, 681 ; lésions traumatiques, 681 ; coutusion, 084 ; plaies non
pénétrantes, 685-090 ; plaies pénétrantes, 090-717 ; abcès, 717.
ORY (E.] Pileux (Système), 1-10; — Pilocakpiiœ (jaborandi), 10-21,
PRUNIER [LA . . . Plomb, état naturel, extraction, propriétés physiques et chimiques.
usages, combinaisons, sels, caractères, séparations d'avec d'autres mé-
taux, dosage, 285-500 ; chimie médico-légale, 502-307. — Poivre, 744.
rochard (J.). . . . Plaie, 77 ; p. par instruments «tranchants, 77; p. par instruments pi -
quanls,80;p. par instruments contondants, 87 ; p. par arrachement,
112; p. laites parles armes empoisonnées, 110; p. des analomistes,
120-122.
VILLEJEAN Pilules , 21-23. — Pimëmt, 23-24. — Poix, 748.
21230. — Typographie A. Lahure, rue de Flcurus, 9, à Paris.
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